ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)
7 novembre 1997(1)
[234s«Agriculture Pêche Aquaculture et aménagement des zones marines
protégées Concours financier communautaire Déclaration d'inéligibilité de
certaines dépenses Recours en annulation Recours en indemnité»[s
Dans l'affaire T-218/95,
Azienda Agricola «Le Canne» Srl, société de droit italien, établie à Porto Viro
(Italie), représentée par Mes Giulio Schiller, Giuseppe Carraro, Francesca
Mazzonetto, avocats au barreau de Padoue, et Guy Arendt, avocat au barreau de
Luxembourg, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de ce dernier, 62, avenue
Guillaume,
partie requérante,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Eugenio de
March, conseiller juridique, et Hubertus Van Vliet, membre du service juridique,
en qualité d'agents, assistés de Me Alberto Dal Ferro, avocat au barreau de
Vicence, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz,
membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,
partie défenderesse,
ayant pour objet, d'une part, un recours en annulation dirigé contre la réduction,
par la Commission, d'un concours financier communautaire initialement octroyé et,
d'autre part, une demande d'indemnisation du préjudice que la requérante aurait
subi en raison de cette réduction,
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),
composé de MM. B. Vesterdorf, président, C. P. Briët et A. Potocki, juges,
greffier: M. J. Palacio González, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 5 juin 1997,
rend le présent
Arrêt
Cadre juridique du litige
- L'article 1er, paragraphe 1, sous b), du règlement (CEE) n° 4028/86 du Conseil, du
18 décembre 1986, relatif à des actions communautaires pour l'amélioration et
l'adaptation des structures du secteur de la pêche et de l'aquaculture (JO L 376,
p. 7, ci-après «règlement n° 4028/86»), dispose que la Commission peut apporter
un concours financier communautaire aux actions entreprises dans le domaine du
développement de l'aquaculture et de l'aménagement de zones marines protégées,
en vue d'une meilleure gestion de la bande de pêche côtière.
- Conformément à l'article 12, qui renvoie à l'annexe III du règlement n° 4028/86,
le concours communautaire prévu pour l'aquaculture s'élève, pour la région de
Vénétie, à 40 % des dépenses éligibles, la participation de l'Italie représentant un
pourcentage compris entre 10 et 30 %.
- L'article 44 du règlement n° 4028/86 dispose:
«1. Pendant toute la durée de l'intervention communautaire, l'autorité ou
l'organisme désigné à cet effet par l'État membre intéressé transmet à la
Commission, à sa demande, toute pièce justificative et tout document de nature à
établir que les conditions financières ou autres imposées pour chaque projet sont
remplies. La Commission peut décider de suspendre, de réduire ou de supprimer
le concours, selon la procédure prévue à l'article 47:
- si le projet n'est pas exécuté comme prévu, ou
[...]
La décision est notifiée à l'État membre intéressé ainsi qu'au bénéficiaire.
La Commission procède à la récupération des sommes dont le versement n'était
pas ou n'est pas justifié.
2. Les modalités d'application du présent article sont arrêtées par la Commission
selon la procédure prévue à l'article 47.»
- Aux termes de l'article 47:
«1. Lorsqu'il est fait référence à la procédure définie au présent article, le comité
permanent des structures de la pêche est saisi par son président, soit à l'initiative
de celui-ci, soit à la demande du représentant d'un État membre.
2. Le représentant de la Commission soumet un projet de mesures à prendre. Le
comité émet son avis dans un délai que le président peut fixer en fonction de
l'urgence des questions. Il se prononce à la majorité de 54 voix, les voix des États
membres étant affectées de la pondération prévue à l'article 148, paragraphe 2, du
traité. Le président ne prend pas part au vote.
3. La Commission arrête les mesures qui sont immédiatement applicables.
Toutefois, si ces mesures ne sont pas conformes à l'avis du comité, la Commission
les communique aussitôt au Conseil; dans ce cas, la Commission peut en différer
l'application d'un mois au plus à compter de cette communication. Le Conseil,
statuant à la majorité qualifiée, peut prendre des mesures différentes dans le délai
d'un mois.»
- Par règlement (CEE) n° 1116/88, du 20 avril 1988 (JO L 112, p. 1, ci-après
«règlement n° 1116/88»), la Commission a adopté les modalités d'exécution des
décisions de concours pour des projets concernant les actions communautaires pour
l'amélioration et l'adaptation des structures de secteur de la pêche, de l'aquaculture
et de l'aménagement de la bande côtière.
