Language of document : ECLI:EU:C:2021:465

ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)

8 juin 2021 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour – Coopération judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2005/214/JAI – Refus de reconnaître une décision infligeant une sanction pécuniaire – Absence de litige pendant devant la juridiction ayant opposé ce refus – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire C‑699/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Rejonowy w Nysie, II Wydział Karny (tribunal d’arrondissement de Nysa, division pénale II, Pologne), par décision du 19 novembre 2020, parvenue à la Cour le 21 décembre 2020, dans la procédure

Centraal Justitieel Incassobureau, Ministerie van Veiligheid en Justitie (CJIB)

contre

AP,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteure), vice-présidente de la Cour, et M. M. Safjan, juge,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 7, paragraphe 2, sous g), de la décision-cadre 2005/214/JAI du Conseil, du 24 février 2005, concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux sanctions pécuniaires (JO 2005, L 76, p. 16), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24) (ci-après la « décision-cadre 2005/214 »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure engagée par le Centraal Justitieel Incassobureau, Ministerie van Veiligheid en Justitie (CJIB) [bureau central de recouvrement judiciaire, ministère de la Sécurité et de la Justice (CJIB), Pays-Bas] (ci-après le « CJIB ») afin d’obtenir la reconnaissance, en Pologne, d’une sanction pécuniaire infligée à AP aux Pays-Bas en raison d’une infraction aux normes qui réglementent la circulation routière.

 Le cadre juridique

3        Aux termes de l’article 6 de la décision-cadre 2005/214 :

« Les autorités compétentes de l’État d’exécution reconnaissent une décision qui a été transmise conformément à l’article 4, sans qu’aucune autre formalité ne soit requise, et prennent sans délai toutes les mesures nécessaires pour son exécution, sauf si l’autorité compétente décide de se prévaloir d’un des motifs de non-reconnaissance ou de non-exécution prévus à l’article 7. »

4        L’article 7 de cette décision-cadre, intitulé « Motifs de non-reconnaissance et de non-exécution », dispose, à son paragraphe 2, sous g) :

« L’autorité compétente de l’État d’exécution peut également refuser de reconnaître et d’exécuter la décision s’il est établi que :

[...]

g)      selon le certificat prévu à l’article 4, l’intéressé, dans le cas d’une procédure écrite, n’a pas été informé, conformément à la législation de l’État d’émission, personnellement ou par un représentant, compétent en vertu de la législation nationale, de son droit de former un recours et du délai pour le faire ».

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

5        Le 19 octobre 2019, le CJIB a saisi la juridiction de renvoi d’une demande de reconnaissance d’une décision infligeant à AP une sanction pécuniaire pour une infraction routière commise aux Pays-Bas le 27 mars 2019.

6        Par une décision du 13 février 2020, ladite juridiction a rejeté cette demande au motif qu’AP n’avait pas été dûment informé de la possibilité et du droit de former un recours contre la décision infligeant ladite sanction pécuniaire.

7        Cette décision de la juridiction de renvoi a été signifiée au CJIB, qui, par une lettre du 6 mars 2020, en a demandé le réexamen. Dans cette lettre, le CJIB a indiqué que, en vertu des dispositions pertinentes du droit néerlandais, les décisions infligeant des sanctions pécuniaires pour des infractions routières peuvent être envoyées par courrier ordinaire, l’intéressé étant réputé avoir été informé des actes commis et de la sanction pécuniaire infligée si la décision infligeant cette sanction n’a pas été renvoyée à l’expéditeur « au motif qu’elle n’était pas distribuable ».

8        S’agissant de la demande de réexamen présentée par le CJIB, la juridiction de renvoi relève, en premier lieu, que, selon le droit polonais, l’autorité compétente de l’État d’émission n’est pas partie à la procédure de reconnaissance d’une décision infligeant une sanction pécuniaire et, en deuxième lieu, que ce droit ne permet pas un réexamen de l’affaire en cause selon la procédure ordinaire. Elle considère cependant que les informations fournies par le CJIB dans sa lettre du 6 mars 2020 pourraient être pertinentes pour d’autres procédures de ce type.

9        En troisième lieu, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si la procédure écrite de signification d’une décision infligeant une sanction pécuniaire, applicable en vertu du droit néerlandais et consistant à envoyer la décision par courrier postal ordinaire en dehors des Pays-Bas, est conforme à l’article 7, paragraphe 2, sous g), de la décision-cadre 2005/214 ainsi qu’à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. En effet, cette juridiction estime qu’une telle procédure pourrait violer le droit à un recours effectif devant un tribunal en ce qu’elle empêche l’intéressé de déterminer la date à laquelle la signification est intervenue, si elle a réellement eu lieu et si elle a été effective, ce qui revient à priver l’intéressé du droit d’agir efficacement, notamment, dans le cadre d’une procédure de réclamation contre la décision en cause.

