Language of document : ECLI:EU:T:2024:33

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre élargie)

24 janvier 2024 (*)

« Union économique et monétaire – Union bancaire – Mécanisme de résolution unique des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement (MRU) – Fonds de résolution bancaire unique (FRU) – Décision du CRU sur le calcul des contributions ex ante pour 2021 – Obligation de motivation – Égalité de traitement – Principe de proportionnalité – Marge d’appréciation du CRU – Exception d’illégalité – Base juridique du règlement (UE) no 806/2014 – Marge d’appréciation de la Commission »

Dans l’affaire T‑405/21,

Dexia Crédit Local, établie à Paris (France), représentée par Mes H. Gilliams et J.-M. Gollier, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de résolution unique (CRU), représenté par M. J. Kerlin et Mme C. De Falco, en qualité d’agents, assistés de Mes H.-G. Kamann, F. Louis, P. Gey et V. Del Pozo Espinosa de los Monteros, avocats,

partie défenderesse,

soutenu par

Parlement européen, représenté par MM. J. Etienne et O. Denkov, en qualité d’agents,

par

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mmes E. d’Ursel et A. Westerhof Löfflerová, en qualité d’agents,

et par

Commission européenne, représentée par M. D. Triantafyllou et Mme A. Steiblytė, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie),

composé de MM. A. Kornezov, président, G. De Baere, D. Petrlík (rapporteur), K. Kecsmár et Mme S. Kingston, juges,

greffier : M. L. Ramette, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 1er mars 2023,

rend le présent

Arrêt (1)

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Dexia Crédit Local, demande l’annulation de la décision SRB/ES/2021/22 du Conseil de résolution unique (CRU), du 14 avril 2021, sur le calcul des contributions ex ante pour 2021 au Fonds de résolution unique (ci-après la « décision attaquée »), en ce qu’elle la concerne.

[omissis]

III. Conclusions des parties

22      La requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée en tant qu’elle la concerne ;

–        condamner le CRU aux dépens.

23      Le CRU conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens ;

–        à titre subsidiaire, en cas d’annulation de la décision attaquée, maintenir les effets de cette dernière jusqu’à son remplacement ou, à tout le moins, pendant une période de six mois à compter de la date à laquelle le jugement sera définitif.

24      Le Parlement européen conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours en ce qu’il est fondé sur l’exception d’illégalité du règlement no 806/2014 soulevée dans les cinquième et sixième moyens ;

–        condamner la requérante aux dépens.

25      Le Conseil de l’Union européenne conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

26      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

IV.    En droit

[omissis]

A.      Sur les exceptions d’illégalité du règlement no 806/2014 et du règlement délégué 2015/63

1.      Sur les cinquième et sixième moyens, tirés dexceptions d’illégalité de dispositions du règlement no 806/2014 au regard des traités

29      En premier lieu, la requérante fait valoir que les articles 5, 69 et 70 du règlement no 806/2014, sur la base desquels le niveau cible annuel et sa contribution ex ante ont été déterminés par le CRU, sont illégaux. Ces dispositions auraient été adoptées sur le fondement de l’article 114 TFUE, alors qu’elles substituent une agence européenne indépendante, le CRU, instituée par ce règlement, aux ARN compétentes pour la détermination du niveau cible annuel et des contributions ex ante.

30      En second lieu, selon la requérante, les dispositions dont la légalité est contestée au titre du sixième moyen, à savoir les articles 69 et 70 du règlement no 806/2014, comme cette dernière l’a précisé dans sa réponse aux questions écrites que le Tribunal lui a posées, constituent des « dispositions fiscales » au sens de l’article 114, paragraphe 2, TFUE, de sorte qu’elles ne pouvaient être adoptées sur le fondement du paragraphe 1 de cet article. En effet, en ce qu’elles prévoient l’imposition de l’obligation de verser des contributions ex ante, ces contributions auraient une nature fiscale, puisqu’elles ne constitueraient pas la rémunération réelle et proportionnelle d’un service déterminé. En effet, la requérante ne pourrait attendre aucune contrepartie de leur versement, eu égard au fait, confirmé par la Commission et le CRU, que sa situation serait régie par les dispositions en vigueur au moment de son placement en résolution, avant l’entrée en vigueur de la directive 2014/59, et qu’aucun outil de résolution ne serait susceptible d’être utilisé à son égard en cas de défaillance.

31      De même, les contributions ex ante ne poursuivraient que des objectifs d’intérêt public, comme le Tribunal l’aurait jugé dans l’arrêt du 20 janvier 2021, ABLV Bank/CRU (T‑758/18, EU:T:2021:28, points 70 et 71). Or, l’objectif d’intérêt public consistant à assurer la stabilité financière du système bancaire ne profiterait pas aux seuls établissements soumis à l’obligation de paiement des contributions ex ante, mais à tous les acteurs économiques de l’Union.

32      Il en résulterait que seul l’article 352 TFUE aurait pu constituer une base légale pour l’adoption des articles 5, 69 et 70 du règlement no 806/2014.

33      Le CRU, le Parlement, le Conseil et la Commission contestent cette argumentation.

34      À titre liminaire, il convient de rappeler que le choix de la base juridique d’un acte de l’Union doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, parmi lesquels figurent la finalité et le contenu de l’acte [voir avis 1/15 (Accord PNR UE-Canada), du 26 juillet 2017, EU:C:2017:592, point 76 et jurisprudence citée ; arrêt du 4 septembre 2018, Commission/Conseil (Accord avec le Kazakhstan), C‑244/17, EU:C:2018:662, point 36].

35      Les actes législatifs adoptés sur le fondement de l’article 114, paragraphe 1, TFUE doivent, d’une part, comporter des mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres et, d’autre part, avoir pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur (arrêt du 22 janvier 2014, Royaume-Uni/Parlement et Conseil, C‑270/12, EU:C:2014:18, point 100).

