Language of document : ECLI:EU:C:2022:575

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 14 juillet 2022 (1)

Affaires C31/22 P(I), C32/22 P(I) et C74/22 P(I)

Atlas Copco Airpower,

Atlas Copco AB [C31/22 P(I)]

Anheuser-Busch Inbev,

Ampar [C32/22 P(I)]

Soudal NV,

Esko-Graphics BVBA [C74/22 P(I)]

contre

Magnetrol International

et Commission européenne


 

« Pourvoi – Intervention – Pourvoi sur intervention – Admission des interventions dans le cadre d’une procédure en pourvoi contre un arrêt du Tribunal – Annulation de cet arrêt et renvoi de l’affaire au Tribunal – Exclusion implicite, par le Tribunal, des intervenants en pourvoi en tant que parties à la procédure après le renvoi »






I.      Introduction

1.        Les présentes affaires soulèvent de façon expresse la question inédite de la persistance de la qualité de partie intervenante, admise par la Cour au stade de la procédure sur pourvoi, au stade du renvoi devant le Tribunal. Elle offre également à la Cour l’opportunité de se prononcer sur les règles relatives à la recevabilité des pourvois contre les décisions rejetant une demande d’intervention.

II.    Le cadre juridique

A.      Le statut de la Cour de justice de l’Union européenne

2.        L’article 39, premier alinéa, du protocole (no 3) sur le statut de la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après le « statut de la Cour de justice de l’Union européenne ») prévoit :

« Le président de la Cour de justice peut statuer selon une procédure sommaire dérogeant, en tant que de besoin, à certaines des règles contenues dans le présent statut et qui sera fixée par le règlement de procédure, sur des conclusions tendant soit à l’obtention du sursis prévu à l’article 278 [TFUE] et à l’article 157 du traité CEEA, soit à l’application de mesures provisoires en vertu de l’article 279 [TFUE], soit à la suspension de l’exécution forcée conformément à l’article 299, quatrième alinéa, [TFUE] ou à l’article 164, troisième alinéa, du traité CEEA. »

3.        L’article 40, premier, deuxième et quatrième alinéas, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne dispose :

« Les États membres et les institutions de l’Union peuvent intervenir aux litiges soumis à la Cour de justice.

Le même droit appartient aux organes et organismes de l’Union et à toute autre personne, s’ils peuvent justifier d’un intérêt à la solution du litige soumis à la Cour. Les personnes physiques ou morales ne peuvent pas intervenir dans les affaires entre États membres, entre institutions de l’Union ou entre États membres, d’une part, et institutions de l’Union, d’autre part.

[...]

Les conclusions de la requête en intervention ne peuvent avoir d’autre objet que le soutien des conclusions de l’une des parties. »

4.        L’article 56, premier et troisième alinéas, de ce statut prévoit :

« Un pourvoi peut être formé devant la Cour de justice, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision attaquée, contre les décisions du Tribunal [de l’Union européenne] mettant fin à l’instance, ainsi que contre ses décisions qui tranchent partiellement le litige au fond ou qui mettent fin à un incident de procédure portant sur une exception d’incompétence ou d’irrecevabilité.

[...]

Sauf dans les cas de litiges opposant l’Union à ses agents, ce pourvoi peut également être formé par les États membres et les institutions de l’Union qui ne sont pas intervenus au litige devant le Tribunal. Dans ce cas, les États membres et les institutions sont dans une position identique à celles d’États membres ou d’institutions qui seraient intervenus en première instance. »

5.        L’article 57 dudit statut est ainsi rédigé :

« Un pourvoi peut être formé devant la Cour de justice contre les décisions du Tribunal rejetant une demande d’intervention, dans un délai de deux semaines à compter de la notification de la décision de rejet, par toute personne dont la demande a été rejetée.

Un pourvoi peut être formé devant la Cour par les parties à la procédure contre les décisions du Tribunal prises au titre de l’article 278 ou 279 ou de l’article 299, quatrième alinéa, [TFUE], ou au titre de l’article 157 ou de l’article 164, troisième alinéa, du traité CEEA, dans un délai de deux mois à compter de leur notification.

Il est statué sur les pourvois visés aux premier et deuxième alinéas du présent article selon la procédure prévue à l’article 39. »

6.        L’article 61, premier et deuxième alinéas, du même statut dispose :

« Lorsque le pourvoi est fondé, la Cour de justice annule la décision du Tribunal. Elle peut alors soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

En cas de renvoi, le Tribunal est lié par les points de droit tranchés par la décision de la Cour. »

B.      Le règlement de procédure de la Cour

7.        L’article 172 du règlement de procédure de la Cour, intitulé « Parties autorisées à déposer un mémoire en réponse », énonce :

« Toute partie à l’affaire en cause devant le Tribunal ayant un intérêt à l’accueil ou au rejet du pourvoi peut présenter un mémoire en réponse dans un délai de deux mois à compter de la signification du pourvoi. Aucune prorogation du délai de réponse n’est accordée. »

C.      Le règlement de procédure du Tribunal

8.        L’article 1er, paragraphe 2, sous c), du règlement de procédure du Tribunal énonce :

« 2.      Aux fins de l’application du présent règlement :

[...]

c)      les termes “partie” et “parties”, utilisés sans autre indication, désignent toute partie à l’instance, y compris les intervenants ;

[...] »

9.        L’article 142 de ce règlement de procédure, intitulé « Objet et effets de l’intervention », prévoit :

« 1.      L’intervention ne peut avoir d’autre objet que le soutien, en tout ou en partie, des conclusions de l’une des parties principales. Elle ne confère pas les mêmes droits procéduraux que ceux conférés aux parties principales et, notamment, celui de demander la tenue d’une audience.

2.      L’intervention est accessoire au litige principal. Elle perd son objet lorsque l’affaire est rayée du registre du Tribunal, à la suite d’un désistement ou d’un accord survenu entre les parties principales, ou lorsque la requête est déclarée irrecevable.

