Language of document : ECLI:EU:T:2022:644

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

19 octobre 2022 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de nullité – Marque de l’Union européenne figurative Lío – Cause de nullité absolue – Mauvaise foi – Article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 207/2009 [devenu article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) 2017/1001] »

Dans l’affaire T‑466/21,

Dino Baumberger, demeurant à Wesel (Allemagne), représenté par Mes J. Fusbahn et D. Dawirs, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par MM. N. Lamsters et E. Markakis, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Nube, SL, établie à Ibiza (Espagne), représentée par Mes J. Gracia Albero et R. Ahijón Lana, avocats,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé, lors des délibérations, de MM. D. Spielmann, président, R. Mastroianni et I. Gâlea (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Dino Baumberger, demande l’annulation de la décision de la cinquième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 2 juin 2021 (affaire R 1221/2020‑5) (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        En 2011, l’intervenante, Nube, SL, a inauguré le club Lío à Ibiza. Il s’agit d’un restaurant, d’un cabaret et d’une boîte de nuit.

3        En 2015, le requérant a effectué un voyage touristique à Ibiza. Le 3 juin 2015, à la suite de ce séjour, DBM Videovertrieb GmbH, société dont le requérant est le directeur général, a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’EUIPO. La marque dont l’enregistrement a été demandé était le signe figuratif reproduit ci-après :

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4        Les produits et les services pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 21, 24, 25, 34, 40 et 42 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 21 : « Tasses et chopes ; chopes en verre ; tasses » ;

–        classe 24 : « Serviettes de bain ; draps de bain » ;

–        classe 25 : « Tee-shirts ; tee-shirts imprimés ; tee-shirts à manches courtes ou à manches longues ; polos en tricot ; chemises polos ; casquettes de base-ball » ;

–        classe 34 : « Cendriers en métaux non précieux pour fumeurs ; cendriers » ;

–        classe 40 : « Services d’impression de tee-shirts » ;

–        classe 42 : « Conception de logos pour tee-shirts ».

5        Le 8 septembre 2015, l’intervenante a formé opposition à l’enregistrement de la marque contestée. Le 12 août 2016, l’opposition a été rejetée par la division d’opposition.

6        Le 15 novembre 2016, la marque contestée a été enregistrée sous le numéro 14194872. Le 28 novembre 2016, le transfert de ladite marque par DBM Videovertrieb au requérant a été notifié à l’EUIPO. Dès lors que le titulaire de cette marque a été successivement DBM Videovertrieb, puis le requérant, dans le présent arrêt, du 3 juin 2015 au 28 novembre 2016, il sera également fait référence au « requérant » pour désigner DBM Videovertrieb au cours de cette période.

7        Le 13 décembre 2016, le requérant a adressé une offre de vente de la marque contestée à un agent de l’intervenante, pour le prix de 1,5 million d’euros.

8        Dans le courant du mois de février 2017, la presse espagnole a fait état de l’arrivée d’un nouvel investisseur au sein du groupe détenant notamment le club Lío. Le 12 juin 2017, une deuxième offre de vente de la marque a été adressée à ce nouvel investisseur, pour un montant de 3,5 millions d’euros. Il était mentionné dans cette offre que le requérant avait connu le club Lío lors d’un séjour à Ibiza en 2015, qu’il avait un chien nommé Lio et qu’il aurait voulu acheter une casquette ou un t-shirt portant ce nom. De plus, il était indiqué que les premiers articles de marchandisage étaient déjà en vente à Ibiza et recevaient un très bon accueil.

9        Le 20 septembre 2017, DBM Videovertrieb a présenté une nouvelle demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’EUIPO portant sur le même signe figuratif que celui reproduit au point 3 ci-dessus, pour des produits et des services relevant des classes 9, 14, 16, 18, 20, 26 et 35. Le 8 janvier 2018, cette marque a été enregistrée sous le numéro 17225939 (ci-après la « marque no 17225939 »). Cette seconde marque a fait l’objet d’une procédure de nullité ayant donné lieu, sur recours, à une décision de la cinquième chambre de recours de l’EUIPO du 2 juin 2021 (affaire R 1220/2020‑5), en cause dans l’affaire T‑467/21.

10      Le 22 janvier 2018, une troisième offre de vente portant à la fois sur la marque contestée et sur la marque no 17225939 a été formulée, pour un montant de 1,5 million d’euros.

11      Le 26 juillet 2018, l’intervenante a présenté à l’EUIPO une demande en nullité à l’égard de la marque contestée, fondée sur, premièrement, l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1), deuxièmement, l’article 60, paragraphe 1, sous a), dudit règlement lu en combinaison avec l’article 8, paragraphe 5, de celui-ci et, troisièmement, l’article 60, paragraphe 2, sous c), du même règlement.

12      L’intervenante invoquait, notamment, les droits antérieurs suivants :

–        la marque de l’Union européenne figurative demandée le 14 mars 2011 et enregistrée le 28 août 2012 sous le numéro 9806324 pour des services compris dans les classes 41 et 43, reproduite ci-après :

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–        la marque de l’Union européenne figurative demandée le 31 juillet 2014 et enregistrée le 3 mars 2017 sous le numéro 13130364 pour des services compris dans les classes 41 et 43, reproduite ci-après :

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–        la marque espagnole figurative déposée le 14 mars 2011 et enregistrée le 8 juillet 2011 sous la référence M2974171 pour des services compris dans les classes 41 et 43, reproduite ci-après :

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13      Le 28 avril 2020, la division d’annulation a fait droit à la demande de nullité de la marque contestée sur le fondement de l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001.

14      Le 15 juin 2020, le requérant a formé un recours auprès de l’EUIPO contre la décision de la division d’annulation.

