Language of document : ECLI:EU:T:2003:53

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

5 mars 2003 (1)

«Marque communautaire - Marque tridimensionnelle - Forme d'un produit pour lave-vaisselle - Tablette ovoïde - Motif absolu de refus - Article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) n° 40/94»

Dans l'affaire T-194/01,

Unilever NV, établie à Rotterdam (Pays-Bas), représentée par Mes V. von Bomhard et A. Renck, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par MM. F. López de Rego et J. F. Crespo Carrillo, en qualité d'agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la première chambre de recours de l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) du 22 mai 2001 (affaire R 1086/2000-1),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. R. M. Moura Ramos, président, J. Pirrung et A. W. H. Meij, juges,

greffier: Mme D. Christensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 13 novembre 2002,

rend le présent

Arrêt

Antécédents du litige

1.
    Le 9 décembre 1999, la requérante a présenté une demande de marque communautaire à l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (ci-après l'«Office») en vertu du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié.

2.
    La marque tridimensionnelle dont l'enregistrement a été demandé est la suivante:

image: image

Aucune couleur n'a été revendiquée.

3.
    Les produits pour lesquels l'enregistrement de la marque a été demandé relèvent de la classe 3 au sens de l'arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l'enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent à la description suivante: «Détergents; produits et substances pour la lessive; produits de traitement des textiles; préparations pour blanchir; produits pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser; produits de vaisselle; savons; parfumerie; huiles essentielles; cosmétiques; crèmes cosmétiques; lotions capillaires; déodorants; pierres d'alun; pierres à polir; pierres ponce; pierres à barbe; tripoli pour le polissage; sels de bain; sels pour blanchir; antisudoraux; dentifrices; produits de maquillage; produits de démaquillage; articles de toilette».

4.
    Par décision du 7 septembre 2000, l'examinateur a rejeté la demande au titre de l'article 38 du règlement n° 40/94 au motif que la marque demandée était dépourvue de tout caractère distinctif au sens de l'article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94.

5.
    Le 7 novembre 2000, la requérante a formé un recours auprès de l'Office, au titre de l'article 59 du règlement n° 40/94, contre la décision de l'examinateur.

6.
    Par décision du 22 mai 2001 (ci-après la «décision attaquée»), qui a été notifiée à la requérante le 5 juin 2001, la chambre de recours a annulé la décision de l'examinateur dans la mesure où celui-ci avait refusé la demande pour les produits suivants: «parfumerie, huiles essentielles, crèmes cosmétiques, lotions capillaires, déodorants, antisudoraux et dentifrices». Elle a rejeté le recours de la requérante pour le surplus.

7.
    En substance, la chambre de recours a considéré que la marque demandée était dépourvue de caractère distinctif pour les détergents solides et les produits connexes. Elle a relevé que la forme ovoïde irrégulière de la marque demandée ne diffère pas de manière significative de la forme discoïde que présente traditionnellement le savon ou détergent ordinaire, même si elle n'est pas strictement identique. Les mouchetures présentes sur la tablette seraient également communes. Les tablettes, telles que celles de la requérante, constitueraient un concept fondamental de conditionnement pour des détergents et un large éventail de produits similaires. La tablette en question ne présenterait pas de caractéristiques arbitraires susceptibles de la distinguer d'autres formes similaires sur le marché.

Procédure et conclusions des parties

8.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 août 2001, la requérante a introduit le présent recours. Le 13 novembre 2001, l'Office a déposé un mémoire en réponse. La requérante n'a pas demandé l'autorisation de déposer un mémoire en réplique en vertu de l'article 135, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal.

9.
    À titre de mesures d'organisation de la procédure, le Tribunal a invité les parties à répondre à une question. Il a, en outre, demandé à la requérante de produire certains documents. En réponse à ces demandes, la requérante a déposé un mémoire, accompagné d'annexes. Le Tribunal a décidé de prendre acte de la réponse de la requérante à la question posée et des documents produits conformément à la demande. Ainsi, cette réponse, exposée aux points 1 à 13, 35 et 36 du mémoire, et l'annexe 20 de celui-ci ont été versées au dossier. Le Tribunal a refusé, par ailleurs, l'enregistrement dudit mémoire et de ses autres annexes, qui ont été retournés à la requérante.

10.
    Dans la requête, la requérante avait conclu à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    réformer la décision attaquée afin que la marque demandée soit susceptible d'être enregistrée;

-    alternativement, annuler la décision attaquée;

-    condamner l'Office aux dépens.

11.
    À l'audience, la requérante a déclaré qu'elle souhaite limiter la liste des produits pour lesquels l'enregistrement de la marque est demandé en ce sens que la demande de marque vise désormais uniquement les préparations pour lave-vaisselle. En réponse à une question du Tribunal, la requérante a précisé que cette déclaration implique qu'elle se désiste de son deuxième moyen, tiré d'une violation de l'obligation de motivation relative à une partie des produits pour lesquels la chambre de recours a confirmé la décision de l'examinateur, et qu'elle se borne désormais à demander l'annulation de la décision attaquée pour violation de l'article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94. À cet égard, elle souhaite que le caractère distinctif de la marque demandée soit apprécié au regard des seules préparations pour lave-vaisselle.

12.
    L'Office conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours;

-    condamner la requérante aux dépens.

