Language of document : ECLI:EU:T:2023:256

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

17 mai 2023 (*)

« Fonction publique – Agents temporaires – Agents contractuels – Remboursement de frais – Frais de voyage – Conséquences de la sortie du Royaume-Uni de l’Union – Lieu d’origine situé dans un pays tiers – Retrait du droit au bénéfice du paiement forfaitaire annuel des frais de voyage – Erreur d’appréciation – Égalité de traitement »

Dans l’affaire T‑177/22,

Alexander Chambers, demeurant à Barcelone (Espagne), et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe (1), représentés par Me N. de Montigny, avocate,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par M. T. Bohr et Mme M. Brauhoff, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de M. R. da Silva Passos, président, Mmes N. Półtorak et T. Pynnä (rapporteure), juges,

greffier : M P. Cullen, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 16 février 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par leur recours fondé sur l’article 270 TFUE, les requérants, M. Alexander Chambers et les autres personnes physiques dont les noms figurent en annexe, demandent l’annulation de leurs bulletins de salaire du mois de juin 2021, en tant qu’ils permettent de constater que, à la suite de la sortie du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne (ou Brexit), ils n’étaient plus éligibles au paiement forfaitaire annuel des frais de voyage du lieu d’affectation au lieu d’origine (ci-après les « décisions attaquées »).

 Antécédents du litige

2        Les requérants, agents contractuels ou temporaires à l’Entreprise commune européenne pour ITER et le développement de l’énergie de fusion (F4E), sont affectés à Barcelone (Espagne) et sont des ressortissants du Royaume-Uni. Lors de leur entrée en service, leur lieu d’origine a été fixé au Royaume-Uni. Par le passé, ils ont bénéficié du paiement forfaitaire annuel de leurs frais de voyage. Deux d’entre eux, Mme Baljeeta Devi et M. Paul Marshall, détiennent également la nationalité d’un État membre de l’Union. Mme Devi détient la nationalité italienne depuis le 25 mars 2022 et M. Marshall détient la nationalité française depuis le 17 juillet 2020, comme ils l’ont indiqué dans leurs observations en réponse à la question du Tribunal du 30 juin 2022, déposées le 18 juillet 2022.

3        Le 1er février 2020, l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 7, ci-après l’« accord de retrait ») est entré en vigueur. Conformément à l’article 126 de l’accord de retrait, une période de transition a été prévue, pendant laquelle le droit de l’Union restait applicable au Royaume-Uni. Cette période a commencé à la date d’entrée en vigueur de l’accord de retrait et s’est terminée le 31 décembre 2020.

4        Dans les décisions attaquées, les requérants ont constaté que le paiement forfaitaire annuel de leurs frais de voyage n’était pas inclus.

5        Le 9 juin 2021, les requérants ont reçu un courriel du service des ressources humaines de F4E les informant que, à la suite du Brexit, ils n’étaient plus éligibles au paiement forfaitaire annuel de leurs frais de voyage, conformément à l’article 8 de l’annexe VII du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »).

6        Le 30 août 2021, les requérants ont introduit une réclamation contre les décisions attaquées et la décision du 9 juin 2021 visée au point 5 ci-dessus.

7        La Commission européenne a rejeté cette réclamation par décision du 22 décembre 2021 (ci-après la « décision de rejet de la réclamation »), notifiée aux requérants le 3 janvier 2022.

8        Mme Devi et M. Marshall ont informé la Commission qu’ils avaient obtenu la nationalité d’un État membre de l’Union au cours de l’année 2022. M. Marshall a dès lors bénéficié du paiement forfaitaire annuel des frais de voyage entre son lieu d’affectation et la capitale de l’État membre dont il avait la nationalité, rétroactivement à partir du 1er janvier 2021, et Mme Devi a bénéficié du paiement forfaitaire annuel de ses frais de voyage à partir du 1er mars 2022.

 Conclusions des parties

9        Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les décisions attaquées ;

–        annuler, en tant qu’elle apporte un complément de motivation, la décision de rejet de la réclamation ;

–        condamner la Commission aux dépens.

