Language of document : ECLI:EU:C:2024:317

ORDONNANCE DE LA COUR (septième chambre)

9 avril 2024 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, et article 94 du règlement de procédure de la Cour – Exigence de présentation du contexte réglementaire du litige au principal – Exigence d’indication des raisons justifiant la nécessité d’une réponse par la Cour ainsi que du lien entre les dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est demandée et la législation nationale applicable – Absence de précisions suffisantes – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire C‑628/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Budapest Környéki Törvényszék (cour de Budapest-agglomération, Hongrie), par décision du 21 septembre 2023, parvenue à la Cour le 16 octobre 2023, dans la procédure

YG,

NI

contre

AXA Bank Europe SA,

OTP Bank Nyrt.,

OTP Faktoring Követeléskezelő Zrt.,

LA COUR (septième chambre)

composée de M. F. Biltgen, président de chambre, MM. N. Wahl (rapporteur) et J. Passer, juges,

avocat général : M. A. M. Collins,

greffier : M. A. Calot Escobar

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, sous c), de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant deux particuliers, YG et NI, à trois établissements bancaires, à savoir AXA Bank Europe SA, OTP Bank Nyrt. et OTP Faktoring Követeléskezelő Zrt., au sujet d’une demande visant à faire constater l’invalidité d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère mais remboursable en devise nationale.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Aux termes de l’article 2, sous c), de la directive 93/13 :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

c)      “professionnel” : toute personne physique ou morale qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit dans le cadre de son activité professionnelle, qu’elle soit publique ou privée. »

4        L’article 94 du règlement de procédure de la Cour dispose :

« Outre le texte des questions posées à la Cour à titre préjudiciel, la demande de décision préjudicielle contient :

a)      un exposé sommaire de l’objet du litige ainsi que des faits pertinents, tels qu’ils ont été constatés par la juridiction de renvoi ou, à tout le moins, un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées ;

b)      la teneur des dispositions nationales susceptibles de s’appliquer en l’espèce et, le cas échéant, la jurisprudence nationale pertinente ;

c)      l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal. »

 Le droit hongrois

5        Aux termes de l’article 3, paragraphes 1 et 2, de la Kúriának a pénzügyi intézmények fogyasztói kölcsönszerződéseire vonatkozó jogegységi határozatával kapcsolatos egyes kérdések rendezéséről szóló 2014. évi XXXVIII. törvény [loi n° XXXVIII de 2014, relative au règlement de certaines questions liées à la décision rendue par la Kúria (Cour suprême, Hongrie) dans l’intérêt de l’uniformité du droit à propos des contrats de prêt conclus par les établissements financiers avec les consommateurs] :

« 1.      Dans un contrat de prêt conclu avec un consommateur, est nulle – sauf s’il s’agit d’une condition contractuelle négociée individuellement – la clause en vertu de laquelle l’établissement financier décide que c’est le cours acheteur qui s’applique lors du déblocage des fonds destinés à l’acquisition du bien qui fait l’objet du prêt ou du crédit-bail, alors que c’est le cours vendeur qui s’applique pour le remboursement, ou tout autre taux de change d’un type différent de celui fixé lors du déblocage des fonds.

2.      La clause frappée de nullité en vertu du paragraphe 1 est remplacée [...] par une disposition visant à l’application du taux de change officiel fixé par la Banque nationale [de Hongrie] pour la devise correspondante, tant en ce qui concerne le déblocage des fonds que le remboursement (y compris le paiement des mensualités et de tous coûts, frais et commissions fixés en devises). »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

6        Le 12 juin 2008, les requérants au principal ont conclu un contrat de prêt hypothécaire libellé en devise étrangère avec le prédécesseur en droit d’AXA Bank Europe (ci-après le « contrat de prêt en cause »). Le contrat de prêt en cause, conclu pour une durée de 19 ans, était libellé en francs suisses (CHF), mais prévoyait un remboursement des mensualités en forints hongrois (HUF) après une conversion au cours d’achat de la devise fixé par la banque au jour du déblocage des fonds. Le contrat de prêt en cause stipulait que la banque avait la possibilité de modifier unilatéralement le montant des intérêts et des frais de gestion qui devaient être supportés par les débiteurs.