En droit

Sur la portée des conclusions de la requérante

13.
    S'agissant des déclarations faites par la requérante à l'audience, il y a lieu de rappeler que le demandeur d'une marque communautaire peut, à tout moment, adresser à l'Office une demande visant à limiter la liste des produits et services, conformément à l'article 44 du règlement n° 40/94 et à la règle 13 du règlement (CE) n° 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d'application du règlement n° 40/94 (JO L 303, p. 1). Il résulte de ces dispositions qu'une limitation de la liste des produits ou services désignés dans une demande de marque communautaire doit être réalisée selon certaines modalités particulières. La demande présentée oralement à l'audience par la requérante ne répondant pas à ces modalités, elle ne saurait être considérée comme une requête en modification au sens des dispositions précitées.

14.
    En revanche, cette déclaration doit être interprétée en ce sens que la requérante s'est désistée de son recours pour autant qu'elle avait demandé l'annulation de la décision attaquée pour les produits autres que les préparations pour lave-vaisselle.

15.
    Un tel désistement partiel n'est pas, en tant que tel, contraire à l'interdiction, résultant de l'article 135, paragraphe 4, du règlement de procédure du Tribunal, de modifier, devant le Tribunal, l'objet du litige tel qu'il a été porté devant la chambre de recours. En effet, en limitant sa demande d'annulation à la seule partie de la décision attaquée portant sur les préparations pour lave-vaisselle, la requérante ne demande pas au Tribunal de statuer sur des prétentions différentes de celles dont la chambre de recours était saisie. La requérante a, plutôt, en renonçant à demander l'annulation de la décision attaquée pour autant que celle-ci concerne toute une série d'autres produits relevant de la classe 3 de l'arrangement de Nice, focalisé son recours sur les produits visés à titre principal par sa demande de marque, à savoir une certaine catégorie de produits détergents solides.

16.
    S'agissant de la demande de la requérante visant à ce que le caractère distinctif de la marque demandée soit apprécié au regard des seuls produits pour lave-vaisselle, il convient toutefois de préciser que son désistement partiel n'affecte pas le principe selon lequel il appartient au Tribunal, dans le présent contentieux, de contrôler la légalité de la décision de la chambre de recours. Ce contrôle doit se faire au regard du cadre factuel et juridique du litige tel qu'il a été porté devant la chambre de recours. Il s'ensuit qu'une partie ne saurait, en renonçant partiellement à ses prétentions, modifier les éléments factuels et juridiques sur la base desquels la légalité de la décision de la chambre de recours est examinée.

17.
    Compte tenu des déclarations de la requérante à l'audience, il convient de constater que cette dernière conclut désormais à l'annulation de la décision attaquée dans la seule mesure où cette dernière porte rejet du recours en ce qui concerne les préparations pour lave-vaisselle et à la condamnation de l'Office aux dépens.

Sur la légalité de la décision attaquée

Arguments des parties

18.
    La requérante s'étant désistée de son deuxième moyen, tiré d'une violation de l'obligation de motivation, elle invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique, tiré de la violation de l'article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94. Ce moyen est articulé en quatre branches. En premier lieu, la requérante est d'avis que la chambre de recours a procédé à une interprétation erronée de l'article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 en appliquant des critères plus stricts aux marques tridimensionnelles par rapport aux autres marques. En deuxième lieu, la requérante fait valoir que la chambre de recours a omis de prendre en considération la situation sur le marché concerné et les habitudes des consommateurs. En troisième lieu, la requérante reproche à la chambre de recours d'avoir méconnu le fait que la marque demandée se distingue suffisamment des formes courantes des tablettes pour lave-vaisselle pour être distinctive. En quatrième lieu, la requérante invoque la jurisprudence existant dans certains États membres et la pratique des offices nationaux des marques qui, selon elle, militent en faveur de sa thèse selon laquelle des formes de tablettes pour lave-vaisselle différentes des formes de base courantes peuvent être protégées en tant que marques communautaires.

19.
    Par la première branche du moyen, la requérante reproche à la chambre de recours d'avoir commis une discrimination entre marques tridimensionnelles et marques traditionnelles, contraire à l'article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94. Elle fait valoir que, selon le règlement n° 40/94, la possibilité d'enregistrer une marque est la règle alors que l'existence d'un motif de refus au titre de l'article 7 du règlement n° 40/94 constitue l'exception. La charge de la preuve de l'existence d'un motif absolu de refus incomberait donc à l'Office. La chambre aurait opéré une inversion de la relation entre la règle et l'exception et un renversement de la charge de la preuve en ce qui concerne les marques tridimensionnelles, et plus particulièrement les tablettes pour lave-vaisselle. La requérante rappelle qu'un caractère distinctif minimal suffit pour justifier l'enregistrement d'une marque.

20.
    La requérante considère comme erronée la conception selon laquelle les consommateurs ne perçoivent pas, en principe, les formes comme une indication de l'origine du produit. Selon elle, les consommateurs ne réfléchissent pas sur l'origine des produits de consommation quotidienne, qu'ils ne connaissent même pas, mais prêtent attention uniquement à la distinction entre les différents produits eux-mêmes. Les marques n'auraient donc pas la fonction d'indicateurs d'origine, mais plutôt celle d'indicateurs du produit. Pour distinguer les produits les uns des autres, les consommateurs s'appuieraient sur une multitude de signes, y compris l'emballage, la couleur et la forme du produit, parmi lesquels le nom du produit ne serait pas le plus important.