10      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérants aux dépens.

 En droit

11      À l’appui de leur recours, les requérants invoquent trois moyens. Par leur premier moyen, ils invoquent leur droit, dans la mesure où l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de l’annexe VII du statut est inapplicable à leur situation, de continuer à percevoir le paiement forfaitaire annuel de leurs frais de voyage vers leur lieu d’origine comme dans le passé, dès lors qu’ils n’ont pas déplacé leur lieu d’origine ni introduit de demande de révision.

12      Par leur deuxième moyen, les requérants invoquent, à défaut, l’inapplication du statut en tant qu’il modifie leur situation, sur le fondement d’une violation du principe d’égalité de traitement et de l’existence d’une discrimination fondée sur leur nationalité et sur leur lieu d’origine.

13      Par leur troisième moyen, les requérants invoquent une interprétation erronée de l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de l’annexe VII du statut, afin d’obtenir, au regard de la flexibilité à laquelle l’Union se serait engagée à l’égard du Royaume-Uni et de ses agents, une indemnité forfaitaire pour le déplacement jusqu’au point frontière du territoire de l’Union le plus proche du lieu où se trouve le centre de leurs intérêts.

 Sur l’objet du litige

14      En ce qui concerne les conclusions formellement dirigées contre la décision de rejet de la réclamation, il y a lieu de rappeler que le recours, même formellement dirigé contre le rejet de la réclamation, a pour effet de saisir le Tribunal de l’acte faisant grief contre lequel la réclamation a été présentée, sauf dans l’hypothèse où le rejet de la réclamation aurait une portée différente de celle de l’acte contre lequel la réclamation a été formée (voir arrêt du 6 juillet 2022, MZ/Commission, T‑631/20, EU:T:2022:426, point 20 et jurisprudence citée).

15      En l’espèce, dès lors qu’elle rejette la réclamation et confirme la décision de la Commission de ne plus rembourser aux requérants leurs frais de voyage, la décision de rejet de la réclamation n’a pas un contenu autonome des décisions attaquées. En pareille hypothèse, la légalité des décisions attaquées doit donc être examinée en prenant en considération la motivation figurant dans la décision de rejet de la réclamation, cette motivation étant censée coïncider avec lesdits actes (voir, en ce sens, arrêt du 6 juillet 2022, MZ/Commission, T‑631/20, EU:T:2022:426, point 21 et jurisprudence citée). Par conséquent, le recours en annulation des requérants doit être considéré comme étant dirigé contre les décisions attaquées, dont la légalité doit être examinée en prenant en considération la motivation figurant dans la décision de rejet de la réclamation. 

 Sur le premier moyen, tiré de l’inapplicabilité de l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de l’annexe VII du statut

16      Les requérants rappellent que, en vertu de l’article 7, paragraphe 4, de l’annexe VII du statut, le lieu d’origine est déterminé lors de l’entrée en fonction du fonctionnaire. Ils exposent que l’article 8, paragraphe 2, de l’annexe VII du statut exclut le paiement des frais de voyage pour les fonctionnaires et agents qui remplissaient deux conditions cumulatives au moment de la fixation de leurs droits, à savoir, d’une part, avoir un lieu d’origine situé en dehors du territoire des États membres de l’Union ou en dehors des pays et des territoires d’outre-mer énumérés à l’annexe II du traité FUE ou en dehors du territoire des États membres de l’Association européenne de libre-échange (AELE) et, d’autre part, ne pas être un ressortissant de l’un des États membres. Or, les requérants font valoir que, en l’espèce, ils ne remplissaient pas ces deux conditions au moment de leur entrée en fonction.

17      Selon les requérants, en vertu de l’article 7, paragraphe 4, de l’annexe VII du statut, les droits d’un fonctionnaire pourraient être fixés ultérieurement uniquement en cas de demande de révision du lieu d’origine par le fonctionnaire. Or, les requérants n’auraient pas formulé de telle demande en l’espèce.

