Language of document : ECLI:EU:T:2010:311

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (première chambre)

14 juillet 2010 (*)

« Recours en annulation – Aides d’État – Injonction de fournir des informations – Acte non susceptible de recours – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑570/08,

Deutsche Post AG, établie à Bonn (Allemagne), représentée par Mes J. Sedemund et T. Lübbig, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. B. Martenczuk, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision qui serait contenue dans la lettre de la Commission du 30 octobre 2008 portant injonction de fournir des informations dans la procédure d’aide d’État en faveur de la Deutsche Post AG [C 36/2007 (ex NN 25/2007)],

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de Mme I. Wiszniewska-Białecka, président, MM. F. Dehousse (rapporteur) et H. Kanninen, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Cadre juridique

1        L’article 10 du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88 CE] (JO L 83, p. 1) prévoit :

« 1. Lorsque la Commission a en sa possession des informations concernant une aide prétendue illégale, quelle qu’en soit la source, elle examine ces informations sans délai.

2. Le cas échéant, elle demande à l’État membre concerné de lui fournir des renseignements. L’article 2, paragraphe 2, et l’article 5, paragraphes 1 et 2, s’appliquent mutatis mutandis.

3. Si, en dépit du rappel qui lui a été adressé en vertu de l’article 5, paragraphe 2, l’État membre concerné ne fournit pas les renseignements demandés dans le délai imparti par la Commission ou les fournit de façon incomplète, la Commission arrête une décision lui enjoignant de fournir lesdits renseignements (ci-après dénommée ‘injonction de fournir des informations’). Cette décision précise la nature des informations requises et fixe un délai approprié pour leur communication. »

2        Aux termes de l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999 :

« L’examen d’une éventuelle aide illégale débouche sur l’adoption d’une décision au titre de l’article 4, paragraphes 2, 3 ou 4. Dans le cas d’une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, la procédure est clôturée par voie de décision au titre de l’article 7. Au cas où un État membre omet de se conformer à une injonction de fournir des informations, cette décision est prise sur la base des renseignements disponibles. »

 Antécédents du litige

3        Le 12 septembre 2007, la Commission des Communautés européennes a ouvert la procédure formelle d’examen, au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE, s’agissant de l’aide d’État en faveur de la Deutsche Post AG [C 36/2007 (ex NN 25/2007)]. Un résumé de cette décision est publié au Journal officiel de l’Union européenne du 19 octobre 2007 (C 245, p. 21).

4        Le 17 juillet 2008, la Commission a transmis aux autorités allemandes une demande de renseignements comprenant un questionnaire sur les recettes et les coûts de la requérante, la Deutsche Post (ci-après la « DP »), pour la période allant de 1989 à 2007. Les 12 et 21 août 2008, la Commission leur a envoyé une lettre de rappel leur demandant une nouvelle fois de lui transmettre les informations demandées.

5        Dans ses réponses des 5 août, 14 août et 29 septembre 2008, la République fédérale d’Allemagne a confirmé qu’elle refusait de transmettre les données relatives aux produits et aux charges de la DP postérieures à 1995. Elle alléguait notamment que l’examen de la Commission devrait se limiter à la période allant de 1989 à 1994 et que la réponse audit questionnaire exigerait un investissement en temps et en travail disproportionné.

6        Par courrier du 30 octobre 2008, la Commission a enjoint à la République fédérale d’Allemagne, en application de l’article 10, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999, de fournir dans les 20 jours toutes les informations nécessaires pour répondre au questionnaire en cause (ci-après l’« acte attaqué »). La Commission a ajouté que si, malgré cette injonction, les autorités allemandes ne fournissaient pas dans les délais les informations demandées, elle prendrait sa décision en l’espèce sur la base des renseignements disponibles, conformément à l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999.

 Procédure et conclusions des parties

7        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 décembre 2008, la DP a introduit le présent recours.

8        La DP conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’acte attaqué ;

–        condamner la Commission aux dépens.