3.      L’intervenant accepte le litige dans l’état où il se trouve lors de son intervention. »

10.      L’article 143, paragraphe 1, dudit règlement de procédure, intitulé « Demande d’intervention », dispose :

« 1.      La demande d’intervention est présentée dans un délai de six semaines, qui prend cours à la publication visée à l’article 79. »

11.      L’article 217, paragraphe 1, du même règlement de procédure énonce :

« Lorsque la décision ultérieurement annulée par la Cour de justice est intervenue après que la procédure écrite sur le fond avait été clôturée devant le Tribunal, les parties à la procédure devant le Tribunal peuvent déposer leurs observations écrites sur les conclusions à tirer de la décision de la Cour de justice pour la solution du litige dans un délai de deux mois à compter de la signification de la décision de la Cour de justice. Ce délai ne peut pas être prorogé. »

12.      L’article 219 du même règlement, intitulé « Dépens », énonce :

« Le Tribunal statue sur les dépens relatifs, d’une part, aux procédures engagées devant le Tribunal et, d’autre part, à la procédure de pourvoi devant la Cour de justice. »

III. Les antécédents des litiges

13.      Par la décision (UE) 2016/1699 de la Commission, du 11 janvier 2016, relative au régime d’aides d’État concernant l’exonération des bénéfices excédentaires SA.37667 (2015/C) (ex 2015/NN) mis en œuvre par la Belgique (JO 2016, L 260, p. 61, ci-après la « décision litigieuse »), la Commission européenne a constaté que des exonérations accordées par le Royaume de Belgique constituaient un régime d’aides, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, qui était incompatible avec le marché intérieur et qui avait été mis à exécution en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE. La Commission a ordonné la récupération des aides ainsi octroyées auprès des bénéficiaires, dont la liste définitive devait être ultérieurement établie par le Royaume de Belgique.

IV.    La procédure devant le Tribunal et devant la Cour, et les conclusions formulées par les parties

14.      Par requêtes déposées au greffe du Tribunal, respectivement, les 22 mars et 25 mai 2016, le Royaume de Belgique et Magnetrol International NV ont introduit des recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

15.      Le Tribunal a décidé de joindre les affaires T‑131/16, Belgique/Commission, et T‑263/16, Magnetrol International/Commission, aux fins de la phase orale de la procédure et de la décision mettant fin à l’instance.

16.      Par l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 14 février 2019, Belgique et Magnetrol International/Commission (T‑131/16 et T‑263/16, EU:T:2019:91), celui-ci a annulé la décision litigieuse.

17.      Le 24 avril 2019, la Commission a introduit un pourvoi contre cet arrêt.

18.      Par ordonnances du président de la Cour du 15 octobre 2019, Soudal NV, Esko-Graphics BVBA, Flir Systems Trading Belgium BVBA, Anheuser-Busch InBev SA/NV, Ampar BVBA, Atlas Copco Airpower SAS, Atlas Copco AB, Wabco Europe BVBA et Celio International NV ont été admises à intervenir au soutien des conclusions de Magnetrol International.

19.      Par l’arrêt du 16 septembre 2021, Commission/Belgique et Magnetrol International (C‑337/19 P, EU:C:2021:741), la Cour a :

–        annulé l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 14 février 2019, Belgique et Magnetrol International/Commission (T‑131/16 et T‑263/16, EU:T:2019:91) ;

–        écarté les premier et deuxième moyens du recours dans l’affaire T‑131/16 ainsi que le premier moyen et la première branche du troisième moyen du recours dans l’affaire T‑263/16 ;

–        renvoyé l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue sur les troisième à cinquième moyens du recours dans l’affaire T‑131/16 ainsi que sur le deuxième moyen, les deuxième et troisième branches du troisième moyen ainsi que le quatrième moyen dans l’affaire T‑263/16, et

–        réservé les dépens.

20.      Soudal et Esko-Graphics ainsi que Atlas Copco Airpower et Atlas Copco, Anheuser-Busch Inbev et Ampar ont adressé au Tribunal des observations sur les conclusions à tirer de l’arrêt du 16 septembre 2021, Commission/Belgique et Magnetrol International (C‑337/19 P, EU:C:2021:741) pour la solution du litige par lettres, respectivement, du 16 et du 25 novembre 2021.

21.      Le 17 décembre 2021, Atlas Copco Airpower, Atlas Copco, Anheuser-Busch Inbev, Ampar Soudal et Esko-Graphics ont reçu une lettre du greffe du Tribunal, datée du 6 décembre 2021, les informant que, dès lors que ces observations ne constituaient pas un document prévu par le règlement de procédure du Tribunal, le président de la chambre saisie du Tribunal avait décidé de ne pas enregistrer celles-ci dans le dossier.

22.      Par lettre du 29 décembre 2021, adressée au président du Tribunal et à ses membres, ces six sociétés ont, en se référant à la motivation de l’ordonnance du président de la Cour du 15 octobre 2019, Commission/Belgique et Magnetrol International (C‑337/19 P, non publiée, EU:C:2019:915), et à la jurisprudence du Tribunal, demandé, d’une part, la correction de l’« erreur » (oversight) commise par le Tribunal en refusant de verser leurs observations au dossier ainsi que, d’autre part, une confirmation de leur statut d’intervenantes devant le Tribunal.

23.      Dans cette lettre, ces six sociétés sollicitaient une réponse dans un délai de cinq jours, dans la mesure où elles seraient contraintes d’introduire un pourvoi, dans les délais prévus, contre tout éventuel refus implicite de leur accorder le statut d’intervenant dans cette affaire.

24.      Le 10 janvier 2022, Atlas Copco Airpower et Atlas Copco ainsi que Anheuser-Busch Inbev et Ampar ont introduit les pourvois, respectivement, dans les affaires C‑31/22 P et C‑32/22 P.

