Language of document : ECLI:EU:T:2022:188

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

30 mars 2022 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Maintien du nom du requérant sur la liste – Obligation du Conseil de vérifier que la décision d’une autorité d’un État tiers a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective »

Dans l’affaire T‑292/20,

Oleksandr Viktorovych Yanukovych, demeurant à Saint-Pétersbourg (Russie), représenté par M. M. Anderson, solicitor, Mme E. Dean et M. J. Marjason-Stamp, barristers,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mmes T. Haas, P. Mahnič, S. Van Overmeire et M. A. Boggio-Tomasaz, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision (PESC) 2020/373 du Conseil, du 5 mars 2020, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2020, L 71, p. 10), et du règlement d’exécution (UE) 2020/370 du Conseil, du 5 mars 2020, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2020, L 71, p. 1), dans la mesure où ces actes maintiennent le nom du requérant sur la liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. D. Spielmann, président, R. Mastroianni (rapporteur) et Mme M. Brkan, juges,

greffier : Mme M. Zwozdziak, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 12 octobre 2021,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La présente affaire s’inscrit dans le cadre du contentieux lié aux mesures restrictives adoptées à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, à la suite de la répression des manifestations de la place de l’Indépendance à Kiev (Ukraine) en février 2014.

2        Le requérant, M. Oleksandr Viktorovych Yanukovych, est un homme d’affaires, fils de l’ancien président de l’Ukraine, M. Viktor Fedorovych Yanukovych.

3        Le 5 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2014/119/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 26), et, à la même date, il a adopté le règlement (UE) no 208/2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2014 »).

4        Les considérants 1 et 2 de la décision 2014/119 précisent ce qui suit :

« (1)      Le 20 février 2014, le Conseil a condamné dans les termes les plus fermes tout recours à la violence en Ukraine. Il a demandé l’arrêt immédiat de la violence en Ukraine et le plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il a demandé au gouvernement ukrainien de faire preuve d’une extrême retenue et aux responsables de l’opposition de se désolidariser de ceux qui mènent des actions extrêmes, et notamment recourent à la violence.

(2)      Le 3 mars 2014, le Conseil [est] convenu d’axer les mesures restrictives sur le gel et la récupération des avoirs des personnes identifiées comme étant responsables du détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien, et des personnes responsables de violations des droits de l’homme, en vue de renforcer et de soutenir l’[É]tat de droit et le respect des droits de l’homme en Ukraine. »

5        L’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/119 dispose ce qui suit :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et à des personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’à des personnes physiques ou morales, à des entités ou à des organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

2.      Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

6        Les modalités de ce gel des fonds sont définies à l’article 1er, paragraphes 3 à 6, de la décision 2014/119.

7        Conformément à la décision 2014/119, le règlement no 208/2014 impose l’adoption des mesures de gel de fonds et de ressources prévues par cette décision (ci-après les « mesures restrictives en cause ») et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de ladite décision.

8        Les noms des personnes visées par les actes de mars 2014 sont inscrits sur la liste figurant à l’annexe de la décision 2014/119 et à l’annexe I du règlement no 208/2014 (ci-après la « liste ») avec, notamment, la motivation de leur inscription.

9        Le nom du requérant apparaissait sur la liste, avec les informations d’identification « fils de l’ex-président [Yanukovych] ; homme d’affaires » et la motivation suivante :

« Personne faisant l’objet d’une enquête en Ukraine pour participation à des infractions liées au détournement de fonds publics ukrainiens et à leur transfert illégal hors d’Ukraine. »

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 mai 2014, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑348/14, ayant pour objet notamment une demande d’annulation des actes de mars 2014 en ce qu’ils le visaient.

11      Le 29 janvier 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/143, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 24, p. 16), et le règlement (UE) 2015/138, modifiant le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 24, p. 1).

12      La décision 2015/143 a modifié, à partir du 31 janvier 2015, les critères d’inscription des noms des personnes visées par le gel des fonds, le texte de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119 étant remplacé par le texte suivant :

« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes ayant été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et aux personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’aux personnes physiques ou morales, aux entités ou aux organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

Aux fins de la présente décision, les personnes identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien incluent des personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes : 

a)      pour détournement de fonds ou d’avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel détournement ; ou

b)      pour abus de pouvoir en qualité de titulaire de charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour les fonds ou avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel abus. »

13      Le règlement 2015/138 a modifié de façon similaire le règlement no 208/2014.

14      Le 5 mars 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/364, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 62, p. 25), et le règlement d’exécution (UE) 2015/357, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 62, p. 1) (ci‑après, pris ensemble, les « actes de mars 2015 »). La décision 2015/364 a, d’une part, remplacé l’article 5 de la décision 2014/119, en prorogeant l’application des mesures restrictives en cause, en ce qui concernait le requérant, jusqu’au 6 mars 2016, et, d’autre part, remplacé l’annexe de cette dernière décision. Le règlement d’exécution 2015/357 a remplacé en conséquence l’annexe I du règlement no 208/2014.

15      Par les actes de mars 2015, le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec les informations d’identification « fils de l’ancien président, homme d’affaires » et la nouvelle motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics. »

16      Le 8 avril 2015, le requérant a adapté ses conclusions dans le cadre de l’affaire T‑348/14, conformément à l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, de sorte que celles-ci ont également visé à l’annulation de la décision 2015/143, du règlement 2015/138 ainsi que des actes de mars 2015 en tant que l’ensemble de ces actes le concernaient.

17      Le 4 mars 2016, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2016/318, modifiant la décision 2014/119 (JO 2016, L 60, p. 76), et le règlement d’exécution (UE) 2016/311, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2016, L 60, p. 1) (ci‑après, pris ensemble, les « actes de mars 2016 »).

18      Par les actes de mars 2016, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée, y compris à l’égard du requérant, jusqu’au 6 mars 2017, et ce sans que la motivation de la désignation de celui-ci ait été modifiée par rapport à celle issue des actes de mars 2015.

19      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 mai 2016, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑245/16, tendant à l’annulation des actes de mars 2016 en ce qu’ils le visaient.

20      Par arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil (T‑348/14, EU:T:2016:508), le Tribunal a annulé les actes de mars 2014 en ce qu’ils visaient le requérant et rejeté la demande d’annulation contenue dans l’adaptation de la requête (voir point 16 ci-dessus).

21      Le 23 novembre 2016, le requérant a formé un pourvoi devant la Cour, enregistré sous le numéro d’affaire C‑599/16 P, contre l’arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil (T‑348/14, EU:T:2016:508).

22      Le 3 mars 2017, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2017/381, modifiant la décision 2014/119 (JO 2017, L 58, p. 34), et le règlement d’exécution (UE) 2017/374, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2017, L 58, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2017 »).

23      Par les actes de mars 2017, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée, y compris à l’égard du requérant, jusqu’au 6 mars 2018, et ce sans que la motivation de la désignation de celui-ci ait été modifiée par rapport à celle issue des actes de mars 2015.

24      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 mai 2017, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑286/17, tendant à l’annulation des actes de mars 2017 en ce qu’ils le visaient.

25      Par arrêt du 19 octobre 2017, Yanukovych/Conseil (C‑599/16 P, non publié, EU:C:2017:785), la Cour a rejeté le pourvoi du requérant visant à obtenir l’annulation partielle de l’arrêt du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil (T‑348/14, EU:T:2016:508).

26      Le 5 mars 2018, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2018/333, modifiant la décision 2014/119 (JO 2018, L 63, p. 48), et le règlement d’exécution (UE) 2018/326, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2018, L 63 p. 5) (ci‑après, pris ensemble, les « actes de mars 2018 »).

27      Par les actes de mars 2018, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée, y compris à l’égard du requérant, jusqu’au 6 mars 2019 et le nom de celui-ci a été maintenu sur la liste, avec les informations d’identification « fils de l’ancien président, homme d’affaires » et la nouvelle motivation suivante :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics et pour complicité dans un tel détournement. »

28      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 mai 2018, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑301/18, tendant à l’annulation des actes de mars 2018 en ce qu’ils le visaient.

