Language of document : ECLI:EU:T:2007:85

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

14 mars 2007 (*)

« Recours en annulation – Dumping – Importations de silicium-métal originaire de Russie – Préjudice – Lien de causalité »

Dans l’affaire T‑107/04,

Aluminium Silicon Mill Products GmbH, établie à Zug (Suisse), représentée par Mes A. Willems et L. Ruessmann, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. M. Bishop, en qualité d’agent, assisté de Me G. Berrisch, avocat,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission des Communautés européennes, représentée par M. T. Scharf et Mme K. Talabér Ricz, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande en annulation du règlement (CE) n° 2229/2003 du Conseil, du 22 décembre 2003, instituant un droit antidumping définitif et portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations de silicium-métal originaire de Russie (JO L 339, p. 3),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

composé de M. M. Jaeger, président, Mme V. Tiili et M. O. Czúcz, juges,

greffier : Mme C. Kristensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 9 novembre 2005,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1        La requérante est une société de droit suisse active notamment dans le domaine de la vente et de la commercialisation de produits semi-finis de silicium-métal sur le marché communautaire. Elle acquiert le silicium-métal auprès de deux producteurs, SUAL Kremny-Ural LLC (SKU) et JSC ZAO Kremny (ZAO). Ces deux sociétés appartiennent à OAO SUAL (SUAL). Étant donné que celle-ci et la requérante sont, en dernier lieu, contrôlées par le même actionnaire, à savoir SUAL International Ltd, SKU et ZAO sont des producteurs liés à la requérante.

2        Le silicium-métal est un produit commercialisé sous forme de morceaux, graines, granules ou poudre, fabriqués en diverses qualités qui se distinguent, notamment, par leur teneur en fer, en calcium et par la présence d’autres oligoéléments. En ce qui concerne le silicium-métal ayant un degré de concentration de silicium allant de 95 à 99,99 %, le produit concerné dans la présente affaire, deux catégories d’utilisateurs peuvent être identifiées sur le marché communautaire : les utilisateurs de l’industrie chimique, des fabricants de silicones pour la plupart, et les utilisateurs de l’industrie métallurgique, produisant de l’aluminium.

3        À la suite d’une plainte déposée par EuroAlliages (Comité de liaison des industries de ferro-alliages), la Commission a ouvert une procédure antidumping concernant les importations de silicium-métal originaires de Russie, en application du règlement (CE) n° 384/96 du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 1996, L 56, p. 1), tel que modifié en dernier lieu par le règlement (CE) n° 1972/2002 du Conseil, du 5 novembre 2002 (JO L 305, p. 1, ci-après le « règlement de base »). L’avis d’ouverture de la procédure a été publié le 12 octobre 2002 (JO C 246, p. 12).

4        Le 10 juillet 2003, la Commission a adopté le règlement (CE) n° 1235/2003 instituant un droit antidumping provisoire sur les importations de silicium-métal originaires de Russie (JO L 173, p. 14, ci-après le « règlement provisoire »). Sur la base de son enquête relative aux pratiques de dumping et au préjudice portant sur la période comprise entre le 1er octobre 2001 et le 30 septembre 2002 (ci-après la « période d’enquête » ou la « PE »), et après avoir examiné les tendances relatives au préjudice entre le 1er janvier 1998 et la fin de la période d’enquête (ci-après la « période considérée »), elle a fixé à 25,2 % le taux de droit antidumping provisoire applicable aux importations de silicium-métal, contenant en poids moins de 99,99 % de silicium, relevant du code NC 2804 69 00, originaire de Russie, qui émane de SKU et de ZAO.

5        Le règlement provisoire procède à une présentation de l’évolution de plusieurs indicateurs économiques concernant la situation du marché européen du silicium-métal et celles des producteurs-exportateurs russes et de l’industrie communautaire, dont certaines données sont reproduites ci-après :

Tableau n° 1

Consommation communautaire (sur la base des volumes de vente)


1998

1999

2000

2001

PE

Tonnes

290 684

325 234

388 938

373 950

371 540

Indice

Évolution

100

112

+ 12 %

134

+ 20 %

129

‑ 4 %

128

‑ 1 %


Tableau n° 3

Part de marché détenue par les importations en provenance
de Russie (sur la base des volumes de vente)


1998

1999

2000

2001

PE

Pourcentage du marché de l’UE

3,7

1,9

3,6

4,5

4,8

Évolution (points de pourcentage)


‑ 1,8 %

+ 1,7 %

+ 0,9 %

+ 0,3 %


Tableau n° 4

Prix moyen des importations faisant l’objet d’un dumping


1998

1999

2000

2001

PE

En euros

1048

963

1131

999

929

Indice

Évolution

100

92

‑ 8 %

108

+ 17 %

95

‑ 12 %

89

‑ 7 %


Tableau n° 8

Volume des ventes (de l’industrie communautaire)


1998

1999

2000

2001

PE

Tonnes

86 718

114 587

133 568

128 219

136 421

Indice

Évolution

100

132

+ 32 %

154

+ 17 %

148

‑ 7 %

[‑ 4 % voir point 87 ci-après]

157

+ 6 %


Tableau n° 9

Prix de vente du silicium-métal de l’industrie communautaire


1998

1999

2000

2001

PE

Euros par tonne

1 415

1 184

1 231

1 271

1 185

Indice

Évolution

100

84

‑ 16 %

87

+ 4 %

90

+ 3 %

84

‑ 7 %


Tableau n° 10

Part de marché (de l’industrie communautaire)


1998

1999

2000

2001

PE

Pourcentage du marché

29,8

35,2

34,3

34,3

36,7

Indice

100

118

115

115

123


Tableau n° 12

Rentabilité (de l’industrie communautaire)


1998

1999

2000

2001

PE

Rentabilité (en pourcentage)

12,6

1,8

5,0

1,7

‑ 2,1

Évolution


‑ 10,8 %

+ 3,2 %

‑ 3,3 %

‑ 3,8 %


6        Le 22 décembre 2003, le Conseil a adopté le règlement (CE) n° 2229/2003 instituant un droit antidumping définitif et portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations de silicium-métal originaire de Russie (JO L 339, p. 3, ci-après le « règlement attaqué »). Le règlement attaqué impose des droits antidumping de 22,7 % aux importations du silicium-métal émanant de SKU et de ZAO.

 Procédure et conclusions des parties

7        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 mars 2004, la requérante a introduit le présent recours.

8        Par ordonnance du président de la troisième chambre du Tribunal du 26 janvier 2005, la Commission a été admise à intervenir au soutien des conclusions du Conseil. Elle a toutefois renoncé à présenter des observations écrites.

9        Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, a invité les parties à répondre par écrit à certaines questions. Les parties ont déféré à cette demande dans le délai imparti.

10      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 9 novembre 2005.

11      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours recevable ;

–        annuler le règlement attaqué dans la mesure où il institue des droits sur les exportations de SKU et de ZAO ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

12      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 Sur la demande en annulation

13      À l’appui de sa demande en annulation, la requérante invoque cinq moyens. Le premier, relatif à la définition prétendument erronée du « produit similaire », est tiré d’une erreur manifeste d’appréciation et de la violation de l’article 1er, paragraphe 4, et de l’article 6, paragraphe 7, du règlement de base. Le deuxième moyen, concernant la détermination du prix à l’exportation, est tiré de la violation de l’article 2, paragraphe 9, du règlement de base et de l’article 253 CE. Le troisième moyen, relatif à la détermination de l’existence d’un préjudice important, est tiré de la violation de l’article 3, paragraphes 2 et 5, du règlement de base, des articles 3.1 et 3.4 de l’accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (JO 1994, L 336, p. 103) figurant à l’annexe 1A de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et de l’article 253 CE. Le quatrième moyen, concernant l’établissement du lien de causalité entre les importations prétendument objets de dumping et le préjudice, est tiré de la violation de l’article 3, paragraphes 2, 6 et 7, du règlement de base, des articles 3.1 et 3.5 de l’accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994, d’une erreur manifeste d’appréciation et de la violation de l’article 253 CE. Le cinquième moyen, relatif à la méthode utilisée pour établir le niveau d’élimination du préjudice, est tiré de la violation de l’article 3, paragraphe 3, du règlement de base et de l’article 253 CE.