25.      Par lettre du 11 janvier 2022, le greffier du Tribunal a accusé réception de la lettre de Soudal et d’Esko-Graphics du 29 décembre 2021, et a attiré l’attention de celles-ci sur le fait que la présentation d’observations dans l’affaire T‑263/16 RENV par les intervenants admis à participer à la procédure devant la Cour dans l’affaire C‑337/19 P n’était pas prévue par le règlement de procédure du Tribunal.

26.      Le 28 janvier 2022, Soudal et Esko-Graphics ont introduit le pourvoi dans l’affaire C‑74/22 P.

27.      Atlas Copco Airpower et Atlas Copco demandent à la Cour :

–        d’annuler la décision contenue dans la lettre du Tribunal du 6 décembre 2021 qui leur était adressée, et

–        d’ordonner que Atlas Copco Airpower et Atlas Copco conservent leur qualité d’intervenant dans l’affaire T‑263/16 RENV après que cette affaire a été renvoyée au Tribunal par la Cour.

28.      Anheuser-Busch Inbev et Ampar demandent à la Cour :

–        d’annuler décision contenue dans la lettre du Tribunal du 6 décembre 2021 qui leur était adressée, et

–        d’ordonner que Anheuser-Busch Inbev et Ampar conservent leur qualité d’intervenant dans l’affaire T‑263/16 RENV après que cette affaire a été renvoyée au Tribunal par la Cour.

29.      Soudal et Esko-Graphics demandent à la Cour :

–        d’annuler décision contenue dans la lettre du Tribunal du 6 décembre 2021 qui leur était adressée ;

–        d’ordonner que leurs observations écrites soient versées au dossier, et

–        de constater que Soudal et Esko-Graphics conservent leur qualité d’intervenant dans l’affaire T‑263/16 RENV après que cette affaire a été renvoyée au Tribunal par la Cour.

30.      La Commission demande à la Cour :

–        de déclarer les pourvois irrecevables ;

–        à défaut, de rejeter les pourvois comme étant non‑fondés ;

–        de condamner les requérantes aux dépens.

31.      Il n’a pas été tenue d’audience.

V.      Analyse

A.      Sur la recevabilité

1.      Sur la recevabilité des pourvois dans les affaires C31/22 P et C32/22 P

32.      La Commission soutient que les pourvois dans les affaires C‑31/22 P et C‑32/22 P sont irrecevables en ce qu’ils sont fondés sur l’article 57 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Cette disposition permet la formation d’un pourvoi contre une décision du Tribunal rejetant une demande d’intervention ; or, dans ces deux affaires, le Tribunal n’aurait pas adopté une telle décision. Le Tribunal aurait seulement décidé de ne pas verser au dossier de l’affaire T‑263/16 RENV les observations écrites soumises par Atlas Copco Airpower et Atlas Copco, ainsi que par Anheuser-Busch Inbev et Ampar.

33.      Je relève d’emblée, à l’instar de la Commission, que la lettre du Tribunal du 6 décembre 2021 visait à informer Atlas Copco Airpower et Atlas Copco, ainsi que Anheuser-Busch Inbev et Ampar du fait que les observations qu’elles avaient soumises n’avaient pas été enregistrées, en ce qu’elles ne constituaient pas des documents prévus par le règlement de procédure du Tribunal. En outre, il est vrai que Atlas Copco Airpower et Atlas Copco, ainsi que Anheuser-Busch Inbev et Ampar n’ont pas formellement présenté de demande d’intervention. D’un point de vue formel, la décision contenue dans la lettre contestée n’est donc pas le rejet d’une demande d’intervention et ne semble pas, à première vue, pouvoir faire l’objet d’un pourvoi au titre de l’article 57 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

34.      Toutefois, une lecture formaliste de cette disposition ne me semble pas satisfaisante. Compte tenu du contexte très particulier de ces affaires, caractérisé notamment par le fait que les sociétés en cause pouvaient légitimement croire qu’elles conservaient leur qualité de partie intervenante au stade du renvoi, le seul fait que la décision du Tribunal ne rejette pas de manière expresse la qualité de partie intervenante ne me semble pas, à lui seul, susceptible d’exclure que tel était en réalité implicitement le cas.

35.      En effet, Atlas Copco Airpower et Atlas Copco, ainsi que Anheuser-Busch Inbev et Ampar ont déposé, devant le Tribunal, des observations « en vertu de l’article 217, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal », qui vise les parties à la procédure devant lui. En ce sens, elles se prévalent de cette qualité, en tant que parties intervenantes.

36.      Dans ces conditions, la décision du Tribunal de ne pas verser ces observations au dossier comporte implicitement mais nécessairement une décision consistant à dénier à Atlas Copco Airpower et à Atlas Copco, ainsi qu’à Anheuser-Busch Inbev et à Ampar la qualité de parties intervenantes.

37.      Une telle décision implicite, produisant, à mon sens, les mêmes effets qu’une décision de rejet d’une demande d’intervention ou qu’une décision mettant fin à une intervention, peut, au même titre que cette dernière, faire l’objet d’un pourvoi sur le fondement de l’article 57 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

38.      Il en va d’autant plus ainsi que l’interprétation que je propose de cette disposition est en réalité la seule à même de garantir une protection juridictionnelle aux demandeurs en intervention dont la qualité de partie intervenante a été reconnue devant la Cour et, in fine, d’assurer l’effectivité du droit à intervenir consacré à l’article 40 de ce statut, dans la mesure où aucune autre voie de recours ne leur serait ouverte.

39.      D’une part, je crois qu’il ne saurait être exigé d’une partie qui dispose de la qualité d’intervenante devant la Cour d’introduire une demande formelle d’intervention devant le Tribunal, dans le seul but de pouvoir ensuite introduire un pourvoi contre la décision de rejet de cette demande, lequel aura systématiquement lieu. En effet, la demande serait toujours frappée de forclusion en ce qu’elle n’aurait de toute évidence pas été introduite dans les six semaines à compter de la publication de la requête introductive d’instance concernée, comme le prescrit l’article 143 du règlement de procédure du Tribunal.

