Language of document : ECLI:EU:T:2021:451

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

14 juillet 2021 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation au Venezuela – Gel des fonds – Listes des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Inscription du nom du requérant sur les listes – Maintien du nom du requérant sur les listes – Obligation de motivation – Droits de la défense – Principe de bonne administration – Droit à une protection juridictionnelle effective – Erreur d’appréciation »

Dans l’affaire T‑249/18,

Tarek William Saab Halabi, demeurant à Caracas (Venezuela), représenté par Mes L. Giuliano et F. Di Gianni, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme S. Kyriakopoulou, M. V. Piessevaux, Mme P. Mahnič et M. A. Antoniadis, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation, d’une part, de la décision (PESC) 2018/90 du Conseil, du 22 janvier 2018, modifiant la décision (PESC) 2017/2074 concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, L 16 I, p. 14), et de la décision (PESC) 2018/1656 du Conseil, du 6 novembre 2018, modifiant la décision (PESC) 2017/2074 concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, L 276, p. 10), et, d’autre part, du règlement d’exécution (UE) 2018/88 du Conseil, du 22 janvier 2018, mettant en œuvre le règlement (UE) 2017/2063 concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, L 16 I, p. 6), et du règlement d’exécution (UE) 2018/1653 du Conseil, du 6 novembre 2018, mettant en œuvre le règlement (UE) 2017/2063 concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, L 276, p. 1), en ce que ces actes concernent le requérant,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de M. R. da Silva Passos, président, Mme I. Reine (rapporteure) et M. L. Truchot, juges,

greffier : M. B. Lefebvre, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 3 septembre 2020,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le requérant, M. Tarek William Saab Halabi, est le procureur général du Venezuela depuis le 5 août 2017. Il a également exercé les fonctions de médiateur du 22 décembre 2014 au 5 août 2017 et celles de président du Conseil moral républicain vénézuélien du 1er janvier 2015 au 1er janvier 2016, fonctions qu’il exerce de nouveau depuis le 1er janvier 2017.

 Mise en place du régime de mesures restrictives : décision (PESC) 2017/2074 et règlement (UE) 2017/2063

2        Le 13 novembre 2017, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision (PESC) 2017/2074, concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2017, L 295, p. 60). Selon son considérant 1, cette décision était motivée par la dégradation constante de la démocratie, de l’état de droit et des droits de l’homme au Venezuela.

3        La décision 2017/2074 comporte, en substance, premièrement, une interdiction d’exporter, vers le Venezuela, des armes, des équipements militaires ou tout autre équipement susceptible d’être utilisé à des fins de répression interne ainsi que des équipements, de la technologie ou des logiciels de surveillance et, deuxièmement, une interdiction de fournir des services financiers, techniques ou autres en rapport avec ces biens et ces technologies.

4        L’article 6, paragraphe 1, de la décision 2017/2074 prévoit en outre ce qui suit :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire :

a)      des personnes physiques qui sont responsables de violations graves des droits de l’homme ou d’atteintes graves à ceux-ci ou d’actes de répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique au Venezuela ; ou

b)      des personnes physiques dont les actions, les politiques ou les activités portent atteinte d’une quelconque autre manière à la démocratie ou à l’état de droit au Venezuela,

dont la liste figure à l’annexe I. »

5        L’article 7 de la décision 2017/2074 dispose :

« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes, entités ou organismes ci-après, de même que tous les fonds et ressources économiques possédés, détenus ou contrôlés par les personnes, entités ou organismes ci-après :

a)      les personnes physiques ou morales, les entités ou les organismes qui sont responsables de violations graves des droits de l’homme ou d’atteintes graves à ceux-ci ou d’actes de répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique au Venezuela ;

b)      les personnes physiques ou morales, les entités ou les organismes dont les actions, les politiques ou les activités portent atteinte d’une quelconque autre manière à la démocratie ou à l’état de droit au Venezuela,

dont la liste figure à l’annexe I.

2. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes physiques ou morales, entités et organismes associés aux personnes, entités ou organismes visés au paragraphe 1 dont la liste figure à l’annexe II, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes, ces entités ou ces organismes ont en leur possession, détiennent ou contrôlent.

3. Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est mis à la disposition, directement ou indirectement, des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe I ou II, ni n’est dégagé à leur profit.

[…] »

6        L’article 8 de la décision 2017/2074 est libellé comme suit :

« 1. Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition d’un État membre ou du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, établit et modifie les listes figurant aux annexes I et II.

2. Le Conseil communique la décision visée au paragraphe 1 à la personne physique ou morale, à l’entité ou à l’organisme concerné, y compris les motifs de son inscription sur la liste, soit directement si son adresse est connue, soit par la publication d’un avis, en lui donnant la possibilité de présenter des observations.

3. Si des observations sont formulées, ou si de nouveaux éléments de preuve substantiels sont présentés, le Conseil réexamine la décision visée au paragraphe 1 et en informe la personne physique ou morale, l’entité ou l’organisme concerné en conséquence. »

7        L’article 13, second alinéa, de la décision 2017/2074 dispose que cette décision fait l’objet d’un suivi constant et est prorogée, ou modifiée, le cas échéant, si le Conseil estime que ses objectifs n’ont pas été atteints.

8        À la date de l’adoption de la décision 2017/2074, ses annexes I et II ne comportaient encore le nom d’aucune personne ou entité.

9        Sur le fondement de l’article 215 TFUE et de la décision 2017/2074, le Conseil a adopté, le 13 novembre 2017, le règlement (UE) 2017/2063, concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2017, L 295, p. 21). En ce qui concerne le gel des fonds des personnes visées, ce règlement reprend, en substance, les dispositions de la décision 2017/2074. En particulier, les annexes IV et V dudit règlement correspondent respectivement aux annexes I et II de la décision 2017/2074. En vertu de l’article 17, paragraphe 4, du même règlement, ces deux annexes sont réexaminées à intervalles réguliers, et au moins tous les douze mois.

10      À la date de l’adoption du règlement 2017/2063, ses annexes IV et V ne comportaient encore le nom d’aucune personne ou entité.

11      L’article 13, premier alinéa, de la décision 2017/2074 prévoyait, dans sa version initiale, que cette décision était applicable jusqu’au 14 novembre 2018.

