Language of document : ECLI:EU:C:2024:311

ORDONNANCE DE LA COUR (neuvième chambre)

11 avril 2024 (*)

« Pourvoi – Article 181 du règlement de procédure de la Cour – Fonction publique – Agent temporaire EUIPO – Non-renouvellement du contrat – Recours en annulation et en indemnité – Pourvoi manifestement non fondé »

Dans l’affaire C‑528/23 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 17 août 2023,

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par Mmes E. Lekan et A. Lukošiūtė, en qualité d’agents,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

KD,

partie demanderesse en première instance,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de Mme O. Spineanu‑Matei, présidente de chambre, M. J.‑C. Bonichot (rapporteur) et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 181 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son pourvoi, l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) demande à la Cour d’annuler l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 7 juin 2023, KD/EUIPO (T‑650/20, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2023:305), par lequel celui-ci a, d’une part, accueilli le recours de KD tendant à l’annulation de la décision de l’EUIPO du 1er avril 2020 de ne pas renouveler son contrat (ci-après la « décision litigieuse ») et, d’autre part, rejeté sa demande de réparation du préjudice moral qu’elle prétendait avoir subi.

 Les antécédents du litige et l’arrêt attaqué

2        Les antécédents du litige ont été exposés par le Tribunal aux points 2 à 13 de l’arrêt attaqué dans les termes suivants :

« 2      Le 16 juillet 2015, la [partie demanderesse en première instance] est entrée au service de l’EUIPO en tant qu’agent temporaire pour une période de cinq ans, en vertu de l’article 2, sous f), du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (ci-après le “RAA”). Elle a été affectée au département “Académie” de l’EUIPO.

3      Le 15 février 2016, la [partie demanderesse en première instance] a été nommée cheffe d’équipe.

4      À partir de 2015, la [partie demanderesse en première instance] a connu des difficultés personnelles et des problèmes de santé. [...]

5      Le 5 février 2020, un dialogue formel s’est tenu entre la [partie demanderesse en première instance], la directrice du département “Académie” et une agente du département des ressources humaines de l’EUIPO. Dans le cadre de cet entretien, il a été indiqué à la [partie demanderesse en première instance] que, “compte tenu de sa performance irrégulière au cours de la durée du contrat, des résultats attendus du grade et des questions liées au respect des règles et des procédures sur le temps de travail et [...] pour certaines périodes du contrat, il y a[vait] des doutes au sujet de la régularité du niveau de performance, de fiabilité et de résilience si le contrat était prolongé pour cinq années supplémentaires”. Au vu de ces faiblesses et des rapports d’évaluation de la [partie demanderesse en première instance], le département “Académie” de l’EUIPO a indiqué ne pas “[se sentir] à l’aise pour recommander le renouvellement” du contrat de la [partie demanderesse en première instance] à l’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement (ci-après l’“AHCC”).

6      Le 7 février 2020, la directrice du département “Ressources humaines” de l’EUIPO a, en qualité d’AHCC, notifié à la [partie demanderesse en première instance] la recommandation de son département de ne pas renouveler son contrat et l’a invitée à présenter ses observations à ce sujet le 21 février 2020 au plus tard.

7      Par courriel du 21 février 2020, la [partie demanderesse en première instance] a présenté à la directrice du département “Ressources humaines” des observations dans lesquelles elle lui demandait de “reconsidérer [s]on cas et de procéder au renouvellement de [s]on contrat”. Elle invitait l’AHCC à “procéder à un examen minutieux et objectif et [à] prendre en considération ses rapports d’évaluation [pour les exercices] 2015 à 2018 avant d’adopter la décision relative au renouvellement de son contrat”. Elle soulignait que son rapport d’évaluation pour l’exercice 2019 ne serait finalisé que le 1er mars 2019, mais qu’elle avait reçu des commentaires très positifs durant son entretien d’évaluation. À défaut de tenir compte de ce rapport, la directrice du département n’aurait pas pris en considération l’ensemble des circonstances factuelles utiles pour évaluer son cas et exprimer une recommandation quant à son renouvellement.

8      Le 11 mars 2020, la [partie demanderesse en première instance] a reçu son rapport d’évaluation pour l’exercice 2019 (ci-après le “rapport d’évaluation 2019”).

9      Le 1er avril 2020, statuant en qualité d’AHCC, la directrice du département “Ressources humaines” a notifié à la [partie demanderesse en première instance] la décision [litigieuse]. Dans cette décision, la directrice du département “Ressources humaines” a précisé avoir eu connaissance du rapport d’évaluation 2019.

10      Le 22 mai 2020, la [partie demanderesse en première instance] a introduit devant le Tribunal un recours tendant, d’une part, à l’annulation du rapport d’évaluation 2019 et, d’autre part, à l’indemnisation du préjudice moral qu’elle estimait avoir subi en conséquence de celui-ci. Ce recours a été enregistré sous la référence T‑298/20.