- Selon le sixième considérant du règlement n° 1116/88, «il convient de ne pas
entreprendre la procédure de suspension, réduction ou suppression de concours
sans avoir, au préalable, consulté l'État membre intéressé qui peut prendre position
et sans avoir mis les bénéficiaires en mesure de présenter leurs observations».
- A cet égard, l'article 7 du règlement n° 1116/88 dispose:
«Avant d'engager la procédure de suspension, de réduction ou de suppression du
concours prévue à l'article 44, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 4028/86, la
Commission:
en avise l'État membre sur le territoire duquel le projet devrait être
exécuté, qui peut prendre position à ce sujet,
consulte l'autorité compétente chargée de transmettre les pièces
justificatives,
appelle le ou les bénéficiaires à exprimer, par l'intermédiaire de l'autorité
ou de l'organisme, les raisons du non-respect des conditions prévues.»
Faits à l'origine du litige
- Par décision C (90) 1923/99, du 30 octobre 1990, la Commission a accordé à la
requérante un concours financier de 1 103 646 181 LIT, soit 40 % du montant des
dépenses éligibles de 2 759 115 453 LIT, au titre de travaux de modernisation et
d'aménagement d'installations de pisciculture (projet I/16/90). Un concours
proportionnel de 30 % des dépenses éligibles, soit 827 734 635 LIT, était prévu à
la charge de l'État italien.
- Cette décision précisait que «le montant du concours que la Commission versera
effectivement à un projet terminé dépend de la nature des travaux réalisés par
rapport à ceux prévus dans le projet». La décision spécifiait également que,
«conformément à l'indication figurant à la partie B de la demande de concours
présentée par le bénéficiaire, les travaux prévus ne peuvent subir de modifications
ni de changements sans accord préalable de l'administration nationale et
éventuellement de la Commission. Des modifications importantes apportées sans
l'accord de la Commission peuvent entraîner la réduction ou la suppression du
concours, au cas où elles seraient jugées inacceptables par l'administration
nationale ou la Commission. Le cas échéant, l'administration nationale indiquera
à chaque bénéficiaire la procédure à suivre».
- La Commission a payé à la requérante, le 23 juin 1993, une première tranche de
343 117 600 LIT.
- Après le contrôle sur place de l'état final du projet, le génie civil a, par lettre du
7 avril 1994, porté à la connaissance de la requérante que, sous réserve de
certaines modifications apportées au projet, dans les limites des ouvrages de
maçonnerie et travaux similaires, ainsi que des travaux d'excavation, il était d'avis
que les réalisations pouvaient être considérées comme conformes au projet
approuvé, sur les plans technique et économique.
- Par décision C (94) 1531/99, du 27 juillet 1994, la Commission a fait droit à une
seconde demande d'octroi de concours de la requérante, liée à l'achèvement des
ouvrages de modernisation de ses installations (projet I/100/94).
- Par lettre du 12 décembre 1994 adressée au ministère de l'Agriculture italien (ci-après «ministère») et à la Commission, la requérante a observé que des
circonstances absolument indépendantes de sa volonté, survenues depuis l'envoi du
projet au ministère, avaient rendu indispensables quelques modifications aux
travaux prévus dans le cadre du projet I/16/90. La requérante précisait que sa
conviction d'avoir respecté les objectifs proposés et d'avoir choisi les options
correctes, d'une part, et le désir de parvenir rapidement aux résultats envisagés,
d'autre part, lui avaient malencontreusement fait oublier l'obligation de procéder
à la notification préalable au ministère des variations introduites, ce qui constituait
un obstacle majeur au règlement du dossier. La requérante estimait cependant que
le projet I/16/90 n'avait pas subi, dans l'ensemble, de modifications substantielles,
à l'exception d'une différence de localisation et de configuration des bassins
d'élevage intensif.
- Aussi, tout en déclarant avoir conscience, mais seulement depuis l'achèvement des
travaux, de ne pas avoir respecté la formalité de la communication préalable des
modifications, la requérante demandait au ministère et, le cas échéant, à la
Commission elle-même, de procéder à un examen technique des modifications
apportées, afin d'en établir le bien-fondé et de constater la nécessité et
l'opportunité des choix opérés. A cet effet, la requérante relevait que toutes les
modifications évoquées avaient été exposées et entérinées dans le cadre de
l'approbation du projet de complément d'aménagement (I/100/94) admis au
bénéfice du concours financier communautaire par la décision C (94) 1531/99.
