Language of document : ECLI:EU:T:2019:757

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)

24 octobre 2019 (*)

« Politique sociale – Dialogue entre les partenaires sociaux au niveau de l’Union – Accord intitulé « Cadre général pour l’information et la consultation des fonctionnaires et [des] employés des administrations des gouvernements centraux » – Demande conjointe des parties signataires de mettre en œuvre cet accord au niveau de l’Union – Refus de la Commission de soumettre une proposition de décision au Conseil – Recours en annulation – Acte susceptible de recours – Recevabilité – Marge d’appréciation de la Commission – Autonomie des partenaires sociaux – Principe de subsidiarité – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑310/18,

European Federation of Public Service Unions (EPSU), établie à Bruxelles (Belgique),

Jan Goudriaan, demeurant à Bruxelles,

représentés par M. R. Arthur, solicitor, M. R. Palmer et Mme K. Apps, barristers,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par Mme I. Martínez del Peral, MM. M. van Beek et M. Kellerbauer, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision de la Commission du 5 mars 2018 refusant de présenter au Conseil de l’Union européenne une proposition de décision mettant en œuvre l’accord intitulé « Cadre général pour l’information et la consultation des fonctionnaires et [des] employés des administrations des gouvernements centraux », signé par la Délégation syndicale de l’administration nationale et européenne (DSANE) et les Employeurs de l’administration publique européenne (EAPE) le 21 décembre 2015,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie),

composé, lors des délibérations, de MM. S. Gervasoni, président, L. Madise, R. da Silva Passos, Mme K. Kowalik‑Bańczyk (rapporteur) et M. C. Mac Eochaidh, juges,

greffier : M. P. Cullen, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 23 mai 2019,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Par un document de consultation C(2015) 2303 final du 10 avril 2015, la Commission européenne a invité les partenaires sociaux, sur le fondement de l’article 154, paragraphe 2, TFUE, à se prononcer sur l’orientation possible d’une action de l’Union européenne concernant une consolidation des directives sur l’information et la consultation des travailleurs. Cette consultation portait notamment sur l’éventuelle extension du champ d’application de ces directives aux fonctionnaires et aux employés des administrations publiques des États membres.

2        Le 2 juin 2015, les partenaires sociaux siégeant au sein du comité de dialogue social pour les administrations des gouvernements centraux, à savoir, d’une part, la Délégation syndicale de l’administration nationale et européenne (DSANE) et, d’autre part, les Employeurs de l’administration publique européenne (EAPE), ont, sur le fondement de l’article 154, paragraphe 4, TFUE, informé la Commission de leur volonté de négocier et de conclure un accord sur le fondement de l’article 155, paragraphe 1, TFUE.

3        Le 21 décembre 2015, la DSANE et les EAPE ont signé un accord intitulé « Cadre général pour l’information et la consultation des fonctionnaires et [des] employés des administrations des gouvernements centraux » (ci-après l’« Accord »).

4        Par courrier du 1er février 2016, la DSANE et les EAPE ont conjointement demandé à la Commission de présenter une proposition en vue de la mise en œuvre de l’Accord au niveau de l’Union par une décision du Conseil de l’Union européenne adoptée sur le fondement de l’article 155, paragraphe 2, TFUE.

5        Le 5 mars 2018, la Commission a informé la DSANE et les EAPE qu’elle avait décidé de refuser de présenter au Conseil une proposition de décision mettant en œuvre l’Accord au niveau de l’Union (ci-après la « décision attaquée »).

6        Dans la décision attaquée, la Commission a indiqué, en substance, premièrement, que les administrations des gouvernements centraux étaient placées sous l’autorité des gouvernements des États membres, qu’elles exerçaient des prérogatives de puissance publique et que leur structure, leur organisation et leur fonctionnement étaient entièrement du ressort des États membres. Deuxièmement, la Commission a relevé que des dispositions assurant un certain degré d’information et de consultation des fonctionnaires et des employés de ces administrations existaient déjà dans de nombreux États membres. Troisièmement, la Commission a constaté que l’importance desdites administrations dépendait du degré de centralisation ou de décentralisation des États membres, de sorte que, en cas de mise en œuvre de l’Accord par une décision du Conseil, le niveau de protection des fonctionnaires et des employés des administrations publiques varierait de façon considérable suivant les États membres.

 Procédure et conclusions des parties

7        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 mai 2018, les requérants, à savoir, d’une part, l’European Federation of Public Service Unions (EPSU), association qui regroupe des organisations syndicales européennes représentatives des travailleurs des services publics et qui a créé la DSANE conjointement avec la Confédération européenne des syndicats indépendants (CESI), et, d’autre part, M. Jan Goudriaan, secrétaire général de l’EPSU, ont introduit le présent recours.

8        La Commission a déposé le mémoire en défense le 26 juillet 2018.

9        Les requérants ont déposé la réplique le 19 septembre 2018.

10      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 11 octobre 2018, les requérants ont introduit une demande de traitement confidentiel à l’égard du public de certaines données figurant dans les annexes de la requête.

11      La Commission a déposé la duplique le 14 novembre 2018.

12      Par ordonnance du 13 décembre 2018, EPSU et Willem Goudriaan/Commission (T‑310/18, non publiée, EU:T:2018:1018), le président de la neuvième chambre du Tribunal a rejeté une demande d’intervention au soutien des conclusions des requérants présentée par l’European Transport Workers’ Federation (ETF).

13      Par mesure d’organisation de la procédure adoptée au titre de l’article 89, paragraphe 3, sous a) et b), de son règlement de procédure, le Tribunal a posé aux parties des questions écrites pour réponse à l’audience.

14      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 23 mai 2019. À l’issue de l’audience, le président de la neuvième chambre élargie du Tribunal a décidé de ne pas clore la phase orale de la procédure.

15      Par mesure d’organisation de la procédure adoptée au titre de l’article 89, paragraphe 3, sous b), du règlement de procédure, le Tribunal a invité les requérants à commenter par écrit une argumentation développée par la Commission lors de l’audience. Les requérants ont déféré à cette demande dans le délai imparti.

16      La phase orale de la procédure a été close  par décision du président de la neuvième chambre élargie du Tribunal du 24 juin 2019.

17      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

18      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours, en tant qu’il est présenté par M. Goudriaan, comme irrecevable ;

–        rejeter le recours, dans son intégralité, comme non fondé ;

–        condamner les requérants aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité 

 Sur l’existence d’un acte attaquable

19      À titre liminaire, il importe de rappeler qu’il résulte de l’article 263, premier alinéa, TFUE que le juge de l’Union contrôle la légalité des actes des institutions « destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers ».

20      Il s’ensuit que le recours en annulation est ouvert à l’égard de toutes mesures ou dispositions prises par les institutions, quelles qu’en soient la nature ou la forme, qui visent à produire des effets de droit (arrêts du 31 mars 1971, Commission/Conseil, 22/70, EU:C:1971:32, points 39 et 42, et du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement, 294/83, EU:C:1986:166, point 24).

21      En l’espèce, il convient d’examiner, premièrement, si la décision attaquée pourrait être qualifiée d’acte préparatoire et, deuxièmement, si l’existence d’une large marge d’appréciation de la Commission serait susceptible d’avoir une incidence sur la recevabilité du recours.

–       Éventuelle qualification d’acte préparatoire

22      Selon une jurisprudence constante, ne constituent en principe des actes attaquables que les mesures qui fixent définitivement la position d’une institution au terme d’une procédure administrative et qui visent à produire des effets de droit obligatoires, à l’exclusion notamment des mesures intermédiaires dont l’objectif est de préparer la décision finale, qui n’ont pas de tels effets (arrêts du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, EU:C:1981:264, point 10, et du 17 juillet 2008, Athinaïki Techniki/Commission, C‑521/06 P, EU:C:2008:422, point 42).

23      Il n’en va autrement que si des actes ou des décisions pris au cours de la procédure préparatoire, d’une part, constituent eux‑mêmes le terme ultime d’une procédure spéciale distincte de la procédure principale et, d’autre part, produisent eux-mêmes des effets de droit obligatoires (voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, EU:C:1981:264, point 11).

