Language of document : ECLI:EU:T:2007:80

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

8 mars 2007(*)

« Concurrence – Décision ordonnant une inspection – Coopération loyale avec les juridictions nationales – Coopération loyale avec les autorités nationales de concurrence – Article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 1/2003 – Communication de la Commission sur la coopération au sein du réseau des autorités de concurrence – Motivation – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑339/04,

France Télécom SA, anciennement Wanadoo SA, établie à Paris (France), représentée par Mes H. Calvet et M.-C. Rameau, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. É. Gippini Fournier et Mme O. Beynet, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet l’annulation de la décision C (2004) 1929 de la Commission, du 18 mai 2004, dans l’affaire COMP/C‑1/38.916, ordonnant à France Télécom SA ainsi qu’à toutes les entreprises qu’elle contrôle directement ou indirectement, y compris Wanadoo SA et toutes les entreprises contrôlées directement ou indirectement par Wanadoo SA, de se soumettre à une inspection en vertu de l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de M. H. Legal, président, Mme I. Wiszniewska-Białecka et M. E. Moavero Milanesi, juges,

greffier : Mme K. Pocheć, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 juin 2006,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1        L’article 11 (intitulé « Coopération entre la Commission et les autorités de concurrence des États membres »), paragraphes 1 et 6, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), énonce :

« La Commission et les autorités de concurrence des États membres appliquent les règles communautaires de concurrence en étroite collaboration.

[…]

L’ouverture par la Commission d’une procédure en vue de l’adoption d’une décision en application du chapitre III dessaisit les autorités de concurrence des États membres de leur compétence pour appliquer les articles 81 [CE] et 82 [CE]. Si une autorité de concurrence d’un État membre traite déjà une affaire, la Commission n’intente la procédure qu’après avoir consulté cette autorité nationale de concurrence. »

2        En vertu de l’article 20 (intitulé « Pouvoirs de la Commission en matière d’inspection ») du règlement n° 1/2003 :

« 1. Pour l’accomplissement des tâches qui lui sont assignées par le présent règlement, la Commission peut procéder à toutes les inspections nécessaires auprès des entreprises et associations d’entreprises.

2. Les agents et les autres personnes les accompagnant mandatés par la Commission pour procéder à une inspection sont investis des pouvoirs suivants :

a)      accéder à tous les locaux, terrains et moyens de transport des entreprises et associations d’entreprises ;

b)      contrôler les livres ainsi que tout autre document professionnel, quel qu’en soit le support ;

c)      prendre ou obtenir sous quelque forme que ce soit copie ou extrait de ces livres ou documents ;

d)      apposer des scellés sur tous les locaux commerciaux et livres ou documents pendant la durée de l’inspection et dans la mesure où cela est nécessaire aux fins de celle-ci ;

e)      demander à tout représentant ou membre du personnel de l’entreprise ou de l’association d’entreprises des explications sur des faits ou documents en rapport avec l’objet et le but de l’inspection et enregistrer ses réponses.

3. Les agents et les autres personnes les accompagnant mandatés par la Commission pour procéder à une inspection exercent leurs pouvoirs sur production d’un mandat écrit qui indique l’objet et le but de l’inspection, ainsi que la sanction prévue à l’article 23 au cas où les livres ou autres documents professionnels qui sont requis seraient présentés de manière incomplète et où les réponses aux demandes faites en application du paragraphe 2 du présent article seraient inexactes ou dénaturées. La Commission avise, en temps utile avant l’inspection, l’autorité de concurrence de l’État membre sur le territoire duquel l’inspection doit être effectuée.

4. Les entreprises et associations d’entreprises sont tenues de se soumettre aux inspections que la Commission a ordonnées par voie de décision. La décision indique l’objet et le but de l’inspection, fixe la date à laquelle elle commence et indique les sanctions prévues aux articles 23 et 24, ainsi que le recours ouvert devant la Cour de justice contre la décision. La Commission prend ces décisions après avoir entendu l’autorité de concurrence de l’État membre sur le territoire duquel l’inspection doit être effectuée.

5. Les agents de l’autorité de concurrence de l’État membre sur le territoire duquel l’inspection doit être effectuée ainsi que les agents mandatés ou désignés par celle-ci doivent, à la demande de cette autorité ou de la Commission, prêter activement assistance aux agents et aux autres personnes les accompagnant mandatés par la Commission. Ils disposent à cette fin des pouvoirs définis au paragraphe 2.

6. Lorsque les agents ou les autres personnes les accompagnant mandatés par la Commission constatent qu’une entreprise s’oppose à une inspection ordonnée en vertu du présent article, l’État membre intéressé leur prête l’assistance nécessaire, en requérant au besoin la force publique ou une autorité disposant d’un pouvoir de contrainte équivalent, pour leur permettre d’exercer leur mission d’inspection.

7. Si, en vertu du droit national, l’assistance prévue au paragraphe 6 requiert l’autorisation d’une autorité judiciaire, cette autorisation doit être sollicitée. L’autorisation peut également être demandée à titre préventif.

8. Lorsqu’une autorisation visée au paragraphe 7 est demandée, l’autorité judiciaire nationale contrôle que la décision de la Commission est authentique et que les mesures coercitives envisagées ne sont ni arbitraires ni excessives par rapport à l’objet de l’inspection. Lorsqu’elle contrôle la proportionnalité des mesures coercitives, l’autorité judiciaire nationale peut demander à la Commission, directement ou par l’intermédiaire de l’autorité de concurrence de l’État membre, des explications détaillées, notamment sur les motifs qui incitent la Commission à suspecter une violation des articles 81 [CE] et 82 [CE], ainsi que sur la gravité de la violation suspectée et sur la nature de l’implication de l’entreprise concernée. Cependant, l’autorité judiciaire nationale ne peut ni mettre en cause la nécessité de l’inspection ni exiger la communication des informations figurant dans le dossier de la Commission. Le contrôle de la légalité de la décision de la Commission est réservé à la Cour de justice. »

3        L’article 22 (intitulé « Enquêtes par les autorités de concurrence des États membres »), paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 dispose :

« Sur demande de la Commission, les autorités de concurrence des États membres procèdent aux inspections que la Commission juge indiquées au titre de l’article 20, paragraphe 1, ou qu’elle a ordonnées par voie de décision prise en application de l’article 20, paragraphe 4. Les agents des autorités de concurrence des États membres chargés de procéder aux inspections, ainsi que les agents mandatés ou désignés par celles-ci, exercent leurs pouvoirs conformément à la législation nationale.

Les agents et les autres personnes les accompagnant mandatés par la Commission peuvent, sur sa demande ou sur celle de l’autorité de concurrence de l’État membre sur le territoire duquel l’inspection doit être effectuée, prêter assistance aux agents de l’autorité concernée. »

 Faits à l’origine du litige

4        Dans une décision du 16 juillet 2003 relative à une procédure d’application de l’article 82 [CE] (affaire COMP/38.233 – Wanadoo Interactive) (ci-après la « décision du 16 juillet 2003 »), la Commission a constaté qu’entre mars 2001 et octobre 2002 Wanadoo Interactive, alors filiale à 99,9 % de Wanadoo SA, elle-même filiale de France Télécom SA, qui en détenait entre 70 et 72,2 % du capital pendant la période concernée par cette décision, avait abusé de sa position dominante sur le marché des services d’accès à Internet à haut débit à destination de la clientèle résidentielle en pratiquant pour ses services eXtense et Wanadoo ADSL des prix prédateurs et a imposé à Wanadoo Interactive une amende de 10,35 millions d’euros.

5        Par les articles 2 et 3 de cette décision, la Commission a également enjoint à Wanadoo Interactive de :

–        s’abstenir, dans le cadre de ses services eXtense et Wanadoo ADSL, de tout comportement qui pourrait avoir un objet ou un effet identique ou semblable à celui de l’infraction ;

–        transmettre à la Commission, à l’issue de chaque exercice, et jusqu’à l’exercice 2006 compris, le compte d’exploitation de ses différents services ADSL (Asymmetric Digital Subscriber Line, ligne de raccordement numérique asymétrique), faisant apparaître les revenus comptables, les coûts d’exploitation et les coûts d’acquisition de la clientèle.

6        Le 11 décembre 2003, à la suite d’un avis favorable de l’Autorité française de régulation des télécommunications, le ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie français a homologué une baisse des tarifs de gros de France Télécom pratiqués pour l’accès et la collecte IP/ADSL, appelés aussi « option 5 ». Plusieurs fournisseurs d’accès à Internet, dont Wanadoo, ont décidé de répercuter cette baisse des tarifs de gros sur leurs offres de détail.

7        Le 12 décembre 2003, Wanadoo a annoncé une première baisse de ses tarifs de détail, applicable aux anciens comme aux nouveaux abonnés, pour ses forfaits haut débit (offres « eXtense 512k » illimité, « eXtense 512k Fidélité » illimité, « eXtense 1024k » illimité et « eXtense 1024k Fidélité » illimité), prenant effet le 6 janvier 2004. Le tarif de l’offre « eXtense 128k » illimité était inchangé.

8        Le 9 janvier 2004, la Commission a adressé une lettre à Wanadoo, lui rappelant les termes de l’article 2 de la décision du 16 juillet 2003 et lui demandant de lui indiquer si elle avait, depuis l’adoption de cette décision, introduit des baisses de ses prix de détail pour les services couverts par ladite décision ou si elle envisageait de le faire. La Commission précisait qu’en cas de réponse positive elle ferait parvenir à Wanadoo une demande de renseignements formelle sur les détails de ces baisses de prix. La Commission demandait en outre à être informée de la date de fin de l’exercice social de Wanadoo et du moment auquel les renseignements exigés par l’article 3 de la décision du 16 juillet 2003 lui seraient transmis. La Commission a réitéré sa demande dans un courrier électronique en date du 26 janvier 2004.