- Après avoir procédé au contrôle de l'état final des travaux, le ministère a transmis
à la requérante, le 3 juin 1995, le certificat de vérification de l'état final des travaux
(ci-après «certificat») établi en date du 24 mai 1995. De l'avis du ministère, la
requérante avait apporté des modifications supplémentaires par rapport à celles
que le génie civil avait d'ores et déjà relevées:
- absence de construction de seize bassins, d'une installation hydraulique et
d'une centrale thermique, le tout étant remplacé par la prévision de bassins
d'élevage à réaliser lors du projet d'achèvement approuvé par la
Commission dans la décision C (94) 1531/99;
- absence d'acquisition d'une série de machines;
- absence de construction de la nouvelle remise et des bassins d'élevage
externes au hangar.
Le ministère en concluait que la requérante aurait été tenue de solliciter, en
application des dispositions communautaires applicables, une autorisation préalable
pour procéder à ces modifications.
- Le ministère a ramené à 1 049 556 101 LIT le montant des dépenses éligibles au
stade final du projet. Le ministère concluait que, compte tenu des dépenses d'ores
et déjà reconnues éligibles au stade du premier avancement des travaux à
concurrence de 857 794 000 LIT, le montant total des dépenses reconnues éligibles
représentait 1 907 350 101 LIT, soit environ 69,13 % des dépenses éligibles du
projet initialement agréé par la Commission.
- Par ordre de paiement final émis le 5 juillet 1995, la Commission a payé à la
requérante un solde de 419 822 440 LIT, ramenant ainsi de 1 103 646 181 LIT à
762 940 040 LIT le montant total du concours communautaire dû au titre des
travaux que, sur la base du certificat, l'institution a considérés comme conformes
au projet initialement approuvé.
- Le ministère et la Commission ont reçu, le 28 juillet et le 3 août 1995
respectivement, une série d'observations écrites de la requérante relevant l'absence
de fondement du certificat et en demandant le réexamen.
- En réponse à la demande des autorités nationales, la Commission leur a transmis
ses observations par télex n° 12 497 du 27 octobre 1995. L'institution a considéré
que les informations disponibles ne faisaient pas ressortir la nécessité de revoir la
procédure suivie par le ministère pour régler le dossier du projet I/16/90, au motifque:
1) des modifications importantes avaient été apportées au projet, sans avoir
été préalablement communiquées à l'administration nationale;
l'octroi du concours relatif au second projet I/100/94 n'impliquait pas
l'acceptation par la Commission des modifications antérieures;
2) des travaux prévus au titre du projet suivant I/100/94 avaient été exécutés
dans le cadre du projet I/16/90 et n'étaient donc pas éligibles au titre du
concours octroyé au projet I/16/90.
3) l'article 7 du règlement n° 1116/88, auquel se référait le conseil de la
requérante, n'était pas applicable dans le contexte évoqué par ledit conseil;
4) les informations fournies par le ministère faisaient ressortir le caractère
erroné des observations formulées à la page 18 du mémoire présenté par
le conseil de la requérante, relativement aux déductions de dépenses qui
seraient intervenues en raison de leur imputation en chapitres de dépenses
non prévus.
- Par lettre du 14 novembre 1995, le ministère a rejeté la demande de réexamen
présentée par la requérante pour les mêmes motifs que ceux du télex n° 12 457 de
la Commission du 27 octobre 1995.
Procédure contentieuse
- C'est dans ces conditions que, par requête déposée au greffe du Tribunal le
1er décembre 1995, la requérante a introduit, d'une part, un recours en annulation
contre le télex n° 12 497 de la Commission, du 27 octobre 1995, et, d'autre part,
une demande d'indemnisation du préjudice qu'elle aurait subi en raison de
l'adoption de cet acte.
- Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d'ouvrir
la procédure orale et a invité les parties à répondre à certaines questions écrites
avant l'audience. Les parties ont donné suite à l'invitation du Tribunal.
- A l'audience du 5 juin 1997, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en
leurs réponses aux questions posées par le Tribunal.
Conclusions des parties
- La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- déclarer nul et non avenu l'acte n° 12 497 du 27 octobre 1995 de la
Commission faisant l'objet du présent recours;
- condamner la Commission à la réparation du dommage, dans la mesure
exposée dans la requête;
- condamner la Commission aux dépens.
