Language of document : ECLI:EU:T:1998:110

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

26 mai 1998 (1)

«Fonctionnaires — Réintégration tardive — Responsabilité — Préjudice»

Dans l'affaire T-205/96,

Roland Bieber, fonctionnaire du Parlement européen, demeurant à Bruxelles, représenté par Me Georges Vandersanden, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson SARL, 30, rue de Cessange,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par Mme Evelyn Waldherr, membre du service juridique, en qualité d'agent, ayant élu domicile au secrétariat général du Parlement européen, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d'une part, une demande d'annulation de la décision implicite de rejet de la demande du requérant du 18 octobre 1995 tendant à sa réintégration au terme de son congé de convenance personnelle et à la réparation du préjudice résultant prétendument de sa non-réintégration et, d'autre part, une demande de réparation du préjudice prétendument causé par sa réintégration tardive,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

composé de MM. J. Azizi, président, R. García-Valdecasas et M. Jaeger, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 11 décembre 1997,

rend le présent

Arrêt

Contexte réglementaire

1.
    L'article 40 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut») se lit comme suit:

«1. Le fonctionnaire titulaire peut, à titre exceptionnel et sur sa demande, être mis en congé, sans rémunération, pour des motifs de convenance personnelle.

2. Sans préjudice des dispositions de l'article 15, la durée du congé est limitée à un an.

Le congé peut être renouvelé à deux reprises pour une année.

[...]

4. Le congé de convenance personnelle obéit aux règles suivantes:

a)    il est accordé sur demande de l'intéressé par l'autorité investie du pouvoir de nomination;

[...]

d)    à l'expiration du congé de convenance personnelle, le fonctionnaire est obligatoirement réintégré, à la première vacance, dans un emploi de sa catégorie ou de son cadre correspondant à son grade, à condition qu'il possède les aptitudes requises pour cet emploi. S'il refuse l'emploi qui lui est offert, il conserve ses droits à la réintégration, à la même condition, lors de la deuxième vacance dans un emploi de sa catégorie ou de son cadre correspondant à son grade; en cas de second refus, il peut être démis d'office après consultation de la commission paritaire. Jusqu'à la date de sa

réintégration effective, le fonctionnaire demeure en congé de convenance personnelle sans rémunération.»

Faits à l'origine du recours

2.
    Le requérant, entré au service du Parlement européen en 1971 en tant que fonctionnaire au secrétariat général, a été nommé chef de division de grade A 3 en 1981 et conseiller au service juridique en 1986.

3.
    Dans une note du 1er mars 1987 à l'attention notamment des directeurs généraux et du jurisconsulte, le secrétaire général du Parlement a souligné que la réintégration avait priorité sur tout autre mode de pourvoi de poste dès lors que le fonctionnaire à réintégrer disposait des aptitudes requises par l'emploi en cause.

4.
    Par décision de l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après «AIPN») du 26 septembre 1991, le requérant a été mis en congé pour des motifs de convenance personnelle du 15 novembre 1991 au 15 juillet 1992. Ce congé a ensuite été prolongé par diverses décisions, la dernière d'entre elles portant autorisation de prolongation jusqu'au 15 novembre 1994.

5.
    Pendant la période de congé de convenance personnelle, le requérant a enseigné le droit européen à l'université de Lausanne en qualité de professeur.

6.
    A la suite du décès du jurisconsulte du Parlement, M. Jorge Campinos, le requérant a informé le président du Parlement, par lettre du 4 août 1993, qu'il se tenait, le cas échéant, à la disposition de cette institution, pendant son congé de convenance personnelle.

7.
    N'ayant reçu aucune offre de réintégration depuis l'expiration de la période de mise en congé pour des motifs de convenance personnelle, il a demandé au directeur général du personnel et des finances, par lettre du 21 février 1995, et au secrétaire général du Parlement, par lettre du 21 mars 1995, d'examiner les possibilités de sa réintégration dans les services du Parlement, de préférence avec effet au 15 juin 1995.

8.
    Le 18 octobre 1995, le requérant a introduit, en application de l'article 90, paragraphe 1, du statut, une demande tendant à sa réintégration et à la réparation du dommage subi par suite de sa non-réintégration.

