Language of document : ECLI:EU:T:2023:504

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

6 septembre 2023 (*)

« Dessin ou modèle communautaire – Procédure de nullité – Dessin ou modèle communautaire enregistré représentant un scooter des mers ou un bateau – Dessins ou modèles communautaires antérieurs – Motifs de nullité – Conditions de protection – Caractère individuel – Articles 4, 6 et article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) n °6/2002 – Degré de liberté du créateur – Impression globale – Procédures judiciaires nationales – Rapport d’expertise »

Dans l’affaire T‑377/22,

Cayago Tec GmbH, établie à Bad Salzuflen (Allemagne), représentée par Mes J. Güell Serra et S. Schröter, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. J. Ivanauskas, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

iAqua (Shenzhen) Ltd, établie à Shenzhen (Chine), représentée par Me E. Edissonov Kirilov, avocat,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. D. Spielmann, président, V. Valančius (rapporteur) et Mme M. Brkan, juges,

greffier : Mme A. Juhász-Tóth, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 23 mai 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Cayago Tec GmbH, demande l’annulation de la décision de la troisième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 19 avril 2022 (affaire R 951/2021-3) (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Le 22 décembre 2019, la requérante a présenté à l’EUIPO une demande de nullité du dessin ou modèle communautaire enregistré sous le numéro 6611570-001 à la suite d’une demande déposée le 3 juillet 2019 par l’intervenante, iAqua (Shenzhen) Ltd. Le dessin ou modèle contesté est représenté dans les vues suivantes :

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1.1

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1.2

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1.3

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1.6

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1.7


3        Les produits auxquels le dessin ou modèle contesté est destiné à être appliqué relèvent de la classe 12-6 au sens de l’arrangement de Locarno du 8 octobre 1968 instituant une classification internationale pour les dessins et modèles industriels, tel que modifié, et correspondent à la description suivante : « Scooter des mers ; Bateaux à moteur ».

4        Les motifs invoqués à l’appui de la demande en nullité étaient ceux visés à l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires (JO 2002, L 3, p. 1), lu conjointement avec les articles 4 et 6, ainsi qu’à l’article 25, paragraphe 1, sous d), du même règlement.

5        La demande en nullité était fondée sur un défaut de caractère individuel du dessin ou modèle contesté par rapport à des dessins ou modèles communautaires enregistrés et divulgués antérieurement.

6        La demande en nullité était fondée sur les dessins ou modèles antérieurs suivants :

–        le dessin ou modèle communautaire reproduit dans la vue ci-après, publié le 10 septembre 2012 sous le numéro 2077206‑0001 pour les « appareils de sport » (ci-après le « modèle D 4 ») :

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–        le dessin ou modèle communautaire reproduit dans les vues ci-après, publié le 10 septembre 2012 sous le numéro 2077206‑0002 pour les « appareils de sport » (ci-après le « modèle D 3 ») :

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–        le dessin ou modèle communautaire reproduit dans la vue ci-après, publié le 12 septembre 2012 sous le numéro 2077206‑0003 pour les « appareils de sport » (ci-après le « modèle D 2 ») :

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–        le dessin ou modèle communautaire reproduit dans les vues ci-après, publié le 10 septembre 2012 sous le numéro 2077206‑0004 pour les « appareils de sport » (ci-après le « modèle D 1 ») :

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7        Pour étayer sa demande, la requérante a également invoqué des procédures judiciaires l’opposant à l’intervenante en Allemagne, en Espagne et en France ainsi que la décision de la troisième chambre de recours de l’EUIPO du 22 novembre 2006 (affaire R 196/2006-3).

8        Le 17 mai 2021, la division d’annulation a rejeté la demande en nullité.

9        Le 25 mai 2021, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO contre la décision de la division d’annulation.

10      Par la décision attaquée, la chambre de recours a rejeté le recours.

11      Concernant, en particulier, le caractère individuel du dessin ou modèle contesté, tout d’abord, la chambre de recours a mis en œuvre le critère de l’utilisateur averti, en s’attachant à la nature du produit et au niveau d’attention dont fait preuve un utilisateur averti.