18      Les requérants font valoir également que l’article 8, paragraphe 2, de l’annexe VII du statut, ayant été rédigé avant que le Brexit ne devienne une éventualité, n’envisageait pas l’hypothèse d’un État membre qui serait devenu un État tiers à la suite de son retrait de l’Union. Le Brexit constituerait une circonstance imprévisible, pouvant être qualifiée de force majeure.

19      Par conséquent, selon les requérants, l’article 8 de l’annexe VII du statut ne devrait pas s’appliquer à la perte de la citoyenneté de l’Union par des agents n’ayant pas fait ce choix ni n’ayant, d’eux-mêmes, provoqué un changement de nationalité et de citoyenneté, ni, donc, sollicité de révision de leur dossier de droits individuels. Cela serait d’autant plus le cas que, en l’espèce, les requérants remplissaient toutes les conditions, au moment de leur entrée en fonction, pour bénéficier des aides financières destinées aux expatriés. Ni la nationalité des requérants, ni leur lieu d’origine, ni leur situation d’expatrié n’auraient été modifiés à leur initiative.

20      En ce qui concerne, en particulier, Mme Devi et M. Marshall, ceux-ci font valoir que, même s’ils ont bénéficié du paiement forfaitaire annuel des frais de voyage entre leur lieu d’affectation et la capitale de l’État membre dont ils avaient acquis la nationalité, et non plus entre leur lieu d’affectation et leur lieu d’origine, l’indemnité ainsi accordée serait considérablement réduite, ce qui conduirait à les traiter comme le sont les agents et les fonctionnaires qui, disposant de la nationalité d’un État membre, ont fait le choix de fixer leur lieu d’origine, lors de leur entrée en fonction, en dehors du territoire de l’Union. Or, ils font valoir qu’ils n’ont pas choisi de dissocier leur lieu d’origine de leur nationalité ni de fixer leur lieu d’origine en dehors du territoire de l’Union.

21      Les requérants précisent qu’ils ne demandent pas à l’administration de constater ou de confirmer le caractère « acquis » du droit au paiement forfaitaire annuel des frais de voyage, mais plutôt de prendre en considération les circonstances de la situation qu’ils subissent, en interprétant les dispositions en cause dans le sens promis lors des négociations des accords de sortie conclus avec le Royaume-Uni, à savoir dans un « esprit européen », en évitant une discrimination des agents ayant la nationalité du Royaume-Uni et la perte de droits offerts à leurs collègues de l’Union dont ils bénéficiaient jusqu’au Brexit. Cette interprétation téléologique serait nécessaire pour donner un effet utile aux dispositions visées.

22      La Commission conteste l’argumentation des requérants.

23      Comme la Commission l’a rappelé à juste titre, il ressort d’une jurisprudence constante que les dispositions du droit de l’Union qui donnent droit à des prestations financières doivent être interprétées strictement (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2020, HA/Commission, T‑736/19, EU:T:2020:609, point 85 et jurisprudence citée).

24      En l’espèce, tant que le Royaume-Uni était un État membre de l’Union, les requérants bénéficiaient d’un paiement forfaitaire annuel des frais de voyage sur le fondement de l’article 8, paragraphe 1, de l’annexe VII du statut, étant donné que leur lieu d’origine se situait à l’intérieur du territoire des États membres et qu’ils étaient des citoyens de l’Union.

25      Il y a lieu de souligner que l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de l’annexe VII du statut exclut du bénéfice du paiement forfaitaire annuel des frais de voyage les agents dont le lieu d’origine est situé en dehors du territoire des États membres ou en dehors des pays et des territoires précisés par cette disposition et qui ne sont pas des ressortissants de l’un des États membres. Ces deux conditions sont du reste confirmées, a contrario, par l’article 8 de la décision C(2013) 8968 final de la Commission, du 16 décembre 2013, portant dispositions générales d’exécution de l’article 8 de l’annexe VII du statut, relatif aux frais de voyage.