36      Dans un premier temps, afin d’examiner si les articles 5, 69 et 70 du règlement no 806/2014 pouvaient être adoptés sur le fondement de l’article 114, paragraphe 1, TFUE, il convient d’examiner si ces dispositions satisfont aux deux conditions mentionnées au point 35 ci-dessus.

37      En premier lieu, il importe de rappeler que l’article 114 TFUE ne saurait être utilisé en tant que base juridique que lorsqu’il ressort objectivement et effectivement de l’acte juridique que ce dernier a pour objectif d’améliorer les conditions de l’établissement et du fonctionnement du marché intérieur (voir arrêt du 22 janvier 2014, Royaume-Uni/Parlement et Conseil, C‑270/12, EU:C:2014:18, point 113 et jurisprudence citée).

38      En l’espèce, il découle, notamment, des considérants 1 et 3 du règlement no 806/2014 ainsi que du considérant 1 de la directive 2014/59 que ce règlement a été adopté dans un contexte de crise économique et financière, lequel a révélé, s’agissant de l’Union, un manque d’instruments permettant de faire face efficacement au risque présenté par les établissements ayant des difficultés financières, ce qui contraignait les États membres à utiliser les moyens financiers publics pour soutenir de tels établissements.

39      Il découle également du considérant 1 du règlement no 806/2014 que cette crise a mis en évidence les menaces pesant sur le fonctionnement du marché intérieur des services bancaires et le risque croissant de fragmentation financière. Cela constituait une véritable source de préoccupation au sein du marché intérieur dans lequel les banques auraient dû être en mesure d’exercer des activités transfrontalières importantes, alors qu’un repli de ces activités était constaté, lié à une crainte de contagion.

40      Par ailleurs, le législateur de l’Union a souligné, aux considérants 2 à 4 et 12 du règlement no 806/2014, que les divergences entre les réglementations nationales en matière de résolution et entre les pratiques administratives correspondantes ainsi que l’absence de processus décisionnel unifié pour la résolution dans l’union bancaire alimentaient une défiance des systèmes bancaires nationaux envers ceux des autres États membres, y compris les États membres ne participant pas au MRU, et contribuaient à l’instabilité du marché en ne garantissant aucune prévisibilité quant à l’issue d’une défaillance d’une banque. Ces divergences pouvaient également entraîner des coûts d’emprunts plus élevés pour certaines banques et leurs clients en raison uniquement du lieu d’établissement de ces banques, indépendamment de leur solvabilité réelle.

41      Enfin, le législateur de l’Union a mis en exergue, aux considérants 9 et 19 du règlement no 806/2014, le fait que tant que les réglementations et les pratiques en matière de résolution ainsi que les modalités de partage des charges ne dépasseraient pas le niveau national et que les ressources financières nécessaires au financement des procédures de résolution seraient collectées et dépensées au niveau national, le lien entre les États membres et le secteur bancaire ne serait pas totalement brisé et le marché intérieur resterait fragmenté. Cette situation restreindrait les activités transfrontalières des banques, créerait des obstacles à l’exercice des libertés fondamentales et fausserait la concurrence dans le marché intérieur.

42      C’est au regard de ces considérations que le règlement no 806/2014 vise à desserrer le lien existant entre la situation budgétaire de chaque État membre, telle qu’elle est perçue, et les coûts de financement des banques et des entreprises qui y sont implantées ainsi qu’à faire peser la responsabilité du financement de la stabilisation du système financier sur le secteur financier dans son ensemble.

43      Ainsi, comme l’indique son article 1er, le règlement no 806/2014 établit, notamment, des règles uniformes et une procédure uniforme pour la résolution des établissements, qui devraient être appliquées par le CRU, et ce afin de pallier les menaces évoquées aux points 38 à 41 ci-dessus.

44      Un élément essentiel de ces règles et de cette procédure est le FRU, qui permet, ainsi qu’il ressort des articles 67 et 76 du règlement no 806/2014 et du considérant 107 de ce règlement, d’assurer l’exercice efficient des pouvoirs de résolution et de contribuer au financement des instruments de résolution en assurant leur application efficiente.

45      Afin de garantir des moyens financiers suffisants dans le FRU, ce dernier est financé, au regard des considérations énoncées aux points 38 à 41 ci-dessus, notamment, par les contributions ex ante versées par les établissements et dont le montant dépend du niveau cible final et des modalités principales de calcul établies par les articles 69 et 70 du règlement no 806/2014.

46      Par conséquent, le versement de ces contributions, tel qu’il est déterminé en conformité avec les articles 69 et 70 du règlement no 806/2014, assure l’application efficiente des règles uniformes et de la procédure uniforme de résolution des établissements. Les règles fixant lesdites contributions permettent, à leur tour, comme cela ressort des considérants 12 et 19 du même règlement, d’éviter que des pratiques nationales divergentes n’entravent l’exercice des libertés fondamentales ou ne faussent la concurrence dans le marché intérieur. 

47      Par ailleurs, le législateur de l’Union a souligné, aux considérants 11, 31 et 39 du règlement no 806/2014, que l’application uniforme du régime de résolution dans les États membres participants se trouverait renforcée grâce aux missions confiées au CRU, lequel a été conçu spécifiquement pour garantir un processus décisionnel rapide et efficace en matière de résolution et devrait également veiller à ce que la stabilité financière nationale, la stabilité financière de l’Union et le marché intérieur soient dûment pris en compte. Dans ce contexte, l’article 5 de ce règlement prévoit que le CRU doit être considéré comme une ARN, au sens de la directive 2014/59, lorsqu’il exécute des tâches et exerce des pouvoirs dévolus à une telle ARN. Cette disposition permet ainsi au CRU d’agir pleinement en tant qu’organe décisionnel dans le domaine de la résolution au sein de l’union bancaire et a, dès lors, compte tenu également des considérations énoncées aux points 38 à 41 ci-dessus, pour objet d’améliorer le fonctionnement du marché intérieur.