9        Le 12 janvier 2004, AOL France SNC et AOL Europe Services SARL (ci-après, prises ensemble, « AOL ») ont saisi le Conseil de la concurrence français (ci-après le « Conseil de la concurrence ») d’une plainte pour pratique de prix prédateurs par Wanadoo s’agissant des quatre nouvelles offres annoncées par cette dernière le 12 décembre 2003, sur le fondement des articles 82 CE et L 420‑2 du code de commerce français. Cette saisine était assortie d’une demande de mesures conservatoires tendant notamment à la suspension de la commercialisation de ces offres, formée au titre de l’article L 464‑1 du code de commerce français.

10      Le 29 janvier 2004, Wanadoo a annoncé l’introduction, à compter du 3 février 2004, d’une offre « eXtense 128k Fidélité » illimité et de quatre offres au forfait (ou encore « à la carte »), à savoir « eXtense 128k/20h », « eXtense 128k/20h Fidélité », « eXtense 512k/5Go » et « eXtense 512k/5Go Fidélité ».

11      Par lettre du 30 janvier 2004, Wanadoo a répondu à la lettre de la Commission du 9 janvier 2004 en indiquant que, à la suite de la réduction des tarifs de gros de France Télécom, elle avait annoncé de nouvelles offres applicables à compter du 1er janvier ou du 1er février 2004. Par ailleurs, par courrier du 15 mars 2004, Wanadoo a transmis à la Commission les comptes de l’exercice social 2003 (clos le 31 décembre 2003), qui n’avaient pas encore été approuvés par l’assemblée générale des actionnaires.

12      Le 24 février 2004, AOL a complété sa saisine du Conseil de la concurrence, en y ajoutant les offres lancées par Wanadoo le 3 février 2004 et en assortissant également cette plainte d’une demande de mesures conservatoires tendant notamment à la suspension de leur commercialisation.

13      Le 11 mai 2004, le Conseil de la concurrence a rendu sa décision n° 04‑D‑17 relative à la saisine et à la demande de mesures conservatoires présentées par AOL, aux termes de laquelle il a rejeté cette demande et a renvoyé sa saisine à l’instruction (ci-après la « décision du Conseil de la concurrence »).

14      Le 18 mai 2004, la Commission a adopté la décision C (2004) 1929, dans l’affaire COMP/C‑1/38.916, ordonnant à France Télécom ainsi qu’à toutes les entreprises qu’elle contrôle directement ou indirectement, y compris Wanadoo et toutes les entreprises contrôlées directement ou indirectement par Wanadoo, de se soumettre à une inspection en vertu de l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003 (ci-après la « décision attaquée »).

15      Cette décision énonce, dans ses premier et cinquième à treizième considérants :

« La Commission […] a reçu des informations qui indiquent que Wanadoo pratique des tarifs d’accès à Internet par l’ADSL à destination du grand public en France dont certains ne couvrent pas les coûts variables et d’autres se situent en dessous des coûts complets. Selon les informations disponibles, ces tarifs s’inscrivent dans un plan révélant une intention d’éviction des concurrents. De plus, les informations reçues indiquent que l’espace économique réduit entre les tarifs de détail concernés et les offres de gros […] (option 5) de France Télécom génère un ciseau tarifaire à l’encontre [d]es opérateurs concurrents souhaitant proposer l’accès à Internet haut débit pour la clientèle résidentielle sur la base de l’option 5 de France Télécom.

[…]

Selon les informations dont la Commission dispose, une analyse sur base de données prévisionnelles montre qu’au moins trois [des dix offres visées par la décision attaquées, mentionnées aux points 7 et 10 ci-dessus] (les deux offres ‘à la carte’ à 128 kbit/s et l’offre ‘à la carte’ à 512 kbit/s/24 mois) ne couvrent pas leurs coûts variables. Au moins deux autres offres à 512 kbit/s (l’offre ‘à la carte’ 12 mois et l’offre illimitée 24 mois) ne couvrent pas leurs coûts complets.

La Commission a également reçu des informations indiquant que les offres concernées s’inscrivent dans une stratégie de cantonnement et de refoulement des concurrents.

De plus, selon les informations dont la Commission dispose, malgré la baisse des tarifs de l’option 5 intervenue en janvier 2004, l’espace économique entre les nouveaux tarifs de détail pratiqués par Wanadoo et l’option 5 est insuffisant et empêche des opérateurs concurrents qui basent leur offre sur l’option 5 de concurrencer Wanadoo dans des conditions équitables.

Dans sa décision […] du 16 juillet 2003, la Commission a conclu que Wanadoo occupait une position dominante sur le marché français de l’accès à Internet haut débit pour la clientèle résidentielle. Les informations dont la Commission dispose indiquent que cette conclusion reste valable aujourd’hui.

Les offres en dessous des coûts pratiquées par Wanadoo et l’espace réduit entre ces offres et les tarifs de l’option 5 ont très probablement restreint l’entrée sur le marché des concurrents – français ou établis dans d’autres États membres – et mis en danger ceux déjà présents. Selon les informations disponibles, la plupart des concurrents de Wanadoo ont dû s’aligner sur les nouvelles offres et tout le marché de l’ADSL en France se situe actuellement en marge négative.

Le type de pratiques telles que décrites ci-dessus équivaut à imposer des prix de vente non équitables. Si leur existence était démontrée, de telles pratiques constitueraient un abus de position dominante et dès lors une infraction à l’article 82 [CE].

Afin d’être en mesure d’apprécier tous les faits pertinents concernant les pratiques présumées et le contexte de l’abus présumé, la Commission doit procéder à des inspections en vertu de l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003.

Selon les informations dont la Commission dispose, il est très probable que toutes les informations afférentes aux pratiques susmentionnées, en particulier les éléments d’information permettant d’établir le degré de couverture des coûts et ceux ayant trait à la stratégie de cantonnement et de refoulement des concurrents, n’aient été communiquées qu’à quelques membres du personnel de France Télécom et/ou de Wanadoo. La documentation existante au sujet des pratiques présumées est très probablement limitée au strict minimum et détenue dans des endroits et sous une forme facilitant sa dissimulation, sa rétention ou sa destruction en cas d’enquête.

Afin de garantir l’efficacité de la présente inspection, il est donc essentiel de l’effectuer sans en avertir préalablement les entreprises destinataires de la présente [d]écision. Il y a donc lieu d’adopter une [d]écision en vertu de l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003, ordonnant aux entreprises de se soumettre à une inspection. »

16      L’article 1er de la décision attaquée dispose :

« France Télécom […] et Wanadoo […] :

sont tenues de se soumettre à une inspection concernant une imposition présumée de prix de vente non équitables dans le domaine de l’accès à Internet haut débit pour la clientèle résidentielle, contraire à l’article 82 [CE], avec pour intention de cantonner et de refouler des concurrents. L’inspection peut être effectuée dans tout local des entreprises […]

France Télécom […] et Wanadoo […] permettent aux agents et aux autres personnes les accompagnant mandatés par la Commission pour procéder à l’inspection et aux agents de l’autorité compétente de l’État membre intéressé ainsi que les agents mandatés ou désignés par celle-ci qui les assistent d’accéder à tous leurs locaux, terrains et moyens de transport pendant les heures normales de bureau. Ces entreprises produisent les livres et autres documents professionnels, quel qu’en soit le support, demandés par ces agents et autres personnes et permettent à ceux-ci de contrôler sur place ces livres et autres documents professionnels, ainsi que d’en prendre ou obtenir, sous quelque forme que ce soit, copie ou extrait. Elles fournissent immédiatement, sur place, toute explication orale demandée par lesdits agents et autres personnes sur des faits ou documents en rapport avec l’objet et le but de l’inspection et permettent à tout représentant ou membre du personnel de fournir de telles explications. Elles permettent [auxdits] agents et autres personnes d’enregistrer de telles explications, sous quelque forme que ce soit. »

17      Enfin, la décision attaquée précise, dans son article 2, la date du début de l’inspection. In fine, elle énonce les circonstances dans lesquelles la Commission peut infliger à toute entreprise destinataire de celle-ci des amendes et des astreintes, conformément aux articles 23 et 24 du règlement n° 1/2003, et indique que, lorsqu’une entreprise destinataire s’oppose à l’inspection ordonnée, l’État membre intéressé prête aux agents et aux autres personnes les accompagnant mandatés par la Commission l’assistance nécessaire pour leur permettre d’exécuter leur mission d’inspection, conformément à l’article 20, paragraphe 6, du règlement n° 1/2003. Elle mentionne en outre la possibilité de former un recours contre elle devant le Tribunal et comporte, en annexe, certains extraits du règlement n° 1/2003.

18      Sur la base de cette décision, la Commission a sollicité l’assistance des autorités françaises en application de l’article 20, paragraphe 5, du règlement n° 1/2003. Le ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie français a, par une demande d’enquête du 25 mai 2004, prescrit au directeur de la direction nationale des enquêtes de concurrence, de consommation et de répression des fraudes de prendre toutes les mesures nécessaires à la réalisation de l’enquête définie par la Commission dans la décision attaquée. À cet effet, ce dernier a saisi le juge des libertés et de la détention au tribunal de grande instance de Nanterre (ci-après le « juge des libertés ») aux fins d’obtenir l’autorisation de procéder ou de faire procéder à une inspection auprès de France Télécom et de Wanadoo et d’assister la Commission. Cette requête était accompagnée de la décision attaquée.

19      Par ordonnance du 27 mai 2004, le juge des libertés a accordé l’autorisation sollicitée, permettant notamment aux enquêteurs français qui seraient désignés d’exercer les pouvoirs qu’ils tiennent des articles L 450‑4 et L 470‑6 du code de commerce français.

20      La décision attaquée a été notifiée à Wanadoo le 2 juin 2004, immédiatement avant le début de l’inspection, qui s’est terminée dans la journée du 4 juin 2004.

 Procédure et conclusions des parties

21      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 10 août 2004, Wanadoo a introduit le présent recours.

