Language of document : ECLI:EU:T:1998:127

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

17 juin 1998 (1)

«Accès à l'information — Décision 93/731/CE du Conseil — Rejet d'une demande d'accès à des documents du Conseil — Recours en annulation — Recevabilité — Titre VI du traité sur l'Union européenne — Portée de l'exception relative à la protection de la sécurité publique — Secret des délibérations du Conseil — Motivation — Publication du mémoire en défense sur le réseau Internet — Abus de procédure»

Dans l'affaire T-174/95,

Svenska Journalistförbundet, association de droit suédois, établie à Stockholm, représentée par Mes Onno W. Brouwer, avocat au barreau d'Amsterdam, et Frédéric P. Louis, avocat au barreau de Bruxelles, assistés de Mme Deirdre Curtin, professeur à l'université d'Utrecht, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Mes Loesch et Wolter, 11, rue Goethe,

partie requérante,

soutenue par

Royaume de Suède, représenté par Mme Lotty Nordling, directeur général du service juridique au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,

Royaume de Danemark, représenté par MM. Peter Biering, chef de service au ministère des Affaires étrangères, et Laurids Mikaelsen, ambassadeur, en qualité

d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade du Danemark, 4, boulevard Royal,

et

Royaume des Pays-Bas, représenté par MM. Marc Fierstra et Johannes Steven van den Oosterkamp, conseillers juridiques, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade des Pays-Bas, 5, rue C. M. Spoo,

parties intervenantes,

contre

Conseil de l'Union européenne , représenté par MM. Giorgio Maganza et Diego Canga Fano, conseillers juridiques, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Alessandro Morbilli, directeur général de la direction des affaires juridiques de la Banque européenne d'investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer,

partie défenderesse,

soutenue par

République française , représentée par Mme Catherine de Salins, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et M. Denys Wibaux, secrétaire des affaires étrangères auprès du même ministère, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade de France, 8 B, boulevard Joseph II,

et

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, représenté par M. John Collins, du Treasury Solicitor's Department, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade du Royaume-Uni, 14, boulevard Roosevelt,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision du Conseil du 6 juillet 1995, refusant à la requérante l'accès à certains documents relatifs à l'Office européen de police (Europol), demandés dans le cadre de la décision 93/731/CE du Conseil, du 20 décembre 1993, relative à l'accès du public aux documents du Conseil (JO L 340, p. 43),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre élargie),

composé de M. K. Lenaerts, président, Mme P. Lindh, MM. J. Azizi, J. D. Cooke et M. Jaeger, juges,

greffier: M. H. Jung,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 17 septembre 1997,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique

1.
    Dans l'acte final du traité sur l'Union européenne (ci-après «traité UE»), signé à Maastricht le 7 février 1992, les États membres ont incorporé, dans les termes suivants, une déclaration (n° 17) relative au droit d'accès à l'information:

«La Conférence estime que la transparence du processus décisionnel renforce le caractère démocratique des institutions ainsi que la confiance du public envers l'administration. En conséquence, la Conférence recommande que la Commission soumette au Conseil, au plus tard en 1993, un rapport sur des mesures visant à accroître l'accès du public à l'information dont disposent les institutions.»

2.
    Le 8 juin 1993, la Commission a publié une communication 93/C 156/05, relative à l'accès du public aux documents des institutions (JO C 156, p. 5), présentée le 5 mai 1993 au Conseil, au Parlement et au Comité économique et social Le 17 juin 1993, elle a publié une communication 93/C 166/04, relative à la transparence dans la Communauté (JO C 166, p. 4), présentée le 2 juin 1993 également au Conseil, au Parlement et au Comité économique et social.

3.
    Le 6 décembre 1993, le Conseil et la Commission ont approuvé un code de conduite concernant l'accès du public aux documents du Conseil et de la Commission (JO L 340, p. 41, ci-après «code de conduite») et se sont respectivement engagés à prendre les mesures nécessaires pour la mise en oeuvre des principes énoncés par le code de conduite avant le 1er janvier 1994.

4.
    Pour assurer la mise en oeuvre de cet engagement, le Conseil a adopté, le 20 décembre 1993, la décision 93/731/CE, relative à l'accès du public aux documents du Conseil (JO L 340, p. 43, ci-après «décision 93/731»), afin de mettre en application les principes établis par le code de conduite. Il a adopté cette décision

sur la base de l'article 151, paragraphe 3, du traité CE, aux termes duquel «le Conseil arrête son règlement intérieur».

5.
    L'article 1er de la décision 93/731 dispose:

«1.    Le public a accès aux documents du Conseil dans les conditions prévues par la présente décision.

2.    On entend par document du Conseil tout écrit contenant des données existantes détenu par cette institution, quel que soit le support sur lequel il est enregistré, sous réserve de l'article 2, paragraphe 2.»

6.
    L'article 2, paragraphe 2, prévoit que les demandes concernant des documents dont l'auteur n'est pas le Conseil doivent être adressées directement à l'auteur des documents en question.

7.
    L'article 4, paragraphe 1, dispose:

«L'accès à un document du Conseil ne peut être accordé lorsque sa divulgation pourrait porter atteinte à:

—    la protection de l'intérêt public (sécurité publique, relations internationales, stabilité monétaire, procédures juridictionnelles, activités d'inspection et d'enquête),

—    la protection de l'individu et de la vie privée,

—    la protection du secret en matière commerciale et industrielle,

—    la protection des intérêts financiers de la Communauté,

—    la protection de la confidentialité demandée par la personne physique ou morale qui a fourni l'une des informations contenues dans le document ou requise par la législation de l'État membre qui a fourni l'une de ces informations.»

8.
    L'article 4, paragraphe 2, ajoute que «l'accès à un document du Conseil peut être refusé pour protéger le secret des délibérations du Conseil».

9.
    Les articles 2, paragraphe 1, 3, 5 et 6 décrivent notamment la procédure à suivre concernant l'introduction de demandes d'accès à des documents et la réponse du Conseil à ces demandes.

10.
    L'article 7 dispose:

«1.    Le demandeur est informé par écrit, dans un délai d'un mois, par les services compétents du secrétariat général, soit de la suite positive réservée à sa demande, soit de l'intention de lui donner une réponse négative. Dans ce dernier cas, l'intéressé est également informé des motifs de cette intention et qu'il dispose d'un délai d'un mois pour formuler une demande confirmative tendant à obtenir la révision de cette position, faute de quoi il sera considéré comme ayant renoncé à sa demande initiale.

2.    Le défaut de réponse à une demande dans le mois suivant l'introduction de cette demande vaut décision de refus, sauf dans le cas où le demandeur présente, dans le mois suivant, la demande confirmative susvisée.

3.    La décision de rejeter une demande confirmative, qui doit intervenir dans le mois suivant l'introduction de cette demande, est dûment motivée. Elle est communiquée dans les meilleurs délais et par écrit au demandeur, lequel est en même temps informé du contenu des dispositions des articles 138 E et 173 du traité instituant la Communauté européenne concernant respectivement les conditions de saisine du médiateur par les personnes physiques et le contrôle de la légalité des actes du Conseil par la Cour de justice.

4.    Le défaut de réponse dans le mois suivant l'introduction de la demande confirmative vaut décision de refus.»

Faits à l'origine du recours

11.
    Après l'adhésion du royaume de Suède à l'Union européenne le 1er janvier 1995, la requérante a décidé d'examiner de quelle manière les autorités suédoises appliquaient le droit d'accès à l'information des citoyens suédois concernant les documents liés à l'activité de l'Union européenne. Elle a contacté à cette fin 46 autorités suédoises, dont le ministère de la Justice suédois et la direction nationale de la police (Rikspolisstyrelsen). Elle leur a demandé l'accès à un certain nombre de documents du Conseil relatifs à l'établissement de l'Office européen de police (ci-après «Europol», dont 8 documents détenus par la direction nationale de la police et 12 par le ministère de la Justice). En réponse, la requérante s'est vu accorder l'accès à 18 des 20 documents sollicités. L'accès à deux documents lui fut refusé par le ministère de la Justice, en raison de leur rapport avec la position adoptée pendant les négociations respectivement par les gouvernements néerlandais et allemand. En outre, certains passages des documents auxquels l'accès était accordé avaient été effacés. Pour certains documents, il était difficile de savoir si des passages avaient été effacés ou non.

