Language of document : ECLI:EU:T:2002:57

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

5 mars 2002 (1)

«Agriculture - Réduction d'un concours financier communautaire - Obligation de motivation»

Dans l'affaire T-241/00,

Azienda Agricola «Le Canne» Srl, établie à Porto Viro (Italie), représentée par Mes G. Carraro, F. Mazzonetto et G. Arendt, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. E. de March et L. Visaggio, en qualité d'agents, assistés de Me A. Dal Ferro, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d'une part, une demande en annulation de la décision C (2000) 1754 de la Commission, du 11 juillet 2000, réduisant le concours financier communautaire accordé à la requérante au titre du projet I/16/90/02, et, d'autre part, une demande en indemnité,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, N. J. Forwood et H. Legal, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 28 novembre 2001,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique du litige

    

1.
    L'article 1er, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 4028/86 du Conseil, du 18 décembre 1986, relatif à des actions communautaires pour l'amélioration et l'adaptation des structures du secteur de la pêche et de l'aquaculture (JO L 376, p. 7), habilite la Commission à apporter des concours financiers communautaires aux fins de telles actions.

2.
    L'article 44, paragraphe 1, du règlement n° 4028/86 dispose:

«1.    Pendant toute la durée de l'intervention communautaire, l'autorité ou l'organisme désigné à cet effet par l'État membre intéressé transmet à la Commission, à sa demande, toute pièce justificative et tout document de nature à établir que les conditions financières ou autres imposées pour chaque projet sont remplies. La Commission peut décider de suspendre, de réduire ou de supprimer le concours, selon la procédure prévue à l'article 47:

-    si le projet n'est pas exécuté comme prévu [...],

[...]

La décision est notifiée à l'État membre intéressé ainsi qu'au bénéficiaire.

La Commission procède à la récupération des sommes dont le versement n'était pas ou n'est pas justifié.

[...]»

Antécédents du litige

3.
    Par décision C (90) 1923/99, du 30 octobre 1990, la Commission a accordé à la requérante, Le Canne Srl, un concours financier de 1 103 646 181 lires italiennes (ITL) (569 986 euros), soit 40 % du montant des dépenses éligibles de 2 759 115 453 ITL (1 424 964 euros), au titre du projet I/16/90/02.

4.
    Ce projet, qui visait à la modernisation et à l'aménagement des installations de la pêcherie appartenant à Le Canne, prévoyait la construction d'infrastructures hydrauliques (canaux, bassins et captages d'eau de mer) et l'achat d'équipements.

5.
    Aux termes de l'article 1er de la décision C (90) 1923/99, «dans les conditions fixées par la décision, la contribution financière de la Communauté est octroyée en faveur du projet d'investissement dont les conditions de financement figurent en annexe».

6.
    L'annexe de cette décision comportait, notamment, les deux précisions suivantes:

-    «Le montant du concours que la Commission versera effectivement au projet terminé dépend de la nature des travaux réalisés par rapport à ceux prévus dans le projet.»

-    «Conformément à l'indication figurant à la partie B de la demande de concours présentée par le bénéficiaire, les travaux prévus ne peuvent subir de modifications ni de changements sans accord préalable de l'administration nationale et éventuellement de la Commission. Des modifications importantes apportées sans l'accord de la Commission peuvent entraîner la réduction ou la suppression du concours, au cas où elles seraient jugées inacceptables par l'administration nationale ou la Commission [...]»

7.
    Par décision C (94) 1531/99, du 27 juillet 1994, la Commission a accordé à Le Canne un deuxième concours financier au titre du projet ITA/100/94.

8.
    Par lettre du 12 décembre 1994 adressée au ministère des Ressources agricoles, alimentaires et forestières italien (ci-après le «ministère») et à la Commission, Le Canne a indiqué que des circonstances indépendantes de sa volonté avaient rendu indispensables quelques adaptations aux travaux prévus dans le cadre du projet I/16/90/02. Le Canne estimait cependant que ce projet n'avait pas subi, dans l'ensemble, de variations significatives, à l'exception d'une différence de localisation et de configuration des bassins d'élevage intensif. Aussi, tout en déclarant avoir conscience, mais seulement depuis l'achèvement des travaux, de ne pas avoir respecté la formalité obligatoire de la communication préalable de ces adaptations, Le Canne demandait aux autorités nationales et, le cas échéant, à la Commission elle-même, de procéder à un examen technique des modifications apportées, ne serait-ce qu'a posteriori, afin d'en établir le bien-fondé et de constater la nécessité et l'opportunité des choix opérés.