22      Le 1er septembre 2004, Wanadoo a fusionné avec sa société mère, France Télécom, qui est venue aux droits de la requérante.

23      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

24      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience publique du 8 juin 2006.

25      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

26      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

27      À l’appui de son recours, la requérante soulève cinq moyens, tirés respectivement de la violation de l’article 10 CE et du règlement n° 1/2003, de la violation de l’obligation pour la Commission d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d’espèce, de l’insuffisance de motivation, de la violation du principe de proportionnalité et d’une erreur manifeste d’appréciation.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 10 CE et du règlement n° 1/2003

 Sur la première branche, prise de la violation de l’obligation de coopérer loyalement avec les juridictions nationales

–       Arguments des parties

28      La requérante fait valoir que, selon la jurisprudence, l’article 10 CE impose aux institutions communautaires des devoirs réciproques de coopération loyale avec les États membres, notamment les autorités judiciaires nationales. Le règlement n° 1/2003 devrait être lu à la lumière de celui-ci.

29      En vertu de cette obligation de coopération loyale, la Commission devrait veiller à ce que l’instance nationale en charge de l’examen du caractère non arbitraire et proportionné des mesures coercitives envisagées par rapport à l’objet de l’inspection dispose de tous les éléments pour lui permettre de s’acquitter de son contrôle. Selon l’arrêt de la Cour du 22 octobre 2002, Roquette Frères (C‑94/00, Rec. p. I‑9011), la Commission devrait ainsi informer la juridiction nationale compétente des caractéristiques essentielles de l’infraction suspectée.

30      En l’espèce, la Commission aurait violé cette obligation de coopération loyale à plusieurs égards, ce qui devrait entraîner la nullité de la décision attaquée.

31      Premièrement, la Commission aurait dissimulé au juge des libertés la décision du Conseil de la concurrence du 11 mai 2004, la procédure en cours devant ce même Conseil et les injonctions contenues dans la décision du 16 juillet 2003. De ce fait, la Commission n’aurait pas loyalement informé l’autorité judicaire nationale quant à la nature et à la gravité de l’infraction suspectée.

32      Deuxièmement, la décision attaquée occulterait l’analyse effectuée par le Conseil de la concurrence, qui, en exposant que l’existence de l’infraction suspectée serait douteuse, serait défavorable aux thèses de la Commission. En particulier, le rejet de la demande de mesures conservatoires ne serait pas motivé par un défaut d’urgence, mais par le fait que les pratiques tarifaires en cause n’avaient pas mis en danger les concurrents de la requérante.

33      Troisièmement, la Commission aurait, d’une part, fait référence à l’intention de la requérante de dissimuler des pièces, alors que rien n’aurait pu le laisser penser, et, d’autre part, omis d’indiquer au juge des libertés qu’elle n’avait pas eu besoin de recourir à une inspection ou à l’assistance des autorités nationales pour recueillir les éléments lui ayant permis d’adopter la décision du 16 juillet 2003.

34      Si le juge des libertés avait disposé de ces éléments, il aurait porté une appréciation différente sur le caractère non arbitraire ou proportionné des mesures coercitives sollicitées. Par ailleurs, il n’aurait pas demandé d’informations complémentaires à la Commission, car il aurait été confiant en sa loyauté.

35      Enfin, la requérante affirme ne s’être soumise à l’inspection que parce que l’ordonnance du juge des libertés lui avait été signifiée. En toute hypothèse, la légalité de la décision attaquée ne devrait être appréciée qu’en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date de son adoption.

36      En premier lieu, la Commission rétorque que l’argumentation de la requérante est inopérante.

37      D’une part, l’absence de mention de la décision du Conseil de la concurrence ne serait pas pertinente, la requérante ayant accepté de se soumettre à la décision d’inspection, contraignante par elle-même, sans que la Commission ait eu besoin de demander l’assistance des autorités nationales au titre de l’article 20, paragraphe 6, du règlement n° 1/2003. L’ordonnance du juge des libertés serait donc restée sans effet. De plus, c’est cette dernière que la requérante aurait dû attaquer si elle considérait que le juge des libertés était insuffisamment informé pour prendre sa décision.

38      D’autre part, à supposer même que le juge des libertés ait été insuffisamment éclairé pour pouvoir contrôler la proportionnalité des mesures coercitives envisagées, cela serait sans incidence sur la légalité de la décision attaquée. En effet, il n’aurait alors pu que refuser les mesures coercitives sollicitées.

39      En deuxième lieu, le devoir de coopération loyale découlant de l’article 10 CE ne pourrait pas être invoqué de manière autonome par un particulier pour obtenir l’annulation d’un acte, à moins que la violation alléguée de cet article n’emporte violation d’une autre règle de droit communautaire. À cet égard, une référence générale au règlement n° 1/2003 serait insuffisante.

40      En troisième lieu, la Commission fait valoir qu’elle a, en tout état de cause, fourni au juge des libertés tous les éléments nécessaires à son contrôle du caractère non arbitraire et proportionné des mesures coercitives sollicitées par rapport à l’objet de l’inspection. Elle souligne que le juge national n’est pas compétent pour contrôler le caractère nécessaire ou le bien-fondé de la mesure d’inspection ordonnée, la division du travail au sein du réseau européen de concurrence ou les effets potentiels des pratiques tarifaires de l’entreprise en cause sur le marché visé.

41      Dès lors, ni la procédure devant le Conseil de la concurrence ni la décision de ce dernier n’auraient été nécessaires ou utiles au juge des libertés pour lui permettre d’exercer son contrôle. Partant, l’argumentation de la requérante contreviendrait à l’article 20, paragraphe 8, du règlement n° 1/2003. La décision du 16 juillet 2003 serait quant à elle mentionnée dans la décision attaquée et il aurait incombé au juge national, s’il l’avait jugé nécessaire, de demander un supplément d’information à la Commission.

42      À titre subsidiaire, la Commission ajoute que la décision du Conseil de la concurrence étaye la conclusion selon laquelle il existait des raisons suffisantes pour procéder à une inspection et que le rejet de la demande de mesures conservatoires n’est pas pertinent, celui-ci n’étant pas lié au fond mais à l’absence d’urgence.

43      Ainsi, la décision attaquée contiendrait toutes les explications nécessaires et utiles pour permettre au juge national d’effectuer le contrôle qui lui incombait : elle ferait ressortir de manière circonstanciée que la Commission disposait dans son dossier d’indices sérieux permettant de soupçonner des infractions aux règles de concurrence et l’informerait des caractéristiques essentielles de l’infraction suspectée, de ce qui était recherché et des éléments sur lesquels devait porter la vérification, conformément à la jurisprudence.

44      En quatrième lieu, l’argument relatif à l’absence d’intention de dissimulation ne serait pas pertinent.

45      La Commission conclut que, par cette première branche, la requérante tente d’obtenir un résultat équivalant à l’annulation de l’ordonnance du juge des libertés et qu’elle doit donc être rejetée.

–       Appréciation du Tribunal

46      À titre liminaire, il convient de souligner que, contrairement à ce que soutient la Commission, il ressort clairement de l’argumentation de la requérante que celle-ci n’invoque pas la violation de l’article 10 CE et, partant, du principe de coopération loyale, à titre autonome, mais qu’elle invoque la violation de cet article en relation avec une violation du règlement n° 1/2003.

47      À cet égard, le Tribunal relève que les modalités de mise en œuvre de l’obligation de coopération loyale qui découle de l’article 10 CE et à laquelle la Commission est tenue dans le cadre de ses relations avec les États membres (arrêt de la Cour du 10 février 1983, Luxembourg/Parlement, 230/81, Rec. p. 255, point 37, et ordonnance de la Cour du 13 juillet 1990, Zwartveld e.a., C‑2/88 IMM, Rec. p. I‑3365, point 17) ont, s’agissant des relations qui s’établissent dans le cadre des inspections effectuées par la Commission afin de détecter des infractions aux articles 81 CE et 82 CE, été précisées par l’article 20 du règlement n° 1/2003, qui énonce les modalités selon lesquelles la Commission, les autorités nationales de concurrence et les autorités judiciaires nationales doivent coopérer lorsque la Commission a décidé de procéder à une inspection dans le cadre de ce règlement.

48      Ainsi, l’article 20 du règlement n° 1/2003 habilite la Commission à procéder à des inspections, effectuées soit sur production d’un mandat écrit, conformément au paragraphe 3 de cet article, soit sur la base d’une décision obligeant les entreprises à s’y soumettre, conformément au paragraphe 4 de ce même article. Si la Commission procède à une inspection en vertu de l’article 20, paragraphe 3, elle est tenue, selon ce paragraphe, d’aviser, en temps utile avant l’inspection, l’autorité de concurrence de l’État membre sur le territoire duquel l’inspection doit être effectuée. Si la Commission procède à une inspection en vertu du paragraphe 4, celui-ci lui fait obligation d’entendre l’autorité de concurrence de l’État membre sur le territoire duquel l’inspection doit être effectuée avant d’adopter la décision ordonnant l’inspection.

49      Selon l’article 20, paragraphe 6, du règlement n° 1/2003, l’assistance des autorités nationales est nécessaire pour l’exécution de l’inspection lorsque l’entreprise visée par cette inspection s’y oppose et, lorsque cette assistance requiert l’autorisation d’une autorité judiciaire, celle-ci doit être sollicitée conformément au paragraphe 7. En vertu du paragraphe 8, l’autorité judiciaire nationale est alors chargée de contrôler que la décision de la Commission ordonnant l’inspection est authentique et que les mesures coercitives envisagées afin d’exécuter l’inspection ne sont ni arbitraires ni excessives par rapport à l’objet de cette inspection, le contrôle de la légalité de la décision de la Commission étant cependant réservé aux juridictions communautaires.

50      Il s’ensuit que l’article 20 du règlement n° 1/2003 établit une distinction claire entre, notamment, d’une part, les décisions adoptées par la Commission sur la base du paragraphe 4 de cet article et, d’autre part, la demande d’assistance présentée à l’autorité judiciaire nationale en vertu du paragraphe 7 de ce même article.