12      En revanche, le règlement 2017/2063 n’est assorti d’aucun terme.

 Inscription du nom du requérant sur les listes : décision (PESC) 2018/90 et règlement d’exécution (UE) 2018/88

13      Le 22 janvier 2018, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2018/90, modifiant la décision 2017/2074 (JO 2018, L 16 I, p. 14). Le même jour le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) 2018/88, mettant en œuvre le règlement 2017/2063 (JO 2018, L 16 I, p. 6). Cette décision et ce règlement d’exécution (ci-après, ensemble, les « actes initiaux ») ont été publiés le jour même au Journal officiel de l’Union européenne. Selon les considérants 4 des actes initiaux, « la situation au Venezuela ne cessant de se dégrader, il conv[enai]t d’inscrire sept personnes sur la liste des personnes physiques et morales, des entités et des organismes faisant l’objet de mesures restrictives » figurant à l’annexe I de la décision 2017/2074 et à l’annexe IV du règlement 2017/2063. Les actes initiaux ont par conséquent modifié ces annexes. Le nom du requérant y a ainsi été inscrit de la manière suivante : « 6 – Nom : Tarek William Saab Halabi – Informations d’identification : Date de naissance : 10.9.1963 – Motifs de l’inscription : Procureur général du Venezuela nommé par l’Assemblée [nationale] constituante. En cette qualité et dans ses anciennes fonctions de médiateur et de président du [Consejo Moral Republicano (Conseil moral républicain)], il a porté atteinte à la démocratie et à l’état de droit au Venezuela en apportant publiquement son soutien à des actions menées contre des opposants au gouvernement et au retrait de compétences de l’Assemblée nationale – Date de l’inscription : 22.1.2018 ».

14      Le 23 janvier 2018 a été publié au Journal officiel un avis à l’attention des personnes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2017/2074, modifiée par la décision 2018/90, et par le règlement 2017/2063, mis en œuvre par le règlement d’exécution 2018/88, concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, C 23, p. 4).

15      Par courriel du 20 février 2018, le représentant du requérant a demandé au Conseil d’avoir accès au dossier contenant les éléments de preuve, les documents et les informations justifiant les actes initiaux. Le Conseil a accusé réception de cette demande le lendemain.

16      Par courriel du 3 avril 2018, le Conseil a envoyé au représentant du requérant les deux documents sur lesquels les actes initiaux étaient fondés, à savoir un document de travail daté du 22 mars 2018 portant la référence WK 3503/2018 INIT et l’extrait 6 d’une annexe à un document daté du 27 mars 2018 et portant la référence COREU CFSP/0702/17.

17      En réponse à une demande d’éclaircissement du représentant du requérant, le Conseil a précisé, le 6 avril 2018, que le document COREU CFSP/0702/17 datait en réalité du 6 décembre 2017, mais, ayant dû être déclassifié en raison de la demande d’accès, il portait la date du 27 mars 2018.

 Faits postérieurs à l’introduction du présent recours

18      Le 6 novembre 2018, la décision (PESC) 2018/1656 du Conseil, modifiant la décision 2017/2074 (JO 2018, L 276, p. 10), a prorogé la validité des mesures restrictives jusqu’au 14 novembre 2019, y compris en ce qui concerne le requérant. La décision 2018/1656 a également remplacé la mention 7 de l’annexe I de la décision 2017/2074, modifiant ainsi le motif d’inscription d’une autre personne visée par les mesures restrictives en cause. Le 6 novembre 2018, également, le règlement d’exécution (UE) 2018/1653 du Conseil, mettant en œuvre le règlement 2017/2063 (JO 2018, L 276, p. 1), a modifié dans le même sens la mention 7 de l’annexe IV de ce dernier règlement.

19      Par lettre du 7 novembre 2018, le Conseil a informé le représentant du requérant qu’il avait été décidé de proroger la validité des mesures restrictives à l’égard de celui-ci. En outre, il a été informé de la possibilité de soumettre une demande de réexamen de cette décision auprès du Conseil jusqu’au 23 août 2019. Cette lettre n’a été suivie d’aucune réponse.

20      Le 7 novembre 2018 a été publié au Journal officiel un avis à l’attention des personnes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2017/2074, modifiée par la décision 2018/1656, et par le règlement 2017/2063, mis en œuvre par le règlement d’exécution 2018/1653, concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, C 401, p. 2).

 Procédure et conclusions des parties

21      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 avril 2018, le requérant a introduit le présent recours.

22      La phase écrite de la procédure a été close le 11 décembre 2018.

23      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 17 janvier 2019, le requérant a, sur le fondement de l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, adapté sa requête afin de solliciter également l’annulation de la décision 2018/1656 et du règlement d’exécution 2018/1653, en tant que ces actes le concernent. Le Conseil a déposé ses observations sur le mémoire en adaptation au greffe du Tribunal le 15 février 2019.

24      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, en application de l’article 27, paragraphe 5, du règlement de procédure, la juge rapporteure a été affectée à la septième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

25      Par lettre du 20 décembre 2019, les parties ont été invitées à présenter des observations sur une éventuelle jonction des affaires T‑245/18, Benavides Torres/Conseil, T‑246/18, Moreno Pérez/Conseil, T‑247/18, Lucena Ramírez/Conseil, T‑248/18, Cabello Rondón/Conseil, T‑249/18, Saab Halabi/Conseil et T‑35/19, Benavides Torres/Conseil, aux fins de la phase orale de la procédure. Les parties ont répondu ne pas avoir d’objections à une telle jonction.

26      Par décision du 28 janvier 2020, le président de la septième chambre du Tribunal a décidé de joindre lesdites affaires (ci-après les « affaires jointes »), aux fins de la phase orale de la procédure. Le même jour, la phase orale de la procédure a été ouverte et la date de l’audience de plaidoiries a été fixée au 23 avril 2020.

27      Le 7 février 2020, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, le Tribunal a invité les parties dans les affaires jointes à répondre à des questions pour réponse écrite avant l’audience et pour réponse orale lors de l’audience. Les parties dans les affaires jointes ont répondu aux questions pour réponse écrite dans le délai imparti. Le 13 mars 2020, le Tribunal les a invitées à présenter leurs observations éventuelles sur les réponses de l’autre partie. Les parties dans les affaires jointes ont présenté leurs observations dans le délai imparti.

28      L’audience de plaidoiries initialement prévue le 23 avril 2020 ayant été reportée en raison de la crise sanitaire, les parties dans les affaires jointes ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 3 septembre 2020.