9.
    Après avoir procédé, le 1er février 1995, au contrôle de l'état final des travaux afférents au projet I/16/90/02, le ministère a transmis à Le Canne un procès-verbal établi le 24 mai 1995 (ci-après le «procès-verbal»).

10.
    De l'avis du ministère, ce contrôle a permis de constater des divergences entre le projet et les réalisations effectuées à ce titre. Selon le ministère, Le Canne était donc tenue de demander, conformément à la législation communautaire, une autorisation avant de procéder à ces modifications. Le ministère en concluait que, outre leurs implications techniques, ces modifications avaient entraîné un excédent de dépenses par rapport à celles projetées sur la base des différents postes pris en compte dans le calcul métrique estimatif, notamment en ce qui concerne les travaux d'excavation.

11.
    En conséquence, le ministère a ramené le montant total des dépenses éligibles au titre du projet I/16/90/02 à environ 69,13 % du montant initialement agréé par la Commission.

12.
    C'est dans ces conditions que, par ordre de paiement final émis le 5 juillet 1995, la Commission a versé à Le Canne, à titre de solde du concours communautaire relatif au projet I/16/90/02, 419 822 440 ITL (216 820 euros). La Commission a ainsi réduit, sur le fondement du procès-verbal, le montant total de ce concours de 1 103 646 181 ITL (569 986 euros) à 762 940 040 ITL (394 026 euros), soit, à raison de 340 706 141 ITL (175 960 euros).

13.
    Par lettre du 26 juillet 1995, reçue par la Commission le 3 août suivant, et également adressée au ministère, Le Canne a contesté le procès-verbal et a demandé un réexamen de sa situation.

14.
    Le Canne a notamment soutenu que les variations litigieuses, exclusives de toute modification des objectifs, de la rentabilité du projet ou de son emplacement, avaient été rendues nécessaires en cours d'exécution des travaux afférents au projet I/16/90/02 par des événements indépendants de sa volonté.

        

15.
    Par télex n° 12497, du 27 octobre 1995, la Commission a fait savoir aux autorités nationales que les informations disponibles ne faisaient pas ressortir la nécessité de revoir la procédure suivie par le ministère pour régler le dossier relatif au projet I/16/90/02.

    

16.
    Le 14 novembre 1995, le ministère a également rejeté la demande de réexamen de la requérante.

17.
    Par arrêt du 7 novembre 1997, Le Canne/Commission (T-218/95, Rec. p. II-2055), le Tribunal a rejeté le recours introduit par Le Canne comprenant une demande en annulation du télex n° 12497 ainsi qu'une demande en indemnité.

18.
    À la suite du pourvoi introduit par la requérante, la Cour a, par arrêt du 5 octobre 1999, Le Canne/Commission (C-10/98 P, Rec. p. I-6831), annulé l'arrêt du 7 novembre 1997, Le Canne/Commission, précité. La Cour a prononcé l'annulation du télex n° 12497 pour méconnaissance de la procédure prévue aux articles 44, paragraphe 1, et 47 du règlement n° 4028/86, ainsi qu'à l'article 7 du règlement (CEE) n° 1116/88 de la Commission, du 20 avril 1988, relatif aux modalités d'exécution des décisions de concours pour des projets concernant des actions communautaires pour l'amélioration et l'adaptation des structures du secteur de la pêche, de l'aquaculture et de l'aménagement de la bande côtière (JO L 112, p.1).

19.
    Ces dispositions exigent, en particulier, que le bénéficiaire soit, avant la réduction d'un concours financier, appelé à exprimer les raisons du non-respect des conditions auxquelles l'octroi de ce concours a été subordonné et que tout projet de mesure de réduction soit soumis au comité permanent des structures de la pêche (ci-après le «comité»).

20.
    Par lettre du 23 novembre 1999, dont copie a été transmise aux autorités italiennes compétentes, la Commission a notifié à Le Canne son intention de réduire le concours financier accordé au titre du projet I/16/90/02 et invité la requérante à lui préciser les raisons pour lesquelles les conditions prescrites pour l'octroi du concours n'avaient pas été respectées.

