Language of document : ECLI:EU:T:2016:77

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

9 février 2016 (*)

« Aides d’État – Plaintes – Décisions de rejet – Appréciation préliminaire de la Commission – Décision finale – Abrogation de l’acte attaqué – Non-lieu à statuer »

Dans l’affaire T‑639/14,

Dimosia Epicheirisi Ilektrismou AE (DEI), établie à Athènes (Grèce), représentée par Mes E. Bourtzalas, D. Waelbroeck, A. Oikonomou, C. Synodinos et E. Salaka, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. A. Bouchagiar et É. Gippini Fournier, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la lettre de la Commission COMP/E3/ΟΝ/AB/ark *2014/61460, du 12 juin 2014, dans laquelle la Commission a rejeté des plaintes de la requérante en matière d’aides d’État,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de M. M. Prek, président, Mme I. Labucka (rapporteur) et M. V. Kreuschitz, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Objet du recours 

1        La présente affaire a pour objet une demande d’annulation de la lettre de la Commission européenne COMP/E3/ΟΝ/AB/ark *2014/61460, du 12 juin 2014 (ci-après l’« acte attaqué »), dans laquelle la Commission a rejeté des plaintes de la requérante, Dimosia Epicheirisi Ilektrismou AE (DEI), en matière d’aides d’État.

 Faits, procédure et conclusions des parties

2        En date du 15 juin 2012, la requérante a déposé une plainte auprès de la Commission (ci-après la « plainte de 2012 »).

3        Dans la plainte de 2012, la requérante a soutenu que la décision n° 346/2012 de l’autorité de régulation de l’énergie grecque (ci-après la « RAE »), par laquelle a été fixé, à titre provisoire, le tarif de l’électricité qu’elle fournit à la société Alouminion dans l’attente de la résolution du litige l’opposant à Alouminion à cet égard, la contraignait à fournir de l’électricité à Alouminion à un prix en deçà des prix du marché, de sorte qu’était octroyée à Alouminion une aide d’État illégale.

4        En date du 5 juillet 2012 et du 6 février 2013, des réunions ont eu lieu entre la requérante et les services compétents de la Commission.

5        Par lettres du 9 octobre 2012 et du 15 novembre 2012, la requérante a communiqué à la Commission les raisons de sa plainte de 2012.

6        Par lettre du 8 mai 2013, la Commission a informé la requérante de son appréciation préliminaire selon laquelle il n’y avait pas lieu de donner suite à la plainte de 2012 au motif, notamment, que la tarification fixée par la RAE était temporaire et qu’elle devait être rapidement remplacée, avec effet rétroactif, par la tarification de l’électricité déterminée par le tribunal arbitral institué par la requérante et par Alouminion (ci-après le « tribunal arbitral ») et que la décision du tribunal arbitral ne serait pas imputable à l’État.

7        Par courrier du 12 juin 2013, la requérante a répondu à la lettre de la Commission du 8 mai 2013, en réfutant en détail l’appréciation préliminaire de la Commission et en communiquant des informations et une analyse supplémentaires à l’appui de sa plainte de 2012.

8        En date du 31 octobre 2013, le tribunal arbitral a adopté la décision n° 1/2013 (ci-après la « sentence arbitrale »).

9        Pour compléter et mettre à jour la plainte de 2012, la requérante a, en date du 23 décembre 2013, déposé une nouvelle plainte auprès de la Commission (ci-après la « plainte de 2013 »).

10      Dans la plainte de 2013, la requérante a soutenu que la sentence arbitrale était constitutive d’une aide d’État, en ce qu’elle avait fixé, rétroactivement, le tarif de l’électricité fournie par la requérante à Alouminion pour la période allant du 1er juillet 2013 au 31 décembre 2013 à un niveau encore inférieur à celui qui avait provisoirement été fixé par la RAE.

11      Par lettre datée du 31 janvier 2014, la requérante a demandé à la Commission, d’une part, d’émettre une injonction de suspension de l’exécution de la sentence arbitrale ainsi que de l’instruction d’une plainte d’Alouminion déposée le 18 décembre 2013 devant l’autorité de la concurrence hellénique et, d’autre part, de se rapprocher de ladite autorité afin de discuter de la plainte d’Alouminion.

12      Le 31 janvier 2014, la Commission a fait état de la plainte de 2013 aux autorités helléniques, en les invitant à lui soumettre leurs observations quant à l’existence alléguée d’une aide d’État.