14      Le Tribunal considère qu’il y a lieu d’examiner d’abord la première branche du troisième moyen, tirée d’une violation du règlement de base lors de l’établissement d’un préjudice important au sens de l’article 3 dudit règlement, et la première branche du quatrième moyen, tirée d’une violation du règlement de base en raison d’une constatation prétendument erronée du lien de causalité entre le préjudice établi par le règlement attaqué et les importations faisant l’objet d’un dumping.

 Arguments des parties

15      La requérante rappelle que, selon le règlement attaqué, entre 1998 et 2000 les indicateurs de préjudice ont connu une évolution favorable pour l’industrie communautaire, puis une évolution négative entre 2000 et la période d’enquête, notamment concernant les prix. Or, elle soutient que les institutions communautaires ont omis de signaler que les principales baisses de prix de l’industrie communautaire étaient également intervenues durant la période allant de 1998 à 1999.

16      Ensuite, elle relève, à propos de l’affirmation contenue au considérant 44 du règlement attaqué, selon laquelle « entre 2000 et la période d’enquête, […] la plupart des indicateurs [de la situation de l’industrie communautaire] soit se sont légèrement améliorés, soit sont restés stables, soit ont baissé », que les seuls indicateurs qui ont connu une évolution négative étaient ceux des prix, de la rentabilité et du flux des liquidités, alors que les autres indicateurs ne présentaient que des évolutions positives. Elle rappelle, notamment, à cet égard, l’augmentation de la production et de la capacité de production de l’industrie communautaire. Elle souligne, en outre, que les baisses de prix coïncident avec une forte augmentation de la production, de la capacité de production, des volumes des ventes et des parts de marché des entreprises communautaires. Ainsi, en 1999 et pendant la période d’enquête, les producteurs communautaires auraient réalisé des gains de, respectivement, 32 % et 6 % de leur volume de vente.

17      Quant à l’argument du Conseil selon lequel, outre les trois indicateurs susmentionnés, le niveau et le rendement des investissements ont aussi connu une évolution négative, la requérante rétorque que ce serait le résultat logique du fait que, entre 1998 et 2000, l’industrie communautaire a massivement investi afin d’augmenter sa production en réponse à la croissance de la demande et que ce niveau d’investissement ne pouvait pas être maintenu pendant les années suivantes, qui ont connu une diminution de la demande.

18      La requérante estime que les allégations susmentionnées démontrent que le Conseil n’a pas pris en considération certains facteurs prévus et n’a pas correctement apprécié ceux qu’il a pris en compte, ce qui constitue une violation de l’article 3, paragraphe 5, du règlement de base.

19      Enfin, lors de l’audience, la requérante a fait observer que la constatation opérée au considérant 46 du règlement attaqué, selon laquelle, entre 2000 et la période d’enquête, la part de marché de l’industrie communautaire a baissé, est erronée, dès lors que les données reprises dans le règlement provisoire la contredisent.

20      En ce qui concerne l’appréciation prétendument erronée du lien de causalité, la requérante considère que c’est l’évolution de la demande de silicium-métal qui a joué un rôle déterminant dans l’évolution de la rentabilité de l’industrie communautaire. L’évolution favorable qui s’est produite entre 1998 et 2000, en particulier la forte augmentation de la production et des ventes, serait principalement attribuable à la hausse de la demande de silicium de 32 %, et non aux décisions de l’industrie communautaire d’investir dans de nouvelles installations de production.

21      De même, la chute des prix (et de la rentabilité) de l’industrie communautaire entre 2000 et la période d’enquête reflèterait principalement la contraction de la demande de silicium-métal et le fait que l’industrie communautaire aurait augmenté sa part de marché sur un marché en recul, en suivant une politique de prix agressive. La requérante ajoute que le désir d’augmenter si rapidement les volumes de vente aux utilisateurs de l’industrie métallurgique (le seul débouché des importations de silicium métal en provenance de Russie, ci-après les « importations russes ») a naturellement imposé de baisser nettement les prix de vente et a entraîné une baisse des prix (de 19 %) qui serait substantiellement plus importante que la chute des prix des importations russes (11 %). Ainsi, les ventes et les prix de l’industrie communautaire n’auraient pas été affectés par les importations russes.

22      En outre, elle fait valoir que la croissance de la part de marché des producteurs-exportateurs russes entre 2000 et la période de l’enquête ne représentait que la moitié de l’augmentation de la part de marché des producteurs communautaires. En tout état de cause, il serait inconcevable qu’avec une part de marché inférieure à 5 %, les producteurs-exportateurs russes aient pu déterminer les prix sur le marché européen.

23      La requérante soutient que le Conseil, dans son mémoire en défense, ne conteste ni n’examine les faits déterminants. Ces faits seraient les suivants : premièrement, il y aurait eu, en 2001, un arrêt de l’augmentation de la demande provenant de l’industrie chimique, et il y aurait eu, en effet, au cours de la période d’enquête, une importante baisse des ventes des producteurs communautaires aux utilisateurs de l’industrie chimique. Deuxièmement, il y aurait eu une augmentation massive du volume des ventes réalisées par les producteurs communautaires en direction des utilisateurs de l’industrie métallurgique au cours de la période d’enquête. Cela serait l’une des raisons principales de la baisse du prix moyen pratiqué par l’industrie communautaire. Troisièmement, il y aurait eu, simultanément, une baisse d’environ 10 % des prix pratiqués par les producteurs communautaires auprès des utilisateurs métallurgiques. Quatrièmement, la baisse des prix aurait été significativement plus importante que la baisse des prix des importations russes au cours de la même période.

24      Quant à l’écart entre les prix pratiqués par les producteurs-exportateurs russes et ceux facturés par les producteurs communautaires, elle estime que de nombreux éléments expliquent cette différence, tels que la différence dans le mélange des produits ou la différence de prix des produits locaux.

25      Quant à l’argument tiré par le Conseil de l’effet cumulatif allégué des baisses des prix pratiqués par les producteurs-exportateurs russes entre 2000 et la période d’enquête, la requérante rétorque que le niveau des prix russes était déjà significativement inférieur au prix moyen de l’industrie communautaire en 2000 et que les importations russes représentaient environ un dixième de la part de marché de l’industrie communautaire, ce qui indique que les prix des importations russes ne constituaient pas un élément concurrentiel important pour les prix de l’industrie communautaire.

26      Enfin, elle fait valoir que, en ne présentant pas les faits dans leur intégralité et en ne prenant pas en considération tous les facteurs connus qui portent préjudice à l’industrie communautaire, autres que les importations faisant l’objet du dumping, les institutions communautaires ont violé l’article 3, paragraphes 2, 6 et 7 du règlement de base.

27      S’agissant de l’établissement d’un préjudice important, le Conseil souligne que, s’il est exact que des baisses de prix importantes ont eu lieu entre 1998 et 1999, les prix sont ensuite remontés pour baisser à nouveau considérablement entre 2001 et la fin de la période d’enquête. Cette seconde baisse de prix s’est produite parallèlement à une augmentation des importations russes. Il fait également observer que, entre 2000 et la période d’enquête, les prix, la rentabilité et le flux de liquidités ont connu une évolution négative. En outre, les investissements auraient baissé de 26 %, le rendement de ceux-ci aurait diminué de 26,1 % et l’augmentation des salaires moyens aurait été inférieure au taux d’inflation (moins de 1 % par an). Il en irait de même pour l’ensemble de la période examinée.