9        Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 19 mars 2009, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, dans laquelle elle conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        condamner la DP aux dépens.

10      Dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission, déposées au greffe du Tribunal le 29 mai 2009, la DP conclut à la recevabilité du recours et maintient les conclusions de sa requête.

 En droit

11      En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité, sur l’incompétence ou sur un incident, sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal.

12      En l’espèce, le Tribunal estime être suffisamment éclairé par les pièces du dossier et qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir la procédure orale.

 Arguments des parties

13      La Commission fait valoir, en s’appuyant sur la jurisprudence, que l’acte attaqué constitue un acte préparatoire, en tant que tel non attaquable en principe, qui ne produit pas d’effets juridiques susceptibles d’affecter les intérêts de la DP et dont la légalité ne pourrait être contestée que dans le cadre d’un recours contre l’acte final. Elle ajoute que, selon une jurisprudence constante, le seul fait que l’acte attaqué revête la forme d’une décision ne le rend pas d’office attaquable. Il y aurait lieu en effet de se référer au contenu de l’acte.

14      S’agissant des effets de l’acte attaqué, la Commission rappelle que le règlement n° 659/1999 ne lui confère pas le pouvoir de sanctionner le non-respect de l’injonction de fournir des informations, contrairement au cas des injonctions de suspension ou de récupération d’une aide d’État. L’acte attaqué ne serait ainsi qu’un instrument lui permettant de préparer sa décision finale, mais ne créant aucune obligation juridique pour les parties à la procédure. En effet, en cas de non-respect, la Commission serait simplement habilitée à prendre sa décision finale sur la base des renseignements disponibles. L’acte attaqué n’annoncerait du reste aucune sanction créant une obligation juridique autonome à la charge de la République fédérale d’Allemagne.

15      Par ailleurs, l’acte attaqué ne préjugerait aucunement de la décision finale de la Commission, qui pourrait conclure à l’inexistence d’une aide d’État, à la compatibilité de l’aide en cause avec le marché commun ou encore à son incompatibilité avec le marché commun. Tant que des doutes subsisteraient sur la décision finale, les intérêts juridiques du bénéficiaire potentiel de l’aide ne seraient pas affectés.

16      La Commission ajoute qu’une protection juridique suffisante est assurée à la DP par la possibilité de contester éventuellement la décision finale et que l’acte attaqué ne porte pas atteinte au droit de la DP au traitement confidentiel des secrets d’affaires. De plus, la recevabilité du recours conduirait à une multiplication inutile des voies de recours.

17      Enfin, la Commission estime que la DP n’a pas non plus la qualité pour agir, l’acte attaqué concernant uniquement la République fédérale d’Allemagne et ne créant aucune obligation à la charge de la DP.

18      Pour sa part, la DP considère que l’acte attaqué a des conséquences directes sur sa situation juridique. En s’appuyant sur le libellé de l’article 10, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999, qui fait état d’une décision, la DP souligne que, à la différence de la simple demande de renseignements, il s’agit d’une décision à caractère contraignant qui oblige l’État membre et l’entreprise concernée à produire l’information demandée. L’acte attaqué constituerait donc un acte juridique au sens de l’article 249 CE, doté d’effets juridiques autonomes et susceptible de recours.

19      D’un point de vue matériel, les effets juridiques de l’acte attaqué découleraient de l’article 13, paragraphe 1, dernière phrase, du règlement n° 659/1999, qui, en cas de non-respect de l’acte attaqué, permet à la Commission de prendre la décision finale sur l’éventuelle aide sur la base des renseignements disponibles, l’habilitant ainsi à se fonder sur les faits, même erronés, dont elle dispose. La DP cite à l’appui de sa thèse l’arrêt du Tribunal du 19 octobre 2005, Freistaat Thüringen/Commission (T‑318/00, Rec. p. II‑4179, point 88).