24      La référence à la notion de proposition constitue une indication claire de ce que le contenu d’un acte n’est pas destiné à produire des effets de droit et, partant, de ce que cet acte ne constitue pas un acte attaquable (voir, en ce sens, arrêt du 1er décembre 2005, Italie/Commission, C‑301/03, EU:C:2005:727, points 22 et 33). Tel est notamment le cas d’une proposition présentée par la Commission dans le cadre d’une procédure qui se déroule en plusieurs phases dans la mesure où une telle proposition constitue un acte intermédiaire ne produisant pas des effets juridiques obligatoires (voir, en ce sens, ordonnance du 15 mai 1997, Berthu/Commission, T‑175/96, EU:T:1997:72, points 21 et 22).

25      Par ailleurs, lorsqu’une décision revêt un caractère négatif, elle doit être appréciée en fonction de la nature de la demande à laquelle elle constitue une réponse (arrêts du 8 mars 1972, Nordgetreide/Commission, 42/71, EU:C:1972:16, point 5, et du 24 novembre 1992, Buckl e.a./Commission, C‑15/91 et C‑108/91, EU:C:1992:454, point 22). Il s’ensuit qu’un refus est un acte susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation au sens de l’article 263 TFUE, dès lors que l’acte que l’institution refuse de prendre aurait pu être attaqué en vertu de cette disposition (voir arrêt du 22 octobre 1996, Salt Union/Commission, T‑330/94, EU:T:1996:154, point 32 et jurisprudence citée).

26      Il s’ensuit que les recours en annulation dirigés contre un refus de proposition sont, en principe, irrecevables, à l’image de ceux dirigés contre une proposition (voir, en ce sens, ordonnance du 13 mars 2007, Arizona Chemical e.a./Commission, C‑150/06 P, non publiée, EU:C:2007:164, points 23 et 24).

27      Toutefois, dans certaines hypothèses, lorsqu’un texte organise une procédure préalable permettant à certaines personnes de demander à la Commission de présenter une proposition d’acte, le refus de la Commission de soumettre une telle proposition constitue un acte attaquable. En effet, ce refus, d’une part, met fin à la procédure préalable initiée sur le fondement dudit texte et, d’autre part, exclut l’ouverture de la procédure d’adoption de l’acte proprement dite. Un tel refus exprime la position définitive de la Commission et produit des effets juridiques obligatoires et, partant, est susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation (voir, en ce sens, arrêts du 25 juin 1998, Lilly Industries/Commission, T‑120/96, EU:T:1998:141, points 53, 55, 56 et 58, et du 23 avril 2018, One of Us e.a./Commission, T‑561/14, sous pourvoi, EU:T:2018:210, points 66, 77 et 101).

28      Or, il résulte des termes mêmes de l’article 155 TFUE, reproduits au point 49 ci-après, que cette disposition autorise les partenaires sociaux à négocier un accord au niveau de l’Union, puis à demander conjointement à la Commission de soumettre une proposition tendant à la mise en œuvre de cet accord par une décision du Conseil. Dans ces conditions, la décision par laquelle la Commission refuse de présenter une proposition sur le fondement de l’article 155, paragraphe 2, TFUE ne constitue pas un acte purement préliminaire ou préparatoire, mais constitue au contraire une prise de position définitive de la Commission ayant pour effet, d’une part, de mettre fin à une procédure préalable prévue en faveur des partenaires sociaux et, d’autre part, de ne pas ouvrir la procédure d’adoption d’un acte proprement dite. Par conséquent, une telle décision produit des effets juridiques obligatoires.

29      Il s’ensuit que la décision attaquée ne constitue pas un acte préparatoire.

–       Éventuelle incidence de l’existence d’une large marge d’appréciation

30      Il est vrai que, dans certaines hypothèses, l’existence d’une large marge d’appréciation entraîne l’irrecevabilité du recours en annulation. Tel est le cas lorsqu’un recours est introduit à l’encontre de la décision de la Commission de ne pas engager une procédure en constatation de manquement, dès lors que la Commission dispose, à cet égard, d’un pouvoir d’appréciation entièrement discrétionnaire (arrêts du 17 mai 1990, Sonito e.a./Commission, C‑87/89, EU:C:1990:213, point 6, et du 20 février 1997, Bundesverband der Bilanzbuchhalter/Commission, C‑107/95 P, EU:C:1997:71, points 10, 11 et 19). Tel est également le cas lorsque le recours en annulation vise la décision du Parlement européen relative aux suites à donner à une pétition satisfaisant aux conditions posées à l’article 227 TFUE, dès lors que le Parlement dispose, à cet égard, d’un large pouvoir d’appréciation, de nature politique (arrêt du 9 décembre 2014, Schönberger/Parlement, C‑261/13 P, EU:C:2014:2423, point 24).

31      Toutefois, les hypothèses mentionnées au point 30 ci-dessus sont exceptionnelles et très spécifiques.

32      En effet, l’existence d’un large pouvoir d’appréciation reconnu à une institution a, en principe, pour seule conséquence de limiter la portée et l’intensité du contrôle exercé par le juge de l’Union (voir point 110 ci-après).

33      En particulier, lorsque est en cause le pouvoir d’initiative de la Commission, consistant à proposer des actes de l’Union, la large marge d’appréciation dévolue à cette institution ne suffit pas à faire obstacle à la recevabilité d’un recours en annulation. Ainsi, la Cour a jugé que la décision de la Commission de retirer une proposition d’acte législatif constituait un acte susceptible  de faire l’objet d’un recours en annulation et, partant, d’un contrôle juridictionnel (voir, en ce sens, arrêt du 14 avril 2015, Conseil/Commission, C‑409/13, EU:C:2015:217, points 76 à 78). Il en va de même de la décision par laquelle la Commission refuse de présenter une proposition d’acte juridique à la suite d’une initiative citoyenne européenne (voir, en ce sens, arrêt du 23 avril 2018, One of Us e.a./Commission, T‑561/14, sous pourvoi, EU:T:2018:210, points 88 à 101, 169 et 170).

34      Or, la décision par laquelle la Commission refuse de présenter une proposition tendant à la mise en œuvre au niveau de l’Union d’un accord conclu par les partenaires sociaux se rattache à l’exercice de son pouvoir d’initiative (voir également point 73 ci-après).

35      Il s’ensuit que, même s’il s’avérait, au stade de l’examen au fond du recours, que la Commission disposait en l’espèce d’un large pouvoir d’appréciation, cette circonstance ne ferait pas obstacle à la recevabilité du présent recours.

36      Partant, la décision attaquée constitue un acte attaquable.

 Sur la qualité pour agir des requérants

37      La Commission fait valoir que le recours est irrecevable en tant qu’il émane de M. Goudriaan, ce dernier n’ayant pas qualité pour agir.

38      Il y a lieu de rappeler que, dans le cas où une requête est présentée par plusieurs parties requérantes, cette requête est recevable si l’une de ces parties possède la qualité pour agir. Dans une telle hypothèse, il n’y a pas lieu d’examiner la qualité pour agir des autres parties requérantes (voir arrêt du 18 octobre 2018, ArcelorMittal Tubular Products Ostrava e.a./Commission, T‑364/16, EU:T:2018:696, point 47 et jurisprudence citée).

39      Or, en l’espèce, la Commission ne conteste pas la qualité pour agir de l’EPSU. À cet égard, il est constant que la décision attaquée a notamment pour destinataire la DSANE, laquelle est dépourvue de la personnalité juridique et de toute autonomie, les résultats du dialogue social auquel elle participe devant être approuvés par les organes décisionnels de l’EPSU et de la CESI. Dans ces conditions, ces derniers doivent être regardés comme les destinataires de la décision attaquée en ce qui concerne les organisations représentatives des travailleurs (voir, en ce sens, arrêts du 19 mars 2010, Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑50/05, EU:T:2010:101, point 40, et du 22 mai 2012, Sviluppo Globale/Commission, T‑6/10, non publié, EU:T:2012:245, point 19). Il s’ensuit que l’EPSU a qualité pour agir sur le fondement de l’article 263, quatrième alinéa, premier membre de phrase, TFUE.