28      Quant à l’argument de la requérante selon lequel l’évolution négative du niveau des investissements et le rendement des investissements seraient la conséquence d’importants investissements en capacités de production (point 17 ci-dessus), le Conseil répond qu’il est injustifié et inexact, étant donné que les capacités de production de l’industrie communautaire ont augmenté régulièrement jusqu’en 2001.

29      Le Conseil relève également que, contrairement à ce que la requérante allègue, il n’y a eu aucune augmentation massive du volume des ventes ni aucune augmentation significative de la part de marché entre 2000 et la période d’enquête. Durant cette période, le volume des ventes de l’industrie communautaire a augmenté de 2 % et sa part de marché de 2,4 points de pourcentage. À cet égard, le Conseil a expressément reconnu, lors de l’audience, que le règlement attaqué contenait une erreur au considérant 46, dans lequel il est affirmé que la part de marché détenue par l’industrie communautaire avait fortement baissé, mais a fait valoir que la requérante avait invoqué cette circonstance pour la première fois à l’audience, ce qui rendait l’argument tardif et, dès lors, irrecevable au sens des articles 44 et 46 du règlement de procédure du Tribunal.

30      Le Conseil estime, en général, que les allégations de la requérante quant à la violation du règlement de base sont infondées et qu’il a examiné correctement tous les facteurs pertinents du préjudice aux considérants 33 à 73 du règlement provisoire et aux considérants 37 à 48 du règlement attaqué.

31      En outre, il fait valoir que la requérante ne précise ni les facteurs qu’il aurait omis d’évaluer ni en quoi l’évaluation faite serait insuffisante. Il invoque, à cet égard, l’ordonnance de la Cour du 1er février 1993, Moat/Commission (C‑318/92 P, Rec. p. I‑481), et l’arrêt du Tribunal du 12 janvier 1995, Viho/Commission (T‑102/92, Rec. p. II‑17), selon lesquels les allégations doivent être formulées de manière précise dans la requête.

32      Quant au lien de causalité entre le préjudice et les importations faisant l’objet d’un dumping, le Conseil soutient que les données disponibles contredisent l’allégation selon laquelle l’industrie communautaire avait un rôle prépondérant dans la détermination des prix de ventes aux utilisateurs de l’industrie métallurgique. Il rappelle que, entre 2000 et la période d’enquête, les prix moyens russes sont constamment demeurés inférieurs aux prix moyens de l’industrie communautaire et il en irait de même si seules les ventes à l’industrie métallurgique étaient prises en compte.

33      Ensuite, il conteste l’argument de la requérante selon lequel les prix russes ne peuvent pas avoir provoqué la baisse des prix de l’industrie communautaire, puisque ces derniers auraient accusé une diminution plus importante que celle des prix russes. Il observe, à cet égard, que les prix russes ont diminué de 11 % durant toute la période d’enquête. En outre, il soutient que, aux fins de l’analyse du lien de causalité, l’ampleur de la baisse du prix des importations faisant l’objet d’un dumping et celle des prix pratiqués par l’industrie communautaire sont dénuées de pertinence lorsque le prix des importations est inférieur à celui pratiqué par l’industrie communautaire. Étant donné que le niveau des prix russes était sensiblement inférieur à celui de l’industrie communautaire dès 2000, et qu’il a, ensuite, encore plus diminué, il serait raisonnable de penser que le prix des importations russes est à l’origine de la baisse des prix communautaires.

34      Le Conseil estime que l’argument de la requérante, selon lequel la baisse des prix et de la rentabilité de l’industrie communautaire entre 2000 et la période d’enquête reflète le recul du marché, est infondé. Il relève, à cet égard, que le volume des ventes de l’industrie communautaire a légèrement augmenté entre 2000 et la période d’enquête. Il en déduit que la baisse de la demande n’a pas affecté les ventes de l’industrie communautaire. De plus, la légère augmentation de la part de marché de l’industrie communautaire pendant la période susmentionnée serait une conséquence logique de la stabilité des ventes sur un marché en recul. Il rappelle également que la requérante a aussi gagné des parts de marché pendant cette même période.

35      Le Conseil nie également l’effet de l’augmentation de la part de marché de l’industrie communautaire sur les prix pratiqués par celle-ci. Il soutient que, au considérant 52 du règlement provisoire, la Commission a examiné cette question et a estimé que, en 200l, l’industrie communautaire avait perdu des volumes de vente lorsqu’elle avait essayé de maintenir ses prix et avait regagné, durant la période d’enquête, les volumes perdus en vendant à des prix inférieurs. Partant de cette hypothèse, le Conseil conclut que l’industrie communautaire s’est trouvée en difficulté devant la concurrence russe caractérisée par une sous-cotation notable des prix et une augmentation sensible des volumes de vente aux utilisateurs de l’industrie métallurgique. En résumé, l’augmentation des volumes de vente de l’industrie communautaire et la réduction des prix durant la période d’enquête constitueraient des mesures défensives adoptées en réponse à la baisse des volumes constatée en 2001 et à la nouvelle diminution des prix russes.

36      Le Conseil estime que les données disponibles étayent sa conclusion. Selon lui, la requérante ne conteste pas que les prix russes ont toujours été inférieurs aux prix communautaires, quand bien même seules les ventes de l’industrie communautaire aux utilisateurs de l’industrie métallurgique seraient prises en compte.

37      En ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel les importations russes ne pouvaient pas exercer une véritable pression sur les prix de l’industrie communautaire en raison de leur faible part de marché, le Conseil fait valoir qu’il n’est pas pertinent, car les importations en provenance de Russie ont toujours été supérieures au niveau de minimis entre 2000 et l’ouverture de la période d’enquête.

38      Quant au raisonnement de la requérante concernant l’incidence de la baisse de la demande de silicium-métal destiné à l’industrie chimique, le Conseil soutient qu’il est également incorrect. À cet égard, il relève que, comme il est expliqué au considérant 63 du règlement attaqué, durant la période d’enquête, la baisse des ventes de l’industrie communautaire aux utilisateurs de l’industrie chimique a été de 4 783 tonnes de silicium-métal. Ce volume n’aurait représenté que 1,3 % de la consommation totale dans la Communauté. Toutefois, durant la même période, les importations en provenance de Russie se seraient élevées à quelque 18 000 tonnes, soit 4,8 % de la consommation totale dans la Communauté. Le Conseil affirme que ces ventes et, par conséquent, la baisse de la demande de silicium-métal destiné à l’industrie chimique ne peuvent remettre en cause le lien de causalité entre les importations faisant l’objet du dumping et le préjudice subi par l’industrie communautaire.

39      S’agissant, en général, de la violation du règlement de base, le Conseil allègue que la requérante a fait une lecture erronée de ce document. Selon lui, l’article 3, paragraphe 2, du règlement de base n’impose pas aux institutions de présenter les faits dans leur intégralité. Ces dispositions obligeraient les institutions à examiner les faits de manière objective, ce qu’elles auraient fait, tant dans le règlement attaqué que dans le règlement provisoire. Il estime, également, que la requérante ne précise pas suffisamment quels sont les faits que les institutions auraient omis de présenter.