21.
    La requérante est d'avis que l'application de critères plus stricts aux marques tridimensionnelles ne saurait être justifiée par la considération selon laquelle les formes doivent rester disponibles pour être utilisées par tous les opérateurs économiques. D'une part, elle fait valoir que cet «impératif de disponibilité» n'est pas un motif de refus autonome. D'autre part, elle expose que l'enregistrement de marques tridimensionnelles ne vise pas à monopoliser la vente d'un certain produit, mais à protéger la présentation particulière d'un produit. La requérante estime en outre que des critères plus stricts pour les marques tridimensionnelles ne sauraient être justifiés par des considérations tirées de la protection des dessins et modèles.

22.
    Par la deuxième branche du moyen, la requérante critique la constatation de la chambre de recours, selon laquelle les consommateurs ne perçoivent pas la présentation des tablettes détergentes comme une indication d'origine, au motif qu'elle se fonde uniquement sur des considérations abstraites et non pas sur des faits et des éléments de preuve. Selon elle, la chambre de recours n'a pas pris en considération toutes les circonstances du cas d'espèce, notamment au regard de la situation sur le marché, portées à son attention par la requérante.

23.
    Concernant la situation sur le marché, la requérante expose que les fabricants de tablettes de lessive en Europe utilisent la forme et la présentation de celles-ci pour distinguer leurs produits de ceux d'autres opérateurs. Selon la requérante, les consommateurs ont toujours été capables de distinguer différentes tablettes de lessive selon leurs formes et couleurs, et ils l'ont fait effectivement. Elle est d'avis que, en tout état de cause, les consommateurs ont été «conditionnés» pour le faire. Elle souligne que l'effet de ce «conditionnement» doit être distingué du caractère distinctif acquis.

24.
    La requérante fait valoir que les producteurs de tablettes de lessive ont la connaissance la plus approfondie du marché. Dès lors, le fait qu'ils ont choisi des formes et couleurs différentes pour distinguer leurs produits détergents solides de ceux de leurs concurrents, et le fait qu'ils s'efforcent de les protéger en tant que marques, devrait être considéré comme la preuve, ou au moins comme un indice important, que les consommateurs perçoivent les caractéristiques des tablettes et qu'ils s'appuient sur elles, et non pas uniquement sur les noms des produits, pour s'orienter sur le marché.

25.
    Par la troisième branche du moyen, la requérante conteste la constatation de l'Office selon laquelle la forme et l'aspect de la tablette dont il s'agit en l'espèce sont ordinaires. Elle reconnaît que des tablettes rondes ou rectangulaires avec une ou deux couches colorées sont devenues usuelles sur le marché des produits détergents et peuvent, dès lors, être considérées comme dépourvues de caractère distinctif.

26.
    La requérante souligne que la forme dont il s'agit en l'espèce est constituée par un ovale irrégulier avec des bords aplatis et des grandes mouchetures foncées, qui ressemble à celle d'un galet. Elle rappelle que les consommateurs européens font attention à la forme et aux couleurs des tablettes de lessive. Elle en déduit que le public concerné distinguera certainement la forme de «galet» des formes de tablettes rondes ou rectangulaires utilisées généralement sur le marché concerné. Elle insiste sur le fait que cette forme est unique sur le marché et qu'aucun opérateur ne l'a utilisée pour les produits concernés. Elle affirme qu'il n'y a sur le marché que des tablettes rondes ou rectangulaires et présente des exemples pour le démontrer. Elle ajoute que les mouchetures grandes et parfaitement visibles présentes sur la tablette litigieuse seraient différentes de l'aspect d'autres tablettes de lessive sur le marché, les mouchetures présentes sur ces dernières étant beaucoup plus petites et ne pouvant pas être perçues en tant que telles. La requérante est d'avis que la chambre de recours aurait dû recueillir des preuves à cet égard pour pouvoir affirmer que la forme dont il s'agit en l'espèce était courante. En réponse à une question du Tribunal, elle indique qu'elle-même n'a pas, actuellement, mis sur le marché une tablette pour lave-vaisselle ayant la forme de la marque demandée, de sorte qu'elle ne peut pas produire un exemple tridimensionnel de la marque demandée.

27.
    La requérante fait observer que, dans la décision attaquée, la chambre de recours a reconnu que la forme demandée en l'espèce est une forme ovale irrégulière qui n'est pas identique à la forme ordinaire des produits détergents. La requérante est d'avis que la chambre de recours a exigé à tort que la marque demandée doive se distinguer de manière significative des formes courantes et présenter des caractéristiques arbitraires afin de pouvoir être enregistrée.

28.
    À l'audience, la requérante ajoute que, s'agissant des préparations pour lave-vaisselle, seule la forme rectangulaire est usuelle sur le marché parce que cette forme correspond à celle des récipients qui se trouvent dans les machines auxquelles ces produits sont destinés. Elle en déduit que, pour les produits pour lave-vaisselle, seule la forme rectangulaire est dépourvue de caractère distinctif. Elle estime qu'il en va autrement pour la forme de «galet» dont il s'agit en l'espèce. Elle affirme que cette forme est unique et se distingue de manière significative des formes de base courantes, utilisées jusqu'à maintenant sur le marché. En outre, même si on estimait que cette forme s'approche de celle d'une tablette ronde, usuelle sur le marché des produits pour lave-linge, cela ne permettrait pas de considérer qu'il n'y a pas de caractère distinctif en ce qui concerne les produits pour lave-vaisselle.

29.
    La requérante ajoute, toujours à l'audience, que la variété des formes que peuvent présenter des tablettes détergentes est limitée, étant donné qu'elles consistent en de la poudre à lessive comprimée qui risquerait de s'émietter si les formes choisies étaient trop élaborées. Elle en déduit que, dans le cas de ces tablettes, des divergences peu importantes par rapport aux formes de base doivent suffire pour reconnaître le caractère distinctif d'une forme.