12      Elle en a déduit qu’aussi bien les dessins ou modèles antérieurs que le dessin ou modèle contesté représentaient des véhicules nautiques de loisirs ou professionnels à une place et que leur utilisateur averti était une personne qui connaissait les différents modèles de véhicules nautiques de loisirs ou professionnels existant sur le marché et les caractéristiques attribuées aux produits concernés, à savoir qu’ils devaient convenir pour le transport d’une personne au-dessus et en dessous de l’eau par propulsion.

13      Ensuite, la chambre de recours a vérifié le degré de liberté du créateur lors de l’élaboration de son dessin ou modèle, en considérant, en l’espèce, que ce degré, au sens de l’article 6, paragraphe 2, du règlement no 6/2002, était relativement élevé.

14      Enfin, la chambre de recours a apprécié l’impression globale produite sur l’utilisateur averti.

15      Premièrement, elle a rejeté les arguments de la requérante, tirés, notamment, de dessins ou modèles ayant fait partie d’autres procédures, du prétendu caractère original des dessins ou modèles antérieurs invoqués et de rapports d’expertise produits par la requérante.

16      Deuxièmement, la chambre de recours a considéré que, parmi les quatre dessins ou modèles antérieurs invoqués, le modèle D 2 n’était que l’une des sept représentations du modèle D 1 et que le modèle D 4 n’était que l’une des sept représentations du modèle D 3, de sorte qu’elle s’est , tout comme la division d’annulation, limitée à comparer le dessin ou modèle contesté avec les modèles D 1 et D 3.

17      Troisièmement, elle a relevé que la division d’annulation avait constaté des similitudes entre les dessins ou modèles antérieurs invoqués et le dessin ou modèle contesté, mais a considéré que, malgré ces similitudes, il existait des différences importantes entre les dessins ou modèles concernés, quant aux parties avant et arrière, à la zone d’appui et à la présence d’une quille, différences qui seraient perçues par un utilisateur averti, conférant ainsi un caractère individuel au dessin ou modèle contesté.

18      La chambre de recours en a déduit que l’utilisateur averti pourrait clairement percevoir également les différences marquées au niveau de la partie inférieure des modèles en conflit, en particulier la présence dans le dessin ou modèle contesté d’une quille totalement absente des modèles antérieurs, en sachant en outre que cette donnée est également observable depuis les vues latérales, arrière et avant des dessins ou modèles.

19      Dès lors que, selon la chambre de recours, des différences notables existaient concernant l’impression produite par les modèles comparés dans leur ensemble, l’impression globale produite par les dessins ou modèles antérieurs n’était pas de nature à faire perdre au dessin ou modèle contesté son caractère individuel malgré la liberté relativement grande du créateur.

20      La chambre de recours a ainsi constaté que la division d’annulation n’avait commis aucune erreur en rejetant la demande en nullité, dans la mesure où le dessin ou modèle contesté ne produisait pas sur l’utilisateur averti la même impression globale que les dessins ou modèles antérieurs invoqués par la requérante.

21      En quatrième lieu, concernant les procédures judiciaires nationales invoquées par la requérante, la chambre de recours a rappelé que les décisions de juridictions nationales étaient dépourvues d’effet contraignant pour l’EUIPO et, en substance, a considéré que la décision de la troisième chambre de recours du 22 novembre 2006 (affaire R 196/2006-3), également invoquée par la requérante, n’était aucunement comparable, s’agissant de dessins ou modèles très différents de ceux examinés en l’espèce.

22      Partant, la chambre de recours a considéré que la demande en nullité en application de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002 était non fondée et a décidé de rejeter le recours.

 Conclusions des parties

23      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO et l’intervenante aux dépens.

24      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens en cas de convocation à une audience.

25      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité de la pièce produite pour la première fois devant le Tribunal

26      La requérante a produit la décision de la troisième chambre de recours de l’EUIPO du 8 août 2022 (affaire R 952/2021-3) dans une affaire l’opposant à l’intervenante et dont le traitement a été suspendu dans l’attente de la décision mettant fin au litige dans la présente affaire.

27      Par lettre du 22 novembre 2022, le Tribunal a invité l’EUIPO et l’intervenante à faire valoir leurs observations sur ce nouvel élément de preuve.

28      Dans leurs réponses, l’EUIPO et l’intervenante ne contestent pas la recevabilité de cet élément de preuve, mais considèrent qu’il est dépourvu de pertinence.