40      La Commission soutient l’argumentation du Conseil.

 Appréciation du Tribunal

 Sur la première branche du troisième moyen, tirée de la violation du règlement de base en raison d’une appréciation erronée des indicateurs du préjudice par le règlement attaqué

41      L’article 3, paragraphe 2, du règlement de base dispose :

« La détermination de l’existence d’un préjudice se fonde sur des éléments de preuve positifs et comporte un examen objectif : a) du volume des importations faisant l’objet d’un dumping et de l’effet de ces importations sur les prix des produits similaires sur le marché de la Communauté ; et b) de l’incidence de ces importations sur l’industrie communautaire. »

42      Quant à l’examen de l’incidence des importations faisant l’objet d’un dumping sur l’industrie communautaire concernée, l’article 3, paragraphe 5, du règlement de base, dispose :

« [Cet examen] comporte une évaluation de tous les facteurs et indices économiques pertinents qui influent sur la situation de cette industrie, […] l’importance de la marge de dumping effective, la diminution effective et potentielle des ventes, des bénéfices, de la production, de la part de marché, de la productivité, du rendement des investissements ou de l’utilisation des capacités ; les facteurs qui influent sur les prix dans la Communauté, les effets négatifs, effectifs et potentiels, sur les flux de liquidités, les stocks, l’emploi, les salaires, la croissance, l’aptitude à mobiliser les capitaux ou l’investissement. Cette liste n’est pas exhaustive et un seul ou plusieurs de ces facteurs ne constituent pas nécessairement une base de jugement déterminante. »

43      Selon une jurisprudence bien établie, la détermination du préjudice suppose l’appréciation de questions économiques complexes. Dans cet exercice, les institutions communautaires disposent d’une large marge d’appréciation (arrêt de la Cour du 7 mai 1991, Nakajima/Conseil, C‑69/89, Rec. p. I‑2069, point 86, et arrêt du Tribunal du 28 septembre 1995, Ferchimex/Conseil, T‑164/94, Rec. p. II‑2681, point 131). Le juge communautaire doit donc limiter son contrôle à vérifier le respect des règles de procédure, l’exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation de ces faits et l’absence de détournement de pouvoir (arrêts du Tribunal Ferchimex/Conseil, précité, point 67, et du 28 octobre 1999, EFMA/Conseil, T‑210/95, Rec. p. II‑3291, point 57).

44      En l’espèce, il convient donc d’examiner si le Conseil a outrepassé, dans le cadre du règlement attaqué, son large pouvoir d’appréciation lors de la constatation d’un préjudice important de l’industrie communautaire.

45      Le considérant 44 du règlement attaqué, qui reprend le considérant 71 du règlement provisoire, dispose :

« En ce qui concerne les indicateurs de préjudice, […] l’évolution favorable pour l’industrie communautaire s’était essentiellement produite entre 1998 et 2000. Entre 2000 et la période d’enquête, en revanche, la plupart des indicateurs, soit se sont légèrement améliorés, soit sont restés stables, soit ont baissé. C’est au cours de cette période que le préjudice important subi par l’industrie communautaire est le plus évident. »

46      Le considérant 45 du règlement attaqué dispose :

« [L]es résultats plutôt satisfaisants enregistrés par l’industrie communautaire jusqu’en 2000 sont directement imputables aux décisions prises par l’industrie communautaire d’investir dans de nouveaux équipements de production dans la Communauté. C’est pourquoi l’industrie communautaire a vu sa production, ses capacités de production, son volume de ventes, sa part de marché, ses effectifs et sa productivité s’accroître au cours de cette période. »

47      Pour la période qui suit, c’est-à-dire pour la période comprise entre 2000 et la période d’enquête, le Conseil, au considérant 46 du règlement attaqué, précise :

« [C]ompte tenu du nombre grandissant d’importations à bas prix faisant l’objet d’un dumping en provenance de Russie, la situation de l’industrie communautaire s’est détériorée. La part de marché, le flux des liquidités, les investissements et le rendement des investissements ont fortement baissé. »

48      En outre, au considérant 47 du règlement attaqué, le Conseil relève que, « [q]ui plus est, la tendance observée pour d’autres facteurs de préjudice, en particulier la diminution de la rentabilité et des prix de vente de l’industrie communautaire au cours de la période considérée, a permis de conclure que l’industrie communautaire avait subi un préjudice important. »

49      Il en conclut, au considérant 48 du règlement attaqué, que « l’industrie communautaire a subi un préjudice important au cours de la période d’enquête, notamment au niveau des prix et de la rentabilité » et que « [l]es conclusions énoncées aux considérants 71 à 73 du règlement provisoire sont confirmées ».

50      La requérante reproche au Conseil, d’abord, de ne pas avoir fait état de ce que la baisse des prix pratiqués par l’industrie communautaire ne s’est pas produite uniquement entre 2000 et la période d’enquête, mais aussi entre 1998 et 1999.

51      À cet égard, il y a lieu de relever que, selon les données communiquées par le règlement provisoire, le prix pratiqué par l’industrie communautaire a d’abord connu une forte baisse de 16 % en 1999, puis est monté de 4 % en 2000 et de 3 % en 2001, puis a baissé de 7 % pendant la période d’enquête. Ainsi, pendant la période d’enquête, le prix de vente n’a fait que retomber au niveau de 1999 (voir le tableau n° 9 au point 5 ci-dessus).

52      Il ressort de ces chiffres que la principale baisse des prix pratiqués par l’industrie communautaire est intervenue en 1999, et non entre 2000 et la période d’enquête. Or, le Conseil a estimé, au considérant 44 du règlement attaqué, que l’évolution favorable pour l’industrie communautaire s’était essentiellement produite entre 1998 et 2000. Cette constatation illustre le fait que le prix pratiqué par l’industrie communautaire est un facteur parmi d’autres à prendre en considération dans le cadre de l’appréciation du préjudice et qu’il n’est pas, à lui seul, déterminant à cet égard, d’autres facteurs étant susceptibles non seulement de compenser cette détérioration, mais également de permettre au Conseil de conclure que la situation de l’industrie communautaire s’était améliorée. Il ne saurait, ainsi, être déduit de l’absence d’indication, dans le règlement attaqué, de ce que la principale baisse du prix pratiqué par l’industrie communautaire s’est produite en 1999 que ledit règlement est entaché d’une illégalité, compte tenu aussi du fait qu’il ressort du règlement provisoire que, entre 2000 et la période d’enquête, ledit prix a également baissé.

53      Toutefois, le Conseil ayant conclu que l’industrie communautaire avait subi un préjudice important au cours de la période d’enquête, notamment au niveau des prix et de la rentabilité, il a ainsi nécessairement considéré que, contrairement à la période allant de 1998 à 2000, les autres facteurs de préjudice n’étaient pas susceptibles de compenser la baisse des prix et de la rentabilité constatée au cours de la période d’enquête. Il appartient donc au Tribunal de vérifier si, ainsi que le prétend la requérante, le Conseil n’a pas, de la sorte, commis une erreur manifeste d’appréciation.

54      À cet égard, en ce qui concerne la période comprise entre 2000 et la période d’enquête, qui correspond à la seconde moitié de la période considérée, le Conseil relève que « la plupart des indicateurs soit se sont légèrement améliorés, soit sont restés stables, soit ont baissé » et que « [c]’est au cours de cette période que le préjudice important subi par l’industrie communautaire est le plus évident ». Force est constater que, par cette affirmation, le Conseil ne procède à aucune mise en balance des différents facteurs de préjudice, dont il admet pourtant que certains ont été favorables, de sorte que ladite affirmation ne saurait nullement démontrer l’existence d’un préjudice important subi par l’industrie communautaire entre 2000 et la période d’enquête.

55      Il est vrai, par ailleurs, que le Conseil a estimé, au considérant 46 du règlement attaqué, que, entre 2000 et la période d’enquête, la situation de l’industrie communautaire s’était détériorée en relevant que « la part de marché, le flux des liquidités, les investissements et le rendement des investissements [avaient] fortement baissé ». Le Conseil, soulignant également, au considérant 47, la tendance observée pour d’autres facteurs de préjudice, en particulier la diminution de la rentabilité et des prix de vente de l’industrie communautaire au cours de la période considérée, a conclu que l’industrie communautaire avait subi un préjudice important.