12.
    Le 2 mai 1995, la requérante a demandé également au Conseil l'accès aux mêmes 20 documents susmentionnés.

13.
    Par lettre datée du 1er juin 1995, le secrétariat général du Conseil a accueilli favorablement la demande d'accès pour 2 documents seulement, contenant des communications sur les priorités d'une future présidence française du Conseil en matière d'asile et d'immigration et en matière de justice. Il a refusé l'accès aux 18 autres documents, au motif «que les documents 1 à 15 et 18 à 20 [étaient] soumis au principe de confidentialité tel qu'il est repris à l'article 4, paragraphe 1, de la décision [93/731]».

14.
    Le 8 juin 1995, la requérante a présenté au Conseil une demande confirmative en vue d'un réexamen de la décision de refus d'accès.

15.
    Le service compétent du secrétariat général, en liaison avec le service juridique du Conseil, a alors préparé une note à l'attention du groupe «information» du Comité des représentants permanents (ci-après «Coreper») et du Conseil. Un projet de réponse accompagné de la correspondance échangée antérieurement entre la requérante et le secrétariat général du Conseil a été diffusé, ainsi qu'une note du 15 mai 1995 de M. Elsen, directeur général de la direction générale Justice et affaires intérieures (DG H) du Conseil, préparée lors de l'examen de la premièredemande (ci-après «note de M. Elsen»). Cette note donnait un bref aperçu du contenu des documents, ainsi qu'une appréciation préliminaire quant à la possibilité de les divulguer. Elle a été communiquée à la requérante pour la première fois dans le cadre de la présente procédure, en annexe au mémoire en défense du Conseil. Le 3 juillet 1995, le groupe «information» a décidé de divulguer 2 autres documents mais de refuser l'accès aux 16 restants. Lors d'une réunion du 5 juillet 1995, le Coreper a approuvé les termes du projet de réponse proposé par ledit groupe.

16.
    Le Conseil souligne que tous les documents concernés étaient en la possession des membres du Conseil et que des copies des documents avaient pu également être examinées lors de la réunion du groupe «information» du 3 juillet.

17.
    Après la réunion du Coreper, le Conseil a répondu à la demande confirmative par lettre datée du 6 juillet 1995 (ci-après «décision contestée»), dans laquelle le Conseil a accordé l'accès à 2 documents supplémentaires, mais a rejeté la demande concernant les 16 documents restants.

18.
    Il a expliqué:

«De l'avis du Conseil, l'accès à ces documents ne peut pas être accordé car leur divulgation pourrait porter atteinte à l'intérêt public (sécurité publique) et parce que ces documents concernent des délibérations du Conseil, y compris les opinions défendues par des membres du Conseil, et sont couverts par l'obligation de confidentialité.

Enfin, j'aimerais attirer votre attention sur les dispositions des articles 138 E et 173 du traité CE, qui concernent respectivement les conditions requises pour qu'une

personne physique puisse introduire une plainte auprès du médiateur ou un recours devant la Cour de justice contre des actes du Conseil.»

Procédure

19.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 septembre 1995, la requérante a introduit le présent recours.

20.
    Par acte déposé le 9 février 1996, le Parlement européen a demandé à intervenir à l'appui des conclusions de la requérante. Par la suite, il s'est désisté de son intervention.

21.
    Par ordonnance du président de la quatrième chambre du Tribunal du 23 avril 1996, le royaume de Danemark, le royaume des Pays-Bas et le royaume de Suède ont été admis à intervenir à l'appui des conclusions de la requérante, tandis que la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord ont été admis à intervenir à l'appui des conclusions de la défenderesse.

22.
    Par lettre reçue le 3 avril 1996, le Conseil a attiré l'attention du Tribunal sur le fait que certains documents pertinents, en particulier son mémoire en défense dans la présente affaire, avaient été divulgués sur le réseau Internet. Selon lui, le comportement de la requérante constituait une atteinte au déroulement normal de la procédure. Il a demandé au Tribunal de prendre les mesures appropriées afin d'éviter d'autres actions similaires de la part de la requérante.

23.
    Le Tribunal a décidé de traiter cet événement comme un incident de procédure au sens de l'article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure et a demandé aux parties de présenter leurs observations sur cet incident. Dans l'attente de leur réponse, la procédure écrite a été suspendue. Des observations ont été reçues de la requérante ainsi que des gouvernements danois, français, néerlandais, suédois et du Royaume Uni.

24.
    A la lumière de ces observations, le Tribunal a décidé de mettre fin à la suspension, sans préjudice de la suite qu'il comptait donner à cet incident (voir ci-après points 135 à 139).

25.
    Par décision du 4 juin 1996, il a décidé de renvoyer l'affaire devant la quatrième chambre élargie. Il n'a pas accueilli une demande du Conseil du 20 juin 1996 visant au renvoi de l'affaire devant la formation plénière.

26.
    La procédure écrite a pris fin le 7 avril 1997.

Conclusions des parties

27.
    La requérante, soutenue par le royaume de Danemark et le royaume des Pays-Bas, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    annuler la décision contestée;

—    condamner le Conseil aux dépens.

28.
    Le royaume de Suède conclut à ce qu'il plaise au Tribunal annuler la décision contestée.

29.
    Le Conseil conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    déclarer le recours irrecevable dans son ensemble;

—    à titre subsidiaire, le déclarer irrecevable dans la mesure où il concerne des documents qui ont déjà été obtenus par la requérante et ne contiennent pas de passages effacés;

—    plus subsidiairement encore, le rejeter comme non fondé;

—    condamner la requérante aux dépens.

30.
    La République française conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    rejeter le recours;

—    condamner la requérante aux dépens.

31.
    Le Royaume-Uni conclut à ce qu'il plaise au Tribunal rejeter le recours comme irrecevable et, à titre subsidiaire, comme non fondé.

Sur la recevabilité

32.
    Le Conseil invoque plusieurs fins de non-recevoir, tirées respectivement de l'identité de la requérante, du non-respect du délai d'introduction du recours, d'une absence d'intérêt à agir de la requérante et de l'incompétence du Tribunal. Ces fins de non-recevoir seront examinées successivement.

Sur l'identité de la requérante

33.
    Svenska Journalistförbundet est l'union suédoise des journalistes. Elle détient et publie un journal appelé Tidningen Journalisten. L'en-tête de la requête mentionne «Svenska Journalistförbundets tidning» et «Tidningen Journalisten». La requête indique que la requérante est le magazine de Svenska Journalistförbundet, mais le

lien entre les deux entités n'est pas clairement expliqué. Pendant la procédure écrite, Tidningen Journalisten a donc été appelé la «requérante».

Arguments des parties

34.
    En réponse à une question écrite du Tribunal, les conseils de la requérante ont indiqué, par télécopie du 4 août 1997, que le recours devait être considéré comme introduit par Svenska Journalistförbundet, en tant que propriétaire du magazine, puisqu'elle était la seule des deux entités ayant la capacité d'agir en application du droit suédois.

35.
    A l'audience, ils ont ajouté que toute distinction entre Svenska Journalistförbundet et Tidningen Journalisten serait artificielle. Les demande et demande confirmative envoyées au Conseil auraient été présentées sur du papier à en-tête de Svenska Journalistförbundet et Tidningen Journalisten et le Conseil aurait répondu à Svenska Journalistförbundets tidning. Svenska Journalistförbundet aurait donc été partie à l'affaire dès le début.

36.
    Le gouvernement néerlandais estime que ce serait faire preuve d'un excès de formalisme que de considérer qu'un recours engagé par une division indépendante d'une personne morale ne peut être attribué à cette personne morale, étant donné qu'il est clair à présent qu'un mandat adéquat a été délivré pour engager le recours et que les intérêts des parties à la procédure ne sont en aucune manière lésés.

37.
    Dans une lettre du 9 septembre 1997, le Conseil fait valoir que Tidningen Journalisten, qu'il avait considéré comme la requérante en l'espèce, n'avait pas, au vu de la réponse des conseils de la requérante, la capacité d'agir selon le droit suédois.