29      Il convient de juger que ce nouvel élément est recevable, la décision de la chambre de recours en question ayant été prononcée postérieurement au dépôt de la requête [voir, en ce sens, arrêt 24 mars 2021, Lego/EUIPO – Delta Sport Handelskontor (Élément de construction d’une boîte de jeu de construction), T‑515/19, non publié, EU:T:2021:155, point 21].

 Sur le fond

30      Sur le fond, la requérante invoque, en substance, trois moyens, tirés, le premier, de ce que les procédures judiciaires nationales opposant les parties feraient partie des circonstances à prendre en compte, le deuxième, de ce que l’analyse du caractère individuel du dessin ou modèle contesté au regard de la liberté du créateur serait erronée et, le troisième, de l’absence de prise en compte d’un rapport d’expertise.

 Sur le premier moyen, tiré de la non-prise en compte de procédures judiciaires nationales opposant la requérante à l’intervenante

31      Dans le cadre du premier moyen, la requérante prétend que la décision attaquée est entachée d’illégalité, en ce que, dans l’appréciation du caractère individuel d’un dessin ou modèle, la chambre de recours n’aurait pas pris en compte tous les facteurs pertinents. À cet égard, elle reproche à la chambre de recours de ne pas avoir tenu compte de ce que les produits de l’intervenante avaient fait l’objet d’une interdiction provisoire de commercialisation dans une procédure de mesure conservatoire en Allemagne, ainsi que de saisies conservatoires, lors de salons nautiques, à Cannes (France) en septembre 2019 et à Barcelone (Espagne) en octobre 2019, ce qui établirait l’existence de contrefaçons.

32      Dans la décision attaquée, la chambre de recours a considéré, concernant les procédures judiciaires nationales invoquées, que les décisions des juridictions nationales étaient dépourvues d’effet contraignant pour l’EUIPO et ne sauraient en aucun cas remettre en cause la légalité de la décision attaquée.

33      La chambre de recours a souligné avoir nonobstant examiné le raisonnement et le résultat des décisions en question et estimé que, dans la mesure où elles ne se référaient pas au dessin ou modèle contesté, elles ne pouvaient remettre en cause ses appréciations quant au caractère individuel du dessin ou modèle contesté.

34      L’EUIPO et l’intervenante contestent cette argumentation.

35      À cet égard, il suffit de rappeler que le régime de l’Union européenne des dessins ou modèles est un système autonome, constitué d’un ensemble de règles et poursuivant des objectifs qui lui sont spécifiques, son application étant indépendante de tout système national [voir arrêt du 9 février 2017, Mast-Jägermeister/EUIPO (Gobelets), T‑16/16, EU:T:2017:68, point 53 et jurisprudence citée ; arrêts du 31 janvier 2019, Thun/EUIPO (Poisson), T‑604/17, non publié, EU:T:2019:42, point 36, et du 28 mars 2019, dm-drogerie markt/EUIPO – Albea Services (ALBÉA), T‑562/17, non publié, EU:T:2019:204, point 44].

36      Partant, les procédures judiciaires nationales invoquées par la requérante ne sauraient remettre en cause l’appréciation de la chambre de recours dans la décision attaquée et, dès lors, en toute hypothèse en affecter la légalité (voir, en ce sens, arrêt du 9 février 2017, Gobelets, T‑16/16, EU:T:2017:68, point 53 et jurisprudence citée ; voir également, par analogie, arrêt du 28 mars 2019, ALBÉA, T‑562/17, non publié, EU:T:2019:204, point 44).

37      Par conséquent, il y a lieu de rejeter le premier moyen.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une appréciation erronée du caractère individuel du dessin ou modèle contesté au regard du degré de liberté du créateur

38      Dans le cadre du deuxième moyen, la requérante prétend que, dans la décision attaquée, la chambre de recours a mis en œuvre une appréciation erronée du caractère individuel du dessin ou modèle contesté au regard du degré de liberté du créateur.

39      Dans la décision attaquée, la chambre de recours a considéré, en substance, que, nonobstant des similitudes entre les dessins ou modèles antérieurs invoqués et le dessin ou modèle contesté, il existait, malgré la liberté relativement grande du créateur, des différences importantes entre les dessins ou modèles concernés, lesquelles seraient perçues par un utilisateur averti. La chambre de recours a ainsi décidé que le dessin ou modèle contesté ne produisait pas sur l’utilisateur averti la même impression globale que les dessins ou modèles antérieurs invoqués par la requérante.