13      Le 25 mars 2014, la Commission a répondu à la lettre de la requérante du 31 janvier 2014 en rejetant ses demandes de suspension, mais en acceptant la proposition de réunion, après toutefois la présentation par les autorités helléniques de leurs observations sur la plainte.

14      Par lettre du 14 avril 2014, les autorités helléniques ont soumis leurs observations sur la plainte de 2013 à la Commission, en faisant valoir, en substance, qu’aucune aide d’État n’avait été octroyée en l’espèce.

15      Le 6 mai 2014, la Commission a communiqué à la requérante les observations des autorités helléniques sur la plainte de 2013 ainsi que sa propre appréciation préliminaire, selon laquelle il n’y avait pas lieu de poursuivre l’examen de la plainte de 2013 dans la mesure où la sentence arbitrale ne constituait pas une mesure imputable à l’État et qu’elle ne procurait aucun avantage à Alouminion.

16      Le 20 mai 2014, la requérante a répondu à la lettre de la Commission du 25 mars 2014 en en réfutant le contenu et en maintenant ses prétentions.

17      Par lettre du 6 juin 2014 transmise par courriel, la requérante a répondu à la lettre de la Commission du 6 mai 2014, en réfutant l’appréciation préliminaire de celle-ci et en présentant des informations et observations complémentaires à l’appui de la plainte de 2013.

18      Par l’acte attaqué, la Commission a informé la requérante de ce qui suit :

« Pour ce qui est de vos allégations selon lesquelles le tarif fixé par le tribunal arbitral est inférieur aux coûts de [DEI], nous relevons que vos arguments sur la méthodologie des coûts [ne sont] pas compatibles avec ceux des autorités grecques, de [la] RAE et du tribunal arbitral dans la sentence arbitrale. En effet, le tribunal arbitral avait pour mandat spécifique de fixer un tarif couvrant les coûts de [DEI] et [DEI] a eu l’opportunité de faire valoir ses arguments dans ce contexte. La sentence arbitrale reconnaît explicitement que le tarif en question couvre les coûts de [DEI] en sus d’un profit raisonnable, tout en prenant en compte le profil de consommation d’Alouminion. Par conséquent, les services de la DG ʻConcurrenceʼ réitèrent la position qu’elle a exprimée dans la lettre du 6 mai 2014 sur l’inexistence d’un avantage sélectif découlant de la mesure en question, dès lors que vous n’avez pas communiqué de preuve suffisante pour remettre en cause cette position.

À la lumière de ce qui précède, les services de la DG ʻConcurrenceʼ ont conclu que les informations contenues dans votre lettre du 6 juin ne fourniss[aient] aucune preuve remettant en cause notre appréciation préliminaire dans notre lettre du 6 mai 2014. Nous prenons également note de ce que vous ne nous fournissez aucune information complémentaire ou nouvelle qui démontrerait l’existence d’une violation du droit des aides d’État.

Par conséquent, les services de la DG ʻConcurrenceʼ ont conclu que cette information [n’était] pas suffisante pour justifier une nouvelle instruction de votre plainte. »

19      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 août 2014, la requérante a demandé l’annulation de l’acte attaqué.

20      Par courrier du 7 octobre 2014 adressé au greffe du Tribunal, la requérante et la Commission ont sollicité conjointement, au titre de l’article 77, sous c), du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991, une suspension de la procédure pendante pour une période de six mois, soit jusqu’au 7 avril 2015, aux fins de donner à la Commission la possibilité de réexaminer les questions soulevées dans la requête.

21      Il a été fait droit à cette demande par ordonnance du président de la quatrième chambre du Tribunal du 24 octobre 2014.

22      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 19 décembre 2014, Alouminion tis Ellados AE (ci-après « AtE ») a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

23      La Commission et la requérante ont présenté, respectivement les 4 et 5 mai 2015, leurs observations sur la demande en intervention d’AtE.

24      Dans la requête, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’acte attaqué ;

–        condamner la Commission aux dépens.

 Faits et procédure postérieurs à la formation du recours

25      Par la décision C (2015) 1942 final, du 25 mars 2015, concernant l’aide d’État SA.38101 (2015/NN) (ex 2013/CP) alléguée par la République hellénique en faveur d’Alouminion SA sous la forme de tarifs d’électricité inférieurs aux coûts à la suite d’une sentence arbitrale (ci-après la « décision du 25 mars 2015 »), la Commission a, considérant que ladite décision reflétait sa position finale dans cette présente affaire, remplacé l’acte attaqué.