9.
    Par lettre du 7 décembre 1995, le secrétaire général du Parlement européen a informé le requérant de son intention de proposer sa réintégration au poste de chef de division chargé du secrétariat de la commission institutionnelle. Dans cette lettre, il précisait qu'il ne serait disposé à présenter cette proposition qu'à trois conditions: i) la réintégration devrait avoir lieu au plus tard le 1er janvier 1996; ii) le requérant ne pourrait avoir aucun engagement à l'extérieur de l'institution; iii)

la réintégration ne pourrait pas être suivie «à court ou à plus long terme» de l'abandon des fonctions proposées ou de fonctions analogues au secrétariat général.

10.
    Par lettre du 11 décembre 1995 et au cours d'un entretien avec le secrétaire général du Parlement le 13 décembre 1995, le requérant a d'abord dit ne pas vouloir renoncer à cette proposition, tout en critiquant les conditions auxquelles elle était subordonnée. A l'issue de cet entretien, le secrétaire général et le requérant ont décidé, d'un commun accord, de ne pas donner suite à la lettre du 7 décembre 1995 et ont relevé que le requérant conservait le droit de refuser une offre au sens de l'article 40, paragraphe 4, sous d), du statut, sans perdre son droit à être réintégré.

11.
    Par lettre du 21 février 1996, le secrétaire général a proposé au requérant, à titre de première offre, sa réintégration à un emploi de conseiller de grade A 3 auprès du directeur chargé des affaires politiques à la direction générale des études.

12.
    Le 8 mars 1996, le requérant a accepté le poste proposé en demandant que les modalités de sa reprise de fonctions, et en particulier la date de son entrée en service, soient fixées d'un commun accord.

13.
    Par décision de l'AIPN du 19 avril 1996, le requérant a été réintégré à ce poste au grade A 3, échelon 6, à compter du 1er juin 1996.

14.
    Par lettre du 22 avril 1996, le chef de la division du personnel au sein de la direction générale Personnel/budget/finances du Parlement a demandé au requérant de bien vouloir se présenter le lundi 3 juin 1996 au Parlement afin de reprendre ses fonctions.

15.
    Le 10 mai 1996, le requérant a introduit une réclamation contre le rejet implicite de sa demande d'indemnité du 18 octobre 1995.

16.
    Le 13 septembre 1996, le président du Parlement européen a informé le requérant du rejet de sa réclamation.

17.
    Le 9 octobre 1996, le requérant a introduit une demande de dégagement spécifiant qu'il était volontaire pour cesser définitivement ses fonctions le 1er février 1997.

18.
    Par lettre du 2 décembre 1996, le requérant a confirmé sa demande de dégagement et a demandé, à titre subsidiaire, sa mise à la retraite anticipée en application de l'article 52 du statut.

19.
    Par décision non datée du défendeur, le requérant a été mis à la retraite anticipée le 1er avril 1997 et admis au bénéfice de la pension d'ancienneté avec jouissance immédiate.

Procédure et conclusions des parties

20.
    Le requérant a déposé sa requête le 12 décembre 1996.

21.
    Il conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    annuler la décision du défendeur, du 13 septembre 1996, portant rejet de sa réclamation relative à une demande d'indemnité pour réintégration tardive et illégale après un congé de convenance personnelle;

—    condamner le défendeur au paiement d'une somme évaluée, sous réserve de précision, à 4 500 000 BFR à titre de réparation du préjudice matériel subi par le requérant, augmentée des intérêts de retard au taux de 8 % l'an à compter de la date du présent recours;

—    condamner le défendeur à l'ensemble des dépens.

22.
    Le défendeur conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    rejeter le recours comme non fondé;

—    statuer sur les dépens conformément au règlement de procédure.

Sur les conclusions en annulation

23.
    Dans ses conlusions, le requérant demande l'annulation de la décision du défendeur du 13 septembre 1996 portant rejet de sa réclamation contre le rejet implicite de sa demande du 18 octobre 1995 tendant à sa réintégration et à la réparation du dommage subi du fait de sa non-réintégration. L'acte faisant grief étant la décision implicite de rejet de la demande de réintégration et d'indemnité introduite par le requérant le 18 octobre 1995, les conclusions en annulation doivent être entendues en ce sens qu'elles sont dirigées contre cette décision implicite de rejet (arrêts de la Cour du 28 mai 1980, Kuhner/Commission, 33/79 et 75/79, Rec. p. 1677, points 9 et 10, du 17 janvier 1989, Vainker/Parlement, 293/87, Rec. p. 23, points 7 et 8, et du 14 février 1989, Bossi/Commission, 346/87, Rec. p. 303, points 8 à 10).

