Language of document : ECLI:EU:C:2011:605

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

22 septembre 2011 (*)

«Marques – Directive 89/104/CEE – Article 9, paragraphe 1 – Notion de ‘tolérance’ – Forclusion par tolérance – Point de départ du délai de forclusion – Conditions nécessaires pour faire courir le délai de forclusion – Article 4, paragraphe 1, sous a) – Enregistrement de deux marques identiques désignant des produits identiques – Fonctions de la marque – Usage simultané honnête»

Dans l’affaire C‑482/09,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) (Royaume-Uni), par décision du 12 novembre 2009, parvenue à la Cour le 30 novembre 2009, dans la procédure

Budějovický Budvar, národní podnik,

contre

Anheuser-Busch Inc.,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. M. Ilešič, E. Levits, M. Safjan (rapporteur) et Mme M. Berger, juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 24 novembre 2010,

considérant les observations présentées:

–        pour Budějovický Budvar, národní podnik, par MM. J. Mellor et S. Malynicz, barristers, mandatés par M. M. Blair, solicitor,

–        pour Anheuser-Busch Inc., par Me B. Goebel, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. S. Ossowski, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement tchèque, par M. M. Smolek, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. S. Fiorentino, avvocato dello Stato,

–        pour le gouvernement portugais, par M. L. Inez Fernandes, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement slovaque, par Mme B. Ricziová, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par Mme J. Samnadda, en qualité d’agent,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 3 février 2011,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 4, paragraphe 1, sous a), et 9, paragraphe 1, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Budějovický Budvar, národní podnik (ci-après «Budvar»), une brasserie établie dans la ville de České Budějovice (République tchèque), à Anheuser-Busch Inc. (ci-après «Anheuser-Busch»), une brasserie dont le siège est à Saint Louis (États-Unis), au sujet de la marque Budweiser dont elles sont toutes deux titulaires au Royaume-Uni depuis le 19 mai 2000.

 Le cadre juridique

 La réglementation de l’Union

3        L’article 4 de la directive 89/104, intitulé «Motifs supplémentaires de refus ou de nullité concernant les conflits avec des droits antérieurs», prévoyait:

«1.      Une marque est refusée à l’enregistrement ou est susceptible d’être déclarée nulle si elle est enregistrée:

a)      lorsqu’elle est identique à une marque antérieure et que les produits ou services pour lesquels la marque a été demandée ou a été enregistrée sont identiques à ceux pour lesquels la marque antérieure est protégée;

[...]

2.      Aux fins du paragraphe 1, on entend par ‘marques antérieures’:

a)      les marques dont la date de dépôt est antérieure à celle de la demande de marque, compte tenu, le cas échéant, du droit de priorité invoqué à l’appui de ces marques, et qui appartiennent aux catégories suivantes:

i)      les marques communautaires;

ii)      les marques enregistrées dans l’État membre ou, pour ce qui concerne la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas, auprès de l’Office des marques du Benelux;

iii)      les marques qui ont fait l’objet d’un enregistrement international ayant effet dans l’État membre;

b)      les marques communautaires qui revendiquent valablement l’ancienneté, conformément au règlement sur la marque communautaire, par rapport à une marque visée aux points a) sous ii) et a) sous iii), même si cette dernière marque a fait l’objet d’une renonciation ou s’est éteinte;

c)      les demandes de marques visées aux points a) et b), sous réserve de leur enregistrement;

d)      les marques qui, à la date de dépôt de la demande de marque, ou, le cas échéant, à la date de la priorité invoquée à l’appui de la demande de marque, sont ‘notoirement connues’ dans l’État membre au sens de l’article 6 bis de la convention de Paris.

[...]»

4        L’article 5 de la directive 89/104, intitulé «Droits conférés par la marque», énonçait à son paragraphe 1:

«La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires:

a)      d’un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée;

[...]»

5        Aux termes de l’article 9 de la directive 89/104, intitulé «Forclusion par tolérance»:

«1.      Le titulaire d’une marque antérieure, telle que visée à l’article 4, paragraphe 2, qui a toléré, dans un État membre, l’usage d’une marque postérieure enregistrée dans cet État membre pendant une période de cinq années consécutives en connaissance de cet usage, ne peut plus demander la nullité ni s’opposer à l’usage de la marque postérieure sur la base de cette marque antérieure pour les produits ou les services pour lesquels la marque postérieure a été utilisée, à moins que le dépôt de la marque postérieure n’ait été effectué de mauvaise foi.

2.      Tout État membre peut prévoir que le paragraphe 1 s’applique au titulaire d’une marque antérieure visée à l’article 4 paragraphe 4 point a) ou d’un autre droit antérieur visé à l’article 4 paragraphe 4 point b) ou c).