29      Le 4 mars 2019, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2019/354, modifiant la décision 2014/119 (JO 2019, L 64, p. 7), et le règlement d’exécution (UE) 2019/352, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2019, L 64, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2019 »).

30      Par les actes de mars 2019, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée à l’égard du requérant jusqu’au 6 mars 2020 et le nom de celui-ci a été maintenu sur la liste, avec la même motivation que celle rappelée au point 27 ci-dessus, assortie d’une précision concernant le respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’était fondé.

31      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 mai 2019, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑302/19, tendant à l’annulation des actes de mars 2019 en ce qu’ils le visaient.

32      Par arrêt du 11 juillet 2019, Yanukovych/Conseil (T‑245/16 et T‑286/17, non publié, EU:T:2019:505), le Tribunal a annulé les actes de mars 2016 et de mars 2017 en ce qu’ils visaient le requérant.

33      Par arrêt du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil (T‑301/18, non publié, EU:T:2019:676), le Tribunal a annulé les actes de mars 2018 en ce qu’ils visaient le requérant.

34      Entre les mois de novembre 2019 et de janvier 2020, le Conseil et le requérant ont échangé plusieurs courriers au sujet de la possible prorogation des mesures restrictives en cause à l’égard de ce dernier. En particulier, le Conseil a transmis au requérant plusieurs lettres du bureau du procureur général d’Ukraine (ci-après le « BPG ») concernant, notamment, les procédures pénales dont il faisait l’objet et sur lesquelles le Conseil se fondait pour envisager ladite prorogation.

35      Le 5 mars 2020, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2020/373, modifiant la décision 2014/119 (JO 2020, L 71, p. 10), et le règlement d’exécution (UE) 2020/370, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2020, L 71, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »).

36      Par les actes attaqués, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée jusqu’au 6 mars 2021 et le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec la même motivation que celle rappelée au point 27 ci-dessus. Par ailleurs, l’annexe de la décision 2014/119 et l’annexe I du règlement no 208/2014 ont été subdivisées en deux sections, dont la seconde a été intitulée « Droits de la défense et droit à une protection juridictionnelle effective ». Dans cette section figure, s’agissant du requérant, la mention suivante :

« La procédure pénale relative au détournement de fonds ou d’avoirs publics est toujours en cours. Il ressort des informations figurant dans le dossier du Conseil que les droits de la défense de M. Yanukovych et son droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’est fondé. En témoignent notamment un certain nombre de décisions de justice portant sur les saisies de biens, ainsi que la décision du juge d’instruction du 27 juin 2018 annulant la décision du bureau du procureur refusant de faire droit à la demande de clôture de l’enquête introduite par la défense. »

37      Par courrier du 6 mars 2020, le Conseil a informé le requérant du maintien des mesures restrictives en cause à son égard. Il a répondu aux observations du requérant formulées dans ses correspondances des 30 octobre et 18 décembre 2019 ainsi que des 23 et 31 janvier 2020 et lui a transmis les actes attaqués. En outre, il lui a indiqué le délai pour présenter des observations avant l’adoption d’une décision concernant l’éventuel maintien de son nom sur la liste.

 Fait postérieur à l’introduction du recours

38      Par arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil (T‑302/19, non publié, EU:T:2021:333), le Tribunal a annulé les actes de mars 2019 en ce qu’ils visaient le requérant.

 Procédure et conclusions des parties

39      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 mai 2020, le requérant a introduit un recours en annulation contre les actes attaqués.

40      Le 17 septembre 2020, le Conseil a déposé le mémoire en défense.

41      La réplique a été déposée au greffe du Tribunal le 6 novembre 2020.

42      La duplique a été déposée au greffe du Tribunal le 22 décembre 2020. À cette même date, la phase écrite de la procédure a été close.

43      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 11 janvier 2021, le requérant a demandé la tenue d’une audience de plaidoiries.

44      Un membre de la cinquième chambre ayant été empêché de siéger, le président du Tribunal a désigné un autre juge pour compléter la chambre.

45      Le 3 août 2021, le Conseil a présenté une demande motivée, conformément à l’article 66 du règlement de procédure du Tribunal, visant à obtenir que le contenu de certains documents annexés à la requête et au mémoire en défense ainsi que de certains passages du mémoire en défense ne soit pas cité dans les documents afférents à cette affaire auxquels le public a accès.

46      Par décision du président de la cinquième chambre du Tribunal du 9 août 2021, la présente affaire a été jointe à l’affaire T‑291/20, Yanukovych/Conseil, aux fins de la phase orale de la procédure, sur le fondement l’article 68 du règlement de procédure, les parties ayant été entendues à cet égard.

47      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.

48      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 12 octobre 2021, qui, à la demande du Conseil, le requérant entendu, s’est déroulée partiellement à huis clos.

49      Lors de l’audience, le requérant a présenté des observations sur le rapport d’audience, dont il a été pris acte au procès-verbal d’audience.

50      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués en ce qu’ils le visent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

51      À la suite des précisions fournies lors de l’audience, en réponse à une question du Tribunal, le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

52      À l’appui du recours, le requérant invoque sept moyens, tirés, le premier et le deuxième, présentés conjointement, du non-respect des critères d’inscription sur la liste et d’une erreur manifeste d’appréciation, le troisième, d’un défaut de motivation, le quatrième, de la violation des droits de la défense et du droit à un recours effectif, le cinquième, de l’absence de base juridique, le sixième, d’un détournement de pouvoir et, le septième, de la violation du droit de propriété.

53      Tout d’abord, il convient d’examiner ensemble les premier et deuxième moyens, en ce qu’il est reproché au Conseil de ne pas avoir bien vérifié le respect, par les autorités ukrainiennes, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant, dont il résulterait une erreur manifeste d’appréciation commise lors de l’adoption des actes attaqués.

54      Dans le cadre de ces moyens, premièrement, le requérant rappelle que le contrôle du juge de l’Union européenne s’étend, en principe, à l’appréciation des faits et des circonstances invoqués par le Conseil pour justifier le maintien de son nom sur la liste, de même qu’à la vérification des éléments de preuve et d’information sur lesquels s’est fondé celui-ci. Il ajoute que, dans le cadre de l’appréciation de la base factuelle suffisamment solide sur laquelle repose un tel maintien, le juge de l’Union doit vérifier que le Conseil se soit assuré du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective lors de l’adoption de la décision des autorités de l’État tiers sur laquelle il entend se fonder.

55      Deuxièmement, le requérant fait valoir que les attestations du BPG sur lesquelles le Conseil s’est appuyé pour l’adoption des actes attaqués ne lui fournissaient pas une base factuelle suffisamment solide pour étayer l’inscription de son nom sur la liste, ces documents étant totalement inadéquats, incohérents, dénués de fondement ou faux. En vertu d’une jurisprudence bien établie, compte tenu du climat de persécution politique, de l’absence d’indépendance du système judiciaire ainsi que des incohérences graves figurant dans les accusations à l’encontre du requérant, le Conseil aurait dû demander des éclaircissements aux autorités ukrainiennes et procéder à une vérification indépendante des faits allégués.

56      Tout en précisant qu’il ressort de la lettre du Conseil du 6 mars 2020 ainsi que des actes attaqués que, lors de l’adoption de ceux-ci, le Conseil s’est fondé uniquement sur la procédure pénale no[confidentiel](1) (ci-après la « procédure [confidentiel] »), [confidentiel], le requérant fait valoir, en substance, que le Conseil a commis des erreurs manifestes d’appréciation, d’une part, en décidant que l’enquête préliminaire le concernant constituait une base factuelle suffisante pour justifier le maintien de son nom sur la liste et, d’autre part, en ne s’assurant pas du respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective. Ainsi, les éléments factuels et les décisions des autorités ukrainiennes invoqués par le Conseil ne permettraient pas de démontrer le respect desdits droits et donc de justifier le maintien des mesures restrictives en cause.