- La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter le recours au sens de l'article 173 du traité CE comme irrecevable
et, à titre subsidiaire, comme dénué de fondement;
- rejeter le recours au sens des articles 178 et 215 du traité;
- condamner, en tout état de cause, la requérante aux dépens de l'instance.
Sur les conclusions en annulation
1. Sur la recevabilité
Argumentation des parties
- Selon la Commission, l'acte du 27 octobre 1995 entrepris n'est pas susceptible de
produire des effets obligatoires à l'égard de la requérante et, en tout état de cause,
ne la concerne pas directement. Dans cet acte, la Commission se serait, en effet,
bornée à apprécier la conduite des autorités nationales dans le cadre de la
procédure de cofinancement du projet établie par le règlement n° 4028/86.
- La requérante objecte, d'une part, que l'État membre concerné se limite à faire
fonction d'«organe» de la Communauté en opérant «pour le compte» de la
Commission, qui détient l'intégralité du pouvoir de décision et, d'autre part, que
la simple existence formelle de l'acte national, intervenu en exécution de la mesure
communautaire, ne saurait suffire pour nier que l'acte communautaire concerne
directement la requérante.
Appréciation du Tribunal
- Il suffit de constater que le télex n° 12 497 du 27 octobre 1995, lu en corrélation
avec l'ordre de paiement du solde du concours communautaire émis par la
Commission en date du 5 juillet 1995, a eu pour effet de réduire le montant du
concours communautaire initialement octroyé par la décision C (90) 1923/99 de la
Commission.
- En tant qu'il prive ainsi la requérante de l'intégralité du concours qui lui a été
initialement octroyé, sans que l'État membre intéressé ne dispose à cet égard d'un
pouvoir d'appréciation propre, le télex litigieux constitue, à l'égard de la
requérante, une décision individuelle produisant des effets juridiques obligatoires
de nature à affecter ses intérêts, en modifiant de façon caractérisée sa situation
juridique (arrêts de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, Rec.
p. 2639, point 9, du 7 mai 1991, Interhotel/Commission, C-291/89, Rec. p. I-2257,
points 12 et 13, et Oliveira/Commission, C-304/89, Rec. p. I-2283, points 12 et 13,
et du 4 juin 1992, Cipeke/Commission, C-189/90, Rec. p. I-3573, points 11 et 12).
- Il y a donc lieu de rejeter l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission.
2. Sur le fond
- Au soutien de son recours en annulation, la requérante invoque cinq moyens tirés
respectivement de l'absence de notification de la décision attaquée, de la violation
du principe de collégialité, des règles de procédure, de l'obligation de motivation,
et, enfin, du détournement de pouvoir.
Sur le premier moyen, tiré de l'absence de notification de l'acte attaqué
- La requérante relève que l'acte attaqué ne lui a jamais été notifié et n'a été porté
à sa connaissance que de façon accidentelle, sous forme de copie qu'elle a obtenue
à sa demande.
- La Commission ne présente pas d'observations sur ce point.
- Le Tribunal constate que la requérante a été, en fait, en mesure de prendre
dûment connaissance du contenu de l'acte attaqué et d'introduire utilement la
présente action dans le délai de recours contentieux. Dans ces circonstances, il n'y
a pas lieu de statuer sur la question de savoir si cet acte lui a été formellement
notifié.
Sur le deuxième moyen, tiré de la violation du principe de collégialité
- La requérante allègue que la Commission n'aurait pas observé le principe de
collégialité. Il serait impossible de déduire de l'acte attaqué, qui semble simplement
émaner du «chef d'unité faisant fonction», si et quand les membres de la
Commission, tenus collégialement d'en assumer la responsabilité, en ont délibéré
en commun.
- La Commission rétorque, d'une part, que les délégations de signature constituent
le moyen normal par lequel la Commission exerce ses compétences et, d'autre part,
que l'acte attaqué a été adopté dans le cadre de la gestion du Fonds européen
d'orientation et de garantie agricole (FEOGA), section orientation, qui relève de
la direction générale Pêche (DG XIV).
- Le Tribunal relève que, ainsi qu'il ressort du règlement intérieur de la Commission,
des fonctionnaires de l'institution peuvent être habilités à prendre, en son nom et
sous son contrôle, des mesures de gestion ou d'administration clairement définies,
telles que la mesure litigieuse, et les délégations de signature constituent le moyen
normal par lequel la Commission exerce ses compétences (arrêt de la Cour du 11
octobre 1990, FUNOC/Commission, C-200/89, Rec. p. I-3669, points 13 et 14).