56      Toutefois, ainsi que le relève la requérante, force est de constater, d’une part, que, en raisonnant de la sorte, le Conseil a totalement omis de faire référence au fait que, sur l’ensemble de la période considérée, de nombreux progrès, parfois substantiels, ont été enregistrés en ce qui concerne les volumes de production (+ 34 %), les capacités (+ 30 %), l’utilisation des capacités (+ 3 points de pourcentage), le volume des ventes communautaires (+ 57 %), la part de marché (+ 23 %, ou + 6,9 points de pourcentage), les stocks (‑ 29 %), l’emploi (+ 16 %) et la productivité (+ 15 %) et, d’autre part, que, même en ce qui concerne la seule période allant de 2000 à la période d’enquête, le Conseil n’a pas fait état de ce que certains facteurs non négligeables ont montré une évolution favorable. Ainsi, outre la légère amélioration de la situation en ce qui concerne l’emploi et les salaires, il convient de souligner, en particulier, que le volume des ventes de l’industrie communautaire a augmenté de 2 % pour atteindre un niveau record de 136 421 tonnes durant la période d’enquête, les capacités de production ayant, quant à elles, affiché une croissance de 2,5 %.

57      Il y a lieu de rappeler, ensuite, que le Conseil affirme, au considérant 46 du règlement attaqué, que, entre 2000 et la période d’enquête, « [l]a part de marché, le flux des liquidités, les investissements et le rendement des investissements ont fortement baissé ».

58      À cet égard, la requérante a toutefois relevé, à l’audience, que le règlement attaqué a, de façon erronée, constaté, au considérant 46, que la part de marché de l’industrie communautaire avait fortement baissé.

59      Le Conseil a reconnu qu’il s’agissait d’une erreur mais considère que cet argument a été invoqué tardivement et qu’il ne peut donc être pris en considération par le Tribunal.

60      Il convient de rappeler qu’il ressort des dispositions combinées de l’article 44, paragraphe 1, sous c), et de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure que la requête introductive d’instance doit contenir l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens invoqués et que la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite, à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Cependant, un moyen, ou bien un argument, qui constitue l’ampliation d’un moyen énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête introductive d’instance et qui présente un lien étroit avec celui-ci doit être déclaré recevable (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 30 septembre 1982, Amylum/Conseil, 108/81, Rec. p. 3107, point 25 ; voir arrêts du Tribunal du 20 septembre 1990, Hanning/Parlement, T‑37/89, Rec. p. II‑463, point 38, et du 17 juillet 1998, Thai Bicycle/Conseil, T‑118/96, Rec. p. II‑2991, point 142, et la jurisprudence citée).

61      En l’espèce, il convient de relever que la requérante a invoqué, déjà dans sa requête, le fait que le règlement attaqué violait le règlement de base, notamment en raison de l’appréciation incorrecte des indicateurs économiques dans le cadre de la détermination du préjudice (première branche du troisième moyen). Plus particulièrement, la requérante a fait valoir, dans sa requête, que « le règlement attaqué pass[ait] sous silence le fait que les baisses de prix […] coïncid[ai]ent avec […] d’importantes augmentations des parts de marché des entreprises communautaires ». En conséquence, l’observation en cause présentée par la requérante se rattache au troisième moyen, invoqué par celle-ci dès la requête introductive d’instance, et constitue donc une précision liée étroitement à l’argumentation qu’elle utilise dans le cadre de ce moyen.

62      Par conséquent, cet argument est recevable.

63      Or, ainsi que le Conseil en convient, l’affirmation du règlement attaqué, selon laquelle « la part de marché [de l’industrie communautaire] a fortement baissé », est manifestement erronée et contraire aux données reprises dans le règlement provisoire, dont l’exactitude est constante entre les parties. En effet, il ressort du règlement provisoire que la part de marché n’a pas diminué, et encore moins fortement, mais a, au contraire, augmenté de manière significative en passant de 34,3 à 36,7 %, soit de 2,4 points de pourcentage, entre 2000 et la période d’enquête (voir tableau n° 10 au point 5 ci-dessus).

64      Il convient, dès lors, de déterminer si cette erreur est susceptible de conduire à l’annulation du règlement attaqué.

65      À cet égard, il ne saurait être contesté que l’évolution de la part de marché de l’industrie communautaire constitue un facteur d’une importance significative en vue d’apprécier l’existence d’un préjudice important au détriment de ladite industrie. En outre, force est de constater que le Conseil, en décrivant ce facteur comme ayant « fortement baissé », a non seulement donné une image de l’évolution de ce facteur contraire à la réalité, mais a nécessairement accordé une importance non négligeable à cet élément dans sa conclusion relative à l’existence d’un préjudice important subi par l’industrie communautaire.

66      Dans ces conditions, sans même qu’il soit nécessaire de déterminer si les circonstances décrites aux points 54 à 56 ci-dessus suffisent, à elles seules, à permettre de conclure que le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation dans l’établissement de l’existence dudit préjudice important, le Tribunal constate que, en commettant une erreur de fait relative à l’évolution de la part de marché de l’industrie communautaire durant la période allant de 2000 à la période d’enquête, qu’il considère comme celle durant laquelle le préjudice subi était le plus évident, le Conseil s’est fondé sur une prémisse manifestement erronée pour constater l’existence dudit préjudice, laquelle devrait résulter de la mise en balance de l’évolution, aussi bien positive que négative, des facteurs considérés par lui comme pertinents. Or, compte tenu de ce que, d’une part, il n’appartient pas au Tribunal de substituer son appréciation en la matière à celle du Conseil et de ce que, d’autre part, il ne saurait être exclu que, en l’absence de cette erreur, le Conseil n’aurait pas conclu à l’existence d’un préjudice important, il y a lieu d’annuler le règlement attaqué pour ce seul motif (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 2 mai 1995, NTN Corporation et Koyo Seiko/Conseil, T‑163/94 et T‑165/94, Rec. p. II‑1381, point 115).

67      Le Tribunal considère toutefois qu’il convient d’examiner également la première branche du quatrième moyen, relative au lien de causalité entre la baisse du prix de vente de l’industrie communautaire et les importations russes.

 Sur la première branche du quatrième moyen, tirée de la violation du règlement de base en raison de l’établissement erroné d’un lien de causalité entre le préjudice important prétendument subi par l’industrie communautaire et les importations faisant l’objet d’un dumping

68      Selon l’article 3, paragraphe 3, du règlement de base, « [e]n ce qui concerne l’effet des importations faisant l’objet d’un dumping sur les prix, on examinera s’il y a eu, pour les importations faisant l’objet d’un dumping, sous-cotation notable du prix par rapport au prix d’un produit similaire de l’industrie communautaire ou si ces importations ont, d’une autre manière, pour effet de déprimer sensiblement les prix ou d’empêcher, dans une mesure notable, des hausses de prix qui, sans cela, se seraient produites ».

69      L’article 3, paragraphe 6, dispose :

« Il doit être démontré, à l’aide de tous les éléments de preuve pertinents présentés en relation avec le paragraphe 2, que les importations faisant l’objet d’un dumping causent un préjudice au sens du présent règlement. En l’occurrence, cela implique la démonstration que le volume et/ou les niveaux des prix visés au paragraphe 3 ont un impact sur l’industrie communautaire au sens du paragraphe 5 et que cet impact est tel qu’on puisse le considérer comme important. »

70      Enfin, l’article 3, paragraphe 7, prévoit ce qui suit :

« Les facteurs connus, autres que les importations faisant l’objet d’un dumping, qui, au même moment, causent un préjudice à l’industrie communautaire sont aussi examinés de manière à ce que le préjudice causé par ces autres facteurs ne soit pas attribué aux importations faisant l’objet d’un dumping au sens du paragraphe 6. Les facteurs qui peuvent être considérés comme pertinents à cet égard comprennent […] la contraction de la demande ou les modifications de la configuration de la consommation […] »

71      Il ressort de la jurisprudence citée au point 43 ci-dessus que l’établissement d’un lien de causalité entre le préjudice important subi par l’industrie communautaire et les importations faisant l’objet d’un dumping suppose l’appréciation de questions économiques complexes. Dans cet exercice, les institutions communautaires disposent d’une large marge d’appréciation et le juge communautaire doit donc limiter son contrôle à vérifier le respect des règles de procédure, l’exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation de ces faits et l’absence de détournement de pouvoir.