57      Selon le requérant, les faits allégués dans le cadre de la procédure [confidentiel] ne peuvent pas être qualifiés de détournement de fonds publics. En effet, premièrement, il ne serait pas un agent public et n’aurait jamais été chargé de la gestion de fonds ou d’avoirs de la société A. W. PJSC, deuxièmement, il n’exercerait aucun contrôle sur cette société, troisièmement, le BPG n’aurait pas démontré la commission des infractions qui lui sont reprochées et, quatrièmement, les accusations formulées à son égard seraient entachées d’irrégularités au regard du droit ukrainien. Par ailleurs, l’enquête en cause aurait été suspendue pour la trente-cinquième fois le 14 mars 2017 et n’aurait pas été réactivée depuis cette date, aucun progrès significatif n’aurait été réalisé depuis le début de celle-ci et une autorité judiciaire ukrainienne aurait annulé le refus du BPG de clore cette enquête pour insuffisance de preuves.

58      À cet égard, le requérant souligne que l’explication du BPG selon laquelle l’enquête est suspendue « en raison de la recherche du suspect » est fausse et a déjà été rejetée par le juge d’instruction du tribunal de Petchersk à Kiev, dans le cadre de la procédure pénale no[confidentiel] (ci-après la « procédure [confidentiel] »), [confidentiel], qui a conclu que l’endroit où le requérant se trouvait en Russie était connu. Par ailleurs, bien que cette enquête ait été suspendue et réactivée pas moins de trente-cinq fois, souvent le même jour, et toujours pour la même raison susmentionnée, le Conseil se serait toujours contenté des explications lacunaires du BPG, sans chercher à obtenir des éclaircissements supplémentaires. Le BPG n’aurait jamais déposé de demande auprès d’un tribunal ukrainien visant à effectuer une enquête préliminaire en l’absence du requérant, bien que le régime ukrainien ait promulgué une législation précisément à cette fin. Une décision du juge d’instruction du tribunal de Petchersk en date du 9 septembre 2020, annulant une précédente suspension de l’enquête, confirmerait que les localisations du requérant étaient connues et qu’il n’y avait pas de motifs pour inscrire son nom sur la liste des personnes recherchées.

59      Le seul véritable progrès qui aurait eu lieu après l’adoption des actes de mars 2019 a été la mise à disposition de la version intégrale de la décision du 27 juin 2018, qui, en soi, ne démontrerait d’ailleurs pas que la procédure est réellement en cours. À ce propos, le requérant fait valoir, premièrement, que le BPG n’a pas réexaminé son refus de mettre fin à l’enquête préliminaire qui avait été annulé par cette décision et, deuxièmement, que les raisons que celui-ci avait invoquées pour se justifier, à savoir qu’il n’avait pas encore reçu la version intégrale de la décision du 27 juin 2018, n’étaient pas fondées. En effet, le BPG aurait reçu une copie de cette décision de la part du requérant et il ressortirait d’un document du tribunal de Petchersk, versé au dossier par le requérant, que le procureur avait reçu ce document en mains propres  dans les locaux dudit tribunal. Bien que le Conseil ait été informé de ces circonstances, il se serait contenté d’entériner les explications qui lui avaient été fournies par le BPG.

60      Le requérant reproche enfin au Conseil d’avoir négligé les informations qu’il lui aurait fournies concernant l’absence absolue de progrès de l’enquête préliminaire en cause depuis son transfert, le 18 novembre 2019, au département de la police nationale ukrainienne, ce qui confirmerait que la procédure [confidentiel] est complètement bloquée sans perspective de progrès supplémentaires. 

61      S’agissant des décisions de justice relatives à des saisies de biens lui appartenant, le requérant fait valoir, d’une part, qu’elles sont de nature procédurale et qu’elles ont été rendues bien avant l’adoption des actes attaqués et, d’autre part, qu’elles n’ont pas été examinées par le Conseil, qui n’en disposait pas, et ce nonobstant le fait qu’il ait fait valoir qu’elles étaient illégales, en ce que l’avis de suspicion ne lui aurait pas été notifié régulièrement. Ainsi, de telles décisions ne sauraient être invoquées pour démontrer que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective du requérant ont été respectés avant que les actes attaqués n’aient été adoptés.

62      Troisièmement, le requérant reproche au Conseil de ne pas avoir pris en compte certains arguments et certains éléments de preuve qui avaient été avancés avant l’adoption  des actes attaqués. Tout d’abord, il fait grief au Conseil de ne pas avoir pris en considération l’absence totale d’indépendance du BPG, qui, par ailleurs, aurait tenté, notamment, de soudoyer certaines personnes pour qu’elles fournissent de faux témoignages contre lui, ou de faire adopter des amendements au code de procédure pénale visant expressément sa situation.

63      Ensuite, le requérant soutient que le système judiciaire ukrainien n’est ni indépendant ni impartial. À cet égard, le requérant s’appuie, notamment, sur cinq rapports actualisés d’un expert indépendant sur un rapport de 2017 du Groupe d’États contre la corruption (GRECO), l’organisme de surveillance de la lutte contre la corruption du Conseil de l’Europe, sur la situation en Ukraine ainsi que sur le rapport du haut-commissaire des Nations unies chargé de la mission d’observation des droits de l’homme en Ukraine concernant la période comprise entre le 16 mai et le 15 août 2018 et sur le rapport sur les droits de l’homme en Ukraine du ministère des Affaires étrangères des États-Unis du 11 mars 2020.  Par ailleurs, plusieurs violations de ses droits procéduraux et fondamentaux auraient été commises dans le cadre d’autres procédures qui ont été intentées contre son père, ce qui compromettrait la fiabilité et la crédibilité de toutes les accusations et informations se rapportant au détournement de fonds publics, qui auraient été formulées et fournies à des fins purement politiques. De même, la présomption d’innocence du requérant serait constamment violée par des déclarations publiques et condamnatoires effectuées pas des hauts fonctionnaires ukrainiens.

64      En premier lieu, le Conseil soutient qu’il est en droit de se fonder sur des informations fournies par le BPG dans le cadre de l’exercice du large pouvoir d’appréciation dont il jouit en matière de politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Ainsi, premièrement, il considère que le maintien du nom du requérant sur la liste sur la base des informations contenues dans les lettres du BPG satisfait aux critères de désignation et repose sur une base factuelle suffisamment solide permettant d’établir que le requérant fait l’objet de procédures pénales en Ukraine.  Deuxièmement, il estime avoir tenu compte des observations du requérant et avoir demandé des clarifications supplémentaires aux autorités ukrainiennes, qui ont été régulièrement communiquées au requérant, lequel a pu s’exprimer sur leur contenu. Troisièmement, le Conseil rappelle qu’il ne lui incombe pas de vérifier le bien-fondé des enquêtes dont le requérant fait l’objet. Enfin, quatrièmement, s’agissant du respect des exigences de fond découlant de la jurisprudence récente de la Cour et du Tribunal, le Conseil indique que, contrairement à ce que prétend le requérant, les décisions judiciaires ukrainiennes, qui seraient au demeurant nécessaires au bon déroulement de l’enquête, peuvent être invoquées en tant qu’éléments de preuve permettant de démontrer le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant. Ainsi, la décision du 27 juin 2018 constituerait un bon exemple de respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant au cours de l’enquête préliminaire en cause.

65      Par ailleurs, le Conseil invoque les décisions portant sur des saisies de biens, qui, aux termes du code de procédure pénale, pourraient uniquement être prises par un juge d’instruction ou un tribunal au cours d’un procès visant une personne suspectée, accusée ou condamnée, lorsqu’il existe des raisons suffisantes de croire que ces biens sont liés à la commission d’une infraction pénale et lorsqu’il existe un motif raisonnable de soupçonner cette personne d’avoir commis une telle infraction pénale.

66      Le Conseil fait également valoir que, dans la mesure où il est en droit de se fonder sur des éléments de preuve fournis par le BPG, il est a fortiori en droit de se fonder sur des décisions de justice, rendues par des juridictions ukrainiennes conformément à un code de procédure pénale qui garantit le respect des droits de la défense, comme preuves du bon déroulement de cette procédure pénale sur laquelle il entend s’appuyer, y compris pour ce qui est du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective, conformément à la présomption de légalité des décisions juridictionnelles, qui ne saurait être infirmée par de simples allégations du requérant.