29      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes initiaux, ainsi que la décision 2018/1656 et le règlement d’exécution 2018/1653 (ci-après, ensemble, les « actes attaqués »), en tant que leurs dispositions le concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

30      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        à titre subsidiaire, si les mesures restrictives visant le requérant devaient être annulés, ordonner le maintien des effets de la décision 2018/1656 en ce qui concerne celui-ci jusqu’à la prise d’effet de l’annulation partielle du règlement d’exécution 2018/88 ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité de l’adaptation de la requête

31      Dans son mémoire en adaptation, par lequel il sollicite l’annulation de la décision 2018/1656 et du règlement d’exécution 2018/1653, le requérant fait valoir que, par ces deux actes, le Conseil a maintenu son nom sur la liste figurant à l’annexe I de la décision 2017/2074 et sur la liste figurant à l’annexe IV du règlement 2017/2063, après réexamen de sa situation et pour un motif inchangé par rapport à son inscription initiale. Cette décision et ce règlement d’exécution auraient eu pour effet de proroger jusqu’au 14 novembre 2019 la période pendant laquelle les mesures restrictives en cause lui sont applicables.

32      Dans le cadre de ses observations sur le mémoire en adaptation, le Conseil soulève une exception d’irrecevabilité en ce que ce mémoire tend à l’annulation du règlement d’exécution 2018/1653, au motif que le requérant n’a pas de qualité pour agir. Le Conseil fait valoir que ce règlement d’exécution ne mentionne pas spécifiquement le nom du requérant et ne remplace pas un acte le concernant directement et individuellement. Dès lors, le requérant n’aurait pas qualité à agir.

33      Dans sa réponse à une question posée dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure, le Conseil ajoute que le réexamen périodique prévu à l’article 17, paragraphe 4, du règlement 2017/2063 n’aboutit pas nécessairement à l’adoption d’un acte juridique nouveau. Selon le Conseil, en l’espèce, s’il n’avait pas été nécessaire de modifier les informations concernant une personne autre que le requérant, le règlement d’exécution 2018/1653 n’aurait pas été adopté. Cet acte n’aurait ni pour objet ni pour effet de maintenir l’inscription du requérant sur la liste figurant à l’annexe du règlement 2017/2063. Dès lors, le requérant ne disposerait pas d’intérêt à agir contre ledit acte.

34      À cet égard, il y a lieu d’observer que l’article 13, second alinéa, de la décision 2017/2074 prévoit que celle-ci doit faire l’objet d’un suivi constant. Le considérant 2 de la décision 2018/1656 fait expressément état d’un réexamen de la décision 2017/2074.

35      En revanche, le règlement d’exécution 2018/1653 ne comporte pas une telle mention. Il ne saurait, toutefois, en être déduit que le Conseil n’a pas procédé au réexamen de la situation et que cette absence de réexamen ferait obstacle à l’adaptation de la requête. L’article 17, paragraphe 4, du règlement 2017/2063 dispose en effet que la liste figurant à l’annexe IV de celui-ci est examinée à intervalles réguliers et au moins tous les douze mois. Or, la recevabilité d’un recours ne saurait dépendre du bon vouloir du Conseil, selon que celui-ci estime avoir effectivement réexaminé ou non le maintien de l’inscription du nom de la personne concernée sur les listes en cause, ce qui irait à l’encontre du principe de sécurité juridique (arrêt du 9 juillet 2014, Al-Tabbaa/Conseil, T‑329/12 et T‑74/13, non publié, EU:T:2014:622, point 47). Dès lors, le Conseil ne saurait faire valoir que, en l’espèce, il n’a opéré aucun réexamen de la situation du requérant, contrairement à ses obligations, afin d’en tirer un bénéfice en ce qui concerne la recevabilité du recours dirigé contre le règlement d’exécution 2018/1653. De surcroît, en raison de l’étroite imbrication des deux textes, il doit être considéré que le réexamen de la situation, que le Conseil admet avoir effectué pour adopter la décision 2018/1656, a été un préalable nécessaire également pour l’adoption du règlement d’exécution 2018/1653.

36      Au vu de ce qui précède, il y a lieu d’écarter les fins de non-recevoir soulevées par le Conseil et de constater que les conclusions du mémoire en adaptation sont recevables, y compris en ce qu’elles visent le règlement d’exécution 2018/1653.

 Sur le fond

37      À l’appui de son recours, le requérant invoque deux moyens tirés, le premier, de la violation de l’obligation de motivation, du principe de bonne administration et de ses droits de la défense ainsi que de son droit à une protection juridictionnelle effective et, le second, d’une absence d’éléments de preuve et d’une « erreur manifeste d’appréciation ».

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation, du principe de bonne administration et des droits de la défense ainsi que du droit à une protection juridictionnelle effective

38      Il convient de relever d’emblée que le premier moyen est dirigé uniquement contre les actes initiaux, un tel moyen n’étant pas repris dans le mémoire en adaptation.

39      D’une part, le requérant prétend, en substance, que les actes initiaux ne sont pas suffisamment motivés. En ce sens, il soutient que les motifs figurant à l’annexe I de la décision 2017/2074 et à l’annexe IV du règlement 2017/2063, telles que modifiées par les actes initiaux, étaient trop vagues pour qu’il puisse apprécier pleinement à quels faits concrets le Conseil faisait référence. D’autre part, il fait valoir que, malgré ses démarches entamées le 20 février 2018, le Conseil ne lui a accordé l’accès aux documents justifiant les actes initiaux que le 3 avril suivant, c’est-à-dire à un moment où il ne lui restait plus que treize jours calendaires ou neuf jours ouvrables pour introduire son recours. Dès lors, le requérant conclut que le Conseil n’a pas satisfait, dans un délai raisonnable, à sa demande d’accès à son dossier et a ainsi violé le principe de bonne administration, ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective.

40      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

–       Sur la violation de l’obligation de motivation

41      Conformément à la jurisprudence, l’obligation de motiver un acte faisant grief, telle que prévue à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE et consacrée à l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), constitue un corollaire du principe du respect des droits de la défense. Il convient de rappeler, à cet égard, que la motivation a précisément pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union européenne et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de cet acte (voir arrêts du 26 juillet 2017, Conseil/LTTE, C‑599/14 P, EU:C:2017:583, point 29 et jurisprudence citée, et du 26 octobre 2016, Kaddour/Conseil, T‑155/15, non publié, EU:T:2016:628, points 56 et 57 et jurisprudence citée).