20      La DP allègue, en s’appuyant sur les conclusions de l’avocat général Mme Trstenjak sous l’arrêt de la Cour du 17 septembre 2009, Commission/MTU Friedrichshafen (C‑520/07 P, non encore publiées au Recueil, point 49), que sa situation procédurale se détériorerait considérablement en cas de non-respect de l’acte attaqué, puisqu’elle se trouverait privée, lors du recours contre la décision finale mettant fin à la procédure, de la possibilité de dénoncer le caractère lacunaire du fondement factuel de cette dernière. Cet allègement de la charge de la preuve en faveur de la Commission serait manifestement préjudiciable à la DP et représenterait une sanction du non-respect de l’acte attaqué. Pour préserver ses droits de la défense, la DP serait donc de facto contrainte de se conformer à l’acte attaqué.

21      Par ailleurs, l’affectation particulière de la DP résulterait du fait que la Commission, dans l’acte attaqué, réclame des données relatives à ses coûts et à ses recettes portant sur presque 20 ans et qui, de surcroît, concernent la période au cours de laquelle la DP a été transformée en entreprise de droit privé. La recherche des données demandées exigerait un investissement exceptionnel en termes de temps et de personnel et engendrerait des coûts à hauteur de plusieurs centaines de milliers d’euros.

22      L’acte attaqué ne serait pas non plus une simple mesure préparatoire. La comparaison avec l’engagement d’une procédure et une communication des griefs en matière d’ententes serait inopérante pour plusieurs raisons, notamment dans la mesure où, selon une jurisprudence constante, en matière d’aides d’État, la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen est susceptible de recours. Le critère essentiel à cet égard ne serait pas de savoir si l’acte attaqué est une mesure préparatoire dans le cadre d’une procédure en plusieurs étapes, mais s’il a des effets juridiques pour l’entreprise concernée et modifie sa situation juridique.

23      Enfin, quant à sa qualité pour agir, la DP fait valoir qu’elle est individualisée en sa qualité de débitrice à titre exclusif de l’obligation de restituer l’aide. En outre, elle seule disposerait des informations demandées dans l’acte attaqué et serait affectée par la forclusion résultant du non-respect de la demande formulée dans l’acte attaqué. La DP serait aussi directement concernée, car il n’y aurait aucune incertitude possible quant aux informations requises par la Commission, lesquelles ressortiraient de l’acte attaqué sans qu’aucune concrétisation supplémentaire soit nécessaire.

 Appréciation du Tribunal

24      Selon une jurisprudence constante, constituent des actes ou des décisions susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation les seules mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant, de façon caractérisée, la situation juridique de celui-ci. En outre, lorsqu’il s’agit d’actes ou de décisions dont l’élaboration s’effectue en plusieurs phases, notamment au terme d’une procédure interne, ne constituent des actes attaquables que les mesures qui fixent définitivement la position de l’institution au terme de cette procédure, à l’exclusion des mesures intermédiaires dont l’objectif est de préparer la décision finale (arrêt de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, Rec. p. 2639, points 9 et 10 ; arrêt du Tribunal du 18 décembre 1992, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑10/92 à T‑12/92 et T‑15/92, Rec. p. II‑2667, point 28, et ordonnance du Tribunal du 21 novembre 2005, Tramarin/Commission, T‑426/04, Rec. p. II‑4765, point 25).

25      En revanche, la forme dans laquelle un acte ou une décision sont pris est, en principe, indifférente pour la recevabilité d’un recours en annulation (arrêts de la Cour IBM/Commission, point 24 supra, point 9, et du 7 juillet 2005, Le Pen/Parlement, C‑208/03 P, Rec. p. I‑6051, point 46). Il s’ensuit que, pour déterminer si un acte en matière d’aides d’État constitue une « décision » au sens de l’article 4 du règlement n° 659/1999, il convient de vérifier si, compte tenu de la substance de celui-ci et de l’intention de la Commission, cette institution a définitivement fixé par l’acte examiné, au terme de la phase préliminaire d’examen, sa position sur la mesure dénoncée (arrêt de la Cour du 17 juillet 2008, Athinaïki Techniki/Commission, C‑521/06 P, Rec. p. I‑5829, point 46).