Argumentation des parties

24.
    Le requérant soulève un moyen unique tiré d'une violation de l'article 40, paragraphe 4, sous d), du statut.

25.
    Le requérant fait grief au défendeur d'avoir omis de le réintégrer à la première vacance d'emploi et d'avoir refusé de réparer le préjudice causé par cette omission.

26.
    Le défendeur admet qu'il aurait pu présenter au requérant des offres d'emploi avant celle ayant abouti à sa réintégration, le 1er juin 1996, s'il s'était agi uniquement des aptitudes requises pour les emplois en cause. A l'audience, il a notamment reconnu que le requérant possédait les aptitudes requises pour le poste n° 2948 (avis de vacance n° 7580, affiché le 5 décembre 1994), vacant au 1er janvier 1995. Il a également convenu que le poste n° 1936 (avis de vacance n° 7629, affichéle 6 mars 1995), devenu vacant le 1er mars 1995, avait été attribué le 1er juin 1995 à un autre fonctionnaire que le requérant.

27.
    Toutefois, le fait de ne pas avoir réintégré le requérant avant le 1er juin 1996 ne serait pas constitutif d'une illégalité. En effet, aucune obligation de réintégrer à la première vacance un fonctionnaire dont le congé de convenance personnelle a expiré ne pèserait sur l'administration aussi longtemps que le comportement de ce fonctionnaire permettrait de douter de son intention de se mettre à la disposition de l'institution (arrêt de la Cour du 27 octobre 1977, Giry/Commission, 126/75, 34/76 et 92/76, Rec. p. 1937, points 7 et 20; conclusions de l'avocat général M. Van Gerven sous l'arrêt de la Cour du 27 juin 1989, Giordani/Commission, 200/87, Rec. p. 1877, 1884, point 19).

28.
    En l'espèce, le comportement du requérant aurait forgé la conviction de l'administration qu'il était incompatible avec l'intérêt du service de le réintégrer à un poste à responsabilités, car il n'aurait pas été animé d'une volonté réelle et sérieuse d'être réintégré.

29.
    Cette absence de volonté du requérant d'être réintégré ressortirait notamment des circonstances suivantes:

a)    dès l'année 1994, il aurait exprimé le souhait d'être mis en disponibilité en application de l'article 41 du statut;

b)    à l'expiration de son congé de convenance personnelle, il était encore professeur d'université et il n'aurait pas démontré sa détermination à quitter l'université pour reprendre ses fonctions au Parlement;

c)    il aurait à deux reprises (lettres des 21 février et 21 mars 1995) formulé le souhait d'être réintégré le 15 juin 1995, c'est-à-dire à la fin de l'année universitaire;

d)    pendant son congé de convenance personnelle, il a conclu avec le Parlement des contrats portant sur la réalisation d'études, ce qui démontrerait l'absence d'intérêt pour une réintégration;

e)    le requérant aurait accueilli défavorablement la lettre du secrétaire général du 7 décembre 1995;

f)    il aurait demandé que sa réintégration effective soit reportée de quinze jours;

g)    il aurait régulièrement pris congé les vendredis et occasionnellement pendant la période des cours universitaires, ainsi qu'entre le 3 février 1997 et le 7 mars 1997;

h)    enfin, les faits ayant suivi sa réintégration démontreraient clairement qu'il souhaitait poursuivre son activité universitaire:

    —    il n'aurait pas résilié son contrat d'emploi avec l'université, mais celle-ci lui aurait accordé un congé non rémunéré,

    —    il aurait continué de donner des cours après sa réintégration,

    —    il aurait demandé son dégagement quatre mois après sa réintégration et aurait été mis à la retraite anticipée le 1er avril 1997,

    —    il ne se serait pas toujours acquitté de ses tâches.

30.
    Enfin, l'activité de professeur exercée par le requérant l'aurait empêché de se consacrer à ses activités au Parlement et de satisfaire ainsi à ses obligations statutaires. La preuve de cette appréciation résiderait dans la proposition du requérant de fixer la date de sa réintégration à une date proche de la fin de l'année universitaire.