40      Dans ces conditions, et eu égard à la jurisprudence mentionnée au point 38 ci-dessus, il n’y a pas lieu d’examiner la fin de non-recevoir tirée de ce que M. Goudriaan n’aurait pas qualité pour agir.

 Sur la recevabilité de l’annexe C.3

41      La Commission fait valoir que l’annexe C.3 de la réplique, contenant l’avis juridique d’un professeur de droit, est irrecevable en vertu du principe iura novit curia. En effet, les annexes auraient une fonction purement probatoire et instrumentale et ne pourraient pas consister en des avis juridiques portant sur l’interprétation du droit de l’Union.

42      À cet égard, il y a lieu de rappeler que le principe iura novit curia ne saurait signifier que les annexes de la requête relatives à l’interprétation du droit de l’Union sont par principe irrecevables (arrêt du 12 décembre 2018, Servier e.a./Commission, T‑691/14, sous pourvoi, EU:T:2018:922, point 102).

43      En effet, le corps d’une requête peut être étayé et complété, sur des points spécifiques, par des renvois à des extraits de pièces qui y sont annexées, pourvu que les éléments essentiels de l’argumentation en droit figurent dans la requête elle-même (voir arrêt du 13 décembre 2006, FNCBV e.a./Commission, T‑217/03 et T‑245/03, EU:T:2006:391, point 79 et jurisprudence citée).

44      En l’occurrence, les requérants ont suffisamment développé, dans leur requête, puis dans la réplique, leur thèse relative à l’interprétation de l’article 155, paragraphe 2, TFUE. Par conséquent, l’avis juridique produit à l’annexe C.3 de la réplique ne sert qu’à étayer et à compléter cette thèse. Dès lors, cette annexe est recevable.

 Sur le bien-fondé

45      Au soutien de leur recours, les requérants invoquent deux moyens tirés, le premier, d’une erreur de droit quant à l’étendue des pouvoirs de la Commission et, le second, du caractère insuffisant et manifestement erroné des motifs de la décision attaquée.

 Sur le premier moyen, tiré d’une erreur de droit quant à l’étendue des pouvoirs de la Commission

46      Les requérants soutiennent, en substance, que la Commission a commis une erreur de droit en usant d’un pouvoir de refus dont elle ne disposait pas dans le cadre de l’article 155, paragraphe 2, TFUE. Ils font valoir que, sauf à constater l’insuffisante représentativité des parties signataires d’un accord ou l’illégalité des clauses de cet accord, la Commission est tenue de faire droit à une demande conjointe des parties signataires tendant à la mise en œuvre dudit accord au niveau de l’Union et de soumettre à cette fin une proposition de décision au Conseil. Or, en l’espèce, la Commission aurait refusé de faire droit à la demande conjointe des parties signataires de l’Accord en se fondant sur d’autres motifs liés au caractère inapproprié d’une telle action.

47      La Commission conteste l’argumentation des requérants. En particulier, elle fait valoir qu’il lui appartient de décider seule de l’opportunité de faire usage de son pouvoir d’initiative, y compris dans le cadre de l’article 155, paragraphe 2, TFUE.

48      Il convient d’interpréter l’article 155, paragraphe 2, TFUE en tenant compte non seulement des termes de cette disposition, mais également de son contexte et de ses objectifs (voir, en ce sens, arrêts du 17 novembre 1983, Merck, 292/82, EU:C:1983:335, point 12, et du 10 mars 2005, easyCar, C‑336/03, EU:C:2005:150, point 21).

–       Interprétation littérale

49       Aux termes de l’article 155 TFUE, il est prévu ce qui suit :

« 1. Le dialogue entre partenaires sociaux au niveau de l’Union peut conduire, si ces derniers le souhaitent, à des relations conventionnelles, y compris des accords.

2. La mise en œuvre des accords conclus au niveau de l’Union intervient soit selon les procédures et pratiques propres aux partenaires sociaux et aux États membres, soit, dans les matières relevant de l’article 153 [TFUE], à la demande conjointe des parties signataires, par une décision du Conseil sur proposition de la Commission. Le Parlement […] est informé.

[…] »

50      Ainsi, il résulte de l’article 155, paragraphe 2, premier alinéa, TFUE qu’un accord conclu au niveau de l’Union par les partenaires sociaux peut être mis en œuvre de deux façons différentes, à savoir soit selon les procédures et les pratiques propres aux partenaires sociaux et aux États membres, soit, dans les matières relevant de l’article 153 TFUE, au niveau de l’Union selon une procédure spécifique conduisant à l’adoption d’un acte de l’Union (voir, par analogie, arrêt du 17 juin 1998, UEAPME/Conseil, T‑135/96, EU:T:1998:128, point 73).

51      S’agissant plus particulièrement de la procédure permettant la mise en œuvre d’un accord au niveau de l’Union, l’article 155, paragraphe 2, premier alinéa, TFUE se borne à indiquer que cette mise en œuvre prend la forme d’une décision du Conseil prise à la demande conjointe des parties signataires et sur proposition de la Commission et que le Parlement est informé.

52      Force est de constater que l’article 155, paragraphe 2, TFUE ne précise pas, de façon explicite, si, lorsqu’elle est saisie d’une demande conjointe des parties signataires tendant à la mise en œuvre d’un accord au niveau de l’Union, la Commission est tenue de soumettre au Conseil une proposition de décision en ce sens ou si, à l’inverse, elle peut refuser de présenter au Conseil une telle proposition.

53      Toutefois, les requérants soutiennent que les termes « shall be implemented » et « intervient » employés, respectivement, dans les versions anglaise et française de l’article 155, paragraphe 2, premier alinéa, TFUE créent une obligation d’agir pour la Commission. Ils se réfèrent également à la genèse de cette disposition et font valoir que, lors de la négociation du traité de Maastricht, une formulation initiale laissant une marge d’appréciation à la Commission a été remplacée, dans chacune de ces deux versions linguistiques, par une formulation impérative excluant toute marge d’appréciation.

54      À cet égard, il importe de rappeler les origines de l’actuel article 155, paragraphe 2, premier alinéa, TFUE, dont le libellé a été mis au point lors de la négociation du traité de Maastricht.

55      Dans un premier temps, la présidence luxembourgeoise a présenté, le 18 juin 1991, un projet de traité sur l’Union (CONF-UP-UEM 2008/91) créant un nouvel article, l’article 118 B, paragraphe 2, du traité CE. La version française originale de cette disposition était rédigée en ces termes : « [S]i les partenaires sociaux le souhaitent, la Commission peut présenter des propositions pour la transposition au niveau communautaire des accords [conclus par les partenaires sociaux]. »

56      Dans un deuxième temps, dans le cadre d’un groupe ad hoc du dialogue social, l’Union des confédérations des industries et des employeurs d’Europe (UNICE), la Confédération européenne des syndicats (CES) et le Centre européen des employeurs et entreprises fournissant des services publics (CEEP) ont négocié et signé, le 31 octobre 1991, un accord portant sur des propositions de rédaction de certains articles du traité en cours en négociation (ci-après l’accord du 31 octobre1991 »). Cet accord modifiait la rédaction de l’article 118 B, paragraphe 2, du traité CE envisagée par la présidence luxembourgeoise en prévoyant, pour la première fois, deux procédures distinctes et alternatives de mise en œuvre des accords conclus par les partenaires sociaux. Pour évoquer la mise en œuvre de ces accords selon l’une ou l’autre des deux procédures mentionnées au point 50 ci-dessus, les versions anglaise et française de l’accord du 31 octobre 1991 employaient, respectivement, les termes « [the] agreements […] may be realized » et « la mise en œuvre des accords […] interviendra ».