67      En deuxième lieu, s’agissant plus particulièrement de la procédure [confidentiel], le Conseil soutient que les informations provenant du BPG continuent de fournir une base adéquate pour maintenir le nom du requérant sur la liste. En outre, il ressortirait clairement des informations fournies par le BPG que l’enquête préliminaire dans le cadre de ladite procédure a été suspendue le 13 mars 2019 sur le fondement de l’article 280, paragraphe 1, sous 2), du code de procédure pénale, qui concerne la recherche du suspect, ce qui n’impliquerait nullement, par ailleurs, la clôture de celle-ci. Le Conseil aurait, en outre, sollicité des clarifications quant aux conséquences de la décision du 27 juin 2018 annulant la décision du BPG de ne pas faire droit à la demande de clôture de l’enquête introduite par la défense du requérant. Il estime que la réponse du BPG à cet égard, à savoir que ladite demande serait réexaminée, était raisonnable, dès lors qu’il n’était pas contesté que le juge d’instruction n’avait pas statué sur celle-ci. Il ne saurait donc être reproché au Conseil de ne pas avoir procédé aux vérifications concernant les décisions de justice les plus récentes.

68      De surcroît, le Conseil invoque la jurisprudence en vertu de laquelle les périodes pendant lesquelles le requérant est en fuite devraient être exclues du calcul de la période à prendre en considération pour apprécier le respect du principe du délai raisonnable au cours d’une enquête pénale. Il serait donc en droit de conclure que les retards dans l’enquête préliminaire en cause sont liés à l’absence prolongée du requérant d’Ukraine, si bien qu’aucune violation du droit de celui-ci de voir sa cause entendue dans un délai raisonnable ne saurait être établie.

69      En troisième lieu, s’agissant d’autres facteurs dont il aurait dû tenir compte, le Conseil estime que, eu égard à leur nature très générale, les arguments du requérant concernant de prétendues violations de droits fondamentaux dans le cadre d’autres procédures ne sauraient remettre en question les accusations concernant le détournement de fonds publics. En outre, il n’incomberait pas au Conseil d’évaluer les allégations d’ordre général concernant l’indépendance du BPG ou du pouvoir judiciaire ukrainien.

70      Enfin, dans la duplique, le Conseil conteste l’interprétation faite par le requérant de la jurisprudence du Tribunal concernant la légalité des actes de mars 2019. Selon lui, cette jurisprudence ne saurait être interprétée dans le sens qu’il ne faudrait pas tenir compte des décisions de procédure des juridictions ukrainiennes, en particulier lors de la vérification visant à déterminer si les autorités ukrainiennes avaient respecté les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective du requérant dans le cadre de l’enquête pénale en cours. En effet, les questions dont est saisi le Tribunal seraient, d’une part, celle de savoir si les conclusions du Conseil concernant le respect desdits droits reposaient sur une base factuelle suffisamment solide, y compris les éléments de preuve dont il disposait ou dont il aurait pu raisonnablement disposer au moment de l’adoption des actes attaqués, et, d’autre part, celle de savoir si les motifs indiqués pour justifier lesdites conclusions étaient pertinents et suffisants.

71      Ainsi, le Conseil estime, en définitive, qu’il a largement démontré pourquoi il n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en concluant, sur la base des éléments de preuve obtenus ainsi que par l’exercice proactif de son devoir de vérification, que les droits du requérant avaient été respectés par les juridictions ukrainiennes dans le cadre de la procédure [confidentiel] qui constitue le fondement de sa décision de maintenir le nom de celui-ci sur la liste.

72      À titre liminaire, il importe de relever que le deuxième moyen doit être considéré comme tiré d’une erreur d’appréciation, et non d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, le Conseil ne jouissait d’aucune marge d’appréciation pour déterminer s’il disposait d’éléments suffisants pour évaluer le respect, par les autorités ukrainiennes, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant et si ces éléments étaient de nature à susciter des doutes légitimes au regard du respect de ces droits (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑302/19, non publié, EU:T:2021:333, point 72 et jurisprudence citée).

73      Par ailleurs, il ressort d’une jurisprudence bien établie que, lors du contrôle de mesures restrictives, les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union, au rang desquels figurent, notamment, le droit à une protection juridictionnelle effective et les droits de la défense, tels que consacrés par les articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») (voir arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 64 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑302/19, non publié, EU:T:2021:333, point 73 et jurisprudence citée).

74      L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne sur une liste de personnes faisant l’objet de mesures restrictives, le juge de l’Union s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir ladite décision, sont étayés (voir arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 65 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑302/19, non publié, EU:T:2021:333, point 74 et jurisprudence citée).

75      L’adoption et le maintien de mesures restrictives, telles que celles prévues par les actes de mars 2014, tels que modifiés, prises à l’encontre d’une personne ayant été identifiée comme étant responsable d’un détournement de fonds appartenant à un État tiers reposent, en substance, sur la décision d’une autorité de celui-ci, compétente à cet égard, d’engager et de mener une procédure d’enquête pénale concernant cette personne et portant sur une infraction de détournement de fonds publics (voir arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 66 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑302/19, non publié, EU:T:2021:333, point 75 et jurisprudence citée).

76      Aussi, si, en vertu d’un critère d’inscription tel que celui rappelé au point 12 ci-dessus, le Conseil peut fonder des mesures restrictives sur la décision d’un État tiers, l’obligation, pesant sur cette institution, de respecter les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective implique qu’il doive s’assurer du respect desdits droits par les autorités de l’État tiers ayant adopté ladite décision (voir arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 67 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑302/19, non publié, EU:T:2021:333, point 76 et jurisprudence citée).

77      L’exigence de vérification, par le Conseil, du fait que les décisions des États tiers sur lesquelles il entend se fonder ont été prises dans le respect desdits droits vise à assurer que l’adoption ou le maintien des mesures de gel de fonds n’ait lieu que sur une base factuelle suffisamment solide et, de ce fait, à protéger les personnes ou les entités concernées. Ainsi, le Conseil ne saurait considérer que l’adoption ou le maintien de telles mesures repose sur une base factuelle suffisamment solide qu’après avoir vérifié lui-même que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés lors de l’adoption de la décision de l’État tiers concerné sur laquelle il entend se fonder (voir arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 68 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑302/19, non publié, EU:T:2021:333, point 77 et jurisprudence citée).

78      Par ailleurs, s’il est vrai que la circonstance que l’État tiers compte au nombre des États ayant adhéré à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), implique un contrôle, par la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH »), des droits fondamentaux garantis par la CEDH, lesquels, conformément à l’article 6, paragraphe 3, TUE, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux, une telle circonstance ne saurait toutefois rendre superflue l’exigence de vérification rappelée au point 77 ci-dessus (voir arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 69 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑302/19, non publié, EU:T:2021:333, point 78 et jurisprudence citée).

79      Selon la jurisprudence, le Conseil est tenu de faire état, dans l’exposé des motifs relatifs à l’adoption ou au maintien de mesures restrictives à l’égard d’une personne ou d’une entité, ne serait-ce que de manière succincte, des raisons pour lesquelles il considère que la décision de l’État tiers sur laquelle il entend se fonder a été adoptée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective. Ainsi, il incombe au Conseil, afin de satisfaire à son obligation de motivation, de faire apparaître, dans la décision imposant des mesures restrictives, qu’il a vérifié que la décision de l’État tiers sur laquelle il fonde ces mesures a été adoptée dans le respect de ces droits (voir arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 70 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑302/19, non publié, EU:T:2021:333, point 79 et jurisprudence citée).

80      En définitive, lorsqu’il fonde l’adoption ou le maintien de mesures restrictives telles que celles en cause sur la décision d’un État tiers d’engager et de mener une procédure pénale pour détournement de fonds ou d’avoirs publics par la personne concernée, le Conseil doit, d’une part, s’assurer que, au moment de l’adoption de ladite décision, les autorités de cet État tiers ont respecté les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective de la personne faisant l’objet de la procédure pénale en cause et, d’autre part, mentionner, dans la décision imposant des mesures restrictives, les raisons pour lesquelles il considère que ladite décision de l’État tiers a été adoptée dans le respect de ces droits (voir arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 71 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑302/19, non publié, EU:T:2021:333, point 80 et jurisprudence citée).