31.
    Afin d'examiner si le requérant aurait pu se libérer de ses activités universitaires à l'expiration du congé de convenance personnelle, le défendeur demande au Tribunal d'enjoindre au requérant de produire son contrat avec l'université de Lausanne.

32.
    Il suggère également au Tribunal de convoquer l'ancien secrétaire général et le chef de la division du personnel comme témoins pour attester que le requérant a exprimé, dès 1994, le souhait de bénéficier d'une mesure de cessation définitive de ses fonctions.

33.
    Dans sa réplique, le requérant conteste formellement avoir demandé l'application de l'article 41 du statut ou le bénéfice d'un dégagement avant sa réintégration ou même immédiatement après. Il demande à être entendu comme témoin dans l'hypothèse où le Tribunal déciderait d'inviter l'ancien secrétaire général du Parlement et le chef de la division du personnel à témoigner à ce sujet.

34.
    Il considère, dès lors, que la référence faite par le défendeur à l'arrêt Giry/Commission, cité au point 27 ci-dessus, n'est pas pertinente en l'espèce. En effet, dans l'affaire Giry/Commission, le fonctionnaire concerné aurait demandé à

ce qu'il soit mis fin à ses fonctions avant même l'expiration du congé de convenance personnelle.

35.
    Enfin, les conclusions présentées par l'avocat général M. Van Gerven sous l'arrêt Giordani/Commission, citées au point 27 ci-dessus, plaideraient en faveur de la thèse du requérant, puisqu'il en ressort que la volonté plus ou moins pressante de réintégration n'est pas un critère que l'administration doit prendre en considération dans l'exécution de son obligation de réintégration.

Appréciation du Tribunal

36.
    Il ressort du libellé de l'article 40, paragraphe 4, sous d), du statut que l'obligation pesant sur l'administration de réintégrer le fonctionnaire dont le congé de convenance personnelle a expiré n'est subordonnée à aucune autre condition que celle de la vacance d'un emploi pour lequel ledit fonctionnaire possède les aptitudes requises.

37.
    Dès lors, en dehors d'un emploi vacant et de la réunion, dans le chef de l'intéressé, des aptitudes requises, la réintégration ne dépend d'aucune condition supplémentaire, telle que la manifestation par le fonctionnaire concerné de son intérêt ou le fait qu'il exerce une activité professionnelle pendant son congé. Par conséquent, le pouvoir d'appréciation des autorités concernées en matière de réintégration ne porte que sur les aptitudes mêmes du fonctionnaire ayant vocation à être réintégré, lesquelles doivent être évaluées au regard des emplois qu'il est susceptible d'occuper, sans s'étendre à l'opportunité de sa réintégration (arrêt du Tribunal du 1er juillet 1993, Giordani/Commission, T-48/90, Rec. p. II-721, point 50). Cette règle a, du reste, été rappelée expressément par le secrétaire général du Parlement dans une note du 1er mars 1987.

38.
    Dans l'exécution de son obligation de réintégration à la première vacance d'un emploi adéquat, l'AIPN ne peut tenir compte de la volonté du fonctionnaire que dans l'hypothèse où cet emploi doit être occupé dans un lieu d'affectation autre que celui où ce fonctionnaire était affecté avant son congé de convenance personnelle (arrêt du Tribunal du 16 décembre 1997, Richter/Commission, T-19/97, RecFP p. II-1019, points 51 à 54).

39.
    A supposer même que, en l'espèce, le défendeur ait pu douter de la volonté réelle du requérant d'être réintégré, il lui incombait néanmoins d'offrir au requérant un emploi pour lequel il possédait les aptitudes requises, à la première vacance d'un tel emploi. Le requérant aurait alors eu la faculté, s'il ne souhaitait pas être réintégré, de refuser l'emploi proposé. En cas de second refus, il aurait alors pu être démis d'office.

40.
    En toute hypothèse, les lettres du requérant des 21 février et 21 mars 1995 (voir ci-dessus point 7) indiquent qu'il souhaitait être réintégré.

41.
    Le défendeur reconnaît qu'un emploi pour lequel le requérant possédait les aptitudes requises était vacant au 1er janvier 1995 (avis de vacance d'emploi n° 7580 pour le poste JUR/A/2948-RP/95 de chef de division au service juridique). Il s'ensuit que le défendeur aurait dû proposer au requérant de le réintégrer à cette date.