11      Le 25 mai 2020, la [partie demanderesse en première instance] a introduit contre la décision [litigieuse] une réclamation au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le “statut”).

12      Par courrier du 10 juin 2020, la [partie demanderesse en première instance] a indiqué introduire une demande complémentaire, au titre de l’article 90, paragraphe 1, du statut, tendant à ce que l’AHCC examine la possibilité de reporter l’application de la décision [litigieuse] ou de prolonger son contrat jusqu’à la prise d’une décision définitive. Le directeur exécutif de l’EUIPO a qualifié cette demande de complément à la réclamation du 25 mai 2020.

13      Le 15 juillet 2020, le directeur exécutif de l’EUIPO a adopté une décision rejetant la réclamation introduite par la [partie demanderesse en première instance] [...] »

3        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 octobre 2020, KD a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse ainsi qu’à la réparation du préjudice moral qu’elle prétendait avoir subi.

4        Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a, d’une part, annulé la décision litigieuse, en retenant le grief selon lequel KD avait été privée de la possibilité d’être entendue au sujet du rapport d’évaluation 2019 préalablement à l’adoption de cette décision, alors que celui-ci avait été pris en considération par l’EUIPO lors de cette adoption. En effet, le dialogue formel à propos de la recommandation de non-renouvellement du contrat de KD s’était tenu avant que cette dernière ne reçoive le rapport d’évaluation 2019.

5        Le Tribunal a, d’autre part, rejeté les conclusions indemnitaires présentées par KD, au motif que celle-ci n’avait pas suffisamment expliqué en quoi le préjudice moral qu’elle alléguait avoir subi n’était pas susceptible d’être intégralement réparé par l’annulation de la décision litigieuse.

 Les conclusions de la requérante devant la Cour

6        Par son pourvoi, l’EUIPO demande à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué ;

–        de rejeter le recours en annulation comme non fondé ou, si la Cour devait se trouver dans l’impossibilité de rendre une décision définitive, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et

–        de condamner KD aux dépens.

 Sur le pourvoi

7        En vertu de l’article 181 du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de rejeter ce pourvoi, totalement ou partiellement, par voie d’ordonnance motivée.

8        Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

9        Au soutien de son pourvoi, l’EUIPO soulève deux moyens, tirés, le premier, d’une erreur de droit dans l’interprétation de la portée du droit d’être entendu et des conséquences qui en découlent et, le second, d’une violation, par le Tribunal, de son obligation de motivation.

 Sur le premier moyen

10      Le premier moyen du pourvoi comporte deux griefs.

11      Le premier grief du premier moyen est tiré de ce que le Tribunal aurait, aux points 64 à 74 de l’arrêt attaqué, interprété de manière erronée le droit d’être entendu en matière de fonction publique, lequel ne comporterait pas, selon l’EUIPO, le droit d’un agent d’être mis en mesure de faire connaître son point de vue sur les éléments positifs pris en considération dans le cadre de l’adoption de la décision de non‑renouvellement de son contrat. C’est pourquoi l’EUIPO soutient que KD ne saurait invoquer utilement le droit d’être entendue au sujet du rapport d’évaluation 2019, puisque celui-ci constituait un élément en sa faveur, et souligne qu’elle a été, en revanche, entendue sur les éléments négatifs ayant justifié le non-renouvellement de son contrat.

12      Au préalable, il y a lieu de rappeler que l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dispose que le droit à une bonne administration comporte notamment le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (arrêt du 21 octobre 2021, Parlement/UZ, C‑894/19 P, EU:C:2021:863, point 88).

13      En l’espèce, la décision litigieuse, par laquelle l’EUIPO n’a pas renouvelé le contrat de KD, constitue une mesure individuelle prise à son égard et l’affectant défavorablement, au sens de l’article 41, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux.

14      Le droit d’être entendu poursuit un double objectif. D’une part, il sert à l’instruction du dossier et à l’établissement des faits le plus précisément et correctement possible et, d’autre part, il permet d’assurer une protection effective de l’intéressé. Le droit d’être entendu vise en particulier à garantir que toute décision faisant grief soit adoptée en pleine connaissance de cause et a notamment pour objectif de permettre à l’autorité compétente de corriger une erreur ou à la personne concernée de faire valoir les éléments relatifs à sa situation personnelle qui militent pour que la décision soit prise, ne soit pas prise ou qu’elle ait tel ou tel contenu (arrêts du 4 juin 2020, SEAE/De Loecker, C‑187/19 P, EU:C:2020:444, point 69, et du 21 octobre 2021, Parlement/UZ, C‑894/19 P, EU:C:2021:863, point 90).

15      Ainsi, le droit d’être entendu ne saurait être interprété en ce sens que la personne intéressée ne pourrait s’en prévaloir qu’à l’égard des éléments négatifs qui constituent le fondement de la décision qui lui fait grief, à l’exclusion des éléments qui lui sont favorables. Ce droit porte en effet sur l’ensemble des éléments pertinents devant être pris en compte par l’auteur d’une telle décision, y compris, le cas échéant, des éléments pertinents relatifs à la situation personnelle de la personne qui en fait l’objet.