42      La motivation d’un acte faisant grief doit exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de cet acte (voir arrêt du 26 juillet 2017, Conseil/LTTE, C‑599/14 P, EU:C:2017:583, point 30 et jurisprudence citée).

43      En ce qui concerne les mesures restrictives adoptées dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), dans la mesure où la personne concernée ne dispose pas d’un droit d’audition préalable à l’adoption d’une décision initiale de gel des fonds, le respect de l’obligation de motivation est d’autant plus important, puisqu’il constitue l’unique garantie permettant à l’intéressé, à tout le moins après l’adoption de cette décision, de se prévaloir utilement des voies de recours à sa disposition pour contester la légalité de ladite décision (arrêts du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 51, et du 26 octobre 2016, Kaddour/Conseil, T‑155/15, non publié, EU:T:2016:628, point 58).

44      Partant, à moins que des considérations impérieuses touchant à la sûreté de l’Union ou de ses États membres ou à la conduite de leurs relations internationales ne s’opposent à la communication de certains éléments, le Conseil est tenu de porter à la connaissance d’une personne ou d’une entité visée par des mesures restrictives les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles il considère qu’elles devaient être adoptées. Il doit ainsi énoncer les éléments de fait et de droit dont dépend la justification légale des mesures concernées et les considérations qui l’ont amené à les prendre (arrêt du 9 juillet 2009, Melli Bank/Conseil, T‑246/08 et T‑332/08, EU:T:2009:266, point 144).

45      Cependant, la motivation doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. En particulier, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (arrêts du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, points 53 et 54, et du 25 avril 2013, Gossio/Conseil, T‑130/11, non publié, EU:T:2013:217, points 45 et 46).

46      Il convient également de rappeler que l’obligation de motiver un acte constitue une forme substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (arrêt du 30 janvier 2019, Stavytskyi/Conseil, T‑290/17, EU:T:2019:37, point 57 et jurisprudence citée).

47      C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner le présent grief.

48      En l’espèce, s’agissant des motifs pour lesquels le Conseil a considéré que le requérant devait spécifiquement faire l’objet de mesures restrictives, la motivation, reproduite au point 13 ci-dessus, qui figure aux points 3 de l’annexe I de la décision 2017/2074 et de l’annexe IV du règlement 2017/2063, telles que modifiées par les actes initiaux, identifie, contrairement à ce que soutient en substance le requérant, les éléments spécifiques et concrets qui révèlent, selon le Conseil, l’implication de celui-ci dans des atteintes à la démocratie et à l’état de droit au Venezuela.

49      En effet, il convient de relever que les préambules des actes initiaux visent, respectivement, la décision 2017/2074 et le règlement 2017/2063. Or, aux considérants 1 et 5 à 8 de la décision 2017/2074, ainsi qu’aux considérants 1 et 2 du règlement 2017/2063, le Conseil a exposé le contexte général l’ayant conduit à prévoir des mesures restrictives à l’encontre du Venezuela et de certaines personnes ou entités vénézuéliennes. Il en ressort que ce contexte général se caractérisait par la dégradation constante de la démocratie, de l’état de droit et des droits de l’homme au Venezuela résultant notamment de la décision des autorités de procéder à l’élection d’une Assemblée nationale constituante (ci-après l’« Assemblée constituante »), qui a aggravé la crise au Venezuela et a porté atteinte à d’autres institutions prévues par la Constitution vénézuélienne, telles que l’Assemblée nationale. Eu égard à sa fonction de procureur général du Venezuela et à ses anciennes fonctions de médiateur et de président du Conseil moral républicain vénézuélien, le requérant ne pouvait ignorer ce contexte.

50      De plus, ainsi que cela a été indiqué aux points 4 et 5 ci-dessus, conformément à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, de la décision 2017/2074, le critère général d’inscription établi par le Conseil vise notamment les personnes physiques « dont les actions, les politiques ou les activités portent atteinte d’une quelconque autre manière à la démocratie ou à l’état de droit au Venezuela ». Ce critère est également repris par l’article 8, paragraphe 3, du règlement 2017/2063.

51      Dès lors, la lecture des motifs d’inscription du requérant permet de comprendre que les raisons spécifiques et concrètes ayant conduit le Conseil à adopter des mesures restrictives à l’encontre du requérant sont fondées sur la prétendue responsabilité de ce dernier, qui a, par ses actions et ses politiques, porté atteinte à la démocratie et à l’état de droit au Venezuela, lorsque, en tant que procureur général du Venezuela et dans ses anciennes fonctions de médiateur et de président du Conseil moral républicain vénézuélien, il a apporté publiquement son soutien à des actions menées contre des opposants au gouvernement et au retrait de compétences de l’Assemblée nationale.

52      De surcroît, il convient de relever que le fait que le requérant a pu comprendre les motifs qui, selon le Conseil, justifiaient l’adoption de mesures restrictives à son égard, est confirmé par la teneur du second moyen du présent recours. En effet, le requérant a été capable d’identifier les faits précis qui lui étaient reprochés et de contester leur exactitude. Le requérant a pu faire valoir que le Conseil n’apportait pas de preuves suffisamment précises et concrètes au soutien des actes initiaux. Il a notamment été en mesure de réfuter les critiques relatives à son action en qualité de médiateur et de procureur général et de produire des preuves visant à établir qu’il avait exercé ses fonctions de manière impartiale et non partisane. Le requérant a également pu attirer l’attention sur le caractère collégial du fonctionnement du Conseil moral républicain et réfuter les critiques envers les actes qu’il aurait posés à ce titre.

53      Il s’ensuit que la motivation des actes initiaux a mis le requérant en mesure de comprendre et de contester les motifs de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses.

54      Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le grief tiré de la violation de l’obligation de motivation par le Conseil.

–       Sur la violation du principe de bonne administration, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective

55      À titre liminaire, il y a lieu de remarquer que le grief du requérant selon lequel le Conseil a violé le principe de bonne administration, son droit à une protection juridictionnelle effective et ses droits de la défense n’est pas étayé par des arguments spécifiques à chacune de ces violations, mais se borne à renvoyer à une argumentation commune. Dans ces circonstances, il y a lieu d’examiner conjointement lesdites violations.

56      Il convient de rappeler que le respect des droits de la défense, qui est consacré à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte, à laquelle le traité UE reconnaît la même valeur juridique que les traités, comporte notamment le droit d’accès au dossier, tandis que le droit à une protection juridictionnelle effective, qui est affirmé à l’article 47 de ladite Charte, exige que l’intéressé puisse connaître les motifs sur lesquels est fondée la décision prise à son égard (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 55).