15      Par la décision attaquée, la cinquième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours en s’appuyant sur six facteurs. En premier lieu, la chambre de recours a constaté que la marque contestée était presque identique au signe Lío utilisé par l’intervenante. En deuxième lieu, elle a retenu que le requérant avait pleinement connaissance de l’activité commerciale de l’intervenante au moment où il a demandé l’enregistrement de cette marque. En troisième lieu, elle a considéré qu’il n’avait ni démontré un usage approprié et économiquement viable de la marque contestée ni une activité commerciale respectant une logique commerciale honnête et, en quatrième lieu, que ses tentatives de vendre la marque contestée et la marque no 17225939 à l’intervenante apparaissaient contraires aux pratiques commerciales éthiques et honnêtes en raison des éléments de pression indue qu’elles contenaient. En cinquième lieu, elle a souligné qu’il n’existait aucun lien compréhensible entre la marque contestée, le requérant et son activité. Enfin, en sixième lieu, elle a estimé que les explications de celui-ci n’étaient pas dépourvues de contradictions, notamment concernant son chien prétendument célèbre et le livre dont ce dernier aurait fait l’objet. Elle en a conclu que l’enregistrement de la marque contestée avait été demandé dans l’intention de tirer indûment profit de la renommée du club Lío. Ainsi, elle a estimé que le véritable objectif était d’exploiter de manière parasitaire la renommée de l’intervenante et de tirer avantage de cette renommée, notamment en vendant la marque contestée et la marque no 17225939 pour un prix disproportionné.

 Conclusions des parties

16      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        annuler la décision de la division d’annulation ;

–        rejeter la demande en nullité et maintenir l’enregistrement de la marque contestée ;

–        condamner l’EUIPO et l’intervenante aux dépens.

17      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

18      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens, y compris ceux exposés dans le cadre des procédures devant la division d’annulation et la chambre de recours.

 En droit

19      Compte tenu de la date d’introduction de la demande d’enregistrement en cause, à savoir le 3 juin 2015, qui est déterminante aux fins de l’identification du droit matériel applicable, les faits de l’espèce sont régis  par les dispositions matérielles du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié (voir, en ce sens, ordonnance du 5 octobre 2004, Alcon/OHMI, C‑192/03 P, EU:C:2004:587, points 39 et 40, et arrêt du 23 avril 2020, Gugler France/Gugler et EUIPO, C‑736/18 P, non publié, EU:C:2020:308, point 3 et jurisprudence citée).

20      Par suite, en l’espèce, en ce qui concerne les règles de fond, il convient d’entendre les références à l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, faites par la chambre de recours dans la décision attaquée et par les parties dans leurs écritures, comme visant l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, d’une teneur identique.

21      À l’appui de son recours, le requérant invoque un moyen unique, tiré de la violation de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, dans le cadre duquel il conteste l’appréciation effectuée par la chambre de recours quant aux six facteurs ayant fondé le constat de l’existence de mauvaise foi lors du dépôt de la marque contestée.

22      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments du requérant.

23      À titre liminaire, il convient de rappeler que le régime d’enregistrement d’une marque de l’Union européenne repose sur le principe du premier déposant, inscrit à l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 (devenu article 8, paragraphe 2, du règlement 2017/1001). En vertu de ce principe, un signe ne peut être enregistré en tant que marque de l’Union européenne que pour autant qu’une marque antérieure n’y fasse pas obstacle, qu’il s’agisse d’une marque de l’Union européenne, d’une marque enregistrée dans un État membre ou par l’Office Benelux de la propriété intellectuelle, d’une marque ayant fait l’objet d’un enregistrement international ayant effet dans un État membre ou encore d’une marque ayant fait l’objet d’un enregistrement international ayant effet dans l’Union. En revanche, sans préjudice d’une éventuelle application de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009 (devenu article 8, paragraphe 4, du règlement 2017/1001), la seule utilisation par un tiers d’une marque non enregistrée ne fait pas obstacle à ce qu’une marque identique ou similaire soit enregistrée en tant que marque de l’Union européenne, pour des produits ou des services identiques ou similaires [voir arrêt du 12 mai 2021, Tornado Boats International/EUIPO – Haygreen (TORNADO), T‑167/20, non publié, EU:T:2021:257, point 43 et jurisprudence citée].

24      L’application de ce principe est nuancée notamment par l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, en vertu duquel la nullité d’une marque de l’Union européenne est déclarée, sur demande présentée auprès de l’EUIPO ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon, lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande d’enregistrement de cette marque.

25      Lorsqu’une notion figurant dans le règlement no 207/2009 n’est pas définie par celui-ci, la détermination de sa signification et de sa portée doit être établie conformément à son sens habituel dans le langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel cette notion est utilisée et des objectifs poursuivis par ce règlement. Il en va ainsi de la notion de « mauvaise foi » figurant à l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, en l’absence de toute définition de cette notion par le législateur de l’Union (voir arrêt du 12 septembre 2019, Koton Mağazacilik Tekstil Sanayi ve Ticaret/EUIPO, C‑104/18 P, EU:C:2019:724, points 43 et 44 et jurisprudence citée).

26      À cet égard, la Cour a eu l’occasion de préciser que, outre le fait que, conformément à son sens habituel dans le langage courant, la notion de « mauvaise foi » suppose la présence d’un état d’esprit ou d’une intention malhonnête, il convient, aux fins de son interprétation, de prendre en considération le contexte particulier du droit des marques, qui est celui de la vie des affaires. À ce titre, les règles de l’Union en matière de marques visent, en particulier, à contribuer au système de concurrence non faussée dans l’Union, dans lequel chaque entreprise doit, afin de s’attacher la clientèle par la qualité de ses produits ou de ses services, être en mesure de faire enregistrer en tant que marques des signes permettant au consommateur de distinguer sans confusion possible ces produits ou ces services de ceux qui ont une autre provenance (arrêt du 29 janvier 2020, Sky e.a., C‑371/18, EU:C:2020:45, point 74).

27      Ainsi, la cause de nullité absolue visée à l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 s’applique lorsqu’il ressort d’indices pertinents et concordants que le titulaire d’une marque de l’Union européenne a introduit la demande d’enregistrement de cette marque non pas dans le but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence, mais avec l’intention de porter atteinte, d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers ou avec l’intention d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque, notamment de la fonction essentielle d’indication d’origine rappelée au point 26 ci-dessus (voir, en ce sens, arrêt du 29 janvier 2020, Sky e.a., C‑371/18, EU:C:2020:45, point 75 et jurisprudence citée).