81      En l’espèce, de telles obligations apparaissent d’autant plus impérieuses que, ainsi qu’il résulte du considérant 2 de la décision 2014/119, celle-ci et les décisions subséquentes ont été adoptées dans le cadre d’une politique visant à renforcer et à soutenir l’État de droit et le respect des droits de l’homme en Ukraine (voir point 4 ci-dessus), conformément aux objectifs figurant à l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE. Par conséquent, l’objet de ces décisions, qui est, notamment, de faciliter la constatation par les autorités ukrainiennes des détournements de fonds publics commis et de préserver la possibilité, pour celles-ci, de recouvrer le produit de ces détournements, serait dépourvu de pertinence au regard desdits objectifs si cette constatation était entachée d’un déni de justice, voire d’arbitraire (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 octobre 2020, Ben Ali/Conseil, T‑151/18, EU:T:2020:514, point 95).

82      C’est à l’aune de ces principes jurisprudentiels qu’il convient d’établir si le Conseil a respecté les obligations qui lui incombaient dans le cadre de l’adoption des actes attaqués en ce que ceux-ci concernent le requérant.

83      À cet égard, il y a lieu de relever que le Conseil a mentionné dans les actes attaqués les raisons pour lesquelles il avait considéré que la décision des autorités ukrainiennes d’engager et de mener des procédures pénales à l’encontre du requérant pour détournement de fonds ou d’avoirs publics avait été adoptée dans le respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective (voir point 36 ci-dessus). Il convient néanmoins de vérifier si c’est à juste titre que le Conseil a considéré que tel avait été le cas en l’espèce.

84      En effet, l’examen du bien-fondé de la motivation, qui relève de la légalité au fond des actes attaqués et consiste, en l’occurrence, à vérifier si les éléments invoqués par le Conseil sont établis et s’ils sont de nature à démontrer la vérification du respect de ces droits par les autorités ukrainiennes, doit être distingué de la question de la motivation, qui concerne une formalité substantielle et ne constitue que le corollaire de l’obligation du Conseil de s’assurer, au préalable, du respect desdits droits (voir arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑302/19, non publié, EU:T:2021:333, point 83 et jurisprudence citée).

85      Or, les mesures restrictives précédemment adoptées ont été prorogées et maintenues à l’égard du requérant par les actes attaqués sur le fondement du critère d’inscription énoncé à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119, tel que modifié par la décision 2015/143, et à l’article 3 du règlement no 208/2014, tel que modifié par le règlement 2015/138 (voir points 12 et 13 ci-dessus). Ce critère vise les personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de faits de détournement de fonds publics appartenant à l’État ukrainien, y compris les personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes.

86      Il ressort des motifs des actes attaqués, rappelés au point 36 ci-dessus, et de la lettre du 6 mars 2020 que le Conseil s’est fondé, pour décider du maintien du nom du requérant sur la liste, sur la circonstance que celui-ci faisait l’objet d’une procédure pénale engagée par les autorités ukrainiennes pour des infractions constitutives d’un détournement de fonds ou d’avoirs publics, qui était établi, notamment, par les lettres du BPG ainsi que par certaines décisions de justice.

87      Le maintien des mesures restrictives prises à l’encontre du requérant reposait donc, tout comme dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 11 juillet 2019, Yanukovych/Conseil (T‑245/16 et T‑286/17, non publié, EU:T:2019:505), du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil (T‑301/18, non publié, EU:T:2019:676), et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil (T‑302/19, non publié, EU:T:2021:333), sur la décision des autorités ukrainiennes d’engager et de mener des procédures d’enquêtes pénales portant sur une infraction de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien.

88      Il y a également lieu de relever que, en modifiant, par les actes attaqués, l’annexe de la décision 2014/119 et l’annexe I du règlement no 208/2014, le Conseil a ajouté à celles-ci, ainsi qu’il avait déjà fait lors de l’adoption des actes de mars 2019, une nouvelle section, entièrement consacrée aux droits de la défense et au droit à une protection juridictionnelle effective, qui se subdivise en deux parties.

89      Dans la première partie de cette section figure un simple rappel, d’ordre général, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective en vertu du code de procédure pénale. En particulier, tout d’abord, sont rappelés les différents droits procéduraux dont jouit toute personne soupçonnée ou poursuivie dans le cadre d’une procédure pénale en vertu de l’article 42 du code de procédure pénale. Ensuite, d’une part, il est rappelé que, en vertu de l’article 306 de ce même code, toute plainte contre des décisions, des actes ou des omissions de l’enquêteur ou du procureur doit être examinée par le juge d’instruction d’un tribunal local, en présence du plaignant, de son avocat ou de son représentant légal. D’autre part, il est indiqué, notamment, que l’article 309 dudit code précise les décisions du juge d’instruction qui peuvent être contestées par la voie d’un recours. Enfin, il est précisé qu’un certain nombre de mesures d’enquête, telles que la saisie de biens et les mesures de détention, ne sont possibles que moyennant une décision du juge d’instruction ou d’un tribunal.

90      La seconde partie de la section concerne le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de chacune des personnes dont le nom est inscrit sur la liste. S’agissant plus particulièrement du requérant, il est précisé que, selon les informations figurant dans le dossier du Conseil, ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’est fondé, ainsi qu’en témoigneraient, notamment, « un certain nombre de décisions de justice portant sur les saisies de biens, ainsi que la décision [...] du 27 juin 2018 [, portant annulation de] la décision du bureau du procureur refusant de faire droit à la demande de clôture de l’enquête introduite par la défense » (voir point 36 ci-dessus).

91      Dans la lettre du 6 mars 2020 adressée au requérant (voir point 37 ci-dessus), tout d’abord, le Conseil a indiqué que les informations provenant du BPG établissaient que le requérant continuait à faire l’objet de la procédure [confidentiel] en Ukraine pour détournement de fonds ou d’avoirs publics. Ensuite, d’une part, il a indiqué que, dans l’attente de l’exécution de la décision du 27 juin 2018, cette procédure était encore en cours. D’autre part, s’agissant de la question de la compétence, le Conseil a précisé que l’enquête préliminaire dans ladite procédure avait été transférée au département principal d’enquête de la police nationale ukrainienne le 18 novembre 2019. Enfin, s’agissant du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant, le Conseil a précisé qu’il ressortait de la décision du 27 juin 2018, qui avait été rendue à l’issue d’une audience publique à laquelle les avocats du requérant avaient participé et avait annulé la décision du BPG refusant de faire droit à la demande de clôture de l’enquête introduite par la défense du requérant, que lesdits droits avaient été respectés.

92      Ainsi, il ressort d’une lecture combinée des motifs exposés dans les actes attaqués et dans la lettre du 6 mars 2020 que la procédure [confidentiel] est la seule pour laquelle le Conseil atteste avoir effectivement vérifié le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant, ce qui a d’ailleurs été confirmé par le Conseil lui-même en réponse à une question du Tribunal lors de l’audience.

93      À cet égard, il doit être observé, d’emblée, que le Conseil reste en défaut de démontrer dans quelle mesure les décisions de justice mentionnées au point 90 ci-dessus témoigneraient du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant au cours de la procédure [confidentiel]. En effet, ainsi qu’il a été rappelé aux points 76 et 77 ci-dessus, en l’espèce, le Conseil était tenu de vérifier, avant de décider du maintien des mesures restrictives en cause, si la décision de l’administration judiciaire ukrainienne d’engager et de mener des procédures d’enquêtes pénales portant sur des infractions inhérentes au détournement de fonds ou d’avoirs publics prétendument commises par le requérant avait été adoptée dans le respect desdits droits de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑302/19, non publié, EU:T:2021:333, point 92 et jurisprudence citée).