    

21.
    Dans sa réponse du 14 décembre 1999, adressée au ministère et à la Commission, Le Canne a fait observer que, comme elle estimait l'avoir démontré dans ses observations du 26 juillet 1995, les variations apportées au projet I/16/90/02 n'en constituaient pas des modifications substantielles, mais de simples adaptations.

22.
    Le Canne a notamment soutenu que, selon le libellé de l'article 44, paragraphe 1, du règlement n° 4028/86, une décision de réduction de concours financier est purement discrétionnaire, et non liée, même lorsque le projet n'a pas été exécuté comme prévu. Aussi, selon Le Canne, la Commission devait-elle exposer clairement les raisons pour lesquelles elle estimait que les variations apportées au projetétaient inacceptables même a posteriori. Le Canne a également avancé qu'il ne suffisait donc pas de déclarer inacceptable une modification d'un projet au seul motif qu'elle n'avait pas été préalablement notifiée.

23.
    Par décision 882/00, du 30 mars 2000, le Tribunal administratif régional de Vénétie (ci-après le «TAR»), a annulé le rejet opposé par le ministère, le 14 novembre 1995, à la demande de réexamen présentée par Le Canne. Selon le TAR, ce rejet, fondé dans son intégralité sur les considérations émises par la Commission dans le télex n° 12497, était affecté des mêmes vices procéduraux que ceux entachant ce télex et sanctionnés par l'arrêt du 5 octobre 1999, Le Canne/Commission, précité.

24.
    Le comité a émis son avis sur la réduction du concours financier envisagée, le 11 mai 2000, conformément aux prescriptions de l'article 47 du règlement n° 4028/86.

25.
    Par décision C (2000) 1754, du 11 juillet 2000, la Commission a réduit le montant du concours communautaire initialement accordé au titre du projet I/16/90/02 à raison de 340 706 141 ITL (175 960 euros).

    

26.
    Au soutien de cette réduction, la Commission a notamment considéré ce qui suit:

«Considérant que c'est seulement le 12 décembre 1994 - quatorze mois après l'achèvement des travaux - que le bénéficiaire a communiqué au ministère et à la Commission les variations apportées au projet, bien que les conditions de versement du concours aient prévu que les changements ou modifications ne pouvaient être effectués sans l'accord préalable de l'administration nationale et, éventuellement, de la Commission;

[...]

Considérant que [...], par lettre du 23 novembre 1999, la Commission a informé les autorités nationales compétentes et le bénéficiaire de son intention de réduire le concours communautaire; que la réduction est opérée en raison des modifications substantielles apportées au projet soumis et approuvé, lors de la réalisation des travaux et sans communication préalable à l'administration nationale ni l'autorisation de celle-ci;

[...]

Considérant que, contrairement à ce que soutient le bénéficiaire dans sa lettre du 14 décembre 1999:

-    la réduction du concours résulte du procès-verbal de contrôle de l'état final des travaux rédigé par les représentants du ministère à la suite de la visite de contrôle effectuée le 1er février 1995; ce procès-verbal expose amplement les motifs de la réduction des concours tant communautaire que national;

-    par ailleurs, il résulte du procès-verbal de contrôle précité que les modifications effectuées ne constituent pas de simples adaptations; il s'agit au contraire de changements substantiels effectués sans communication préalable à l'administration nationale. Le bénéficiaire a communiqué les modifications par lettre du 12 décembre 1994, soit plus d'un an après l'achèvement des travaux et quelques mois après l'envoi au ministère de la demande de paiement du solde du concours; or, les 'conditions de versement du concours' annexées à la [décision C (90) 1923/99] subordonnent à l'accord préalable de l'administration nationale et éventuellement de la Commission les éventuels changements ou modifications des travaux prévus;

-    de l'avis de l'administration nationale et de la Commission, de telles modifications ont considérablement modifié le projet en cause et ne sont donc pas acceptables; l'admission du projet ultérieur ITA/100/94 au bénéfice d'un concours communautaire n'implique aucunement l'acceptation par la Commission des modifications apportées dans la réalisation du premier projet;

-    des travaux prévus au titre du projet ITA/100/94 ont été exécutés dans le cadre du projet I/16/90/02 et ne peuvent donc être admis au bénéfice du financement communautaire au titre du projet I/16/90/02; par contre, une partie des travaux prévus au titre du présent projet n'a pas été réalisée et des équipements prévus n'ont pas été achetés;

Considérant que les autorités nationales n'ont pas modifié leur avis favorable à la réduction du concours;

Considérant que, selon l'article 44, paragraphe 1, du [règlement n° 4028/86], le concours communautaire peut être suspendu, réduit ou supprimé, si le projet n'est pas exécuté comme prévu;

[...]»