28      L’intention du demandeur d’une marque est un élément subjectif qui doit cependant être déterminé de manière objective par les autorités administratives et judiciaires compétentes. Par conséquent, toute allégation de mauvaise foi doit être appréciée globalement, en tenant compte de l’ensemble des circonstances factuelles pertinentes du cas d’espèce, au moment du dépôt de la demande d’enregistrement. Ce n’est que de cette manière que l’allégation de mauvaise foi peut être appréciée objectivement (voir, en ce sens, arrêt du 12 septembre 2019, Koton Mağazacilik Tekstil Sanayi ve Ticaret/EUIPO, C‑104/18 P, EU:C:2019:724, point 47 et jurisprudence citée).

29      Partant, la notion de mauvaise foi se rapporte à une motivation subjective de la personne présentant une demande d’enregistrement de marque, à savoir une intention malhonnête ou un autre motif dommageable. Elle implique un comportement s’écartant des principes reconnus comme étant ceux entourant un comportement éthique ou des usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale [arrêt du 7 juillet 2016, Copernicus-Trademarks/EUIPO – Maquet (LUCEO), T‑82/14, EU:T:2016:396, point 28].

30      Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence que, dans le cas d’une demande en nullité fondée sur l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, il n’est nullement requis que le demandeur soit titulaire d’une marque antérieure pour des produits ou des services identiques ou similaires (arrêt du 12 septembre 2019, Koton Mağazacilik Tekstil Sanayi ve Ticaret/EUIPO, C‑104/18 P, EU:C:2019:724, point 53).

31      Il importe d’ajouter que, dans les cas où il s’avère que, au moment de la demande de la marque contestée, un tiers utilisait, dans au moins un État membre, un signe identique ou similaire à cette marque, l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public ne doit pas nécessairement être établie pour que l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 puisse s’appliquer (arrêt du 12 septembre 2019, Koton Mağazacilik Tekstil Sanayi ve Ticaret/EUIPO, C‑104/18 P, EU:C:2019:724, point 54). Toutefois, si un tel risque est établi, il convient d’examiner, dans le cadre de l’appréciation globale des circonstances pertinentes du cas d’espèce, si le demandeur de la marque contestée en avait connaissance, cet élément n’étant toutefois qu’un facteur pertinent parmi d’autres à prendre en considération. Ainsi, d’autres circonstances factuelles peuvent, le cas échéant, constituer des indices pertinents et concordants établissant la mauvaise foi dudit demandeur (voir, en ce sens, arrêt du 12 septembre 2019, Koton Mağazacilik Tekstil Sanayi ve Ticaret/EUIPO, C‑104/18 P, EU:C:2019:724, points 55 et 56).

32      Dans le cadre de l’analyse globale opérée au titre de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, il peut également être tenu compte de l’origine du signe contesté et de son usage depuis sa création, de la logique commerciale dans laquelle s’est inscrit le dépôt de la demande d’enregistrement du signe en tant que marque de l’Union européenne ainsi que de la chronologie des événements ayant caractérisé la survenance dudit dépôt [voir arrêts du 26 février 2015, Pangyrus/OHMI – RSVP Design (COLOURBLIND), T‑257/11, non publié, EU:T:2015:115, point 68 et jurisprudence citée, et du 14 mai 2019, Moreira/EUIPO – Da Silva Santos Júnior (NEYMAR), T‑795/17, non publié, EU:T:2019:329, point 20 et jurisprudence citée]. De même, l’existence de relations commerciales entre les parties peut également fournir des indices aux fins d’apprécier la mauvaise foi (voir arrêt du 12 mai 2021, TORNADO, T‑167/20, non publié, EU:T:2021:257, point 51 et jurisprudence citée).

33      Par ailleurs, c’est au demandeur en nullité qui entend se fonder sur l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 qu’il incombe d’établir les circonstances qui permettent de conclure qu’une demande d’enregistrement d’une marque de l’Union européenne a été déposée de mauvaise foi, la bonne foi du déposant étant présumée jusqu’à preuve du contraire [voir arrêt du 21 avril 2021, Hasbro/EUIPO – Kreativni Dogadaji (MONOPOLY), T‑663/19, EU:T:2021:211, point 42 et jurisprudence citée].

34      Lorsque l’EUIPO constate que les circonstances objectives du cas d’espèce invoquées par le demandeur en nullité sont susceptibles de conduire au renversement de la présomption de bonne foi dont bénéficie le titulaire de la marque en cause lors du dépôt de la demande d’enregistrement de celle-ci, il appartient à ce dernier de fournir des explications plausibles concernant les objectifs et la logique commerciale poursuivis par la demande d’enregistrement de ladite marque [arrêts du 23 mai 2019, Holzer y Cia/EUIPO – Annco (ANN TAYLOR et AT ANN TAYLOR), T‑3/18 et T‑4/18, EU:T:2019:357, point 36, et du 21 avril 2021, MONOPOLY, T‑663/19, EU:T:2021:211, point 43].

35      C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il y a lieu d’examiner les arguments du requérant visant à contester la légalité de la décision attaquée en ce que la chambre de recours a conclu, au terme de l’analyse des six facteurs qu’elle a estimés pertinents, pris dans leur ensemble, à l’existence de la mauvaise foi du demandeur d’enregistrement lors du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée.

 Sur le premier facteur, relatif à la « quasi-identi[té] » des signes en cause

36      Le requérant considère que le fait que les signes concernés soient pratiquement identiques ne permet pas de conclure à l’existence de mauvaise foi. L’étendue de la protection d’une marque étant définie par le demandeur d’enregistrement, il y aurait lieu de tenir compte du fait que les produits et services visés par les marques de l’intervenante sont différents des produits et des services visés par la marque contestée, ce qui aurait été confirmé par un tribunal allemand. En outre, il se serait assuré qu’il n’existait aucune marque similaire disposant d’une protection similaire. Dès lors qu’il n’y aurait pas de risque de confusion, aucune preuve d’une attitude malhonnête ou préjudiciable ni présomption de mauvaise foi ne pourrait découler du fait que les signes en cause sont pratiquement identiques.

37      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments du requérant.

