Language of document : ECLI:EU:T:2019:504

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

11 juillet 2019 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Maintien du nom du requérant sur la liste – Obligation du Conseil de vérifier que la décision d’une autorité d’un État tiers a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective »

Dans l’affaire T‑289/18,

Artem Viktorovych Pshonka, demeurant à Kramatorsk (Ukraine), représenté par Me M. Mleziva, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. V. Piessevaux et R. Pekař, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision (PESC) 2018/333 du Conseil, du 5 mars 2018, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2018, L 63, p. 48), et du règlement d’exécution (UE) 2018/326 du Conseil, du 5 mars 2018, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2018, L 63, p. 5), dans la mesure où le nom du requérant a été maintenu sur la liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. G. Berardis (rapporteur), président, D. Spielmann et Z. Csehi, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives adoptées à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, à la suite de la répression des manifestations de la place de l’Indépendance à Kiev (Ukraine) en février 2014.

2        Le requérant, M. Artem Viktorovych Pshonka, est le fils de l’ancien procureur général d’Ukraine et le chef adjoint du groupe du Parti des régions à la Verkhovna Rada Oukraïny (Conseil suprême d’Ukraine).

3        Le 5 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2014/119/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 26). À la même date, le Conseil a adopté le règlement (UE) no 208/2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 1).

4        Les considérants 1 et 2 de la décision 2014/119 précisent ce qui suit :

« (1)      Le 20 février 2014, le Conseil a condamné dans les termes les plus fermes tout recours à la violence en Ukraine. Il a demandé l’arrêt immédiat de la violence en Ukraine et le plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il a demandé au gouvernement ukrainien de faire preuve d’une extrême retenue et aux responsables de l’opposition de se désolidariser de ceux qui mènent des actions extrêmes, et notamment recourent à la violence.

(2)       Le 3 mars 2014, le Conseil [est] convenu d’axer les mesures restrictives sur le gel et la récupération des avoirs des personnes identifiées comme étant responsables du détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien, et des personnes responsables de violations des droits de l’homme, en vue de renforcer et de soutenir l’[É]tat de droit et le respect des droits de l’homme en Ukraine. »

5        L’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/119 dispose ce qui suit :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et à des personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’à des personnes physiques ou morales, à des entités ou à des organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

2.      Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

6        Les modalités de ce gel des fonds sont définies à l’article 1er, paragraphes 3 à 6, de la décision 2014/119.

7        Conformément à la décision 2014/119, le règlement no 208/2014 impose l’adoption des mesures restrictives en cause et définit les modalités de celles-ci en des termes identiques, en substance, à ceux de ladite décision.

8        Les noms des personnes visées par la décision 2014/119 et par le règlement no 208/2014 (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2014 ») apparaissent sur la liste figurant à l’annexe de ladite décision et à l’annexe I dudit règlement (ci-après la « liste ») avec, notamment, la motivation de leur inscription.

9        Le nom du requérant apparaissait sur la liste en cause avec les informations d’identification « fils de l’ancien procureur général, chef adjoint du groupe du Parti des régions à la Verkhovna Rada (Conseil suprême) » et la motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une enquête en Ukraine pour participation à des infractions liées au détournement de fonds publics ukrainiens et à leur transfert illégal hors d’Ukraine. »

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 mai 2014, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro T‑380/14, ayant pour objet, notamment, l’annulation des actes de mars 2014, en ce qu’ils le visaient.

11      Le 29 janvier 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/143, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 24, p. 16), et le règlement (UE) 2015/138, modifiant le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 24, p. 1).

12      La décision 2015/143 a précisé, à partir du 31 janvier 2015, les critères d’inscription des personnes visées par le gel des fonds. En particulier, l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119 a été remplacé par le texte suivant :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes ayant été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et aux personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’aux personnes physiques ou morales, aux entités ou aux organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

Aux fins de la présente décision, les personnes identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien incluent des personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes :

a)       pour détournement de fonds ou d’avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel détournement ; ou

b)       pour abus de pouvoir en qualité de titulaire de charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour les fonds ou avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel abus. »

13      Le règlement 2015/138 a modifié le règlement no 208/2014 conformément à la décision 2015/143.

14      Le 5 mars 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/364, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 62, p. 25), et le règlement d’exécution (UE) 2015/357, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 62, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2015 »). La décision 2015/364 a, d’une part, remplacé l’article 5 de la décision 2014/119, en étendant l’application des mesures restrictives, en ce qui concernait le requérant, jusqu’au 6 mars 2016, et, d’autre part, modifié l’annexe de cette dernière décision. Le règlement d’exécution 2015/357 a modifié en conséquence l’annexe I du règlement no 208/2014.