26      Dans la décision du 25 mars 2015, la Commission a précisé ce qui suit :

« (12)      Dans la plainte dans la présente affaire, le plaignant fait également référence à [la plainte de 2012]. Dans cette plainte, il est allégué que la décision n° 346/2012 de la RAE, qui a fixé un tarif provisoire de l’électricité fournie à Alouminion jusqu’à ce que le différend entre ces deux parties portant sur ledit tarif soit résolu, a obligé DEI à fournir de l’électricité à Alouminion en deçà du prix du marché et, par conséquent, à octroyer une aide d’État à Alouminion. Cependant, dès lors que la sentence arbitrale a intégralement et rétroactivement remplacé le tarif provisoire fixé par la RAE, la Commission considère que la plainte [de 2012] est devenue sans objet. »

27      Par lettre du 27 avril 2015 adressée au greffe du Tribunal, la Commission a demandé au Tribunal de constater, en application de l’article 113 du règlement de procédure du 2 mai 1991, que, à la suite de la décision du 25 mars 2015, le recours dans la présente affaire était devenu sans objet et qu’il n’y avait plus lieu de statuer.

28      La requérante a été invitée le 13 mai 2015 à soumettre ses observations sur la demande de non-lieu à statuer de la Commission.

29      En des termes identiques à ceux de sa lettre du 27 avril 2015, la Commission a confirmé sa demande de non-lieu à statuer par lettre adressée au Tribunal le 19 juin 2015.

30      La requérante a soumis au Tribunal ses observations sur la demande de non-lieu à statuer de la Commission par courrier du 3 juillet 2015.

31      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 juin 2015, la requérante a demandé l’annulation de la décision du 25 mars 2015 (affaire T‑352/15, DEI/Commission).

 En droit

32      En vertu de l’article 130, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, une partie peut demander au Tribunal de constater que le recours est devenu sans objet et qu’il n’y a plus lieu de statuer. En application de l’article 130, paragraphe 6, dudit règlement, le Tribunal peut décider d’ouvrir la phase orale de la procédure.

33      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide de statuer sans ouvrir la phase orale de la procédure.

34      À cet égard, d’une part, il convient de rappeler que, s’agissant de l’intérêt à agir, ce dernier doit, au vu de l’objet du recours, perdurer jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle, sous peine de non-lieu à statuer, ce qui suppose que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir, en ce sens, arrêt du 20 juin 2013, Cañas/Commission, C‑269/12 P, EU:C:2013:415, point 15).

35      D’autre part, si, dans le cadre d’un recours en annulation, l’objet du recours disparaît au cours de la procédure, le Tribunal ne peut pas se prononcer sur le fond, dès lors qu’une telle décision de sa part ne saurait procurer aucun bénéfice au requérant. La disparition de l’objet du litige peut notamment provenir du retrait ou du remplacement de l’acte attaqué en cours d’instance (voir ordonnance du 12 janvier 2011, Terezakis/Commission, T‑411/09, Rec, EU:T:2011:4, points 14 et 15 et jurisprudence citée).

36      Or, en l’espèce, il y a lieu de relever que la décision du 25 mars 2015 a formellement remplacé l’acte attaqué, de sorte que, au jour auquel le Tribunal statue dans la présente affaire, l’acte attaqué n’appartient plus à l’ordonnancement juridique de l’Union européenne, en ce qu’il a été abrogé à compter de la décision du 25 mars 2015 (voir, en ce sens, ordonnance Terezakis/Commission, point 35 supra, EU:T:2011:4, point 16 et jurisprudence citée).

37      Partant, force est de constater que, au jour auquel le Tribunal statue dans la présente affaire, le litige est devenu sans objet, de sorte qu’il n’y a plus lieu de statuer sur ledit litige.

38      Cette appréciation ne saurait être remise en cause par les arguments que la requérante fait valoir dans ses observations sur la demande de non-lieu à statuer de la Commission.

39      Dans les observations susvisées, en premier lieu, la requérante soutient que, en ce que la Commission prétend, dans la décision du 25 mars 2015, avoir « remplacé » l’acte attaqué, ladite décision est nulle pour violation d’une formalité substantielle, ainsi qu’elle le fait valoir dans sa requête dans l’affaire T‑352/15, de sorte que le recours dans la présente affaire conserve son objet pour ce qui est de la plainte de 2013.