40.      D’autre part, ne constitue pas davantage une voie de recours envisageable un recours exercé contre la décision du Tribunal mettant fin à l’instance, dans la mesure où un tel recours n’est ouvert qu’aux parties à la procédure devant le Tribunal et, donc, aux parties dont la qualité d’intervenante devant lui a déjà été reconnue.

41.      Dans ces conditions, je suis d’avis que les pourvois dans les affaires C‑31/22 P et C‑32/22 P devraient être jugés recevables.

2.      Sur la recevabilité du pourvoi dans l’affaire C74/22 P

42.      La Commission soutient que le pourvoi dans l’affaire C‑74/22 P est irrecevable. Elle relève, d’une part, que la décision visée par le pourvoi ne relève d’aucune des catégories visées à l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, de sorte que Soudal et Esko-Graphics ne sauraient fonder leur pourvoi sur cette disposition.

43.      Elle fait valoir, d’autre part, qu’à supposer que le pourvoi puisse être requalifié de « pourvoi introduit au titre de l’article 57 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne », ce que la Commission conteste, le pourvoi devrait également être rejeté pour les mêmes raisons que celles avancées dans le cadre des affaires C‑31/22 P et C‑32/22 P. Selon la Commission, un tel pourvoi est, en tout état de cause, tardif.

44.      Je suis d’avis que le pourvoi, en tant qu’il est fondé sur l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, devrait être jugé comme étant irrecevable, dès lors que la décision attaquée ne met fin ni à l’instance ni à un incident de procédure portant sur une exception d’incompétence ou d’irrecevabilité.

45.      D’une part, force est de constater que l’examen de l’affaire T‑263/16 RENV se poursuit devant le Tribunal après l’adoption de la décision attaquée, qui ne tranche aucun aspect du litige au fond.

46.      D’autre part, si les désaccords relatifs à une demande d’intervention constituent bien un incident de procédure, ils ne portent en revanche pas sur une exception d’irrecevabilité ou d’incompétence, seuls incidents de procédure visés à l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. En effet, les exceptions d’irrecevabilité ou d’incompétence sont soumises, devant le Tribunal comme devant la Cour, à des règles spécifiques (2) et visent à ce que la juridiction saisie mette fin à un litige sans engager un débat au fond. Le fait qu’elles puissent avoir pour effet de mettre fin à l’instance justifie d’ailleurs le choix de soumettre les pourvois formés contre ces décisions au même régime que celui auquel sont soumis les pourvois formés contre les décisions mettant fin à l’instance après que la juridiction a connu du fond de l’affaire en cause.

47.      En revanche, les incidents relatifs à une intervention ont une nature différente. Ainsi que cela est souligné dans le règlement de procédure du Tribunal, l’intervention est accessoire au litige au principal (3), et les décisions s’y rapportant ne sont aucunement susceptibles de mettre fin à celui-ci.

48.      Dans ces conditions, je suis d’avis que la décision attaquée ne peut faire l’objet d’un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, de sorte que le pourvoi dans l’affaire C‑74/22 P devrait être jugé comme étant irrecevable à cet égard.

49.      Toutefois, il découle également de la jurisprudence de la Cour que le juge peut, afin de donner un effet utile à une requête, sur la base d’une appréciation de l’ensemble de celle-ci, interpréter un recours au-delà de la dénomination expresse qu’en donne le requérant (4). De la même façon, la Cour a déjà également examiné deux fondements alternatifs d’un pourvoi, sans se limiter au fondement indiqué par la partie requérante au pourvoi (5).

50.      Je suis donc d’avis que la Cour peut, afin de donner au pourvoi un effet utile, qualifier le pourvoi en cause de « pourvoi formé au titre de l’article 57 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne », dès lors qu’il ressort clairement des prétentions des parties que, par ce pourvoi, celles-ci contestent une décision du Tribunal consistant à leur dénier la qualité de parties intervenantes.

51.      Cette requalification ne permet toutefois pas, à mon sens, d’admettre la recevabilité du pourvoi dans l’affaire C‑74/22 P. À l’instar de la Commission, je suis d’avis que ce pourvoi est, en tout état de cause, tardif.

52.      Conformément à l’article 57 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, Soudal et Esko-Graphics auraient dû former leur pourvoi dans un délai de deux semaines à compter de la décision de rejet de la demande d’intervention ou mettant fin à l’intervention, augmenté d’un délai de distance forfaitaire de dix jours.

53.      Or, la décision de rejet en cause est contenue dans la lettre du Tribunal du 6 décembre 2021, notifiée aux parties le 17 décembre 2021. En effet, c’est par cette lettre que le Tribunal a implicitement mais nécessairement dénié à Soudal et Esko-Graphics la qualité de partie intervenante, de sorte que le pourvoi aurait dû être introduit, au plus tard, le 10 janvier 2022.

54.      Le pourvoi est donc, à mon sens, irrecevable, en raison de son caractère tardif.

55.      Cette conclusion n’est remise en cause par aucun des arguments des parties tenant, d’une part, à ce que le point de départ du délai pour l’introduction du pourvoi serait non pas la lettre du 6 décembre 2021 mais celle du 11 janvier 2022 et, d’autre part, à l’existence d’une erreur excusable dans le chef de Soudal et d’Esko-Graphics.

56.      S’agissant, en premier lieu, du point de départ du délai pour l’introduction du pourvoi, je relève que la seconde lettre du Tribunal du 11 janvier 2022 revêt un caractère purement confirmatif. Il est de jurisprudence constante qu’une décision est purement confirmative d’une décision antérieure lorsqu’elle ne contient aucun élément nouveau par rapport à un acte antérieur et n’a pas été précédée d’un réexamen de la situation du destinataire de cet acte antérieur (6).