26      Il ressort des principes énoncés ci-dessus qu’il est indifférent, aux fins de la présente analyse, que l’acte attaqué revête la forme d’une simple injonction de fournir des informations, comme l’avance la Commission, ou d’une décision, ainsi que le prétend DP. En l’espèce, il y a lieu de vérifier, en s’attachant à la substance de l’acte, si l’acte attaqué constitue, ainsi que l’affirme la Commission, une mesure intermédiaire dont l’objectif est de préparer la décision finale et qui ne modifie pas la situation juridique de DP.

27      Il résulte de la jurisprudence que la Commission est habilitée à adopter une décision sur le fondement des informations disponibles lorsqu’elle est confrontée à un État membre qui ne satisfait pas à son devoir de coopération et qui s’abstient de lui fournir les informations que celle-ci lui a demandées pour examiner la compatibilité d’une aide avec le marché commun. Toutefois, avant de prendre une telle décision, la Commission doit respecter certaines exigences procédurales. En particulier, elle doit enjoindre à l’État membre de lui fournir, dans le délai qu’elle fixe, tous les documents, informations et données nécessaires pour examiner la compatibilité de l’aide avec le marché commun. Ce n’est que si l’État membre omet, nonobstant l’injonction de la Commission, de fournir les renseignements sollicités que celle-ci a le pouvoir de mettre fin à la procédure et de prendre la décision constatant la compatibilité ou l’incompatibilité de l’aide avec le marché commun sur la base des éléments dont elle dispose. Ces exigences ont été reprises et concrétisées à l’article 5, paragraphe 2, à l’article 10, paragraphe 3, et à l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999 (voir arrêt Freistaat Thüringen/Commission, point 19 supra, point 73, et la jurisprudence citée).

28      Par ailleurs, en cas d’aide illégale, il ressort du considérant 12 du règlement n° 659/1999 que la Commission doit pouvoir obtenir tous les renseignements nécessaires afin de prendre une décision et de rétablir sans délai, le cas échéant, une concurrence effective, de sorte qu’il convient de permettre à la Commission de prendre des mesures provisoires visant l’État membre concerné, que ces mesures provisoires peuvent consister en des injonctions de fournir des informations, des injonctions de suspension ou des injonctions de récupération, que la Commission doit être autorisée, en cas de non-respect d’une injonction de fournir des informations, à décider sur la base des renseignements dont elle dispose et, en cas de non-respect d’une injonction de suspension ou de récupération, à saisir directement la Cour de justice, conformément à l’article 88, paragraphe 2, deuxième alinéa, CE.

29      L’acte attaqué, qui est une injonction de fournir des informations, doit donc être distingué d’une injonction de suspension ou de récupération. Il ne crée pas d’obligation à la charge des intéressés et ne leur impose pas de sanction s’ils ne défèrent pas à ladite injonction. Comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance Tramarin/Commission, point 24 supra (points 25 à 36), et pour autant qu’un parallèle puisse être établi entre celle-ci et la présente affaire, la Commission n’a en l’espèce pas le pouvoir de contraindre la République fédérale d’Allemagne, et encore moins la DP qui n’est pas destinataire de l’acte attaqué, à lui fournir les informations demandées.

30      L’injonction de fournir des informations constitue un outil supplémentaire offert à la Commission pour obtenir les informations nécessaires lorsqu’un État membre refuse de coopérer. Dans le cadre de l’application du principe du contradictoire, il s’agit d’une obligation ou d’une exigence procédurale imposée à la Commission pour pouvoir adopter la décision finale sur la base des renseignements dont elle dispose (voir, en ce sens, arrêt Freistaat Thüringen/Commission, point 19 supra, point 90, et conclusions de l’avocat général Mme Trstenjak sous l’arrêt Commission/MTU Friedrichshafen, point 20 supra, points 47 et 48).