38.
    Il fait valoir en outre que, même si Svenska Journalistförbundet pouvait se substituer à Tidningen Journalisten, elle ne pouvait pas être considérée comme la destinataire de la réponse du Conseil du 6 juillet 1995 et qu'elle ne serait pas directement et individuellement concernée par cette décision.

39.
    Il demande donc au Tribunal de déclarer le recours irrecevable.

Appréciation du Tribunal

40.
    La première page de la requête fait référence à Tidningen Journalisten et à «Svenska journalistförbundets tidning».

41.
    Le mandat donné aux conseils de la requérante, établi conformément à l'article 44, paragraphe 5, sous b), du règlement de procédure, a été signé par M. Lennart Lund, rédacteur en chef du magazine Tidningen Journalisten, au nom de Svenska Journalistförbundet. A cet égard, a été versé au dossier, en annexe à la télécopie

du 4 août 1997 (voir ci-dessus point 34), un certificat confirmant que Svenska Journalistförbundet avait effectivement chargé M. Lennart Lund d'introduire le présent recours.

42.
    Dans ces circonstances, le recours a été introduit en réalité par Svenska Journalistförbundet en sa qualité de propriétaire de Tidningen Journalisten.

43.
    Svenska Journalistförbundet étant une personne morale dotée par le droit suédois de la capacité d'agir, le Conseil ne peut donc à ce titre invoquer l'irrecevabilité du recours.

44.
    D'ailleurs, ayant adressé ses deux réponses négatives des 1er juin et 6 juillet 1995 à «M. Christoph Andersson, Svenska Journalistförbundets tidning», il ne saurait faire valoir que Svenska Journalistförbundet n'était pas le destinataire de la décision contestée.

Sur le délai d'introduction du recours

Arguments des parties

45.
    Le Conseil doute que le recours ait été introduit dans les délais. Il fait valoir que la requérante a reçu la décision contestée le 10 juillet 1995. Elle aurait alors disposé d'un délai de deux mois à compter de cette date pour introduire une action en annulation.

46.
    Le Conseil relève que, dans sa version alors applicable, l'article 1er de l'annexe II du règlement de procédure prévoyait, en faveur des parties n'ayant pas leur résidence habituelle au grand-duché de Luxembourg, une augmentation des délais de procédure de:

—    deux jours pour le royaume de Belgique;

—    six jours pour la République fédérale d'Allemagne, pour le territoire européen de la République française et pour le territoire européen du royaume des Pays-Bas;

—    dix jours pour le territoire européen du royaume de Danemark, le royaume d'Espagne, l'Irlande, la République hellénique, la République italienne, la République portugaise (à l'exception des Açores et de Madère) et le Royaume-Uni;

—    deux semaines pour les autres pays et territoires d'Europe.

47.
    Le Conseil, soutenu par le gouvernement français, doute que la règle applicable aux autres pays doive également s'appliquer aux États membres de l'Union européenne et considère que la requérante aurait dû introduire son recours en

respectant un délai de distance de dix jours, afin d'éviter toute discrimination entre les requérants des pays plus éloignés du Luxembourg que la Suède quibénéficiaient seulement d'un délai de dix jours.

48.
    La requérante se prévaut des termes mêmes de l'article 1er de l'annexe II dans sa version rappelée ci-dessus et considère qu'ils ne corroborent pas l'affirmation du Conseil. Il n'existerait aucune référence à des «États membres» ou «États non membres». En l'absence de délai de distance spécifique fixé pour la Suède, celle-ci aurait bénéficié du délai de deux semaines applicable à tous les États européens non spécifiquement cités. L'argument du Conseil quant à la discrimination ne serait pas convaincant, puisque de nombreuses localités en Belgique sont plus éloignées du Luxembourg que ne le sont certaines localités des Pays-Bas, mais que tous les habitants de Belgique bénéficient d'un délai de deux jours, alors que les habitants des Pays-Bas bénéficient tous d'un délai de six jours. Seule l'interprétation de la requérante pourrait satisfaire aux exigences de la sécurité juridique.

49.
    Les gouvernements suédois et néerlandais soutiennent cette interprétation. A l'audience, l'agent du gouvernement suédois a souligné que celui-ci bénéficiait auparavant d'un délai de deux semaines.

Appréciation du Tribunal

50.
    Selon une jurisprudence constante, la réglementation communautaire relative aux délais de procédure doit être rigoureusement respectée par souci de sécurité juridique et en raison de la nécessité d'éviter toute discrimination ou traitement arbitraire dans l'administration de la justice (ordonnance de la Cour du 5 février 1992, France/Commission, C-59/91, Rec. p. I-525, point 8).

51.
    Les termes de l'article 1er de l'annexe II du règlement de procédure, dans sa version applicable lors de l'introduction du recours, ne permettent pas de considérer que le délai de procédure en raison de la distance applicable pour la Suède était de dix jours et non pas de deux semaines. En effet, le délai de dix jours s'appliquait uniquement à certains pays nommément désignés, parmi lesquels ne figurait pas la Suède. Le délai de deux semaines s'appliquait donc aux pays et territoires d'Europe pour lesquels un délai plus court n'avait pas été établi, soit également à la Suède.

52.
    Il s'ensuit que le recours a été introduit dans les délais.

Sur l'intérêt de la requérant à agir en annulation

Arguments des parties

53.
    Le Conseil doute également de la recevabilité du recours en ce qu'il concerne des documents que la requérante avait déjà reçus des autorités suédoises, tout au moins

dans la mesure où ils ne contiennent pas de passages effacés. Le Conseil n'aurait pas été informé que le but de la demande de la requérante était de recenser les éventuels passages effacés de ces documents. L'intérêt de la requérante aurait un caractère général et politique, son intention étant d'assurer que le Conseil mette correctement en oeuvre son propre code de conduite et la décision 93/731.

54.
    Dans ces conditions, bien que le Conseil soit conscient du fait que la requérante est la destinataire de la décision contestée, il doute qu'elle ait été réellement affectée par celle-ci au sens de l'article 173 du traité CE, lequel n'autoriserait pas des actions individuelles dans l'intérêt du public mais permettrait uniquement aux individus de contester des actes qui les concernent d'une manière particulière par rapport à d'autres.

55.
    En l'espèce, la requérante ne pourrait tirer un quelconque bénéfice de l'obtention d'un accès à des documents qui seraient déjà en sa possession. L'insuffisance d'intérêt à obtenir ce résultat constituerait un détournement de procédure.

56.
    Soutenu par le gouvernement français, le Conseil fait valoir que la communication des documents en question par les autorités suédoises à la requérante constitue une infraction à la législation communautaire, puisqu'il n'avait au préalable pas décidé d'autoriser cette divulgation. Il serait contraire au système des voies de recours prévu par la législation communautaire de tirer avantage d'une infraction au droit communautaire pour demander ensuite au Tribunal d'annuler une décision dont les effets ont été contournés au moyen de cette infraction. Le fait que les documents en question soient tombés dans le domaine public à la suite d'un acte contraire au droit communautaire devrait donc interdire à la requérante d'exercer un recours dans cette affaire.

57.
    La requérante répond que le Conseil confond, parmi les règles relatives à la recevabilité, celles concernant les recours en annulation de décisions introduits par leurs destinataires et celles concernant les recours en annulation de règlements introduits par certains particuliers. Les destinataires de décisions devraient prouver avoir un intérêt à introduire un recours, mais ne seraient pas tenus d'établir qu'ils sont individuellement concernés.

58.
    En l'espèce, la requérante aurait un intérêt suffisant à agir et cet intérêt n'aurait un caractère ni politique ni général. Elle souligne que Tidningen Journalisten publie des articles sur des sujets spécifiques d'intérêt général ainsi que sur le fonctionnement des administrations publiques et sur d'autres questions concernant la manière dont les journalistes suédois peuvent exercer leurs activités. Pour cette raison, elle aurait un intérêt direct à obtenir l'accès aux documents du Conseil et, en cas de refus pour des motifs démontrant une application erronée des règles pertinentes, à obtenir l'annulation de la décision concernée, pour s'assurer que l'institution modifiera sa position dans le futur. Le fait d'avoir reçu des documents d'une autre source ne signifierait donc pas un manque d'intérêt à agir de la part de la requérante.