72      Il n’en reste pas moins que, lors de la détermination du préjudice, le Conseil et la Commission ont l’obligation d’examiner si le préjudice qu’ils entendent retenir découle effectivement des importations qui ont fait l’objet d’un dumping et d’écarter tout préjudice découlant d’autres facteurs, et, notamment, celui qui aurait sa cause dans le comportement propre des producteurs communautaires (arrêt de la Cour du 11 juin 1992, Extramet Industrie/Conseil, C‑358/89, Rec. p. I‑3813, point 16).

73      Quant au cas d’espèce, au considérant 46 du règlement attaqué, le Conseil précise, pour ce qui est de la période entre 2000 et la période d’enquête, ce qui suit :

« [C]ompte tenu du nombre grandissant d’importations à bas prix faisant l’objet d’un dumping en provenance de Russie, la situation de l’industrie communautaire s’est détériorée. La part de marché, le flux de liquidités, les investissements et le rendement des investissements ont fortement baissé. »

74      Ensuite, au considérant 66 du règlement attaqué, le Conseil affirme ce qui suit :

« [L]a différence de prix entre le silicium-métal produit dans la Communauté et celui importé de Russie [s’est élevée] à 11 % en moyenne [pendant la période d’enquête] en dépit d’un recul de 7 % du prix de l’industrie communautaire entre 2001 et la période d’enquête. Cet écart est jugé révélateur de l’effet des prix russes sur ceux de l’industrie communautaire. »

75      À cet égard, il y a lieu d’observer que, selon les données communiquées dans le règlement provisoire (voir tableaux nos 4 et 9 au point 5 ci-dessus), l’écart entre les prix russes et ceux pratiqués par l’industrie communautaire entre 1998 et 2000 et l’écart existant entre 2000 et la période d’enquête étaient d’une ampleur similaire.

76      Cependant, ni dans le règlement attaqué ni dans les pièces de procédure, le Conseil et la Commission ne prétendent explicitement que la baisse du prix de l’industrie communautaire en 1999 (la seule baisse durant la période comprise entre 1998 et 2000) a été la conséquence de la sous-cotation des prix russes. Le Conseil décrit même, dans le règlement attaqué, la période entre 1998 et 2000 comme une période pendant laquelle les résultats de l’industrie communautaire ont été plutôt satisfaisants. Il y a également lieu de relever que la croissance importante de l’écart entre le prix moyen des importations russes et celui pratiqué par l’industrie communautaire entre 2000 et 2001 n’a pas empêché l’industrie communautaire d’augmenter son prix moyen entre 2000 et 2001 (voir tableaux nos 4 et 9 au point 5 ci-dessus).

77      Ainsi, le raisonnement tenu dans le règlement attaqué et les données reproduites dans le règlement provisoire démontrent que l’écart de prix n’est qu’un facteur parmi d’autres à prendre en considération lors de l’examen du lien de causalité entre les importations russes et le prétendu préjudice, et sa présence, en soi, ne saurait nullement permettre de conclure que la baisse de prix de l’industrie communautaire durant la période d’enquête a été uniquement ou majoritairement imputable aux importations russes.

78      Le Conseil et la Commission soutiennent que le préjudice découle des importations faisant l’objet du dumping de la façon suivante : en 2001, l’industrie communautaire aurait perdu des volumes de vente lorsqu’elle aurait essayé de maintenir ses prix face aux prix décroissants du silicium-métal originaire de Russie. Pendant la période d’enquête, elle aurait été finalement contrainte de réagir aux pressions sur les prix pour maintenir ses volumes de vente, et aurait donc fortement réduit ses prix, ce qui aurait entraîné une perte de rentabilité (considérant 52 du règlement provisoire).

79      La requérante estime que les institutions communautaires ont erronément imputé la perte des volumes de vente de l’industrie communautaire en 2001 et la baisse de ses prix pendant la période d’enquête aux importations russes. Elles auraient ignoré les effets, premièrement, de la contraction de la demande sur le marché du silicium-métal, deuxièmement, de l’augmentation de la part de marché de l’industrie communautaire et, troisièmement, de la circonstance qu’une grande partie du volume vendu par l’industrie communautaire aux utilisateurs chimiques aurait migré vers les utilisateurs métallurgiques pendant la période d’enquête.

80      Il convient donc d’examiner le bien-fondé des allégations de la requérante et la question de savoir si elles sont de nature à démontrer que le Conseil a outrepassé la large marge d’appréciation dont il dispose selon la jurisprudence citée au point 43 ci-dessus.

–       Sur la contraction de la demande de l’ensemble des utilisateurs

81      Lors de l’audience, le Conseil a fait valoir que, dans ses écrits, la requérante n’a pas exposé d’arguments sur la contraction de la demande en général, mais uniquement sur la contraction de la demande des utilisateurs chimiques. Dès lors, l’invocation de cette circonstance par la requérante serait tardive et, par conséquent, irrecevable.

82      Force est de constater que la requérante, au point 44 de sa requête, a relevé que « la chute des prix (et de la rentabilité) de l’industrie communautaire entre 2000 et la période d’enquête reflète principalement la contraction de la demande de silicium-métal ».

83      Il s’ensuit que l’observation du Conseil concernant la recevabilité des arguments tirés de la contraction de la demande est dénuée de tout fondement.

84      Quant au fond, il y a lieu de rappeler que le règlement attaqué ne contient aucune analyse de l’évolution de la demande, le Conseil se bornant à confirmer, au considérant 48 dudit règlement, les conclusions du règlement provisoire concernant le préjudice.

85      Il ressort du règlement provisoire (voir tableau n° 1 au point 5 ci-dessus) que la consommation de silicium-métal dans l’Union européenne a décru de 4 % en 2001 puis de 1 % pendant la période d’enquête.

86      Il convient de relever, de nouveau, que le point de départ de la thèse du Conseil déduisant le préjudice des importations russes, pour la période comprise entre 2000 et la période d’enquête, est que, en 2001, l’industrie communautaire a perdu des volumes de vente lorsqu’elle a essayé de maintenir ses prix face aux prix décroissants des producteurs-exportateurs russes, ce qui aurait forcé l’industrie communautaire à baisser ses prix, afin de maintenir ou de récupérer ses volumes de vente, ultérieurement, pendant la période d’enquête. Il convient, dès lors, d’examiner si la baisse des volumes de vente de l’industrie communautaire en 2001 pouvait être imputée par le Conseil, sans commettre une erreur manifeste d’appréciation, uniquement aux importations russes, malgré le fait que la consommation communautaire était en phase de contraction en 2001.

87      À cet égard, il y a lieu de relever d’emblée que le tableau n° 8 du règlement provisoire (voir point 5 ci-dessus) contient une erreur de calcul, admise par le Conseil en réponse à la question écrite du Tribunal, et qu’il ressort de ce tableau après correction que, en 2001, le volume des ventes de l’industrie communautaire n’a baissé que de 4 %, et non de 7 % comme cela était indiqué à l’origine dans le tableau.