38      La chambre de recours a constaté que la marque contestée constituait une reproduction fidèle du style graphique utilisé par l’intervenante depuis 2011 et protégé également par ses marques antérieures. Ainsi, elle a estimé que la marque contestée était presque identique aux signes Lío utilisés par cette dernière, notamment ceux reproduits ci-après:

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39      En premier lieu, il y a lieu de souligner que le requérant ne conteste pas que les signes en cause sont pratiquement identiques. Il se borne à invoquer que, les produits et services visés par la marque contestée étant différents des services commercialisés par l’intervenante, il n’existerait pas de risque de confusion, de sorte qu’aucune preuve d’une attitude malhonnête ou préjudiciable de sa part ne saurait découler de ce facteur.

40      À cet égard, il convient de relever que, conformément à la jurisprudence citée aux points 30 et 31 ci-dessus, il n’est nullement requis que l’intervenante soit titulaire d’une marque antérieure pour des produits ou des services identiques ou similaires et l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public ne doit pas nécessairement être établie pour que l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 puisse s’appliquer.

41      Partant, l’argument selon lequel la différence entre les produits et les services en cause et l’absence de risque de confusion empêcheraient le constat de l’existence de la mauvaise foi doit être rejeté, sans que cette conclusion puisse être infirmée par la décision d’une juridiction allemande confirmant que les produits et services en cause étaient différents, également invoquée par le requérant.

42      En second lieu, il convient de rappeler qu’il résulte de la jurisprudence citée au point 28 ci-dessus que l’existence de la mauvaise foi du demandeur, au sens de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce.

43      Partant, si le constat selon lequel les signes en cause sont presque identiques ne permet certes pas, à lui seul, de conclure à l’existence de la mauvaise foi, il constitue un facteur pertinent à prendre en compte dans le cadre de l’appréciation globale de l’existence de celle-ci.

 Sur le deuxième facteur, relatif au fait que la valeur des activités commerciales de l’intervenante et l’attrait du club Lío étaient connus lors de la demande d’enregistrement de la marque contestée

44      Le requérant estime que l’appréciation de la chambre de recours selon laquelle il avait pu apprécier la valeur financière et l’importance du signe Lío pour l’intervenante ainsi que son attrait pour le public ne saurait servir de fondement pour établir la mauvaise foi. Il considère que l’intervenante savait que, pour protéger des produits supplémentaires par rapport à ceux relevant de ses activités, une protection étendue les couvrant était nécessaire. Toutefois, elle aurait délibérément choisi de ne pas entrer sur le marché desdits produits. Partant, le requérant ne serait pas susceptible de faire obstacle aux activités commerciales de l’intervenante, celles-ci relevant d’un secteur commercial différent. En outre, dans l’hypothèse où un signe est enregistré en tant que marque de l’Union européenne pour un produit ou un service spécifique, le dépôt d’une demande d’enregistrement d’un signe pratiquement identique pour un produit ou un service différent ne pourrait être constitutif de mauvaise foi. L’intervenante aurait donc changé d’avis quant à l’utilisation du signe Lío après avoir eu connaissance de la marque contestée et de la marque no 17225939.

45      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments du requérant.

46      La chambre de recours a constaté que le requérant avait pleinement connaissance de l’activité commerciale de l’intervenante au moment où il a sollicité l’enregistrement de la marque contestée. En outre, si la chambre de recours a souligné que l’existence d’une renommée n’était pas obligatoire pour conclure à la mauvaise foi, elle a tout de même indiqué que, au regard des installations du club Lío appartenant à l’intervenante, de la clientèle qui y était attachée, du prix et de la qualité des évènements qui y avaient lieu, ce dont le requérant avait fait l’expérience en se rendant dans ce club, celui-ci devait être conscient de l’importance financière de l’activité commerciale dudit club. En outre, les articles de presse provenant de divers pays suggéreraient que le club Lío bénéficiait d’un degré élevé de notoriété. Enfin, le fait que l’implication d’une entité d’investissement dans ce club ait été couverte par la presse et qu’une offre de vente de la marque contestée ait été adressée directement à cette entité, et non à l’intervenante, en demandant le double du prix mentionné dans l’offre de vente initiale, suggèreraient que le requérant était conscient de la valeur commerciale du club Lío et pouvait apprécier la valeur financière et l’importance du signe Lío pour l’intervenante ainsi que son attrait pour le public.

47      À titre liminaire, il convient de relever que, si les différentes offres de vente de la marque contestée mentionnées aux points 7, 8 et 10 ci-dessus ont été rédigées postérieurement au 3 juin 2015, date de dépôt de la demande d’enregistrement de cette marque, il n’en demeure pas moins qu’elles apportent des éléments pertinents dont il est possible de déduire les raisons ayant mené à la présentation de ladite demande [voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 8 mai 2014, Simca Europe/OHMI – PSA Peugeot Citroën (Simca), T‑327/12, EU:T:2014:240, point 48].

48      En premier lieu, il y a lieu de souligner que le signe Lío utilisé par l’intervenante pour son club Lío à Ibiza était connu du requérant avant le dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée. Cela ressort de plusieurs éléments du dossier. En effet, le requérant a admis ce fait en déclarant qu’il avait connu le club Lío lors d’un séjour à Ibiza en 2015, qu’il avait voulu à cette occasion acheter une casquette ou un t-shirt avec ce nom, car c’était également le nom de son chien, et que, n’ayant rien trouvé, à son retour en Allemagne, il avait enregistré la marque contestée par la société dont il était le directeur général. En outre, le requérant concède que les éléments graphiques choisis pour constituer cette marque étaient inspirés d’un signe aperçu à Ibiza. Il précise avoir même vérifié qu’aucun risque de confusion n’existait entre la marque contestée et les signes utilisés par l’intervenante. Par ailleurs, il déclare que le fait que l’intervenante menait des activités liées aux services de boîte de nuit était connu à l’époque du dépôt de la demande de la marque contestée. Il ressort de ce qui précède que le requérant connaissait les activités de l’intervenante et le signe Lío à l’époque du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée, à savoir le 3 juin 2015, ce qu’il ne conteste pas. Partant, il pouvait d’autant moins ignorer l’importance de ces activités commerciales notamment au regard du prix des événements qui étaient organisés dans le club de l’intervenante, des célébrités de divers secteurs le fréquentant, de ses installations et des nombreux articles de presse publiés dans différents pays au sujet de ce club.