- En l'espèce, la requérante n'a fourni aucune indication permettant d'estimer que
l'administration communautaire se serait départie de l'observation des règles
applicables en la matière. Il y a lieu de relever, au contraire, que le chef d'unité
faisant fonction qui a signé la décision attaquée relève de la DG XIV responsable
de la pêche, le secteur économique bénéficiaire des concours communautaires
ouverts sur le fondement du règlement n° 4028/86.
- Le deuxième moyen doit donc être rejeté.
Sur le troisième moyen, tiré de la violation des règles de procédure
Argumentation des parties
- En premier lieu, la requérante fait grief à la Commission d'avoir réduit le concours
financier communautaire initialement octroyé, sans avoir préalablement mis en
oeuvre la procédure de réduction prévue par l'article 44, paragraphe 1er, du
règlement n° 4028/86, ni respecté, avant toute chose, les obligations incombant à
l'institution en vertu de l'article 7 du règlement n° 1116/88, dont celle d'inviter le
bénéficiaire à exprimer, par l'intermédiaire de l'autorité ou de l'organisme de l'État
membre intéressé, les raisons du non-respect des conditions prévues.
- En second lieu, la requérante relève que, dans l'hypothèse d'une décision de
réduction, l'article 44, paragraphe 1, premier tiret, du règlement n° 4028/86 impose
la procédure de l'article 47 du même règlement.
- La Commission objecte que la décision attaquée ne saurait être considérée comme
nécessitant le recours à la procédure prévue à l'article 44 du règlement n° 4028/86.
Cette disposition concernerait les situations dans lesquelles le concours
communautaire est réduit, lorsque, à la suite d'une nouvelle évaluation entraînant
des modifications, le projet ne correspond plus au projet initial.
- Ne relèverait pas d'une telle hypothèse le cas où, comme en l'espèce, le concours
communautaire reste inchangé, mais où seules les dépenses éligibles diminuent,
parce que le projet n'est pas exécuté selon les prévisions. Il ne s'agirait plus d'une
réduction du concours au sens de l'article 44 du règlement n° 4028/86, mais
seulement du refus d'admettre certaines dépenses ayant comme conséquence une
adaptation en termes absolus du montant versé par la Communauté. Cette simple
détermination des dépenses éligibles n'impliquerait aucune nouvelle évaluation
juridique et économique, mais uniquement des considérations techniques.
- En l'espèce, la requérante n'aurait jamais demandé la révision du projet présenté
et approuvé par la décision C (90) 1923/99. En l'absence de toute communication
de la requérante relative à une modification du projet, le ministère aurait constaté,
dans le certificat, d'une part, que certaines des dépenses ne correspondaient pas
au projet approuvé et n'étaient donc pas éligibles et, d'autre part, que les autres
dépenses étaient éligibles. La Commission aurait donc payé les dépenses
considérées comme éligibles, sans que cela ait impliqué une évaluation ultérieure
du projet.
- Dans une telle hypothèse, la convocation du comité permanent des structures de
la pêche, selon la procédure prévue à l'article 47 du règlement n° 4028/86, n'aurait
eu aucun sens, sauf à dénaturer les activités du comité, qui ne devrait alors se
prononcer, non plus sur des projets, mais sur la non-éligibilité des différentes
dépenses engagées.
- La Commission note que la requérante a, en tout état de cause, disposé de la
possibilité de présenter ses observations dans sa correspondance avec les autorités
nationales, qui les auraient transmises à la Commission. La Commission aurait
exprimé son point de vue dans l'acte attaqué, lequel mentionne expressément la
lettre du conseil de la requérante parvenue à la DG XIV le 3 août 1995. Il
ressortirait de la documentation échangée que c'est précisément à la suite de
certaines observations de la requérante que l'acte attaqué a été adopté.
Appréciation du Tribunal
- Il résulte de son argumentation que la requérante développe, en réalité, le moyen
en deux branches, la première alléguant la violation du principe du contradictoire,
la seconde, le défaut de consultation du comité. En effet, puisque l'article 47 du
règlement n° 4028/86 a pour objet de régler les modalités de consultation de cet
organe, le Tribunal en déduit que la requérante, en soutenant que l'article 44,
paragraphe 1, premier tiret, du règlement n° 4028/86 impose la procédure de
l'article 47, a, par là-même, entendu soulever également, au-delà du grief tiré de
la violation du principe du contradictoire, celui pris du défaut de consultation du
comité.