30.
    Par la quatrième branche du moyen, la requérante invoque la jurisprudence et la pratique dans certains États membres et la pratique de l'Office lui-même pour démontrer que les critères appliqués en l'espèce sont trop stricts. D'une part, elle se réfère à des décisions juridictionnelles rendues en Allemagne, aux Pays-Bas et en Italie. Elle déduit de cette jurisprudence que certaines juridictions nationales estiment que des tablettes détergentes dont les caractéristiques se distinguent, même légèrement, de la forme usuelle de ces produits présentent un caractère distinctif suffisant pour que leur apparence soit protégée en tant que marque. Elle estime que la forme dont il s'agit en l'espèce peut être protégée à plus forte raison.

31.
    Ensuite, la requérante fait valoir que les autorités nationales de plusieurs États membres ont enregistré différentes formes de tablettes détergentes, sans exiger que celles-ci présentent des différences frappantes par rapport aux formes ordinaires préexistantes. Elle estime que la forme de la tablette dont il s'agit en l'espèce se distingue davantage des formes ordinaires que celles ayant été enregistrées au niveau national.

32.
    Enfin, la requérante invoque la pratique de l'Office en matière d'enregistrement de marques tridimensionnelles concernant des tablettes détergentes. Premièrement, elle se réfère à deux demandes de marque qui ont été publiées, à savoir les demandes nos 809 830 et 924 829. Elle reconnaît que ces demandes n'ont pas donné lieu à des enregistrements, mais elle relève que les examinateurs les ont apparemment considérées comme présentant un caractère distinctif suffisant. Selon la requérante, cela a cependant eu lieu avant que l'Office ne prenne la décision de principe selon laquelle des tablettes détergentes ne peuvent pas être enregistrées, à moins qu'elles ne présentent des différences frappantes par rapport aux tablettes habituelles. La requérante fait ensuite valoir que l'Office a enregistré un certain nombre de formes de tablettes détergentes. Elle estime que ces enregistrements, confrontés au refus qui lui a été opposé en l'espèce, démontrent qu'il existe une incertitude au sein de l'Office quant aux critères applicables à l'enregistrement des marques pour tablettes détergentes.

33.
    Elle estime qu'il serait conforme au but du règlement n° 40/94 et à la pratique des offices nationaux que l'Office accepte de telles marques dès lors qu'elles ont un minimum de caractère distinctif. Elle est d'avis que la marque dont il s'agit en l'espèce présente un tel caractère distinctif minimal. La requérante reconnaît qu'une telle approche affectera l'étendue de la protection des marques concernées. Elle estime, cependant, qu'il est approprié que cette étendue soit définie, au cas par cas, par les juridictions saisies des litiges de contrefaçon.

34.
    L'Office rétorque, à la première branche du moyen, que les critères appliqués par la chambre de recours ne donnent pas lieu à une discrimination entre les marques tridimensionnelles constituées par la forme du produit et les autres marques. Il affirme que la chambre de recours a simplement appliqué l'article 7 du règlement n° 40/94 en tenant compte des caractéristiques spécifiques des produits concernés et des circonstances dans lesquelles ces produits sont commercialisés.

35.
    En ce qui concerne la deuxième branche du moyen, l'Office fait observer que la requérante ne tient pas suffisamment compte de l'importance des noms des produits pour le choix exercé par les consommateurs. Il critique, en outre, l'analyse du marché à laquelle procède la requérante parce que celle-ci n'examine ni le prix ni la qualité des produits. Selon l'Office, on ne saurait déduire du fait que des représentations des tablettes figurent sur l'emballage des produits que ces tablettes ont un caractère distinctif. Il estime que l'affirmation de la requérante selon laquelle les consommateurs sont en mesure de distinguer différentes tablettes de lessive selon leurs formes et leurs couleurs et qu'ils ont été conditionnés à le faire est une simple supposition non étayée par des preuves en ce qui concerne les formes de base ou ordinaires et leurs variations venant naturellement à l'esprit.

36.
    Pour ce qui est de la troisième branche du moyen, l'Office affirme que les différences entre la forme dont l'enregistrement est demandé et les formes de base des tablettes de lessive rondes ou rectangulaires ne sont pas de nature à être remarquées par le consommateur. Tout d'abord, il compare la représentation graphique de la marque demandée à celle d'une tablette ronde similaire. Il fait observer que, lorsqu'on représente la tablette litigieuse de six côtés différents, quatre de ces représentations sont identiques à celles d'une tablette ronde, alors que la forme ovoïde n'apparaît que sur deux de ces représentations. L'Office relève ensuite que, lorsque les tablettes détergentes sont représentées sur un emballage, elles sont représentées normalement en groupe et/ou en perspective. Selon l'Office, il n'est pas possible, dans ces deux hypothèses, de se rendre compte d'une différence quelconque entre la forme ovoïde en question et une forme ronde. En ce qui concerne les mouchetures sur la surface des tablettes, l'Office invoque les arrêts du Tribunal, en matière de marque tridimensionnelle, du 19 septembre 2001 Henkel/OHMI (Tablette rectangulaire rouge et blanc) (T-335/99, Rec. p. II-2581), Henkel/OHMI (Tablette rectangulaire vert et blanc) (T-336/99, Rec. p. II-2589), Henkel/OHMI (Tablette ronde rouge et blanc) (T-337/99, Rec. p. II-2597), Procter & Gamble/OHMI (Tablette carrée blanche et vert pâle) (T-117/00, Rec. p. II-2723), Procter & Gamble/OHMI (Tablette carrée blanche, tachetée de vert, et vert pâle) (T-118/00, Rec. p. II-2731), Procter & Gamble/OHMI (Tablette carrée blanche tachetée de jaune et de bleu) (T-119/00, Rec. p. II-2761), Procter & Gamble/OHMI (Tablette carrée blanche tachetée de bleu) (T-120/00, Rec. p. II-2769), Procter & Gamble/OHMI (Tablette carrée blanche tachetée de vert et de bleu) (T-121/00, Rec. p. II-2777), Procter & Gamble/OHMI (Tablette carrée avec incrustation) (T-128/00, Rec. p. II-2785), Procter & Gamble/OHMI (Tablette rectangulaire avec incrustation) (T-129/00, Rec. p. II-2793) (ci-après les «arrêts du 19 septembre 2001». Selon ces arrêts, la présence de mouchetures ne suffit pas pour que l'aspect d'une tablette détergente puisse être perçu comme une indication de l'origine du produit. L'Office affirme que la marque demandée n'est pas susceptible de distinguer les produits concernés de ceux ayant une origine différente. Il souligne que la forme en cause est courante ou, en tout état de cause, une variation de la forme standard, ronde, carrée ou rectangulaire, venant naturellement à l'esprit.