15      Par les actes de mars 2015, le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec les informations d’identification « fils de l’ancien procureur général, chef adjoint du groupe du Parti des régions à la Verkhovna Rada (Conseil suprême) » et la nouvelle motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics et pour complicité dans un tel détournement. »

16      Le requérant n’a pas formé de recours à l’encontre des actes de mars 2015.

17      Le 4 mars 2016, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2016/318, modifiant la décision 2014/119 (JO 2016, L 60, p. 76), et le règlement d’exécution (UE) 2016/311, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2016, L 60, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2016 »).

18      Par les actes de mars 2016, l’application des mesures restrictives a été prorogée, en ce qui concerne, notamment, le requérant, jusqu’au 6 mars 2017, et ce sans que la motivation de sa désignation ait été modifiée par rapport à celle des actes de mars 2015.

19      Le requérant n’a pas formé de recours à l’encontre des actes de mars 2016.

20      Par ordonnance du 10 juin 2016, Pshonka/Conseil (T‑380/14, non publiée, EU:T:2016:363), prise sur le fondement de l’article 132 de son règlement de procédure, le Tribunal a fait droit au recours mentionné au point 10 ci-dessus, en le déclarant manifestement fondé et en annulant donc les actes de mars 2014, en ce qu’ils visaient le requérant.

21      Le 3 mars 2017, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2017/381, modifiant la décision 2014/119 (JO 2017, L 58, p. 34), et le règlement d’exécution (UE) 2017/374, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2017, L 58, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2017 »).

22      Par les actes de mars 2017, l’application des mesures restrictives a été prorogée jusqu’au 6 mars 2018, et ce sans que la motivation de la désignation du requérant ait été modifiée par rapport à celle des actes de mars 2015 et de mars 2016.

23      Le requérant n’a pas formé de recours à l’encontre des actes de mars 2017.

24      Entre décembre 2017 et février 2018, le Conseil et le requérant ont échangé plusieurs courriers au sujet de la possible prorogation des mesures restrictives en cause à l’égard de ce dernier. En particulier, le Conseil a transmis au requérant plusieurs lettres du bureau du procureur général d’Ukraine (ci-après le « BPG ») concernant la procédure pénale dont il faisait l’objet et qui était le fondement envisagé aux fins de ladite prorogation.

25      Le 5 mars 2018, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2018/333, modifiant la décision 2014/119 (JO 2018, L 63, p. 48), et le règlement d’exécution (UE) 2018/326, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2018, L 63, p. 5) (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »).

26      Par les actes attaqués, l’application des mesures restrictives a été prorogée jusqu’au 6 mars 2019, et ce sans que la motivation de la désignation du requérant ait été modifiée par rapport à celle des actes de mars 2015, de mars 2016 et de mars 2017.

27      Par courrier du 8 mars 2018, le Conseil a informé le requérant du maintien des mesures restrictives à son égard. Il a répondu aux observations du requérant formulées dans les correspondances précédentes et lui a transmis les actes attaqués. En outre, il a indiqué le délai pour lui présenter des observations avant la prise de décision concernant l’éventuel maintien du nom du requérant sur la liste.

 Procédure et conclusions des parties

28      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 mai 2018, le requérant a introduit le présent recours, tendant à l’annulation des actes attaqués.

29      Le 30 juillet 2018, le Conseil a déposé le mémoire en défense. Le même jour, il a également présenté une demande motivée, conformément à l’article 66 du règlement de procédure, visant à obtenir que le contenu de certains documents annexés à la requête et au mémoire en défense ne soit pas cité dans les documents afférents à cette affaire auxquels le public a accès.

30      La réplique et la duplique ont été déposées au greffe du Tribunal le 17 septembre et le 31 octobre 2018. À cette dernière date, la phase écrite de la procédure a été close.

31      Par arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), la Cour a annulé l’arrêt du 7 juillet 2017, Azarov/Conseil (T‑215/15, EU:T:2017:479), ainsi que les actes de mars 2015, en ce qu’ils concernaient la partie requérante dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt.

32      En raison de l’impact potentiel de la solution retenue par la Cour dans l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), dans la présente affaire, le Tribunal (sixième chambre) a décidé, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, d’adresser une question écrite aux parties afin de les inviter à préciser, par écrit, quelles étaient, selon elles, les conséquences à tirer dudit arrêt, en l’espèce. Les parties ont déféré à cette mesure dans le délai imparti.

33      En vertu de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure, en l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure, le Tribunal peut décider de statuer sur le recours sans phase orale de la procédure. En l’espèce, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, a décidé, en l’absence d’une telle demande, de statuer sans phase orale de la procédure.