27.
    Par requête déposée le 14 septembre 2000, Le Canne a introduit le présent recours.

28.
    Par acte séparé, déposé le même jour, Le Canne a formé une demande en référé visant à obtenir, d'une part, le sursis à l'exécution de la décision C (2000) 1754 et, d'autre part, l'adoption de mesures provisoires.

29.
    Cette demande a été rejetée par ordonnance du président du Tribunal du 15 janvier 2001, Le Canne/Commission (T-241/00 R, Rec. p. II-37).

30.
    Par décision du Tribunal, le juge rapporteur a été affecté à la première chambre, à laquelle l'affaire a, par conséquent, été attribuée.

31.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale.

32.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal, lors de l'audience qui s'est déroulée le 28 novembre 2001.

Conclusions des parties

33.
Le Canne conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    déclarer nulle et non avenue la décision C (2000) 1754;

-    condamner la Commission à la réparation du préjudice sur la base du taux d'intérêt légal en vigueur en Italie, à compter de la date du précédent paiement partiel, jusqu'au paiement du solde;

-    à titre subsidiaire, ordonner, le cas échéant, une expertise destinée à établir si les variations apportées au projet I/16/90/02 sont de nature à en constituer des modifications substantielles;

-    condamner la Commission aux dépens.

34.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours comme non fondé;

-    condamner la requérante aux dépens.

    

Sur les effets de l'arrêt du 5 octobre 1999, Le Canne/Commission

    

35.
    Le Tribunal observe, à titre liminaire, que l'annulation du télex n° 12497 prononcée par l'arrêt du 5 octobre 1999, Le Canne/Commission, précité, en raison du défaut d'audition de Le Canne et du défaut de consultation du comité, n'a pas affecté la validité des mesures préparatoires de l'acte annulé, antérieures à la survenance des irrégularités constatées.

36.
    En outre, il ne ressort pas du dossier que la décision 882/00 du TAR, précitée, annulant le refus de réexamen que le ministère avait opposé à Le Canne, le 14 novembre 1995, ait remis en cause la légalité du procès-verbal établi le 24 mai 1995.

37.
    Il convient donc d'admettre que le procès-verbal, sur lequel s'est fondée la Commission pour adopter la décision C (2000) 1754, n'a fait l'objet ni d'une annulation ni d'une invalidation par un acte postérieur et qu'il pouvait donc être pris en compte dans la procédure d'adoption de cette décision.

Sur les conclusions en annulation

Sur le moyen tiré de la violation de l'obligation de motivation

Arguments des parties

38.
    Le Canne rappelle que la section II/B des orientations de la direction générale de la pêche pour la gestion des demandes de concours financier communautaire présentées au titre du règlement n° 4028/86 distingue entre, d'une part, les adaptations, qui ne modifient ni la raison sociale, ni les objectifs, ni la rentabilité, ni le site de réalisation du projet et qui seraient licites en vertu de ce règlement et, d'autre part, les modifications dénaturant le projet initial d'un point de vue technico-économique, qui seraient seules interdites.

39.
    Le Canne estime avoir démontré à plusieurs reprises que les variations apportées au projet I/16/90/02 n'en constituaient pas des modifications substantielles, mais de simples adaptations n'affectant en rien les objectifs dudit projet. Ces adaptations auraient été rendues nécessaires par l'altération du régime hydraulique des lieux et de l'activité de pisciculture des pêcheries due à l'exécution, dans le même temps, d'autres travaux cofinancés par la Communauté dans le cadre du même programme.

40.
    Or, la décision C (2000) 1754 se bornerait à renvoyer au procès-verbal. Toutefois, ce document serait antérieur aux arguments d'ordre technique exposés par Le Canne tant dans ses observations du 26 juillet 1995 que dans celles du 14 décembre 1999 et il n'aurait donc pas pu contenir une prise en compte de ces arguments.