31      L’acte attaqué s’inscrit donc dans le cadre de la procédure administrative d’examen de la mesure d’aide en cause entre la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen et la décision finale. L’acte attaqué ne préjuge pas de la décision finale, la Commission pouvant encore à ce stade conclure à l’inexistence d’une aide d’État, à la compatibilité de l’aide en cause avec le marché commun ou à son incompatibilité.

32      Comme l’affirme la Commission, l’acte attaqué constitue une mesure intermédiaire dont l’objectif est de préparer la décision finale. Le caractère provisoire d’une injonction de fournir des informations a, du reste, été confirmé par la Cour dans son arrêt du 13 avril 1994, Allemagne et Pleuger Worthington/Commission (C‑324/90 et C‑342/90, Rec. p. I‑1173, point 28). Dans cet arrêt, la Cour a indiqué en effet que la Commission n’avait pas enjoint au gouvernement fédéral, « par voie de décision provisoire », comme elle aurait dû le faire, de fournir tous les éléments d’information relatifs à l’ensemble des aides octroyées. 

33      La DP fait cependant valoir que le caractère provisoire de l’acte attaqué n’implique pas en soi qu’il ne soit pas attaquable. La DP invoque à cet égard l’exemple de la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen.

34      Certes, selon une jurisprudence constante, la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen peut, dans certaines circonstances, être un acte attaquable, car elle peut emporter des effets juridiques autonomes, en particulier en ce qui concerne la suspension de la mesure considérée (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 23 octobre 2002, Diputación Foral de Álava e.a./Commission, T‑346/99 à T‑348/99, Rec. p. II‑4259, point 33, et la jurisprudence citée).

35      En effet, selon la jurisprudence, une décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen à l’égard d’une mesure en cours d’exécution et qualifiée d’aide nouvelle par la Commission modifie nécessairement la portée juridique de la mesure considérée ainsi que la situation juridique des entreprises qui en sont bénéficiaires, notamment en ce qui concerne la poursuite de la mise en œuvre de cette mesure. Jusqu’à l’adoption d’une telle décision, l’État membre, les entreprises bénéficiaires et les autres opérateurs économiques peuvent penser que la mesure est licitement mise en œuvre en tant que mesure générale ne tombant pas dans le champ d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE ou en tant qu’aide existante. En revanche, après l’adoption d’une telle décision, il existe à tout le moins un doute important sur la légalité de cette mesure, qui, sans préjudice de la faculté de solliciter des mesures provisoires auprès du juge des référés, doit conduire l’État membre à en suspendre l’application, dès lors que l’ouverture de la procédure formelle d’examen exclut une décision immédiate concluant à la compatibilité avec le marché commun qui permettrait de poursuivre licitement l’exécution de ladite mesure. Une telle décision pourrait également être invoquée devant un juge national appelé à tirer toutes les conséquences découlant de la violation de l’article 88, paragraphe 3, dernière phrase, CE. Enfin, elle est susceptible de conduire les entreprises bénéficiaires de la mesure à refuser en tout état de cause de nouveaux versements ou de nouveaux avantages, ou à provisionner les sommes nécessaires à d’éventuelles compensations financières ultérieures. Les milieux d’affaires tiendront également compte, dans leurs relations avec lesdits bénéficiaires, de la situation juridique et financière fragilisée de ces derniers (voir arrêt Diputación Foral de Álava e.a./Commisson, point 34 supra, point 34, et la jurisprudence citée).

36      Toutefois, en l’espèce, l’acte attaqué ne peut pas entraîner la suspension de la mesure d’aide examinée et ne met pas en doute la légalité de cette dernière en modifiant de la sorte la situation des bénéficiaires ou des tiers en relation avec ceux-ci. Les effets de la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen et ceux de l’acte attaqué ne sont donc pas comparables.

37      S’il est donc vrai que le fait que la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen ne constitue qu’une étape de la procédure d’examen des aides d’État n’exclut pas, selon la jurisprudence, qu’elle puisse être considérée comme un acte attaquable, il ne saurait en être déduit pour autant qu’il en est de même pour l’acte attaqué.