34      Le requérant conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués, en ce qu’ils le concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

35      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens ;

–        à titre subsidiaire, si les actes attaqués devaient être annulés en ce qu’ils concernent le requérant, ordonner le maintien des effets de la décision 2018/333 jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2018/326 prenne effet.

 En droit

36      Bien que la requête ne soit pas explicitement structurée par moyens, il y a lieu de considérer que, ainsi que l’a fait remarquer le Conseil dans le mémoire en défense, sans être contredit par le requérant dans la réplique, ce dernier invoque, à l’appui du recours et en substance, quatre moyens, tirés, le premier, du fait que sa désignation par les actes attaqués ne satisfait pas aux critères prévus par les actes de mars 2014, tels que modifiés (voir points 11 à 13 ci-dessus), le deuxième, du caractère erroné des informations fournies par le BPG concernant les procédures pénales menées à son égard, le troisième, de la nature politique de ces procédures et, le quatrième, de la violation par le Conseil de l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE, de l’article 215, paragraphe 2, TFUE ainsi que de certains droits fondamentaux prévus notamment dans la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), à savoir le droit à un procès équitable, la présomption d'innocence, le droit à un recours effectif, le droit à la protection de la propriété privée et le droit au respect de la vie privée et familiale.

37      En outre, dans sa réponse à la question visée au point 32 ci-dessus, le requérant fait valoir que, en l’espèce, les principes découlant de l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), ont pour conséquence que les actes attaqués ne peuvent qu’être annulés.

38      Le Conseil, quant à lui, dans ses mémoires déposés dans le cadre de la phase écrite de la procédure, conteste le bien-fondé des moyens du requérant mentionnés au point 36 ci-dessus et invoque également l’irrecevabilité du moyen tiré de la violation des droits fondamentaux découlant de la CEDH, en ce que ce moyen n’aurait pas été exposé de manière suffisamment précise et ne respecterait donc pas les conditions résultant de l’article 76, sous d), du règlement de procédure.

39      Dans sa réponse à la question visée au point 32 ci-dessus, le Conseil soutient que l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), n’a pas d’incidence sur la présente affaire, dès lors que le requérant, dans la requête, n’aurait pas soulevé de moyen semblable à celui que la Cour a accueilli dans ledit arrêt et qu’un tel moyen ne serait pas d’ordre public.

40      À titre liminaire, il convient donc de rappeler les principes découlant notamment de l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), lesquels sont susceptibles d’avoir une incidence cruciale sur la présente affaire.

 Observations liminaires

41      Il ressort d’une jurisprudence bien établie que, lors du contrôle de mesures restrictives, les juridictions de l’Union européenne doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union, au rang desquels figurent, notamment, les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective (voir arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, points 20 et 21 et jurisprudence citée).

42      L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne sur la liste des personnes faisant l’objet de mesures restrictives, le juge de l’Union s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir lesdits actes, sont étayés (voir arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, point 22 et jurisprudence citée).

43      L’adoption et le maintien de mesures restrictives, telles que celles prévues par la décision 2014/119 et le règlement no 208/2014, tels que modifiés, prises à l’encontre d’une personne ayant été identifiée comme étant responsable d’un détournement de fonds appartenant à un État tiers, reposent, en substance, sur la décision d’une autorité de celui-ci, compétente à cet égard, d’engager et de mener une procédure d’enquête pénale concernant cette personne et portant sur une infraction de détournement de fonds publics (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, point 25).

44      Aussi, si, en vertu du critère d’inscription, tel que celui rappelé au point 12 ci-dessus, le Conseil peut fonder des mesures restrictives sur la décision d’un État tiers, l’obligation, pesant sur cette institution, de respecter les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective implique qu’il doive s’assurer du respect desdits droits par les autorités de l’État tiers ayant adopté ladite décision (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, points 26, 27 et 35).

45      À cet égard, la Cour précise que l’exigence de vérification, par le Conseil, du fait que les décisions des États tiers, sur lesquelles il entend se fonder, ont été prises dans le respect desdits droits vise à assurer que l’adoption ou le maintien des mesures de gel des fonds n’ait lieu que sur une base factuelle suffisamment solide et, de telle sorte, à protéger les personnes ou les entités concernées. Ainsi, le Conseil ne saurait considérer que l’adoption ou le maintien de telles mesures repose sur une base factuelle suffisamment solide qu’après avoir vérifié lui-même que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés lors de l’adoption de la décision de l’État tiers concerné sur laquelle il entend se fonder (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, points 28 et 34 et jurisprudence citée).

46      Par ailleurs, s’il est vrai que la circonstance que l’État tiers compte au nombre des États ayant adhéré à la CEDH implique un contrôle, par la Cour européenne des droits de l’homme, des droits fondamentaux garantis par la CEDH, lesquels, conformément à l’article 6, paragraphe 3, TUE, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux, une telle circonstance ne saurait toutefois rendre superflue l’exigence de vérification rappelée au point 45 ci-dessus (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, point 36).