- Sur le troisième moyen pris en sa première branche
- Le Tribunal rappelle que le respect des droits de la défense dans toute procédure
ouverte à l'encontre d'une personne et susceptible d'aboutir à un acte lui faisant
grief constitue un principe fondamental de droit communautaire et doit être assuré,
même en l'absence de toute réglementation concernant la procédure en cause. Ce
principe exige que les destinataires de décisions qui, comme en l'espèce, affectent
de manière sensible leurs intérêts soient mis en mesure de faire connaître utilement
leur point de vue (arrêt de la Cour du 24 octobre 1996, Commission/Lisrestal e.a.,
C-32/95 P, Rec. p. I-5373, point 21).
- Il ressort toutefois du point 5 de la requête, que la requérante a contesté le bien-fondé du certificat et en a demandé le réexamen dans des observations écrites qui
sont parvenues au ministère le 28 juillet 1995 et à la Commission le 3 août suivant,soit avant que la Commission n'ait définitivement adopté sa décision par le télex
n° 12 497 du 27 octobre 1995.
- Le Tribunal relève que la requérante précise elle-même, au même point de sa
requête, que la Commission a décidé, par télégramme du 7 août 1995, de mettre
en oeuvre la procédure de paiement du concours communautaire, déterminé sur
la base des estimations indiquées dans le certificat.
- Il s'ensuit que la requérante a été à même de présenter, avant l'adoption de la
décision litigieuse, les raisons du non-respect des conditions prévues et que les
prescriptions édictées, à cet égard, par l'article 7 du règlement n° 1116/88 ont été,
en substance, respectées par la Commission.
- Dans ces conditions, il y a donc lieu de rejeter le troisième moyen pris en sa
première branche.
- Sur le troisième moyen pris en sa deuxième branche
- Il est constant que, comme elle l'a elle-même reconnu, la requérante a procédé à
des modifications du projet sans respecter la formalité de leur communication
préalable aux autorités communautaires et nationales, ce qui de l'aveu même de
l'intéressée, constituait un obstacle majeur au règlement de son dossier (voir
point 13 ci-dessus).
- Or la décision d'octroi du concours spécifiait expressément à cet égard que «les
travaux prévus ne [pouvaient] subir de modifications ni de changements sans accord
préalable de l'administration nationale et éventuellement de la Commission».
- Dans ces conditions, la Commission a pu, après examen, se borner à conclure, au
vu du certificat établi par l'administration nationale, que les dépenses considérées
comme inéligibles ne pouvaient être prises en considération, comme ne relevant
pas du projet approuvé.
- Le Tribunal considère, en conséquence, que la décision attaquée ne constitue pas
une décision portant réduction, au sens de l'article 44, paragraphe 1, du règlement
n° 4028/86, du concours alloué initialement à la requérante, mais se limite, en
réalité, à constater qu'une partie des dépenses dont la requérante demande le
paiement ne se rattache pas au projet tel qu'initialement accepté.
- Il y a donc lieu de rejeter le troisième moyen pris en sa seconde branche.
- Il s'ensuit que l'ensemble du troisième moyen doit être écarté.
Sur le quatrième moyen, tiré de la violation de l'obligation de motivation
Argumentation des parties
- La requérante développe le moyen en deux branches. En premier lieu, elle observe
que, à l'exception d'une référence absolument générique au règlement n° 4028/86,
l'acte attaqué omet d'indiquer sa base légale.
- La Commission réplique que l'objet de l'acte attaqué se réfère expressément au
règlement n° 4028/86 et que l'acte lui-même mentionne ce règlement et le
règlement n° 1116/88.
- En second lieu, la requérante soutient que la motivation de l'acte attaqué ne lui
permet pas de connaître les raisons du refus de l'octroi d'une partie du concours
initialement accordé, et ne met pas le Tribunal en mesure d'exercer son contrôle
juridictionnel. En particulier, la Commission n'expliquerait pas en quoi consiste
l'erreur que la requérante aurait commise dans ses observations relatives à
l'imputation des dépenses effectivement intervenues dans des rubriques non
prévues, ni quelle serait la lecture correcte qui devrait être faite de ces données
techniques et comptables.
- La Commission rétorque qu'il apparaît à la lecture de l'acte attaqué que sa
justification réside dans les documents auxquels se réfère cet acte et qui ont été
fournis par les autorités nationales à la Commission, notamment le certificat.