10      Dans ces conditions, le Sąd Rejonowy w Nysie, II Wydział Karny (tribunal d’arrondissement de Nysa, division pénale II, Pologne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 7, paragraphe 2, sous g), [...] de la décision-cadre 2005/214[...] est-il conforme à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux [...] (“[t]oute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article”), dans la mesure où il renvoie à l’application de la législation de l’État d’émission, en l’occurrence [le Royaume des] Pays-Bas, en ce qui concerne l’exigence selon laquelle l’intéressé doit être informé personnellement d’une sanction, par un moyen valant signification sur le territoire de l’État d’exécution de la décision en cause ?

En cas de réponse affirmative à la question posée ci-dessus :

2)      L’expression “informé, conformément à la législation de l’État d’émission, personnellement [...]”, figurant à l’article 7, paragraphe 2, sous g), [...] de la décision-cadre 2005/214[...], doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle permet la signification d’un courrier par envoi ordinaire sans preuve de l’envoi et/ou de la réception, ou l’expression “informé [...] personnellement” doit-elle être interprétée en tant que notion autonome du droit de l’Union qui prescrit une information susceptible d’être vérifiée (envoi recommandé, envoi avec accusé de réception) ? »

 Sur les questions préjudicielles

11      En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsqu’une demande ou une requête est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

12      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

13      À cette fin, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, les questions portant sur le droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 43 ainsi que jurisprudence citée).

14      Toutefois, il est également de jurisprudence constante que la procédure instituée à l’article 267 TFUE constitue un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher. La justification du renvoi préjudiciel est non pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d’un litige. Comme il ressort des termes mêmes de l’article 267 TFUE, la décision préjudicielle sollicitée doit être « nécessaire » pour permettre à la juridiction de renvoi de « rendre son jugement » dans l’affaire dont elle se trouve saisie (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, points 44 et 45 ainsi que jurisprudence citée).

15      La Cour a ainsi itérativement rappelé qu’il ressort à la fois des termes et de l’économie de l’article 267 TFUE que la procédure préjudicielle présuppose, notamment, qu’un litige soit effectivement pendant devant les juridictions nationales, dans le cadre duquel elles sont appelées à rendre une décision susceptible de prendre en considération l’arrêt préjudiciel (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 46 ainsi que jurisprudence citée).

16      En l’occurrence, la juridiction de renvoi a rejeté, par une décision du 13 février 2020, la demande du CJIB tendant à la reconnaissance de la décision infligeant à AP une sanction pécuniaire pour une infraction routière commise aux Pays-Bas.

17      Il ressort de la décision de renvoi que, selon le droit polonais, l’autorité compétente de l’État d’émission n’est pas partie à la procédure de reconnaissance d’une décision infligeant une sanction pécuniaire. Par conséquent, le CJIB ne serait pas habilité à former un recours contre cette décision du 13 février 2020 devant la juridiction de renvoi. Par ailleurs, cette juridiction ajoute que le droit polonais ne permet pas non plus de réexaminer l’affaire en cause selon la procédure ordinaire.

18      Dans ces conditions, il convient de constater que, à la date à laquelle la juridiction de renvoi a saisi la Cour de la présente demande de décision préjudicielle, aucun litige n’était effectivement pendant devant elle (voir, en ce sens, ordonnance du 10 février 2015, Liivimaa Lihaveis, C‑175/13, non publiée, EU:C:2015:80, point 20).

19      La circonstance que la réponse de la Cour dans la présente affaire pourrait être pertinente, comme l’indique la juridiction de renvoi, pour d’autres procédures du même type que la procédure en cause, est sans incidence sur l’appréciation de la recevabilité de la demande de décision préjudicielle concernée. En effet, l’existence d’autres affaires nationales dans lesquelles la réponse de la Cour aux questions posées pourrait se révéler utile n’est pas de nature à justifier que la Cour réponde, dans la présente affaire, à ces questions (voir, par analogie, ordonnances du 5 juin 2014, Antonio Gramsci Shipping e.a., C‑350/13, EU:C:2014:1516, point 11, ainsi que du 3 décembre 2020, Fedasil, C‑67/20 à C‑69/20, non publiée, EU:C:2020:1024, point 25).

20      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que, en application de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, la présente demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable.

 Sur les dépens

21      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

La demande de décision préjudicielle introduite par le Sąd Rejonowy w Nysie, II Wydział Karny (tribunal d’arrondissement de Nysa, division pénale II, Pologne), par décision du 19 novembre 2020, est manifestement irrecevable.

Signatures


*      Langue de procédure : le polonais.