47      La Cour considère également que le Conseil est tenu de faire état, dans l’exposé des motifs relatifs à l’adoption ou au maintien des mesures restrictives à l’égard d’une personne ou d’une entité, ne serait-ce que de manière succincte, des raisons pour lesquelles il considère que la décision de l’État tiers sur laquelle il entend se fonder a été adoptée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective. Ainsi, il incombe au Conseil, afin de satisfaire à son obligation de motivation, de faire apparaître, dans la décision imposant des mesures restrictives, qu’il a vérifié que la décision de l’État tiers sur laquelle il fonde ces mesures a été adoptée dans le respect de ces droits (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, points 29 et 30 et jurisprudence citée).

48      En définitive, lorsqu’il fonde l’adoption ou le maintien de mesures restrictives, telles que celles en l’espèce, sur la décision d’un État tiers d’engager et de mener une procédure pénale pour détournement de fonds ou d’avoirs publics de la part de la personne concernée, le Conseil doit, d’une part, s’assurer que, au moment de l’adoption de ladite décision, les autorités de cet État tiers ont respecté les droits de la défense et le droit à la protection juridictionnelle effective de la personne faisant l’objet de la procédure pénale en cause et, d’autre part, mentionner, dans la décision imposant des mesures restrictives, les raisons pour lesquelles il considère que ladite décision de l’État tiers a été adoptée dans le respect de ces droits.

49      En l’espèce, dans sa réponse à la question visée au point 32 ci-dessus, le requérant fait valoir que le Conseil, lorsqu’il a prorogé les mesures restrictives le concernant par l’adoption des actes attaqués, n’a pas vérifié si l’État ukrainien avait respecté ses droits fondamentaux, prévus notamment par la CEDH, en particulier les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective. Ainsi, sa situation serait comparable à celle de la personne qui était à l’origine de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), de sorte que le Tribunal devrait faire droit à ses conclusions dans la présente affaire.

50      En revanche, ainsi que cela a été indiqué au point 39 ci-dessus, le Conseil soutient que l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), n’a pas d’incidence sur la présente affaire, dès lors que le requérant n’aurait pas soulevé, dans la requête, un moyen pris de la violation de son obligation de vérifier si la décision d’une autorité d’un État tiers d’engager et de mener une procédure pénale portant sur une infraction de détournement de fonds publics avait été adoptée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective. Selon le Conseil, un tel moyen n’est pas d’ordre public et ne saurait donc être relevé d’office par le Tribunal.

51      Dans ces circonstances, il y a lieu de se prononcer sur la fin de non-recevoir que le Conseil a, en substance, soulevée à l’égard de l’argumentation que le requérant a invoquée dans sa réponse à la question visée au point 32 ci-dessus.

 Sur la fin de non-recevoir soulevée par le Conseil

52      La fin de non-recevoir soulevée par le Conseil consiste, en substance, à soutenir que le requérant, lorsqu’il s’appuie sur l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), invoque un moyen nouveau, sans respecter les conditions prévues à cette fin à l’article 84 du règlement de procédure et sans que ce moyen soit d’ordre public.

53      L’article 84 du règlement de procédure se lit comme suit :

« 1.      La production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.

2.      S’il y a lieu, les moyens nouveaux sont produits lors du deuxième échange de mémoires et identifiés en tant que tels. Lorsque les éléments de droit et de fait qui justifient la production des moyens nouveaux sont connus après le deuxième échange de mémoires ou après qu’il a été décidé de ne pas autoriser un tel échange de mémoires, la partie principale concernée produit les moyens nouveaux dès qu’elle a connaissance de ces éléments […] »

54      À cet égard, en premier lieu, il convient de relever que, en principe, la production d’un moyen nouveau doit respecter les exigences prévues par l’article 84 du règlement de procédure. Toutefois, ces exigences ne sont pas applicables lorsqu’un moyen, tout en pouvant être qualifié de nouveau, est d’ordre public (voir, en ce sens, arrêts du 15 septembre 2016, La Ferla/Commission et ECHA, T‑392/13, EU:T:2016:478, point 65, et du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, points 40 à 43).