57      Dans un troisième temps, la proposition figurant dans l’accord du 31 octobre 1991 a été reprise, en substance, à l’article 4 de l’accord sur la politique sociale conclu entre les États membres de la Communauté européenne à l’exception du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (JO 1992, C 191, p. 91, ci-après l’« accord sur la politique sociale »), annexé au protocole (no 14) sur la politique sociale, lui-même annexé au traité CE. L’article 4, paragraphe 2, premier alinéa, de l’accord sur la politique sociale disposait que la mise en œuvre des accords conclus par les partenaires sociaux interviendrait selon l’une ou l’autre des deux procédures mentionnées au point 50 ci-dessus. En particulier, les versions anglaise et française de cette disposition comportaient, respectivement, les termes « [the a]greements […] shall be implemented » et « la mise en œuvre des accords […] intervient ». Ces termes ont ultérieurement été repris à l’article 155, paragraphe 2, premier alinéa, TFUE.

58      Il apparaît donc que, dans la rédaction envisagée au début de la négociation du traité de Maastricht, le dépôt par la Commission d’une proposition tendant à la mise en œuvre d’un accord au niveau de l’Union présentait clairement un caractère facultatif en raison de l’emploi des verbes modaux « may » dans la version anglaise et « pouvoir » dans la version française. En revanche, dans la rédaction finalement retenue à l’issue de cette négociation, ces verbes ont disparu au profit d’une formulation présentant, dans certaines versions linguistiques, un caractère impératif en raison de l’emploi du présent de l’indicatif, notamment dans la version française (« intervient »), ou du futur de l’indicatif, notamment dans la version anglaise (« shall be implemented »).

59      Or, comme la Commission le relève à juste titre, la formulation impérative évoquée au point 58 ci-dessus est apparue lors de la rédaction de l’accord sur la politique sociale, c’est-à-dire au moment où, conformément à la proposition formulée par les partenaires sociaux dans l’accord du 31 octobre 1991, les deux procédures de mise en œuvre des accords conclus par les partenaires sociaux mentionnées au point 50 ci-dessus ont été regroupées au sein de la même phrase. À cette occasion, le verbe de la phrase a cessé de se rapporter à la présentation par la Commission de propositions de mise en œuvre de ces accords au niveau de l’Union et a, dès lors, eu trait à la mise en œuvre desdits accords selon l’une ou l’autre des deux procédures mentionnées au point 50 ci-dessus. Dans ces conditions, la formulation impérative susmentionnée peut avoir pour fonction d’exprimer le caractère exclusif de ces deux procédures.

60      Dans ces conditions, les termes de l’article 155, paragraphe 2, premier alinéa, TFUE ne permettent pas, à eux seuls, de conclure que la Commission serait obligée de soumettre au Conseil une proposition de décision lorsqu’elle est saisie d’une demande conjointe en ce sens des parties signataires.

61      Par ailleurs, il convient de relever que l’interprétation littérale préconisée par les requérants implique que la formulation impérative mentionnée au point 58 ci-dessus se rapporte à la mise en œuvre des accords conclus par les partenaires sociaux. Or, si cette interprétation était retenue, elle aurait une double conséquence.

62      Premièrement, l’interprétation préconisée par les requérants impliquerait que, lorsque les partenaires sociaux présentent une demande conjointe tendant à la mise en œuvre d’un accord au niveau de l’Union, tant la Commission que le Conseil seraient tenus, en toute circonstance, de faire droit à cette demande, la première en soumettant au Conseil une proposition de décision tendant à la mise en œuvre de cet accord et le second en adoptant cette proposition. Or, une telle interprétation contredirait la position partagée, à juste titre, par les parties selon laquelle, d’une part, la Commission peut, au moins dans certaines hypothèses, refuser de soumettre au Conseil une proposition de décision tendant à la mise en œuvre d’un accord (voir point 75 ci-après) et, d’autre part, le Conseil n’est jamais tenu d’adopter une telle proposition de la Commission (voir point 76 ci-après).

63      Deuxièmement, l’interprétation défendue par les requérants impliquerait que, lorsque les partenaires sociaux ne présentent pas de demande conjointe tendant à la mise en œuvre d’un accord au niveau de l’Union, les partenaires sociaux et les États membres seraient tenus de mettre en œuvre cet accord à leur niveau selon leurs procédures et selon leurs pratiques propres. Or, une telle conséquence, qui n’est d’ailleurs pas évoquée par les requérants, serait contraire à l’intention des onze États membres signataires de l’accord sur la politique sociale. En effet, il résulte de la déclaration no 2 annexée à cet accord que, en concluant ledit accord, les États membres concernés n’ont pas entendu s’obliger à appliquer de façon directe les accords conclus entre partenaires sociaux au niveau de l’Union ou à élaborer des normes de transposition desdits accords.

–       Interprétation contextuelle

64      En premier lieu, il convient de rappeler, de façon générale, le rôle de la Commission dans l’élaboration des actes de l’Union.

65      Aux termes de l’article 17, paragraphe 1, TUE, la Commission « promeut l’intérêt général de l’Union et prend les initiatives appropriées à cette fin », « veille à l’application des traités ainsi que des mesures adoptées par les institutions en vertu de ceux-ci » et « surveille l’application du droit de l’Union sous le contrôle de la Cour de justice de l’Union européenne ». En vertu de l’article 17, paragraphe 2, TUE, « [u]n acte législatif de l’Union ne peut être adopté que sur proposition de la Commission, sauf dans les cas où les traités en disposent autrement », tandis que « les autres actes sont adoptés sur proposition de la Commission lorsque les traités le prévoient ». Par ailleurs, l’article 17, paragraphe 3, troisième alinéa, TUE prévoit que la Commission « exerce ses responsabilités en pleine indépendance » et que ses membres « ne sollicitent ni n’acceptent d’instructions d’aucun gouvernement, institution, organe ou organisme ».

66      Le pouvoir d’initiative reconnu à la Commission par l’article 17, paragraphe 2, TUE, s’agissant des actes législatifs, ou par une disposition spécifique des traités, s’agissant des actes non législatifs, implique qu’il revient à la Commission de décider de présenter, ou non, une proposition d’acte, hormis le cas où elle serait tenue, en vertu du droit de l’Union, de présenter une telle proposition (voir, par analogie, arrêts du 14 avril 2015, Conseil/Commission, C‑409/13, EU:C:2015:217, point 70, et du 23 avril 2018, One of Us e.a./Commission, T‑561/14, sous pourvoi, EU:T:2018:210, point 109).

67      Le pouvoir d’initiative conféré par les traités à la Commission s’explique par la fonction de cette institution, en vertu de l’article 17, paragraphe 1, TUE, qui est notamment de promouvoir l’intérêt général de l’Union et de veiller au respect du droit de l’Union, ainsi que par l’indépendance dont elle jouit, en vertu de l’article 17, paragraphe 3, troisième alinéa, TUE, dans l’exercice de ses responsabilités (voir, en ce sens, arrêt du 23 avril 2018, One of Us e.a./Commission, T‑561/14, sous pourvoi, EU:T:2018:210, point 110).

68      En second lieu, il importe de préciser certaines caractéristiques de la procédure prévue par l’article 155, paragraphe 2, TFUE.

69      À cet égard, il convient de constater que l’article 155, paragraphe 2, TFUE ne comporte aucune référence expresse à la procédure législative ordinaire ou à la procédure législative spéciale. Il s’ensuit que la procédure de mise en œuvre, au niveau de l’Union, des accords conclus par les partenaires sociaux ne constitue pas une procédure législative au sens de l’article 289, paragraphes 1 et 2, TFUE et que les mesures adoptées à l’issue de cette procédure ne constituent pas des actes législatifs au sens de l’article 289, paragraphe 3, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2017, Slovaquie et Hongrie/Conseil, C‑643/15 et C‑647/15, EU:C:2017:631, points 60 à 62 et 65 à 67).

70      Il y a également lieu de rappeler que la procédure de conclusion et de mise en œuvre, au niveau de l’Union, des accords visés par l’article 155 TFUE comporte plusieurs phases au cours desquelles les partenaires sociaux et les institutions, et notamment la Commission et le Conseil, se voient assigner, les uns et les autres, des rôles distincts et spécifiques.