51      Alors que les juridictions communautaires sont seules compétentes pour contrôler la légalité d’une décision adoptée par la Commission au titre de l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003, ainsi qu’il résulte notamment du paragraphe 8 in fine de cet article, c’est en revanche au seul juge national dont l’autorisation de recourir à des mesures coercitives est sollicitée en vertu de l’article 20, paragraphe 7, du règlement n° 1/2003, éventuellement assisté par la Cour de justice dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, et sous réserve des éventuelles voies de recours nationales, qu’il appartient de déterminer si les informations transmises par la Commission dans le cadre de cette demande lui permettent d’exercer le contrôle qui lui est dévolu par l’article 20, paragraphe 8, du règlement n° 1/2003 et le mettent donc en mesure de se prononcer utilement sur la demande qui lui a été présentée [voir, en ce sens, à propos du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), arrêt Roquette Frères, point 29 supra, points 39, 67 et 68].

52      L’autorité judiciaire nationale saisie dans le cadre de l’article 20, paragraphe 7, du règlement n° 1/2003 a, en vertu du paragraphe 8 de cet article et de la jurisprudence (voir, à propos du règlement n° 17, arrêt Roquette Frères, point 29 supra), la faculté de demander des précisions à la Commission, notamment sur les motifs qui l’incitent à suspecter une violation des articles 81 CE et 82 CE, sur la gravité de la violation suspectée et sur la nature de l’implication de l’entreprise concernée. Un contrôle du Tribunal qui, par hypothèse, pourrait aboutir à la constatation d’une insuffisance des informations qui auraient été transmises par la Commission à cette autorité impliquerait une réévaluation par le Tribunal de l’appréciation, déjà effectuée par cette autorité, du caractère suffisant de ces informations. Or, ce contrôle ne peut être admis, l’appréciation effectuée par l’autorité judiciaire nationale étant soumise aux seuls contrôles résultant des voies de recours internes qui seraient ouvertes à l’encontre des décisions de cette autorité.

53      Partant, les arguments soulevés par la requérante au soutien de son premier moyen doivent être rejetés dans leur ensemble comme inopérants dans la mesure où, en contestant le contenu de la décision attaquée, ils impliquent une remise en cause, par le Tribunal, de l’appréciation qui a été effectuée par le juge des libertés, dans le cadre de l’article 20, paragraphe 8, du règlement n° 1/2003, du caractère suffisant des informations qui lui ont été présentées par la Commission afin d’obtenir l’autorisation demandée au titre de l’article 20, paragraphe 7, du règlement. En effet, le Tribunal n’est pas compétent pour contrôler comment le juge national saisi dans le cadre de cette disposition s’acquitte de la tâche qui lui est dévolue par le paragraphe 8 de l’article 20.

54      Par ailleurs, il convient de rappeler que la légalité d’un acte doit être appréciée en fonction des éléments de droit et de fait qui existaient à la date à laquelle cet acte a été adopté (arrêts de la Cour du 7 février 1979, France/Commission, 15/76 et 16/76, Rec. p. 321, point 7, et du Tribunal du 15 juillet 2004, Valenzuela Marzo/Commission, T‑384/02, RecFP p. I‑A‑235 et II‑1035, point 98). Dès lors, l’utilisation qui aurait été faite d’une décision ordonnant une inspection, ou l’appréciation des éléments contenus dans celle-ci qui aurait été effectuée par l’autorité judiciaire nationale, dans le cadre d’une demande effectuée par la Commission en vertu de l’article 20, paragraphe 7, du règlement n° 1/2003, est sans incidence sur la légalité de la décision ordonnant l’inspection.

55      Dans le cadre du présent moyen, c’est donc au vu des seuls éléments exigés par l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003, tel qu’interprété par la jurisprudence, qu’il convient d’apprécier si les arguments de la requérante dénonçant un manquement de la Commission à son obligation de coopération loyale sont fondés.

56      À cet égard, l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003 définit les éléments essentiels devant figurer dans une décision ordonnant une inspection, en imposant à la Commission d’indiquer l’objet et le but de l’inspection ordonnée, la date à laquelle elle commence, les sanctions prévues aux articles 23 et 24 dudit règlement et le recours ouvert à l’encontre d’une telle décision devant la juridiction communautaire.

57      La motivation des décisions ordonnant une inspection a ainsi pour objet de faire apparaître le caractère justifié de l’intervention envisagée à l’intérieur des entreprises concernées, mais aussi de mettre celles-ci en mesure de saisir la portée de leur devoir de collaboration tout en préservant les droits de la défense de ces dernières (voir, à propos du règlement n° 17, arrêts de la Cour du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission, 46/87 et 227/88, Rec. p. I‑2859, point 29, et Roquette Frères, point 29 supra, point 47).

58      L’exigence pour la Commission d’indiquer l’objet et le but d’une inspection constitue en effet une garantie fondamentale des droits de la défense des entreprises concernées et, par conséquent, la portée de l’obligation de motivation des décisions d’inspection ne peut pas être restreinte en fonction de considérations tenant à l’efficacité de l’enquête. À cet égard, s’il est vrai que la Commission n’est tenue ni de communiquer au destinataire d’une telle décision toutes les informations dont elle dispose à propos d’infractions présumées, ni de délimiter précisément le marché en cause, ni de procéder à une qualification juridique exacte de ces infractions, ni d’indiquer la période au cours de laquelle ces infractions auraient été commises, elle doit, en revanche, indiquer, avec autant de précision que possible, les présomptions qu’elle entend vérifier, à savoir ce qui est recherché et les éléments sur lesquels doit porter l’inspection (voir, à propos du règlement n° 17, arrêts de la Cour du 17 octobre 1989, Dow Benelux/Commission, 85/87, Rec. p. 3137, point 10; Hoechst/Commission, point 57 supra, point 41, et Roquette Frères, point 29 supra, point 48).

59      À cette fin, la Commission est également tenue de faire apparaître, dans une décision ordonnant une inspection, une description des caractéristiques essentielles de l’infraction suspectée, en indiquant le marché présumé en cause et la nature des restrictions de concurrence suspectées, des explications quant à la manière dont l’entreprise visée par l’inspection est présumée être impliquée dans l’infraction, ce qui est recherché et les éléments sur lesquels doit porter la vérification, ainsi que les pouvoirs conférés aux enquêteurs communautaires (voir, à propos du règlement n° 17, arrêts de la Cour du 26 juin 1980, National Panasonic/Commission, 136/79, Rec. p. 2033, point 26, et Roquette Frères, point 29 supra, points 81, 83 et 99).

60      Afin d’établir le caractère justifié de l’inspection, la Commission est tenue de faire apparaître de manière circonstanciée dans la décision ordonnant une inspection qu’elle dispose d’éléments et d’indices matériels sérieux l’amenant à suspecter l’infraction dont l’entreprise visée par l’inspection est soupçonnée (voir, à propos du règlement n° 17, arrêt Roquette Frères, point 29 supra, points 55, 61 et 99).

61      En l’espèce, force est de constater que, si la décision attaquée, reproduite aux points 15 à 17 ci-dessus, est rédigée en termes généraux, elle contient néanmoins les éléments essentiels exigés par l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003 et la jurisprudence. Elle indique l’objet et le but de l’inspection, en faisant apparaître les caractéristiques essentielles de l’infraction suspectée, en désignant le marché présumé en cause – l’accès à Internet haut débit pour la clientèle résidentielle en France –, la nature des restrictions de concurrence suspectées chez la requérante – des pratiques tarifaires qui seraient contraires à l’article 82 CE –, des explications quant à la manière dont la requérante est présumée être impliquée dans l’infraction – elle serait à l’origine de celle-ci –, ce qui était recherché et les éléments sur lesquels devait porter l’inspection – des informations afférentes à ces pratiques, en particulier des éléments permettant d’établir le degré de couverture des coûts de la requérante et ayant trait à une stratégie de cantonnement et de refoulement des concurrents, qui pourraient n’avoir été communiqués qu’à quelques membres du personnel de France Télécom et/ou de la requérante, à rechercher dans tout local de l’entreprise, dans ses livres et autres documents professionnels et, éventuellement, par voie orale –, les pouvoirs conférés aux enquêteurs communautaires, la date à laquelle elle commence – le 2 juin 2004 –, les sanctions prévues aux articles 23 et 24 du règlement n° 1/2003 et la possibilité de former un recours contre elle devant le Tribunal.

62      Quant au caractère justifié de l’inspection, la décision attaquée fait apparaître de manière circonstanciée que la Commission disposait dans son dossier d’éléments et d’indices sérieux lui permettant de soupçonner des infractions aux règles de concurrence par la requérante. Ainsi, la Commission mentionne notamment avoir reçu des informations indiquant que la requérante pratiquerait des tarifs d’accès à Internet par l’ADSL à destination du grand public en France dont certains ne couvriraient pas les coûts variables et d’autres se situeraient au-dessous des coûts complets, qui s’inscriraient dans un plan révélant une intention d’éviction des concurrents et qui pourraient constituer une infraction à l’article 82 CE. De plus, elle indique qu’une analyse sur la base de données prévisionnelles aurait effectivement montré que certaines offres de la requérante, identifiées dans la décision attaquée, ne couvraient pas leurs coûts, soit variables soit complets.

63      Contrairement à ce que soutient la requérante, ni la procédure en cours devant le Conseil de la concurrence, ni la décision du Conseil de la concurrence, ni les injonctions contenues dans la décision du 16 juillet 2003 ne permettent de considérer que l’inspection décidée en l’espèce n’était pas justifiée.