55      En effet, selon une jurisprudence constante, dans le cadre d’un recours en annulation, un moyen d’ordre public peut être invoqué par les parties à tout stade de la procédure, dès lors qu’un tel moyen peut, voire doit, être soulevé d’office par le juge (arrêts du 8 juillet 2004, Mannesmannröhren-Werke/Commission, T‑44/00, EU:T:2004:218, point 210, et du 14 avril 2015, Ayadi/Commission, T‑527/09 RENV, non publié, EU:T:2015:205, point 44 ; voir également, en ce sens, arrêts du 20 février 1997, Commission/Daffix, C‑166/95 P, EU:C:1997:73, points 23 à 25, et du 3 mai 2018, Malte/Commission, T‑653/16, EU:T:2018:241, points 47 et 48). Selon cette même jurisprudence, un moyen tiré d’un défaut ou d’une insuffisance de motivation d’un acte de l’Union constitue un moyen d’ordre public.

56      Or, dans l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), la Cour, après avoir considéré qu’il y avait lieu d’annuler l’arrêt du 7 juillet 2017, Azarov/Conseil (T‑215/15, EU:T:2017:479), a estimé que l’affaire était en état d’être jugée et a annulé les actes litigieux. À cette fin, elle a souligné qu’il ne ressortait nullement de la motivation de ceux-ci que le Conseil eût vérifié le respect, par l’administration judiciaire ukrainienne, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle de la personne concernée et a renvoyé aux motifs qu’elle avait énoncés aux points 25 à 30 et 34 à 42 de son arrêt (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, points 43 à 46).

57      En particulier, le point 30 de l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), précise clairement qu’« il incombe au Conseil, afin de satisfaire à son obligation de motivation, de faire apparaître, dans la décision imposant des mesures restrictives, qu’il a vérifié que la décision de l’État tiers sur laquelle il fonde ces mesures a été adoptée dans le respect des [droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective] ».

58      Par ailleurs, le point 30 de l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), cite le point 37 de l’arrêt du 26 juillet 2017, Conseil/LTTE (C‑599/14 P, EU:C:2017:583), où la Cour avait clairement constaté que « la motivation de[s] règlements [contestés] ne permet[tait] donc pas de savoir si le Conseil [avait] satisfait à l’obligation de vérification qui lui incombait », pour conclure, au point 38 de ce dernier arrêt, que le Tribunal avait constaté à bon droit que les actes en cause « étaient entachés d’une insuffisance de motivation ».

59      Il découle de ces éléments que, dans l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), la Cour a finalement constaté que les actes litigieux n’étaient pas suffisamment motivés en ce qui concernait la manière dont le Conseil aurait vérifié le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective par les autorités ukrainiennes, dans le cadre de la procédure pénale pour détournement de fonds publics qui était à la base des mesures restrictives adoptées et maintenues par le Conseil à l’égard de la partie requérante dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt.

60      Certes, le choix de la Cour, dans l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), d’appréhender la question du respect des droits en cause par les autorités ukrainiennes sous l’angle du respect, par le Conseil, de l’obligation de motivation ne correspond pas aux arguments que la partie requérante dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 7 juillet 2017, Azarov/Conseil (T‑215/15, EU:T:2017:479), avait invoqués en ce qui concernait l’obligation pour le Conseil de vérifier que le niveau de la protection des droits fondamentaux garanti en Ukraine était équivalent à celui existant dans l’Union. En effet, ces arguments s’inséraient non pas dans son moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation, mais dans celui tiré du fait que le Conseil aurait commis une erreur manifeste d’appréciation, ainsi que cela résulte du point 166 dudit arrêt, tout comme, au demeurant, du point 41 de l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031).

61      Toutefois, au vu des éléments mis en avant aux points 56 à 59 ci-dessus, il est évident que, dans l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), la Cour s’est focalisée sur l’obligation de motivation.

62      Ainsi, dès lors que la Cour, dans l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), a annulé les actes litigieux sur le fondement d’un moyen d’ordre public, la fin de non-recevoir du Conseil résumée au point 50 ci-dessus doit être écartée.

63      En tout état de cause, en deuxième lieu, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, si la production de moyens nouveaux en cours d’instance est, en principe, interdite, cependant, un moyen, ou un grief, qui constitue l’ampliation d’un moyen ou d’un grief énoncé antérieurement, explicitement ou implicitement, dans la requête et qui présente un lien étroit avec celui-ci doit être déclaré recevable (voir, en ce sens, arrêts du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C‑439/11 P, EU:C:2013:513, point 46, et du 26 février 2016, Bodson e.a./BEI, T‑240/14 P, EU:T:2016:104, point 30).

64      En l’espèce, dans la requête, le requérant a fait valoir, notamment, que la phase d’instruction de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’était fondé pour le maintien des mesures restrictives à son égard durait désormais depuis plus de quatre ans, ce qui serait contraire à la législation ukrainienne. Il serait donc poursuivi de manière illégale et le BPG violerait de manière grave ses droits, en refusant de mettre fin aux poursuites pénales dont il fait l’objet, en dépit de l’absence de tout acte d’investigation. Le requérant en conclut que, nonobstant tous les éléments qu’il avait présentés au Conseil pendant la procédure administrative, ce dernier n’a pas tenu compte du prétendu fait que le BPG utilisait ladite procédure comme un instrument politique pour rendre possible le maintien des mesures restrictives en cause.