40      Selon la requérante, la décision attaquée est entachée d’illégalité en ce que, tout d’abord, la chambre de recours a considéré que le degré de liberté du créateur était en l’espèce relativement élevé, mais que, après avoir rappelé la règle de proportionnalité inverse, en vertu de laquelle plus la liberté du créateur dans l’élaboration d’un dessin ou modèle est grande, moins des différences mineures entre les dessins ou modèles en conflit suffisent à produire une impression globale différente sur l’utilisateur averti, le dessin ou modèle contesté et les dessins ou modèles antérieurs invoqués offraient une impression globale dissemblable. Elle soutient qu’un degré élevé de liberté du créateur renforce la conclusion selon laquelle des dessins ou modèles sans différences significatives produisent une même impression globale sur l’utilisateur averti et, partant, que le dessin ou modèle contesté ne présente pas de caractère individuel.

41      Ensuite, la requérante fait valoir un rapport d’expertise de M. E. Boldú Montoro (ci-après le « rapport d’expertise ») établissant, selon elle, que les dessins ou modèles antérieurs invoqués et le dessin ou modèle contesté sont clairement identiques, alors que la majorité des modèles de scooters des mers existant sur le marché sont très différents des dessins ou modèles antérieurs invoqués.

42      Enfin, la requérante fait grief à la chambre de recours d’avoir rejeté, comme étant non pertinente, la décision de la troisième chambre de recours de l’EUIPO du 22 novembre 2006 (affaire R 196/2006-3), alors même que cette décision concernait également des scooters des mers ayant une forme similaire, qui possédaient des différences et des similitudes, mais dont les différences mineures ont été considérées comme étant compensées par la manifeste impression globale similaire du dessin ou modèle contesté.

43      L’EUIPO et l’intervenante contestent cette argumentation.

44      À cet égard, il convient d’emblée de souligner que, dans la requête, ce qu’elle a confirmé durant l’audience, la requérante limite ses griefs à la mise en œuvre par la chambre de recours du critère du degré de liberté du créateur, au sens de l’article 6, paragraphe 2, du règlement no 6/2002, sans contester les appréciations de la chambre de recours quant au caractère nouveau du dessin ou modèle contesté, au sens de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, ni quant à l’utilisateur averti, au sens de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 6/2002.

45      En substance, la requérante fait grief à la chambre de recours d’avoir relevé que le degré de liberté du créateur était en l’espèce relativement élevé, pour en déduire que les dessins ou modèles offraient une impression globale dissemblable et que le dessin ou modèle contesté était doté d’un caractère individuel.

46      Or, il convient de rappeler que le degré de liberté du créateur dans l’élaboration d’un dessin ou modèle est défini à partir, notamment, des contraintes liées aux caractéristiques imposées par la fonction technique du produit ou d’un élément du produit, ou encore des prescriptions légales applicables au produit. Ces contraintes conduisent à une normalisation de certaines caractéristiques, devenant alors communes à plusieurs dessins ou modèles appliqués au produit concerné [voir arrêt du 10 novembre 2021, Eternit/EUIPO – Eternit Österreich (Panneau de construction), T‑193/20, EU:T:2021:782, point 58 et jurisprudence citée].

47      La liberté du créateur est, dans ce contexte, un facteur qui permet plutôt de nuancer l’appréciation du caractère individuel du dessin ou modèle contesté, et non un facteur autonome déterminant la distance requise entre deux dessins ou modèles pour que l’un d’eux puisse se prévaloir d’un caractère individuel. Autrement dit, le facteur relatif au degré de liberté du créateur peut renforcer ou, a contrario, nuancer la conclusion quant à l’impression globale produite sur l’utilisateur averti par chaque dessin ou modèle en cause (voir arrêt du 10 novembre 2021, Panneau de construction, T‑193/20, EU:T:2021:782, point 59 et jurisprudence citée).