37.
    Enfin, au regard de la quatrième branche du moyen, l'Office fait valoir que l'approche retenue par les décisions des juridictions nationales citées par la requérante n'est plus valable après les arrêts du 19 septembre 2001. Il rappelle la jurisprudence selon laquelle les enregistrements d'ores et déjà effectués dans des États membres ne constituent qu'un élément qui, sans être déterminant, peut seulement être pris en considération aux fins de l'enregistrement d'une marque communautaire. Il estime que les exemples d'enregistrement présentés par la requérante démontrent que l'Office a suivi une pratique cohérente lorsqu'il s'agit de l'enregistrement des marques pour des tablettes de lessive.

Appréciation du Tribunal

38.
    Aux termes de l'article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, sont refusées à l'enregistrement les «marques qui sont dépourvues de caractère distinctif».

39.
    Ainsi qu'il ressort de la jurisprudence, les marques visées par l'article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 sont, notamment, celles qui, du point de vue du public pertinent, sont communément utilisées, dans le commerce, pour la présentation des produits ou des services concernés ou à l'égard desquelles il existe, à tout le moins, des indices concrets permettant de conclure qu'elles sont susceptibles d'être utilisées de cette manière [arrêt du Tribunal du 2 juillet 2002, SAT.1/OHMI (SAT.2), T-323/00, Rec. p. II-2839, point 37]. En effet, de telles marques ne permettent pas au consommateur qui achète le produit ou le service désigné par la marque de faire, lors d'une acquisition ultérieure, le même choix si l'expérience s'avère positive ou de faire un autre choix si elle s'avère négative [arrêt du Tribunal du 27 février 2002, Rewe-Zentral/OHMI (LITE), T-79/00, Rec. p. II-705, point 26].

40.
    Partant, le caractère distinctif d'une marque ne peut être apprécié que, d'une part, par rapport aux produits ou services pour lesquels l'enregistrement est demandé et, d'autre part, par rapport à la perception qu'en a le public pertinent (arrêts LITE, cité au point 39 ci-dessus, point 27, et SAT. 2, cité au point 39 ci-dessus, point 37).

41.
    En ce qui concerne les produits visés par le présent recours, à savoir les préparations pour lave-vaisselle relevant de la classe 3 au sens de l'arrangement de Nice, il convient de préciser que la marque demandée est constituée par l'apparence du produit lui-même.

42.
    Les tablettes pour lave-vaisselle visées par le présent recours, tout comme les autres produits relevant de la classe 3 de l'arrangement de Nice visés par la demande de marque originelle et par la décision attaquée, sont des biens de consommation largement répandus. Le public concerné par ces produits est celui de tous les consommateurs. Il y a donc lieu d'apprécier le caractère distinctif de la marque demandée en tenant compte de l'attente présumée d'un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 16 juillet 1998, Gut Springenheide et Tusky, C-210/96, Rec. p. I-4657, points 30 à 32). Il y a lieu également de rappeler que la perception de la marque par le public concerné, en l'occurrence le consommateur moyen, est influencée par son niveau d'attention, qui est susceptible de varier en fonction de la catégorie de produits ou services en cause (voir arrêt de la Cour du 22 juin 1999, Lloyd Schuhfabrik Meyer, C-342/97, Rec. p. I-3819, point 26).

43.
    En outre, il n'est pas nécessaire qu'une marque transmette une information précise quant à l'identité du fabricant du produit ou du prestataire de services. Il suffit que la marque permette au public concerné de distinguer le produit ou service qu'elle désigne de ceux qui ont une autre origine commerciale et de conclure que tous les produits ou services qu'elle désigne ont été fabriqués, commercialisés ou fournis sous le contrôle du titulaire de cette marque, auquel peut être attribuée la responsabilité de leur qualité (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 29 septembre 1998, Canon, C-39/97, Rec. p. I-5507, point 28).