64      Bien que le Conseil de la concurrence affirme, dans sa décision du 11 mai 2004, qu’« il apparaît que ni le secteur ni les entreprises le composant n’ont subi une atteinte grave et immédiate à la suite des pratiques tarifaires de Wanadoo », comme l’a souligné la requérante, il considère néanmoins qu’« il ne peut être exclu que certaines pratiques tarifaires mises en œuvre par Wanadoo entrent dans le champ d’application [...] de l’article 82 [CE] dès lors qu’elles affecteraient une partie substantielle du territoire national ». Il a également relevé dans cette décision que la requérante détenait une position dominante sur le marché en cause ; que certaines hypothèses de revenus avancées par la requérante apparaissaient « peu vraisemblables » ; que, pour les offres « eXtense 128k/20h Fidélité » et « eXtense 512k/5Go Fidélité », il semblait que la requérante eût vendu au-dessous de ses coûts variables, ce qui constituait, selon cette décision, une forte présomption de prédation selon la jurisprudence communautaire, et que, sous certaines hypothèses, les offres « eXtense 128k/20h », « eXtense 512k/5Go Fidélité » et « eXtense 512k Fidélité » ne pouvaient pas couvrir leurs coûts complets.

65      Le fait qu’il s’agisse d’une décision portant rejet des mesures conservatoires demandées est sans pertinence, le Conseil de la concurrence justifiant ce rejet par l’absence d’atteinte grave et immédiate au secteur ou aux entreprises du secteur et l’absence d’atteinte immédiate au consommateur, en d’autres termes par l’absence d’urgence et non par l’absence de bien-fondé manifeste de la plainte dont il était saisi.

66      Par ailleurs, il résulte de la décision attaquée que, malgré les injonctions contenues dans la décision du 16 juillet 2003, la Commission avait reçu des informations indiquant que la requérante ne s’y conformait probablement pas. En outre, la requérante ne démontre pas que les éléments et indices sérieux dont la Commission fait état dans la décision attaquée ne pouvaient justifier le recours à l’inspection. Le caractère non justifié de celle-ci n’est donc pas établi.

67      Enfin, il est constant que la requérante avait connaissance de la procédure en cours devant le Conseil de la concurrence, de la décision du Conseil de la concurrence et des injonctions contenues dans la décision du 16 juillet 2003. Partant, le fait que ces éléments n’aient pas été mentionnés dans la décision attaquée n’a pas pu avoir pour effet de porter atteinte aux droits de la défense ou de l’empêcher de saisir la portée de son devoir de collaboration avec la Commission lors de l’inspection.

68      Au vu de l’ensemble de ce qui précède, il convient de constater que les obligations imposées à la Commission par l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003 ont été respectées et que, dès lors, la première branche du premier moyen ne saurait être accueillie.

 Sur la seconde branche, prise de la violation de la répartition des compétences et de l’obligation de coopérer loyalement avec les autorités nationales de concurrence prévues par le règlement n° 1/2003

–       Arguments des parties

69      La requérante fait valoir que la Commission a violé la répartition des compétences établie par le règlement n° 1/2003 et ses textes d’application et a manqué à son devoir de coopération loyale avec les autorités nationales de concurrence au titre de l’article 11, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003 et de l’article 10 CE.

70      Le règlement n° 1/2003 aurait décentralisé le droit communautaire de la concurrence sur la base, d’une part, du principe de subsidiarité, visé par le règlement n° 1/2003, et, d’autre part, du principe de coopération entre les autorités chargées de l’application du droit communautaire de la concurrence. À cet effet, le règlement n° 1/2003 aurait mis en place un réseau européen de concurrence et un système de compétences et de coopération entre les membres de ce réseau. Ce principe de coopération se retrouverait mentionné notamment à l’article 11, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003, dans la communication de la Commission relative à la coopération au sein du réseau des autorités de concurrence (JO 2004, C 101, p. 43, ci-après la « Communication ») et dans la déclaration commune du Conseil et de la Commission du 10 décembre 2002 sur le fonctionnement du réseau des autorités de concurrence (déclaration inscrite au procès-verbal de la réunion du Conseil relative à l’adoption du règlement n° 1/2003, document n° 15435/02 ADD 1, ci-après la « déclaration commune »).

71      Sur la base de ces deux principes, la Commission aurait défini, dans la Communication, les règles de répartition des affaires entre les membres du réseau. Celles-ci seraient violées par la décision attaquée. Premièrement, aux termes de la Communication, le Conseil de la concurrence serait l’autorité bien placée pour traiter l’affaire en cause et la Commission ne serait pas mieux placée que ce dernier. Partant, l’inspection ne pourrait pas déboucher sur un dessaisissement du Conseil de la concurrence et une réattribution de l’affaire à la Commission et, en conséquence, l’inspection ordonnée ne serait pas légitime. Deuxièmement, l’intervention directe de la Commission serait injustifiée, dès lors que le Conseil de la concurrence dispose de pouvoirs d’inspection et que la Commission aurait pu lui demander d’en faire usage. Troisièmement, même si la décision attaquée devait être considérée légitime, la Commission aurait dû faire application de l’article 22, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 et, en conséquence, associer le Conseil de la concurrence aux mesures d’inspection et lui déléguer toutes les tâches qui pouvaient l’être.

72      La Commission rétorque, à titre principal, que la présente branche, en tant qu’elle est prise de la violation de la répartition des compétences qui ressortirait du règlement n° 1/2003, est irrecevable, celle-ci n’indiquant pas précisément le moyen d’annulation. Aucune disposition précise du règlement ne serait ainsi invoquée. En réalité, le traité CE et le règlement n° 1/2003 établiraient des compétences parallèles pour l’application des articles 81 CE et 82 CE. La déclaration commune et la Communication ne contiendraient, quant à elles, que des indications sur la manière dont les autorités du réseau peuvent coordonner leur action et préserveraient la compétence de la Commission pour intervenir à tout instant contre toute infraction aux articles 81 CE et 82 CE.

73      Quant au principe de subsidiarité, tout d’abord, le règlement n° 1/2003 se limiterait à indiquer que son adoption ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour permettre une application efficace des règles du traité, sans toutefois affecter les pouvoirs de la Commission de procéder à des enquêtes. Ensuite, dès lors que la Commission dispose d’une compétence pour appliquer directement le traité CE dans des cas individuels, le principe de subsidiarité ne saurait être interprété de manière à la priver de cette compétence. Enfin, l’invocation de ce principe serait mal fondée, car l’intervention de la Commission se serait limitée à une phase d’enquête préalable, avant que la Commission n’ait décidé de l’opportunité éventuelle d’engager une procédure.

74      Par ailleurs, la Communication serait dépourvue d’effets juridiques obligatoires et, en outre, la lecture des critères d’attribution des cas effectuée par la requérante serait erronée. La Commission resterait en effet toujours libre d’évoquer une affaire, à tout moment. À titre surabondant, la Commission ajoute, d’une part, que certains éléments de l’espèce plaidaient en faveur d’un traitement de l’affaire au fond par ses services et, d’autre part, que sa décision de procéder à une inspection et de traiter elle-même l’affaire au fond a fait l’objet d’une concertation avec les autorités françaises. En tout état de cause, la légalité de la décision attaquée ne dépendrait pas de la question de savoir si elle a fait l’objet de discussions préalables et d’une concertation étroite avec les autorités nationales de concurrence, la seule obligation de la Commission à cet égard étant celle prévue à la dernière phrase de l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003, dont la requérante n’invoquerait pas la violation.

75      Enfin, l’article 22, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 serait sans incidence sur la légalité de la décision attaquée. En effet, le règlement n’obligerait pas la Commission à déléguer certaines tâches aux autorités nationales.

76      La Commission conclut de ce qui précède qu’elle n’a violé aucune obligation de coopération avec les autorités françaises de concurrence.

–       Appréciation du Tribunal

77      À titre liminaire, il convient de rejeter l’argument de la Commission selon lequel la présente branche serait irrecevable en tant qu’elle serait prise de la violation de la répartition des compétences qui ressortirait du règlement n° 1/2003. En effet, l’absence d’identification d’une disposition précise du règlement sur ce point n’est pas de nature à rendre cette partie de l’argumentation de la requérante irrecevable, dans la mesure où la requérante fait en substance valoir que c’est un système de répartition des compétences, découlant du règlement n° 1/2003, qui serait violé et où la question de l’existence effective de ce système est l’un des fondements de son argumentation.

78      Il convient donc d’analyser si, par la décision attaquée, la Commission a violé la répartition des compétences ou l’obligation de coopérer loyalement avec les autorités nationales de concurrence, qui résulteraient du principe de subsidiarité, de l’article 11, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003, de la Communication, de la déclaration commune et de l’article 22, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003.

79      S’agissant, premièrement, de la répartition des compétences entre la Commission et les autorités nationales de concurrence, il convient d’observer que le règlement n° 1/2003 met fin au régime centralisé antérieur et organise, conformément au principe de subsidiarité, une association plus large des autorités nationales de concurrence, les habilitant à cette fin à mettre en œuvre le droit communautaire de la concurrence. Toutefois, l’économie du règlement repose sur l’étroite coopération appelée à se développer entre la Commission et les autorités de concurrence des États membres organisées en réseau, la Commission étant chargée de déterminer les modalités concrètes de cette coopération. En outre, ledit règlement ne remet pas en cause la compétence générale reconnue à la Commission par la jurisprudence (arrêt de la Cour du 14 décembre 2000, Masterfoods, C‑344/98, Rec. p. I‑11369, points 46 et 48). L’institution est, en effet, dotée, en vertu du règlement n° 1/2003, d’un pouvoir d’enquête très étendu et elle est habilitée, en tout état de cause, à décider de l’ouverture d’une procédure relativement à une infraction, ce qui emporte dessaisissement des autorités de concurrence des États membres. Elle conserve donc un rôle prépondérant dans la recherche des infractions.