3.      Dans les cas visés au paragraphe 1 ou 2, le titulaire d’une marque enregistrée postérieure ne peut pas s’opposer à l’usage du droit antérieur bien que ce droit ne puisse plus être invoqué contre la marque postérieure.»

6        La directive 89/104 a été abrogée et remplacée par la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO L 299, p. 25), entrée en vigueur le 28 novembre 2008. Néanmoins, le litige au principal demeure régi, compte tenu de la date des faits, par la directive 89/104.

 La réglementation nationale

7        Les dispositions de la directive 89/104 ont été transposées dans le droit interne du Royaume-Uni par la loi de 1994 sur les marques (Trade Marks Act 1994), entrée en vigueur le 31 octobre 1994.

8        Afin de mettre en œuvre la directive 89/104, la loi de 1994 sur les marques a remplacé la loi de 1938 sur les marques (Trade Marks Act 1938).

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

9        Selon la décision de renvoi, depuis leur entrée sur le marché du Royaume-Uni, respectivement au cours des années 1973 et 1974, Budvar et Anheuser-Busch commercialisent chacune leurs bières sous le signe verbal «Budweiser» ou sous des termes incluant ce signe.

10      Toujours selon la décision de renvoi, bien que leurs dénominations soient identiques, les bières de Budvar et d’Anheuser-Busch ne présentent pas les mêmes caractéristiques. Leur goût, leur prix et leur présentation ont toujours été différents et, sur les marchés où Budvar et Anheuser-Busch sont toutes deux présentes, les consommateurs perçoivent clairement la différence, et ce même s’il existe un faible degré de confusion entre elles.

11      Au mois de novembre 1976, Budvar a demandé l’enregistrement en tant que marque du terme «Bud». Anheuser-Busch s’est opposée à un tel enregistrement.

12      Au cours de l’année 1979, Anheuser-Busch a assigné en justice Budvar pour usurpation d’appellation en demandant qu’il soit interdit à celle-ci d’utiliser le terme «Budweiser». Budvar a introduit une demande reconventionnelle pour usurpation d’appellation en demandant à son tour qu’il soit interdit à Anheuser-Busch d’utiliser le terme «Budweiser».

13      Dans l’attente de l’issue de ces actions en usurpation d’appellation, la procédure d’opposition relative à l’enregistrement du terme «Bud» a été suspendue.

14      Le 11 décembre 1979, Anheuser-Busch a demandé l’enregistrement en tant que marque du terme «Budweiser» pour les produits «bière, ale et porter». Budvar a fait opposition à cette demande.

15      Les demandes initiale et reconventionnelle en usurpation d’appellation ont été rejetées en première instance et en appel, les juridictions saisies ayant estimé qu’aucune des parties ne créait d’impression trompeuse et que le signe verbal «Budweiser» jouissait d’une double renommée.

16      Le terme «Bud» a par la suite été dûment enregistré en tant que marque au profit de Budvar, l’opposition formée par Anheuser-Busch ayant été rejetée.

17      Le 28 juin 1989, Budvar a présenté une demande reconventionnelle aux fins de l’enregistrement en tant que marque du terme «Budweiser», demande à laquelle Anheuser-Busch s’est opposée.

18      Au cours du mois de février 2000, la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) a rejeté les deux oppositions à l’enregistrement du terme «Budweiser» et a décidé que Budvar et Anheuser-Busch pouvaient chacune faire enregistrer ce terme en tant que marque. En application de la loi de 1994 sur les marques, cette juridiction s’est fondée sur la loi de 1938 sur les marques, laquelle permettait expressément que des marques identiques ou similaires au point d’être confondues soient enregistrées concomitamment, en cas d’usage simultané honnête («honest concurrent use») ou dans d’autres circonstances particulières.

19      À la suite de cette décision juridictionnelle, chaque partie a été inscrite au registre des marques du Royaume-Uni, le 19 mai 2000, en qualité de titulaire de la marque verbale Budweiser pour les produits «bière, ale et porter».

20      Il s’ensuit que Budvar a obtenu au Royaume-Uni deux enregistrements en tant que marque, l’un pour Bud (demande présentée au mois de novembre 1976) et l’autre pour Budweiser (demande effectuée au mois de juin 1989). Anheuser-Busch est titulaire d’un enregistrement en tant que marque de Budweiser (demande introduite au mois de décembre 1979).

21      Le 18 mai 2005, soit quatre ans et 364 jours après l’enregistrement de la marque Budweiser au bénéfice de Budvar et d’Anheuser-Busch, cette dernière a introduit auprès de l’Office des marques du Royaume-Uni une demande en nullité à l’encontre de l’enregistrement de cette marque effectué au profit de Budvar.