57.      Or, la lettre du 11 janvier 2022 est une réponse à la demande de Soudal et d’Esko-Graphics de confirmer qu’elles continuaient à participer à la procédure en tant que parties intervenantes, dans laquelle le Tribunal se contente de réitérer les conclusions contenues dans la lettre du 6 décembre 2021. En outre, je relève que Soudal et Esko-Graphics soulignent elles-mêmes, en réponse aux questions de la Cour, que « la deuxième lettre a confirmé le contenu de la première ».

58.      La lettre du 11 janvier 2022 constitue donc seulement une décision confirmative de la lettre du 6 décembre 2021 et, par conséquent, ne saurait être considérée comme le point de départ pour l’introduction d’un pourvoi.

59.      S’agissant, en second lieu, de l’existence d’une erreur excusable en ce qui concerne le délai pour former le pourvoi sur le fondement de l’article 57 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour juge de façon constante que, dans le cadre des règles relatives aux délais de recours, la notion d’« erreur excusable » permettant d’y déroger ne vise que des circonstances exceptionnelles dans lesquelles, notamment, l’institution concernée a adopté un comportement de nature, à lui seul ou dans une mesure déterminante, à provoquer une confusion admissible dans l’esprit d’un justiciable de bonne foi et faisant preuve de toute la diligence requise d’un opérateur normalement averti (7).

60.      De telles circonstances ne sont pas, selon moi, réunies. Il est vrai que la décision du Tribunal contenue dans la lettre du 6 décembre 2021, en ce qu’elle ne rejette pas explicitement la qualité de partie intervenante de Soudal et Esko-Graphics, est ambiguë. Néanmoins, cette seule ambiguïté ne saurait suffire à créer une confusion admissible dans l’esprit d’un justiciable de bonne foi et faisant preuve de toute la diligence requise d’un opérateur normalement averti.

61.      En particulier, je relève que Soudal et Esko-Graphics ont, en réponse à la lettre du Tribunal du 6 décembre 2021, adressé à celui-ci une demande visant à ce qu’il corrige l’omission ayant conduit à ne pas admettre leurs observations et confirme leur qualité de partie intervenante.

62.      De façon plus importante encore, je souligne que, par leur lettre adressée au Tribunal le 29 décembre 2021, Soudal et Esko-Graphics ont prié le Tribunal de répondre à leur demande de confirmation de leur qualité de partie intéressée dans un délai de cinq jours, dans la mesure où, en cas de refus du Tribunal, elles seraient « contraintes de former un pourvoi dans les délais prescrits contre la décision implicite de refus de leur accorder le statut de partie intervenante ».

63.      Il convient donc de déduire de ces éléments que non seulement Soudal et Esko-Graphics avaient, à juste titre, interprété la lettre du Tribunal du 6 décembre 2021 comme leur déniant implicitement mais nécessairement la qualité de partie intéressée, mais surtout, qu’elles avaient une pleine connaissance des délais présidant à l’introduction d’un pourvoi à l’encontre d’une telle décision, leur intention première ayant été d’y procéder dans les délais impartis.

64.      Le fait que ce pourvoi ait été introduit hors de ces délais résulte donc non pas d’une erreur excusable induite par l’ambiguïté de la décision du Tribunal contenue dans la lettre du 6 décembre 2021, mais du seul comportement de Soudal et Esko-Graphics.

65.      Dans ces conditions, je suis d’avis qu’il convient de rejeter le pourvoi dans l’affaire C‑74/22 P comme étant irrecevable, en raison de sa tardiveté.

B.      Sur le fond

66.      D’emblée, je souligne que les considérations relatives au fond que je m’apprête à développer ne valent que pour les affaires C‑31/22 P et C‑32/22 P, dans la mesure où je considère que le pourvoi formé dans l’affaire C‑74/22 P devrait être jugé comme étant irrecevable. Je précise toutefois que, dans l’hypothèse où la Cour ne partagerait pas mon analyse, les considérations qui suivent seraient également transposables à cette affaire.

67.      À l’appui de leurs pourvois, Atlas Copco Airpower, Atlas Copco, Anheuser-Busch Inbev et Ampar (ci-après les « requérantes ») soulèvent un moyen unique, subdivisé en deux branches. Dans le cadre de la première branche du moyen unique, elles avancent que le Tribunal a commis une erreur de droit en méconnaissant sa propre jurisprudence, en vertu de laquelle les parties admises à intervenir au pourvoi conservent leur statut dans la procédure sur renvoi devant le Tribunal. Dans le cadre de la seconde branche du moyen unique, les requérantes soulèvent en outre que le Tribunal a méconnu l’article 217, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal. Selon elles, il ressort de la jurisprudence du Tribunal que cette disposition doit être interprétée en ce sens que l’expression « parties à la procédure devant le Tribunal », qui vise les parties autorisées à présenter leurs observations à l’issue du renvoi opéré par la Cour, comprend également les parties admises à intervenir dans la procédure sur pourvoi.

68.      Les deux branches du moyen unique soulevant toutes deux la question de la continuité du statut de partie intervenante, je les examinerai ensemble.

69.      Je débuterai mon analyse en soulignant que, si les textes applicables à l’intervention ne sont pas univoques s’agissant de la question de la continuité de la qualité de partie intervenante (section 1), la jurisprudence relative à l’intervention fournit cependant des repères utiles en faveur de la persistance de la qualité de partie intervenante au stade du renvoi (section 2). J’exposerai que, à mon sens, cette persistance résulte également de la continuité fonctionnelle des procédures sur pourvoi et sur renvoi (section 3). Enfin, j’ajouterai certaines considérations relatives à l’articulation entre la solution que je propose et la pratique des affaires dites « pilotes » (section 4).

1.      Sur l’ambiguïté des textes relatifs à l’intervention

70.      La question de la continuité du statut de partie intervenante reconnu devant la Cour au stade de la procédure sur renvoi est directement liée à l’interprétation de l’article 217, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, qui régit la procédure de renvoi faisant suite à une annulation.