48      Eu égard à ce qui précède, il convient de constater que le règlement no 806/2014, notamment ses articles 5, 69 et 70, a pour objectif d’améliorer les conditions de l’établissement et du fonctionnement du marché intérieur.

49      En second lieu, il convient de rappeler que, par l’expression « mesures relatives au rapprochement » figurant à l’article 114 TFUE, les auteurs du traité FUE ont voulu conférer au législateur de l’Union, en fonction du contexte général et des circonstances spécifiques de la matière à harmoniser, une marge d’appréciation quant à la technique de rapprochement la plus appropriée afin d’aboutir au résultat souhaité, notamment dans des domaines qui se caractérisent par des particularités techniques complexes (voir arrêt 22 janvier 2014, Royaume-Uni/Parlement et Conseil, C‑270/12, EU:C:2014:18, point 102 et jurisprudence citée).

50      Partant, le législateur de l’Union, dans son choix de la technique de rapprochement et compte tenu de la marge d’appréciation dont il bénéficie quant aux mesures visées à l’article 114 TFUE, peut déléguer à un organe ou à un organisme de l’Union des compétences visant à la mise en œuvre de l’harmonisation recherchée. Tel est, notamment, le cas lorsque les mesures à prendre doivent s’appuyer sur une expertise professionnelle et technique particulière ainsi que sur une capacité réactive d’une telle entité (arrêt du 22 janvier 2014, Royaume-Uni/Parlement et Conseil, C‑270/12, EU:C:2014:18, point 105).

51      Dans ce contexte, d’une part, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort des points 38 à 42 ci-dessus, les mesures à prendre dans le domaine de la résolution doivent s’appuyer sur une expertise professionnelle et technique particulière. D’autre part, ainsi qu’il découle des considérations énoncées au point 47 ci-dessus, le CRU a été établi afin de garantir et de renforcer l’application des règles uniformes et de la procédure uniforme de résolution des établissements. Dans ces conditions, le législateur de l’Union pouvait prévoir, à l’article 5 du règlement no 806/2014, que le CRU devait être considéré comme une ARN, au sens de la directive 2014/59, lorsqu’il exécutait des tâches et exerçait des pouvoirs dévolus à une telle ARN et il pouvait lui confier les compétences pour fixer, en application des articles 69 et 70 de ce règlement, le montant des contributions ex ante ainsi que pour gérer les moyens financiers du FRU en conformité avec l’article 67, paragraphes 2 et 3, dudit règlement.

52      En outre, ainsi qu’il ressort des points 45 et 46 ci-dessus, les articles 69 et 70 du règlement no 806/2014 constituent un élément essentiel des règles et de la procédure de résolution des établissements, qui contribue à éviter que des pratiques nationales divergentes n’entravent l’exercice des libertés fondamentales ou ne faussent la concurrence dans le marché intérieur.

53      De même, ainsi qu’il ressort du point 47 ci-dessus, l’article 5 du règlement no 806/2014 comporte une mesure relative au rapprochement des législations en matière de résolution, qui renforce l’application uniforme des règles et de la procédure de résolution des établissements.

54      Dans ces conditions, les articles 5, 69 et 70 du règlement no 806/2014 peuvent être considérés comme des dispositions relatives au rapprochement des dispositions des États membres en matière de résolution des établissements dans l’union bancaire.

55      Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument de la requérante selon lequel la création du CRU par le règlement no 806/2014 ne répond pas aux exigences énoncées dans l’arrêt du 2 mai 2006, Royaume-Uni/Parlement et Conseil (C‑217/04, EU:C:2006:279, points 44 et 45).

56      Dans l’arrêt du 2 mai 2006, Royaume-Uni/Parlement et Conseil (C‑217/04, EU:C:2006:279), la Cour a relevé que les missions confiées à un organisme chargé de contribuer à la réalisation d’un processus d’harmonisation devaient se rattacher étroitement aux matières qui faisaient l’objet des actes de rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres, tel étant, « notamment », le cas lorsque l’organisme ainsi institué fournissait des prestations aux autorités nationales ou aux opérateurs qui avaient une incidence sur la mise en œuvre homogène des instruments d’harmonisation et qui étaient susceptibles de faciliter leur application (arrêt du 2 mai 2006, Royaume‑Uni/Parlement et Conseil, C‑217/04, EU:C:2006:279, point 45).

57      En apportant ces dernières précisions, la Cour a mis en avant les caractéristiques de l’affaire dont elle était saisie qui permettaient, dans les circonstances de cette affaire, de considérer que les missions de l’organisme alors en cause se rattachaient étroitement aux matières faisant l’objet de l’acte de rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en cause dans cette affaire.

58      Un tel rattachement étroit entre les missions confiées au CRU et la matière faisant l’objet du règlement no 806/2014 existe également dans la présente affaire. En effet, les missions confiées au CRU par ce règlement, telles qu’elles sont décrites au point 51 ci-dessus, s’inscrivent dans le contexte de la création de l’union bancaire, laquelle nécessitait un règlement uniforme, complet et détaillé relatif aux services financiers, comme l’a indiqué le législateur de l’Union au considérant 5 de ce règlement. Dans ce contexte, ainsi qu’il ressort du considérant 35 dudit règlement, le CRU joue un rôle important en assurant la cohérence entre les pratiques de surveillance et de résolution dans l’ensemble de l’Union. De plus, conformément à l’article 31, paragraphe 1, et à l’article 70, paragraphe 2, de ce même règlement, dans le cadre de l’exercice de ses missions, le CRU collabore étroitement avec les ARN, y compris aux fins du calcul des contributions ex ante. Les missions qui sont confiées au CRU par le règlement no 806/2014 ont dès lors une incidence sur la mise en œuvre homogène des instruments d’harmonisation et sont susceptibles de faciliter leur application.