88      Cette correction indique que la mesure de la baisse du volume des ventes de l’industrie communautaire en 2001 ( ‑ 4 %) reflète exactement celle de la contraction de la demande ( ‑ 4 %), et, dès lors, il apparaît que le niveau des ventes de l’industrie communautaire n’a fait que suivre rigoureusement l’évolution générale de la consommation communautaire. Cette circonstance conduit à mettre en doute l’affirmation du Conseil selon laquelle la baisse des volumes de vente de l’industrie communautaire en 2001 est due à la sous-cotation des prix pratiqués par les producteurs-exportateurs russes, cette baisse pouvant trouver une explication raisonnable dans la contraction de la demande communautaire. Or, force est de constater que cet élément décisif n’a pas été pris en considération par le Conseil.

89      De plus, il convient de souligner que, en 2001, l’industrie communautaire a préservé sa part de marché malgré l’augmentation de ses prix de 3 %, alors que le prix moyen des importations russes avait baissé de 12 %, ce qui tend à mettre en évidence l’absence de toute incidence majeure du niveau des prix des importations russes sur la situation de l’industrie communautaire.

90      Il s’ensuit que l’évolution des indicateurs en cause n’accrédite pas la thèse du Conseil selon laquelle la baisse du volume vendu par l’industrie communautaire en 2001 était uniquement la conséquence des importations russes, mais vient au soutien de l’affirmation de la requérante selon laquelle ladite baisse du volume de vente était, principalement, la conséquence de la contraction de la demande en 2001.

91      Quant à la période d’enquête, il convient de rappeler que la demande de silicium-métal a encore décru de 1 %. Le volume des ventes et la part de marché de l’industrie communautaire ont néanmoins augmenté, respectivement, de 6 % et de 2,4 points de pourcentage et ont atteint un niveau record.

92      Le Conseil considère néanmoins que la baisse de la demande n’aurait pas affecté les ventes de l’industrie communautaire, compte tenu du fait qu’elles ont augmenté, et que l’augmentation de la part de marché de l’industrie communautaire entre 2000 et la période d’enquête serait une conséquence logique de la stabilité des ventes sur un marché en recul.

93      Cette thèse du Conseil ne saurait prospérer. Sur un marché transparent et concurrentiel, tel celui du silicium-métal selon le règlement attaqué, la baisse de la demande exerce une pression sur les prix. L’opérateur économique confronté à une baisse de la demande a le choix entre une diminution de son volume de ventes et la réduction de ses prix.

94      Force est de constater, en outre, que le Conseil n’a avancé aucun argument relatif aux circonstances spécifiques qui auraient permis à l’industrie communautaire de maintenir, voire d’augmenter, son volume de ventes tout en préservant le niveau de ses prix face à la baisse de la demande intervenue pendant la période d’enquête.

95      Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que le règlement attaqué est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation dans la mesure où le Conseil a ignoré l’effet de la contraction de la demande sur la situation de l’industrie communautaire.

–       Sur l’expansion de la part de marché et du volume des ventes de l’industrie communautaire

96      La requérante estime que les institutions ont également commis une erreur d’appréciation lorsqu’elles ont ignoré la relation logique qui existait entre la baisse des prix de l’industrie communautaire pendant la période d’enquête et l’augmentation de ses ventes et de sa part de marché.

97      À cet égard, il y a lieu de rappeler que la part de marché détenue par l’industrie communautaire a augmenté, passant de 29,8 à 36,7 % pendant la période considérée, soit de 6,9 points de pourcentage. C’est entre 2000 et la période d’enquête, quand le préjudice était, selon le Conseil, le plus manifeste, que l’industrie communautaire a augmenté le volume de ses ventes de 2 % et sa part de marché de 2,4 points de pourcentage, sur un marché en recul (voir tableau n° 10 au point 5 ci-dessus).

98      Selon le Conseil, l’amélioration du volume des ventes pendant la période d’enquête a été légère, et a constitué une mesure défensive, par laquelle l’industrie communautaire a regagné les volumes qu’elle avait perdus en 2001 en essayant de maintenir ses prix face aux importations russes (‑ 4 %). L’augmentation des volumes de vente et de la part de marché pendant la période d’enquête n’aurait nécessité aucune baisse de prix, cette dernière étant uniquement le résultat de la sous-cotation des prix russes.

99      Tout d’abord, il ressort des données corrigées du tableau n° 8 du règlement provisoire (voir point 87 ci-dessus) que, pendant la période d’enquête, l’industrie communautaire non seulement a regagné le volume des ventes perdu en 2001 (‑ 4 %), mais, en affichant un gain de 6 % en volume, a atteint un niveau record pendant toute la période considérée.

100    De même, en ce qui concerne la part de marché de l’industrie communautaire, qui est restée stable en 2001, elle a enregistré une amélioration de 2,4 points de pourcentage (de 34,3 à 36,7 %) pendant la période d’enquête et a également atteint un niveau record.

101    En l’espèce, l’industrie communautaire a donc augmenté ses ventes sur un marché en recul et a affiché une extension de part de marché entre 2000 et la période d’enquête qui équivaut à la moitié de la part de marché totale des producteurs-exportateurs russes.

102    Le Conseil nie que la baisse de prix de l’industrie communautaire ait constitué un avantage concurrentiel qui lui a permis d’atteindre ce résultat. La baisse du prix, selon le Conseil, était uniquement une mesure défensive contre la sous-cotation des prix russes, afin d’éviter des pertes de volume de vente. Cependant, aucun argument n’a été avancé par le Conseil ou par la Commission pour expliquer comment il aurait été possible pour l’industrie communautaire, entre 2000 et la période d’enquête, d’accroître sa part de marché de 2,4 points de pourcentage, sur un marché en recul, sans réduire les prix.

103    Il y a lieu de rappeler que le Conseil fonde son argumentation sur la thèse selon laquelle, premièrement, en 2001, l’industrie communautaire a perdu des volumes de vente à cause de la sous-cotation des prix russes et, deuxièmement, pendant la période d’enquête, elle a alors été forcée de réduire drastiquement ses prix afin d’éviter de perdre davantage de volume de vente, ou bien de regagner les volumes de vente perdus en 2001.

104    Ainsi qu’il a été démontré aux points 88 et suivants, le point de départ de cette thèse est erroné, étant donné que le Conseil n’a pas pris en compte l’explication plausible selon laquelle la perte des volumes en 2001 (‑ 4 %) était uniquement ou majoritairement imputable à la contraction de la demande (‑ 4 %), et qu’il n’a pas non plus avancé d’arguments valables pour réfuter cette explication.

105    De surcroît, étant donné que le raisonnement du Conseil repose sur l’hypothèse selon laquelle l’industrie communautaire a pris une attitude défensive en vue de maintenir le volume de ses ventes, il est inopérant au vu de l’augmentation de 6 % pendant la période d’enquête, qui ne saurait être qualifiée de simple maintien du volume. Cette augmentation a surcompensé la perte de 4 % en 2001, de sorte que, entre 2000 et la période d’enquête, l’industrie communautaire a affiché un gain de volume de vente de plus de 2 %.

106    Dès lors, il y a lieu d’établir que le Conseil et la Commission n’avancent aucun argument valable tendant à démontrer que l’augmentation significative de la part de marché de l’industrie communautaire sur un marché en recul, pendant la période d’enquête, aurait été possible sans l’avantage concurrentiel conféré par la réduction de son prix.

107    Quant à l’analyse de l’impact de l’augmentation du volume des ventes et de la part de marché entre 2000 et la période d’enquête sur la situation de l’industrie communautaire, le Conseil se borne à affirmer, au considérant 46 du règlement attaqué, ce qui suit :

« [C]ompte tenu du nombre grandissant d’importations à bas prix faisant l’objet d’un dumping en provenance de Russie […], la situation de l’industrie communautaire s’est détériorée. [S]a part de marché [a] fortement baissé. »

108    Au vu du fait que, entre 2000 et la période d’enquête, la part de marché de l’industrie communautaire a significativement augmenté et non pas « fortement baissé », force est de constater que, dans le règlement attaqué, le Conseil non seulement a omis de traiter la question de savoir si la baisse de prix était une condition nécessaire pour l’augmentation du volume des ventes et de la part de marché, et donc, quant à la baisse de prix, s’il s’agissait d’un préjudice résultant du comportement propre de l’industrie communautaire au sens de l’arrêt Extramet Industrie/Conseil, point 72 supra, mais impute, dans ce contexte, un facteur de préjudice inexistant aux importations russes.