71.      Cette disposition autorise « les parties à la procédure devant le Tribunal » à déposer leurs observations écrites sur les conséquences à tirer de la décision de renvoi prise par la Cour (8), lorsque la procédure écrite sur le fond a été close en amont de la procédure sur pourvoi. Si l’expression « parties devant le Tribunal » vise également les parties intervenantes devant le Tribunal (9), la question reste de savoir si elle désigne les intervenants admis au stade du pourvoi par la Cour.

72.      Or, les textes qui régissent l’intervention n’apportent pas de réponse claire à cette question et, en l’absence de disposition expresse prévoyant la continuité de l’intervention admise au stade du pourvoi, il est loisible de se demander si le silence des textes ne devrait pas être interprété comme une confirmation implicite de son extinction à l’issue de la procédure devant la Cour.

73.      Cette interprétation pourrait se trouver renforcée par le fait que les dispositions pertinentes confirment expressis verbis la continuité de l’intervention dans des cas de figure analogues. D’une part, il ne fait aucun doute, aux termes de l’article 217, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, que les parties admises à intervenir dans la procédure sur le fond devant le Tribunal sont autorisées à intervenir dans la procédure sur renvoi. D’autre part, l’article 172 du règlement de procédure de la Cour prévoit que les parties intervenues sur le fond devant le Tribunal peuvent intervenir dans la procédure sur pourvoi, à condition d’y avoir intérêt. L’absence de disposition équivalente dans la situation inverse, qui confirmerait sans équivoque la continuité de l’intervention admise par la Cour au stade du pourvoi, pourrait être interprétée a contrario, comme attestant de son extinction.

74.      À mes yeux toutefois, une telle interprétation est contestable. Tout d’abord, il ressort clairement de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le droit d’intervention est conditionné à l’existence d’un intérêt à la solution du litige dans le chef de la partie intervenante. Or, si un tel intérêt existe au stade de la procédure sur pourvoi, ce que l’article 172 du règlement de procédure de la Cour prévoit explicitement, rien ne permet de supposer qu’il s’éteint au moment du renvoi, alors même que l’issue du litige demeure par définition toujours indéterminée (10).

75.      Ensuite, s’il est vrai qu’aux termes des dispositions combinées de l’article 40 et de l’article 56, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, les intervenants « privilégiés » que sont les États membres et les institutions de l’Union peuvent toujours intervenir dans la procédure sur pourvoi (11), il ne saurait être déduit a contrario de cette disposition que les parties non privilégiées ne peuvent jamais intervenir, mais seulement que cette intervention est conditionnée à l’existence d’un intérêt à la solution du litige.

76.      Enfin, au regard de l’intérêt avéré de l’intervenant à la solution du litige, confirmé par la Cour au stade du pourvoi, l’impossibilité de présenter utilement une nouvelle demande d’intervention dans la procédure sur renvoi sous peine de forclusion (12) peut être interprétée comme une confirmation implicite du caractère continu de l’intervention.

77.      Dans ces conditions, il me semble que les textes ne permettent pas, à eux-seuls, de répondre à la question de la continuité de la qualité d’intervenant au stade de la procédure de renvoi. Je vais donc procéder à l’examen de la problématique relative à la durée de l’intervention, à la lumière de la jurisprudence, qui contient, à mon sens, des éléments utiles à la solution de la question soumise à la Cour.

2.      Sur la jurisprudence relative à la durée de l’intervention

78.      De prime abord, les solutions adoptées par la jurisprudence peuvent sembler contradictoires. Elles s’articulent toutefois d’une manière cohérente à l’aune de l’intérêt à la solution du litige qui sous-tend le droit d’intervention.

79.      La première de ces solutions découle de la jurisprudence du Tribunal dont se prévalent les requérantes, selon laquelle les parties admises à intervenir au pourvoi conservent leur statut dans la procédure sur renvoi, ce qui leur permet, notamment, de présenter leurs observations sur les conclusions à tirer de l’arrêt de la Cour. Contrairement à ce que la Commission affirme dans ses observations écrites, cette solution ne repose pas sur deux arrêts isolés qui l’ont consacrée et confirmée de manière explicite (13), mais peut également être déduite du traitement réservé aux parties intervenantes dans de nombreuses affaires renvoyées devant le Tribunal (14). Conformément aux motifs avancés par le Tribunal dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Espagne e.a./Commission (15), cette solution repose sur des considérations de bonne administration de la justice, en ce qu’elle favorise la continuité du débat contentieux à l’issue du renvoi opéré par la Cour.

80.      La seconde de ces solutions jurisprudentielles permet aux parties au litige d’exciper de l’irrecevabilité d’une intervention admise à un stade antérieur de la procédure. L’admission préalable de l’intervenant au litige ne s’oppose ainsi pas à ce qu’il soit procédé à un nouvel examen de la recevabilité de son intervention, que ce soit à l’occasion de l’instance au fond (16) ou bien dans le cadre de la procédure sur pourvoi (17). Il s’ensuit que le droit d’intervention n’est jamais acquis de manière définitive et peut être remis en question en cas de changement de circonstances conduisant à la perte de l’intérêt à la solution du litige (18).

81.      Je souligne que ces solutions jurisprudentielles ne résultent pas expressément des textes régissant la procédure devant les juridictions de l’Union. Elles sont en revanche sous-tendues par la logique sous-jacente au droit d’intervention, dont la reconnaissance repose sur l’existence d’un intérêt direct et actuel à la solution du litige (19). En effet, si le Tribunal peut accueillir dans la procédure sur renvoi les intervenants admis au pourvoi, c’est parce que cet intérêt demeure actuel, en principe, jusqu’à la solution définitive du litige. Et c’est en raison de la perte possible de cet intérêt en cours d’instance, provoquée par un changement éventuel de circonstances, que les parties peuvent contester à tout moment de la procédure la recevabilité d’une intervention préalablement admise.

82.      Il ressort donc des textes et de la jurisprudence relative à l’intervention que le statut d’intervenant confère à l’intéressé un droit procédural et les garanties procédurales afférentes, qui reflètent son intérêt à la solution du litige, et que ce statut peut être remis en question dans le cas où un changement ultérieur de circonstances lui fait perdre l’intérêt en question.