26      En l’espèce, il convient de constater que, à partir du 1er janvier 2021, les requérants, à l’exception de deux d’entre eux mentionnés au point 2 ci-dessus, remplissaient les deux conditions énoncées au point 25 ci-dessus.

27      Partant, il a été à juste titre considéré, dans les décisions attaquées, que, à compter de l’année 2021, la situation des requérants en matière de paiement forfaitaire annuel des frais de voyage n’était plus régie par l’article 8, paragraphe 1, de l’annexe VII du statut, mais par l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de ladite annexe. Cette disposition a été correctement appliquée en l’espèce, ce qui a eu pour conséquence d’exclure les requérants du bénéfice du paiement forfaitaire annuel des frais de voyage à partir du mois de juin 2021 ou de réduire ce paiement dans le cas de deux d’entre eux.

28      Certes, ainsi que les requérants le font valoir, en vertu de l’article 7, paragraphe 4, de l’annexe VII du statut, le lieu d’origine du fonctionnaire concerné est fixé à la date du recrutement de l’intéressé et la modification de ce lieu ne peut intervenir, pendant que l’intéressé est en fonction, que de manière exceptionnelle, sur demande dûment motivée de ce dernier (voir, par analogie, arrêt du 15 septembre 2022, Brown/Commission et Conseil, C‑675/20 P, EU:C:2022:686, point 74). Toutefois, le paiement forfaitaire annuel des frais de voyage répond à des critères différents, précisés à l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de l’annexe VII du statut, applicable également aux agents des institutions, des organes ou des organismes de l’Union ayant eu, lors de leur engagement, la nationalité d’un État membre, mais ayant perdu le statut de citoyens de l’Union à la suite du retrait dudit État membre de l’Union.

29      Ainsi que les requérants l’admettent eux-mêmes, l’octroi, dans le droit de la fonction publique de l’Union, d’un élément de rémunération, tel que le paiement forfaitaire annuel des frais de voyage, ne saurait créer des droits acquis de nature à s’opposer à une éventuelle abrogation de celui-ci (voir, en ce sens, arrêts du 28 septembre 1993, Magdalena Fernández/Commission, T‑90/92, EU:T:1993:78, point 32, et du 30 avril 2019, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, T‑516/16 et T‑536/16, non publié, EU:T:2019:267, point 101). Ainsi, dès lors que ce paiement forfaitaire est effectué annuellement, l’administration ne saurait continuer à l’octroyer lorsque survient un événement modifiant de façon substantielle la situation de la personne qui en bénéficie dans la mesure où cet événement a une incidence sur les conditions auxquelles est subordonné l’octroi du droit au paiement forfaitaire (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 15 septembre 2022, Brown/Commission et Conseil, C‑675/20 P, EU:C:2022:686, points 34 et 35).

30      Il y a lieu de noter, à cet égard, que le présent de l’indicatif est employé dans le libellé de l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de l’annexe VII du statut et que cette disposition concerne un élément de la rémunération versé de manière annuelle (voir, par analogie, arrêt du 15 septembre 2022, Brown/Commission et Conseil, C‑675/20 P, EU:C:2022:686, point 39). Ainsi, rien n’indique que, dans ce qui est énoncé à cet alinéa, à savoir que « [l]es fonctionnaires dont le lieu d’origine est situé en dehors du territoire des États membres [...] et qui ne sont pas des ressortissants de l’un des États membres n’ont pas droit à [un] paiement forfaitaire », les conditions devraient être appréciées uniquement à la date de l’entrée en fonction des intéressés.

31      En ce qui concerne l’argument des requérants selon lequel l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de l’annexe VII du statut ne devrait pas s’appliquer lorsque la perte de la citoyenneté de l’Union par des agents est indépendante de leur propre volonté, il convient de noter, comme l’a fait la Commission, que cette circonstance n’est pas pertinente pour juger de l’application à leur égard de l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de l’annexe VII du statut. En effet, celui-ci définit des conditions d’application précises, ne laissant aucune marge de manœuvre à l’administration, et qui doivent par ailleurs être interprétées de manière stricte. Il en va de même en ce qui concerne les arguments selon lesquels les requérants n’ont pas choisi que leur lieu d’origine ne se situe plus sur le territoire de l’Union.