80      La requérante fait par conséquent une interprétation erronée de la coopération instaurée par le règlement n° 1/2003 entre la Commission et les autorités de concurrence des États membres. Aucune disposition du règlement n’établit de règle de répartition des compétences telle que celle invoquée par la requérante, en vertu de laquelle la Commission ne serait pas autorisée à procéder à une inspection lorsqu’une autorité nationale de concurrence est déjà saisie de la même affaire. Au contraire, l’article 11, paragraphe 6, du règlement n° 1/2003 prévoit, sous réserve d’une simple consultation de l’autorité nationale concernée, que la Commission garde la possibilité d’ouvrir une procédure en vue de l’adoption d’une décision même si une autorité nationale traite déjà de l’affaire.

81      Partant, la Commission doit a fortiori pouvoir procéder à une inspection telle que celle ordonnée en l’espèce. En effet, une décision ordonnant une inspection ne constitue qu’un acte préparatoire au traitement au fond d’une affaire, qui n’emporte pas ouverture formelle de la procédure au sens de l’article 11, paragraphe 6, du règlement n° 1/2003, une telle décision d’inspection ne manifestant pas en elle-même la volonté de la Commission d’adopter une décision sur le fond de l’affaire (voir, en ce sens, à propos du règlement n° 17, arrêt de la Cour du 6 février 1973, Brasserie de Haecht, 48/72, Rec. p. 77, point 16). Le considérant 24 du règlement n° 1/2003 annonce d’ailleurs que la Commission doit être habilitée à procéder aux inspections qui sont nécessaires pour déceler les infractions à l’article 82 CE, et l’article 20, paragraphe 1, dudit règlement dispose expressément que, pour l’accomplissement des tâches qui lui sont assignées par ce règlement, la Commission peut procéder à toutes les inspections nécessaires.

82      Il s’ensuit que le règlement n° 1/2003 n’établit pas de système de répartition des compétences tel qu’invoqué par la requérante. L’argument tiré de sa violation ne peut donc pas être retenu.

83      S’agissant, deuxièmement, de la Communication, qui, selon la requérante, répartirait également les compétences entre la Commission et les autorités nationales de concurrence et aurait été violée en l’espèce, d’une part, il convient de relever que son point 4 précise que les consultations et les échanges au sein du réseau sont une affaire entre autorités agissant dans l’intérêt public et que, selon son point 31, elle ne confère pas aux entreprises impliquées un droit individuel à voir l’affaire traitée par une autorité donnée. La requérante n’est donc pas fondée à soutenir que, aux termes de cette Communication, seul le Conseil de la concurrence pouvait traiter l’affaire en cause.

84      D’autre part, force est de constater que l’argumentation de la requérante se heurte au libellé même de la Communication. Son point 8, auquel se réfère la requérante, énonce effectivement les conditions dans lesquelles une autorité peut être considérée comme bien placée pour traiter une affaire. Cependant, l’emploi du verbe « pouvoir » démontre qu’il s’agit d’une simple possibilité de partage des tâches, qui ne peut pas être considérée comme portant obligation pour la Commission de ne pas traiter une affaire ou de ne pas enquêter à propos d’une affaire lorsque les conditions que le point 8 énonce sont satisfaites. De plus, aux termes du point 5 de la Communication, chaque membre du réseau conserve toute latitude pour décider d’enquêter ou non sur une affaire et le point 55 prévoit, conformément à ce qui est prévu par l’article 11, paragraphe 6, du règlement n° 1/2003, que la Commission peut, en tout état de cause, reprendre une affaire traitée par une autorité nationale. Elle doit donc également pouvoir procéder à une inspection. Partant, l’argumentation de la requérante tirée de la Communication n’est pas fondée.

85      Troisièmement, quant à la déclaration commune, son point 3 indique qu’elle est de nature politique et ne crée ni droits légaux ni obligations légales. La requérante n’est donc pas fondée à invoquer un tel document aux fins de l’annulation d’un acte de droit communautaire faisant grief. En toute hypothèse, son point 22 prévoit que la Commission peut se saisir d’une affaire, même si une autorité nationale de concurrence en connaît déjà, à condition qu’elle lui explique, ainsi qu’aux autres membres du réseau, les raisons qui l’amènent à faire application de l’article 11, paragraphe 6, du règlement n° 1/2003. Or, il a été relevé précédemment que la décision attaquée n’emporte pas application de l’article 11, paragraphe 6, du règlement n° 1/2003 et que la Commission doit donc, en l’espèce, être considérée comme autorisée à procéder à une inspection.

86      S’agissant, quatrièmement, de l’obligation de coopérer loyalement avec les autorités nationales de concurrence au titre de l’article 11, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003 et de l’article 10 CE, il suffit de constater que la disposition du règlement n° 1/2003 énonce une règle générale selon laquelle la Commission et les autorités nationales de concurrence sont tenues de collaborer étroitement, mais n’impose pas à la Commission de s’abstenir d’effectuer une inspection relative à une affaire dont une autorité nationale de concurrence serait saisie en parallèle. Au contraire, il résulte des dispositions analysées ci-dessus, et en particulier de l’article 11, paragraphe 6, du règlement n° 1/2003, que le principe de collaboration implique que la Commission et les autorités nationales de concurrence puissent, au moins aux stades préliminaires des affaires dont elles sont saisies, travailler de manière parallèle. Par ailleurs, la requérante ne conteste pas que la Commission a effectivement eu des contacts avec l’autorité nationale concernée avant d’adopter la décision attaquée. Quant à l’article 10 CE, la requérante se contente d’en invoquer la violation sans étayer cette allégation autrement que par un renvoi à l’article 11, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003. Il s’ensuit que la violation alléguée de ces articles n’est pas établie.

87      Cinquièmement, quant à l’argument tiré de l’article 22, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, celui-ci est inopérant. En effet, cette disposition se limite à prévoir la possibilité pour la Commission de déléguer une partie de ses tâches aux autorités nationales de concurrence, sans lui imposer d’obligation à cet égard.

88      Enfin, s’agissant, sixièmement, de l’argument tiré du principe de subsidiarité énoncé à l’article 5, deuxième alinéa, CE, il convient de rappeler que, aux termes de celui-ci, la Communauté n’intervient, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, que si et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire.

89      En l’espèce, la référence au principe de subsidiarité effectuée dans le règlement n° 1/2003 se limite à indiquer que l’adoption du règlement n° 1/2003 est conforme à ce principe. En outre, le protocole sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, annexé au traité CE, précise, à son paragraphe 3, que le principe de subsidiarité ne remet pas en question les compétences conférées à la Communauté par ledit traité, telles qu’interprétées par la Cour (arrêt de la Cour du 12 juillet 2005, Alliance for Natural Health e.a., C‑154/04 et C‑155/04, Rec. p. I‑6451, point 102). Ainsi, ce principe ne remet pas en cause les compétences qui ont été conférées à la Commission par le traité CE, parmi lesquelles figure l’application des règles de concurrence, et en particulier le droit de procéder à des inspections afin d’apprécier la réalité éventuelle d’infractions suspectées. De surcroît, et en toute hypothèse, comme cela a déjà été vu, l’action de la Commission en cause est une action préliminaire, qui n’emporte pas ouverture formelle de la procédure au sens de l’article 11, paragraphe 6, du règlement n° 1/2003. L’adoption de la décision attaquée n’a donc pas eu pour effet de dessaisir le Conseil de la concurrence. Partant, il n’est pas établi que le principe de subsidiarité a été violé.

90      Il résulte de ce qui précède que la requérante n’a pas établi que la Commission avait violé une règle de répartition des compétences qui lui aurait interdit de procéder à l’inspection en cause, avait manqué à son obligation de coopération loyale avec les autorités nationales de concurrence telle qu’instaurée notamment par le règlement n° 1/2003 ou avait violé le principe de proportionnalité. Dès lors, la seconde branche du premier moyen n’est pas fondée.

91      Partant, il y a lieu de rejeter le premier moyen dans son ensemble.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation par la Commission de son obligation d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d’espèce

 Arguments des parties

92      La requérante fait valoir que, selon la jurisprudence, dans les cas où la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation, elle est tenue de respecter les garanties conférées par l’ordre juridique communautaire, parmi lesquelles figure, notamment, l’obligation d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d’espèce. Dans la présente affaire, la Commission aurait violé cette obligation en ne tenant aucun compte, avant de décider de procéder à l’inspection, du fait que le Conseil de la concurrence avait déjà été saisi des offres lancées par la requérante en janvier et en février 2004 et avait constaté que la qualification de prédation était hautement improbable. La requérante estime que, bien qu’il puisse être admis que la Commission porte une appréciation différente de celle du Conseil de la concurrence sur la structure et l’évolution du marché français des services d’accès à Internet à haut débit, celle-ci aurait néanmoins dû mettre en balance les informations qu’elle détenait avec celles contenues dans la décision du Conseil de la concurrence. Or, l’existence de la décision du Conseil de la concurrence ne serait même pas indiquée. Cette violation se serait accompagnée d’une erreur manifeste d’appréciation et serait aggravée par des contacts de la Commission avec le rapporteur du Conseil de la concurrence et avec AOL. Un examen soigneux et impartial aurait consisté à expliquer pourquoi l’inspection restait nécessaire malgré la décision du Conseil de la concurrence.

93      La Commission rétorque que ce moyen doit être rejeté. Elle aurait examiné avec soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d’espèce, notamment la décision du Conseil de la concurrence et sa propre décision du 16 juillet 2003. Elle ne se serait pas formée d’opinion ferme sur l’existence d’une infraction mais aurait seulement eu des soupçons, fondés sur des informations reçues notamment de la part de plusieurs opérateurs concurrents de la requérante. De plus, la décision du Conseil de la concurrence fournirait à elle seule des indications suffisantes de l’existence probable d’une infraction. Enfin, outre cette décision et des rencontres avec le rapporteur du Conseil de la concurrence, la Commission aurait également eu plusieurs rencontres avec le fonctionnaire du Conseil de la concurrence responsable des contacts avec la Commission.