22      Dans sa demande en nullité, Anheuser-Busch a fait valoir, premièrement, que, même si les marques Budweiser ont été enregistrées le même jour au bénéfice des deux entreprises concernées, la marque dont Anheuser-Busch est titulaire est une marque antérieure, au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 89/104, étant donné que le dépôt de la demande d’enregistrement a été effectué à une date antérieure à celle de la demande de Budvar. Deuxièmement, les marques et les produits étant identiques au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la même directive, Anheuser-Busch, en sa qualité de titulaire d’une marque antérieure, serait en droit d’obtenir la nullité de la marque de Budvar. Troisièmement, il n’y aurait pas de forclusion par tolérance en l’absence d’expiration du délai de cinq années prévu à l’article 9, paragraphe 1, de ladite directive.

23      L’Office des marques du Royaume-Uni a fait droit à la demande en nullité de l’enregistrement introduite par Anheuser-Busch.

24      Le 19 février 2008, la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division, a rejeté le recours formé devant elle par Budvar en ce qui concerne les produits «bière, ale et porter».

25      Budvar ayant interjeté appel de cette décision devant la juridiction de renvoi, cette dernière relève qu’elle a des doutes quant à l’interprétation de l’article 9 de la directive 89/104, notamment en ce qui concerne les notions de «tolérance» et de «période» visées à cet article. La juridiction de renvoi s’interroge également sur l’interprétation à donner à l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la même directive. À cet égard, elle relève que Budvar a soutenu devant elle que, nonobstant la protection apparemment absolue dont bénéficie la marque antérieure lorsqu’une marque identique postérieure désigne des produits identiques, une exception à cette protection pourrait être admise dans l’hypothèse d’un usage simultané honnête et de longue durée de ces deux marques. En effet, dans un tel cas, l’usage des marques identiques par chacune des parties ne porterait pas atteinte à la garantie d’origine des produits que la marque fournit, dès lors que ces marques ne se limiteraient pas à désigner les produits d’une seule entreprise, mais désigneraient les produits de l’une ou de l’autre.

26      C’est dans ces circonstances que la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Quelle est la signification de ‘toléré’ au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 89/104 et, en particulier:

a)      Est-ce que ‘toléré’ est une notion de droit communautaire ou bien les juridictions nationales sont-elles libres d’appliquer les règles du droit national en vue de définir la tolérance (notamment la durée ou l’usage simultané honnête et de longue durée)?

b)      Si ‘toléré’ est une notion de droit communautaire, le titulaire d’une marque peut-il être réputé avoir toléré l’usage honnête bien établi et de longue durée d’une marque identique par un tiers, lorsqu’il a connaissance depuis longtemps de cet usage, mais qu’il n’a pas pu l’empêcher?

c)      En tout état de cause, est-il nécessaire que le titulaire d’une marque obtienne l’enregistrement de celle-ci avant de pouvoir commencer à ‘tolérer’ l’usage fait par un tiers d’une marque i) identique ou ii) similaire au point de prêter à confusion?

2)      Quand la période de ‘cinq années consécutives’ commence-t-elle à courir et, en particulier, peut-elle commencer (et, si tel est le cas, prendre fin) avant que le titulaire de la marque antérieure n’obtienne l’enregistrement effectif de sa marque; et dans l’affirmative, quelles sont les conditions nécessaires pour faire courir ce délai?

3)      L’article 4, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104 s’applique-t-il de façon à permettre au titulaire d’une marque antérieure de voir son droit l’emporter, même dans le cas d’un usage simultané honnête et de longue durée de deux marques identiques couvrant des produits identiques, de sorte que la garantie de l’origine de la marque antérieure ne signifie pas que la marque désigne les produits du titulaire de la marque antérieure et aucun autre, mais désigne, au contraire, les produits de ce dernier ou de l’autre usager?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question, sous a) et b)

27      Par sa première question, sous a) et b), la juridiction de renvoi demande, en substance, si la «tolérance», au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 89/104, est une notion du droit de l’Union et, dans l’affirmative, si le titulaire d’une marque peut être réputé avoir toléré, au sens de cette disposition, l’usage honnête bien établi et de longue durée par un tiers d’une marque identique à celle de ce titulaire lorsque ce dernier a connaissance depuis longtemps de cet usage, mais qu’il n’a pas pu l’empêcher.

28      Il y a lieu de constater d’emblée que l’article 9, paragraphe 1, de la directive 89/104 ne contient aucune définition de la notion de «tolérance», laquelle n’est pas davantage définie dans les autres articles de cette directive. En outre, celle-ci ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres en ce qui concerne cette notion.