44.
    À l'égard de la première branche du moyen, tirée d'une discrimination entre les marques tridimensionnelles et les autres marques, il convient de rappeler que l'article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 ne fait pas de distinction entre différentes catégories de marques. Les critères d'appréciation du caractère distinctif des marques tridimensionnelles constituées par l'apparence du produit lui-même ne sont donc pas différents de ceux applicables aux autres catégories de marques [arrêt Tablette rectangulaire avec incrustation, cité au point 36 ci-dessus, point 50; voir également, pour ce qui est de l'article 2 de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1), arrêt de la Cour du 18 juin 2002, Philips, C-299/99, Rec. p. I-5475, point 48, et, en ce qui concerne l'article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/104, les conclusions de l'avocat général M. Ruiz-Jarabo Colomer dans les affaires jointes C-53/01 à C-55/01, Linde e. a., non encore publiées au Recueil, point 13].

45.
    Néanmoins, il y a lieu de tenir compte, dans le cadre de l'application de ces critères, du fait que la perception du public concerné n'est pas nécessairement la même, dans le cas d'une marque tridimensionnelle constituée par l'apparence du produit lui-même, que dans le cas d'une marque verbale, figurative ou tridimensionnelle qui n'est pas constituée par cette apparence. En effet, alors que le public a l'habitude de percevoir, immédiatement, ces dernières marques comme des signes identificateurs du produit, il n'en va pas nécessairement de même lorsque le signe se confond avec l'apparence du produit lui-même (arrêt Tablette rectangulaire avec incrustation, cité au point 36 ci-dessus, point 51, et conclusions de l'avocat général M. Ruiz-Jarabo Colomer, citées au point 44 ci-dessus, point 12).

46.
    Il résulte de la décision attaquée, notamment de ses points 14 et 15, que la chambre de recours a examiné la marque demandée conformément aux considérations qui précèdent. Il s'ensuit que la chambre de recours n'a pas appliqué des critères plus stricts aux marques tridimensionnelles constituées par la forme du produit qu'aux autres marques. Par conséquent, la première branche du moyen de la requérante n'est pas fondée.

47.
    En ce qui concerne la deuxième branche du moyen, tirée de la méconnaissance, par la chambre de recours, de la situation sur le marché concerné, il résulte du point 7 de la décision attaquée que la chambre de recours a pris connaissance des arguments de la requérante concernant la situation sur le marché des produits détergents. Elle n'a cependant pas accepté la thèse de la requérante selon laquelle les consommateurs distinguent les différents produits détergents présentés sous forme de tablettes en fonction des formes et couleurs de ces dernières. Elle a fondé cette appréciation notamment sur l'utilisation de marques conventionnelles par les fabricants de pareilles tablettes, qui traduit, selon la chambre de recours, les doutes de ces mêmes fabricants à l'égard de la capacité de l'apparence des produits à agir en tant qu'indicateurs de l'origine commerciale.

48.
    À cet égard, on ne saurait retenir la thèse de la requérante selon laquelle il appartient à l'Office de démontrer, sur la base d'éléments de preuve concrets, que les consommateurs ne perçoivent pas la présentation des tablettes détergentes comme une indication d'origine. En effet, il s'agit de produits de consommation quotidienne qui sont vendus, habituellement, dans des emballages portant le nom de ces produits et sur lesquels apparaissent, souvent, des marques verbales ou figuratives ou d'autres éléments figuratifs parmi lesquels peut figurer l'image du produit. Pour ce qui est des produits commercialisés de cette manière, il est possible, en règle générale, de déduire de l'expérience que le niveau d'attention du consommateur moyen à l'égard de leur apparence n'est pas élevé. Dans ces conditions, il appartient au demandeur d'une marque de démontrer qu'il en va autrement des habitudes des consommateurs sur le marché concerné, et il ne saurait être exigé de l'Office qu'il procède à une analyse économique du marché, voire à des enquêtes auprès des consommateurs, pour établir dans quelle mesure ces derniers font attention à l'apparence des produits appartenant à une certaine catégorie. Le demandeur d'une telle marque est beaucoup mieux à même, vu sa connaissance approfondie du marché, invoquée par la requérante elle-même, de fournir des indications concrètes et étayées à ce sujet.

49.
    La requérante fait notamment valoir que les consommateurs ont été «conditionnés» pour distinguer différentes tablettes détergentes selon leurs formes et leurs couleurs. Dans ce contexte, il a été affirmé dans les arrêts du 19 septembre 2001 (notamment, arrêt Tablette rectangulaire avec incrustation, point 61), que la possibilité que les consommateurs puissent acquérir l'habitude de reconnaître un tel produit sur la base de son apparence ne suffit pas pour écarter le motif de refus tiré de l'article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, une telle évolution de la perception du signe par le public ne pouvant être prise en considération, si elle est établie, que dans le cadre de l'article 7, paragraphe 3, du règlement n° 40/94. À cet égard, il convient de préciser que le «conditionnement» invoqué par la requérante n'est pas équivalent au caractère distinctif acquis au sens de l'article 7, paragraphe 3, du règlement n° 40/94. En effet, l'argumentation de la requérante ne concerne pas le point de savoir si une forme spécifique d'un produit a un caractère distinctif, mais vise à obtenir que le Tribunal tienne compte de la signification attachée, en général, par le public pertinent, à l'apparence d'une certaine catégorie de produits.

50.
    Le seul fait que la requérante et ses concurrents ont choisi des formes et des couleurs différentes pour leurs détergents solides et qu'ils s'efforcent de les protéger en tant que marques ne suffit cependant pas pour conclure que l'apparence de ces produits est normalement perçue, par le public concerné, comme une indication de leur origine commerciale.