 Appréciation du Tribunal

94      Parmi les garanties conférées par l’ordre juridique communautaire dans les procédures administratives figure notamment le principe de bonne administration, auquel se rattache l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce (arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98, T‑212/98 à T‑214/98, Rec. p. II‑3275, point 404).

95      En l’espèce, la requérante reproche en substance à la Commission d’avoir violé cette obligation en ne prenant pas en compte la décision du Conseil de la concurrence et en ne mettant pas en balance le contenu de cette décision avec les informations qu’elle détenait. La Commission aurait aggravé cette violation par des contacts avec le rapporteur du Conseil de la concurrence chargé de l’affaire et avec AOL, concurrent de la requérante.

96      Cette argumentation ne peut pas être accueillie.

97      Tout d’abord, le fait que la décision du Conseil de la concurrence ne soit pas mentionnée dans la décision attaquée ne suffit pas pour conclure qu’elle n’a pas été prise en considération par la Commission. Au contraire, les contacts qui ont eu lieu entre la Commission et le rapporteur du Conseil de la concurrence, quel que soit le rôle joué par ce dernier dans le processus d’élaboration ou d’adoption de la décision du Conseil de la concurrence, tendent plutôt à démontrer que la Commission était bien informée de l’existence de celle-ci, ou, du moins, de l’imminence de son adoption, ainsi que de la procédure qui était en cours devant le Conseil de la concurrence lorsqu’elle a adopté la décision attaquée.

98      Ensuite, de nombreux éléments relevés par le Conseil de la concurrence dans sa décision, indiqués aux points 64 et 65 ci-dessus, et quelle que soit l’appréciation qui en serait faite lors d’une analyse de l’affaire au fond, penchaient en faveur d’une décision ordonnant une inspection. Il ne peut donc ni être conclu que la Commission a effectivement ignoré cette décision ni être considéré que la Commission avait à expliquer pourquoi l’inspection ordonnée restait nécessaire malgré cette décision du Conseil de la concurrence.

99      Il s’ensuit qu’il ne peut être considéré que la Commission n’a pas examiné avec soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d’espèce ou qu’elle aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en analysant ces éléments. Les contacts de la Commission avec le rapporteur du Conseil de la concurrence et AOL ne sauraient remettre en cause cette appréciation, aucun manquement à l’obligation de la Commission d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d’espèce n’ayant été constaté.

100    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

 Arguments des parties

101    La requérante fait valoir que, en vertu de l’article 253 CE, la Commission est tenue de motiver ses décisions. Selon une jurisprudence constante, elle serait tenue de faire apparaître d’une façon claire et non équivoque son raisonnement, de façon à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la Cour d’exercer son contrôle sur la légalité de la mesure en cause.

102    Or, la décision attaquée serait insuffisamment motivée. Elle n’exposerait pas le raisonnement permettant de passer outre l’existence d’une procédure nationale portant sur les mêmes faits, de se démarquer des constatations effectuées par le Conseil de la concurrence ou de considérer qu’une inspection était nécessaire et proportionnée. En outre, elle ne justifierait pas la conclusion selon laquelle la décision du Conseil de la concurrence n’ôtait pas à la mesure d’inspection décidée son caractère nécessaire et proportionné, ne mentionnerait pas l’existence de cette décision et la contredirait sur des éléments de faits essentiels. Il serait donc impossible pour la requérante de comprendre la justification d’une mesure aussi lourde que l’inspection en cause. La Commission aurait ainsi violé son obligation de motivation et la décision attaquée devrait être annulée.

103    La Commission rétorque que l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003 définit les éléments de motivation d’une décision ordonnant une inspection, en prévoyant que celle-ci indique l’objet et le but de l’inspection. La motivation fournie satisferait de plus aux exigences de motivation fixées par la jurisprudence relative à l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17, rédigé de la même manière que l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003. La Commission n’aurait notamment pas été tenue de qualifier l’infraction ni de justifier sa décision par rapport à l’ensemble des éléments de fait qui pourraient ressortir d’une décision d’une autorité nationale portant sur des mesures conservatoires. De même, les appréciations factuelles des éléments à sa disposition ne feraient pas partie des éléments de motivation que la Commission serait tenue de communiquer au destinataire d’une décision ordonnant une inspection. Quant à l’absence de mention de la décision du Conseil de la concurrence, elle serait sans incidence, car elle ne serait de nature à entraver ni la compréhension de la décision attaquée par la requérante, ni ses moyens de défense, ni le contrôle exercé par le Tribunal.

104    Enfin, la Commission ne saurait être tenue de justifier spécifiquement son appréciation de l’opportunité de mener une enquête ou la manière dont elle se partage les tâches avec les autorités nationales dans une affaire concrète.

 Appréciation du Tribunal

105    L’obligation de motiver une décision individuelle, qui résulte de manière générale de l’article 253 CE, a pour but de permettre au juge communautaire d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision et de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est bien fondée ou si elle est éventuellement entachée d’un vice permettant d’en contester la validité, étant précisé que la portée de cette obligation dépend de la nature de l’acte en cause et du contexte dans lequel il a été adopté (arrêts de la Cour du 25 octobre 1984, Instituut Electronenmicroscopie, 185/83, Rec. p. 3623, point 38, et du Tribunal du 15 juin 2005, Corsica Ferries France/Commission, T‑349/03, Rec. p. II‑2197, points 62 et 63).

106    S’agissant des décisions de la Commission ordonnant une inspection, il convient de rappeler que l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003 définit les éléments essentiels devant figurer dans la motivation d’une telle décision. Or, il a déjà été constaté au point 68 ci-dessus que la violation de cette disposition n’était pas établie, la Commission n’étant notamment pas tenue de justifier sa décision de procéder à l’inspection ordonnée au vu des éléments indiqués par la requérante.

107    Il s’ensuit que le moyen tiré de l’insuffisance de motivation doit être rejeté.

 Sur le quatrième moyen, tiré de la violation du principe de proportionnalité

 Arguments des parties

108    La requérante fait valoir que, selon la jurisprudence, les mesures d’inspection décidées par la Commission doivent être proportionnées et nécessaires à l’objectif recherché. À supposer que le but poursuivi par la Commission ait été de vérifier si les dix offres lancées en janvier et en février 2004 par Wanadoo étaient constitutives de pratiques de prix prédateurs interdites par l’article 82 CE, le recours aux pouvoirs d’inspection conférés à la Commission par l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003 n’aurait pas été proportionné. Un grand nombre d’informations sur les revenus et les coûts relatifs des offres en cause aurait déjà été recueilli par le Conseil de la concurrence et aucune information n’aurait risqué d’être détruite ou dissimulée. De plus, ces informations auraient pu être obtenues par des voies moins contraignantes qu’une inspection.

109    Par ailleurs, une procédure contradictoire aurait déjà démontré que la récupération de ses pertes par Wanadoo, et donc l’existence des pratiques de prix prédateurs suspectées et leurs effets d’éviction, était très improbable. Dans ces conditions, la qualification des faits incriminés au regard de l’article 82 CE aurait été incertaine et l’inspection n’aurait pas été nécessaire ou proportionnée à son objectif d’établir l’existence d’une infraction, quand bien même ladite inspection aurait été fructueuse.

110    La requérante ajoute que la Commission n’indique pas les raisons pour lesquelles la vérification des chiffres avancés par Wanadoo ne pouvait être obtenue par des mesures moins contraignantes qu’une inspection, telles que des constatations techniques par un expert. Quant à la recherche d’informations concernant une éventuelle intention d’éviction, la Commission n’aurait fourni aucune indication permettant d’établir qu’elle aurait reçu des informations indiquant que les offres en cause s’inscrivaient dans une stratégie de cantonnement ou de refoulement des concurrents. La requérante en conclut que la décision attaquée doit être annulée pour violation du principe de proportionnalité.

111    La Commission répond que le principe de proportionnalité exige que les actes des institutions communautaires ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché. La proportionnalité d’une décision d’inspection serait fonction de la gravité de l’infraction présumée, de la possibilité que l’inspection permette d’obtenir des renseignements fiables quant à l’existence de ladite infraction et d’une comparaison de l’efficacité qui pourrait être escomptée d’une telle inspection par rapport à d’autres mesures d’enquête. Au vu des éléments de l’espèce, et en particulier du fait que les informations recueillies par le Conseil de la concurrence auraient au moins en partie été jugées irréalistes par ce dernier, ce principe aurait été respecté.

112    En outre, il ressortirait de la jurisprudence que le choix effectué par la Commission entre une inspection ordonnée par voie de décision et une autre mesure d’enquête moins contraignante dépend des seules nécessités d’une instruction adéquate eu égard aux particularités de l’espèce, mais ne requiert pas l’existence de circonstances exceptionnelles.

113    La Commission ajoute qu’est sans fondement l’affirmation de la requérante selon laquelle la Commission ne pourrait pas procéder à une inspection dès lors qu’une décision antérieure visant la même entreprise a été adoptée sans avoir recours à une telle mesure d’enquête et qu’elle s’est limitée à ordonner une inspection dans les locaux de l’entreprise.

114    Enfin, elle fait valoir que, d’une part, ce n’est qu’au terme d’une enquête approfondie qu’elle pourra se former une opinion sur l’existence d’une éventuelle infraction et que, d’autre part, et en toute hypothèse, les arguments avancés par la requérante quant au fond de l’infraction présumée sont contraires à la jurisprudence de la Cour et du Tribunal.

115    La décision attaquée viserait ainsi uniquement à permettre à la Commission de réunir les éléments nécessaires pour apprécier l’existence éventuelle d’une violation du traité. De ce fait, elle ne serait pas disproportionnée par rapport au but poursuivi, notamment parce que la nature de l’infraction présumée, qui comporte un élément intentionnel, indiquerait que les éléments susceptibles de prouver une infraction grave sont systématiquement détenus dans des endroits dissimulés et que le risque de destruction et d’occultation est considérable.

116    La Commission conclut de ce qui précède que le moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité n’est pas fondé.