32      Il convient donc de rejeter le premier moyen, tiré de l’inapplicabilité de l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de l’annexe VII du statut.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement et de non-discrimination

33      Les requérants font valoir que les décisions attaquées créent une double discrimination à leur égard. En premier lieu, ils perdraient le droit au paiement forfaitaire annuel des frais de voyage en raison de la perte de leur citoyenneté de l’Union, malgré le fait qu’ils seraient toujours, au regard de l’objectif des articles 7 et 8 de l’annexe VII du statut, dans la même situation que celle de leurs collègues ayant la nationalité de l’un des États membres de l’Union. En second lieu, ils perdraient le droit au paiement forfaitaire annuel des frais de voyage du fait que leur lieu d’origine serait désormais situé hors du territoire de l’Union, alors que, s’ils avaient possédé la citoyenneté de l’Union, ils auraient pu percevoir un paiement forfaitaire, à tout le moins en fonction du lieu d’origine dans le pays dont ils avaient la nationalité.

34      En procédant ainsi, l’administration aurait traité les requérants, qui ont perdu leur statut de citoyen de l’Union, de manière semblable à des personnes qui n’avaient jamais été des citoyens de l’Union. Les requérants estiment cependant qu’ils devraient être comparés avec les autres agents bénéficiant comme eux du paiement forfaitaire annuel des frais de voyage depuis leur entrée en fonction, et non avec ceux n’en ayant jamais bénéficié ou ayant choisi de modifier leur lieu d’origine, le centre de leurs intérêts ou leur nationalité.

35      En effet, la possibilité pour un fonctionnaire d’entretenir des relations personnelles au lieu de ses intérêts principaux serait un principe général du droit de la fonction publique de l’Union. L’objectif des dispositions prévoyant le paiement forfaitaire annuel des frais de voyage serait de garantir aux fonctionnaires se trouvant dans la situation d’expatriés le maintien de liens réguliers avec le centre de leurs intérêts. Or, la famille et les attaches des requérants, dont la situation d’expatriés resterait inchangée, seraient toujours situées au Royaume-Uni.

36      L’article 8 de l’annexe VII du statut imposerait une discrimination fondée sur la nationalité et sur le lieu d’origine qui, pour être légale, devrait répondre aux conditions fixées par l’article 52 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. L’une de ces conditions serait que la discrimination soit prévue par la loi. En l’espèce, la suppression du droit au paiement forfaitaire annuel des frais de voyage ne serait intervenue dans le cadre d’aucun des deux moments prévus par les dispositions légales, à savoir lors de l’entrée en fonction ou en cas de changement de la situation factuelle de l’agent. Les requérants auraient donc fait l’objet d’un traitement ad hoc et discriminatoire qui serait illégal. Par ailleurs, aucun objectif légitime d’intérêt général n’aurait été communiqué aux requérants pour justifier cette discrimination. Ils invoquent ainsi l’inapplication de l’article 8 de l’annexe VII du statut à leur situation, car elle serait contraire à l’article 1er quinquies du statut.

37      La Commission conteste l’argumentation des requérants.

38      À titre liminaire, s’agissant de l’objet du deuxième moyen, il y a lieu de noter que, dans l’intitulé de ce moyen, tel qu’il figure dans la requête et dans la réplique, les requérants ont mentionné, notamment, une « exception d’illégalité ». Lors de l’audience, après avoir été interrogés à cet égard par le Tribunal, les requérants ont fait valoir que leur intention était d’exciper de l’illégalité de l’article 8, paragraphe 2, de l’annexe VII du statut si l’interprétation par la Commission de cette disposition, contestée dans le cadre du premier moyen, était considérée comme étant correcte.