57      Plus précisément, les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective impliquent que l’autorité de l’Union qui adopte des mesures restrictives communique à l’intéressé les éléments sur lesquels ces mesures sont fondées ou lui accorde le droit d’en prendre connaissance dans un délai raisonnable après l’édiction de ces mesures (voir, en ce sens, arrêts du 21 mars 2014, Yusef/Commission, T‑306/10, EU:T:2014:141, point 90, et du 13 décembre 2016, Al-Ghabra/Commission, T‑248/13, EU:T:2016:721, point 49).

58      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans le cas d’une décision initiale de gel de fonds, le Conseil n’est pas tenu de communiquer au préalable à la personne ou à l’entité concernée les motifs sur lesquels cette institution entend fonder l’inclusion du nom de cette personne ou de cette entité dans la liste pertinente, afin de garantir l’effet de surprise nécessaire à l’efficacité d’une telle mesure. Dans un tel cas, il suffit, en principe, que l’institution procède à la communication des motifs à la personne ou à l’entité concernée et ouvre le droit à l’audition de celle-ci concomitamment avec ou immédiatement après l’adoption de la décision (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 61).

59      En l’espèce, dans le contexte particulier de l’inscription initiale sur les listes litigieuses nécessitant d’assurer un effet de surprise, indépendamment de la question de savoir si le Conseil a communiqué son dossier au requérant dans un délai raisonnable, il convient de déterminer si le requérant n’était pas en mesure de contester les éléments dudit dossier devant le Tribunal (voir, par analogie, arrêts du 18 septembre 2014, Georgias e.a./Conseil et Commission, T‑168/12, EU:T:2014:781, point 106, et du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, point 153). Or, force est de constater que celui-ci a été mis en mesure de contester les éléments de ce dossier devant le Tribunal, ainsi qu’il ressort des arguments invoqués dans la requête décrits au point 52 ci-dessus.

60      En outre, dans l’hypothèse où le requérant aurait voulu soulever des arguments qu’il n’aurait pas eu la possibilité d’invoquer dans sa requête en raison de la communication prétendument tardive du dossier par le Conseil, il aurait pu présenter ces éventuels arguments supplémentaires dans son mémoire en adaptation de la requête. Or, dans ce mémoire, le requérant a soutenu que les erreurs commises lors de l’adoption des actes initiaux avaient été réitérées par le Conseil lorsque celui-ci a adopté la décision 2018/1656 et le règlement d’exécution 2018/1653. Il s’est limité à faire valoir que le second moyen, tel qu’il est soulevé dans la requête, pouvait être transposé purement et simplement à sa demande d’annulation de cette dernière décision et de ce dernier règlement d’exécution.

61      De plus, le requérant reste en défaut d’expliquer, également lors de l’audience, quels sont les arguments et les éléments qu’il aurait pu faire valoir s’il avait reçu le dossier du Conseil plus tôt.

62      Par conséquent, le requérant n’a pas démontré que la communication prétendument tardive du dossier du Conseil a porté atteinte à ses droits de la défense, à son droit à une protection juridictionnelle effective et au principe de bonne administration.

63      À la lumière des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le présent grief et, partant, le premier moyen dans son ensemble.

 Sur le second moyen, tiré d’une absence d’éléments de preuve et d’une « erreur manifeste d’appréciation »

64      Le second moyen est dirigé contre l’ensemble des actes attaqués.

65      Le requérant divise ce moyen en deux branches, la première, tirée de ce que le Conseil n’a pas démontré l’existence des conditions relatives à son inscription sur les listes litigeuses et, la seconde, tirée d’une « erreur manifeste d’appréciation ».

66      Il y a lieu d’observer que les deux branches se recoupent, en ce que le requérant fait notamment valoir, dans le cadre de la seconde branche, que le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation en n’apportant que des éléments de preuve vagues et non fondés pour justifier l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses. Dès lors, il convient de les traiter ensemble.

67      Le requérant fait valoir que le Conseil n’a pas produit d’éléments de preuve fiables au soutien de son exposé des motifs et ne s’est pas conformé à son devoir d’examiner avec soin et impartialité les informations dont il disposait.

68      À cet égard, le requérant conteste tout d’abord la fiabilité des articles de presse publiés les 17 et 23 août 2017 dans le journal El Nacional. Ce journal soutenant l’opposition, lesdits articles ne seraient pas neutres. Ensuite, le requérant fait valoir que le Conseil n’a pas démontré la réalité des faits allégués dans les articles en cause. En outre, contrairement à ce que soutiendrait le Conseil, il ne ressortirait pas de l’article publié dans le journal Deia du 5 avril 2017 que le requérant aurait apporté un soutien public aux décisions du Tribunal Supremo de Justicia (Cour suprême, Venezuela) qui auraient retiré à l’Assemblée nationale ses compétences. Enfin, le requérant indique que le rapport de l’Organisation des États américains (OEA) du 19 juillet 2017, qu’invoque le Conseil, ne contient aucun élément de preuve ni aucune description factuelle au soutien des affirmations qui y figurent.

69      Le requérant ajoute que le Conseil a commis une « erreur manifeste d’appréciation » en ce qui concerne son rôle en tant que procureur général du Venezuela et ses rôles antérieurs en tant que médiateur et président du Conseil moral républicain. Il indique qu’il a exercé toutes les activités prévues dans la Constitution vénézuélienne avec diligence, rigueur et détermination. À cet égard, le requérant produit plusieurs documents indiquant que son activité, en tant que procureur général et dans l’exercice de ses fonctions antérieures de médiateur, se caractérisait par le plus grand engagement et la plus grande impartialité.

70      En outre, le requérant affirme que le rapport de l’OEA, invoqué par le Conseil au soutien de ses motifs justifiant l’inscription et le maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses, ne contient aucune preuve du fait que celui-ci aurait manqué à son devoir constitutionnel de médiateur. Concernant son poste de procureur général, le requérant allègue que sa nomination à ce poste a été considérée par les organisations internationales comme un changement de politique plus que nécessaire au sein du ministère public.