51.
    Or, devant la chambre de recours, la requérante n'a pas apporté d'éléments de preuve concrets pour établir que la forme et les couleurs des tablettes détergentes jouent un rôle important lorsque le consommateur exerce son choix entre différents produits. Dans ces conditions, on ne saurait reprocher à la chambre de recours d'avoir méconnu la situation sur le marché concerné.

52.
    Il y a lieu d'ajouter que la requérante n'a pas non plus apporté de tels éléments de preuve à un stade ultérieur de la procédure, sans qu'il soit nécessaire, dans la présente affaire, que le Tribunal se prononce sur le point de savoir s'il peut prendre en considération, dans le cadre d'un recours au titre de l'article 63 du règlement n° 40/94, des éléments qui n'ont pas été portés à l'attention de la chambre de recours. Certes, elle a entendu présenter au Tribunal certains éléments qui y sont relatifs lorsqu'elle a présenté, en réponse aux mesures d'organisation de la procédure adoptées par le Tribunal, un mémoire qui équivalait à un mémoire en réplique, accompagné de certaines annexes. Ce faisant, elle n'a cependant pas respecté les conditions dans lesquelles, conformément à l'article 135, paragraphe 2, du règlement de procédure, un mémoire additionnel peut être déposé, de sorte que les éléments autres que les réponses aux mesures d'organisation de la procédure, qu'elle entendait porter à l'attention du Tribunal par ce mémoire, n'ont, en tout état de cause, pas pu être pris en considération.

53.
    Il s'ensuit que la deuxième branche du moyen n'est pas fondée.

54.
    Pour vérifier, dans le cadre de la troisième branche du moyen, si la chambre de recours a méconnu le caractère distinctif de la marque demandée, il y a lieu d'examiner l'impression d'ensemble produite par l'apparence de la tablette en cause (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 11 novembre 1997, SABEL, C-251/95, Rec. p. I-6191, point 23), ce qui n'est pas incompatible avec un examen successif des différents éléments de présentation utilisés.

55.
    La forme tridimensionnelle dont l'enregistrement a été demandé se présente, vue de côté ou de dessus, comme un rectangle aux bords longs convexes. À cet égard, elle ne se distingue donc pas d'autres formes de tablettes convexes, qu'elles soient rondes ou quadrangulaires. Vue de face, la tablette en cause a la forme d'un ovale irrégulier, ou ovoïde, avec l'extrémité inférieure élargie et aplatie, et présente une ressemblance plus éloignée avec une forme trapézoïdale, dont les coins sont fortement arrondis.

56.
    Cette forme ne compte pas, en tant que telle, parmi les formes géométriques de base, mais elle présente une combinaison des caractéristiques de différentes formes arrondies et apparaît également inspirée de certaines formes quadrangulaires. Elle est ainsi très voisine de certaines formes de tablettes communément utilisées pour les produits détergents, notamment de celle des tablettes rondes et ovales ainsi que, dans une moindre mesure, de celle des tablettes rectangulaires.

57.
    Comme l'Office l'a relevé à juste titre, les différences que présente la forme demandée par rapport à ces autres formes ne sont pas facilement perceptibles. La forme demandée est une variante des formes de base communément utilisées et ne s'en distingue pas suffisamment pour permettre au public pertinent de la reconnaître et de répéter, lors d'une acquisition ultérieure, une expérience d'achat, si elle s'avère positive, ou de l'éviter, si elle s'avère négative.

58.
    Les mouchetures présentes sur la tablette ne sont pas susceptibles de conférer un caractère distinctif à la marque demandée. En effet, l'adjonction de mouchetures fait partie des solutions venant le plus naturellement à l'esprit lorsqu'il s'agit de combiner différentes substances dans un produit détergent (voir, notamment, arrêt Tablette rectangulaire avec incrustation, cité au point 36 ci-dessus, point 58). En outre, elles sont courantes dans l'aspect des produits détergents solides. Le fait que les mouchetures présentes dans l'aspect de la tablette demandée sont relativement grandes n'est pas susceptible d'influencer, de manière significative, le caractère distinctif de la marque demandée. En effet, l'aspect moucheté est celui que présente une poudre, composée de particules claires et foncées, lorsqu'elle est comprimée sous forme de tablettes, et les variations de la taille des mouchetures s'expliquent facilement par la taille des particules dont une telle poudre est composée.

59.
    Par conséquent, la chambre de recours a considéré, à juste titre, que l'apparence de la tablette demandée est dépourvue de caractère distinctif.

60.
    L'argument de la requérante selon lequel, sur le marché des produits pour lave-vaisselle, seules des tablettes rectangulaires sont communément utilisées, de sorte que toute autre forme a un caractère distinctif, n'est pas susceptible d'infirmer cette conclusion. Tout d'abord, ainsi qu'il a été exposé ci-dessus, aux points 15 et 16, le désistement partiel de la requérante ne saurait amener le Tribunal à sortir du cadre d'un contrôle de la légalité de la décision attaquée en examinant le caractère distinctif de la marque demandée sur la base de faits différents de ceux dont la chambre de recours était saisie.

61.
    Ensuite, à supposer même que la chambre de recours ait dû examiner séparément le caractère distinctif de la marque demandée au regard des produits pour lave-vaisselle, et à supposer qu'il soit établi que seule la forme rectangulaire est actuellement utilisée pour ces produits, la conclusion que l'apparence de la tablette demandée est dépourvue de caractère distinctif resterait valable. En effet, les autres formes géométriques de base, comme des tablettes rondes, ovales, carrées ou cylindriques, ainsi que leurs variantes, sont également susceptibles d'être communément utilisées pour ces produits, étant donné que toutes ces formes viennent naturellement à l'esprit lorsqu'il s'agit de comprimer une poudre pour la présenter dans une forme solide.