39      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal, conformément à l’article 53, premier alinéa, du même statut, ainsi que de l’article 76, sous d), du règlement de procédure du Tribunal, la requête doit contenir l’objet du litige, les moyens et arguments invoqués ainsi qu’un exposé sommaire desdits moyens. Ces éléments doivent être suffisamment clairs et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans autres informations. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il est nécessaire, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit, sur lesquels celui-ci se fonde, ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (voir ordonnance du 11 mars 2021, Techniplan/Commission, T‑426/20, non publiée, EU:T:2021:129, point 19 et jurisprudence citée).

40      En l’espèce, dans leur requête, les requérants font valoir que la Commission a appliqué l’article 8 de l’annexe VII du statut à leur situation d’une manière contraire au principe d’égalité de traitement, violant ainsi l’article 1er quinquies du statut et l’article 52 de la charte des droits fondamentaux. Ils soutiennent, ainsi qu’il a été indiqué au point 33 ci-dessus, que la Commission aurait dû les traiter, dans leur situation particulière, comme leurs collègues qui sont des ressortissants de l’un des État membres. En revanche, dans leurs écritures, ils ne développent pas de manière suffisamment claire et précise d’arguments au soutien de l’exception d’illégalité de l’article 8, paragraphe 2, de l’annexe VII du statut, au titre de l’article 277 TFUE. Par conséquent, cette exception doit être rejetée comme étant irrecevable sur le fondement de l’article 76 du règlement de procédure.

41      Cela étant, le deuxième moyen peut être examiné dans la mesure où il ressort du texte de la requête que les requérants font valoir une violation du principe d’égalité de traitement et de l’article 1er quinquies du statut dans l’interprétation et dans l’application faite par la Commission de l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de l’annexe VII du statut.

42      À cet égard, tout d’abord, il convient de noter que le principe d’égalité de traitement, consacré à l’article 20 de la charte des droits fondamentaux, exige, selon une jurisprudence constante, que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt du 25 mars 2021, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, C‑517/19 P et C‑518/19 P, EU:C:2021:240, points 51 et 52 et jurisprudence citée).

43      Il découle par ailleurs de la jurisprudence de la Cour que, en présence de règles statutaires telles que celles en cause en l’espèce et compte tenu du large pouvoir d’appréciation dont dispose le législateur de l’Union à cet égard, le principe d’égalité de traitement n’est méconnu que lorsque le législateur procède à une différenciation arbitraire ou manifestement inadéquate au regard de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause (voir arrêt du 25 mars 2021, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, C‑517/19 P et C‑518/19 P, EU:C:2021:240, point 53 et jurisprudence citée).

44      En l’espèce, en premier lieu, les requérants font valoir qu’ils ne doivent pas être traités de la même manière que les membres du personnel qui n’ont jamais eu la citoyenneté de l’Union. Au contraire, ils se trouveraient dans la même situation que leurs collègues qui sont des ressortissants de l’un des États membres, compte tenu, notamment, du fait qu’ils remplissaient cette condition lors de leur entrée en fonction et qu’ils sont toujours des expatriés. En revanche, la Commission estime qu’ils doivent être considérés comme des ressortissants de pays tiers. À la lumière de cet argument, il convient donc d’apprécier si, au regard des objectifs de l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de l’annexe VII du statut, les requérants se trouvent dans la même situation que ceux qui conservent la nationalité d’un État membre.

45      À cet égard, il y a lieu de rappeler que la deuxième phrase de l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de l’annexe VII du statut établit une distinction entre les ressortissants de l’un des États membres et les ressortissants des États tiers pour ce qui concerne le paiement forfaitaire annuel des frais de voyage. Le choix de n’octroyer le droit au paiement forfaitaire qu’aux ressortissants des États membres, et non aux ressortissants des États tiers, relève du pouvoir d’appréciation du législateur et les requérants ne contestent pas ce choix en tant que tel.