59.
    Dans la mesure où le Conseil considère que les documents obtenus auprès des autorités suédoises sans son autorisation préalable ont été obtenus illégalement, la requérante aurait un motif supplémentaire justifiant que sa requête soit déclarée recevable, même en ce qui concerne les documents intégralement communiqués par les autorités suédoises. A défaut, l'usage que la requérante pourrait faire de ces documents serait mis en doute.

60.
    La requérante rejette aussi l'argument du Conseil selon lequel l'intérêt insuffisant qu'elle aurait dans la présente affaire serait constitutif d'un abus de procédure. Elle explique que, au moment où elle a sollicité un accès aux documents du Conseil, elle n'avait demandé et reçu de la direction nationale de la police que 8 des 20 documents en cause. Les 12 autres documents auraient été demandés au ministère de la Justice suédois le jour même de la demande présentée au Conseil aux fins de l'accès aux 20 documents. En outre, une partie importante des documents reçus aurait semblé comporter des passages effacés. La requérante n'aurait donc eu aucune assurance d'avoir reçu tous les documents dans leur version intégrale. Le Conseil lui-même n'aurait pas indiqué au Tribunal quels documents contiennent des passages effacés, bien qu'il ait suggéré au Tribunal de déclarer la requête irrecevable dans la mesure où elle concerne des documents communiqués ne contenant pas de tels passages. La requérante ne serait donc pas en mesure de savoir quels documents ne contiennent aucun passage effacé.

61.
    Le gouvernement suédois soutient les arguments de la requérante sur la recevabilité. Il ne partage pas l'avis du Conseil quant à l'illégalité de la communication des documents en Suède au regard du droit communautaire. Il n'existerait aucune règle communautaire implicite, reposant sur une tradition juridique commune, selon laquelle l'auteur d'un document serait seul compétent pour décider de la communication de ce document.

62.
    Le gouvernement néerlandais rejette l'argument du Conseil quant au manque d'intérêt à agir de la requérante. La décision 93/731 aurait été adoptée explicitement dans l'intérêt public. La requérante ne serait dès lors pas obligée de justifier d'un intérêt particulier pour s'en prévaloir. Le recours viserait en l'espèce à préserver ses droits de destinataire de la décision litigieuse. Il ne s'agirait pas d'une action introduite dans l'intérêt général. La requérante disposerait d'un intérêt à prévenir l'application future par le Conseil d'une politique restrictive à l'égard de ses demandes d'accès à des documents. En outre, l'allégation du Conseil selon laquelle la requérante disposerait des documents en violation du droit communautaire impliquerait déjà l'existence d'un intérêt légitime à agir. Il irait de soi que l'intérêt que reconnaît la décision 93/731 concerne l'accès légal à un document.

63.
    Le gouvernement du Royaume-Uni fait valoir que le recours est irrecevable parce que la requérante n'a pas un intérêt suffisant à la solution du litige. Ce recours constituerait donc un détournement de procédure. Aucune des raisons données par

la requérante ne suffirait pour justifier un intérêt à entamer un recours en vertu de l'article 173 du traité CE.

Appréciation du Tribunal

64.
    La requérante est la destinataire de la décision contestée. En tant que telle, elle n'est pas obligée d'établir que ladite décision la concerne individuellement et directement. Il suffit qu'elle établisse un intérêt à l'annulation de cette décision.

65.
    En ce qui concerne la décision 94/90/CECA, CE, Euratom de la Commission, du 8 février 1994, relative à l'accès du public aux documents de la Commission (JO L 46, p. 58, ci-après «décision 94/90»), le Tribunal a déjà jugé qu'il résulte de son économie qu'elle a vocation à s'appliquer d'une manière générale aux demandes d'accès aux documents et que, en vertu de cette décision, toute personne peut demander à avoir accès à n'importe quel document de la Commission non publié, sans qu'il soit nécessaire de motiver la demande (voir arrêt du Tribunal du 6 février 1998, Interporc/Commission, T-124/96, non encore publié au Recueil, point 48).

66.
    La décision 93/731 a pour but de traduire le principe d'un accès aussi large que possible des citoyens à l'information, en vue de renforcer le caractère démocratique des institutions ainsi que la confiance du public dans l'administration. Pas plus que la décision 94/90, elle ne subordonne à une justification particulière l'accès du public aux documents demandés.

67.
    Par conséquent, une personne qui s'est vu refuser l'accès à un document ou à une partie d'un document a déjà, de ce seul fait, un intérêt à l'annulation de la décision de refus.

68.
    En l'espèce, la décision contestée a refusé l'accès à 16 des 20 documents demandés. Dès lors, la requérante a un intérêt à l'annulation de cette décision.

69.
    Le fait que les documents demandés soient tombés dans le domaine public est sans pertinence à cet égard.

Sur la compétence du Tribunal

Arguments des parties

70.
    Le gouvernement français fait valoir que la décision contestée est relative au régime d'accès à des documents adoptés sur la base des dispositions du titre VI du traité UE. Or, aucune disposition de ce titre ne viendrait réglementer les conditions d'accès aux documents adoptés sur la base de ses dispositions. En l'absence de disposition expresse, la décision 93/731, adoptée sur la base de l'article 151, paragraphe 3, du traité CE, ne serait pas applicable aux actes adoptés sur la base du titre VI du traité UE.

71.
    Le gouvernement du Royaume-Uni fait valoir que la compétence du Tribunal ne s'étend pas à la matière du titre VI du traité UE et donc à la question, posée en l'espèce, de l'accès à des documents relatifs à ces matières. La justice et les affaires intérieures ne relèveraient pas du domaine d'application du traité CE, mais de la coopération intergouvernementale. Il ressortirait clairement de l'article E du traité UE que, en ce qui concerne la justice et les affaires intérieures, les institutions en question exercent leurs attributions dans les conditions et aux fins prévues par le titre VI du traité UE. Lorsqu'elles exercent ces attributions, elles relèveraient du domaine de ce dernier titre et non de celui du traité CE. Il ressortirait de l'article L du traité UE que les dispositions du traité CE relatives à la compétence ne sont pas applicables au titre VI du traité UE. La compétence du Tribunal serait donc exclue tant pour les questions procédurales que pour les questions de fond. De toute façon, il serait fréquemment impossible de distinguer ces deux types de questions.

72.
    Le gouvernement du Royaume-Uni admet que la décision 93/731 s'applique à des documents relevant du titre VI, mais considère qu'il ne s'ensuit pas que le Tribunal puisse connaître d'un refus d'accorder accès à de tels documents. En particulier, le Tribunal ne pourrait pas exercer sa juridiction au motif que la décision 93/731 a été adoptée sur la base de l'article 151 du traité CE. L'article 7, paragraphe 3, de cette décision serait sans pertinence à cet égard, puisque la référence à la possibilité d'un recours en vertu de l'article 173 du traité CE ne pourrait avoir pour effet d'élargir la compétence du Tribunal.

73.
    Selon la requérante, il ressortirait expressément de la décision 93/731 elle-même que le Tribunal est compétent pour juger des litiges relevant de l'application de cette décision, celle-ci précisant que ses dispositions sont applicables à tout document détenu par le Conseil. Le critère d'application de la décision 93/731 serait donc le fait qu'un document soit détenu par le Conseil, indépendamment de son sujet, hormis les documents établis par des personnes étrangères au Conseil. Dans son arrêt du 19 octobre 1995, Carvel et Guardian Newspapers/Conseil (T-194/94, Rec. p. II-2765), le Tribunal aurait annulé une décision par laquelle le Conseil avait refusé aux requérants l'accès à des décisions adoptées par le Conseil «affaires intérieures et justice», sans que le Conseil eût contesté, dans cette affaire, la compétence du Tribunal pour examiner un refus d'accès à des documents relevant du titre VI du traité UE.

74.
    Cet argument est soutenu par les gouvernements suédois, danois et néerlandais. Bien qu'incompétent pour apprécier la légalité des documents relevant du titre VI du traité UE, le Tribunal serait compétent pour se prononcer en matière d'accès du public auxdits documents.

75.
    Le gouvernement néerlandais ajoute que la décision contestée n'a pas été prise sur la base du titre VI du traité UE et que ce titre ne forme pas non plus la base juridique de la décision 93/731. Le Tribunal ne serait donc pas appelé à statuer

dans un litige relevant de la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures en tant que telle.