59      Dans ces circonstances, la requérante ne saurait prétendre que les missions confiées au CRU ne se rattachent pas étroitement aux matières qui font l’objet des actes de rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres dans la matière en cause.

60      Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que les articles 5, 69 et 70 du règlement no 806/2014 satisfont aux conditions énoncées à l’article 114, paragraphe 1, TFUE.

61      Dans un deuxième temps, la requérante soutient que les articles 69 et 70 du règlement no 806/2014, en ce qu’ils prévoient l’obligation de verser des contributions ex ante, ont une nature fiscale au sens de l’article 114, paragraphe 2, TFUE et ne peuvent dès lors pas être adoptés sur le fondement de l’article 114, paragraphe 1, TFUE.

62      L’article 114, paragraphe 2, TFUE prévoit que le paragraphe 1 de cette disposition ne s’applique pas, notamment, aux « dispositions fiscales ».

63      En ce qui concerne l’interprétation de l’expression « dispositions fiscales », il y a lieu de constater que le traité FUE ne contient pas de définition de cette dernière (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2004, Commission/Conseil, C‑338/01, EU:C:2004:253, point 63).

64      Cela étant, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’un prélèvement versé par les opérateurs économiques d’un secteur particulier n’a pas de nature fiscale dans une situation où, en particulier, il est directement affecté au seul financement des dépenses de ce secteur et où ces dépenses sont nécessaires au fonctionnement de ce dernier afin, notamment, de le stabiliser (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 11 juillet 1989, Schräder HS Kraftfutter, 265/87, EU:C:1989:303, points 9 et 10).

65      Or, ce raisonnement s’applique également dans le cas des contributions ex ante, qui suivent une logique d’ordre assurantiel et qui sont versées par les opérateurs économiques d’un secteur particulier en vue de financer exclusivement les dépenses de ce secteur.

66      Ainsi, s’agissant de la nature des contributions ex ante, il a déjà été relevé au point 38 ci-dessus que le règlement no 806/2014 avait été adopté dans un contexte de crise économique et financière qui avait révélé, s’agissant de l’Union, un manque d’instruments permettant de faire face efficacement au risque présenté par les établissements ayant des difficultés financières, ce qui contraignait les États membres à utiliser les moyens financiers publics pour soutenir de tels établissements. Le MRU vise à éviter les conséquences dommageables des défaillances des établissements survenues lors de telles crises, dès lors que la défaillance des établissements dans un seul État membre peut compromettre la stabilité des marchés financiers dans leur ensemble, ainsi que cela ressort des considérants 8 et 12 de ce règlement.

67      Dans ce contexte, le législateur de l’Union a considéré qu’il incombait au secteur financier dans son ensemble de financer la stabilisation du système financier, ainsi que cela ressort, notamment, du considérant 100 du règlement no 806/2014.

68      Dans cette optique, la nature spécifique des contributions ex ante consiste, comme le confirment les considérants 105 à 107 de la directive 2014/59 et le considérant 41 du règlement no 806/2014, à garantir, dans une logique d’ordre assurantiel, que le secteur financier procure des ressources financières suffisantes au MRU pour qu’il puisse remplir ses fonctions (arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Landesbank Baden-Württemberg et CRU, C‑584/20 P et C‑621/20 P, EU:C:2021:601, point 113).

69      Par conséquent, conformément à l’article 67, paragraphes 2 et 4, et au considérant 61 du règlement no 806/2014, les contributions ex ante sont collectées auprès des opérateurs économiques du secteur financier afin d’alimenter le FRU, auquel il est permis d’avoir recours uniquement aux fins de l’application efficiente des instruments de résolution et de l’exercice efficient des pouvoirs de résolution lorsque de telles mesures s’avèrent nécessaires pour atteindre l’objectif de stabilité financière de ce secteur.

70      À cet égard, il convient de relever que, ainsi qu’il découle de l’article 1er du règlement n° 806/2014, les mesures mentionnées au point 69 ci-dessus ne sont appliquées qu’au profit des établissements qui sont tenus de verser les contributions ex ante.

71      Certes, le règlement no 806/2014 n’établit aucun lien automatique entre le versement de la contribution ex ante et la résolution de l’établissement concerné. C’est la raison pour laquelle les contributions ex ante ne sauraient être considérées comme des primes d’assurance dont la mensualisation et le remboursement seraient possibles (voir, en ce sens, arrêt du 20 janvier 2021, ABLV Bank/CRU, T‑758/18, EU:T:2021:28, points 70 et 73).

72      Il n’en demeure pas moins que les établissements profitent à double titre du FRU, lequel est financé précisément par leurs contributions ex ante.

73      D’une part, lorsque la défaillance des établissements est avérée ou prévisible, leur situation financière peut être régularisée dans le cadre d’une procédure de résolution qui peut être entamée en leur faveur si les autres conditions prévues par l’article 18 du règlement no 806/2014 sont également remplies. Une telle procédure permet ainsi d’utiliser des moyens financiers du FRU au profit de tels établissements, étant entendu que ces moyens ont été alimentés par les contributions de ces derniers.

74      D’autre part, tous les établissements bénéficient de leurs contributions ex ante au travers de la stabilité du système financier, laquelle est assurée par le FRU.

75      En effet, le risque couvert par le FRU est celui que l’ensemble du secteur financier fait courir à la stabilité du système financier (arrêt du 20 janvier 2021, ABLV Bank/CRU, T‑758/18, EU:T:2021:28, point 72).