94      Dans cette perspective, tant la décision du 27 juin 2018 annulant la décision du BPG refusant de faire droit à la demande de clôture de l’enquête introduite par la défense du requérant que les décisions de justice relatives à la saisie de biens ne sauraient être identifiées comme étant des décisions d’engager et de mener la procédure d’enquête justifiant le maintien des mesures restrictives en cause étant donné qu’il s’agit de décisions incidentes. Cela étant, il est possible d’admettre que, d’un point de vue substantiel, dès lors que ces décisions ont été rendues par une juridiction, elles ont réellement été prises en compte par le Conseil comme étant la base factuelle justifiant le maintien des mesures restrictives en cause (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑302/19, non publié, EU:T:2021:333, point 93 et jurisprudence citée).

95      Il y a donc lieu de vérifier si c’est à juste titre que le Conseil a pu considérer que ces décisions témoignaient du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant.

96      Tout d’abord, en ce qui concerne les décisions de justice portant sur les saisies de biens du requérant, qui ne figurent pas dans le dossier de l’affaire, force est de constater que, selon les indications fournies par le BPG, elles ont été prises par le juge d’instruction du tribunal de district de Petchersk entre les mois de juillet 2014 et d’avril 2015, soit, respectivement, environ cinq ans et huit mois et quatre ans et onze mois avant l’adoption des actes attaqués. Il s’ensuit que ces décisions, dont par ailleurs la légalité avait été contestée par le requérant à plusieurs égards et dont le Conseil a lui-même reconnu, dans la duplique et, en réponse à une question du Tribunal, lors de l’audience, qu’elles avaient une valeur probante moindre, ne sauraient suffire à établir que la procédure [confidentiel], sur laquelle le Conseil a entendu se fonder pour maintenir, pour la période allant du mois de mars 2020 au mois de mars 2021, les mesures restrictives en cause à l’égard du requérant, s’est déroulée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑302/19, non publié, EU:T:2021:333, point 109 et jurisprudence citée).

97      Des considérations analogues peuvent être énoncées pour ce qui est de la décision du 27 juin 2018, cette décision ayant été prise elle aussi bien avant les actes attaqués et le réexamen périodique annuel de la situation du requérant qui en a précédé l’adoption.

98      Au demeurant, le Tribunal a déjà eu l’occasion de se prononcer à l’égard de la décision du 27 juin 2018 et des décisions relatives à la saisie des biens du requérant, dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil (T‑302/19, non publié, EU:T:2021:333, points 106 à 110), et, à l’égard des seules décisions de saisie, dans le cadre des affaires ayant donné lieu aux arrêts du 11 juillet 2019, Yanukovych/Conseil (T‑245/16 et T‑286/17, non publié, EU:T:2019:505, points 72 et 91 à 93), et du 24 septembre 2019, Yanukovych/Conseil (T‑301/18, non publié, EU:T:2019:676, points 82 et 92 à 95), qui n’ont pas fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour, en jugeant que ces décisions n’étaient pas susceptibles de démontrer le respect des droits de la défense du requérant et de son droit à une protection juridictionnelle effective dans le cadre de la procédure en cause. Or, il convient de souligner que le Tribunal ne saurait totalement faire abstraction du raisonnement qu’il a développé au regard desdites décisions dans lesdites affaires, qui concernent les mêmes parties et soulèvent pour l’essentiel les mêmes questions juridiques.

99      En ce qui concerne, plus particulièrement, la décision du 27 juin 2018, il y a lieu de rappeler que le Tribunal, après avoir relevé qu’une telle décision pouvait être invoquée, ainsi que le prétendait le Conseil, comme un exemple de respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant, a néanmoins précisé que la vérification du Conseil devait porter tant sur la décision du BPG du 11 octobre 2017, rejetant la demande de clore l’enquête présentée par le requérant, que sur l’omission, non motivée, de la part toujours du BPG, de prendre la moindre initiative à la suite de la décision du 27 juin 2018 lui imposant le réexamen de ladite demande. Ce faisant, le BPG a, selon le Tribunal, vidé la décision du 27 juin 2018 de tout effet pratique et, de ce fait, privé le requérant de son droit à une protection juridictionnelle effective (arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑302/19, non publié, EU:T:2021:333, point 107).

100    Or, en l’espèce, le Conseil n’a avancé, dans le cadre de ses écritures, aucun élément permettant au Tribunal de parvenir à des conclusions différentes de celles retenues dans l’arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil (T‑302/19, non publié, EU:T:2021:333), quant à la valeur probante desdites décisions.

101    En tout état de cause, il doit également être relevé que toutes les décisions de justice susmentionnées s’insèrent, notamment, dans le cadre de la procédure pénale ayant justifié le maintien du nom du requérant sur la liste et ne sont qu’incidentes par rapport à celle-ci, dans la mesure où elles sont de nature soit conservatoire, soit procédurale. De telles décisions, qui peuvent servir tout au plus à établir l’existence d’une base factuelle suffisamment solide, en ce que, conformément au critère d’inscription applicable, le requérant faisait l’objet d’une procédure pénale portant sur une infraction de détournement de fonds ou d’avoirs appartenant à l’État ukrainien, ne sont pas ontologiquement susceptibles, à elles seules, de démontrer que la décision de l’administration judiciaire ukrainienne d’engager et de mener ladite procédure pénale, sur laquelle repose, en substance, le maintien des mesures restrictives à l’encontre du requérant, a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci, ainsi qu’il incombe au Conseil de le vérifier, conformément à la jurisprudence rappelée au point 77 ci-dessus (voir, en ce sens, arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 94 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑302/19, non publié, EU:T:2021:333, point 110 et jurisprudence citée).

102    Au demeurant, le Conseil n’invoque aucune pièce du dossier de la procédure ayant abouti à l’adoption des actes attaqués dont il résulterait qu’il a examiné les décisions de justice invoquées et qu’il a pu en conclure que les droits procéduraux du requérant avaient été respectés dans leur substance. En revanche, il ressort du dossier de l’affaire que le Conseil n’était pas en possession des décisions relatives aux saisies de biens du requérant et ne disposait que d’une version succincte et dépourvue de toute motivation de la décision du 27 juin 2018. S’agissant de cette dernière, il y a, en effet, lieu de constater que, en réponse à la demande du Conseil du 9 décembre 2019, précisant que, d’après les avocats du requérant, le texte intégral de cette décision leur avait été rendu disponible le 6 septembre 2019, le BPG s’est limité à indiquer, dans sa lettre du 28 décembre 2019, qu’il n’avait reçu aucune copie de ladite décision, qu’il en avait fait demande auprès du tribunal de Petchersk et que, une fois reçue la version intégrale de celle-ci, il réexaminerait la demande introduite par la défense du requérant.

103    Or, ainsi que le souligne à juste titre le requérant, cette assertion du BPG est infirmée par une série d’éléments dont le Conseil avait connaissance et dont il n’a toutefois pas tenu compte. En effet, le requérant avait informé le Conseil du fait qu’une copie de la version intégrale de la décision du 27 juin 2018 avait été transmise au BPG le 6 novembre 2019, donc bien avant la lettre de celui-ci au Conseil datée du 28 décembre 2019, et que, à cette occasion, il avait demandé à nouveau de reconsidérer la demande de clore l’enquête. Par ailleurs, il ressort d’une lettre du 22 janvier 2020, envoyée aux avocats du requérant en Ukraine par le tribunal de Petchersk, qu’une copie de la version intégrale de cette décision avait été remise en mains propres au procureur dans les locaux dudit tribunal.

104    Dans son mémoire en défense, le Conseil se contente de relever, d’une part, que le BPG, en réponse à sa question, avait expliqué que la demande introduite par la défense du requérant serait réexaminée, ce qui ne correspond toutefois pas au libellé de la lettre du BPG, dans laquelle celui-ci avait indiqué qu’il réexaminerait ladite demande lorsqu’il aurait reçu la version intégrale de la décision du 27 juin 2018, et, d’autre part, que cette réponse du BPG était raisonnable, en ce qu’il n’est pas contesté que le juge d’instruction n’a pas statué sur la demande même.