Appréciation du Tribunal

76.
    Avant d'examiner la fin de non-recevoir soulevée par les gouvernements français et du Royaume-Uni, il y a lieu d'en apprécier la recevabilité au regard du règlement de procédure.

77.
    Le Conseil n'a pas soulevé cette fin de non-recevoir lors de la procédure écrite. Or, les conclusions d'une requête en intervention ne peuvent avoir d'autre objet que le soutien des conclusions de l'une des parties au litige [article 37, dernier alinéa, du statut (CE) de la Cour, applicable au Tribunal en vertu de l'article 46 dudit statut].

78.
    Il en résulte que les gouvernements français et du Royaume-Uni n'ont pas qualité pour soulever une exception d'irrecevabilité et que le Tribunal n'est donc pas tenu d'examiner les moyens qu'ils ont invoqués à cet égard (voir arrêt de la Cour du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission, C-313/90, Rec. p. I-1125, point 22).

79.
    Toutefois, en vertu de l'article 113 du règlement de procédure, le Tribunal peut, à tout moment, examiner d'office les fins de non-recevoir d'ordre public, y compris celles invoquées par les parties intervenantes (arrêt du Tribunal du 24 octobre 1997, EISA/Commission, T-239/94, Rec. p. II-1839, point 26).

80.
    La fin de non-recevoir soulevée par les gouvernements français et du Royaume-Uni soulève une question d'ordre public, dans la mesure où elle concerne la compétence du Tribunal. Elle peut donc être examinée d'office par le Tribunal.

81.
    A cet égard, il ressort expressément des articles 1er, paragraphe 2, et 2, paragraphe 2, de la décision 93/731 que celle-ci est applicable à tout document du Conseil. L'application de la décision 93/731 est donc indépendante du sujet dudit document.

82.
    En outre, conformément à l'article K.8, paragraphe 1, du traité UE, les actes pris en application de l'article 151, paragraphe 3, du traité CE, qui constitue la base juridique de la décision 93/731, sont applicables aux dispositions relatives aux domaines visés au titre VI du traité UE.

83.
    Ainsi, la décision 93/662/CE du Conseil, du 6 décembre 1993, portant adoption de son règlement intérieur (JO L 304, p. 1), arrêtée sur la base, notamment, de l'article 151, paragraphe 3, du traité CE, s'applique également aux réunions du Conseil concernant le titre VI du traité UE.

84.
    Pareillement, la décision 93/731 doit s'appliquer aux documents relevant du titre VI du traité UE, en l'absence de disposition contraire de ladite décision.

85.
    La circonstance que le Tribunal n'est pas, en vertu de l'article L du traité UE, compétent pour apprécier la légalité des actes relevant du titre VI de celui-ci, ne fait pas obstacle à sa compétence pour se prononcer en matière d'accès du public auxdits actes. L'appréciation de la légalité de la décision contestée entre dans sa compétence pour contrôler, au titre de l'article 173 du traité CE, la légalité des décisions adoptées par le Conseil en application de la décision 93/731. Elle ne porte nullement sur la coopération intergouvernementale dans les domaines de la justice et des affaires intérieures en tant que telle. Au demeurant, le Conseil lui-même a attiré l'attention de la requérante sur la possibilité d'attaquer sa décision au moyen d'un recours fondé sur l'article 173 du traité CE (voir ci-dessus point 18).

86.
    La circonstance que les documents relèvent du titre VI du traité UE doit être prise en compte uniquement dans la mesure où leur contenu pourrait éventuellement relever de l'une ou de plusieurs des exceptions prévues par la décision 93/731. Dans ce cas, il s'agit de l'examen au fond de la légalité de la décision de refus d'accès prise par le Conseil et non pas de la recevabilité du recours en tant que telle.

87.
    Il découle de tout ce qui précède que le recours est recevable.

     Sur le fond

88.
    La requérante soulève cinq moyens d'annulation de la décision litigieuse, tirés respectivement d'une violation du principe fondamental du droit communautaire reconnaissant aux citoyens de l'Union européenne un accès le plus vaste et le plus complet possible aux documents des institutions communautaires, d'une violation du principe de protection de la confiance légitime, d'une violation de l'article 4, paragraphe 1, de la décision 93/731, d'une violation de l'article 4, paragraphe 2, de la même décision et d'une violation de l'article 190 du traité CE.

89.
    Le Tribunal examinera d'abord, ensemble, les troisième et cinquième moyens.

Sur les troisième et cinquième moyens réunis, tirés d'une violation de l'article 4, paragraphe 1, de la décision 93/731 et d'une violation de l'article 190 du traité CE

Arguments des parties

— Sur la violation de l'article 4, paragraphe 1, de la décision 93/731

90.
    La requérante fait valoir que le Conseil n'a pas opéré une estimation concrète de l'impact probable que l'accès aux documents demandés pouvait avoir sur la sécurité publique dans l'Union européenne. Bien au contraire, le fait qu'une demande confirmative ait été nécessaire pour que le Conseil accepte de divulguer l'un des documents, qui avait déjà été transmis au Parlement européen et était ainsi totalement dans le domaine public, serait à cet égard particulièrement choquant.

91.
    En l'absence d'une définition, dans la décision 93/731, de la notion de sécurité publique, la requérante suggère la définition suivante: «documents ou extraits de documents dont l'accès offert au public exposerait les citoyens de la Communauté, les institutions de la Communauté ou les autorités des États membres au terrorisme, à la criminalité, à l'espionnage, aux insurrections, à la subversion et à la révolution, ou ferait directement obstacle aux efforts des autorités visant à prévenir de telles activités; de tels documents ou extraits de documents seront déclarés inaccessibles sur base de l'exception relative à la sécurité publique».

92.
    Elle présente ensuite une description précise du contenu de tous les documents demandés qui se trouvent en sa possession, au soutien de sa thèse selon laquelle l'exception tirée de la protection de la sécurité publique a été appliquée de manière illégale par le Conseil.

93.
    Elle rejette l'affirmation du Conseil selon laquelle il ne serait pas de l'intérêt de la sécurité publique de permettre à ceux qui participent à des activités illicites d'obtenir une connaissance précise des structures et moyens dont dispose la coopération policière dans l'Union européenne. Cette affirmation n'aurait absolument aucun rapport avec le contenu effectif des documents en question. La requérante rappelle que les deux documents auxquels les autorités suédoises avaient refusé l'accès concernaient, non pas la sécurité publique, mais les positions adoptées au cours des négociations par le royaume des Pays-Bas et la République fédérale d'Allemagne.

94.
    Le Conseil nie avoir considéré que tous les documents ayant trait à Europol sont couverts par l'exception tenant à la sécurité publique. Le fait que quatre documents ont été divulgués montrerait qu'une évaluation concrète a bien été effectuée, dont le résultat a été que certains des documents demandés ont pu être communiqués et d'autres non.

95.
    Le Conseil, soutenu par les gouvernements français et du Royaume-Uni, fait valoir qu'il n'est en aucun cas nécessaire d'adopter une définition restrictive de la sécurité publique aux fins de l'application de la décision 93/731. La notion de sécurité publique devrait être définie de manière souple afin de tenir compte des changements de circonstances. En tout état de cause, seul le Conseil lui-même serait en mesure d'apprécier si la divulgation d'un document particulier peut ou non porter atteinte à la protection de l'intérêt public (sécurité publique).

96.
    Cela vaudrait d'autant plus pour les documents traitant exclusivement de questions relevant des titres V et VI du traité UE. Le Conseil ne doute pas que, si le Tribunal s'estimait compétent pour connaître des questions concernant l'accès à des documents traitant exclusivement de questions relevant du titre VI du traité UE, il s'abstiendrait néanmoins de substituer son appréciation à celle du Conseil sur ce point.

97.
    Le Conseil considère que le résumé fait par la requérante des documents en question n'est ni objectif ni précis.

98.
    Le gouvernement suédois conteste la description donnée par le Conseil de la façon dont le groupe «information» et le Coreper ont traité la demande d'accès aux documents en cause en l'espèce.