76      Il s’ensuit que le FRU vise, dans une optique d’ordre non pas fiscal, mais assurantiel, à garantir la stabilité du secteur financier dans son ensemble, en ayant pour objectif d’assurer une protection contre sa propre crise au bénéfice de tous les établissements.

77      Cette finalité d’ordre assurantiel se reflète d’ailleurs également dans le calcul des contributions ex ante, étant donné que celles-ci ne résultent pas de l’application d’un taux déterminé à une assiette, mais, en application des articles 102 et 103 de la directive 2014/59 ainsi que des articles 69 et 70 du règlement no 806/2014, de la définition d’un niveau cible final, puis d’un niveau cible annuel, lequel est ensuite réparti entre les établissements (voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Landesbank Baden-Württemberg et CRU, C‑584/20 P et C‑621/20 P, EU:C:2021:601, point 113). Cette répartition du niveau cible annuel est fondée, notamment, ainsi qu’il découle également du considérant 109 du règlement no 806/2014, sur le risque que représente chaque établissement pour la stabilité du système financier, ce qui incite les établissements à adopter des modes de fonctionnement moins risqués.

78      Il découle de ce qui précède que les établissements versent les contributions ex ante dans une logique d’ordre assurantiel, étant entendu que ces contributions sont directement affectées au seul financement des dépenses du secteur financier dont ces établissements relèvent et que ces dépenses s’avèrent nécessaires pour le fonctionnement de ce secteur afin, notamment, de le stabiliser en cas de défaillance de certains établissements et de limiter des effets de contagion.

79      Par conséquent, les dispositions du règlement no 806/2014 qui obligent les établissements à verser de contributions ex ante et précisent les modalités de leur calcul, notamment ses articles 69 et 70, ne constituent pas des « dispositions fiscales » au sens de l’article 114, paragraphe 2, TFUE.

80      Cette conclusion n’est pas infirmée par l’argumentation de la requérante.

81      D’une part, pour les motifs énoncés aux points 72 à 74 ci-dessus, il y a lieu de rejeter l’argument de la requérante selon lequel elle ne recevrait aucune contrepartie à la suite du versement des contributions ex ante.

82      D’autre part, l’argument de la requérante selon lequel la stabilité financière est un objectif d’intérêt public ne profitant pas seulement aux personnes soumises à l’obligation de paiement des contributions ex ante ne saurait non plus prospérer. En effet, une telle circonstance n’a pas d’incidence sur la logique d’ordre assurantiel des contributions ex ante, étant entendu que ces contributions versées par les établissements sont directement affectées au seul financement des dépenses du secteur financier dont ces établissements relèvent et que ces dépenses s’avèrent nécessaires pour le fonctionnement de ce secteur.

83      Dans un troisième temps, la requérante soutient que le règlement no 806/2014 aurait dû être adopté sur le fondement de l’article 352 TFUE, qui est une disposition équivalente à l’article 127, paragraphe 6, TFUE, lequel constituait la base juridique du règlement (UE) no 1024/2013 du Conseil, du 15 octobre 2013, confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit (JO 2013, L 287, p. 63).

84      L’article 352 TFUE vise à suppléer l’absence de pouvoirs d’action conférés expressément ou de façon implicite aux institutions de l’Union par des dispositions spécifiques des traités dans la mesure où de tels pouvoirs apparaissent néanmoins nécessaires pour que l’Union puisse exercer ses fonctions en vue d’atteindre l’un des objectifs fixés par ces traités [avis 2/94 (Adhésion de la Communauté à la CEDH), du 28 mars 1996, EU:C:1996:140, point 29 ; voir, également, arrêt du 3 septembre 2009, Parlement/Conseil, C‑166/07, EU:C:2009:499, point 41 et jurisprudence citée].

85      Il en résulte que, lorsqu’une base juridique spécifique existe pour l’adoption d’un acte de l’Union, le recours à l’article 352 TFUE est exclu.

86      Or, d’une part, il découle des points 38 à 54 ci-dessus que les dispositions dont la légalité est contestée, à savoir les articles 5, 69 et 70 du règlement no 806/2014, remplissent les conditions prévues par l’article 114, paragraphe 1, TFUE, en ce qu’ils comportent, chacun, une mesure relative au rapprochement des législations et des réglementations en matière de résolution et en ce qu’ils ont pour objet d’améliorer le fonctionnement du marché intérieur. D’autre part, il ressort des points 62 à 79 ci-dessus que les articles 69 et 70 de ce règlement, dont la légalité est contestée, ne constituent pas des « dispositions fiscales » au sens de l’article 114, paragraphe 2, TFUE.

87      Dès lors, de telles mesures peuvent être rattachées aux compétences accordées aux institutions de l’Union pour légiférer sur le fondement de l’article 114 TFUE afin d’améliorer le fonctionnement du marché intérieur.

88      Dans ces conditions, l’article 352 TFUE ne constitue pas une base juridique appropriée pour l’adoption des articles 5, 69 et 70 du règlement no 806/2014.

89      Eu égard à tout ce qui précède, les cinquième et sixième moyens doivent être écartés.

[omissis]

B.      Sur les moyens portant sur la légalité de la décision attaquée

[omissis]

3.      Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 69, paragraphe 2, du règlement no 806/2014 par la décision attaquée

[omissis]

207    Afin d’apprécier si le CRU a méconnu l’article 69, paragraphe 2, du règlement no 806/2014 lorsqu’il a déterminé le niveau cible annuel dans la décision attaquée, le Tribunal doit d’abord examiner d’office si cette décision est suffisamment motivée en ce qui concerne la détermination dudit niveau.