83.      Dans l’hypothèse d’une annulation partielle de la décision du Tribunal suivie d’un renvoi, il s’ensuit, à mes yeux, que la partie admise au stade du pourvoi devrait conserver, en principe, sa qualité pour intervenir, dans la mesure où l’intérêt qu’elle a à l’issue du pourvoi demeure nécessairement actuel jusqu’au règlement définitif de l’affaire.

3.      Sur la continuité fonctionnelle de la procédure lors du renvoi

84.      Cette persistance de l’intérêt à la solution du litige résulte en outre de la continuité fonctionnelle entre la procédure sur pourvoi et la procédure sur renvoi, la seconde servant à tirer les conséquences de la première.

85.      D’une part, l’article 219 du règlement de procédure du Tribunal révèle cette continuité, puisqu’il réserve au Tribunal la décision sur les dépens engagés par l’intervenant dans la procédure sur pourvoi, dans la mesure où les mérites de l’intervention ne peuvent être pleinement appréciés qu’au moment du règlement définitif du litige.

86.      D’autre part, une telle continuité me semble résulter également de la possibilité pour la Cour de trancher l’affaire au fond à l’issue du pourvoi, le renvoi de l’affaire devant le Tribunal n’étant opéré que lorsque l’affaire n’est pas en état d’être jugée. Un tel renvoi est donc entièrement dépendant de l’avancée du traitement de l’affaire devant le Tribunal, et il ne saurait être considéré, à mon sens, qu’une affaire faisant l’objet d’un renvoi est distincte du pourvoi ayant ordonné son renvoi, alors même que la procédure est nécessairement considérée comme unique lorsqu’elle est tranchée par la Cour.

87.      Je relève à cet égard que, si la persistance de la qualité de partie intervenante au stade du renvoi devait être rejetée, il en résulterait nécessairement une dissymétrie dans le traitement réservé aux parties ayant été admises à intervenir devant la Cour, en fonction de l’état dans lequel l’affaire se trouve au terme de la procédure sur pourvoi. Dans le cas où la Cour statue au fond à l’issue du pourvoi, les parties admises au pourvoi seraient ainsi autorisées à intervenir jusqu’au règlement définitif du litige. Dans le cas contraire, elles perdraient leur statut dans la procédure sur renvoi. À mes yeux, rien ne justifie une telle différenciation des droits reconnus aux parties intervenantes. Par ailleurs, dans l’hypothèse d’un second pourvoi faisant suite à un renvoi, cette solution pourrait conduire à deux interventions successives devant la Cour, tout en excluant la partie intéressée du débat qui interviendrait entretemps au Tribunal. Le morcellement du statut contentieux qui en résulterait semble difficile à justifier au regard de l’économie générale du droit d’intervention, qui repose sur la considération de l’intérêt de la partie intervenante à la solution du litige, et sur la continuité fonctionnelle entre les procédures sur pourvoi puis sur renvoi.

88.      Dans ces conditions, les considérations systémiques, tirées de la cohérence des solutions adoptées par la jurisprudence, et de la continuité qui s’établit entre la procédure sur pourvoi et le renvoi subséquent, plaident, selon moi, en faveur du maintien de l’intervention à l’issue du renvoi opéré par la Cour, sous réserve d’une perte éventuelle de l’intérêt à intervenir résultant d’un changement ultérieur de circonstances.

4.      Considérations supplémentaires relatives à la pratique des « affaires pilotes »

89.      À titre de rappel, la pratique des affaires dites pilotes consiste à assurer un traitement prioritaire de l’affaire en question, tandis que les procédures pendantes dans les affaires similaires sont suspendues dans l’attente de sa résolution. En favorisant la concentration du débat contentieux, cette pratique tend à assurer un traitement homogène et efficace d’un ensemble d’affaires similaires, tout en permettant d’économiser les moyens mobilisés par le Tribunal.

90.      Le traitement réservé en l’espèce aux requérantes peut donc s’expliquer par la volonté du Tribunal de prévenir d’éventuels retards résultant de l’admission des interventions au stade du renvoi. Toutefois, la solution que je propose ne me semble pas susceptible d’affecter le statut prioritaire reconnu en l’espèce à l’affaire Magnetrol International/Commission (T-263/16), qui a été désignée par le Tribunal comme affaire pilote, et dans laquelle les requérantes cherchent à intervenir.

91.      En particulier, il m’est difficile de souscrire à l’argumentation de la Commission, selon laquelle l’admission des interventions dans l’affaire pilote sur renvoi reviendrait à « contourner » la suspension de la procédure dans les affaires T‑278/16 et T‑370/16, initiées par les recours exercés par les requérantes. La recevabilité d’une intervention s’apprécie indépendamment du sort réservé à l’intéressé en qualité de partie principale dans un autre litige, à moins que l’issue de ce litige impacte son intérêt à intervenir. En particulier, il est de jurisprudence constante que la forclusion du requérant, qui l’empêche d’attaquer la décision dont il est destinataire par voie d’un recours direct, ne s’oppose pas à ce qu’il intervienne dans le cadre d’une procédure initiée par un autre destinataire de la même décision (20). Si la demande d’intervention admise dans ces conditions n’est pas considérée comme une tentative de contournement du délai contentieux, c’est parce que la recevabilité de l’intervention s’apprécie en considération exclusive de l’intérêt du demandeur à la solution du litige.

92.      Au regard des observations qui précèdent, le souci d’assurer un traitement efficace de l’affaire pilote (21) ne me semble pas justifier la privation du statut de partie intervenante, dont la reconnaissance confère à l’intéressé un droit à la participation au litige et les garanties qui en découlent.

93.      Dans la situation telle qu’en l’espèce, où les intervenants figurent parmi les destinataires de la décision contestée dans l’affaire pilote, il semble en outre opportun de concentrer le débat contentieux en admettant l’intervention des parties qui se prévalent d’un intérêt direct à la solution du litige, celle-ci étant déterminante pour la suite à donner aux affaires suspendues.