29      Selon une jurisprudence constante de la Cour, il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union européenne, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause (voir, notamment, arrêts du 18 janvier 1984, Ekro, 327/82, Rec. p. 107, point 11; du 19 septembre 2000, Linster, C‑287/98, Rec. p. I‑6917, point 43, et du 21 octobre 2010, Padawan, C‑467/08, non encore publié au Recueil, point 32).

30      S’il est vrai que, selon le troisième considérant de la directive 89/104, «il n’apparaît pas nécessaire actuellement de procéder à un rapprochement total des législations des États membres en matière de marques», il n’en demeure pas moins que cette directive contient une harmonisation relative à des règles de fond centrales en la matière, à savoir, selon ce même considérant, des règles relatives aux dispositions nationales ayant l’incidence la plus directe sur le fonctionnement du marché intérieur, et que ce considérant n’exclut pas que l’harmonisation relative à ces règles soit complète (arrêts du 16 juillet 1998, Silhouette International Schmied, C‑355/96, Rec. p. I‑4799, point 23, et du 11 mars 2003, Ansul, C‑40/01, Rec. p. I‑2439, point 27).

31      Par ailleurs, il est rappelé, au septième considérant de la directive 89/104, que la «réalisation des objectifs poursuivis par le rapprochement [des législations des États membres] suppose que l’acquisition et la conservation du droit sur la marque enregistrée soient en principe subordonnées, dans tous les États membres, aux mêmes conditions». Quant au neuvième considérant de la même directive, il énonce qu’«il est fondamental, pour faciliter la libre circulation des produits et la libre prestation des services, de faire en sorte que les marques enregistrées jouissent désormais de la même protection dans la législation de tous les États membres». Enfin, le onzième considérant de ladite directive indique encore qu’«il importe, pour des raisons de sécurité juridique et sans porter atteinte de manière inéquitable aux intérêts du titulaire d’une marque antérieure, de prévoir que ce dernier ne peut plus demander la nullité ou s’opposer à l’usage d’une marque postérieure à la sienne dont il a sciemment toléré l’usage pendant une longue période, sauf si la marque postérieure a été demandée de mauvaise foi».

32      Au vu des considérants de la directive 89/104, la Cour a jugé que les articles 5 à 7 de cette directive procèdent à une harmonisation complète des règles relatives aux droits conférés par la marque et définissent ainsi les droits dont jouissent les titulaires de marques dans l’Union (arrêts Silhouette International Schmied, précité, point 25; du 20 novembre 2001, Zino Davidoff et Levi Strauss, C‑414/99 à C‑416/99, Rec. p. I‑8691, point 39, ainsi que du 3 juin 2010, Coty Prestige Lancaster Group, C-127/09, non encore publié au Recueil, point 27).

33      De la même manière, il doit être inféré desdits considérants que l’article 9 de la directive 89/104 procède à une harmonisation complète des conditions dans lesquelles le titulaire d’une marque postérieure enregistrée peut, dans le cadre de la forclusion par tolérance, conserver son droit sur cette marque lorsque le titulaire d’une marque antérieure identique demande la nullité ou s’oppose à l’usage de cette marque postérieure.

34      À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, il ressort des dispositions de la directive 89/104, et notamment de son article 9, que celle-ci vise, d’une manière générale, à mettre en balance, d’une part, les intérêts du titulaire d’une marque à sauvegarder la fonction essentielle de celle-ci et, d’autre part, les intérêts d’autres opérateurs économiques à disposer de signes susceptibles de désigner leurs produits et services (arrêt du 27 avril 2006, Levi Strauss, C‑145/05, Rec. p. I‑3703, points 28 et 29).

35      En outre, il importe de constater que la même notion de «tolérance» est utilisée à l’article 54, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1), dans le même sens qu’à l’article 9, paragraphe 1, de la directive 89/104.

36      Or, le régime des marques communautaires est un système autonome, constitué d’un ensemble de règles et poursuivant des objectifs qui lui sont spécifiques, son application étant indépendante de tout système national (voir arrêts du 25 octobre 2007, Develey/OHMI, C‑238/06 P, Rec. p. I‑9375, point 65, ainsi que du 16 juillet 2009, American Clothing Associates/OHMI et OHMI/American Clothing Associates, C‑202/08 P et C‑208/08 P, Rec. p. I‑6933, point 58).

37      Par conséquent, la «tolérance», au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 89/104, constitue une notion du droit de l’Union, dont le sens et la portée doivent être identiques dans l’ensemble des États membres. Partant, il appartient à la Cour de lui donner une interprétation autonome et uniforme dans l’ordre juridique de l’Union.