99.
    En particulier, les documents sollicités n'auraient pas été mis à la disposition du représentant suédois au sein du groupe «information» avant la réunion de celui-ci. La question n'aurait pu être préparée de manière satisfaisante dans le court délai imparti.

100.
    Quant au Coreper, la seule question sur laquelle il aurait pris position aurait été celle de savoir si la décision concernant la demande de communication pouvait être prise suivant la procédure écrite. Lors du vote du Coreper du 5 juillet 1995, le gouvernement suédois ainsi que quatre autres États membres se seraient abstenus. Le gouvernement suédois aurait d'ailleurs fait une déclaration exprimant son mécontentement quant au mode de traitement de l'affaire.

101.
    Le gouvernement danois partage en grande partie les critiques formulées par le gouvernement suédois concernant ce mode de traitement. L'appréciation des différents documents à laquelle le Conseil a procédé n'aurait eu qu'un caractère formel. Au sein du secrétariat du Conseil, on aurait d'abord examiné les possibilités de dérogation inscrites à l'article 4, paragraphe 1, de la décision 93/731. On aurait alors estimé que l'exception tirée de la protection de la sécurité publique pouvait motiver de manière générale le secret de documents relatifs à Europol. L'examen de la demande confirmative aurait fait naître un doute sur le point de savoir si cette exception pouvait vraiment être utilisée de manière générale pour motiver le refus d'accès auxdits documents. Il aurait donc été décidé, à titre de position de repli, de fonder les motifs sur les considérations très générales de l'article 4, paragraphe 2, de la décision 93/731. Les débats au secrétariat du Conseil n'auraient pas été concentrés sur le point de savoir si la publication des documents engendrerait un risque de conséquences concrètes dommageables pour la sécurité publique ou la confidentialité.

102.
    Le gouvernement néerlandais, après avoir examiné les documents en cause, estime que l'intérêt de la sécurité publique ne peut en aucun cas justifier un refus d'accès auxdits documents. Il réserve cependant son opinion en ce qui concerne un document qu'il n'a pas en sa possession. Selon lui, pour apprécier si le Conseil était fondé à refuser l'accès aux documents concernés pour des raisons de sécurité publique, il faut examiner pour chaque document si sa divulgation porterait atteinte aux intérêts fondamentaux de la Communauté ou des États membres au point de mettre en danger leur existence. Il relève que, en ce qui concerne quatre documents au moins, le Conseil a accepté de les fournir ultérieurement à un

journaliste, M. T. Le refus d'accès à ces documents opposé à la requérante constituerait donc une discrimination arbitraire.

103.
    Le Conseil insiste sur le fait que la teneur des documents a bel et bien été examinée. Rien ne prouverait que l'abstention d'autres membres du Conseil était fondée sur les mêmes raisons que celles du gouvernement suédois. Aucun État membre n'aurait voté contre la décision confirmative ni ne se serait associé à la déclaration du gouvernement suédois.

— Sur la violation de l'article 190 du traité CE

104.
    La requérante fait valoir que le refus, formulé en une seule phrase, d'accorder un accès à 16 des 20 documents ne respecte pas les dispositions de l'article 190 du traité CE ni l'article 7, paragraphe 3, de la décision 93/731. Il lui aurait été effectivement impossible de déterminer si ce refus devait être contesté devant le Tribunal. Il ne serait pas davantage possible pour le Tribunal de déterminer si le Conseil a appliqué de manière correcte les exceptions susmentionnées. C'est seulement parce que la requérante avait en sa possession, totalement ou partiellement, l'essentiel des documents sollicités, qu'elle aurait pu démontrer que le Conseil a appliqué lesdites exceptions de manière illégale dans la présente affaire. La requérante demande au Tribunal d'examiner les documents concernés pour apprécier le bien-fondé de la décision du Conseil de se prévaloir des exceptions qu'il invoque.

105.
    Le Conseil, soutenu par les gouvernements français et du Royaume-Uni, fait valoir que la motivation donnée dans la décision contestée fait ressortir l'essentiel de l'objectif du Conseil. Sa décision serait donc dûment motivée. Il serait excessif d'exiger une motivation spécifique pour chacun des choix techniques qu'il a opérés. S'il était nécessaire de fournir une motivation très détaillée dans le cas des réponses négatives à des demandes d'accès, les objectifs qui sous-tendent l'article 4, paragraphe 1, de la décision 93/731 seraient compromis. La décision 93/731 prévoirait des délais très courts pour la réponse aux demandes. En conséquence, lorsque les demandes portent sur plusieurs documents comprenant un grand nombre de pages, la motivation susceptible d'être fournie serait par la force des choses plutôt plus brève que la motivation donnée en réponse à des demandes d'une portée plus limitée. En outre, les documents demandés auraient contenu un élément commun essentiel très clair.

106.
    Le gouvernement suédois soutient que la mise en balance de l'intérêt du Conseil à préserver le secret de ses délibérations et de l'intérêt du public à avoir accès aux documents doit être opérée spécifiquement pour chaque document et que la décision contestée est insuffisamment motivée. Le Conseil n'indiquerait pas si les deux motifs avancés sont applicables à l'ensemble des documents ou, si tel n'était pas le cas, lequel ou lesquels de ces motifs sont applicables aux différents documents. Le public aurait le droit, à partir de circonstances spécifiques à chaque

procédure ou affaire, de savoir pourquoi l'accès à un document particulier est refusé.

107.
    Le gouvernement danois fait valoir qu'il n'est pas suffisant de renvoyer de manière générale aux possibilités de dérogations et de reproduire les termes de la décision 93/731. On ne pourrait valablement motiver un refus au titre de l'article 4, paragraphe 1, de cette décision en faisant valoir, de manière générale, qu'un certain intérêt visé au paragraphe 1 est affecté. De même, la faculté de dérogation relative au secret, énoncée à l'article 4, paragraphe 2, ne pourrait justifier un refus opposé à titre général. Le principe d'appréciation concrète serait applicable. Dans certains cas, le Conseil pourrait être tenu de fournir des documents occultant les renseignements dont la protection serait nécessaire au titre de l'article 4.

108.
    Le gouvernement néerlandais fait également valoir que la raison pour laquelle le Conseil a refusé l'accès aux divers documents est obscure. La décision litigieuse se bornerait à répéter les critères de l'article 4 de la décision 93/731, sans préciser les documents qui ont été refusés sur la base de l'article 4, paragraphe 1, et ceux qui l'ont été sur la base de l'article 4, paragraphe 2. En outre, concernant les documents qui auraient été refusés pour préserver le secret des délibérations du Conseil, la décision contestée ne permettrait pas de constater que les intérêts ont été dûment mis en balance.

Appréciation du Tribunal

109.
    La décision 93/731 est un acte conférant aux citoyens un droit d'accès aux documents détenus par le Conseil. Il résulte de son économie qu'elle s'applique d'une manière générale aux demandes d'accès aux documents et que toute personne peut demander l'accès à n'importe quel document du Conseil, sans qu'il soit nécessaire de motiver la demande (voir ci-dessus point 65).

110.
    Deux catégories d'exceptions au principe général d'accès des citoyens aux documents du Conseil figurent dans l'article 4 de cette décision. Ces exceptions doivent être interprétées et appliquées de façon restrictive, afin de ne pas tenir en échec l'application du principe général consacré dans cette décision (voir, pour les dispositions correspondantes de la décision 94/90, arrêt du Tribunal du 5 mars 1997, WWF UK/Commission, T-105/95, Rec. p. II-313, point 56).

111.
    Le libellé de la première catégorie d'exceptions, rédigé dans des termes impératifs, prévoit que l'accès à un document du Conseil ne peut être accordé lorsque sa divulgation pourrait porter atteinte à la protection de l'intérêt public (sécurité publique, relations internationales, stabilité monétaire, procédures juridictionnelles, activités d'inspection et d'enquête) (voir ci-dessus point 7). Il s'ensuit que le Conseil est obligé de refuser l'accès aux documents relevant de l'une des exceptions figurant dans cette première catégorie, lorsque la preuve de cette dernière

circonstance est rapportée (voir arrêt Carvel et Guardian Newspapers/Conseil, précité, point 64).