49      En second lieu, le requérant se limite à réitérer qu’il n’était pas susceptible de faire obstacle aux activités commerciales de l’intervenante, cette dernière ayant enregistré ses marques pour des services différents et étant active dans un secteur commercial distinct. Partant, la presque identité des signes ne saurait constituer un indice de mauvaise foi, dès lors que les produits et services étaient différents. Toutefois, le requérant omet que, ainsi qu’il ressort du point 40 ci-dessus, le constat de la mauvaise foi ne présuppose pas l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public.

50      À cet égard, il convient en outre de relever qu’un certain lien existe entre les produits désignés par la marque contestée et l’activité commerciale de l’intervenante, dès lors que lesdits produits peuvent constituer des articles promotionnels et participer à une stratégie d’expansion commerciale en relation avec le club de l’intervenante.

51      Il ressort de tout ce qui précède que c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que la chambre de recours a constaté que le requérant avait pleinement connaissance de l’activité commerciale de l’intervenante lors du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée et avait pu apprécier la valeur financière ainsi que l’importance du signe en cause pour l’intervenante. Partant, cet élément constitue un facteur pertinent à prendre en compte dans le cadre de l’appréciation globale de l’existence de la mauvaise foi.

 Sur les troisième et quatrième facteurs, relatifs, en substance, à l’absence de logique commerciale honnête et à l’existence d’éléments de pression indue résultant des offres de vente de la marque contestée

52      Le requérant conteste tout d’abord que ses trois offres de vente de la marque contestée aient été « non sollicitées ». Selon lui, le fait que l’intervenante ait formé opposition contre cette marque en visant tous les produits et services couverts par celle-ci démontrait qu’elle voulait détenir ladite marque. Après l’enregistrement de cette marque, le requérant aurait supposé que le risque d’un litige persistait, ce qui aurait été confirmé par la présente demande en nullité et la procédure devant les juridictions allemandes engagée par l’intervenante. Partant, ses offres de vente auraient été une simple réaction à l’opposition de l’intervenante et ne feraient présumer aucune intention malhonnête ni aucune pression indue, mais auraient résulté d’un besoin de clarté du requérant. Ensuite, s’agissant du prix élevé proposé, il aurait visé à attirer l’attention et à engager une négociation, mais sans intention sérieuse de vendre. Enfin, il incomberait à l’intervenante de prouver la mauvaise foi au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée. En l’espèce, le requérant aurait produit des documents montrant une première gamme de produits, ce qui révèlerait l’intention d’utiliser la marque contestée en lien avec les produits et les services visés par l’enregistrement de cette marque et aurait dissipé toute suspicion de mauvaise foi.

53      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments du requérant.

54      La chambre de recours a estimé que le requérant n’avait démontré ni un usage économiquement viable de la marque contestée ni une activité commerciale respectant une logique commerciale honnête. La seule preuve de l’utilisation de cette marque concernerait un site Internet et un catalogue de produits ne présentant que douze articles. De plus, un mois après l’enregistrement de la marque contestée, le requérant aurait adressé à l’intervenante une première offre de vente de celle-ci. En l’absence de réponse, une deuxième offre aurait été soumise pour le double du prix initial, en mentionnant que les produits étaient déjà en vente à Ibiza et qu’une campagne de marketing était sur le point de commencer. Enfin, une troisième offre serait parvenue après l’enregistrement de la marque no 17225939, reprenant le prix initial. La chambre de recours a considéré que ces offres de vente non sollicitées constituaient la seule preuve d’une activité commerciale viable, alors que, si des marchandises commercialisées sous la marque contestée avaient réellement reçu un très bon accueil, le requérant aurait pu produire la preuve d’une activité commerciale à cet égard. En outre, ces tentatives de vendre la marque contestée et la marque no 17225939 contiendraient des éléments de pression indue. Ainsi, après s’être assuré le monopole du signe pour certains produits et services non directement protégés par les marques de l’intervenante, le requérant aurait demandé une somme disproportionnée pour le transfert des droits correspondant en indiquant un délai de validité d’un mois et en soulignant qu’un refus entrainerait la commercialisation dudit monopole. Par ailleurs, sa deuxième offre, plus élevée, aurait été adressée à un nouvel investisseur, en insistant sur les conséquences d’un refus. Dès lors, la chambre de recours a considéré que l’allégation du requérant selon laquelle les trois offres de vente non sollicitées exprimaient un refus de vendre lesdites marques manquait de crédibilité et qu’il n’avait pas été établi que l’intervenante avait connaissance notamment de l’existence de la marque contestée avant la première offre de vente.

55      En premier lieu, il convient tout d’abord de relever que l’intervenante a formé opposition à l’enregistrement de la marque contestée le 8 septembre 2015. Par conséquent, l’affirmation de la chambre de recours selon laquelle il n’avait pas été établi que l’intervenante avait connaissance de l’existence de ladite marque lorsqu’elle a reçu la première offre de vente le 13 décembre 2016 est erronée. Toutefois, il n’en demeure pas moins que l’intervenante n’avait nullement sollicité ladite offre de vente qui lui a été soumise pour cette marque ainsi que pour le nom de domaine du site Internet du requérant. Certes, ainsi que le concède l’intervenante, ladite opposition aurait pu justifier une approche visant à explorer la possibilité de régler le litige à l’amiable. Cependant, il convient de constater qu’un contact n’a été établi par le requérant avec l’intervenante que le 13 décembre 2016 par cette première offre de vente, soit approximativement un mois après avoir obtenu l’enregistrement de la marque contestée, le 15 novembre 2016, et donc après s’être ainsi assuré un droit exclusif sur un signe presque identique à celui de l’intervenante. Par ailleurs, cette première offre, qui portait sur un montant de 1,5 million d’euros, mentionnait que sa durée de validité était limitée à un mois et que les ventes commenceraient au début de l’été 2017.