65      Force est de constater que les arguments que le requérant a avancés dans sa réponse à la question visée au point 32 ci-dessus, tels que résumés au point 49 ci-dessus, présentent un lien étroit avec les arguments que le requérant a invoqués dans la requête et qui sont mentionnés au point 64 ci-dessus. Ainsi, indépendamment de la question de savoir s’il s’agit d’un moyen d’ordre public, le requérant ne saurait être considéré comme étant forclos à demander au Tribunal de suivre, en l’espèce, la même approche que celle de la Cour dans l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031).

66      En troisième lieu, il doit être rappelé que le principe de l’interdiction de la production de moyens nouveaux souffre d’une exception, en ce que cette production est admise lorsque de tels moyens se fondent sur des éléments de droit ou de fait qui se sont révélés pendant la procédure, ainsi que le prévoit l’article 84 du règlement de procédure (voir point 53 ci-dessus).

67      À cet égard, il a été jugé que si, certes, une jurisprudence du juge de l’Union qui n’a fait que confirmer une situation de droit que la partie requérante connaissait, en principe, au moment où elle a introduit son recours ne saurait être considérée comme un élément nouveau permettant la production d’un moyen nouveau, il en va différemment lorsqu’il s’agit d’une jurisprudence qui fournit de nouvelles précisions (voir, en ce sens, arrêt du 22 mars 2018, Stavytskyi/Conseil, T‑242/16, non publié, EU:T:2018:166, point 125 et jurisprudence citée).

68      En l’espèce, lorsque le requérant a introduit le présent recours, il existait une jurisprudence du Tribunal selon laquelle, d’une part, l’approche retenue dans l’arrêt du 16 octobre 2014, LTTE/Conseil (T‑208/11 et T‑508/11, EU:T:2014:885), n’était pas transposable au contexte des mesures restrictives prises par le Conseil au regard de la situation en Ukraine et, d’autre part, ce n’était que si le choix politique du Conseil de soutenir le nouveau régime ukrainien se révélait être manifestement erroné que l’éventuel manque de correspondance entre la protection des droits fondamentaux en Ukraine et celle existant dans l’Union pouvait avoir une incidence sur la légalité de ces mesures (voir, en ce sens, arrêts du 7 juillet 2017, Azarov/Conseil, T‑215/15, EU:T:2017:479, points 166 à 178, et du 8 novembre 2017, Klymenko/Conseil, T‑245/15, non publié, sous pourvoi, EU:T:2017:792, points 218 à 232). Toutefois, par l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), la Cour a infirmé cette jurisprudence du Tribunal, ce qui doit être considéré comme étant un élément de droit de nature à justifier la présentation d’un moyen ou d’un grief nouveau.

69      Il résulte des considérations qui précèdent que l’argument que le requérant tire des principes découlant notamment de l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), tels qu’ils résultent des points 41 à 48 ci-dessus, est recevable.

70      Par ailleurs, il convient de préciser que, par la question visée au point 32 ci-dessus, le droit des parties à être entendues a été respecté. En effet, il résulte de la jurisprudence que, lorsque le Tribunal invite les parties à une affaire à se prononcer par écrit sur les conséquences à tirer d’un arrêt rendu dans une autre affaire, ces parties doivent être considérées comme étant conscientes du fait que le Tribunal envisage la possibilité d’appliquer en l’espèce, même d’office, la solution retenue dans ledit arrêt (voir, en ce sens, ordonnance du 4 décembre 2013, Forgital Italy/Conseil, T‑438/10, non publiée, EU:T:2013:648, points 59 et 60).

 Sur le fond

71      Les arguments que le requérant tire de l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), ont été résumés au point 49 ci-dessus.

72      Le Conseil, quant à lui, dans sa réponse à la question visée au point 32 ci-dessus, n’a pas présenté d’argumentation sur le fond, mais s’est limité à soulever la fin de non-recevoir qui a été rejetée (voir points 50 et 69 ci-dessus).

73      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le requérant fait l’objet de nouvelles mesures restrictives adoptées par les actes attaqués sur le fondement du critère d’inscription énoncé à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119, tel qu’il a été précisé dans la décision 2015/143, et à l’article 3 du règlement no 208/2014, tel qu’il a été précisé dans le règlement 2015/138 (voir points 12 et 13 ci-dessus). Ce critère prévoit le gel des fonds des personnes qui ont été identifiées comme étant responsables notamment de faits de détournement de fonds publics ou de complicité dans un tel détournement, y compris les personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes.