109    Dès lors, il convient de conclure que le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation, dans le cadre du règlement attaqué, lors de l’examen du lien existant entre l’augmentation de la part de marché et du volume de vente de l’industrie communautaire et la baisse des prix pratiqués par elle.

–       Sur la migration des ventes de l’industrie communautaire des utilisateurs chimiques aux utilisateurs métallurgiques

110    La requérante fait valoir que le Conseil a erronément considéré, dans le règlement attaqué, que la baisse des achats de silicium-métal effectués par l’industrie chimique n’avait pas contribué au préjudice subi par l’industrie communautaire, et que ledit règlement avait donc indûment attribué les effets de cette baisse aux importations en provenance de Russie.

111    À titre liminaire, il convient de rappeler que les considérants 63 et 64 du règlement attaqué disposent :

« Entre 2000 et la période d’enquête, lorsque l’évolution du préjudice s’est caractérisée par une baisse particulièrement marquée des prix et de la rentabilité, les ventes aux utilisateurs de l’industrie chimique ont chuté de près de 5 000 tonnes (‑ 7,0 %), tandis que les prix moyens ont augmenté de 14 euros par tonne (+ 1,1 %). Si l’on examine l’ensemble des ventes, les chiffres équivalents montrent une augmentation du volume d’environ 3 000 tonnes (2,1 %) et une baisse des prix moyens de 46 euros [par] tonne (‑ 3,7 %).

En conséquence, rien ne permet de penser que le préjudice subi par l’industrie communautaire résulte d’une baisse des ventes à l’industrie chimique. En fait, compte tenu de la nature de ce préjudice, ce serait plutôt le contraire. »

112    Il ressort des données communiquées au considérant 61 du règlement attaqué et dans le tableau n° 8 du règlement provisoire (voir point 5 ci-dessus) que les ventes de l’industrie communautaire aux utilisateurs chimiques, qui utilisent pour la plupart le silicium-métal de haute qualité, ont légèrement diminué en 2001 (‑ 0,6 %, soit ‑ 445 tonnes) et ont connu une baisse significative pendant la période d’enquête (‑ 6,4 %, soit ‑ 4 783 tonnes). En revanche, les ventes aux utilisateurs métallurgiques, qui consomment, pour la plupart, du silicium-métal de qualité standard ou basse, ont tout d’abord décru en 2001 (‑ 8,4 %, soit ‑ 4 904 tonnes), puis ont montré, pendant la période d’enquête, une très forte augmentation (+ 24,1 %, soit + 12 985 tonnes). Par conséquent, la proportion du volume des ventes de l’industrie communautaire aux utilisateurs chimiques au regard du volume total de ses ventes communautaires de silicium-métal est passée de 58 % en 2001 à 51 % lors de la période d’enquête, cette proportion étant passée, s’agissant de ses ventes aux utilisateurs de l’industrie métallurgique, de 42 à 49 %.

113    Or, il est constant que le prix moyen du silicium-métal vendu par l’industrie communautaire à ces deux types d’utilisateurs est différent et s’est élevé, pendant la période d’enquête, à 1 301 euros par tonne pour le silicium-métal vendu aux utilisateurs chimiques, et à 1 063 euros par tonne pour le silicium-métal vendu aux utilisateurs métallurgiques, ainsi qu’il ressort des sources mentionnées au point 112 ci-dessus. Il s’ensuit que l’évolution substantielle, décrite audit point, de la proportion des ventes de l’industrie communautaire de silicium-métal destiné aux utilisateurs chimiques, d’une part, et aux utilisateurs métallurgiques, d’autre part, par rapport aux ventes totales de silicium-métal, a nécessairement eu une incidence, à la baisse, sur le calcul du prix moyen, durant la période d’enquête, de l’ensemble du silicium-métal vendu par elle.

114    Selon les affirmations de la requérante, avancées durant la procédure administrative, que le Conseil n’a pas contestées, cette migration des ventes était entièrement indépendante des importations en provenance de Russie. En outre, la procédure devant le Tribunal a révélé que le seul exemple de ventes russes aux utilisateurs chimiques, porté à la connaissance des institutions, était un échantillon de 200 tonnes, quantité négligeable comparée aux volumes de vente de l’industrie communautaire à ce groupe d’utilisateurs (69 652 tonnes pendant la période d’enquête). D’ailleurs, il n’est pas contesté par le Conseil que la raison de la perte des volumes vendus aux utilisateurs chimiques était la contraction de leur demande.

115    Il s’ensuit que le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation dans le règlement attaqué lors de l’analyse de l’impact, sur le prix moyen pratiqué par l’industrie communautaire, de la contraction de la demande des utilisateurs chimiques, de la baisse corollaire des ventes à ce groupe d’utilisateurs et de l’augmentation simultanée des ventes aux utilisateurs métallurgiques.

116    Il résulte de tout ce qui précède que, à l’occasion de son analyse ayant abouti à la constatation de l’existence d’un lien de causalité entre les importations russes et le préjudice prétendument subi par l’industrie communautaire, le Conseil a commis des erreurs manifestes d’appréciation en ayant omis de prendre en considération l’incidence nécessaire, premièrement, de la contraction de la demande sur le volume des ventes de l’industrie communautaire entre 2000 et la période d’enquête, deuxièmement, de l’augmentation de sa part de marché et son volume des ventes entre 2001 et la période d’enquête sur le niveau des prix pratiqués par elle et, troisièmement, de la modification de la structure de ses ventes entre 2001 et la période d’enquête sur l’ampleur de la baisse du prix moyen de ses ventes. Ce faisant, il a alors nécessairement imputé aux importations russes des effets défavorables pour l’industrie communautaire dont l’origine était indépendante desdites importations.

117    De plus, il convient de constater, d’une part, que les erreurs susmentionnées infirment la thèse principale des institutions sur laquelle l’établissement du lien de causalité se fonde et, d’autre part, que le règlement de base mentionne expressément la contraction de la demande et les modifications de la configuration de la consommation comme des facteurs dont l’effet sur le préjudice est à examiner afin de ne pas les attribuer aux importations faisant l’objet d’un dumping.

118    Au vu de ce qui précède, à supposer même que l’industrie communautaire ait subi le préjudice important invoqué par le Conseil, il y a lieu de considérer que les erreurs manifestes d’appréciation que le Conseil a commises dans le règlement attaqué lors de l’analyse du lien de causalité constituent une violation du règlement de base.

119    Il ressort de l’ensemble des considérations qui précèdent que les troisième et quatrième moyens doivent être accueillis. Dès lors, il convient d’annuler le règlement attaqué en ce qu’il concerne la requérante, sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres moyens et arguments de cette dernière.

 Sur les dépens

120    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, les institutions qui sont intervenues dans le litige supportent leurs propres dépens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter ses dépens ainsi que ceux de la requérante. La Commission supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      L’article 1er du règlement (CE) n° 2229/2003 du Conseil, du 22 décembre 2003, instituant un droit antidumping définitif et portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations de silicium-métal originaire de Russie, est annulé dans la mesure où il impose un droit antidumping à la requérante.

2)      Le Conseil supportera ses propres dépens et les dépens exposés par la requérante.

3)      La Commission supportera ses propres dépens.

Jaeger

Tiili

Czúcz

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 mars 2007.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’anglais.