56      Ensuite, il y a lieu de constater que le 12 juin 2017, ainsi qu’il ressort du point 8 ci-dessus, la deuxième offre de vente, également non sollicitée, a été directement adressée à un nouvel investisseur au sein du groupe détenant le club Lío, dont l’arrivée avait été couverte par la presse. Plus du double du montant de la première offre, soit 3,5 millions d’euros, était demandé pour la marque contestée, sans avancer de raison économique motivant cette augmentation. En outre, il était souligné que les premiers articles de marchandisage étaient en vente à Ibiza et étaient très bien accueillis. Par ailleurs, il était mentionné qu’une campagne de marketing était sur le point de commencer, mais qu’une offre était auparavant soumise à l’intervenante. De plus, en soulignant la nécessité d’une réponse rapide, il était fait référence à la perspective d’incorporer les droits relatifs à cette marque au sein de la société mère détenant le club Lío. Enfin, après avoir reçu une lettre de cessation et d’abstention concernant la marque contestée et la marque no 17225939, le 22 janvier 2018, DBM Videovertrieb, la société dont le requérant est le directeur général, a formulé une troisième offre de vente, portant sur l’ensemble desdites marques, pour un montant ramené à 1,5 million d’euros. À cette occasion, elle a réfuté toute accusation de mauvaise foi sans développer d’argumentation ni expliquer l’évolution des montants demandés entre la première et la deuxième offre de vente.

57      À cet égard, il convient de relever que, comme la chambre de recours l’a souligné, les différentes offres de vente auraient pu consister en une activité commerciale viable dès lors que des marques peuvent en principe faire l’objet de transactions commerciales. Toutefois, la combinaison, premièrement, d’offres de vente à des prix très élevés, deuxièmement, d’une augmentation inexpliquée du prix proposé à l’occasion de la deuxième offre, si ce n’est qu’elle concordait avec la couverture médiatique de l’arrivée d’un nouvel investisseur, troisièmement, de l’indication de la durée limitée dans le temps de ces offres et, quatrièmement, de la mention du fait que des ventes d’articles de marchandisage avaient commencé et que ces derniers étaient bien accueillis à Ibiza, précisément là où sont établis l’intervenante et son club Lío, sont de nature à constituer, ainsi que l’a souligné la chambre de recours, des éléments de pression indue allant à l’encontre d’une pratique commerciale éthique et honnête.

58      Cette constatation ne saurait être remise en cause par l’argument du requérant selon lequel le prix élevé des offres de vente constituait l’expression de son absence d’intention sérieuse de vendre. En effet, il convient de relever que, dans un premier temps, ce prix avait été expliqué par la valeur que la marque contestée avait pour lui et, ensuite, par le fait qu’il visait à attirer l’attention et à engager une négociation. En outre, l’affirmation d’une absence d’intention sérieuse de vendre apparaît peu vraisemblable au vu du caractère réitéré et non sollicité desdites offres, de la variation inexpliquée du prix demandé et du bénéfice substantiel qu’aurait retiré le requérant si elles avaient été acceptées.

59      En second lieu, s’agissant de l’argumentation du requérant relative à la charge de la preuve de la mauvaise foi du demandeur de l’enregistrement de la marque contestée, il convient de l’examiner ci-après, dans le cadre de l’analyse globale des facteurs considérés comme pertinents.

60      À ce stade, il suffit de relever que, confronté à des indices susceptibles de mettre en doute le caractère honnête de l’intention ayant présidé au dépôt de la marque contestée, le requérant n’a pu ni réfuter ces indices, ni démontrer l’existence d’une logique commerciale sous-tendant le dépôt de la marque contestée autre que celle visant à la vendre à l’intervenante pour un prix particulièrement élevé. Il convient de constater que la simple utilisation d’un site Internet à compter du mois de mai 2018 et l’invocation d’un seul catalogue produit par le requérant lui-même et ne présentant que douze articles n’étaient pas susceptibles de fournir des explications plausibles concernant les objectifs et la logique commerciale poursuivis.

61      Partant, sans requérir la preuve de l’usage sérieux de la marque contestée, comme invoqué par le requérant, c’est à juste titre que la chambre de recours a constaté, d’une part, que le requérant n’avait pas démontré que la demande d’enregistrement de la marque contestée répondait à une pratique commerciale honnête et, d’autre part, que les tentatives de vente à l’intervenante contenaient des éléments de pression indue paraissant aller à l’encontre d’une pratique commerciale éthique et honnête.

 Sur le cinquième facteur, relatif à l’absence de lien compréhensible entre la marque contestée, le requérant et son activité

62      Le requérant conteste le cinquième facteur indiqué dans la décision attaquée et estime que rien ne permet de considérer que les activités commerciales supplémentaires d’un demandeur de marque devraient refléter la mauvaise foi de celui-ci. En outre, le seul fait d’être titulaire de la marque contestée constituerait un lien suffisant entre le requérant et cette marque. De plus, l’absence d’utilisation par le requérant de ladite marque dans le cadre de ses activités commerciales ne serait pas un indice de mauvaise foi, dès lors que de nouveaux plans d’affaires pourraient expliquer que l’enregistrement de celle-ci ait été demandé. Par ailleurs, l’absence d’utilisation de la marque contestée durant le délai de grâce, pendant lequel elle peut ne pas être utilisée, n’indiquerait pas que le requérant ne l’utilisera pas ultérieurement. Enfin, celui-ci affirme avoir réduit ses activités en attendant que la situation juridique soit clarifiée.

63      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments du requérant.

64      La chambre de recours a considéré qu’il n’existait aucun lien compréhensible entre la marque contestée, le requérant et son activité. L’objet social des sociétés s’inscrirait dans l’immobilier et la production de magazines photo et de vidéos. Il aurait exercé ses activités commerciales pendant plus de trente ans sans utiliser la marque contestée. De plus, le livre consacré au chien Lio, prétendument célèbre, aurait été publié dans le courant du mois de mars 2015. Si le requérant avait voulu produire des articles de mode inspirés de ce nom, il aurait pu le faire en utilisant n’importe quel signe autre que celui utilisé par l’intervenante.

65      Il convient tout d’abord de rappeler que, ainsi qu’il ressort du point 28 ci-dessus, l’existence de la mauvaise foi doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce.