7        Le 21 octobre 2015, les requérants au principal ont saisi la Budapest Környéki Törvényszék (cour de Budapest-agglomération, Hongrie), qui est la juridiction de renvoi, d’un recours contre AXA Bank Europe, tendant à faire déclarer le contrat de prêt en cause invalide.

8        Le 31 octobre 2016, un portefeuille de contrats d’AXA Bank Europe, y compris le contrat de prêt en cause, a été cédé à OTP Bank. Par la suite, le 2 novembre 2016, ce contrat de prêt a fait l’objet d’un contrat de cession entre OTP Bank et OTP Faktoring Követeléskezelő.

9        AXA Bank Europe a communiqué l’existence desdites cessions dans le cadre du recours introduit contre elle par les requérants au principal. Après qu’OTP Bank et OTP Faktoring Követeléskezelő ont chacune demandé à intervenir à la procédure du fait de ces deux cessions successives et qu’AXA Bank Europe a consenti à leur intervention volontaire, cette dernière a demandé à être mise hors de cause. La juridiction de renvoi a fait droit aux demandes d’intervention, mais a rejeté les demandes de mise hors de cause.

10      Par jugement interlocutoire, la juridiction de renvoi a déclaré le contrat de prêt en cause invalide dans son intégralité en raison du caractère irrégulier de l’information portant sur le risque de change. Toutefois, la juridiction d’appel a infirmé ce jugement interlocutoire et a renvoyé l’affaire devant la juridiction de renvoi aux fins de l’examen d’autres motifs d’invalidité.

11      La juridiction de renvoi considère qu’elle doit non seulement se prononcer sur la validité du contrat de prêt en cause, mais également trancher la question de savoir quel est l’établissement financier qui est visé par les sanctions que prévoit la directive 93/13. Elle se demande si ces sanctions peuvent être appliquées à un établissement financier devenu partie au contrat à la suite d’une cession de celui-ci qui, de ce fait, bien que n’ayant pas imposé la clause abusive, bénéficie des effets économiques et financiers du contrat.

12      À cet égard, il ressort de la demande de décision préjudicielle que l’argumentation des requérants au principal fait référence à une jurisprudence de la Győri Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Győr, Hongrie) et de la Győri Törvényszék (cour de Győr, Hongrie) selon laquelle les conséquences juridiques de l’invalidité ne peuvent être invoquées qu’envers la nouvelle partie au contrat. Les requérants au principal considéreraient que cette approche est contraire à la directive 93/13 et qu’elle conduit à la priver de son effet dissuasif.

13      Dans ce contexte, la juridiction de renvoi s’interroge sur le concept de « professionnel » à l’égard duquel peuvent, en vertu de la directive 93/13, être invoquées les conséquences juridiques de l’invalidité du contrat et auquel les dispositions de cette directive sont applicables.

14      Dans ces conditions, la Budapest Környéki Törvényszék (cour de Budapest-agglomération, Hongrie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« La notion de “professionnel”, définie à l’article 2, sous c), de la directive [93/13], doit-elle être interprétée en ce sens que cette notion couvre :

a)      uniquement la partie contractante initiale ayant imposé la clause contractuelle abusive,

b)      également tout nouveau professionnel devenu partie au contrat par suite de la cession de ce dernier (substitution de partie) et qui, de ce fait, bien que n’ayant pas imposé la clause abusive, bénéficie des effets économiques et financiers du contrat ou

c)      exclusivement la personne qui se trouve actuellement dans la position de professionnel par suite de la substitution de partie, quelle qu’ait été la partie contractante initiale dans cette position ? »

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

15      En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsqu’une demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

16      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

17      Selon une jurisprudence constante, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 44 ainsi que jurisprudence citée).

18      Dès lors que la décision de renvoi sert de fondement à cette procédure, la juridiction nationale est tenue d’expliciter, dans la décision de renvoi elle-même, le cadre factuel et réglementaire du litige au principal et de fournir les explications nécessaires sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont elle demande l’interprétation ainsi que sur le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige qui lui est soumis [voir en ce sens, notamment, arrêt du 4 juin 2020, C.F. (Contrôle fiscal), C‑430/19, EU:C:2020:429, point 23 et jurisprudence citée].