112.
    Toutefois, il résulte de l'utilisation du verbe pouvoir au conditionnel présent que, pour apporter la preuve que la divulgation de certains documents «pourrait» porter atteinte à la protection de l'intérêt public, le Conseil est tenu d'examiner, pour chaque document auquel l'accès est sollicité, si, au regard des informations dont il dispose, la divulgation est effectivement susceptible de porter atteinte à l'un des aspects de l'intérêt public protégé par la première catégorie d'exceptions. Si tel est le cas, il est tenu de refuser l'accès au document en question (arrêt Interporc/Commission, précité, point 52, et arrêt du Tribunal du 19 mars 1998, van der Wal/Commission, T-83/96, non encore publié au Recueil, point 43).

113.
    En revanche, le libellé de la seconde catégorie, rédigé dans des termes qui ouvrent une faculté, prévoit que le Conseil peut aussi refuser l'accès pour protéger le secret de ses délibérations (voir ci-dessus point 8). Il s'ensuit que le Conseil jouit d'un pouvoir d'appréciation lui permettant de rejeter, le cas échéant, une demande d'accès à des documents ayant trait à ses délibérations. Il doit néanmoins exercer ce pouvoir d'appréciation en mettant réellement en balance, d'une part, l'intérêt du citoyen à obtenir un accès à ces documents et, d'autre part, son intérêt éventuel à préserver le secret de ses délibérations (voir arrêt Carvel et Guardian Newspapers/Conseil, précité, points 64 et 65).

114.
    Il est également en droit d'invoquer conjointement une exception relevant de la première catégorie et une exception relevant de la seconde catégorie pour refuser de donner accès aux documents qu'il détient, aucune disposition de la décision 93/731 ne le lui interdisant. En effet, il ne saurait être exclu que la divulgation de certains documents par le Conseil porte préjudice à la fois à l'intérêt protégé par la première catégorie d'exceptions et à l'intérêt du Conseil à préserver le secret de ses délibérations (arrêt WWF UK/Commission, précité, point 61).

115.
    A la lumière de ces éléments, il convient d'examiner si la décision contestée répond aux exigences de motivation résultant de l'article 190 du traité CE.

116.
    L'obligation de motiver les décisions individuelles a pour double objectif de permettre, d'une part, aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre leurs droits et, d'autre part, au juge communautaire d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision (voir, notamment, arrêt de la Cour du 14 février 1990, Delacre e.a./Commission, C-350/88, Rec. p. I-395, point15, et arrêt du Tribunal du 12 janvier 1995, Branco/Commission, T-85/94, Rec. p. II-45, point 32).

117.
    La motivation d'une décision refusant l'accès à des documents doit ainsi contenir, à tout le moins pour chaque catégorie de documents concernée, les raisons spécifiques pour lesquelles le Conseil considère que la divulgation des documents demandés tombe sous le coup d'une des exceptions prévues par la décision 93/731

(arrêts WWF UK/Commission, précité, points 64 et 74, et Interporc/Commission, précité, point 54).

118.
    Dans la décision contestée (voir ci-dessus point 18), le Conseil indique simplement que la divulgation des 16 documents en question porterait atteinte à l'intérêt public (sécurité publique) et que ces documents concerneraient des délibérations du Conseil, y compris les opinions défendues par des membres du Conseil, et tomberaient pour cette raison dans le champ de l'obligation de confidentialité.

119.
    Bien que le Conseil invoque à la fois l'exception impérative, tirée de la protection de l'intérêt public (sécurité publique) et l'exception facultative, tirée de la protection du secret de ses délibérations, il ne précise pas s'il invoque cumulativement les deux exceptions en ce qui concerne tous les documents refusés ou s'il considère que certains documents étaient couverts par la première exception et d'autres par la seconde.

120.
    Il y a lieu d'observer que, le refus initial contenu dans la lettre du 1er juin 1995 était fondé uniquement sur «le principe de confidentialité tel qu'il est repris à l'article 4, paragraphe 1, de la décision 93/731», mais que le Conseil a néanmoins accordé l'accès à deux documents supplémentaires lors de son examen de la demande confirmative, à savoir un rapport sur les activités de l'unité des drogues d'Europol (document n° 4533/95) et un ordre du jour provisoire d'une réunion du comité K.4 (document n° 4135/95), documents relevant évidemment des activités du Conseil dans le cadre du titre VI du traité UE. A cet égard, si le fait que de tels documents relevaient du titre VI du traité UE impliquait déjà qu'ils fussent couverts par l'exception tirée de la protection de l'intérêt public (la sécurité publique), le Conseil n'aurait pas pu accorder l'accès à ces documents. En outre, en estimant qu'il avait la faculté d'accorder l'accès à ces deux documents, après avoir mis en balance les intérêts en cause, le Conseil a nécessairement considéré que tous les documents relevant du titre VI ne relevaient pas automatiquement de la première exception tirée de la protection de l'intérêt public (sécurité publique). Au demeurant, le Conseil admet lui-même qu'il ne considérait pas que tous les documents ayant trait à Europol étaient couverts par l'exception liée à la sécurité publique.

121.
    La jurisprudence de la Cour montre que la notion de sécurité publique n'a pas une seule et unique signification. Cette notion couvre à la fois la sécurité intérieure d'un État membre et sa sécurité extérieure (arrêt de la Cour du 17 octobre 1995, Werner, C-70/94, Rec. p. I-3189, point 25), ainsi qu'une interruption de l'approvisionnement en produits essentiels, tels les produits pétroliers, et les risques qui en résultent pour l'existence d'un État (arrêt de la Cour du 10 juillet 1984, Campus Oil e.a., 72/83, Rec. p. 2727, point 34). Elle peut également couvrir les situations dans lesquelles l'accès du public à certains documents ferait directement obstacle aux efforts des autorités visant à prévenir des activités criminelles, comme le soutient la requérante.

122.
    Or, la note de M. Elsen (voir ci-dessus point 15) montre que la plupart des documents auxquels l'accès a été refusé ne concernaient que les négociations en vue d'adopter la convention Europol, en particulier les propositions de la présidence et d'autres délégations faites dans le cadre de ces négociations, et non pas les activités opérationnelles d'Europol. Dès lors, en l'absence d'indication par le Conseil des raisons pour lesquelles la divulgation des documents serait effectivement susceptible de porter atteinte à un aspect quelconque de la sécurité publique, la requérante n'a pas été en mesure de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre ses droits. Il s'ensuit que le Tribunal est lui-même dans l'impossibilité d'apprécier les raisons pour lesquelles les documents refusés relèveraient de l'exception tirée de la protection de l'intérêt public (sécurité publique) et non pas de l'exception tirée de la protection du secret des délibérations du Conseil.

123.
    Le Conseil ne saurait prétendre que, en l'espèce, il ne pouvait pas expliquer pourquoi cette exception était applicable sans compromettre la fonction essentielle de l'exception en cause, telle qu'elle résulte de la nature même de l'intérêt public qui doit être protégé et du caractère obligatoire de cette exception. En effet, la note de M. Elsen démontre clairement qu'il était possible de donner une indication quant aux raisons pour lesquelles certains documents ne devaient pas être divulgués à la requérante, sans pour autant divulguer le contenu de ceux-ci.

124.
    Enfin, en ce qui concerne l'exception tirée de la protection du secret des délibérations, le Conseil n'a pas spécifiquement indiqué dans la décision contestée que tous les documents visés par la demande d'accès étaient couverts par l'exception tirée de la protection de l'intérêt public (voir ci-dessus point 119). La requérante ne pouvait donc exclure que l'accès à une partie des documents en cause lui était refusé parce qu'ils étaient couverts par la seule exception tirée de la protection du secret des délibérations.

125.
    Le contenu de la décision contestée ne permet cependant pas à la requérante, et par conséquent au Tribunal, de vérifier si le Conseil a observé son obligation de mettre réellement en balance les intérêts en présence, résultant de l'article 4, paragraphe 2, de la décision 93/731. En effet, la décision contestée se réfère uniquement au fait que les documents demandés concernaient les délibérations du Conseil, y compris les opinions défendues par des membres du Conseil, sans indiquer si celui-ci a fait une analyse comparative mettant en balance, d'une part, les intérêts des citoyens demandant des informations et, d'autre part, les critères de confidentialité des délibérations du Conseil (arrêt Carvel et Guardian Newspapers/Conseil, précité, point 74).