46      Avec le retrait du Royaume-Uni de l’Union, l’état du droit de l’Union a changé, de sorte que les ressortissants du Royaume-Uni ne sont plus des ressortissants de l’un des État membres. Cette modification a produit des effets juridiques directs sur la situation des requérants. Ainsi, si les ressortissants du Royaume-Uni ne possèdent plus la nationalité d’un État membre, ils doivent être qualifiés de ressortissants d’un État tiers. Les objectifs consistant à permettre aux fonctionnaires et aux agents de garder des relations personnelles avec le lieu de leurs intérêts principaux (arrêt du 30 avril 2019, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, T‑516/16 et T‑536/16, non publié, EU:T:2019:267, point 68) et à prendre en compte une situation particulière d’expatrié ne remettent pas en cause cette qualification.

47      Ainsi, depuis le 1er février 2020, la situation des ressortissants du Royaume-Uni est comparable à celle des ressortissants d’un État tiers, ainsi que la Commission l’a fait valoir à juste titre, et leur situation ne doit pas être traitée d’une manière différente de celle de ces derniers.

48      Dans ce contexte, il y a encore lieu de rappeler que, comme cela est indiqué au point 29 ci-dessus, le paiement forfaitaire des frais de voyage est une prestation annuelle, et donc liée à la situation actuelle du fonctionnaire, et qu’elle ne saurait créer des droits acquis.

49      En second lieu, les requérants se prévalent d’une discrimination au regard du lieu d’origine. Ils font valoir que, à la suite du Brexit, leur lieu d’origine est désormais situé hors de l’Union, mais que, eu égard au fait qu’ils devraient être assimilés aux ressortissants des États membres, le paiement forfaitaire annuel des frais de voyage devrait être effectué conformément aux règles en place avant le Brexit et en assimilant un lieu d’origine situé au Royaume-Uni à un lieu d’origine situé sur le territoire de l’Union.

50      À cet égard, le raisonnement exposé aux points 42 à 48 ci-dessus quant à la différence de traitement sur la base de la nationalité peut être transposé à la différence de traitement alléguée en fonction du lieu d’origine. Ainsi, la Commission n’a pas commis d’erreur d’appréciation en interprétant l’article 8, paragraphe 2, de l’annexe VII du statut comme prévoyant que le lieu d’origine des requérants, qui demeure le Royaume-Uni, se trouve désormais en dehors du territoire de l’Union. Partant, les agents ayant leur lieu d’origine fixé au Royaume-Uni doivent être traités comme tous les agents placés dans une situation comparable, à savoir comme tous ceux qui n’ont pas pour lieu d’origine le territoire d’un État membre.

51      En outre, il y a lieu de noter que les requérants ont également fait valoir, dans leur réponse à une mesure d’organisation de la procédure, que leur situation devait être comparée à celle visée à l’article 8, paragraphe 4, de l’annexe VII du statut.

52      Toutefois, cet argument n’ayant pas été formulé dans la requête et ne constituant pas le développement d’un moyen figurant dans celle-ci, pas plus qu’il ne peut être déduit de l’arrêt du 15 septembre 2022, Brown/Commission et Conseil (C‑675/20 P, EU:C:2022:686), sur lequel portait la mesure d’organisation de la procédure, il doit être considéré comme étant nouveau et, partant, irrecevable au regard de l’article 84 du règlement de procédure.

53      Il convient donc de rejeter le deuxième moyen, tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement, de l’article 1er quinquies du statut et de l’article 52 de la charte des droits fondamentaux. Par ailleurs, à supposer que l’exception d’illégalité de l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de l’annexe VII du statut puisse être considérée comme étant recevable et à supposer que les arguments des requérants soulevés au soutien du deuxième moyen puissent également être compris comme visant à remettre en cause la légalité de cette disposition, il convient de les rejeter pour les mêmes motifs que ceux figurant aux points 45 à 51 ci-dessus.

 Sur le troisième moyen, relatif à une interprétation erronée de l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de l’annexe VII du statut

54      Les requérants se prévalent d’une application par analogie de l’article 4 de la décision C(2013) 8968 final de la Commission, du 16 décembre 2013, portant dispositions générales d’exécution de l’article 7, paragraphe 4, de l’annexe VII du statut, relatif à la fixation du lieu d’origine (ci-après les « DGE sur le lieu d’origine »).