74      Il est constant que le Conseil s’est fondé, pour décider du maintien du nom du requérant sur la liste, sur la circonstance que celui-ci faisait l’objet d’une « procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics et pour complicité dans un tel détournement », dont l’existence était établie par les lettres du BPG dont le requérant avait reçu copie (voir point 24 ci-dessus).

75      Le maintien des mesures restrictives prises à l’encontre du requérant reposait donc, à l’instar de ce qui était le cas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), sur la décision du BPG d’engager et de mener une procédure d’enquête pénale portant notamment sur une infraction de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien.

76      Or, en premier lieu, force est de constater que la motivation des actes attaqués relative au requérant (voir points 15 et 26 ci-dessus) ne comporte pas la moindre référence au fait que le Conseil aurait vérifié le respect, par l’administration judiciaire ukrainienne, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci et que, dès lors, une telle absence de motivation constitue une première indication de ce que le Conseil n’a pas procédé à une telle vérification.

77      En deuxième lieu, il convient de relever que les informations contenues dans la lettre du 8 mars 2018 (voir 27 point ci-dessus) ne permettent pas de considérer que le Conseil disposait d’éléments relatifs au respect des droits en question par les autorités ukrainiennes en ce qui concernait la procédure pénale visant le requérant et, encore moins, que le Conseil a apprécié de tels éléments, afin de vérifier si lesdits droits avaient été suffisamment respectés par l’administration judiciaire ukrainienne lors de l’adoption de la décision d’engager et de mener une procédure d’enquête pénale portant notamment sur une infraction de détournement de fonds ou d’avoirs publics de la part du requérant. En effet, dans cette lettre, à l’instar de ce qui avait été fait dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, point 24), le Conseil s’est essentiellement borné à indiquer que les lettres du BPG, communiquées préalablement au requérant (voir point 24 ci-dessus), établissaient que ce dernier continuait à faire l’objet d’une procédure pénale notamment pour détournement de fonds ou d’avoirs publics. Si le Conseil a affirmé disposer de la confirmation du fait qu’un avis de suspicion concernant le requérant avait été émis, il n’a cependant pas examiné les arguments du requérant ayant trait aux prétendues violations de ses droits en raison, notamment, du caractère politique de la procédure pénale le concernant et de la durée de cette procédure. Au contraire, dans la lettre en question, le Conseil a indiqué que toute prétendue violation des droits procéduraux du requérant en Ukraine ne pouvait être invoquée que devant les juridictions de ce pays.

78      En troisième lieu, il doit être observé que le Conseil était tenu d’effectuer la vérification du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective indépendamment de tout élément de preuve apporté par le requérant pour démontrer que, en l’espèce, sa situation personnelle avait été affectée par les problèmes qu’il identifiait concernant le fonctionnement du système judiciaire en Ukraine. Or, dans le mémoire en défense, le Conseil a en substance indiqué que toute prétendue violation des droits de la défense du requérant par les autorités ukrainiennes ne pouvait être invoquée que devant les juridictions de ce pays, en maintenant donc la position déjà exprimée dans la lettre du 8 mars 2018.

79      En quatrième lieu, il doit être constaté qu’aucune pièce soumise au Tribunal ne permet d’établir que, au cours de la procédure ayant abouti à l’adoption des actes attaqués, le Conseil a examiné la question de savoir si les autorités ukrainiennes avaient respecté les droits de la défense du requérant et son droit à une protection juridictionnelle effective dans le cadre de la procédure pénale dont l’existence justifiait, selon le Conseil, le maintien des mesures restrictives visant le requérant.

80      En particulier, il ne résulte pas du dossier que le Conseil ait pris position sur la manière dont un tel respect pouvait être considéré comme garanti alors même que, comme le requérant l’avait fait valoir à plusieurs reprises, notamment dans ses lettres de janvier et de février 2018, ladite procédure pénale, qui était en cours depuis le mois d’avril 2015, se trouvait encore au stade de l’enquête préliminaire.

81      À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH prévoit que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Ce droit est afférent au principe de protection juridictionnelle effective, qui, par ailleurs, a été consacré à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2009, Der Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission, C‑385/07 P, EU:C:2009:456, points 177 et 179).

82      En outre, la Cour européenne des droits de l’homme a déjà relevé que la violation de ce principe pouvait être constatée notamment lorsque la phase d’instruction d’une procédure pénale se caractérisait par un certain nombre de phases d’inactivité imputables aux autorités compétentes pour cette instruction (voir, en ce sens, Cour EDH, 6 janvier 2004, Rouille c. France, CE:ECHR:2004:0106JUD005026899, points 29 à 31 ; 27 septembre 2007, Reiner et autres c. Roumanie, CE:ECHR:2007:0927JUD000150502, points 57 à 59, et 12 janvier 2012, Borisenko c. Ukraine, CE:ECHR:2012:0112JUD002572502, points 58 à 62).