38      Force est par ailleurs de constater que l’examen des effets juridiques concrets de l’acte attaqué sur la situation de la DP ne permet pas davantage d’étayer la thèse de cette dernière.

39      En effet, s’agissant de la détérioration prétendue de sa situation procédurale en cas de non-respect de l’acte attaqué, il convient de rappeler que, selon l’article 6, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999, la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen récapitule les éléments pertinents de fait et de droit, inclut une évaluation préliminaire, par la Commission, de la mesure proposée visant à déterminer si elle présente le caractère d’une aide et expose les raisons qui incitent à douter de sa compatibilité avec le marché commun. Par cette décision et sa publication au Journal officiel, l’État membre et les autres parties intéressées sont informés des faits sur lesquels la Commission entend fonder sa décision. Il en résulte que, si ces parties considèrent que certains faits qui sont repris dans la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen sont erronés, elles doivent le faire savoir à la Commission durant la procédure administrative sous peine de ne plus pouvoir contester ces faits dans le cadre de la procédure contentieuse (voir, en ce sens, en ce qui concerne l’État membre, arrêt de la Cour du 14 septembre 1994, Espagne/Commission, C‑278/92 à C‑280/92, Rec. p. I‑4103, point 31). En revanche, en l’absence d’informations contraires de la part des parties concernées, la Commission est habilitée à se fonder sur les faits, même erronés, dont elle dispose au moment de l’adoption de la décision finale, dans la mesure où les éléments de fait concernés ont fait l’objet d’une injonction de la Commission à l’égard de l’État membre de lui fournir les informations nécessaires. Si, en revanche, elle s’abstient d’enjoindre à l’État membre de lui transmettre des informations sur les faits qu’elle entend retenir, elle ne saurait, par la suite, justifier d’éventuelles erreurs de fait en faisant valoir qu’elle était fondée, au moment d’arrêter la décision mettant fin à la procédure formelle d’examen, à ne retenir que les éléments d’information dont elle disposait alors (arrêt Freistaat Thüringen/Commission, point 19 supra, point 88).

40      La Commission n’est pas, pour autant, soustraite à tout contrôle juridictionnel en ce qui concerne la constatation des faits. En effet, si l’État membre a satisfait pleinement à son obligation de transmettre toutes les informations demandées par la Commission, il lui sera particulièrement aisé de démontrer, à l’aide des informations qu’il a transmises dans le cadre de la procédure, que les éventuelles erreurs de fait qui figurent dans la décision finale ne lui sont pas imputables. En outre, lorsque la Commission fonde une décision sur les informations disponibles concernant certains éléments de fait sans avoir, à cet égard, respecté les exigences procédurales reconnues par la jurisprudence et reprises dans le règlement n° 659/1999, le Tribunal peut exercer son contrôle concernant la question de savoir si la prise en compte de ces éléments factuels a été susceptible de donner lieu à une erreur d’appréciation viciant la légalité de la décision finale (arrêt Freistaat Thüringen/Commission, point 19 supra, point 89).

41      Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce qu’allègue la DP, le droit des intéressés à ne pas voir la décision finale rendue sur la base de faits erronés ou incomplets est pleinement assuré dans le cadre de la procédure administrative dès lors que l’État membre concerné se conforme à son obligation de coopération avec la Commission, notamment en lui communiquant toutes les informations nécessaires. La Commission ne saurait être tenue pour responsable de la non-prise en compte d’éléments que l’État membre s’est refusé à lui communiquer (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Mme Trstenjak sous l’arrêt Commission/MTU Friedrichshafen, point 20 supra, point 49).