208    À cet égard, il convient de rappeler qu’un défaut ou une insuffisance de motivation constitue un moyen d’ordre public pouvant, voire devant, être soulevé d’office par le juge de l’Union (voir arrêt du 2 décembre 2009, Commission/Irlande e.a., C‑89/08 P, EU:C:2009:742, point 34 et jurisprudence citée). Par conséquent, le Tribunal peut, voire doit, prendre en compte également d’autres défauts de motivation que ceux invoqués par la requérante, et ce, notamment, lorsque ceux-ci se révèlent au cours de la procédure.

209    À cette fin, les parties ont été entendues, par une mesure d’organisation de la procédure et lors de l’audience, sur tous les éventuels défauts de motivation dont serait entachée la décision attaquée en ce qui concerne la détermination du niveau cible annuel.

210    Cela étant précisé, il convient de rappeler que, conformément à l’article 69, paragraphe 1, du règlement no 806/2014, au terme de la période initiale, les moyens financiers disponibles dans le FRU doivent atteindre le niveau cible final, qui correspond à au moins 1 % du montant des dépôts couverts de l’ensemble des établissements agréés sur le territoire de tous les États membres participants.

211    Selon l’article 69, paragraphe 2, du règlement no 806/2014, au cours de la période initiale, les contributions ex ante doivent être réparties aussi uniformément que possible dans le temps jusqu’à ce que le niveau cible final mentionné au point 210 ci-dessus soit atteint, mais en tenant dûment compte de la phase du cycle d’activité et de l’incidence que les contributions procycliques peuvent avoir sur la position financière des établissements.

212    L’article 70, paragraphe 2, du règlement no 806/2014 précise que, chaque année, les contributions dues par l’ensemble des établissements agréés sur le territoire de tous les États membres participants ne dépassent pas 12,5 % du niveau cible final.

213    En ce qui concerne le mode de calcul des contributions ex ante, l’article 4, paragraphe 2, du règlement délégué 2015/63 prévoit que le CRU détermine leur montant sur la base du niveau cible annuel, compte tenu du niveau cible final, et sur la base du montant moyen des dépôts couverts de l’année précédente, calculé trimestriellement, pour tous les établissements agréés sur le territoire de tous les États membres participants.

214    De même, selon l’article 4 du règlement d’exécution 2015/81, le CRU calcule la contribution ex ante pour chaque établissement sur la base du niveau cible annuel, qui doit être établi au regard du niveau cible final et conformément à la méthode exposée dans le règlement délégué 2015/63.

215    En l’espèce, ainsi qu’il ressort du considérant 48 de la décision attaquée, le CRU a fixé, pour la période de contribution 2021, le montant du niveau cible annuel à 11 287 677 212,56 euros.

216    Aux considérants 36 et 37 de la décision attaquée, le CRU a expliqué, en substance, que le niveau cible annuel devait être déterminé sur la base d’une analyse portant sur l’évolution des dépôts couverts au cours des années précédentes, sur toute évolution pertinente de la situation économique ainsi que sur une analyse portant sur les indicateurs relatifs à la phase du cycle d’activité et sur les effets que des contributions procycliques auraient sur la situation financière des établissements. Par la suite, le CRU a considéré approprié de fixer un coefficient qui était fondé sur cette analyse et sur les moyens financiers disponibles dans le FRU (ci-après le « coefficient »). Le CRU a appliqué ce coefficient à un huitième du montant moyen des dépôts couverts en 2020, aux fins d’obtenir le niveau cible annuel.

217    Le CRU a exposé la démarche suivie pour fixer le coefficient aux considérants 38 à 47 de la décision attaquée.

218    Au considérant 38 de la décision attaquée, le CRU a constaté une tendance constante à la hausse des dépôts couverts pour tous les établissements des États membres participants. En particulier, le montant moyen de ces dépôts, calculé trimestriellement, s’élevait pour l’année 2020 à 6,689 billions d’euros.

219    Aux considérants 40 et 41 de la décision attaquée, le CRU a présenté l’évolution pronostiquée des dépôts couverts pour les trois années restantes de la période initiale, à savoir de 2021 à 2023. Il a estimé que les taux annuels de croissance des dépôts couverts jusqu’à la fin de la période initiale se situeraient entre 4 % et 7 %.

220    Aux considérants 42 à 45 de la décision attaquée, le CRU a présenté une évaluation de la phase du cycle d’activité et de l’effet procyclique potentiel que les contributions ex ante pourraient avoir sur la situation financière des établissements. Pour ce faire, il a indiqué avoir tenu compte de plusieurs indicateurs, tels que la prévision de croissance du produit intérieur brut de la Commission et les projections de la Banque centrale européenne (BCE) à cet égard ou le flux de crédit du secteur privé en pourcentage du produit intérieur brut.

221    Au considérant 46 de la décision attaquée, le CRU a conclu que, s’il était raisonnable de s’attendre à la poursuite de la croissance des dépôts couverts au sein de l’union bancaire, le rythme de cette croissance serait inférieur à celui de l’année 2020. À cet égard, le CRU a indiqué, au considérant 47 de la décision attaquée, avoir adopté une « approche prudente » en ce qui concernait les taux de croissance des dépôts couverts pour les années à venir jusqu’à 2023.

222    Au regard de ces considérations, le CRU a fixé, au considérant 48 de la décision attaquée, la valeur du coefficient à 1,35 %. Il a ensuite calculé le montant du niveau cible annuel, en multipliant le montant moyen des dépôts couverts en 2020 par ce coefficient et en divisant le résultat de ce calcul par huit, conformément à la formule mathématique suivante, figurant au considérant 48 de ladite décision :

« Cible0 [montant du niveau cible annuel] = Total dépôts couverts2020 * 0,0135 * ⅛ = EUR 11 287 677 212,56 ».