38      En ce qui concerne la première question, sous b), la juridiction de renvoi relève que, si la notion de «tolérance», au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 89/104, inclut les situations dans lesquelles le titulaire d’une marque ne peut empêcher l’usage par un tiers d’une marque identique, Anheuser-Busch et Budvar, dans le cadre du litige au principal, auraient, par la force des choses, toléré l’un et l’autre l’usage du signe verbal «Budweiser» au Royaume-Uni pendant plus de 30 ans.

39      Selon une jurisprudence constante de la Cour, la détermination de la signification et de la portée des termes pour lesquels le droit de l’Union ne fournit aucune définition doit être établie conformément au sens habituel en langage courant de ceux-ci, tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie (voir, notamment, arrêts du 10 mars 2005, easyCar, C‑336/03, Rec. p. I‑1947, point 21; du 22 décembre 2008, Wallentin-Hermann, C‑549/07, Rec. p. I‑11061, point 17, et du 29 juillet 2010, UGT-FSP, C‑151/09, non encore publié au Recueil, point 39).

40      En outre, le préambule d’un acte du droit de l’Union est susceptible de préciser le contenu de celui-ci (voir arrêts du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA, C‑344/04, Rec. p. I‑403, point 76, ainsi que Wallentin-Hermann, précité, point 17).

41      Tout d’abord, il convient de constater que, dans la plupart des versions linguistiques de la directive 89/104, le même mot est utilisé tant au onzième considérant qu’à l’article 9, paragraphe 1, de celle-ci pour désigner la «tolérance». Le fait que la version en langue anglaise emploie les termes «tolerated» au onzième considérant et «acquiesced in» à l’article 9, paragraphe 1, n’a pas d’incidence dès lors que, comme le relève le gouvernement du Royaume-Uni dans ses observations écrites, l’utilisation du mot «tolerated» n’implique pas de retenir une interprétation moins contraignante de cet article 9, paragraphe 1.

42      Ensuite, il y a lieu de relever que le verbe «tolérer» a plusieurs sens habituels dans le langage courant, l’un de ceux-ci signifiant «laisser subsister» ou «ne pas empêcher».

43      La «tolérance» se distingue ainsi du «consentement», tel que visé à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 89/104, lequel doit être exprimé d’une manière qui traduise de façon certaine une volonté de renoncer à un droit (voir arrêt Zino Davidoff et Levi Strauss, précité, point 45).

44      Ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 70 de ses conclusions, en se référant notamment aux versions en langue danoise et suédoise de l’article 9 de la directive 89/104, celui qui tolère fait preuve de passivité en s’abstenant de prendre les mesures dont il dispose pour remédier à une situation dont il a connaissance et qui n’est pas nécessairement souhaitée. En d’autres termes, la notion de «tolérance» implique que celui qui tolère reste inactif en présence d’une situation à laquelle il aurait la possibilité de s’opposer.

45      Aux fins de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 89/104, cette notion de «tolérance» doit ainsi être interprétée en ce sens que le titulaire d’une marque antérieure ne peut être réputé avoir toléré l’usage honnête bien établi et de longue durée, dont il a connaissance depuis longtemps, par un tiers d’une marque postérieure identique à celle de ce titulaire si ce dernier était privé de toute possibilité de s’opposer à cet usage.

46      Cette interprétation est corroborée par le contexte de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 89/104 ainsi que par les objectifs de celle-ci.

47      En effet, d’une part, le onzième considérant de ladite directive précise que le titulaire de la marque antérieure doit avoir «sciemment toléré» l’usage d’une marque postérieure à la sienne pendant une longue période, c’est-à-dire «délibérément», «en connaissance de cause». Ce même considérant précise qu’il ne doit pas être porté atteinte «de manière inéquitable» aux intérêts du titulaire d’une marque antérieure. Or, ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 72 de ses conclusions, il serait inéquitable que le titulaire de la marque antérieure soit forclos pour demander la nullité ou pour s’opposer à l’usage d’une marque postérieure identique, alors même qu’il n’a pas eu la possibilité de le faire.

48      D’autre part, ainsi qu’il a déjà été indiqué au point 34 du présent arrêt, la directive 89/104 vise à mettre en balance les intérêts du titulaire d’une marque à sauvegarder la fonction essentielle de celle-ci et les intérêts d’autres opérateurs économiques à disposer de signes susceptibles de désigner leurs produits et services. Cet objectif implique que, pour sauvegarder cette fonction essentielle, le titulaire d’une marque antérieure doit être en mesure, dans le cadre de l’application de l’article 9, paragraphe 1, de cette directive, de s’opposer à l’usage d’une marque postérieure identique à la sienne.