42.
    Par ailleurs, même en partant de la thèse — erronée — du défendeur, selon laquelle il était, en l'espèce, fondé à tenir compte de la volonté du requérant d'être réintégré, le Tribunal estime que les arguments qu'il a avancés à cet égard ne sont pas de nature à faire douter d'une telle volonté. D'une part, pour prouver la prétendue absence d'une telle volonté, le défendeur invoque des faits postérieurs à l'offre de réintégration du 21 février 1996 [voir point 29, sous f), sous g) et sous h)]. L'AIPN n'ayant pu connaître ces éléments avant sa proposition de réintégration, ils n'ont en aucun cas pu déterminer son comportement ni ses obligations. D'autre part, les autres arguments invoqués pour démontrer l'absence de volonté du requérant d'être réintégré sont décrédibilisés par le fait que le défendeur a finalement réintégré le requérant sans jamais indiquer les éléments montrant un changement de volonté de ce dernier.

43.
    Il résulte de ce qui précède que le fait de ne pas avoir offert l'emploi en cause au requérant constitue une violation de l'article 40, paragraphe 4, sous d), du statut entraînant l'annulation de la décision attaquée.

Sur les conclusions en indemnité

Argumentation des parties

44.
    Le requérant allègue que sa réintégration tardive lui a causé un préjudice matériel correspondant à la différence entre, d'une part, le traitement qu'il aurait touché en qualité de fonctionnaire de grade A 3, échelon 6, et, d'autre part, les revenus perçus au cours de la période allant de la date à laquelle il aurait dû être réintégré (le 16 novembre 1994) et celle où il a été effectivement réintégré (le 1er juin 1996, si l'on se réfère à la décision du 19 avril 1996, et le 3 juin 1996, si l'on se réfère à la lettre du Parlement du 21 avril 1996). Il demande à être indemnisé de ce préjudice, ainsi que de la perte correspondant à l'absence d'avancement automatique d'échelon et de la différence entre les droits à pension qui lui ont été reconnus et ceux qu'il aurait eus s'il avait été réintégré à temps. Il sollicite enfin l'application, au total de ces sommes, d'un taux d'intérêt annuel de 8 %, à compter de la date d'introduction du présent recours.

45.
    Le défendeur estime que, dans l'hypothèse où le Tribunal conclurait à l'existence d'une illégalité, la période à prendre en considération pour déterminer le préjudice allégué ne pourrait commencer avant le 15 juin 1995, date à laquelle le requérant aurait souhaité être réintégré. En toute hypothèse, elle ne devrait pas, selon le défendeur, débuter avant le 1er janvier 1995 ni s'étendre au-delà du 13 décembre

1995, date à laquelle le requérant a désapprouvé le contenu de la lettre du secrétaire général du 7 décembre 1995.

46.
    Dans le calcul d'une éventuelle indemnité, outre ses émoluments de professeur, les autres revenus professionnels perçus par le requérant au cours de cette période devraient venir en déduction de la somme à laquelle il aurait eu droit à titre de traitement en qualité de fonctionnaire (profits découlant d'études ou de traductions, honoraires pour conférences ou publications, droits d'auteur, etc.).

47.
    Le défendeur invite le Tribunal, dans le cas où il conclurait à l'existence d'uneobligation de réparation du préjudice allégué, à enjoindre au requérant de déclarer tous les revenus qu'il a perçus pendant la période retenue pour calculer l'indemnité.

Appréciation du Tribunal

48.
    Selon une jurisprudence constante, la responsabilité non contractuelle de la Communauté suppose que le requérant prouve l'illégalité du comportement reproché à l'organe communautaire, la réalité du dommage et l'existence d'un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué (arrêts du Tribunal du 9 février 1994, Latham/Commission, T-3/92, RecFP p. II-83, point 63, et du 15 février 1996, Ryan-Sheridan/FEACVT, T-589/93, RecFP p. II-77, point 141).

49.
    Il résulte du point 43 ci-dessus que le défendeur a commis une illégalité en ne réintégrant pas le requérant à la première vacance d'un emploi correspondant à ses aptitudes. Une telle illégalité constitue une faute ayant causé au requérant un préjudice, dont il est fondé à demander la réparation.