42      En conséquence, ce n’est pas l’acte attaqué qui est susceptible de priver la DP de la possibilité de dénoncer le caractère lacunaire du fondement factuel de la décision finale, mais le refus de la République fédérale d’Allemagne de fournir à la Commission les informations requises dans l’acte attaqué. Si les autorités allemandes considèrent que les informations demandées par la Commission ne sont pas nécessaires pour établir les faits ou que les recherches demandées sont trop onéreuses en temps ou en argent par rapport au résultat escompté, elles peuvent choisir d’ignorer l’injonction qui leur est faite de les fournir. C’est le choix de ne pas coopérer avec la Commission qui a pour effet de diminuer le niveau de preuve à partir duquel la Commission peut valablement considérer que les circonstances en cause sont avérées.

43      À cet égard, il convient cependant de souligner que l’article 13, paragraphe 1, dernière phrase, du règlement n° 659/1999 ne saurait être interprété comme exonérant entièrement la Commission de l’obligation de fonder ses décisions sur des éléments d’une certaine fiabilité et cohérence, de nature à étayer les conclusions auxquelles elle parvient. La Commission est, à tout le moins, tenue de s’assurer que les renseignements dont elle dispose, bien qu’incomplets et fragmentaires, constituent une base suffisante pour conclure qu’une entreprise a bénéficié d’un avantage constitutif d’une aide d’État. La Commission ne saurait supposer qu’une entreprise a bénéficié d’un avantage constitutif d’une aide d’État en se basant simplement sur une présomption négative, fondée sur l’absence d’informations permettant d’aboutir à la conclusion contraire, en l’absence d’autres éléments de nature à établir positivement l’existence d’un tel avantage (arrêt Commission/MTU Friedrichshafen, point 20 supra, points 55, 56 et 58). Il ne saurait donc être considéré que l’acte attaqué met fin à l’obligation de la Commission d’étayer suffisamment sa décision finale et interdit à la DP toute contestation du fondement de celle-ci.

44      Par ailleurs, même si cet élément n’est pas déterminant pour apprécier le caractère attaquable d’un acte au sens de la jurisprudence citée au point 24 ci-dessus, il peut être relevé que, s’agissant des droits de la défense de la DP, selon une jurisprudence constante, la procédure administrative en matière d’aides d’État est seulement ouverte à l’encontre de l’État membre concerné. Les bénéficiaires des aides sont uniquement considérés comme étant des « intéressés » dans cette procédure. Ces entreprises ne sauraient prétendre elles-mêmes à un débat contradictoire avec la Commission, tel que celui ouvert au profit dudit État membre. C’est ainsi que la jurisprudence impartit essentiellement aux intéressés le rôle de sources d’information pour la Commission dans le cadre de la procédure administrative engagée au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE. Il s’ensuit que les intéressés, loin de pouvoir se prévaloir des droits de la défense reconnus aux personnes à l’encontre desquelles une procédure est ouverte, disposent du seul droit d’être associés à la procédure administrative dans une mesure adéquate tenant compte des circonstances du cas d’espèce (voir arrêt du Tribunal du 15 décembre 2009, EDF/Commission, T‑156/04, non encore publié au Recueil, points 102 et 103, et la jurisprudence citée).

45      Force est dès lors de constater que la DP ne peut alléguer une violation des droits de la défense à son égard, de tels droits ne lui étant pas reconnus dans le cadre de la procédure administrative (voir, en ce sens, arrêt EDF/Commission, point 44 supra, point 104).

46      Il résulte de tout ce qui précède que, en plus du fait qu’il ne fixe pas définitivement la position de l’institution, l’acte attaqué ne modifie pas de façon caractérisée la situation juridique de la DP. Il ne constitue dès lors pas un acte attaquable au sens de la jurisprudence citée au point 24 ci-dessus.

47      Il y a lieu par conséquent de rejeter le présent recours comme étant irrecevable, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les autres moyens et arguments soulevés par la Commission dans le cadre de son exception d’irrecevabilité.

 Sur les dépens

48      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La DP ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      Deutsche Post AG est condamnée aux dépens.

Fait à Luxembourg, le 14 juillet 2010.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       I. Wiszniewska-Białecka


* Langue de procédure : l’allemand.