71      Quant à ses fonctions de président du Conseil moral républicain, le requérant fait valoir que cet organe est collégial, de sorte que son président ne décide pas seul, mais avec ses collègues. Dès lors, il serait impossible d’imputer toute la responsabilité au président. Le requérant relève également que les principaux éléments de preuve sur lesquels le Conseil s’est fondé pour étayer les motifs justifiant l’inscription de son nom sur les listes litigieuses, en sa qualité du président du Conseil moral républicain, sont constitués par le rapport de l’OEA, dans lequel il serait affirmé vaguement qu’il aurait joué un rôle clé dans le rejet de la destitution des juges du Tribunal Supremo de Justicia (Cour suprême). En outre, le requérant conteste la déclaration de l’ancienne secrétaire du Conseil moral républicain, publiée dans l’article du journal Noticias al día y a la hora du 17 juin 2017, comme fausse, nuisible et contradictoire.

72      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

73      Il convient de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel, garantie par l’article 47 de la Charte, exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 64).

74      À cette fin, il incombe au juge de l’Union de procéder à cet examen en demandant, le cas échéant, à l’autorité compétente de l’Union de produire des informations ou des éléments de preuve, confidentiels ou non, pertinents aux fins d’un tel examen (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 120 et jurisprudence citée ; arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 65).

75      C’est en effet à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 66).

76      À cette fin, il n’est pas requis que ladite autorité produise devant le juge de l’Union l’ensemble des informations et des éléments de preuve inhérents aux motifs allégués dans l’acte dont il est demandé l’annulation. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 122, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 67). À cet égard, l’appréciation du bien-fondé d’une inscription doit être effectuée en examinant les éléments de preuve non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent (voir, en ce sens, arrêts du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑630/13 P, EU:C:2015:247, point 51, et du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 50).

77      En ce qui concerne les moyens de preuve qui peuvent être invoqués, le principe qui prévaut en droit de l’Union est celui de la libre administration des preuves [arrêt du 6 septembre 2013, Persia International Bank/Conseil, T‑493/10, EU:T:2013:398, point 95 (non publié)]. À cet égard, il importe de rappeler que, en l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union doit, de fait, se fonder sur des sources d’information accessibles au public, des rapports, des articles de presse ou d’autres sources d’information similaires (voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2018, Kim e.a./Conseil et Commission, T‑533/15 et T‑264/16, EU:T:2018:138, point 107). Notamment, il ressort de la jurisprudence que le juge de l’Union peut prendre en considération des rapports d’organisations internationales (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2015, Ipatau/Conseil, C‑535/14 P, EU:C:2015:407, point 48).

78      Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, eu égard à la nature préventive des mesures restrictives adoptées par le Conseil, si, dans le cadre de son contrôle de la légalité des actes attaqués, le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés dans ces actes à l’égard d’une personne visée par ces mesures est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une base suffisante pour soutenir la décision d’inscrire ou de maintenir le nom de cette personne sur les listes annexées auxdits actes, la circonstance que d’autres motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ces actes (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 130 ; du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 72, et du 26 mars 2019, Boshab e.a./Conseil, T‑582/17, non publié, EU:T:2019:193, point 221).

79      C’est au vu de ces principes qu’il y a lieu d’apprécier si sont entachés d’erreurs d’appréciation les motifs de l’inscription et du maintien du requérant sur les listes litigieuses, tirés de ce qu’il est procureur général du Venezuela, nommé par l’Assemblée constituante, et qu’en cette qualité et dans ses anciennes fonctions de médiateur et de président du Conseil moral républicain, il a porté atteinte à la démocratie et à l’état de droit au Venezuela en apportant publiquement son soutien à des actions menées contre des opposants au gouvernement et au retrait de compétences de l’Assemblée nationale.

80      Ainsi que cela a été indiqué aux points 4 et 5 ci-dessus, conformément à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, de la décision 2017/2074, le critère général établi, aux fins de l’inscription sur les listes litigieuses, vise notamment les personnes physiques « dont les actions, les politiques ou les activités portent atteinte d’une quelconque autre manière à la démocratie ou à l’état de droit au Venezuela ». Ce critère est également repris par l’article 8, paragraphe 3, du règlement 2017/2063.

81      À cet égard, il convient de rappeler que, en ce qui concerne le contexte général au Venezuela, il ressort des considérants 1 et 5 à 8 de la décision 2017/2074 et des considérants 1 et 2 du règlement 2017/2063 que les actes attaqués ont été adoptés en raison de la détérioration constante de la démocratie, de l’état de droit et des droits de l’homme au Venezuela, résultant notamment de l’usage excessif de la force, ainsi que des actes de répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique. Au considérant 6 de la décision 2017/2074, il est indiqué que, le 2 août 2017, l’Union a déploré vivement la décision prise par les autorités vénézuéliennes de poursuivre l’élection d’une Assemblée constituante, décision qui a durablement aggravé la crise au Venezuela et a entraîné le risque de porter atteinte à d’autres institutions légitimes prévues par la Constitution vénézuélienne, telles que l’Assemblée nationale.

82      Ce contexte général de la situation au Venezuela a également été invoqué par le Conseil devant le Tribunal, sans qu’il soit contredit par le requérant. Le Conseil a ainsi rappelé que, après le mois de décembre 2015, à la suite des élections de l’Assemblée nationale, une coalition de partis d’opposition avait gagné la majorité des sièges. Au mois de janvier 2016, le président du Venezuela de l’époque a décrété l’état d’urgence au Venezuela et a gouverné par décrets. Au mois d’avril 2017, des manifestations quasi quotidiennes se sont déroulées pendant plusieurs mois, ayant pour conséquence un grand nombre de décès et de blessés parmi les civils et des milliers d’arrestations. Au mois de mai 2017, le président du Venezuela de l’époque a annoncé la création d’une Assemblée constituante dont les membres avaient été élus le 30 juillet 2017 par un processus électoral boycotté par l’opposition.

83      En ce qui concerne les motifs d’inscription et du maintien du requérant sur les listes litigieuses, le Conseil a considéré que le requérant avait porté atteinte à la démocratie et à l’état de droit au Venezuela parce que, en sa qualité de procureur général et dans ses anciennes fonctions de médiateur et de président du Conseil moral républicain, il avait apporté publiquement son soutien à des actions menées contre des opposants au gouvernement et au retrait de compétences de l’Assemblée nationale.