49      Il convient d’ajouter que, comme l’a souligné la Commission européenne, toute action administrative ou juridictionnelle introduite par le titulaire de la marque antérieure pendant la période prévue à l’article 9, paragraphe 1, de la directive 89/104 a pour effet d’interrompre le délai de forclusion par tolérance.

50      Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question, sous a) et b), que la tolérance, au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 89/104, est une notion du droit de l’Union et que le titulaire d’une marque antérieure ne peut être réputé avoir toléré l’usage honnête bien établi et de longue durée, dont il a connaissance depuis longtemps, par un tiers d’une marque postérieure identique à celle de ce titulaire si ce dernier était privé de toute possibilité de s’opposer à cet usage.

 Sur la première question, sous c), et la deuxième question

51      Par sa première question, sous c), et sa deuxième question, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le délai de forclusion par tolérance prévu à l’article 9, paragraphe 1, de la directive 89/104 peut commencer à courir avant que le titulaire de la marque antérieure n’obtienne l’enregistrement de sa marque et, dans l’affirmative, quelles sont les conditions nécessaires pour faire courir ce délai de forclusion.

52      À titre liminaire, il convient de rappeler que, ainsi qu’il résulte du onzième considérant de la directive 89/104, la règle de la forclusion par tolérance prévue à l’article 9 de cette directive a été établie pour des raisons de sécurité juridique.

53      Il ressort du libellé de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 89/104 que quatre conditions doivent être réunies pour faire courir le délai de forclusion par tolérance en cas d’usage d’une marque postérieure identique à la marque antérieure ou similaire au point de prêter à confusion.

54      Premièrement, ledit article 9, paragraphe 1, faisant référence à une «marque postérieure enregistrée», l’enregistrement de cette marque dans l’État membre concerné constitue une condition nécessaire. Le délai de forclusion par tolérance ne peut donc courir à partir du simple usage d’une marque postérieure, même si le titulaire de celle-ci procède par la suite à son enregistrement.

55      S’agissant de l’enregistrement de la marque postérieure dans l’État membre concerné, il importe de relever que le cinquième considérant de la directive 89/104 précise que les «États membres gardent [...] toute liberté pour fixer les dispositions de procédure concernant l’enregistrement, la déchéance ou la nullité des marques acquises par l’enregistrement; qu’il leur appartient, par exemple, de déterminer la forme des procédures d’enregistrement et de nullité, de décider si les droits antérieurs doivent être invoqués dans la procédure d’enregistrement ou dans la procédure de nullité ou dans les deux, ou encore, dans le cas où des droits antérieurs peuvent être invoqués dans la procédure d’enregistrement, de prévoir une procédure d’opposition ou un examen d’office ou les deux; que les États membres conservent la faculté de déterminer les effets de la déchéance ou de la nullité des marques».

56      Deuxièmement, le dépôt de la marque postérieure doit avoir été effectué de bonne foi par son titulaire.

57      Troisièmement, le titulaire de la marque postérieure doit faire usage de sa marque dans l’État membre où celle-ci est enregistrée.

58      Quatrièmement, le titulaire de la marque antérieure doit avoir connaissance de l’enregistrement de la marque postérieure et de l’usage de cette marque après son enregistrement.

59      Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si ces quatre conditions nécessaires pour faire courir le délai de forclusion par tolérance sont satisfaites dans le litige au principal.

60      Cela étant précisé, il convient d’ajouter que l’enregistrement de la marque antérieure dans l’État membre concerné ne constitue pas une condition nécessaire pour que le délai de forclusion par tolérance commence à courir.

61      En effet, l’article 9, paragraphe 1, de la directive 89/104 indique que la «marque antérieure» est «telle que visée à l’article 4, paragraphe 2,» de cette directive. Or, au sens de cette dernière disposition, une marque peut être considérée comme étant antérieure sans avoir fait l’objet d’un enregistrement, comme dans le cas des «demandes de marques [...] sous réserve de leur enregistrement» et des marques «notoirement connues», visées respectivement à l’article 4, paragraphe 2, sous c) et d), de cette directive.

62      Dès lors, il convient de répondre à la première question, sous c), et à la deuxième question que l’enregistrement de la marque antérieure dans l’État membre concerné ne constitue pas une condition nécessaire pour faire courir le délai de forclusion par tolérance prévu à l’article 9, paragraphe 1, de la directive 89/104. Les conditions nécessaires pour faire courir ce délai de forclusion, qu’il incombe au juge national de vérifier, sont, premièrement, l’enregistrement de la marque postérieure dans l’État membre concerné, deuxièmement, le fait que le dépôt de cette marque a été effectué de bonne foi, troisièmement, l’usage de la marque postérieure par le titulaire de celle-ci dans l’État membre où elle a été enregistrée et, quatrièmement, la connaissance par le titulaire de la marque antérieure de l’enregistrement de la marque postérieure et de l’usage de celle-ci après son enregistrement.