Appréciation du Tribunal
- Sur le quatrième moyen pris en sa première branche
- Le Tribunal constate que la décision attaquée mentionne expressément les
règlements n°s 4028/86 et 1116/88, applicables en l'espèce. Compte tenu du contexte
de l'affaire et, notamment, de l'argumentation qu'elle a développée au soutien de
son troisième moyen, la requérante n'a pas pu se méprendre sur la portée de ces
deux références et ne saurait donc être considérée comme ayant été laissée dans
l'incertitude à propos de la base juridique de la décision attaquée (arrêt de la Cour
du 26 mars 1987, Commission/Conseil, 45/86, Rec. p. 1493, point 9).
- Il y a donc lieu de rejeter la première branche du moyen.
- Sur le quatrième moyen pris en sa seconde branche
- Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l'article 190 du traité
doit être adaptée à la nature juridique de l'acte en cause et faire apparaître d'une
façon claire et non équivoque le raisonnement de l'institution auteur de l'acte, de
manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise
et au Tribunal d'exercer son contrôle. On ne saurait cependant exiger que la
motivation d'un acte spécifie les différents éléments de fait et de droit pertinents,
dans la mesure où le caractère suffisant de la motivation doit être apprécié au
regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte, ainsi que de
l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt de la Cour
du 9 novembre 1995, Atlanta e.a., C-466/93, Rec. p. I-3799, point 16).
- En l'occurrence, il ressort des antécédents de l'affaire, de la correspondance
échangée par la requérante avec l'administration nationale et la Commission, ainsi
que de la décision attaquée, que les raisons invoquées par la Commission au
soutien de cette décision apparaissent de façon suffisamment claire pour permettre
à la requérante de faire valoir ses droits devant le juge communautaire et à ce
dernier d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision.
- En premier lieu, ainsi qu'il ressort de la lettre du 12 décembre 1994, qu'elle a
adressée au ministère et à la Commission, la requérante a, d'une part, admis que,
après la présentation du projet, certaines conditions avaient subi une modification
substantielle qui avait imposé des adaptations et, d'autre part, déclaré être
consciente de ne pas avoir respecté la formalité de la communication préalable des
modifications, ce qui, de l'aveu même de l'intéressée, constituait un obstacle majeur
au règlement de son dossier (voir point 13 ci-dessus).
- En deuxième lieu, les explications détaillées que le certificat donne à l'appui de la
déclaration d'inéligibilité des dépenses relevant des différents postes concernés font
apparaître avec une clarté suffisante les motifs qui justifient la décision attaquée,
ainsi que l'exige la jurisprudence en la matière (arrêt Cipeke/Commission, précité,
points 18 à 22).
- En troisième lieu, la décision attaquée énonce, de façon succincte mais claire, les
motifs retenus par la Commission, d'une part, en répondant à certains des
arguments développés par la requérante dans ses observations parvenues à la
Commission le 3 août 1995 et, d'autre part, en se référant aux explications fournies
par le ministère dans le certificat. Or, compte tenu du système de collaboration
étroite entre la Commission et les États membres sur lequel repose l'octroi des
concours financiers (arrêt du Tribunal du 12 janvier 1995, Branco/Commission,
T-85/94, Rec. p. II-45, point 36), c'est à juste titre que la décision attaquée s'est
également référée à ces explications.
- Dans de telles circonstances, il apparaît que la motivation de la décision attaquée
a donné à la requérante une indication suffisante pour connaître les principaux
éléments de fait et de droit qui sont à la base du raisonnement exposé,
indépendamment de l'exactitude matérielle de ces motifs et du montant des
dépenses déclarées inéligibles, qui n'a pas été soulevée par la requérante devant
le Tribunal et qui relève du bien-fondé de la décision (arrêts de la Cour du 20 mars
1957, Geitling/Haute Autorité, 2/56, Rec. p. 9, 37, du 8 février 1966, Acciaierie e
Ferriere Pugliesi/Haute Autorité, 8/65, Rec. p. 1, 10; arrêt du Tribunal du 2 octobre
1996, Vecchi/Commission, T-356/94, RecFP p. II-1251, point 82).
- Il y a donc lieu de rejeter la seconde branche du moyen.
- Il s'ensuit que l'ensemble du quatrième moyen doit être écarté.