48      L’influence du facteur lié à la liberté du créateur sur le caractère individuel varie en fonction d’une règle de proportionnalité inverse. Ainsi, plus la liberté du créateur dans l’élaboration d’un dessin ou modèle est grande, moins des différences mineures entre les dessins ou modèles en conflit suffisent à produire une impression globale différente sur l’utilisateur averti. À l’inverse, plus la liberté du créateur dans l’élaboration d’un dessin ou modèle est restreinte, plus les différences mineures entre les dessins ou modèles en conflit suffisent à produire une impression globale différente sur l’utilisateur averti. En d’autres termes, un degré élevé de liberté du créateur renforce la conclusion selon laquelle les dessins ou modèles sans différences significatives produisent une même impression globale sur l’utilisateur averti et, partant, le dessin ou modèle contesté ne présente pas de caractère individuel. À l’inverse, un faible degré de liberté du créateur favorise la conclusion selon laquelle les différences suffisamment marquées entre les dessins ou modèles produisent une impression globale dissemblable sur l’utilisateur averti et, partant, le dessin ou modèle contesté présente un caractère individuel (voir arrêt du 10 novembre 2021, Panneau de construction, T‑193/20, EU:T:2021:782, point 60 et jurisprudence citée).

49      En l’espèce, il y a lieu de constater que, ainsi que l’a relevé la chambre de recours, tout d’abord, l’une principale différence entre les dessins ou modèles en conflit réside dans la partie avant, en ce que le dessin ou modèle contesté présente un nez angulé avec deux tuyères latérales qui lui confèrent un aspect plus sportif, tandis que les dessins ou modèles antérieurs invoqués par la requérante présentent un nez doux et arrondi.

50      Ensuite, le dessin ou modèle contesté présente une apparence très angulée également dans sa partie arrière, ce qui constitue une différence supplémentaire par rapport aux dessins ou modèles antérieurs invoqués par la requérante, qui présentent des lignes plus douces et arrondies.

51      Par ailleurs, le dessin ou modèle contesté présente une zone d’appui du torse avec notamment une surface en forme de trapèze aux coins arrondis qui délimite la zone d’appui, tandis que les dessins ou modèles antérieurs invoqués par la requérante sont complètement lisses au niveau de la zone d’appui du torse.

52      Enfin, il existe des différences marquées au niveau de la partie inférieure des modèles concernés, lesquelles sont reflétées également dans les vues latérales, arrière et avant, dues principalement, mais pas uniquement, au fait que le dessin ou modèle contesté présente une quille dans la partie inférieure de la coque, tandis que les dessins ou modèles antérieurs invoqués par la requérante en sont dépourvus.

53      Contrairement, à ce que la requérante soutient, il ne s’agit pas en l’espèce de détails accessoires ne conférant pas au dessin ou modèle contesté une impression globale dissemblable de celle produite par les modèles antérieurs.

54      Ainsi que la chambre de recours a pu le considérer, à juste titre, un utilisateur averti, qui fait preuve d’un niveau d’attention relativement élevé, remarquera immédiatement ces différences importantes, qui l’emporteront sur les points communs entre les modèles en conflit, en tenant également compte du fait que certaines de ces différences ont une incidence non seulement sur l’aspect des produits, mais également sur leur confort, comme la forme de la zone d’appui du torse.

55      Dès lors, c’est à bon droit que la chambre de recours a estimé que le dessin ou modèle contesté produisait une impression globale différente de celle produite par les dessins ou modèles antérieurs invoqués par la requérante, de sorte que le dessin ou modèle contesté était doté d’un caractère individuel et que la demande en nullité devait être rejetée.

56      Les autres arguments de la requérante n’infirment pas ce constat.

57      En effet, premièrement, le rapport d’expertise produit par la requérante devant la chambre de recours ne saurait remettre en cause cette appréciation, ainsi que cela ressort des considérations figurant aux points 71 à 78 ci-après concernant le troisième moyen.

58      Deuxièmement, la décision de la troisième chambre de recours de l’EUIPO du 22 novembre 2006 (affaire R 196/2006-3), invoquée par la requérante, ne saurait davantage remettre en cause cette appréciation, en ce que la pratique décisionnelle antérieure de l’EUIPO ne saurait le lier, d’autant moins s’agissant, comme en l’espèce, de dessins ou modèles très différents de ceux en cause en l’espèce. Au surplus, la requérante soutient que les différences entre les scooters en cause dans cette affaire étaient mineures et ont pu être compensées par l’impression globale similaire produite. Cet argument doit être écarté, dès lors que, en l’espèce, les différences entre les dessins ou modèles en cause ne sont pas mineures.