 Sur la troisième question

63      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104 doit être interprété en ce sens que le titulaire d’une marque antérieure peut obtenir l’annulation d’une marque postérieure identique désignant des produits identiques dans le cas d’un usage simultané honnête et de longue durée de ces deux marques.

64      À titre liminaire, il y a lieu de relever que Anheuser-Busch conteste la recevabilité de cette question en ce qu’elle repose sur la supposition inexacte selon laquelle la marque Budweiser désigne tant ses produits que ceux de Budvar. En outre, Anheuser-Busch utiliserait la marque Budweiser, en tant que telle, sur le marché du Royaume-Uni alors que Budvar commercialiserait ses produits sous les termes «Budweiser Budvar».

65      Cependant, selon une jurisprudence constante de la Cour, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence (voir arrêts du 16 décembre 2008, Cartesio, C‑210/06, Rec. p. I‑9641, point 67; du 7 octobre 2010, dos Santos Palhota e.a., C‑515/08, non encore publié au Recueil, point 20, ainsi que du 5 avril 2011, Société fiduciaire nationale d’expertise comptable, C-119/09, non encore publié au Recueil, point 21).

66      Il s’ensuit que la troisième question est recevable.

67      Afin de répondre à cette question, il convient de rappeler que l’article 4 de la directive 89/104 définit les motifs supplémentaires justifiant le refus ou la nullité en cas de conflit concernant des droits antérieurs. Le paragraphe 1, sous a), de cet article prévoit ainsi qu’une marque enregistrée est susceptible d’être déclarée nulle lorsqu’elle est identique à une marque antérieure et que les produits ou les services pour lesquels la marque a été enregistrée sont identiques à ceux pour lesquels la marque antérieure est protégée.

68      À cet égard, le dixième considérant de la directive 89/104 énonce que la protection conférée par la marque enregistrée, dont le but est notamment de garantir la fonction d’origine de la marque, est absolue en cas d’identité entre la marque et le signe ainsi qu’entre les produits ou services.

69      Selon la jurisprudence de la Cour, les conditions d’application de l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104 correspondent en substance à celles de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de cette directive, qui détermine les cas dans lesquels le titulaire d’une marque est habilité à interdire à des tiers de faire usage de signes identiques à sa marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée (arrêt du 20 mars 2003, LTJ Diffusion, C‑291/00, Rec. p. I‑2799, point 41).

70      Par conséquent, l’interprétation par la Cour de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104 s’applique également à l’article 4, paragraphe 1, sous a), de celle-ci, ladite interprétation étant transposable, mutatis mutandis, à cette dernière disposition (voir arrêt LTJ Diffusion, précité, point 43)

71      Or, il résulte de la jurisprudence de la Cour que le droit exclusif prévu à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104 a été octroyé afin de permettre au titulaire de la marque de protéger ses intérêts spécifiques en tant que titulaire de cette marque, c’est-à-dire d’assurer que cette dernière puisse remplir ses fonctions propres et que, dès lors, l’exercice de ce droit doit être réservé aux cas dans lesquels l’usage du signe par un tiers porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque. Parmi ces fonctions figurent non seulement la fonction essentielle de la marque qui est de garantir aux consommateurs la provenance du produit ou du service, mais également les autres fonctions de celle-ci, comme celle consistant à garantir la qualité de ce produit ou de ce service, ou celles de communication, d’investissement ou de publicité (voir, notamment, arrêts du 18 juin 2009, L’Oréal e.a., C‑487/07, Rec. p. I‑5185, point 58, ainsi que du 23 mars 2010, Google France et Google, C‑236/08 à C‑238/08, Rec. p. I‑2417, point 77).

72      Il convient d’ajouter que l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104 n’exige pas la preuve de l’existence, dans l’esprit du public, d’un risque de confusion pour accorder une protection absolue en cas d’identité du signe et de la marque ainsi que des produits ou des services (arrêt LTJ Diffusion, précité, point 49).

73      Dans le présent renvoi préjudiciel, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104 au regard de la fonction essentielle de la marque.

74      Dans ce contexte, il résulte de ce qui précède que ladite disposition doit être interprétée en ce sens qu’une marque postérieure enregistrée est susceptible d’être déclarée nulle lorsqu’elle est identique à une marque antérieure, que les produits pour lesquels la marque a été enregistrée sont identiques à ceux pour lesquels la marque antérieure est protégée et que l’usage de la marque postérieure porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte à la fonction essentielle de la marque qui est de garantir aux consommateurs la provenance des produits.