19      À cet égard, il importe de souligner également que les informations contenues dans les décisions de renvoi doivent permettre, d’une part, à la Cour d’apporter des réponses utiles aux questions posées par la juridiction nationale et, d’autre part, aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres intéressés d’exercer le droit qui leur est conféré par l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne de présenter des observations. Il incombe à la Cour de veiller à ce que ce droit soit sauvegardé, compte tenu du fait que, en vertu de cette disposition, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux intéressés (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, Irish Ferries, C‑570/19, EU:C:2021:664, point 134 et jurisprudence citée).

20      Ces exigences cumulatives concernant le contenu d’une décision de renvoi figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure, dont la juridiction de renvoi est censée, dans le cadre de la coopération instaurée à l’article 267 TFUE, avoir connaissance et qu’elle est tenue de respecter scrupuleusement (ordonnance du 3 juillet 2014, Talasca, C‑19/14, EU:C:2014:2049, point 21, et arrêt du 9 septembre 2021, Toplofikatsia Sofia e.a., C‑208/20 et C‑256/20, EU:C:2021:719, point 20 ainsi que jurisprudence citée). Elles sont, en outre, rappelées aux points 13, 15 et 16 des recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1).

21      En l’occurrence, la décision de renvoi ne répond pas aux exigences énoncées à l’article 94, sous b) et c), du règlement de procédure.

22      En premier lieu, la décision de renvoi ne définit pas de manière suffisamment précise le cadre juridique national dans lequel s’inscrit le litige au principal. Par conséquent, elle ne permet pas à la Cour d’apporter une réponse utile à la question posée.

23      En effet, d’une part, la juridiction de renvoi ne présente pas les dispositions de droit national régissant les effets juridiques de l’invalidité d’une clause abusive contenue dans un contrat de prêt. Ainsi, elle ne précise pas la portée de la « sanction » qu’elle envisage d’appliquer dans le litige dont elle est saisie. D’autre part, la décision de renvoi n’indique pas la teneur de la législation nationale applicable à la cession d’un contrat tel que le contrat de prêt en cause. Plus particulièrement, elle ne fournit pas d’indications sur l’articulation entre une telle cession et l’invalidité au regard de la directive 93/13 du contrat de prêt cédé ou d’une clause de ce contrat. À cet égard, la juridiction de renvoi se borne à mentionner une jurisprudence nationale invoquée par les requérants au principal, sans faire état de sa propre appréciation à ce sujet.

24      En second lieu, la juridiction de renvoi n’a pas suffisamment exposé les raisons qui l’ont amenée à s’interroger sur l’interprétation de la directive 93/13 et le lien qu’elle établit entre la disposition dont elle sollicite l’interprétation et les dispositions nationales éventuellement applicables au litige au principal.

25      En effet, la décision de renvoi ne comporte pas d’indications précises permettant d’établir en quoi l’interprétation de la directive 93/13, sollicitée par la juridiction de renvoi, pourrait lui être utile pour se prononcer sur l’éventuel caractère abusif des clauses faisant partie du contrat de prêt en cause et, le cas échéant, pour constater l’invalidité de ce contrat. Plus précisément, cette décision ne fait pas état des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation de la notion de « professionnel », au sens de l’article 2, sous c), de cette directive, et n’expose pas le lien qui existerait entre cette disposition et la législation nationale éventuellement applicable au litige au principal, de sorte que la Cour ne peut pas apprécier dans quelle mesure une réponse à la question posée est nécessaire pour permettre à cette juridiction de rendre sa décision. Ainsi, la décision de renvoi ne permet pas de comprendre dans quelle mesure l’interprétation de la notion de « professionnel », au sens de cette disposition, serait pertinente pour résoudre le litige au principal.

26      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la présente demande de décision préjudicielle est, en application de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, manifestement irrecevable.

27      Il convient cependant de rappeler que la juridiction de renvoi conserve la faculté de soumettre une nouvelle demande de décision préjudicielle en fournissant à la Cour l’ensemble des éléments permettant à celle-ci de statuer (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2019, Călin, C‑676/17, EU:C:2019:700, point 41 et jurisprudence citée).

 Sur les dépens

28      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) ordonne :

La demande de décision préjudicielle introduite par la Budapest Környéki Törvényszék (cour de Budapest-agglomération, Hongrie), par décision du 21 septembre 2023, est manifestement irrecevable.

Signatures


*      Langue de procédure : le hongrois.