16      Il serait d’ailleurs clairement contraire à la finalité du droit d’être entendu, qui est notamment d’assurer une protection effective de son titulaire, que ce droit n’inclue pas le droit pour ce dernier de faire valoir, contre un projet de décision susceptible de l’affecter défavorablement, les éléments qui plaident en sa faveur.

17      Par conséquent, c’est manifestement sans commettre d’erreur que le Tribunal a jugé que la portée du droit d’être entendu recouvre également l’obligation d’entendre KD sur le rapport d’évaluation 2019, dans la mesure où celui-ci contient des éléments de fait pouvant être pris en considération dans le cadre de l’adoption envisagée d’une décision de non-renouvellement de son contrat.

18      Par le second grief de son premier moyen, l’EUIPO soutient que le Tribunal a interprété de manière erronée la jurisprudence relative aux conséquences à tirer d’une violation du droit d’être entendu.

19      Selon cette jurisprudence, qui a été rappelée par le Tribunal aux points 67 à 69 de l’arrêt attaqué, l’EUIPO fait valoir que la partie requérante devant cette juridiction ne saurait se limiter à invoquer, de manière abstraite, la violation du droit d’être entendue. Il lui appartient de démontrer qu’il n’est pas entièrement exclu que la décision attaquée aurait pu avoir un contenu différent si l’administration l’avait mise en mesure de faire valoir tous les éléments de fait pertinents (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2020, Commission/RQ, C‑831/18 P, EU:C:2020:481, point 112).

20      Or, en l’espèce, l’EUIPO estime que le Tribunal a considéré à tort que KD avait apporté la preuve dont la charge lui incombait, alors même que, comme le Tribunal l’a d’ailleurs admis, elle n’avait pas identifié avec précision les arguments et les éléments qu’elle aurait pu faire valoir si elle avait été utilement entendue ni expliqué comment ils auraient pu conduire dans son cas à un résultat différent.

21      Il convient toutefois de relever que le Tribunal a considéré, aux points 71 et 72 de l’arrêt attaqué, que KD n’avait pas eu la possibilité d’apporter de telles précisions, dans la mesure où, d’une part, la décision litigieuse ne comportait aucune indication quant à la manière dont l’administration avait pris en compte le rapport d’évaluation 2019 et où, d’autre part, le contexte dans lequel cette décision était intervenue ne permettait pas de suppléer à cette absence d’indication. Or, si KD ignorait comment ce rapport avait été pris en compte par l’autorité compétente pour prendre la décision litigieuse, il ne saurait lui être reproché de n’avoir pas indiqué précisément les éléments dudit rapport qu’elle aurait pu faire valoir afin de conduire l’autorité compétente à prendre, le cas échéant, une autre décision.

22      Il s’ensuit que le Tribunal n’a ni méconnu la jurisprudence rappelée au point 19 de la présente ordonnance ni entaché son raisonnement d’une erreur de droit.

23      Il résulte de ce qui précède que le premier moyen doit être écarté comme manifestement non fondé.

 Sur le second moyen

24      Par le second moyen du pourvoi, l’EUIPO reproche au Tribunal d’avoir violé, aux points 70 à 73 de l’arrêt attaqué, son obligation de motivation, dans la mesure où il n’aurait pas expliqué en quoi il ne serait pas totalement exclu que la décision litigieuse aurait eu un contenu différent si l’EUIPO avait permis à KD de faire connaître son point de vue sur le rapport d’évaluation 2019. L’EUIPO considère qu’une telle conclusion est incompréhensible, dès lors que le Tribunal a admis que KD n’avait pas indiqué de manière précise les arguments qu’elle aurait pu faire valoir si elle avait été utilement entendue.

25      Toutefois, il y a lieu de constater que, ainsi qu’il résulte du point 21 de la présente ordonnance, le Tribunal a exposé, aux points 71 et 72 de l’arrêt attaqué, les motifs pour lesquels il n’est pas entièrement exclu que la décision litigieuse aurait pu avoir un contenu différent si l’EUIPO avait permis à KD de faire valoir son point de vue sur les éléments de fait relatés dans le rapport d’évaluation 2019.

26      En conséquence, le second moyen est manifestement non fondé.

27      Il s’ensuit que, en application de l’article 181 du règlement de procédure, le recours doit être rejeté dans son intégralité comme étant manifestement non fondé.

 Sur les dépens

28      Aux termes de l’article 137 du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, il est statué sur les dépens dans l’ordonnance qui met fin à l’instance.

29      La présente ordonnance étant adoptée avant que le pourvoi n’ait été signifié à l’autre partie à la procédure et, par conséquent, avant que celle-ci n’ait pu exposer des dépens, il convient de décider que l’EUIPO supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) ordonne :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      L’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) supporte ses propres dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.