75      Or, en l’occurrence, il y a lieu de constater que l’usage par Budvar de la marque Budweiser au Royaume-Uni ne porte pas atteinte ou n’est pas susceptible de porter atteinte à la fonction essentielle de la marque Budweiser dont Anheuser-Busch est titulaire.

76      À cet égard, il importe de relever que les circonstances ayant donné lieu au litige au principal présentent un caractère exceptionnel.

77      En effet, premièrement, la juridiction de renvoi indique que Anheuser-Busch et Budvar commercialisent chacune au Royaume-Uni leurs bières sous le signe verbal «Budweiser» ou sous une marque incluant ce signe depuis près de 30 ans avant l’enregistrement de ceux-ci.

78      Deuxièmement, Anheuser-Busch et Budvar ont été autorisées à enregistrer conjointement et simultanément leurs marques Budweiser à la suite d’un arrêt rendu par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) au cours du mois de février 2000.

79      Troisièmement, il résulte également de la décision de renvoi que, si Anheuser-Busch a présenté une demande d’enregistrement du terme «Budweiser» en tant que marque au Royaume-Uni antérieurement à Budvar, chacune de ces deux entreprises fait depuis l’origine un usage de bonne foi de leurs marques Budweiser.

80      Quatrièmement, ainsi qu’il a été relevé au point 10 du présent arrêt, la juridiction de renvoi a constaté que, bien que les dénominations soient identiques, les consommateurs du Royaume-Uni perçoivent clairement la différence entre les bières de Budvar et celles d’Anheuser-Busch, leur goût, leur prix et leur présentation ayant toujours été différents.

81      Cinquièmement, il résulte de la coexistence de ces deux marques sur le marché du Royaume-Uni que, même si les marques étaient identiques, les bières d’Anheuser-Busch et de Budvar étaient clairement identifiables comme étant produites par des entreprises différentes.

82      Dès lors, comme l’a relevé à bon droit la Commission dans ses observations écrites, l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104 doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, l’usage simultané honnête et de longue durée de deux marques identiques désignant des produits identiques ne porte pas atteinte ou n’est pas susceptible de porter atteinte à la fonction essentielle de la marque qui est de garantir aux consommateurs la provenance des produits ou des services.

83      Il convient d’ajouter que, en cas d’emploi, à l’avenir, de tout procédé malhonnête dans l’usage des marques Budweiser, une telle situation pourrait, le cas échéant, être examinée à la lumière des règles en matière de concurrence déloyale.

84      Eu égard aux observations qui précèdent, il convient de répondre à la troisième question que l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104 doit être interprété en ce sens que le titulaire d’une marque antérieure ne saurait obtenir l’annulation d’une marque postérieure identique désignant des produits identiques dans le cas d’un usage simultané honnête et de longue durée de ces deux marques lorsque, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, cet usage ne porte pas atteinte ou n’est pas susceptible de porter atteinte à la fonction essentielle de la marque qui est de garantir aux consommateurs la provenance des produits ou des services.

 Sur les dépens

85      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

1)      La tolérance, au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, est une notion du droit de l’Union et le titulaire d’une marque antérieure ne peut être réputé avoir toléré l’usage honnête bien établi et de longue durée, dont il a connaissance depuis longtemps, par un tiers d’une marque postérieure identique à celle de ce titulaire si ce dernier était privé de toute possibilité de s’opposer à cet usage.

2)      L’enregistrement de la marque antérieure dans l’État membre concerné ne constitue pas une condition nécessaire pour faire courir le délai de forclusion par tolérance prévu à l’article 9, paragraphe 1, de la directive 89/104. Les conditions nécessaires pour faire courir ce délai de forclusion, qu’il incombe au juge national de vérifier, sont, premièrement, l’enregistrement de la marque postérieure dans l’État membre concerné, deuxièmement, le fait que le dépôt de cette marque a été effectué de bonne foi, troisièmement, l’usage de la marque postérieure par le titulaire de celle-ci dans l’État membre où elle a été enregistrée et, quatrièmement, la connaissance par le titulaire de la marque antérieure de l’enregistrement de la marque postérieure et de l’usage de celle-ci après son enregistrement.

3)      L’article 4, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104 doit être interprété en ce sens que le titulaire d’une marque antérieure ne saurait obtenir l’annulation d’une marque postérieure identique désignant des produits identiques dans le cas d’un usage simultané honnête et de longue durée de ces deux marques lorsque, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, cet usage ne porte pas atteinte ou n’est pas susceptible de porter atteinte à la fonction essentielle de la marque qui est de garantir aux consommateurs la provenance des produits ou des services.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.