105    Il s’ensuit que, avant l’adoption des actes attaqués, le BPG n’a pas respecté la décision invoquée par le Conseil comme témoignant du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant et a même fourni une justification pour ne pas le faire, dont le Conseil, s’il n’avait pas complètement ignoré les éléments de preuve fournis par le requérant, aurait été à même d’apprécier le caractère fallacieux, ce qui corrobore les considérations développées par le Tribunal au point 107 de l’arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil (T‑302/19, non publié, EU:T:2021:333) (voir point 99 ci-dessus).

106    La simple référence faite par le Conseil à des lettres et à des prises de position des autorités ukrainiennes dans lesquelles celles-ci ont expliqué en quoi les droits fondamentaux du requérant avaient été respectés et ont donné des assurances à cet égard ne saurait suffire pour considérer que la décision de maintenir son nom sur la liste repose sur une base factuelle suffisamment solide, au sens de la jurisprudence citée au point 77 ci-dessus (voir, en ce sens, arrêt du 3 décembre 2020, Saleh Thabet e.a./Conseil, C‑72/19 P et C‑145/19 P, non publié, EU:C:2020:992, point 44).

107    À l’issue de l’examen des décisions de justice invoquées par le Conseil dans les actes attaqués, il convient de conclure que, même prises dans leur ensemble, celles-ci ne sont pas susceptibles de témoigner du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant au cours de la procédure pénale sur laquelle il s’est fondé.

108    À cet égard, il doit également être observé que le Conseil était tenu d’effectuer une telle vérification indépendamment de tout élément de preuve apporté par le requérant pour démontrer que, en l’espèce, celui-ci avait subi une violation de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective, la simple possibilité d’invoquer la violation de ces droits devant les juridictions ukrainiennes en vertu de dispositions du code de procédure pénale n’étant pas suffisante en soi pour démontrer le respect desdits droits par l’administration judiciaire ukrainienne (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑302/19, non publié, EU:T:2021:333, point 113 et jurisprudence citée).

109    Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument du Conseil selon lequel le requérant n’a pas avancé d’élément susceptible de démontrer que sa situation particulière avait été affectée par les problèmes allégués du système judiciaire ukrainien. En effet, selon une jurisprudence constante, c’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (voir, en ce sens, arrêt du 3 décembre 2020, Saleh Thabet e.a./Conseil, C‑72/19 P et C‑145/19 P, non publié, EU:C:2020:992, point 45 et jurisprudence citée).

110    D’ailleurs, le Conseil n’explique pas non plus comment, en particulier, la simple existence des décisions de justice mentionnées au point 90 ci-dessus permettrait de considérer que le respect du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant a été garanti. À cet égard, il y a lieu de relever que, comme celui-ci l’avait fait valoir à maintes reprises dans le cadre de la procédure administrative ayant précédé l’adoption des actes attaqués, la procédure [confidentiel], qui avait été initialement ouverte en 2014 et, en l’état, était suspendue, se trouvait encore au stade de l’enquête préliminaire, récemment transférée au département de la police nationale ukrainienne, de sorte qu’elle n’avait pas été soumise à un tribunal ukrainien sur le fond, un tel tribunal n’en ayant eu connaissance que pour des questions procédurales (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑302/19, non publié, EU:T:2021:333, point 115).

111    Or, l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, qui constitue le paramètre à l’aune duquel le Conseil apprécie le respect du droit à une protection juridictionnelle effective (voir arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 98 et jurisprudence citée, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑302/19, non publié, EU:T:2021:333, point 116 et jurisprudence citée), prévoit que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi.

112    Dans la mesure où la Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la CEDH, tels que ceux prévus à l’article 6 de celle-ci, leur sens et leur portée sont, aux termes de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, les mêmes que ceux que leur confère la CEDH.

113    À cet égard, il convient de rappeler que, en interprétant l’article 6 de la CEDH, la Cour EDH a relevé que l’objectif du principe du délai raisonnable était, notamment, de protéger la personne inculpée contre les lenteurs excessives de la procédure et d’éviter qu’elle ne demeure trop longtemps dans l’incertitude de son sort et que ledit principe soulignait l’importance de rendre la justice sans les retards propres à compromettre l’efficacité et la crédibilité de l’administration de la justice (voir Cour EDH, 7 juillet 2015, Rutkowski et autres c. Pologne, CE:ECHR:2015:0707JUD007228710, § 126 et jurisprudence citée). De plus, la Cour EDH a considéré que la violation de ce principe pouvait être constatée notamment lorsque la phase d’instruction d’une procédure pénale se caractérisait par un certain nombre de périodes d’inactivité imputables aux autorités compétentes pour cette instruction (voir, en ce sens, Cour EDH, 6 janvier 2004, Rouille c. France, CE:ECHR:2004:0106JUD005026899, §§ 29 à 31 ; 27 septembre 2007, Reiner et autres c. Roumanie, CE:ECHR:2007:0927JUD000150502, §§ 57 à 59, et 12 janvier 2012, Borisenko c. Ukraine, CE:ECHR:2012:0112JUD002572502, §§ 58 à 62).

114    Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence que, lorsqu’une personne fait l’objet de mesures restrictives depuis plusieurs années, et ce en raison de l’existence, en substance, des mêmes enquêtes préliminaires, comme c’est le cas en l’espèce, le Conseil est tenu, préalablement à l’adoption d’une décision prorogeant l’application de ces mesures, de s’assurer du respect du droit de cette personne d’être jugée dans un délai raisonnable (voir, en ce sens, arrêts du 3 février 2021, Klymenko/Conseil, T‑258/20, EU:T:2021:52, point 101, et du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑302/19, non publié, EU:T:2021:333, point 119 ; voir également, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 octobre 2020, Ben Ali/Conseil, T‑151/18, EU:T:2020:514, point 114 et jurisprudence citée).

115    À cet égard, ainsi qu’il a été relevé au point 81 ci-dessus, il importe de rappeler la nature conservatoire du gel des avoirs du requérant et leur objet, à savoir, ainsi que l’a souligné le Conseil dans ses écritures et lors de l’audience, faciliter la constatation par les autorités ukrainiennes des détournements de fonds publics commis, au terme des procédures judiciaires engagées, et préserver la possibilité, pour ces autorités, de recouvrer, in fine, le produit de ces détournements. Il incombe donc au Conseil d’éviter qu’une telle mesure, qui se justifie précisément en vertu de sa nature temporaire, soit prolongée inutilement, au détriment des droits et des libertés du requérant, sur lesquels elle a une incidence négative importante, du seul fait que les procédures pénales, encore au stade de l’enquête préliminaire, sur lesquelles elle repose ont été laissées ouvertes, en substance, indéfiniment sans justification réelle (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 octobre 2020, Ben Ali/Conseil, T‑151/18, EU:T:2020:514, point 115 et jurisprudence citée).

116    Il ressort également de la jurisprudence de la Cour EDH ayant trait à l’interprétation de l’article 6 de la CEDH, invoquée par le requérant lors de l’audience, que des retards causés par des suspensions de la procédure par les autorités, les décisions de joindre et de disjoindre les différentes procédures pénales ainsi que les renvois d’une affaire pour un complément d’enquête dans le cadre d’une même procédure peuvent être considérés comme des indices révélateurs d’une grave défaillance dans le fonctionnement du système de justice pénale (voir, en ce sens, Cour EDH, 23 juin 2016, Krivoshey c. Ukraine, CE:ECHR:2016:0623JUD000743305, § 97 et jurisprudence citée). En l’espèce, eu égard à la durée prolongée de l’enquête préliminaire en cause, il résulte de ce qui a été indiqué au point 114 ci-dessus que le Conseil était tenu, préalablement à l’adoption des actes attaqués, de s’assurer que la durée de ladite enquête n’était pas déraisonnable. Dans cette perspective, le Conseil aurait dû, par ailleurs, tenir compte de tout indice de défaillances éventuelles dans le système de justice pénale ukrainien ressortant du dossier de l’affaire, à savoir, en l’espèce, le fait que la procédure [confidentiel] avait été suspendue et reprise plusieurs fois et que l’enquête préliminaire dans le cadre de celle-ci avait été récemment transférée à une autre autorité investigatrice (voir, notamment, point 110 ci-dessus) sans que cela ait impliqué sa moindre progression, au lieu de se contenter des explications fournies par le BPG et de fonder son appréciation exclusivement sur celles-ci.