84      Il ressort du dossier du Conseil au moment de l’adoption des actes attaqués que, pour justifier l’inscription et le maintien du requérant sur les listes litigieuses, le Conseil s’est fondé sur sept documents, à savoir six articles de presse, publiés sur différents sites Internet entre le mois d’avril et le mois d’août 2017, et un rapport de l’OEA du 19 juillet 2017. Il convient d’observer que chacun de ces éléments comporte le lien du site Internet en cause, un résumé succinct de son contenu en langue anglaise, rédigé par le Conseil, et une capture d’écran dudit site Internet. Le Conseil les a présentés dans son dossier dans l’ordre suivant :

–        un article du 17 août 2017, publié sur le site Internet « www.el-nacional.com » et intitulé « William Saab menace les procureurs loyaux envers Ortega Díaz » ;

–        un article du 23 août 2017, publié sur le site Internet « www.el-nacional.com » et intitulé « Ortega Díaz : Tarek William Saab est concerné par six dossiers pour corruption » ;

–        un article du 16 août 2017, publié sur le site Internet « www.puntodecorte.com » et intitulé « Tarek William Saab a demandé l’arrestation du député Germán Ferrer et la levée de son immunité parlementaire » ;

–        un article du 17 juin 2017, publié sur le site Internet « www.noticiasaldiayalahora.co » et intitulé « Tarek William Saab menace l’ex-secrétaire du Conseil moral » ;

–        un article du 5 avril 2017, publié sur le site Internet « www.deia.com » et intitulé « Le médiateur du Venezuela soutient le Tribunal Supremo de Justicia(Cour suprême) » ;

–        un article du 5 août 2017, publié sur le site Internet « http ://telesurtv.net » et intitulé « Tarek William Saab nommé procureur général du Venezuela » ;

–        un rapport de l’OEA du 19 juillet 2017, présenté comme étant le troisième rapport de cette organisation sur la « crise persistante » au Venezuela après ceux de juin 2016 et mars 2017.

85      En premier lieu, il doit être relevé que, selon le rapport de l’OEA du 19 juillet 2017, les élections de l’Assemblée constituante n’ont pas été démocratiques, dès lors que les règles appliquées ont violé le principe du suffrage universel, consacré par la Constitution vénézuélienne. En outre, cette assemblée s’est arrogée le pouvoir de destituer de ses fonctions de procureur général Mme Luisa Ortega Díaz, qui avait critiqué ces élections, et de la remplacer par le requérant, alors que ce pouvoir de nomination appartient, selon ladite Constitution, à l’Assemblée nationale (voir notamment les pages 10 à 13 de ce rapport).

86      Dès lors, il y a lieu de constater que, à l’instar du Conseil, en acceptant d’être nommé au poste de procureur général par l’Assemblée constituante, à la suite du limogeage Mme Ortega Díaz pour des raisons politiques, le requérant a porté atteinte à la démocratie et à l’état de droit au Venezuela. En effet, cette nomination inconstitutionnelle n’aurait pas pu être effective si le requérant n’avait pas accepté d’assumer ces fonctions, tout en sachant que sa nomination faisait suite à ce limogeage, ainsi que cela ressort de l’article de presse du 5 août 2017, publié sur le site Internet « http ://telesurtv.net » figurant au dossier du Conseil.

87      En deuxième lieu, il convient de constater qu’il peut être considéré que deux preuves présentées par le Conseil dans son dossier au moment de l’adoption des actes attaqués faisaient état d’actions du requérant contre des opposants au gouvernement. En effet, d’une part, l’article du 17 août 2017, publié sur le site Internet « www.el-nacional.com », fait mention de « menaces » proférées par le requérant à l’encontre de toute personne qui, au sein du bureau du ministère public, soutiendrait l’ancienne procureure générale, Mme Ortega Díaz. En effet, selon cet article, le requérant a déclaré lors d’une allocution devant l’Assemblée constituante, qui l’a nommé au poste de procureur général, que « [c]eux qui sont solidaires avec la gestion antérieure sont complices et doivent être identifiés ».

88      Le requérant conteste la fiabilité de l’article d’El Nacional au motif que le journal dont il émane serait proche de l’opposition et emploierait des termes qui ne seraient pas neutres en qualifiant l’Assemblée constituante de « frauduleuse » et sa nomination au poste de procureur général d’« inconstitutionnelle ». Toutefois, premièrement, la seule circonstance qu’un journal soit proche de l’opposition et dénonce certaines actions menées par un gouvernement ne saurait suffire à considérer que les informations qu’il rapporte ne sont pas dignes de foi. Deuxièmement, s’agissant de la qualification de l’Assemblée constituante de « frauduleuse » et de la nomination du requérant au poste de procureur général, par cette dernière, d’« inconstitutionnelle », il convient de souligner que, ainsi qu’il a été relevé au point 85 ci-dessus, l’OEA a mis en cause de façon détaillée la conformité avec la Constitution vénézuélienne du processus tendant à mettre en place une Assemblée constituante. Partant, les termes employés dans l’article précité du journal El Nacional ne permettent pas, en eux-mêmes, d’exclure la fiabilité des informations qui y sont rapportées.

89      D’autre part, l’article du 16 août 2017, publié sur le site Internet « www.puntodecorte.com », fait référence à une conférence de presse du requérant, donnée quelques jours après son entrée en fonctions et au cours de laquelle il a annoncé avoir présenté, à l’Assemblée constituante, une demande tendant à lever l’immunité parlementaire de l’époux de l’ancienne procureure générale, député de l’Assemblée nationale, et à ordonner l’arrestation immédiate de ce dernier.

90      Au vu du contexte général de la situation au Venezuela, décrit au point 82 ci-dessus, l’ancienne procureure générale, de même que son époux, pouvaient raisonnablement être considérés par le Conseil comme étant des opposants au gouvernement. En effet, le requérant admet lui-même que l’ancienne procureure générale, Mme Ortega Díaz, a dénoncé publiquement et à plusieurs reprises la prétendue rupture de démocratie au Venezuela et qu’elle a fortement critiqué le gouvernement du président du Venezuela de l’époque. Il en va d’autant plus ainsi que, premièrement, aux termes du rapport de l’OEA du 19 juillet 2017, après avoir dénoncé le processus visant à convoquer une Assemblée constituante, l’ancienne procureure générale, Mme Ortega Díaz, a été frappée d’une interdiction de sortie du territoire et du gel de ses comptes bancaires et de ses propriétés dans l’attente d’une décision du Tribunal Supremo de Justicia (Cour suprême) sur son renvoi devant une juridiction. Deuxièmement, il ressort du même rapport que le Tribunal Supremo de Justicia (Cour suprême) a conféré au médiateur, à savoir le requérant, les pouvoirs d’investigation et de poursuites relevant normalement exclusivement du procureur général (voir pages 9 et 12). Troisièmement, ledit rapport relate également une déclaration par laquelle le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme avait apporté son soutien à l’ancienne procureure générale, Mme Ortega Díaz, le 30 juin 2017.