223    Il ressort, en substance, des explications du CRU lors de l’audience qu’il a déterminé le niveau cible annuel pour la période de contribution 2021 comme suit.

224    Premièrement, sur la base d’une analyse prospective, le CRU a fixé le montant des dépôts couverts de l’ensemble des établissements agréés sur le territoire de tous les États membres participants, pronostiqué pour la fin de la période initiale, à environ 7,5 billions d’euros. Pour aboutir à ce montant, le CRU a pris en compte le montant moyen des dépôts couverts en 2020, à savoir 6,689 billions d’euros, un taux de croissance annuel des dépôts couverts de 4 % ainsi que le nombre de périodes de contribution restantes jusqu’à la fin de la période initiale, à savoir trois.

225    Deuxièmement, conformément à l’article 69, paragraphe 1, du règlement no 806/2014, le CRU a calculé 1 % de ces 7,5 billions d’euros pour obtenir le montant estimé du niveau cible final devant être atteint le 31 décembre 2023, à savoir environ 75 milliards d’euros.

226    Troisièmement, le CRU a déduit de ce dernier montant les ressources financières déjà disponibles dans le FRU en 2021, c’est-à-dire environ 42 milliards d’euros, pour obtenir le montant qu’il restait à percevoir pendant les périodes de contribution restantes avant la fin de la période initiale, à savoir de 2021 à 2023. Ce montant s’élevait à environ 33 milliards d’euros.

227    Quatrièmement, le CRU a divisé ce dernier montant par trois pour le répartir uniformément entre lesdites trois périodes de contribution restantes. Le niveau cible annuel pour la période de contribution 2021 a été ainsi fixé au montant mentionné au point 215 ci-dessus, à savoir environ 11,287 milliards d’euros.

228    Le CRU a également affirmé, lors de l’audience, qu’il avait rendu publics des éléments d’information sur lesquels avait été fondée la méthode décrite aux points 224 à 227 ci-dessus et qui auraient permis à la requérante de comprendre la méthode par laquelle le niveau cible annuel avait été déterminé. En particulier, il a précisé qu’il avait publié sur son site Internet, en mai 2021, c’est-à-dire après l’adoption de la décision attaquée, mais avant l’introduction du présent recours, une fiche descriptive dénommée « Fact Sheet 2021 » (ci-après la « fiche descriptive »), qui indiquait le montant estimé du niveau cible final. De même, le CRU a affirmé que le montant des moyens financiers disponibles dans le FRU était également disponible sur son site Internet ainsi que par le biais d’autres sources publiques, et ce bien avant l’adoption de la décision attaquée.

229    Afin d’examiner si le CRU a respecté son obligation de motivation en ce qui concerne la détermination du niveau cible annuel, il convient de rappeler que, en ce qui concerne le contenu de l’obligation de motivation, il ressort de la jurisprudence que la motivation d’une décision prise par une institution ou un organe de l’Union doit être, notamment, dépourvue de contradictions pour permettre aux intéressés de connaître les motifs réels de cette décision, en vue de défendre leurs droits devant la juridiction compétente, et à cette dernière d’exercer son contrôle (voir, en ce sens, arrêts du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C‑413/06 P, EU:C:2008:392, point 169 et jurisprudence citée ; du 22 septembre 2005, Suproco/Commission, T‑101/03, EU:T:2005:336, points 20 et 45 à 47, et du 16 décembre 2015, Grèce/Commission, T‑241/13, EU:T:2015:982, point 56).

230    De même, lorsque l’auteur de la décision attaquée fournit certaines explications concernant les motifs de celle-ci au cours de la procédure devant le juge de l’Union, ces explications doivent être cohérentes avec les considérations exposées dans cette décision (voir, en ce sens, arrêts du 22 septembre 2005, Suproco/Commission, T‑101/03, EU:T:2005:336, points 45 à 47, et du 13 décembre 2016, Printeos e.a./Commission, T‑95/15, EU:T:2016:722, points 54 et 55).

231    En effet, si les considérations exposées dans la décision attaquée ne sont pas cohérentes avec de telles explications fournies lors de la procédure juridictionnelle, la motivation de la décision concernée ne remplit pas les fonctions rappelées aux points 181 à 182 ci-dessus. En particulier, une telle incohérence empêche, d’une part, les intéressés de connaître les motifs réels de la décision attaquée, avant l’introduction du recours, et de préparer leur défense à leur égard et, d’autre part, le juge de l’Union d’identifier les motifs ayant servi de véritable support juridique à cette décision et d’examiner leur conformité aux règles applicables.

232    Enfin, il y a lieu de rappeler que, lorsque le CRU adopte une décision fixant les contributions ex ante, il doit porter à la connaissance des établissements concernés la méthode de calcul de ces contributions (voir arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Landesbank Baden-Württemberg et CRU, C‑584/20 P et C‑621/20 P, EU:C:2021:601, point 122).

233    Il doit en aller de même pour la méthode de détermination du niveau cible annuel, ce montant revêtant une importance essentielle dans l’économie d’une telle décision. En effet, ainsi qu’il ressort de l’article 4 du règlement d’exécution 2015/81, le mode de calcul des contributions ex ante consiste en la répartition dudit montant entre tous les établissements concernés, de sorte qu’une augmentation ou une réduction de ce même montant entraîne une augmentation ou une réduction correspondante de la contribution ex ante de chacun de ces établissements.

234    Il ressort de ce qui précède que, si le CRU est tenu de fournir aux établissements, par le biais de la décision attaquée, des explications concernant la méthode de détermination du niveau cible annuel, ces explications doivent être cohérentes avec les explications fournies par le CRU pendant la procédure juridictionnelle et portant sur la méthode réellement appliquée.