71      D’abord, lors de la phase de consultation engagée par la Commission et régie par l’article 154, paragraphes 2 et 3, TFUE, les partenaires sociaux peuvent informer la Commission de leur volonté d’engager le processus prévu par l’article 155 TFUE.

72      Ensuite, lors de la phase de négociation proprement dite, les partenaires sociaux peuvent, ainsi que le prévoit l’article 155, paragraphe 1, TFUE, établir des relations conventionnelles, y compris en concluant un accord.

73      Enfin, s’ouvre la phase de mise en œuvre de l’accord selon l’une ou l’autre des deux procédures prévues par l’article 155, paragraphe 2, TFUE (voir point 50 ci-dessus). S’agissant de la procédure permettant la mise en œuvre de l’accord au niveau de l’Union, cette disposition prévoit expressément que la décision du Conseil est prise « sur proposition de la Commission ». Ainsi, ladite disposition concrétise, dans le cadre de la procédure non législative qu’elle instaure, le pouvoir d’initiative de la Commission mentionné à l’article 17, paragraphe 2, TUE.

74      Ainsi, force est de constater que, si l’initiative de la phase de négociation ainsi que la conclusion d’un accord relèvent exclusivement des partenaires sociaux concernés, il n’en demeure pas moins que, lors de la phase de mise en œuvre de l’accord, le Conseil agit sur proposition de la Commission. C’est pourquoi, lorsque les partenaires sociaux ont conclu un accord et qu’ils demandent conjointement sa mise en œuvre au niveau de l’Union, ils doivent adresser leur demande conjointe à la Commission. Dans cette hypothèse, cette dernière dispose à nouveau d’un droit à intervenir et récupère la maîtrise de la procédure. Il lui appartient alors d’examiner s’il y a lieu pour elle de présenter au Conseil une proposition de décision mettant en œuvre l’accord au niveau de l’Union (voir, par analogie, arrêt du 17 juin 1998, UEAPME/Conseil, T‑135/96, EU:T:1998:128, points 75, 76, 79 et 84).

75      Le Tribunal a déjà jugé que l’intervention de la Commission devait être conforme aux principes qui gouvernent son action dans le domaine de la politique sociale. Comme l’ont indiqué, à juste titre, tant les requérants que la Commission, il incombe notamment à cette dernière de s’assurer de la représentativité des parties signataires de l’accord (voir, par analogie, arrêt du 17 juin 1998, UEAPME/Conseil, T‑135/96, EU:T:1998:128, points 85 et 88). De même, les parties s’accordent, à juste titre, sur le fait que la Commission peut et doit s’assurer de la légalité des clauses d’un accord conclu par les partenaires sociaux avant de proposer sa mise en œuvre par décision du Conseil.

76      Le Conseil est, pour sa part, tenu de vérifier si la Commission a rempli les obligations qui lui incombaient en application des traités et notamment du titre X de la troisième partie du traité FUE, relatif à la politique sociale, faute de quoi il risquerait d’entériner une irrégularité susceptible d’affecter la légalité de l’acte qu’il aurait finalement adopté (voir, par analogie, arrêt du 17 juin 1998, UEAPME/Conseil, T‑135/96, EU:T:1998:128, point 87). De plus, tant les requérants que la Commission admettent que le Conseil dispose d’une marge d’appréciation afin de décider s’il y a lieu pour lui d’adopter une décision tendant à la mise en œuvre d’un accord et qu’il peut ne pas être en mesure d’adopter une telle décision en l’absence d’accord, selon les cas, à la majorité qualifiée ou à l’unanimité en son sein.

77      Les requérants soutiennent néanmoins que, en dehors des deux hypothèses visées au point 75 ci-dessus, la Commission est tenue de soumettre au Conseil une proposition de décision mettant en œuvre un accord conclu par les partenaires sociaux.

78      Or, premièrement, une telle interprétation remettrait en cause le principe, exprimé à l’article 17, paragraphe 3, troisième alinéa, TUE, selon lequel la Commission exerce ses pouvoirs de façon indépendante et sans accepter aucune instruction de quiconque.

79      Deuxièmement, une telle interprétation empêcherait la Commission de remplir entièrement son rôle consistant, en vertu de l’article 17, paragraphe 1, TUE, à promouvoir l’intérêt général de l’Union et à prendre, le cas échéant, les initiatives appropriées à cette fin. En effet, le rôle assigné à la Commission par l’article 17, paragraphe 1, TUE implique que, avant de faire usage de son pouvoir d’initiative, elle apprécie, au vu de l’intérêt général de l’Union, le caractère approprié de l’initiative envisagée. Partant, lorsqu’elle est saisie d’une demande de mise en œuvre, au niveau de l’Union, d’un accord conclu par les partenaires sociaux, la Commission doit non seulement vérifier la stricte légalité des clauses de cet accord, mais également apprécier l’opportunité, y compris au regard de considérations d’ordre politique, économique et social, de l’éventuelle mise en œuvre, au niveau de l’Union, dudit accord.

80      Il y a lieu d’ajouter que, comme le fait valoir la Commission, la fonction de promotion de l’intérêt général de l’Union incombant à cette institution ne saurait, par défaut, être remplie par les seuls partenaires sociaux signataires d’un accord. En effet, lesdits partenaires sociaux, même lorsqu’ils sont suffisamment représentatifs et agissent conjointement, ne représentent qu’une partie des multiples intérêts devant être pris en compte lors de l’élaboration de la politique sociale de l’Union.

81      Troisièmement, l’interprétation proposée par les requérants modifierait l’équilibre institutionnel au détriment de la Commission et au profit des partenaires sociaux alors que ceux-ci ne sont pas au nombre des institutions limitativement énumérées à l’article 13, paragraphe 1, TUE.

82      De plus, si l’interprétation défendue par les requérants était retenue, les partenaires sociaux disposeraient d’un pouvoir de contrainte à l’encontre de la Commission dont ni le Parlement ni le Conseil ne disposent. En effet, il y a lieu de rappeler que les articles 225 et 241 TFUE permettent, respectivement, au Parlement et au Conseil de demander à la Commission de leur soumettre toute proposition appropriée, tout en prévoyant que la Commission peut ne pas soumettre de proposition, à condition de communiquer les motifs de son refus.

–       Interprétation téléologique

83      En vertu de l’article 151, premier alinéa, TFUE, le dialogue social constitue un des objectifs de l’Union. L’article 152, premier alinéa, TFUE précise que l’Union « reconnaît et promeut le rôle des partenaires sociaux à son niveau, en prenant en compte la diversité des systèmes nationaux » et qu’elle « facilite le dialogue entre eux, dans le respect de leur autonomie ». L’article 154, paragraphe 1, TFUE prévoit que la Commission « a pour tâche de promouvoir la consultation des partenaires sociaux au niveau de l’Union » et qu’elle « prend toute mesure utile pour faciliter leur dialogue en veillant à un soutien équilibré des parties ».

84      Il résulte des dispositions rappelées au point 83 ci-dessus que le titre X de la troisième partie du traité FUE a notamment pour finalité de promouvoir le rôle des partenaires sociaux et de faciliter le dialogue entre eux, dans le respect de leur autonomie.

85      C’est pourquoi il est non seulement prévu, à l’article 154, paragraphes 2 et 3, TFUE que la Commission consulte les partenaires sociaux, mais également précisé, à l’article 155 TFUE, que ces derniers peuvent négocier et conclure des accords susceptibles d’être ensuite mis en œuvre selon l’une ou l’autre des deux procédures mentionnées au point 50 ci-dessus.

86      L’autonomie des partenaires sociaux reconnue à l’article 152, premier alinéa, TFUE implique que, durant la phase de négociation et de conclusion d’un accord, laquelle est l’affaire exclusive des partenaires sociaux (voir point 74 ci-dessus), ces derniers puissent dialoguer et agir librement, sans recevoir d’ordre ou d’instruction de quiconque, et notamment pas des États membres ou des institutions. Il s’ensuit que les institutions, et notamment la Commission, doivent s’abstenir de tout comportement visant à influencer directement le déroulement des négociations et à imposer aux partenaires sociaux le principe ou le contenu d’un accord.