83      Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence que, lorsqu’une personne fait l’objet de mesures restrictives depuis plusieurs années, et ce en raison de l’existence de la même procédure pénale menée par le BPG, le Conseil est tenu d’approfondir la question de la violation éventuelle des droits fondamentaux de cette personne par les autorités ukrainiennes (voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2019, Stavytskyi/Conseil, T‑290/17, EU:T:2019:37, point 132).

84      Dès lors, en l’espèce, le Conseil aurait dû à tout le moins indiquer les raisons pour lesquelles, en dépit de l’argument du requérant repris au point 80 ci-dessus, il pouvait considérer que le droit de celui-ci à une protection juridictionnelle effective devant l’administration judiciaire ukrainienne, qui est, à l’évidence, un droit fondamental, avait été respecté en ce qui concerne la question de savoir si sa cause avait été entendue dans un délai raisonnable.

85      Enfin, il y a lieu de souligner que, devant le Tribunal, le Conseil n’a même pas cherché à expliquer comment le maintien du nom du requérant sur la liste pouvait être conforme aux principes découlant de l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), étant donné qu’il a renoncé à présenter au Tribunal des arguments sur le fond au regard dudit arrêt (voir point 72 ci-dessus).

86      Il ne saurait donc être conclu que les éléments dont le Conseil disposait lors de l’adoption des actes attaqués lui ont permis de vérifier que la décision de l’administration judiciaire ukrainienne sur laquelle repose, en substance, le maintien des mesures restrictives à l’encontre du requérant avait été prise en respectant ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective.

87      Par ailleurs, à cet égard, il convient également de relever, ainsi qu’il a été précisé dans l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), que la jurisprudence de la Cour selon laquelle, notamment, en cas d’adoption d’une décision de gel des fonds telle que celle concernant le requérant, il appartient au Conseil ou au Tribunal de vérifier le bien-fondé non pas des enquêtes dont la personne visée par ces mesures faisait l’objet en Ukraine, mais uniquement de la décision de gel des fonds au regard du ou des documents sur lesquels cette décision a été fondée (voir, en ce sens, arrêts du 5 mars 2015, Ezz e.a./Conseil, C‑220/14 P, EU:C:2015:147, point 77 ; du 19 octobre 2017, Yanukovych/Conseil, C‑599/16 P, non publié, EU:C:2017:785, point 69, et du 19 octobre 2017, Yanukovych/Conseil, C‑598/16 P, non publié, EU:C:2017:786, point 72), ne saurait être interprétée en ce sens que le Conseil n’est pas tenu de vérifier que la décision de l’État tiers sur laquelle il entend fonder l’adoption de mesures restrictives a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil, C‑530/17 P, EU:C:2018:1031, point 40 et jurisprudence citée).

88      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il n’est pas établi que le Conseil, avant l’adoption des actes attaqués, a vérifié le respect, par l’administration judiciaire ukrainienne, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant.

89      Dans ces circonstances, il y a lieu d’annuler les actes attaqués en tant qu’ils visent le requérant, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens et arguments soulevés par ce dernier, la demande de traitement confidentiel présentée par le Conseil (voir point 29 ci-dessus) ou la fin de non-recevoir invoquée par celui-ci, en ce qui concerne un des moyens mentionnés dans la requête (voir point 38 ci-dessus).

90      Au regard de la demande présentée par le Conseil à titre subsidiaire (voir point 35, troisième tiret, ci-dessus), tendant, en substance, au maintien des effets de la décision 2018/333 jusqu’à l’expiration du délai prévu pour l’introduction d’un pourvoi et, au cas où un pourvoi serait présenté, jusqu’à la décision statuant sur celui-ci, il suffit de relever que la décision 2018/333 n’a produit d’effets que jusqu’au 6 mars 2019. Par conséquent, l’annulation de celle-ci par le présent arrêt n’a pas de conséquence sur la période postérieure à cette date, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question du maintien des effets de cette décision (voir, en ce sens, arrêt du 6 juin 2018, Arbuzov/Conseil, T‑258/17, EU:T:2018:331, point 107 et jurisprudence citée).

 Sur les dépens

91      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision (PESC) 2018/333 du Conseil, du 5 mars 2018, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, et le règlement d’exécution (UE) 2018/326 du Conseil, du 5 mars 2018, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine, sont annulés dans la mesure où le nom de M. Artem Viktorovych Pshonka a été maintenu sur la liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives.

2)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens.

Berardis

Spielmann

Csehi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 juillet 2019.

Signatures


* Langue de procédure : le tchèque.