41.
    En outre, la Commission disposant, aux termes de l'article 44, paragraphe 1, du règlement n° 4028/86, d'un pouvoir discrétionnaire en matière de réduction des concours financiers, il lui aurait incombé d'expliquer pourquoi telle ou telle modification apportée au projet n'était pas admissible, même a posteriori.

42.
    La décision C (2000) 1754 n'indiquerait pas non plus que Le Canne avait communiqué les adaptations en cause tant au ministère qu'à la Commission et que ces mêmes adaptations auraient encore été signalées ultérieurement, lors de la demande de vérification de l'état final des travaux.

43.
    Dans ces conditions, la motivation tirée du défaut d'autorisation préalable de modifications substantielles du projet serait d'autant moins suffisante que la décision C (2000) 1754 réduit ex post le montant d'un concours financier initialement octroyé (arrêt de la Cour du 4 juin 1992, Consorgan/Commission, C-181/90, Rec. p. I-3557, point 18).

44.
    Selon la Commission, une décision de réduction d'un concours financier peut être considérée comme dûment motivée lorsqu'elle se réfère de façon suffisamment claire à un acte des autorités nationales exposant sans ambiguïté les motifs d'une telle réduction (arrêt du Tribunal du 12 janvier 1995, Branco/Commission, T-85/94, Rec. p. II-45, point 36).

45.
    La décision C (2000) 1754 comporterait une réponse aux arguments invoqués par la requérante dans ses observations du 14 décembre 1999, en se référant explicitement au procès-verbal. Ce document indiquerait les modifications apportées au projet sans communication préalable à l'administration nationale. Les précisions détaillées qu'il comporte au soutien de la déclaration d'inégibilité des dépenses non justifiables exposeraient succinctement mais avec une clarté suffisante les motifs soutenant la décision C (2000) 1754 (arrêt de la Cour du 4 juin 1992, Cipeke/Commission, C-189/90, Rec. p. I-3573, point 18).

46.
    Le procès-verbal du ministère préciserait les travaux effectués en complément de ceux mentionnés dans le projet I/16/90/02, les travaux qui n'ont pas été réalisés, ainsi que les dépenses considérées comme éligibles et celles non éligibles.

47.
    La décision C (2000) 1754 soulignerait que les variations constatées ne sont pas de simples adaptations, mais des modifications substantielles, communiquées plus d'un an après la fin des travaux, qu'elles ne sont pas acceptables et que les autorités nationales n'ont pas modifié leur avis favorable à la réduction du concours en cause.

48.
    Compte tenu du système de collaboration entre la Commission et les États membres sur lequel est fondé l'octroi des concours financiers (arrêt Branco/Commission, précité, point 36), la décision C (2000) 1754 ne s'écarterait pas du procès-verbal du ministère, aucun motif valable de douter du bien-fondé des conclusions de ce document ne pouvant être tiré des observations de Le Canne.

Appréciation du Tribunal

49.
    L'article 44, paragraphe 1, premier alinéa, deuxième phrase, du règlement n° 4028/86 confère à la Commission le pouvoir de suspendre, de réduire ou de supprimer le concours financier, si le projet n'est pas exécuté comme prévu.

50.
    Il ressort du libellé de cette disposition, telle que l'a interprétée la Cour, que la Commission n'est pas tenue d'exercer ce pouvoir (arrêt du 5 octobre 1999, Le Canne/Commission, précité, point 25).

51.
    La pratique de la Commission est d'ailleurs conforme à cette interprétation. En effet, aux termes mêmes de l'annexe à la décision C (90) 1923/99 (voir point 6 ci-dessus), des modifications apportées à un projet sans l'accord de la Commission n'entraînent la réduction ou la suppression du concours financier qu'aux conditions cumulatives qu'elles soient, d'une part, importantes et, d'autre part, jugées inacceptables par l'administration nationale ou la Commission.

52.
    Dans ces conditions, la Commission disposait, même en présence de modifications importantes apportées au projet I/16/90/02 sans son accord, d'un pouvoir d'appréciation pour évaluer la conformité, au regard de l'objet, de l'économie et de la finalité de ce projet, des variations constatées entre les prévisions de celui-ci et les réalisations effectives, afin de se prononcer sur le caractère acceptable ou inacceptable de ces variations.