87      En revanche, une fois que les partenaires sociaux ont librement négocié et conclu un accord et que les parties signataires ont conjointement demandé la mise en œuvre de cet accord au niveau de l’Union, la Commission dispose à nouveau d’un droit à intervenir et récupère la maîtrise de la procédure (voir point 74 ci-dessus).

88      Certes, les requérants font valoir que, si la Commission était autorisée à refuser, pour des raisons d’opportunité, de présenter une proposition de décision mettant en œuvre un accord conclu par les partenaires sociaux, ces derniers seraient, en pratique, conduits à négocier en amont le contenu de cet accord avec la Commission afin de permettre sa mise en œuvre ultérieure, ce qui réduirait la portée de leur autonomie.

89      Cependant, il y a lieu de relever que l’article 155 TFUE se borne à associer les partenaires sociaux au processus d’adoption de certains actes non législatifs, sans leur donner aucun pouvoir de décision. En effet, les partenaires sociaux sont seulement autorisés à conclure un accord, puis à demander à la Commission de soumettre au Conseil une proposition tendant à la mise en œuvre de cet accord au niveau de l’Union. En revanche, les partenaires sociaux ne se voient reconnaître ni le pouvoir d’adopter eux-mêmes des actes produisant des effets juridiques obligatoires à l’égard des tiers, ni même celui de soumettre directement au Conseil une proposition de décision mettant en œuvre un accord.

90      Par conséquent, l’objectif de promotion du rôle des partenaires sociaux et du dialogue entre ces derniers, dans le respect de leur autonomie, n’implique pas que les institutions, à savoir la Commission, puis le Conseil, soient tenues de donner suite à une demande conjointe présentée par les parties signataires d’un accord et tendant à la mise en œuvre de cet accord au niveau de l’Union.

–       Autres arguments des requérants

91      Les requérants invoquent encore plusieurs autres règles, principes et objectifs de l’Union au soutien de leur interprétation de l’article 155, paragraphe 2, TFUE.

92      Premièrement, les requérants invoquent le principe, exprimé à l’article 13, paragraphe 2, TUE, selon lequel chaque institution agit dans les limites des attributions qui lui sont conférées dans les traités.

93      À cet égard, il convient de répondre que, en portant une appréciation sur l’opportunité de mettre en œuvre, au niveau de l’Union, un accord conclu par les partenaires sociaux, la Commission se borne à exercer les prérogatives qui lui sont conférées par l’article 155, paragraphe 2, premier alinéa, TFUE, lu conjointement avec l’article 17, paragraphes 1 à 3, TUE (voir points 66, 67 et 79 ci-dessus).

94      Deuxièmement, les requérants invoquent le principe de la démocratie, reconnu par l’article 10, paragraphes 1 et 2, TUE.

95      À cet égard, il importe de rappeler que le principe de la démocratie se traduit, à titre principal, par la participation du Parlement au processus décisionnel (voir, en ce sens, arrêt du 17 juin 1998, UEAPME/Conseil, T‑135/96, EU:T:1998:128, point 88 et jurisprudence citée). Pour autant, le Parlement ne peut contraindre la Commission à faire usage de son pouvoir d’initiative (voir point 82 ci-dessus). Ce n’est qu’à titre subsidiaire que, à défaut d’intervention du Parlement, le respect du principe de la démocratie peut être assuré, de manière alternative, par l’intermédiaire des partenaires sociaux, à condition que ceux-ci soient suffisamment représentatifs (voir, en ce sens, arrêt du 17 juin 1998, UEAPME/Conseil, T‑135/96, EU:T:1998:128, point 89).

96      Or, il y a lieu de relever que, en obligeant, dans certains cas, la Commission à proposer la mise en œuvre d’un accord par une décision du Conseil prise sur le fondement de l’article 155, paragraphe 2, TFUE, l’interprétation préconisée par les requérants interdirait en pratique à la Commission de présenter, sur le fondement de l’article 153, paragraphe 2, TFUE, une proposition ayant le même objet et, le cas échéant, le même contenu. Dès lors, cette interprétation ferait primer, de façon systématique, une procédure non législative, dans le cadre de laquelle le Parlement est seulement informé, sur une procédure législative, dans le cadre de laquelle le Parlement dispose, en principe, d’un pouvoir de codécision.

97      Troisièmement, les requérants se fondent sur un principe de « subsidiarité horizontale », qui impliquerait que les partenaires sociaux sont les mieux placés pour apprécier si un accord doit être mis en œuvre au niveau des partenaires sociaux nationaux et des États membres ou au niveau de l’Union.

98      À cet égard, il convient de relever que, tel qu’il est énoncé à l’article 5, paragraphe 3, TUE, le principe de subsidiarité régit l’exercice, par l’Union, des compétences qu’elle partage avec les États membres. Partant, ledit principe est entendu dans une dimension « verticale », en ce sens qu’il régit les rapports entre l’Union, d’une part, et les États membres, d’autre part. En revanche, contrairement à ce que suggèrent les requérants, ce principe ne présente pas, dans le droit de l’Union, de dimension « horizontale », puisqu’il n’a pas vocation à régir les rapports entre l’Union, d’une part, et les partenaires sociaux au niveau de l’Union, d’autre part. Par ailleurs, le principe de subsidiarité ne saurait être invoqué aux fins de modifier l’équilibre institutionnel.

99      Quatrièmement, les requérants invoquent le droit de négocier et de conclure des conventions collectives, consacré par l’article 28 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la liberté d’association, reconnue, notamment dans le domaine syndical, par l’article 12 de la charte des droits fondamentaux, ainsi que les objectifs poursuivis par l’Union et figurant à l’article 3, paragraphe 3, TUE et à l’article 9 TFUE, tels qu’une « économie sociale de marché [tendant] au plein emploi et au progrès social » et une « protection sociale adéquate ».

100    À cet égard, il y a lieu d’observer qu’aucune des dispositions mentionnées au point 99 ci-dessus n’implique que les partenaires sociaux signataires d’un accord puissent contraindre les institutions à mettre en œuvre un tel accord au niveau de l’Union.

101    Cinquièmement, les requérants mentionnent les positions que la Commission aurait prises dans plusieurs communications et notamment dans ses communications COM(93) 600 final, du 14 décembre 1993, concernant la mise en œuvre du protocole sur la politique sociale, COM(1998) 322 final, du 20 mai 1998, « Adapter et promouvoir le dialogue social au niveau communautaire », et COM(2002) 341 final, du 26 juin 2002, « Le dialogue social européen, force de modernisation et de changement ».

102    À cet égard, il y a lieu de constater que les communications mentionnées au point 101 ci-dessus sont dépourvues de toute force juridique contraignante. Par conséquent, lesdites communications ne sauraient être utilement invoquées aux fins de faire obstacle à l’interprétation d’une disposition des traités qui résulte des termes, du contexte et des objectifs de cette disposition.

103    Il résulte de l’ensemble de ces considérations que, lorsque les partenaires sociaux ont négocié et conclu un accord sur le fondement de l’article 155, paragraphe 1, TFUE et que les parties signataires présentent une demande conjointe tendant à la mise en œuvre de cet accord au niveau de l’Union par une décision du Conseil adoptée sur le fondement de l’article 155, paragraphe 2, TFUE, la Commission n’est pas tenue de faire droit à cette demande et il lui appartient d’apprécier s’il y a lieu pour elle de présenter une proposition en ce sens au Conseil.

104    Il s’ensuit que, en refusant de présenter au Conseil une proposition de décision mettant en œuvre l’Accord, la Commission n’a pas commis d’erreur de droit quant à l’étendue de ses pouvoirs.