66      En l’espèce, la chambre de recours a relevé que les activités du requérant s’inscrivaient dans le domaine de l’immobilier et de la production de magazines photo et de vidéos, activités sans aucun lien avec la marque contestée et avaient été exercées sans avoir jamais donné lieu à l’utilisation d’un signe similaire à celui constituant ladite marque. Toutefois, force est de constater que, dans le cadre de son raisonnement, il ne s’agit pas d’un facteur décisif pour établir la mauvaise foi. En outre, il convient d’apprécier cet élément à la lumière de tous les autres facteurs pertinents pris en compte par la chambre recours. À cet égard, ce cinquième facteur, relatif à l’absence de lien entre les activités du requérant et la marque contestée s’ajoute aux facteurs relevés aux points 43, 51 et 61 ci-dessus.

67      De plus, s’agissant de l’argument du requérant selon lequel il aurait réduit ses activités en attendant que la situation juridique soit clarifiée et l’invocation de l’existence du délai de grâce de cinq ans découlant de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 (devenu article 18, paragraphe 1, du règlement 2017/1001), il convient de relever, d’une part, que ces éléments ont été pris en compte par la chambre de recours et, d’autre part, qu’aucune stratégie commerciale honnête motivant le dépôt de la demande de la marque contestée n’a été dévoilée, ce que l’absence de lien entre cette marque et l’activité du requérant ne fait que confirmer.

68      Partant, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que la chambre de recours a considéré que, eu égard à l’absence de lien entre les activités du requérant et la marque contestée, si la seule intention de ce dernier avait été de créer une ligne de vêtements et d’accessoires inspirée du nom de son chien Lio, toute stylisation du terme « lio » autre que celle correspondant au signe utilisé par l’intervenante, ou à tout le moins une stylisation suffisamment différente de celle-ci, aurait permis d’atteindre cet objectif.

 Sur le sixième facteur, relatif à l’existence de contradictions dans l’attitude du requérant

69      Le requérant considère que, contrairement à ce que la chambre de recours a estimé, ses explications ne comportaient aucune contradiction. Ainsi, une déclaration au sujet des principales zones de distribution des produits couverts par la marque contestée, qui auraient été situées en Allemagne, en Autriche et en Suisse, ne devrait pas être interprétée comme contredisant une déclaration désignant Ibiza comme étant le premier lieu de vente des produits de marchandisage couverts par cette marque, dès lors que celle-ci ne devrait pas être utilisée au cours du délai de grâce. De plus, de tels renseignements sur un premier usage à Ibiza et sur les principales zones de distribution dans d’autres pays ne seraient pas contradictoires. Par ailleurs, la chambre de recours n’aurait pas pris en considération les éléments de preuve concernant la relation entre le requérant et son chien.

70      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments du requérant.

71      La chambre de recours a considéré que les explications du requérant n’étaient pas dépourvues de contradictions. Ainsi, il aurait déclaré que sa principale zone de distribution était l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse et qu’aucune boîte de nuit située à Ibiza n’était ciblée, alors qu’il avait annoncé que les premiers articles de marchandisage étaient vendus dans ce dernier lieu. Par ailleurs, il aurait déclaré que la marque contestée avait été enregistrée car il n’avait pas pu acheter une casquette avec le signe Lío pour son chien, à la suite de quoi une ligne de vêtements pour humains aurait dû être créée en s’inspirant du nom de ce dernier. En outre, le livre sur ledit chien aurait déjà été publié dans le courant du mois de mars 2015, mais ce n’est qu’après son voyage à Ibiza que la demande d’enregistrement de la marque contestée a été déposée.

72      En premier lieu, il y a lieu de relever que, le 12 juin 2017, dans la deuxième offre de vente, il a été mentionné, d’une part, que l’enregistrement de la marque contestée avait été demandé à la suite d’un séjour du requérant à Ibiza et, d’autre part, que les premiers articles de marchandisage étaient vendus dans les meilleurs magasins de cette île et étaient très bien accueillis. Toutefois, dans une lettre reçue par l’EUIPO le 3 septembre 2018, portant sur la marque contestée et la marque no 17225939, le requérant a déclaré que la principale zone de distribution était concentrée en Allemagne, en Autriche et en Suisse et qu’aucune boîte de nuit d’Ibiza n’était concernée. Cette dernière affirmation, et particulièrement la négation de tout rapport avec Ibiza, contredit la première affirmation. Par ailleurs, les raisons qui sous-tendraient ce changement n’ont pas été données par le requérant. De plus, l’un des rares éléments produits au sujet de la marque contestée établit un lien avec Ibiza, ainsi qu’il ressort du nom de domaine du site Internet lio-designs.com/de/lioibiza. En outre, le requérant a reconnu s’être inspiré du signe vu lors d’un séjour sur cette île et cite par ailleurs le club de l’intervenante dans ses favoris sur le réseau social Facebook. Partant, au vu du court laps de temps qui sépare ces affirmations, rendant improbable un changement de stratégie commerciale aussi radical, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que la chambre de recours a estimé que ces déclarations n’étaient pas exemptes de contradictions.

73      En second lieu, s’agissant de l’argument relatif à l’absence de prise en considération des éléments produits concernant la relation entre le requérant et son chien, il convient de relever que l’introduction de la demande d’enregistrement de la marque contestée a été expliquée par le fait que, en vacances à Ibiza, le requérant, possédant un chien nommé Lio, n’avait pas été en mesure d’acheter une casquette arborant le signe Lio. À son retour en Allemagne, il aurait décidé de faire enregistrer ladite marque. À cet égard, il y a lieu de constater qu’il ne peut certes être déduit de manière certaine de ces déclarations, comme l’a fait la chambre de recours, que ladite casquette était destinée audit chien. Toutefois, il n’en demeure pas moins que la chambre de recours a pris en considération le fait que le requérant, dans ses observations du 3 mai 2019, avait déclaré que ledit chien avait appartenu à une championne de patinage artistique, qu’il était apparu à la télévision, qu’il était connu en Allemagne, en République Tchèque et en Autriche et qu’il avait également fait l’objet d’un livre. Or, il convient de souligner la nature évolutive et alambiquée de ces déclarations. En effet, le requérant a admis que la demande d’enregistrement de la marque contestée avait été déposée après qu’il avait connu le club de l’intervenante à Ibiza et c’est autour de ces explications qu’ont été structurées les premières déclarations quant aux motifs de ce dépôt, alors qu’aucune référence au livre ou à la notoriété dudit chien n’apparaissait. De plus, ainsi que la chambre de recours l’a souligné à juste titre, le requérant, s’il avait réellement voulu commercialiser des articles de mode inspirés du nom de ce chien, aurait pu le faire en utilisant n’importe quel signe autre que celui utilisé par l’intervenante.