50.
    Selon la jurisprudence, l'indemnité due au fonctionnaire du fait de la perte de revenus résultant de sa réintégration tardive est, en principe, égale aux rémunérations nettes auxquelles il aurait eu droit sous déduction des revenus professionnels nets acquis, pour la même période, dans l'exercice d'une autre activité (arrêts de la Cour du 1er juillet 1976, Sergy/Commission, 58/75, Rec. p. 1139, point 40, et du 5 mai 1983, Pizziolo/Commission, 785/79, Rec. p. 1343, point 12).

51.
    Il y a lieu, dès lors, de déterminer tout d'abord la période à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité destinée à compenser la perte de revenus alléguée, d'examiner ensuite la demande d'indemnisation pour le préjudice résultant de l'absence d'avancement automatique d'échelon et de l'insuffisance des droits à pension ainsi que la demande de versement d'intérêts moratoires et de conclure, enfin, sur les modalités de réparation du préjudice.

Sur le début de la période

52.
    Il convient de rejeter la thèse du défendeur selon laquelle la période à prendre en considération pour déterminer le préjudice allégué ne peut débuter avant le 15 juin 1995, date à laquelle le requérant aurait souhaité être réintégré.

53.
    Dans ses lettres des 21 février et 21 mars 1995, le requérant s'est limité à demander au défendeur d'examiner la possibilité de le réintégrer dans les services du Parlement, de préférence avec effet au 15 juin 1995. La simple expression d'une telle préférence ne saurait être considérée comme constituant une cause, fût-elle concurrente, du préjudice subi entre la date de la première vacance d'un emploi pour lequel le requérant possédait les aptitudes requises (1er janvier 1995) et le 15 juin 1995.

54.
    Or, il ressort des réponses du défendeur aux questions posées par le Tribunal par écrit et à l'audience que la réintégration n'a eu lieu ni sur le poste n° 2948, le 1er janvier 1995, ni sur le poste n° 1936, qui a pourtant été attribué le 1er juin 1995, c'est-à-dire à une date proche de celle à laquelle le requérant aurait souhaité être réintégré (voir ci-dessus point 26). En effet, le requérant n'a été réintégré que plus d'un an plus tard.

55.
    En outre, cette préférence n'a été exprimée qu'à partir du 21 février 1995. On ne saurait en déduire que, à la première vacance (1er janvier 1995), le requérant eût également préféré être réintégré le 15 juin 1995 ou qu'il n'eût pu se mettre à la disposition de l'institution avant le 15 juin 1995.

56.
    Il résulte de ce qui précède que la cause du dommage subi par le requérant est l'absence d'offre d'emploi en vue de sa réintégration, alors qu'un emploi adéquat était vacant.

57.
    Par conséquent, le point de départ de la période à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité est le 1er janvier 1995, date de la première vacance d'un emploi pour lequel le requérant possédait les aptitudes requises et date du début de la période pendant laquelle, faute d'avoir été réintégré, il n'a pas perçu sa rémunération de fonctionnaire.

Sur la fin de la période

58.
    Il y a lieu de rejeter également la thèse du défendeur selon laquelle la période à prendre en considération pour déterminer le préjudice allégué ne peut s'étendre au-delà du 13 décembre 1995, date à laquelle le requérant a désapprouvé le contenu de la lettre du secrétaire général du 7 décembre 1995.

59.
    Premièrement, cette lettre avait pour objet de préparer une éventuelle offre d'emploi. En effet, dans cette lettre, le secrétaire général affirme: «[...] j'ai

l'intention de proposer votre réintégration sur le poste de chef de division [...] Toutefois, cette proposition doit être accompagnée des assurances suivantes [...] Je vous prie de bien vouloir me communiquer [...] si vous pouvez vous engager sur ces trois conditions [...]» Elle ne saurait dès lors être qualifiée d'offre d'emploi au sens de l'article 40, paragraphe 4, sous d), du statut.