53.
    Le respect des garanties conférées aux opérateurs économiques par l'ordre juridique communautaire dans les procédures administratives revêt une importance fondamentale, dès lors que les institutions de la Communauté disposent, comme en l'espèce, d'un pouvoir d'appréciation (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C-269/90, Rec. p. I-5469, point 14).

54.
    Dans une telle hypothèse, figure notamment au nombre de ces garanties l'obligation incombant à l'institution concernée de motiver de façon suffisante ses décisions. Cette motivation a pour objet de faire connaître au destinataire de la décision les raisons de fait et de droit sur lesquelles elle est fondée, afin de permettre à l'intéressé d'apprécier, notamment, l'opportunité de la soumettre à la censure de la juridiction compétente.

55.
    S'agissant d'une décision réduisant un concours financier communautaire à un projet non exécuté comme prévu, la motivation d'un tel acte devait comporter l'indication des raisons pour lesquelles les variations prises en compte ont été jugées inacceptables. Des considérations portant sur l'importance de ces variations ou sur leur défaut d'autorisation préalable ne peuvent par elles-mêmes constituer une motivation suffisante à ce titre.

56.
    Or, la décision C (2000) 1754, exposée au point 26 ci-dessus, se borne à renvoyer à cet égard aux motifs de réduction du concours financier fournis dans le procès-verbal, en indiquant que les modifications qui y sont décrites «ont considérablement modifié le projet en cause et ne sont donc pas acceptables».

57.
    La décision C (2000) 1754 ne fournit ainsi pas d'autre motif à la réduction du concours financier que l'importance des modifications apportées, sans communication préalable, au projet; si cette décision présente effectivement lesdites modifications comme inacceptables, elle omet d'indiquer en quoi consiste, selon la Commission, ce caractère inacceptable, en dehors des considérations tenant à leur ampleur. Elle ne précise pas, en particulier, les raisons pour lesquelles le projet tel que modifié serait moins apte que le projet initial à pouvoir bénéficier d'un concours financier communautaire.

58.
    La décision C (2000) 1754 ne permet donc pas au bénéficiaire du concours financier de connaître l'appréciation que la Commission a portée sur la conformité des variations constatées à l'objet, à l'économie et à la finalité du projet. Or, cette conformité détermine le caractère acceptable ou inacceptable des variations apportées lors de la réalisation du projet.

59.
    La décision C (2000) 1754 prive donc la requérante et le Tribunal d'une information nécessaire, notamment en vue du contrôle juridictionnel de l'acte en cause; elle est, à ce titre, insuffisamment motivée.

60.
    Dans ces conditions, il y a lieu d'accueillir le présent moyen et d'annuler la décision C (2000) 1754, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens d'annulation soulevés par Le Canne, ni sur la demande d'expertise présentée par celle-ci.

Sur les conclusions en indemnité

61.
    Dans le deuxième chef de ses conclusions, Le Canne demande au Tribunal de condamner la Commission à réparer, sur la base du taux d'intérêt légal en vigueur en Italie, à compter de la date du premier paiement partiel, jusqu'au versement du solde, le préjudice financier que la requérante soutient avoir subi du fait de la réduction litigieuse.

62.
    Il incombe toutefois à la Commission, en vertu de l'article 233 CE, de déterminer les mesures que comporte l'exécution du présent arrêt et d'adopter, le cas échéant, une nouvelle décision pourvue d'une motivation suffisante.

63.
    Il en résulte que le Tribunal ne saurait, sans préjuger de la substance d'une nouvelle décision à intervenir, se prononcer, à l'occasion du présent recours, sur la demande de Le Canne.

64.
    Il y a donc lieu de rejeter cette demande.

Sur les dépens

65.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens.

66.
    La Commission ayant succombé pour l'essentiel, il y a lieu de la condamner aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête:

1)    La décision C (2000) 1754, du 11 juillet 2000, est annulée.

2)    Le recours est rejeté pour le surplus.

3)    La Commission est condamnée aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé.

Vesterdorf
Forwood
Legal

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 mars 2002.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1: Langue de procédure: l'italien.