105    Partant, le premier moyen doit être écarté.

 Sur le second moyen, tiré du caractère insuffisant et manifestement erroné des motifs de la décision attaquée

106    Les requérants soutiennent que les motifs pour lesquels la Commission a refusé de présenter au Conseil une proposition de décision mettant en œuvre l’Accord au niveau de l’Union sont insuffisants et manifestement erronés. En effet, les trois motifs figurant dans la décision attaquée ne permettraient pas de justifier un tel refus.

107    La Commission conteste l’argumentation des requérants.

108    À titre liminaire, il convient de rappeler que, lorsqu’elle est saisie d’une demande de mise en œuvre, au niveau de l’Union, d’un accord conclu par les partenaires sociaux, la Commission doit prendre en compte l’intérêt général de l’Union et apprécier le caractère approprié d’une telle mise en œuvre, y compris au regard de considérations d’ordre politique, économique et social (voir point 79 ci-dessus).

109    Il s’ensuit que, lorsqu’elle apprécie s’il y a lieu pour elle de présenter au Conseil une proposition de décision tendant à la mise en œuvre, au niveau de l’Union, d’un accord conclu par les partenaires sociaux, la Commission dispose d’une large marge d’appréciation (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 23 avril 2018, One of Us e.a./Commission, T‑561/14, sous pourvoi, EU:T:2018:210, point 169).

110    Or, il résulte d’une jurisprudence constante que, lorsqu’une institution dispose d’un large pouvoir d’appréciation, le contrôle juridictionnel se limite, en principe, à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation ainsi qu’au contrôle de l’exactitude matérielle des faits retenus et de l’absence d’erreur de droit, d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits ou de détournement de pouvoir (voir arrêts du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/UFEX e.a., C‑341/06 P et C‑342/06 P, EU:C:2008:375, point 143 et jurisprudence citée).

111    Cette limitation de l’intensité du contrôle du juge de l’Union s’impose particulièrement lorsque les institutions de l’Union sont amenées à opérer des arbitrages entre des intérêts divergents et à prendre ainsi des options dans le cadre des choix politiques relevant de leurs responsabilités propres (voir, en ce sens, arrêts du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil, C‑280/93, EU:C:1994:367, point 91, et du 14 juillet 2005, Rica Foods/Commission, C‑40/03 P, EU:C:2005:455, point 55 et jurisprudence citée).

112    Dans ces conditions, la décision attaquée doit faire l’objet d’un contrôle restreint de la part du Tribunal (voir, en ce sens, arrêt du 23 avril 2018, One of Us e.a./Commission, T‑561/14, sous pourvoi, EU:T:2018:210, point 170).

113    Il convient d’examiner séparément, d’une part, la question du respect de l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE, laquelle constitue une formalité substantielle, et, d’autre part, la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (voir, en ce sens, arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, EU:C:1998:154, point 67, et du 18 juin 2015, Ipatau/Conseil, C‑535/14 P, EU:C:2015:407, point 37).

–       Sur le respect de l’obligation de motivation

114    Dans leurs écritures, les requérants évoquent une « motivation insuffisante ».

115    À supposer que les requérants entendent ainsi soulever un moyen tiré de la méconnaissance de l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par cette disposition doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, EU:C:1998:154, point 63, et du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/UFEX e.a., C‑341/06 P et C‑342/06 P, EU:C:2008:375, point 88).

116    En l’espèce, la décision attaquée est fondée sur les trois motifs énumérés au point 6 ci-dessus. Ces motifs sont tirés, en substance, premièrement, du caractère spécifique des administrations des gouvernements centraux et, notamment, de la circonstance qu’elles exercent des prérogatives de puissance publique, deuxièmement, de l’existence, dans les droits nationaux de nombreux États membres, de dispositions relatives à l’information et à la consultation des fonctionnaires et des employés de ces administrations et, troisièmement, de l’existence de différences significatives entre les États membres quant à la définition et au périmètre desdites administrations, de sorte qu’une éventuelle décision du Conseil mettant en œuvre l’Accord aurait un champ d’application plus ou moins étendu selon les États membres.

117    Il convient de rappeler, premièrement, que la Commission a consulté les partenaires sociaux sur l’opportunité d’une action de l’Union relative à l’information et à la consultation des fonctionnaires et des employés des administrations publiques et que c’est précisément à la suite de cette consultation que les partenaires sociaux ont négocié et signé l’Accord (voir points 1 à 3 ci-dessus). Deuxièmement, la Commission a mis plus de deux ans pour répondre à la demande présentée par les partenaires sociaux sur le fondement de l’article 155, paragraphe 2, TFUE (voir points 4 et 5 ci-dessus). Dans ces conditions, et au regard de l’attitude de la Commission, les destinataires de la décision attaquée pouvaient s’attendre à ce que cette institution adoptât une motivation plus développée que celle, relativement succincte, qui est résumée aux points 6 et 116 ci-dessus.

118    Toutefois, même si cette manière de procéder de la Commission peut surprendre, il n’en demeure pas moins que les destinataires de la décision attaquée, à savoir la DSANE et les EAPE, ont été mis à même de connaître les trois justifications de cette décision et que le Tribunal est en mesure d’exercer son contrôle. D’ailleurs, les requérants n’allèguent pas avoir été empêchés de contester le bien-fondé des motifs de la décision attaquée en raison de la brièveté ou de l’obscurité desdits motifs.

119    Dans ces conditions, il peut être considéré que la décision attaquée satisfait à l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE.

–       Sur le bien-fondé de la motivation

120    Dans leurs écritures, les requérants contestent le bien-fondé des trois motifs de la décision attaquée, mentionnés aux points 6 et 116 ci-dessus.

121    En premier lieu, les requérants soutiennent que les trois motifs de la décision attaquée ne sont pas au nombre de ceux pour lesquels la Commission peut refuser de faire droit à une demande conjointe des parties signataires d’un accord tendant à la mise en œuvre de cet accord au niveau de l’Union, à savoir, d’une part, le défaut de représentativité desdites parties et, d’autre part, l’illégalité des clauses de cet accord.

122    À cet égard, il suffit de relever qu’il résulte de la réponse apportée au premier moyen que, dans le cadre de la procédure non législative prévue par l’article 155, paragraphe 2, TFUE, la Commission peut refuser de faire usage de son pouvoir d’initiative en se fondant sur d’autres motifs que ceux liés au défaut de représentativité des parties signataires d’un accord ou à l’illégalité des clauses de cet accord.

123    En deuxième lieu, les requérants considèrent que les trois motifs de la décision attaquée sont erronés, dépourvus de pertinence et insuffisants pour justifier cette décision.

124    S’agissant du premier motif de la décision attaquée, les requérants font valoir que l’Union est compétente pour protéger les droits sociaux des fonctionnaires et des employés des administrations des gouvernements centraux. De plus, la mise en œuvre de l’Accord au niveau de l’Union ne remettrait pas en cause la compétence des États membres pour fixer la structure, l’organisation et le fonctionnement de ces administrations. En outre, il serait de moins en moins justifié d’exclure du bénéfice du droit social de l’Union l’ensemble des fonctionnaires et des employés desdites administrations, notamment lorsque les fonctions de ces derniers ne sont pas liées à la sécurité nationale ou à l’exercice de prérogatives de puissance publique.

125    S’agissant du deuxième motif de la décision attaquée, les requérants expliquent que la mise en œuvre de l’Accord au niveau de l’Union conserverait une utilité, puisqu’elle garantirait un niveau minimal d’information et de consultation aux fonctionnaires et aux employés des administrations des gouvernements centraux dans l’ensemble des États membres, et notamment ceux dans lesquels ce niveau minimal n’est pas encore atteint.

126    S’agissant du troisième motif de la décision attaquée, les requérants estiment que la mise en œuvre de l’Accord au niveau de l’Union aurait pour conséquence de réduire les différences de niveau de protection existant actuellement entre travailleurs. En effet, une telle mise en œuvre rapprocherait la situation des fonctionnaires et des employés des administrations des gouvernements centraux de celle des travailleurs entrant dans le champ des directives de l’Union régissant le droit à l’information et à la consultation.