60.
    Deuxièmement, le requérant conteste avoir refusé l'«offre» d'emploi évoquée dans la lettre du secrétaire général. En revanche, il est constant entre les parties qu'elles ont décidé, le 13 décembre 1995, de ne pas tenir compte de la démarche du secrétaire général du 7 décembre 1995. Du reste, il ressort de la lettre du Parlement du 21 février 1996 que, au cours de la procédure de réintégration, le défendeur lui-même n'a pas considéré la démarche du secrétaire général comme une offre d'emploi au sens de l'article 40, paragraphe 4, sous d), du statut puisqu'elle précise: «Suite à votre demande [...], je suis en mesure de proposer votre réintégration à titre de première offre [...]»

61.
    Il résulte de ces éléments que la date du 13 décembre 1995 ne saurait être retenue comme fin de la période à prendre en considération pour calculer l'indemnité.

62.
    En l'espèce, le défendeur a proposé la réintégration du requérant par lettre du 21 février 1996. Dans sa lettre d'acceptation du 8 mars 1996, le requérant a demandé que la date de reprise effective de ses fonctions soit fixée d'un commun accord. Il résulte des pièces versées au dossier et du contexte de l'affaire que le requérant a accepté, voire souhaité, sa réintégration effective au 1er juin 1996.

63.
    Cet accord — ou ce souhait — du requérant de différer la réintégration au 1er juin 1996 est à l'origine de la perte de revenus qu'il a subie entre le 8 mars 1996 et la réintégration effective. Il s'ensuit que le défendeur ne saurait être tenu de compenser cette perte. Il convient, en outre, de rappeler qu'il résulte du statut que, pendant le congé de convenance personnelle, le fonctionnaire ne perçoit pas de traitement [article 40, paragraphe 4, sous d), dernière phrase, du statut]. Ayant accepté de différer sa réintégration au 1er juin 1996 et donc de rester en congé de convenance personnelle entre le 8 mars 1996 et le 1er juin 1996, le requérant ne saurait se prévaloir d'un préjudice à dater du 8 mars 1996.

Sur l'avancement d'échelon et les droits à pension

64.
    Il convient de faire droit à la demande du requérant tendant à son indemnisation pour le préjudice résultant de l'absence d'avancement automatique d'échelon.

65.
    Sa demande visant au rétablissement de ses droits à pension doit également être accueillie.

Intérêts

66.
    Le requérant n'ayant pas affirmé ni démontré avoir subi une perte financière consistant en des charges d'emprunt résultant du retard de paiement, le préjudice causé par ce retard équivaut au manque à gagner correspondant à la rémunération qui lui aurait été versée pour le placement des sommes dues s'il en avait disposé dès leur exigibilité.

67.
    Étant donné que seul un préjudice réel et certain est susceptible de donner lieu à réparation (arrêt du Tribunal du 18 mai 1995, Wafer Zoo/Commission, T-478/93, Rec. p. II-1479, point 49, et la jurisprudence y citée), il convient, pour évaluer ce manque à gagner, de se référer à un placement dont le rendement financier est pratiquement certain.

68.
    A cet égard, le Tribunal estime que, dans le cadre du pouvoir de pleine juridiction dont il jouit en cette matière (article 91, paragraphe 1, du statut), il y a lieu de se référer au taux créditeur applicable à un placement de bon père de famille. Le requérant ayant, dans ses conclusions, demandé le versement d'intérêts calculés à partir de la date d'introduction du présent recours, la période à prendre en considération pour la détermination de ce taux commence le 12 décembre 1996. Vers la fin de l'année 1996, le rendement d'obligations en francs belges (monnaie dans laquelle la rémunération des fonctionnaires est exprimée et devise du dernier pays d'affectation du requérant) d'une durée de 5 à 10 ans émises par un créancier noté AAA était approximativement de 4,5 % l'an.

69.
    Dans ces circonstances, il y a lieu de condamner le défendeur à verser au requérant des intérêts moratoires sur les sommes visées aux points 50 à 64 au taux annuel de 4,5 %, à calculer à partir du 12 décembre 1996.

70.
    Toutefois, en ce qui concerne la différence entre les droits à pension qui auraient dû lui être reconnus s'il avait été réintégré au 1er janvier 1995 et ceux qui lui ont été effectivement reconnus, les intérêts moratoires courent à partir de la date d'exigibilité des sommes dues à ce titre et, au plus tôt, à partir du 1er avril 1997, date d'admission du requérant au bénéfice de la pension d'ancienneté avec jouissance immédiate. Pour les raisons exposées dans la dernière phrase du point 68, et comme l'évolution des rendements obligataires entre le 12 décembre 1996 et le 1er avril 1997 est négligeable, le taux des intérêts moratoires à retenir pour ce montant est également de 4,5 % l'an.