55      Les requérants font valoir que, à supposer que leurs droits aient dû être modifiés à la suite du Brexit, l’article 4 des DGE sur le lieu d’origine, qui prévoit une possibilité pour les fonctionnaires dont le centre des intérêts s’est déplacé de pouvoir continuer à bénéficier des indemnités offertes par le statut, pourrait être appliqué mutatis mutandis à leur situation, en fixant leur lieu d’origine au point frontière du territoire de l’Union le plus proche du lieu où se trouve le centre de leurs intérêts. Cela vaudrait aussi dans le cas particulier de Mme Devi et de M. Marshall, même s’ils ont la possibilité de percevoir ladite indemnité, calculée jusqu’aux capitales des États membres correspondant à leur seconde nationalité.

56      Les requérants soutiennent que supprimer totalement le bénéfice du paiement forfaitaire annuel des frais de voyage revient à nier le principe général du droit permettant aux agents de pouvoir conserver des relations personnelles avec le lieu de leurs intérêts principaux et d’origine et, finalement, la possibilité d’attirer des agents de tous horizons, sur une base géographique large.

57      Les requérants soutiennent que la solution adoptée actuellement constitue une violation des promesses faites par l’Union et, notamment, par le membre de la Commission, M. Günter Oettinger, qui aurait affirmé que les fonctionnaires et agents britanniques ayant consacré leurs carrières à l’Union ne souffriraient « que pour le moins » du Brexit.

58      La Commission conteste l’argumentation des requérants.

59      Il y a lieu de rappeler que l’article 4 des DGE sur le lieu d’origine prévoit expressément que, dans le cas où le centre des intérêts de l’agent se déplacerait en dehors du territoire des États membres de l’Union, le lieu d’origine de ce dernier pourrait être révisé, par décision spéciale de l’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement, afin d’être fixé à un point frontière du territoire de l’Union sur le trajet direct vers le centre de ses intérêts, « pour l’application de l’article 7, paragraphe 1, [sous] b), et de l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VII du statut ».

60      Or, cette possibilité est limitée aux deux cas visés à l’article 7, paragraphe 1, sous b), et à l’article 9, paragraphe 2, de l’annexe VII du statut, à savoir le paiement des frais de voyage à la fin du service et le remboursement des frais de déménagement. Cette interprétation est corroborée par la dernière phrase de cette disposition, qui précise ce qui suit : « En pareil cas, le lieu d’origine demeure inchangé aux fins de l’application de l’article 8 de l’annexe VII et de l’article 20, paragraphe 3, de l’annexe XIII du statut ».

61      Il y a également lieu de rappeler, comme la Commission l’a fait à juste titre, que la protection des droits et des intérêts des fonctionnaires et des agents doit toujours trouver sa limite dans le respect des normes en vigueur (arrêts du 18 septembre 2008, Angé Serrano e.a./Parlement, T‑47/05, EU:T:2008:384, point 159, et du 30 mars 2022, PO/Commission, T‑36/21, non publié, EU:T:2022:192, point 99). De même, des promesses qui ne tiennent pas compte des dispositions statutaires ne sauraient créer une confiance légitime chez celui à qui elles s’adressent (arrêts du 6 février 1986, Vlachou/Cour des comptes, 162/84, EU:C:1986:56, point 6, et du 6 juin 2007, Davi/Commission, T‑433/04, non publié, EU:T:2007:160, point 120).

62      Il convient donc de rejeter le troisième moyen, relatif à une interprétation erronée de l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de l’annexe VII du statut et, partant, de rejeter le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

63      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux de la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Alexander Chambers et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe sont condamnés aux dépens.

da Silva Passos

Półtorak

Pynnä

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 mai 2023.

Le greffier faisant fonction

 

Le président

T. Henze

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : le français.


1      La liste des autres parties requérantes n’est annexée qu’à la version notifiée aux parties.