62.
    Le fait que, sur le marché voisin des produits pour lave-linge, il existe des tablettes rondes, carrées et ovales constitue un indice concret permettant de conclure que ces différentes formes sont également susceptibles d'être communément utilisées pour des produits pour lave-vaisselle.

63.
    L'argument de la requérante selon lequel la forme rectangulaire des tablettes destinées aux lave-vaisselle correspond à celle des compartiments qui se trouvent dans ces appareils pour recevoir le produit ne suffit pas pour écarter cet indice. En effet, des tablettes ovales ou cylindriques, ainsi que, selon leur taille, des tablettes rondes ou carrées peuvent tout aussi bien être introduites dans ces compartiments que les tablettes rectangulaires.

64.
    Il y a lieu d'écarter également l'argument de la requérante selon lequel des différences minimes de la marque demandée par rapport aux formes de base devraient être considérées comme suffisantes, en l'espèce, pour constater un caractère distinctif, parce que la variété des formes que peuvent présenter des tablettes détergentes est limitée pour des raisons techniques. À supposer que cette affirmation soit établie, elle ne saurait, en tout état de cause, justifier une modification des critères d'appréciation du caractère distinctif.

65.
    D'une part, il n'existe aucune raison permettant de conclure que la perception de la forme ou de l'aspect d'une tablette par le public concerné et l'attention de ce public à l'égard des différences minimes entre les formes ou les aspects de différentes tablettes soient influencées par la possibilité ou l'impossibilité technique de produire des formes très différentes les unes des autres.

66.
    D'autre part, à supposer qu'il soit effectivement difficile, pour des raisons techniques, de produire des tablettes dont les formes se distinguent, les unes des autres, de manière significative, l'enregistrement de formes très proches des formes de base communément utilisées augmenterait le risque de conférer, par le biais du droit des marques, des droits exclusifs à un opérateur qui pourraient entraver la concurrence sur le marché des produits concernés. Or, les motifs absolus de refus traduisent justement le souci du législateur communautaire d'éviter la création de pareils monopoles (arrêt Tablette rectangulaire avec incrustation, cité au point 36 ci-dessus, point 69). Dès lors, des circonstances susceptibles d'augmenter ce risque ne sauraient être invoquées pour justifier l'enregistrement d'un signe qui n'est pas susceptible de remplir la fonction d'une marque, c'est-à-dire de permettre au public concerné de distinguer le produit visé de ceux ayant une autre origine commerciale.

67.
    Par conséquent, la troisième branche du moyen n'est pas fondée.

68.
    Pour ce qui est des arguments avancés par la requérante dans le cadre de la quatrième branche du moyen, tirés de la jurisprudence et de la pratique dans certains États membres ainsi que de la pratique de l'Office, il convient de rappeler que les enregistrements d'ores et déjà effectués dans des États membres ne constituent que des éléments qui, sans être déterminants, peuvent seulement être pris en considération aux fins de l'enregistrement d'une marque communautaire [arrêts du Tribunal du 16 février 2000, Procter & Gamble/OHMI (Forme d'un savon), T-122/99, Rec. p. II-265, point 61; du 31 janvier 2001, Sunrider/OHMI (VITALITE), T-24/00, Rec. p. II-449, point 33, et Tablette ronde rouge et blanche, cité au point 36 ci-dessus, point 58]. Les mêmes considérations valent pour la jurisprudence des juridictions des États membres. De plus, il ressort de documents produits par la requérante à l'appui de ses arguments que la pratique des offices nationaux des marques à l'égard des marques tridimensionnelles, constituées par des apparences de tablettes pour lave-linge et pour lave-vaisselle, n'est pas uniforme.

69.
    Il convient d'ajouter que la grande majorité des marques concernées par la jurisprudence et les enregistrements nationaux invoqués par la requérante ont des caractéristiques différentes de la marque demandée en l'espèce. Parmi les exemples invoqués par la requérante, seules deux marques enregistrées en France présentent certaines analogies avec la marque demandée, en ce sens qu'elles sont tridimensionnelles, étant constituées par une variante des formes géométriques de base et ayant été déposées sans aucune revendication de couleur. Il ne peut cependant pas être déduit de ces exemples isolés que la chambre de recours a méconnu la pratique des offices nationaux.

70.
    Enfin, s'agissant de la pratique de l'Office, invoquée par la requérante, il convient d'observer que des motifs de fait ou de droit figurant dans une décision antérieure peuvent, certes, constituer des arguments à l'appui d'un moyen tiré de la violation d'une disposition du règlement n° 40/94. Néanmoins, force est de constater que, en l'espèce, la requérante n'a pas invoqué, quant à ces décisions, des motifs y figurant qui seraient susceptibles de mettre en cause l'appréciation de la chambre de recours quant au caractère distinctif de la marque demandée.

71.
    Par conséquent, la quatrième branche du moyen n'est pas fondée.

72.
    Le moyen unique invoqué par la requérante, tiré d'une violation de l'article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94, n'étant pas fondé, le recours doit être rejeté.

Sur les dépens

73.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner aux dépens conformément aux conclusions de l'Office.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête:

1)    Le recours est rejeté.

2)    La requérante est condamnée aux dépens.

Moura Ramos
Pirrung

Meij

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 mars 2003.

Le greffier

Le président

H. Jung

R. M. Moura Ramos


1: Langue de procédure: l'anglais.