Conclusion

71.
    Sur la base des considérations qui précèdent, il y a lieu de condamner le défendeur à payer au requérant une somme équivalente à la différence entre, d'une part, les rémunérations nettes qu'il aurait perçues entre le 1er janvier 1995 et le 8 mars 1996

et, d'autre part, la totalité des revenus professionnels nets qu'il a acquis dans l'exercice d'autres activités.

72.
    Cette somme doit être augmentée du montant correspondant à la perte résultant de l'absence d'avancement automatique d'échelon.

73.
    Le total de ces sommes doit être majoré d'intérêts au taux annuel de 4,5 %, à compter du 12 décembre 1996 jusqu'à son versement au requérant.

74.
    Le requérant sera également indemnisé pour le préjudice correspondant à la différence entre les droits à pension qui lui auraient été reconnus s'il avait été réintégré au 1er janvier 1995 et ceux qui lui ont été effectivement reconnus, majoréed'intérêts moratoires au taux de 4,5 %, à partir de la date d'exigibilité des sommes dues au titre de ces droits à pension.

75.
    Avant dire droit sur les sommes à verser au requérant par le défendeur, il convient d'inviter les parties à transmettre au Tribunal, dans un délai de trois mois après le prononcé du présent arrêt, leur commun accord sur le montant chiffré de l'indemnité telle que précisée aux points 71 à 73, ainsi que sur le rétablissement des droits à pension du requérant.

76.
    A défaut d'accord, les parties feront parvenir au Tribunal, dans le même délai, leurs conclusions chiffrées, en indiquant les raisons précises pour lesquelles elles refusent la proposition de la partie adverse.

Sur les dépens

77.
    Selon l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Le requérant ayant conclu à la condamnation de la défenderesse aux dépens et celle-ci ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1)    La décision implicite de rejet de la demande de réintégration et d'indemnité introduite par le requérant le 18 octobre 1995 est annulée.

2)    Le Parlement est condamné à indemniser le requérant pour le dommage matériel qu'il a subi faute d'avoir été réintégré à la date du 1er janvier 1995, au grade A 3, échelon 6, dans l'emploi de conseiller juridique au Parlement, ayant fait l'objet de l'avis de vacance n° 7580 du 5 décembre 1994.

3)    La somme à payer au requérant pour compenser sa perte de revenus professionnels est équivalente à la différence entre, d'une part, les rémunérations nettes qu'il aurait perçues entre le 1er janvier 1995 et le 8 mars 1996 et, d'autre part, la totalité des revenus professionnels nets qu'il a acquis dans l'exercice d'autres activités.

4)    Cette somme sera augmentée du montant correspondant à la perte résultant de l'absence d'avancement automatique d'échelon.

5)    Le total des sommes définies aux points 3 et 4 ci-dessus sera majoré d'intérêts au taux annuel de 4,5 %, à partir du 12 décembre 1996 jusqu'à son versement au requérant.

6)    Le Parlement est condamné à rétablir les droits à pension du requérant, de sorte à compenser la différence entre les droits à pension qui auraient dû lui être reconnus s'il avait été réintégré au 1er janvier 1995 et ceux qui lui ont été effectivement reconnus.

7)    Les sommes dues au titre du point 6 ci-dessus portent intérêt à partir de leur exigibilité au taux de 4,5 %.

8)    Avant dire droit sur le montant de l'indemnité due au requérant par le défendeur: a) les parties transmettront au Tribunal, dans un délai de trois mois après le prononcé du présent arrêt, leur commun accord, premièrement, sur le montant chiffré de l'indemnité ainsi due au requérant et, deuxièmement, sur le rétablissement de ses droits à pension et les

    intérêts dus à cet égard; b) à défaut d'accord, les parties feront parvenir au Tribunal, dans le même délai, leurs conclusions chiffrées, en indiquant les raisons précises pour lesquelles elles refusent la proposition de la partie adverse.

Azizi
García-Valdecasas
Jaeger

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 mai 1998.

Le greffier

Le président

H. Jung

J. Azizi


1: Langue de procédure: le français.