Sur le cinquième moyen, tiré du détournement de pouvoir
- La requérante soutient que la Commission, qui détient la compétence exclusive en
matière d'octroi et de réduction du concours, aurait, par l'émission d'un acte
présenté formellement comme un avis, éludé l'application de la procédure de
réduction prévue par l'article 44 du règlement n° 4028/86 et par l'article 7 du
règlement n° 1116/88. En affirmant que la réduction du concours par voie de
décision adoptée après consultation préalable du comité permanent des structures
de la pêche alourdirait excessivement l'activité de cet organe, la Commission aurait
révélé que l'acte attaqué aurait eu pour objet véritable d'atteindre l'effet pratique
d'une réduction du concours en évitant le recours à la procédure prescrite à cet
effet.
- La Commission objecte que la requérante attribue erronément à l'acte attaqué une
valeur obligatoire vis-à-vis des autorités nationales.
- Le Tribunal constate que la requérante n'a pas fait état d'indices objectifs,
pertinents et concordants de nature a établir que la décision attaquée a été
adoptée dans le but exclusif ou, tout au moins, déterminant d'atteindre des fins
autres que celles invoquées ou d'éluder une procédure spécialement prévue par le
traité ou les actes de droit dérivé pour parer aux circonstances de l'espèce (arrêt
de la Cour du 13 juillet 1995, Parlement/Commission, C-156/93, Rec. p. I-2019,
point 31).
- Il ressort au contraire des développements qui précèdent que le motif qui a inspiré
l'action de la Commission résidait dans les modifications que la requérante a
apportées au projet I/16/90.
- Il y a donc lieu de rejeter le cinquième moyen.
- Il s'ensuit que le recours en annulation doit être rejeté dans son intégralité.
Sur les conclusions en indemnité
Sur le fond
- La requérante soutient que la Commission lui doit réparation du préjudice qu'elle
allègue avoir subi, à raison de la réduction d'une partie considérable du concours
financier accordé tant par la Communauté que par les autorités nationales.
- La requérante s'en remet à une appréciation équitable du préjudice par le
Tribunal, encore que le montant du préjudice à allouer ne puisse être inférieur à
l'intérêt compensatoire ou, à tout le moins, à l'intérêt moratoire produit, par la
somme contestée, à compter de la mise en demeure reçue par la Commission le
3 août 1995.
- La Commission fait, au contraire, valoir qu'il n'existe aucun lien de causalité direct
entre l'acte attaqué et le préjudice allégué par la requérante, tout en considérant
que font certainement défaut les deux autres conditions auxquelles est subordonné
l'engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté, à savoir
l'illégalité du comportement critiqué et la réalité du préjudice allégué.
- Le Tribunal rappelle que la responsabilité non contractuelle de la Communauté ne
peut être engagée que si est réuni un ensemble de conditions, en ce qui concerne
l'illégalité du comportement reproché à l'institution communautaire, la réalité du
dommage et l'existence d'un lien de causalité entre le comportement illégal et le
préjudice invoqué (arrêt de la Cour du 17 décembre 1981, Ludwigshafener
Walzmühle e.a./Conseil et Commission, 197/80, 198/80, 199/80, V200/80, 243/80,
245/80 et 247/80, Rec. p. 3211, point 18; arrêt du Tribunal du 9 janvier 1996,
Koelman/Commission, T-575/93, Rec. p. II-1, point 89, et du 16 janvier 1996,
Candiotte/Conseil, T-108/94, Rec. p. II-87, point 54).
- Or, ainsi qu'il résulte de l'examen des moyens d'annulation, la requérante n'a fourni
aucune preuve d'un vice affectant la légalité de la décision attaquée. Dans cette
mesure, l'illégalité du comportement reproché à la Commission n'a été aucunement
établie et la demande en réparation du préjudice allégué doit donc être rejetée.
- Il s'ensuit qu'il y a lieu de rejeter le recours en indemnité.
- Il résulte de l'ensemble des développements qui précèdent que le recours doit être
rejeté dans son intégralité.
Sur les dépens
- Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie
qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requéranteayant succombé en son recours et la Commission ayant conclu à sa condamnation
aux dépens, il y a lieu de condamner la requérante aux dépens.
Par ces motifs,LE TRIBUNAL (troisième chambre)
déclare et arrête:
- Le recours est rejeté.
2) La requérante est condamnée aux dépens.
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 7 novembre 1997.
Le greffier
Le président
H. Jung
B. Vesterdorf
1: Langue de procédure: l'italien.