74      Partant, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que la chambre de recours a considéré que les explications entourant le dépôt de la marque contestée n’étaient pas dépourvues de contradictions.

 Sur l’analyse globale des facteurs pertinents

75      Le requérant considère qu’il n’est pas établi au-delà de tout doute raisonnable que des intentions malhonnêtes et préjudiciables ont présidé au dépôt de la demande de la marque contestée. De plus, de telles intentions ne pourraient pas être déterminées avec certitude d’un point de vue extérieur. Partant, il y aurait lieu de considérer que le requérant a simplement désiré concevoir une nouvelle marque dans le domaine de la mode et que le signe Lío a été choisi en raison de la présence quotidienne de son chien. Les éléments graphiques auraient été inspirés du signe Lío vu à Ibiza et l’absence de tout risque de confusion avec les marques de l’intervenante aurait été vérifiée préalablement.

76      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments du requérant.

77      La chambre de recours a estimé, compte tenu des six facteurs qu’elle a considérés comme pertinents, que le requérant avait l’intention de tirer indûment profit de la renommée du club Lío exploité par l’intervenante lorsqu’il a demandé l’enregistrement de la marque contestée, en particulier en vendant cette marque ainsi que la marque no 17225939 à l’intervenante pour un prix disproportionné.

78      Il ressort des points 27 à 29 ci-dessus qu’il convient de prendre en considération l’intention du demandeur au moment du dépôt de la demande d’enregistrement, soit le 3 juin 2015, et que cette intention est un élément subjectif qui doit être déterminé par référence aux circonstances objectives du cas d’espèce.

79      À cet égard, le requérant ne saurait valablement affirmer que son intention ne peut pas être déterminée avec certitude d’un point de vue extérieur. Certes, il s’agit d’une motivation subjective, mais qui peut être déduite d’un comportement s’écartant des principes reconnus comme étant ceux entourant un comportement éthique. Toute autre interprétation de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 rendrait impossible le constat de l’existence de la mauvaise foi au sens de cette disposition.

80      Par ailleurs, comme le fait valoir le requérant et ainsi qu’il ressort du point 33 ci-dessus, il incombait à l’intervenante d’établir les circonstances permettant de constater que le requérant était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée. Or, en l’espèce, il y a lieu de constater que différents éléments susceptibles d’établir cette mauvaise foi ont bien été produits par l’intervenante.

81      En effet, il résulte de l’analyse globale des six facteurs sur lesquels la chambre de recours s’est fondée que le requérant connaissait le club de l’intervenante et le signe utilisé par cette dernière, au jour du dépôt de ladite marque, et que l’activité dudit club était médiatisée, celui-ci étant par ailleurs fréquenté par de nombreuses célébrités. De plus, il est constant que le signe constituant la marque contestée et celui utilisé par l’intervenante étaient presque identiques. En outre, le contenu des différentes offres de vente a permis de préciser l’intention du demandeur au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée et d’identifier des éléments de pression indue, notamment en raison du caractère non sollicité et répété de ces offres, des prix élevés demandés, de l’augmentation inexpliquée du prix de vente lors de l’arrivée d’un nouvel investisseur dans les activités de l’intervenante, de la mention de brefs délais de validité des offres et d’articles déjà en vente rencontrant du succès, précisément à Ibiza, où est établie cette dernière. Enfin, la preuve d’une activité commerciale répondant à une logique commerciale honnête n’a pas été rapportée.

82      Compte tenu de ce qui précède, l’emploi d’une même stylisation pour les signes en cause ne saurait être attribuée au hasard, le requérant ayant d’ailleurs admis que le signe constituant la marque contestée était inspiré du signe utilisé par l’intervenante dans le cadre de ses activités. Dès lors, il existe des indices pertinents et concordants permettant de conclure que l’intention du demandeur de l’enregistrement de la marque contestée au moment du dépôt de celle-ci était de créer une association dans l’esprit du public entre les produits et services visés par cette marque et le club connu appartenant à l’intervenante pour ensuite monnayer ladite marque auprès de cette dernière [voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 avril 2021, France Agro/EUIPO – Chafay (Choumicha Saveurs), T‑311/20, non publié, EU:T:2021:219, point 33].

83      Par conséquent, la chambre de recours pouvait déduire des circonstances particulières du cas d’espèce que, par la demande d’enregistrement de la marque contestée, la logique commerciale du demandeur d’enregistrement était en réalité d’exploiter de manière parasitaire la renommée du club de l’intervenante et de tirer avantage de celle-ci (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 14 mai 2019, NEYMAR, T‑795/17, non publié, EU:T:2019:329, point 51), en particulier en vendant la marque contestée à l’intervenante pour un montant important.

84      Partant, c’est sans commettre d’erreur que la chambre de recours a considéré que la mauvaise foi au sens de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 avait été établie.

85      Dès lors, il convient de rejeter le recours dans son ensemble, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur la recevabilité des demandes contenues dans les deuxième et troisième chefs de conclusions du requérant.

 Sur les dépens

86      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

87      Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO et de l’intervenante.

88      En outre, l’intervenante a conclu à la condamnation du requérant aux dépens qu’elle a exposés dans le cadre de la procédure devant l’EUIPO. À cet égard, il suffit de constater que, dès lors que le présent arrêt rejette le recours dirigé contre la décision attaquée, c’est le point 2 du dispositif de cette dernière qui continue à régler les dépens exposés dans la procédure d’annulation et dans la procédure de recours devant l’EUIPO [voir, en ce sens, arrêt du 19 octobre 2017, Aldi/EUIPO – Sky (SKYLITe), T‑736/15, non publié, EU:T:2017:729, point 131].

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Dino Baumberger est condamné aux dépens.

Spielmann

Mastroianni

Gâlea

 

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 19 octobre 2022.      

 

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.