VI.    Conclusion

94.      À la lumière des observations qui précèdent, je propose à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi dans l’affaire C‑74/22 P comme étant irrecevable ;

–        d’annuler la décision du Tribunal de l’Union européenne contenue dans la lettre du 6 décembre 2021 dans les affaires C‑31/22 P et C‑32/22 P.


1      Langue originale : le français.


2      Article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal et article 151, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour.


3      Article 142, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal.


4      Ordonnance du 28 juin 2011, Verein Deutsche Sprache/Conseil (C‑93/11 P, non publiée, EU:C:2011:429, points 20 et 21).


5      Arrêt du 29 juillet 2019, Bayerische Motoren Werke et Freistaat Sachsen/Commission (C‑654/17 P, EU:C:2019:634, points 27 et 28).


6      Arrêts du 14 avril 1970, Nebe/Commission (24/69, EU:C:1970:22, point 145), et du 10 décembre 1980, Grasselli/Commission (23/80, EU:C:1980:284), ainsi que ordonnance du 7 décembre 2004, Internationaler Hilfsfonds/Commission (C‑521/03 P, non publiée, EU:C:2004:778, point 41).


7      Arrêt du 15 décembre 1994, Bayer/Commission (C‑195/91 P, EU:C:1994:412, point 26), et ordonnance du 14 janvier 2010, SGAE/Commission (C‑112/09 P, EU:C:2010:16, point 20).


8      Une disposition similaire trouve application dans le cas d’un renvoi faisant suite à un réexamen (article 222, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal).


9      Article 1er, paragraphe 2, sous c), du règlement de procédure du Tribunal.


10      Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, l’affaire est renvoyée devant le Tribunal à l’issue de la procédure sur pourvoi si la Cour ne statue pas elle-même définitivement sur le litige, ce dernier n’étant pas en l’état d’être jugé.


11      Voir, Muguet-Poullenec, G., et Domenicucci, D. P., « L’intervention devant le Tribunal après l’entrée en vigueur du nouveau règlement de procédure : entre droit d’ingérence et urgence judiciaire », Revue Lamy de la concurrence, n°45, 2015.


12      Article 143, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal. Voir, également, point 39 des présentes conclusions.


13      Voir arrêts du 23 mars 1993, Gill/Commission (T‑43/89 RV, EU:T:1993:24), et du 23 septembre 2020, Espagne e.a./Commission (T‑515/13 RENV et T‑719/13 RENV, EU:T:2020:434).


14      Voir, notamment, arrêts du 24 septembre 2019, Xinyi PV Products (Anhui) Holdings/Commission (T‑586/14 RENV, EU:T:2019:668) ; du 14 décembre 2018, Hamas/Conseil (T‑400/10 RENV, EU:T:2018:966) ; du 21 novembre 2018, Stichting Greenpeace Nederland et PAN Europe/Commission (T‑545/11 RENV, EU:T:2018:817) ; du 25 janvier 2017, Rusal Armenal/Conseil (T‑512/09 RENV, EU:T:2017:26) ; du 15 décembre 2016, DEI/Commission, T‑169/08 RENV, EU:T:2016:733) ; du 2 juillet 2015, France et Orange/Commission (T‑425/04 RENV et T‑444/04 RENV, EU:T:2015:450), ainsi que du 14 avril 2015, Ayadi/Commission (T‑527/09 RENV, non publié, EU:T:2015:205).


15      Arrêt du 23 septembre 2020 (T‑515/13 RENV et T‑719/13 RENV, EU:T:2020:434, point 65).


16      Voir arrêts du 16 décembre 1999, Acciaierie di Bolzano/Commission (T‑158/96, EU:T:1999:335, point 33) ; du 10 février 2000, Nederlandse Antillen/Commission (T‑32/98 et T‑41/98, EU:T:2000:36 ; point 30) ; du 9 septembre 2009, Diputación Foral de Álava e.a./Commission (T‑30/01 à T‑32/01 et T‑86/02 à T‑88/02, EU:T:2009:314, point 95), ainsi que du 12 avril 2019, Deutsche Lufthansa/Commission (T‑492/15, EU:T:2019:252, point 98).


17      Voir, notamment, arrêt du 8 juillet 1999, Hüls/Commission (C‑199/92 P, EU:C:1999:358, point 52), et conclusions de l’avocat général Cosmas dans cette affaire (EU:C:1997:358, points 10 à 17).


18      À titre d’illustration, une société mère intervenant dans un litige relatif à l’aide d’État accordée à l’une de ses filiales pourrait perdre sa qualité pour intervenir à la suite de la cession de l’entreprise ayant bénéficié de l’aide litigieuse.


19      Voir, notamment, arrêt du 13 septembre 2010, Grèce e.a./Commission (T‑415/05, T‑416/05 et T‑423/05, EU:T:2010:386, points 64 et 65).


20      À titre d’exemple, voir ordonnance du 17 février 2010, Fresh Del Monte Produce/Commission (T‑587/08, EU:T:2010:42), points 30 à 32.


21      Dans l’ordonnance du président de la Cour du 10 septembre 2019, Conseil/K. Chrysostomides & Co. e.a. (C‑597/18 P, non publiée, EU:C:2019:743), la Cour évoque dans ce contexte le risque que les interventions présentent pour le traitement des affaires pilotes. Les observations faites à ce propos au point 19 de cette ordonnance ne me semblent pourtant pas décisives. L’ordonnance en question a été rendue dans un contexte factuel sensiblement différent des affaires examinées en l’espèce, à l’occasion d’un litige indemnitaire, le rejet des demandes d’intervention ayant été dicté par l’absence d’intérêt direct à la solution du litige dans le chef des parties demanderesses (voir points 14 à 17 de ladite ordonnance). L’impact éventuel des interventions sur le traitement de l’affaire pilote n’a été envisagé par la Cour qu’à titre accessoire.