40      Pour rejeter cet argument, il suffit de rappeler que les actes des institutions, même irréguliers, jouissent en principe d’une présomption de validité et produisent, dès lors, des effets juridiques aussi longtemps qu’ils n’ont pas été retirés, annulés dans le cadre d’un recours en annulation ou déclarés invalides à la suite d’un renvoi préjudiciel ou d’une exception d’illégalité (arrêt du 22 mars 2011, Lettonie/Commission, T‑369/07, Rec, EU:T:2011:103, point 61).

41      Dès lors, le Tribunal ne saurait, dans la présente affaire, se prononcer sur la légalité de la décision du 25 mars 2015, laquelle fait en tout état de cause l’objet d’un recours en annulation dans l’affaire T‑352/15.

42      En deuxième lieu, la requérante prétend que, en tout état de cause, elle conserverait un intérêt à agir quand bien même il était considéré que l’acte attaqué avait cessé d’être en vigueur, dès lors que l’illégalité alléguée serait susceptible de se reproduire à l’avenir indépendamment des circonstances de la présente affaire, notamment pour que l’illégalité alléguée ne se reproduise pas à l’avenir dans le cadre d’une procédure analogue à celle de l’espèce.

43      Elle affirme à cet effet que le motif tiré, dans l’acte attaqué, d’un défaut d’origine étatique de la sentence arbitrale n’est pas repris dans la décision du 25 mars 2015.

44      Or, pour rejeter cet argument, il suffit de constater qu’il manque en fait.

45      En effet, l’acte attaqué est exclusivement motivé par l’absence d’avantage sélectif et ne fait aucunement référence à la question de l’origine étatique d’une éventuelle aide constituée par la sentence arbitrale.

46      En tout état de cause, quelle que soit, selon la requérante, l’illégalité alléguée, susceptible de se reproduire à l’avenir indépendamment des circonstances de la présente affaire, force est de constater que, en ce que l’acte attaqué a rejeté la plainte de 2013 au motif que la requérante n’avait pas apporté la preuve de l’existence d’une violation des règles en matière d’aides d’État, cette question fera nécessairement l’objet de l’appréciation du recours en annulation formé contre la décision du 25 mars 2015 dans l’affaire T‑352/15.

47      Partant, la requérante ne saurait avoir, sur ce fondement, un intérêt à l’annulation de l’acte attaqué.

48      En troisième lieu, la requérante fait valoir, pour ce qui est de la plainte de 2012, que l’appréciation du bien-fondé de la demande de la Commission visant à prononcer le non-lieu à statuer dans la présente affaire dépend de la question de savoir si, par la décision du 25 mars 2015, la Commission a rejeté ladite plainte expressément ou implicitement, par référence à son rejet tacite dans l’acte attaqué.

49      Dans la première hypothèse, c’est-à-dire si le Tribunal en venait à juger, dans l’affaire T‑352/15, que la décision du 25 mars 2015 a rejeté expressément la plainte de 2012, la requérante affirme que la demande de non-lieu à statuer de la Commission est bien fondée.

50      Dans la seconde hypothèse, c’est-à-dire si le Tribunal en venait à juger, dans l’affaire T‑352/15, que la décision du 25 mars 2015 n’a pas rejeté expressément la plainte de 2012, la requérante affirme que la demande de non-lieu à statuer de la Commission est non fondée.

51      Cette argumentation ne saurait non plus valoir, dès lors que la Commission a, en constatant, dans la décision du 25 mars 2015, que la mesure en cause ne constituait pas une aide d’État, implicitement rejeté la plainte de 2012.

52      Par conséquent, dans la présente affaire, il n’y a plus lieu de statuer sur le recours.

53      Partant, il n'y a plus lieu non plus de statuer sur la demande en intervention d'Alouminion.

 Sur les dépens

54      Aux termes de l’article 137 du règlement de procédure, en cas de non-lieu à statuer, le Tribunal règle librement les dépens. En l’espèce, il convient de décider que chaque partie supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

ordonne :

1)      Il n’y a plus lieu de statuer sur le présent recours.

2)      Il n’y a plus lieu de statuer sur la demande en intervention d’Alouminion tis Ellados AE.

3)      Chaque partie supportera ses propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 9 février 2016.

Le greffier

 

      Le président

E.  Coulon

 

      M. Prek


* Langue de procédure : le grec.