127    Par ailleurs, les requérants s’étonnent que la Commission se soit fondée sur des motifs qu’elle avait nécessairement déjà écartés lorsqu’elle a lancé, en 2015, une consultation des partenaires sociaux.

128    Il convient d’examiner les griefs des requérants résumés aux points 123 à 127 ci-dessus.

129    À cet égard, premièrement, les requérants ne démontrent pas que les éléments pris en compte au titre des trois motifs de la décision attaquée seraient matériellement inexacts ou dépourvus de toute pertinence aux fins d’apprécier le caractère approprié de la mise en œuvre de l’Accord au niveau de l’Union.

130    En effet, s’agissant du premier motif de la décision attaquée, la Commission n’a pas remis en cause l’existence d’une compétence de l’Union pour adopter des actes relatifs aux droits sociaux des fonctionnaires et des employés des administrations des gouvernements centraux. En revanche, la Commission a fait état des spécificités de ces administrations. Or, les requérants ne contestent pas sérieusement ces spécificités, et notamment le fait que certains fonctionnaires et certains employés desdites administrations exercent des prérogatives de puissance publique. Par ailleurs, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la mise en œuvre de l’Accord serait susceptible d’avoir une incidence sur le fonctionnement des administrations des gouvernements centraux en modifiant les relations que ces dernières entretiennent avec leurs fonctionnaires et leurs employés.

131    S’agissant du deuxième motif de la décision attaquée, il était loisible à la Commission de tenir compte du niveau de protection d’ores et déjà garanti dans certains États membres, et ce même en présence d’éventuelles lacunes dans d’autres États membres. Or, lors de l’audience, les requérants n’ont pas remis en cause l’affirmation de la Commission selon laquelle 22 États membres disposaient déjà, en 2014, de règles relatives à l’information et à la consultation des fonctionnaires et des employés des administrations des gouvernements centraux.

132    S’agissant du troisième motif de la décision attaquée, l’argument des requérants selon lequel la mise en œuvre de l’Accord au niveau de l’Union rapprocherait la situation des fonctionnaires et des employés des administrations des gouvernements centraux de celle des travailleurs du secteur privé ne remet pas en cause la circonstance que, dans le même temps, cette mise en œuvre affecterait de façon très variable les États membres en fonction de leur degré de centralisation ou de décentralisation. Or, rien n’interdisait à la Commission de prendre en compte cette dernière circonstance, en tant que conséquence non souhaitée de la mise en œuvre de l’Accord au niveau de l’Union.

133    Deuxièmement, il convient de rappeler la large marge d’appréciation dont disposait la Commission (voir point 109 ci-dessus), y compris aux fins de déterminer, d’une part, s’il était nécessaire de combler une éventuelle lacune dans le champ d’application des directives de l’Union régissant le droit à l’information et à la consultation des travailleurs et, d’autre part, si la mise en œuvre de l’Accord constituait un moyen approprié pour remédier à cette lacune. Or, pour contester l’appréciation de la Commission, les requérants se contentent d’invoquer l’existence d’une compétence de l’Union et l’utilité que pourrait présenter en l’espèce l’exercice de cette compétence. Dans ces conditions, et eu égard à l’ensemble des éléments pris en compte par la Commission dans le cadre des trois motifs de la décision attaquée, il n’apparaît pas que, en refusant de présenter au Conseil une proposition de décision mettant en œuvre l’Accord, la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation.

134    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par la circonstance que la Commission avait engagé en 2015 une consultation portant notamment sur la situation des fonctionnaires et des employés des administrations publiques des États membres au regard du champ d’application des directives sur l’information et la consultation des travailleurs. En effet, à cette occasion, la Commission s’était bornée à lancer un débat, sans préjuger de la forme et du contenu des éventuelles actions à entreprendre.

135    En troisième lieu, les requérants font valoir que rien en l’espèce ne justifiait que la Commission écartât la mise en œuvre de l’Accord sur le fondement des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Ils reprochent notamment à la Commission de ne pas avoir procédé à une quelconque analyse d’impact au regard desdits principes.

136    À cet égard, il y a lieu de relever qu’il ne ressort pas du libellé de la décision attaquée que la Commission aurait fondé la décision attaquée sur un motif tiré de ce que les principes de subsidiarité et de proportionnalité, tels qu’ils figurent à l’article 5, paragraphes 3 et 4, TUE, faisaient juridiquement obstacle à la mise en œuvre de l’Accord au niveau de l’Union par une décision du Conseil prise sur le fondement de l’article 155, paragraphe 2, TFUE.

137    Cependant, il ressort de la motivation de la décision attaquée que la Commission a estimé que la mise en œuvre de l’Accord au niveau de l’Union ne lui apparaissait ni nécessaire ni appropriée dans la mesure où, notamment, les États membres étaient compétents en ce qui concernait le fonctionnement des administrations des gouvernements centraux et où nombre d’entre eux avaient déjà mis en place des dispositions assurant un certain degré d’information et de consultation des fonctionnaires et des employés desdites administrations. De plus, lors d’une réunion avec les partenaires sociaux qui s’est tenue le 17 janvier 2018, la Commission a annoncé le sens de la décision attaquée en indiquant qu’elle était « forte en matière de subsidiarité » et qu’elle estimait qu’il était préférable que l’Accord soit mis en œuvre par les partenaires sociaux au niveau national. Ainsi, la Commission a tenu compte de considérations liées à la subsidiarité et à la proportionnalité au moment d’apprécier, non pas la possibilité d’une action de l’Union, mais le caractère approprié d’une telle action. Or, il résulte de ce qui a été dit au point 133 ci-dessus que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en estimant qu’il n’était pas approprié de mettre en œuvre l’Accord au niveau de l’Union.

138    Enfin, s’agissant de l’absence d’analyse d’impact, les requérants ne précisent pas en vertu de quelle disposition la Commission aurait été tenue de procéder à une telle analyse avant de refuser de faire usage de son pouvoir d’initiative.

139    Il s’ensuit, à supposer même qu’un moyen tiré de la violation du principe de subsidiarité puisse être opérant dans des circonstances telles que celles de l’espèce, que le grief tiré de la violation des principes de subsidiarité et de proportionnalité doit être écarté comme non fondé.

140    Partant, le second moyen doit être écarté.

141    Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté.

 Sur les dépens

142    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Toutefois, en vertu de l’article 135, paragraphe 1, du règlement de procédure, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe supporte, outre ses propres dépens, une fraction des dépens de l’autre partie, voire qu’elle ne soit pas condamnée à ce titre.

143    En l’espèce, les requérants ont succombé en leurs conclusions. En outre, la Commission a expressément conclu à ce qu’ils soient condamnés aux dépens. Cependant, eu égard aux circonstances de l’espèce, et en particulier à l’attitude de la Commission (voir points 117 et 118 ci-dessus), l’équité exige, conformément à l’article 135, paragraphe 1, du règlement de procédure, que chaque partie supporte ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      L’European Federation of Public Service Unions (EPSU) et M. Jan Goudriaan, d’une part, et la Commission européenne, d’autre part, supporteront leurs propres dépens.


Gervasoni

Madise

da Silva Passos

Kowalik-Bańczyk

 

      Mac Eochaidh

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 24 octobre 2019.

Signatures


Table des matières


Antécédents du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur la recevabilité

Sur l’existence d’un acte attaquable

– Éventuelle qualification d’acte préparatoire

– Éventuelle incidence de l’existence d’une large marge d’appréciation

Sur la qualité pour agir des requérants

Sur la recevabilité de l’annexe C.3

Sur le bien-fondé

Sur le premier moyen, tiré d’une erreur de droit quant à l’étendue des pouvoirs de la Commission

– Interprétation littérale

– Interprétation contextuelle

– Interprétation téléologique

– Autres arguments des requérants

Sur le second moyen, tiré du caractère insuffisant et manifestement erroné des motifs de la décision attaquée

– Sur le respect de l’obligation de motivation

– Sur le bien-fondé de la motivation

Sur les dépens


*      Langue de procédure : l’anglais.