91      Le fait que, dans l’exercice de ses fonctions de procureur général, le requérant ait soutenu des actions menées contre des opposants au gouvernement est encore corroboré par diverses déclarations prononcées lors de sa prestation de serment devant l’Assemblée constituante qui l’a nommé. En effet, ainsi que cela ressort de l’article publié sur le site Internet « telesurenglish.net », d’une part, la présidente de l’Assemblée constituante a déclaré, au cours de cette prestation de serment, que le rôle du procureur général était de « garantir le respect du droit, superviser les procédures pénales, défendre les droits des victimes et lutter contre les éléments compromettant la paix et la stabilité dans le pays ». D’autre part, le requérant a indiqué « jure[r] pour [leurs] camarades, pour ceux qui sont restés fidèles au drapeau de la patrie alors qu’ils affrontaient les pires obstacles, qui n’ont pas capitulé, qui ne sont pas tombés, mais qui ont maintenu ce drapeau haut, digne, pour que ce drapeau ne soit pas abîmé, terni, humilié, offensé » et qu’il honorerait « cette nomination historique, au milieu des circonstances historiques de siège que traverse notre patrie, au milieu des menaces que nous avons affrontées avec dignité, du chef de l’État [de l’époque], au plus humble paysan, pêcheur, père et mère ». Au vu du contexte général de la situation au Venezuela, décrit au point 82 ci-dessus, des circonstances liées à la nomination du requérant au poste de procureur général, décrites aux points 85 et 86 ci-dessus, et des menaces proférées par le requérant contre les personnes soutenant l’ancienne procureure générale, décrites au point 87 ci-dessus, tant la déclaration de la présidente de l’Assemblée constituante que celle du requérant rapportées dans le présent point pouvaient être regardées comme étant dirigés à l’encontre des opposants au gouvernement.

92      En troisième lieu, en ce qui concerne le soutien apporté par le requérant au retrait de compétences de l’Assemblée nationale, il convient de relever que l’article du 5 avril 2017, publié sur le site Internet www.deia.com, fait état de sa déclaration selon laquelle les arrêts du Tribunal Supremo de Justicia (Cour suprême) par lesquels l’Assemblée nationale et les députés ont été privés de leurs pouvoirs ne pouvaient pas être considérés comme ayant causé une rupture de l’ordre constitutionnel. Au vu du contexte général de la situation au Venezuela, rappelé au point 82 ci-dessus, une telle déclaration du requérant, qui occupait à l’époque le poste du médiateur du Venezuela, pouvait être considérée par le Conseil comme apportant un soutien public aux décisions du Tribunal Supremo de Justicia (Cour suprême) retirant à l’Assemblée nationale ses compétences et ouvrant la voie à la mise en place de l’Assemblée constituante.

93      Le requérant ne conteste ni la fiabilité ni le contenu de l’article du 5 avril 2017, publié sur le site Internet « www.deia.com ». Plus particulièrement, le requérant ne nie pas qu’il a fait une déclaration selon laquelle les arrêts du Tribunal Supremo de Justicia (Cour suprême) ne pouvaient pas être considérés comme ayant causé une rupture de l’ordre constitutionnel.

94      À cet égard est sans pertinence l’argument du requérant selon lequel l’article du 5 avril 2017 a fait état d’une réunion entre le président du Venezuela et la procureure générale de l’époque, dont il ressortirait que l’ordre constitutionnel fonctionnait encore et qu’il était capable de faire face aux événements critiques qui s’étaient produits au cours des semaines antérieures. En effet, même s’il était vrai que l’article en cause avait mentionné une telle réunion et son contexte, il n’en demeure pas moins que celui-ci portait également sur les arrêts du Tribunal Supremo de Justicia (Cour suprême) retirant à l’Assemblée nationale ses compétences et dont il ressortait que le requérant a affirmé publiquement que ces arrêts ne pouvaient pas être considérés comme ayant causé une rupture de l’ordre constitutionnel.

95      En outre, selon le rapport de l’OEA du 19 juillet 2017, le requérant a joué, en sa qualité de président du Conseil moral républicain vénézuélien, un rôle essentiel dans le rejet des demandes de l’Assemblée nationale visant à obtenir que les membres du Tribunal Supremo de Justicia (Cour suprême) soient démis de leurs fonctions en raison de leurs violations manifestes de la Constitution vénézuélienne. Une telle affirmation doit être mise en perspective avec l’information rapportée dans l’article de « deia.com » précité du 5 avril 2017, selon laquelle l’opposition avait sollicité du requérant, en sa qualité de président du Pouvoir citoyen, qu’il soutienne la destitution de sept magistrats du Tribunal Supremo de Justicia (Cour suprême), ledit article rappelant que « [s]elon la Constitution vénézuélienne, les magistrats du Tribunal Supremo de Justicia (Cour suprême) pourront être destitués par l’Assemblée Nationale […] en cas de fautes graves déjà qualifiée par le Pouvoir [c]itoyen ».

96      Ainsi, le blocage par le requérant de toute procédure à l’encontre des juges du Tribunal Supremo de Justicia (Cour suprême) impliqués dans les décisions retirant à l’Assemblée nationale ses compétences, au profit de l’Assemblée constituante, pouvait être considéré par le Conseil comme un soutien apporté aux décisions en question.

97      Eu égard aux considérations exposées dans le cadre de l’examen du présent moyen, il y a lieu de considérer que c’est à partir d’éléments de preuve suffisamment fiables et concordants que le Conseil a conclu, sans commettre d’erreur d’appréciation, que le requérant avait porté atteinte à la démocratie et à l’état de droit au Venezuela, en apportant publiquement son soutien à des actions menées contre des opposants au gouvernement et au retrait de compétences de l’Assemblée nationale, sans qu’il soit nécessaire d’examiner, conformément à la jurisprudence citée au point 78 ci-dessus, la pertinence et la force probante des autres éléments retenus par le Conseil.

98      Dès lors, le second moyen doit être rejeté.

99      Partant, le premier moyen étant également rejeté, il convient de rejeter le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

100    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Tarek William Saab Halabi est condamné aux dépens.

da Silva Passos

Reine

Truchot

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 juillet 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.