117    Ainsi que cela a été indiqué par le requérant dans ses lettres et dans ses écritures, l’enquête préliminaire dans le cadre de la procédure [confidentiel], depuis son ouverture, le 8 mai 2014, a été suspendue à maintes reprises, dont la dernière fois le 13 mars 2019, et n’a été active que pendant quelques jours au total. Au demeurant, il y a lieu de constater que, ainsi que le souligne le requérant sans être contredit par le Conseil, dans ses attestations le BPG s’est borné à rappeler les informations qu’il avait déjà fournies auparavant au Conseil dans ses lettres du 10 octobre 2014, du 4 septembre 2015, du 30 novembre 2015, du 25 juillet 2016, du 16 novembre 2016, du 5 janvier 2018, du 20 octobre 2018, du 10 juillet 2018, du 2 novembre 2018 et du 29 décembre 2018, ce qui témoigne de l’absence de toute progression de cette enquête.

118    Or, bien que le Conseil ait effectué des vérifications supplémentaires auprès des autorités ukrainiennes afin d’être éclairé sur les raisons ayant justifié la suspension de la procédure [confidentiel], il ressort du dossier qu’il s’est satisfait des explications fournies par le BPG selon lesquelles la suspension était liée à la recherche du requérant, alors que, dans la décision du 7 février 2018, adoptée dans le cadre de la procédure [confidentiel], le juge d’instruction du tribunal de Petchersk avait précisé, notamment, que le fait que le requérant se cachait pour se soustraire à sa responsabilité pénale n’était pas confirmé par les documents fournis à l’appui de la demande du BPG visant à obtenir une autorisation d’enquêter par défaut (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑302/19, non publié, EU:T:2021:333, point 102).

119    Au demeurant, sans que cela ait d’incidence sur la présente affaire, dans la mesure où la décision du juge d’instruction du tribunal de Petchersk n’a été rendue que le 9 septembre 2020 et est donc postérieure à l’adoption des actes attaqués, il y a néanmoins lieu de relever que, par celle-ci, est annulée une précédente décision de suspension, datée du 29 septembre 2014, dans le cadre de la procédure [confidentiel], au motif que le BPG savait où le requérant était localisé et qu’il n’y avait donc pas de raisons d’inscrire son nom sur la liste des personnes recherchées.

120    S’agissant de l’argument avancé par le Conseil dans la duplique,  selon lequel, conformément à la jurisprudence de la Cour EDH, la fuite d’un accusé aurait par elle‑même des répercussions sur l’étendue de la garantie offerte par l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH quant à la durée de la procédure, il doit être observé, d’une part, que, à supposer que le requérant se soit effectivement soustrait à la justice, il n’en reste pas moins que la procédure [confidentiel], sur laquelle s’appuie le Conseil, relative à des faits prétendument commis en 2013 se trouvait encore, six ans à compter de son ouverture, au stade de l’enquête préliminaire et, d’autre part, que cette circonstance avait été, à tout le moins, mise en doute, dans le cadre de la procédure [confidentiel], par le juge d’instruction du tribunal de Petchersk (voir point 118 ci-dessus), ce dont le Conseil était informé.

121    En définitive, le Conseil aurait dû à tout le moins apprécier tous les éléments fournis par le BPG et par le requérant et indiquer les raisons pour lesquelles, au terme d’une analyse autonome et approfondie de ces éléments, il pouvait considérer que le droit du requérant à une protection juridictionnelle effective devant l’administration judiciaire ukrainienne avait été respecté en ce qui concernait son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑302/19, non publié, EU:T:2021:333, point 123 et jurisprudence citée). Cela est d’autant plus vrai eu égard au manque absolu d’information de la part du BPG quant au réexamen de la demande du requérant de clore la procédure [confidentiel] à la suite de la décision du 27 juin 2018.

122    Il ne saurait donc être conclu, au vu des pièces du dossier, que les éléments dont le Conseil disposait lors de l’adoption des actes attaqués lui ont permis de vérifier si la décision de l’administration judiciaire ukrainienne d’engager et de mener les procédures pénales en cause avait été adoptée et mise en œuvre dans le respect des droits du requérant à une protection juridictionnelle effective et, plus particulièrement, à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable.

123    À cet égard, il convient également de relever que la jurisprudence bien établie selon laquelle, en cas d’adoption d’une mesure de gel de fonds telle que celle adoptée à l’égard du requérant dans le cadre des actes attaqués, il appartient au Conseil ou au juge de l’Union de vérifier le bien-fondé non pas des enquêtes dont la personne visée par ces mesures restrictives faisait l’objet en Ukraine, mais uniquement de la décision de gel des fonds au regard du ou des documents sur lesquels cette décision a été fondée,  ne saurait être interprétée en ce sens que le Conseil n’est pas tenu de vérifier si la décision de l’État tiers sur laquelle il entend fonder l’adoption desdites mesures a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑302/19, non publié, EU:T:2021:333, point 125 et jurisprudence citée).

124    Enfin, l’argument du Conseil selon lequel, en substance, il ne lui appartient pas de mettre en cause les décisions des juridictions ukrainiennes, qui bénéficieraient d’une sorte de présomption de légalité doit être rejeté. En effet, s’il est vrai qu’il  est en droit de se fonder sur de telles décisions comme preuves de l’existence d’une procédure pénale relative à des allégations de détournement de fonds publics à l’encontre du requérant, il n’en va pas de même en ce qui concerne les preuves du bon déroulement de cette procédure pénale, y compris pour ce qui est du respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective. Ainsi qu’il a été rappelé au point 77 ci-dessus, pour s’assurer que le maintien de l’inscription du nom du requérant sur la liste repose sur une base factuelle suffisamment solide, le Conseil doit vérifier non seulement s’il existe des procédures judiciaires en cours concernant le requérant pour des faits qualifiables de détournement de fonds publics, mais également si, dans le cadre de ces procédures, lesdits droits du requérant ont été respectés (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑302/19, non publié, EU:T:2021:333, points 126 et 127 et jurisprudence citée).

125    Cela est d’autant plus vrai lorsque, comme en l’espèce, d’une part, le Conseil n’était pas en possession de certaines décisions ainsi que de certaines informations sur lesquelles il entendait se fonder et, d’autre part, le requérant a soulevé des doutes quant au respect de ses droits dans le contexte de l’adoption des décisions de justice sur lesquelles le Conseil entendait se fonder. En tout état de cause, il ne saurait être exclu que, au regard notamment des observations présentées par le requérant, cette institution soit tenue de solliciter auprès des autorités ukrainiennes des éclaircissements ultérieurs concernant le respect desdits droits (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, Yanukovych/Conseil, T‑302/19, non publié, EU:T:2021:333, point 128 et jurisprudence citée), ce qui n’a pas été le cas en l’espèce.

126    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il n’est pas établi que le Conseil, avant l’adoption des actes attaqués, se soit assuré du respect, par l’administration judiciaire ukrainienne, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant dans le cadre de la procédure pénale sur laquelle il s’est fondé. Il s’ensuit que, en décidant de maintenir son nom sur la liste, le Conseil a commis une erreur d’appréciation.

127    Dans ces circonstances, il y a lieu d’annuler les actes attaqués en tant qu’ils visent le requérant, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens et arguments invoqués par ce dernier.

 Sur les dépens

128    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision (PESC) 2020/373 du Conseil, du 5 mars 2020, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, et le règlement d’exécution (UE) 2020/370 du Conseil, du 5 mars 2020, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine, sont annulés dans la mesure où le nom de M. Oleksandr Viktorovych Yanukovych a été maintenu sur la liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives.

2)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens.

Spielmann

Mastroianni

Brkan

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 mars 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.


1 Données confidentielles occultées.