 Appréciation du Tribunal

117    Le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit communautaire, exige que les actes des institutions communautaires ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante, et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêts de la Cour du 13 novembre 1990, Fedesa e.a., C‑331/88, Rec. p. I‑4023, point 13, et du 14 juillet 2005, Pays-Bas/Commission, C‑180/00, Rec. p. I‑6603, point 103).

118    Dans le domaine concerné par le cas d’espèce, le respect du principe de proportionnalité suppose que les mesures envisagées n’engendrent pas des inconvénients démesurés et intolérables par rapport aux buts poursuivis par l’inspection en cause (voir, à propos du règlement n° 17, arrêt Roquette Frères, point 29 supra, point 76). Cependant, le choix à opérer par la Commission entre l’inspection effectuée sur simple mandat et l’inspection ordonnée par voie de décision ne dépend pas de circonstances telles que la gravité particulière de la situation, l’extrême urgence ou la nécessité d’une discrétion absolue, mais des nécessités d’une instruction adéquate, eu égard aux particularités de l’espèce. Partant, lorsqu’une décision d’inspection vise uniquement à permettre à la Commission de réunir les éléments nécessaires pour apprécier l’existence éventuelle d’une violation du traité, une telle décision ne méconnaît pas le principe de proportionnalité (voir, à propos du règlement n° 17, arrêts National Panasonic/Commission, point 59 supra, points 28 à 30, et Roquette Frères, point 29 supra, point 77).

119    C’est à la Commission qu’il appartient, en principe, d’apprécier si un renseignement est nécessaire en vue de pouvoir déceler une infraction aux règles de concurrence, et, même si elle dispose déjà d’indices, voire d’éléments de preuve relatifs à l’existence d’une infraction, la Commission peut légitimement estimer nécessaire d’ordonner des vérifications supplémentaires lui permettant de mieux cerner l’infraction ou sa durée (voir, à propos du règlement n° 17, arrêts de la Cour du 18 octobre 1989, Orkem/Commission, 374/87, Rec. p. I‑3283, point 15, et Roquette Frères, point 29 supra, point 78).

120    En l’espèce, premièrement, la décision attaquée vise à recueillir des informations relatives aux pratiques de prix qui seraient mises en œuvre par la requérante, afin d’apprécier l’existence éventuelle d’une violation du traité. Certes, il est indiqué dans la décision attaquée que la Commission détient déjà certaines informations sur celles-ci. Cependant, elle était, en vertu de la jurisprudence, en droit de chercher à recueillir des informations supplémentaires, notamment des informations relatives à une stratégie de cantonnement et de refoulement des concurrents, dont il est difficile de concevoir qu’elles auraient pu, le cas échéant, entrer en possession de la Commission autrement que par le biais d’une inspection. Deuxièmement, considérant que les informations recherchées comprenaient des éléments tendant à révéler une éventuelle intention d’éviction des concurrents, il était acceptable, aux fins d’une instruction adéquate de l’affaire, d’ordonner l’inspection par voie de décision, afin de garantir l’efficacité de cette inspection. Troisièmement, l’inspection ordonnée par la décision attaquée a été limitée aux locaux de l’entreprise, alors que le règlement n° 1/2003 permet désormais, sous certaines conditions, d’inspecter des locaux autres, y compris le domicile de certains membres du personnel de l’entreprise concernée. Au vu de ces éléments, il n’apparaît pas que la Commission a, dans la présente affaire, agi de manière disproportionnée par rapport au but poursuivi et a de ce fait méconnu le principe de proportionnalité, le recours à l’inspection ordonnée par voie de décision étant adéquat au regard des particularités de l’espèce.

121    Les arguments avancés par la requérante ne peuvent pas renverser cette conclusion. Premièrement, il a déjà été constaté ci-dessus que la décision du Conseil de la concurrence ne corrobore pas la position de la requérante quant à l’incertitude de l’existence des pratiques suspectées et ne permet donc pas d’exclure l’hypothèse avancée par la Commission dans la décision attaquée selon laquelle la requérante pourrait pratiquer des tarifs contraires à l’article 82 CE. L’impossibilité éventuelle pour la Commission d’établir ensuite, au fond, l’existence de prix prédateurs sur la base des éléments qu’elle aurait recueillis dans le cadre de l’inspection en cause est sans incidence, celle-ci ne permettant pas de conclure au caractère inapproprié de l’inspection ordonnée. En effet, la décision attaquée indique également de manière plus générale que la Commission soupçonne la requérante de pratiques tarifaires contraires à l’article 82 CE, indication suffisante en elle-même pour justifier l’inspection.

122    Deuxièmement, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence précitée, le fait que la Commission ait déjà été en possession de certains éléments indiquant que la requérante pratiquerait des tarifs contraires à l’article 82 CE ou que de tels éléments aient déjà été recueillis par le Conseil de la concurrence, et pourraient dès lors être transmis à la Commission, n’est pas suffisant pour conclure que la décision attaquée est disproportionnée. La jurisprudence reconnaît en effet à la Commission le droit de rechercher des éléments supplémentaires même si elle dispose déjà d’indices de l’existence d’une infraction.

123    Troisièmement, la requérante n’est pas fondée à alléguer que la Commission n’aurait fourni aucune indication permettant d’établir qu’elle aurait reçu des informations indiquant que les offres en cause s’inscrivaient dans une stratégie d’éviction des concurrents. D’une part, la décision attaquée indique expressément que cette hypothèse repose sur des informations reçues par la Commission et, d’autre part, la Commission n’est pas tenue, dans une décision telle que la décision attaquée, de détailler les éléments et indices sur lesquels cette décision repose (voir, en ce sens, à propos du règlement n° 17, arrêt Roquette Frères, point 29 supra, point 62).

124    Il résulte de ce qui précède que le quatrième moyen doit être rejeté.

 Sur le cinquième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation

 Arguments des parties

125    La requérante fait valoir que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en affirmant dans la décision attaquée que tout le marché de l’ADSL en France se situait à ce moment-là en marge négative alors que la décision du Conseil de la concurrence du 11 mai 2004, que la Commission ne pouvait ignorer, laissait entendre que bon nombre de fournisseurs d’accès à Internet étaient rentables et qu’un opérateur y avait affirmé avoir une marge positive. La Commission aurait donc énoncé des faits erronés concernant un point fondamental et aurait ainsi méconnu la raison de l’interdiction des prix prédateurs, à savoir l’élimination des concurrents. La décision attaquée procéderait donc d’une erreur manifeste d’appréciation et devrait par conséquent être annulée.

126    La Commission répond qu’elle était en possession d’informations étayant l’affirmation selon laquelle tout le marché de l’ADSL en France se situait en marge négative et que, en toute hypothèse, il lui suffisait d’être parvenue à la conclusion que les éléments à sa disposition constituaient des indices sérieux d’une possible infraction lui permettant, en l’espèce, de penser que certaines des nouvelles offres étaient commercialisées au-dessous de leurs coûts.

127    Cela étant, ce moyen serait inopérant, car, même si cette affirmation était erronée, elle ne pourrait pas engendrer l’illégalité de la décision attaquée. En effet, la situation de la marge bénéficiaire de l’ensemble du secteur ne ferait pas partie des critères pertinents pour établir le caractère prédateur des prix d’une entreprise en position dominante. Tout d’abord, la jurisprudence aurait établi que l’existence de prix inférieurs à la moyenne des coûts variables permet de présumer le caractère éliminatoire d’une pratique de prix. Ensuite, selon la thèse défendue par la requérante, il ne pourrait y avoir de prédation à moins que l’ensemble des opérateurs concurrents ne subissent des pertes et soient collectivement menacés d’éviction. Or, l’application de l’article 82 CE à une pratique de prix ne visant qu’une partie des concurrents ne pourrait pas être exclue, ce que corroborerait la décision du Conseil de la concurrence. Enfin, la phrase de la décision du Conseil de la concurrence à laquelle la requérante fait référence ne s’appliquerait en fait qu’à une partie des offres et des tarifs en cause et, en toute hypothèse, la Commission ayant été en possession d’informations contradictoires, elle aurait été en droit de juger de la crédibilité des différents témoignages dont elle disposait. Il s’agirait en tout état de cause de questions relatives au fond de l’infraction, ne pouvant trouver de réponse qu’à la lumière d’une enquête approfondie.

 Appréciation du Tribunal

128    La requérante allègue que la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation mais se limite, au soutien de cette affirmation, à renvoyer à une appréciation qui résulterait de la décision du Conseil de la concurrence. Or, cette décision ne porte que sur une demande de mesures conservatoires et il ne peut donc être exclu qu’à l’issue d’une analyse au fond des éléments du dossier le Conseil de la concurrence conclue différemment. En outre, la Commission ne peut être considérée comme liée par une appréciation factuelle qui aurait été effectuée par une autorité nationale de concurrence sur la base de certains éléments, dans la mesure où il ne peut être exclu que la Commission soit en possession d’autres éléments l’amenant justement à une conclusion différente de celle retenue par cette autorité. Il ressort d’ailleurs de la décision attaquée que la Commission était en possession d’éléments servant de fondement à l’affirmation qui est ici contestée par la requérante.

129    Considérant la présomption de légalité qui s’attache aux actes des institutions communautaires (arrêt de la Cour du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a., C‑137/92 P, Rec. p. I‑2555, point 48), laquelle implique qu’il appartient à celui qui se prévaut de l’illégalité d’un tel acte d’en rapporter la preuve, et considérant que la requérante n’apporte pas de preuve concrète au soutien de son allégation, hormis le renvoi à une décision dont il a été constaté ci-dessus qu’elle n’était pas concluante, l’erreur manifeste d’appréciation alléguée n’est pas établie.

130    Partant, le cinquième moyen doit être rejeté.

131    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

132    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      La requérante est condamnée aux dépens.

Legal

Wiszniewska-Białecka

Moavero Milanesi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 mars 2007.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       H. Legal


* Langue de procédure : le français.