126.
    En outre, la première réponse du Conseil, d'ailleurs envoyée à la requérante en français bien que celle-ci eût rédigé sa première demande en allemand, se limite à viser les dispositions de l'article 4, paragraphe 1, de la décision 93/731, au soutien de sa thèse selon laquelle les documents auraient été soumis «au principe de confidentialité». Elle ne permet donc pas non plus à la requérante et au Tribunal

de vérifier si le Conseil a réellement mis en balance les intérêts en présence au stade de l'examen de la première demande de la requérante.

127.
    Il découle de tout ce qui précède que la décision contestée ne répond pas aux exigences de motivation de l'article 190 du traité CE et doit être annulée, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens invoqués par la requérante ni d'examiner le contenu des documents eux-mêmes.

Sur la demande du gouvernement néerlandais tendant à ce que le Tribunal invite la Cour à produire une note établie par les services

128.
    Le gouvernement néerlandais demande que le Tribunal invite la Cour à produire une note établie par son service de la recherche et documentation aux fins de l'arrêt de la Cour du 30 avril 1996, Pays-Bas/Conseil (C-58/94, Rec. p. I-2169).

129.
    Le présent arrêt n'étant pas fondé sur cette note, il n'y a pas lieu de statuer sur cette demande.

     Sur la divulgation du mémoire en défense sur le réseau Internet

Arguments des parties

130.
    Comme cela a été indiqué au point 22 ci-dessus, par lettre reçue le 3 avril 1996, le Conseil a attiré l'attention du Tribunal sur le fait que certains documents pertinents, en particulier son mémoire en défense dans la présente affaire, avaient été divulgués sur le réseau Internet. Selon lui, le comportement de la requérante a constitué une atteinte au déroulement ordonné de la procédure. Il a insisté particulièrement sur le fait que le texte du mémoire en défense avait été modifié par la requérante avant son introduction sur le réseau Internet. En outre, les noms et les coordonnées des agents responsables du Conseil auraient été indiqués, le public étant invité à leur envoyer d'éventuels commentaires sur l'affaire. Le Conseil a demandé au Tribunal de prendre les mesures appropriées afin d'éviter d'autres actions similaires de la part de la requérante.

131.
    Par lettre reçue le 3 mai 1996, les conseils de la requérante ont expliqué qu'ils n'avaient joué aucun rôle dans la divulgation sur le réseau Internet du mémoire en défense et d'autres documents concernant l'affaire. Ils n'auraient eu aucune connaissance de ces faits avant la réception de la lettre du greffe du Tribunal. Ils auraient aussitôt prié la requérante de retirer tous les documents du réseau informatique en cause et l'auraient informée qu'ils ne se sentiraient plus en mesure de la représenter si cela n'était pas fait.

132.
    Par observations reçues le 24 mai 1996, la requérante a confirmé qu'elle avait publié les documents sur le réseau Internet sans en informer ses représentants. Elle a expliqué que la modification du mémoire en défense avait des raisons purement

pratiques et que le but de cette modification n'était pas d'altérer le contenu du mémoire ni d'affaiblir la défense du Conseil. Elle aurait cherché seulement à raccourcir le mémoire en omettant de reproduire certains passages, en considération du temps requis pour l'introduction du mémoire sur le réseau Internet. Elle n'aurait nullement eu l'intention de faire pression sur le Conseil. Les noms et les coordonnées des agents du Conseil auraient été inclus simplement parce qu'ils avaient connaissance de l'affaire et non pas pour encourager le public à prendre contact directement avec eux en tant qu'individus.

133.
    La requérante s'est engagée à s'abstenir d'introduire sur le réseau Internet ou de rendre publics de toute autre manière tous nouveaux documents échangés entre les parties dans l'affaire et de se limiter désormais à rendre compte de l'affaire dans les conditions journalistiques habituelles. Elle a ajouté qu'elle avait pris la décision de faire retirer le mémoire en défense du réseau Internet. Cependant, l'introduction du document sur celui-ci aurait été réalisée par une association indépendante, Grävande Journalister (association de journalistes et rédacteurs en chef suédois d'investigation), qui aurait refusé de le retirer. Le droit suédois ne conférant pas à la requérante un moyen légal d'obliger cette association à retirer le mémoire, la responsabilité du maintien du mémoire en défense sur le réseau Internet incomberait donc à celle-ci.

134.
    Par lettre reçue le 28 mai 1996, le gouvernement suédois a expliqué que le chef du service juridique du ministère de la Justice avait reçu de la requérante le mémoire en défense et que, ultérieurement, il en avait fourni une copie à une journaliste, sans objection de la part de la requérante. Ce faisant, il aurait pris en considération le fait qu'un compte rendu détaillé de l'essentiel du mémoire avait déjà été publié par la requérante, dans lequel les noms des agents concernés avaient été indiqués. Un autre facteur de la communication du document à une journaliste aurait été le fait qu'il ne s'agissait pas d'un document remis au gouvernement suédois par une institution communautaire, mais par un particulier qui en disposait et qui avait déjàmontré qu'il était prêt à le diffuser. Le ministère n'aurait donc en aucune manière été mêlé à la publication du mémoire sur le réseau Internet. Cette initiative aurait été considérée comme une provocation.

Appréciation du Tribunal

135.
    En vertu des règles qui gouvernent le traitement des affaires devant le Tribunal, les parties bénéficient d'une protection contre l'usage inapproprié des pièces de procédure. Ainsi, selon l'article 5, paragraphe 3, troisième alinéa, des instructions au greffier du 3 mars 1994 (JO L 78, p. 32), aucune tierce personne, privée ou publique, ne peut accéder au dossier de l'affaire ou aux pièces de procédure sans autorisation expresse du président, les parties entendues. En outre, en application de l'article 116, paragraphe 2, du règlement de procédure, le président peut exclure des pièces secrètes ou confidentielles de la communication à un intervenant à une affaire.

136.
    Ces dispositions reflètent un principe général de bonne administration de la justice en vertu duquel les parties ont le droit de défendre leurs intérêts indépendamment de toute influence extérieure, notamment de la part du public.

137.
    Il s'ensuit qu'une partie qui se voit accorder l'accès aux actes de procédure des autres parties ne peut utiliser ce droit qu'aux fins de la défense de sa propre cause, à l'exclusion de tout autre but tel que celui de susciter des critiques du public concernant les arguments soulevés par les autres parties à l'affaire.

138.
    En l'espèce, il apparaît clairement que les actions de la requérante, à savoir l'introduction d'une version modifiée du mémoire en défense sur le réseau Internet, associée à une invitation du public à envoyer des commentaires aux agents du Conseil, avec indication des numéros de téléphone et de télécopie de ceux-ci, avaient pour but de faire pression sur le Conseil et d'inciter le public à critiquer les agents de l'institution dans l'exercice de leurs fonctions.

139.
    Ces actions constituent un abus de procédure, dont il sera tenu compte dans la répartition des dépens (voir ci-après point 140), étant donné que cet incident, qui a provoqué une suspension de la procédure, a rendu nécessaire des observations spécifiques et supplémentaires de la part de toutes les parties à l'affaire.

Sur les dépens

140.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. En l'espèce, la requérante a conclu à la condamnation du Conseil aux dépens. Toutefois, aux termes de l'article 87, paragraphe 3, du même règlement, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens pour des motifs exceptionnels. Compte tenu de l'abus de procédure retenu à la charge de la requérante, il y a lieu de décider que le Conseil ne supportera que deux tiers des dépens exposés par celle-ci.

141.
    Conformément à l'article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure, les parties intervenantes supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

déclare et arrête:

1)    La décision du Conseil du 6 juillet 1995, refusant à la requérante l'accès à certains documents relatifs à l'Office européen de police (Europol) est annulée.

2)    Le Conseil supportera, outre ses propres dépens, deux tiers des dépens de la requérante.

3)    Le royaume de Danemark, la République française, le royaume des Pays-Bas, le royaume de Suède et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord supporteront leurs propres dépens.

Lenaerts

Lindh
Azizi

    Cooke                                Jaeger

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 juin 1998.

Le greffier

Le président

H. Jung

P. Lindh


1: Langue de procédure: l'anglais.