59      Troisièmement, il ne saurait être tiré argument de la décision de la troisième chambre de recours de l’EUIPO du 8 août 2022 (affaire R 952/2021-3), rendue dans une affaire opposant la requérante à l’intervenante, dès lors que, par cette décision, l’EUIPO a précisément suspendu le traitement de cette affaire dans l’attente de la décision du Tribunal mettant fin au litige en l’espèce.

60      Partant, le deuxième moyen doit être rejeté.

 Sur le troisième moyen, tiré de la non-prise en compte du rapport d’expertise

61      Dans le cadre du troisième moyen, la requérante prétend que, dans la décision attaquée, la chambre de recours n’a pas dûment apprécié le rapport d’expertise qu’elle avait produit.

62      Dans la décision attaquée, la chambre de recours a rappelé que, selon la jurisprudence, il n’appartient pas à un expert de réaliser des analyses juridiques, notamment concernant le caractère individuel du dessin ou modèle contesté. Elle a estimé que l’avis de l’auteur du rapport d’expertise, produit par la requérante, ne pouvait être considéré, en sa qualité de professeur titulaire du département de dessin et d’image de l’université de Barcelone, comme comparable au point de vue de l’utilisateur averti des produits concernés, lequel n’est ni un concepteur ni un expert technique.

63      Or, selon la requérante, l’auteur du rapport d’expertise n’a réalisé aucune appréciation juridique, mais a seulement émis des considérations dans le cadre de son expertise reconnue en matière de propriétés intellectuelle et industrielle. Les rapports d’expertise étant expressément autorisés par l’article 65, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, la chambre de recours aurait dû conclure, à l’instar de l’expert dans le rapport d’expertise, que l’impression globale que le dessin ou modèle contesté produisait sur les utilisateurs avertis n’était pas différente de celle produite par les dessins et modèles antérieurs invoqués par la requérante.

64      L’EUIPO et l’intervenante contestent cette argumentation.

65      À cet égard, il convient d’emblée de rappeler que, certes, aux termes de l’article 65, paragraphe 1, sous e), du règlement no 6/2002, dans « toute procédure devant l’[EUIPO], [d]es mesures d’instruction […] peuvent notamment être prises », telles que l’« expertise ».

66      Il n’en demeure pas moins que, s’agissant de considérations relatives au prétendu caractère individuel d’un dessin ou modèle contesté, il convient de préciser que, conformément à la jurisprudence, il n’appartient pas à un expert de porter des appréciations juridiques, notamment, en ce qui concerne le caractère individuel du dessin ou modèle contesté [voir arrêt du 29 octobre 2015, Roca Sanitario/OHMI – Villeroy & Boch (Robinet à commande unique), T‑334/14, non publié, EU:T:2015:817, point 80 et jurisprudence citée].

67      En l’espèce, dans la décision attaquée, la chambre de recours a pris en compte le rapport d’expertise produit par la requérante.

68      Toutefois, elle s’est écartée des conclusions du rapport d’expertise concernant le caractère individuel du dessin ou modèle contesté, en ce que son auteur ne pouvait être considéré comme un utilisateur averti, au sens de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 6/2002.

69      Ainsi, indépendamment de la question de savoir si le rapport d’expertise énonce des appréciations non dénuées d’effets juridiques, l’argumentation de la requérante ne saurait prospérer en ce que, ainsi que cela résulte de l’examen du deuxième moyen ci-dessus, la chambre de recours a pu juger à bon droit que le dessin ou modèle contesté était doté d’un caractère individuel, aux fins de rejeter la demande en nullité.

70      À cet égard, ainsi que l’intervenante l’a relevé à juste titre, le fait que l’article 65, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 énonce l’expertise parmi les mesures d’instruction pouvant être prises ne signifie pas que toute expertise doive être accueillie sur le fond.

71      Dès lors, le troisième moyen ne saurait prospérer.

72      Partant, il y a lieu de rejeter le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

73      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

74      La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO et de l’intervenante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Cayago Tec GmbH est condamnée aux dépens.

Spielmann

Valančius

Brkan

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 septembre 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.