235    Or, tel n’est pas le cas dans la présente affaire.

236    En effet, il convient tout d’abord de relever que la décision attaquée a exposé, au considérant 48, une formule mathématique qu’elle a présentée comme étant à la base de la détermination du niveau cible annuel. Or, il s’avère que cette formule n’intègre pas les éléments de la méthode réellement appliquée par le CRU, telle qu’explicitée lors de l’audience. En effet, ainsi qu’il ressort des points 224 à 227 ci-dessus, le CRU a obtenu le montant du niveau cible annuel, dans le cadre de cette méthode, en déduisant du niveau cible final les moyens financiers disponibles dans le FRU, en vue de calculer le montant qu’il restait à percevoir jusqu’à la fin de la période initiale et en divisant ce dernier montant par trois. Or, ces deux étapes du calcul ne trouvent aucune expression dans ladite formule mathématique.

237    Par ailleurs, cette constatation ne saurait être remise en cause par l’affirmation du CRU selon laquelle il a publié, en mai 2021, la fiche descriptive, qui contenait une fourchette indiquant les éventuels montants du niveau cible final et, sur son site Internet, le montant des moyens financiers disponibles dans le FRU. En effet, indépendamment de la question de savoir si la requérante avait effectivement connaissance de ces montants, ces derniers n’étaient pas, à eux seuls, de nature à lui permettre de comprendre que les deux opérations mentionnées au point 236 ci-dessus avaient été effectivement appliquées par le CRU, étant précisé, au surplus, que la formule mathématique prévue au considérant 48 de la décision attaquée ne les mentionnait même pas.

238    Des incohérences similaires affectent également la manière dont a été fixé le coefficient de 1,35 %, qui joue pourtant un rôle primordial dans la formule mathématique mentionnée au point 237 ci-dessus. En effet, ce coefficient pourrait être compris en ce sens qu’il est fondé, parmi d’autres paramètres, sur la croissance pronostiquée des dépôts couverts pendant les années restantes de la période initiale. Or, cela est incohérent avec les explications fournies par le CRU lors de l’audience, dont il découle que ce coefficient a été fixé de manière à pouvoir justifier le résultat du calcul du montant du niveau cible annuel, c’est-à-dire après que le CRU a calculé ce montant en application des quatre étapes exposées aux points 224 à 227 ci-dessus et, notamment, par la division par trois du montant issu de la déduction des moyens financiers disponibles dans le FRU du niveau cible final. Or, cette démarche ne ressort aucunement de la décision attaquée.

239    En outre, il convient de rappeler que, selon la fiche descriptive, le montant du niveau cible final estimé se situait dans une fourchette comprise entre 70 et 75 milliards d’euros. Or, cette fourchette s’avère incohérente avec la fourchette du taux de croissance des dépôts couverts comprise entre 4 % et 7 % figurant au considérant 41 de la décision attaquée. En effet, le CRU a indiqué à l’audience que, aux fins de la détermination du niveau cible annuel, il avait tenu compte du taux de croissance des dépôts couverts de 4 % – qui était le taux le plus bas de la seconde fourchette – et qu’il avait ainsi obtenu le niveau cible final estimé de 75 milliards d’euros – qui constituait la valeur la plus élevée de la première fourchette. Il s’avère ainsi qu’il existe une discordance entre ces deux fourchettes. En effet, d’une part, la fourchette portant sur le taux d’évolution des dépôts couverts comprend également des valeurs supérieures au taux de 4 %, dont l’application aurait pourtant abouti à un montant estimé du niveau cible final supérieur à ceux inclus dans la fourchette relative à ce niveau cible. D’autre part, il est impossible pour la requérante de comprendre la raison pour laquelle le CRU a inclus dans la fourchette afférente audit niveau cible des montants inférieurs à 75 milliards d’euros. En effet, pour y aboutir, il aurait été nécessaire d’appliquer un taux en deçà de 4 %, qui n’est pourtant pas compris dans la fourchette relative au taux de croissance des dépôts couverts. Dans ces conditions, la requérante n’était pas en mesure de déterminer la manière dont le CRU avait utilisé la fourchette portant sur le taux d’évolution de ces dépôts pour aboutir au calcul du niveau cible final estimé.

240    Il s’ensuit que, en ce qui concerne la détermination du niveau cible annuel, la méthode réellement appliquée par le CRU, telle qu’explicitée lors de l’audience, ne correspond pas à celle décrite dans la décision attaquée, de sorte que les motifs réels, au regard desquels a été fixé ce niveau cible, ne pouvaient être identifiés sur la base de la décision attaquée ni par les établissements ni par le Tribunal.

241    Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de constater que la décision attaquée est entachée de vices de motivation en ce qui concerne la détermination du niveau cible annuel.

242    Partant, il convient d’annuler la décision attaquée pour ce motif, un tel défaut de motivation empêchant le Tribunal d’examiner le bien-fondé du premier moyen.

[omissis]

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      La décision SRB/ES/2021/22 du Conseil de résolution unique (CRU), du 14 avril 2021, sur le calcul des contributions ex ante pour 2021 au Fonds de résolution unique est annulée en ce qu’elle concerne Dexia Crédit Local.

2)      Les effets de la décision SRB/ES/2021/22, en ce qu’elle concerne Dexia Crédit Local, sont maintenus jusqu’à l’entrée en vigueur, dans un délai raisonnable qui ne saurait dépasser six mois à compter de la date du prononcé du présent arrêt, d’une nouvelle décision du CRU fixant la contribution ex ante au Fonds de résolution unique de cet établissement pour la période de contribution 2021.

3)      Le CRU supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par Dexia Crédit Local.

4)      Le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne supporteront leurs propres dépens.

Kornezov

De Baere

Petrlík

Kecsmár

 

      Kingston

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 24 janvier 2024.

Signatures



*      Langue de procédure : le français.


1      Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.