Language of document : ECLI:EU:T:2021:767

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

10 novembre 2021 (*) (1)

 « Dessin ou modèle communautaire – Procédure de nullité – Dessin ou modèle communautaire enregistré représentant une étiquette – Dessin ou modèle antérieur – Preuve de la divulgation – Article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) no 6/2002 – Preuves présentées après l’expiration du délai imparti – Pouvoir d’appréciation de la chambre de recours – Article 63, paragraphe 2, du règlement no 6/2002 – Motif de nullité – Absence de caractère individuel – Article 6 et article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002 »

Dans l’affaire T‑443/20,

Sanford LP, établie à Atlanta, Géorgie (États-Unis), représentée par Me J. Zecher, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par MM. J. Ivanauskas et V. Ruzek, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Avery Zweckform GmbH, établie à Oberlaindern/Valley (Allemagne), représentée par Me H. Förster, avocat,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la troisième chambre de recours de l’EUIPO du 15 mai 2020 (affaire R 2413/2018-3), relative à une procédure de nullité entre Avery Zweckform et Sanford,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. D. Spielmann (rapporteur), président, U. Öberg et R. Mastroianni, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 13 juillet 2020,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 29 octobre 2020,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 19 octobre 2020,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 20 février 2004, la requérante, Sanford LP, a présenté une demande d’enregistrement à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires (JO 2002, L 3, p. 1), du dessin ou modèle communautaire représenté comme suit :

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2        Le produit dans lequel le dessin ou modèle contesté est destiné à être incorporé relève de la classe 19-08 au sens de l’arrangement de Locarno du 8 octobre 1968 instituant une classification internationale pour les dessins et modèles industriels, tel que modifié, et correspond à la description suivante : « Étiquettes ».

3        Le dessin ou modèle contesté a été enregistré sous le numéro 141999-0002 et publié au Bulletin des dessins ou modèles communautaires no 47/2004, du 15 juin 2004.

4        Le 24 février 2016, l’intervenante, Avery Zweckform GmbH, a introduit, en vertu de l’article 52 du règlement no 6/2002, une demande en nullité du dessin ou modèle contesté.

5        La demande en nullité était fondée sur l’article 25, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement no 6/2002. L’intervenante a fait valoir que le dessin ou modèle contesté ne correspondait pas à la définition d’un dessin ou modèle au sens de l’article 3, sous a), dudit règlement, était dépourvu de nouveauté et de caractère individuel, au sens des articles 5 et 6 du même règlement, et avait l’apparence d’un rouleau d’étiquette dont les caractéristiques étaient uniquement imposées par sa fonction technique, au sens de l’article 8, paragraphe 1, de ce règlement.

6        Le 25 octobre 2018, la division d’annulation a rejeté la demande en nullité. Elle a considéré que la représentation du dessin ou modèle contesté correspondait à la définition prévue à l’article 3, sous a), du règlement no 6/2002, que la demanderesse en nullité n’avait pas établi que toutes les caractéristiques de l’apparence du dessin ou modèle contesté étaient uniquement imposées par sa fonction technique et que les preuves produites pour démontrer la divulgation d’un dessin ou modèle antérieur n’étaient pas suffisantes.

7        Le 11 décembre 2018, l’intervenante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 55 à 60 du règlement no 6/2002, contre la décision de la division d’annulation.

8        Par décision du 15 mai 2020 (ci-après la « décision attaquée »), la troisième chambre de recours de l’EUIPO a accueilli le recours et a annulé la décision de la division d’annulation. Elle a considéré, notamment, que seule une partie des caractéristiques du dessin ou modèle contesté était imposée par la fonction technique d’un rouleau d’étiquettes pour imprimante au sens de l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 et que, dans cette mesure, c’était à juste titre que la division d’annulation avait rejeté la demande en nullité. Elle a cependant considéré que certains éléments de preuve supplémentaires produits devant elle devaient être pris en compte, que la divulgation au sens de l’article 7 du règlement no 6/2002 du dessin ou modèle antérieur R5015 avant la date pertinente avait été prouvée et que, compte tenu de la liberté du créateur d’un degré moyen en l’espèce et de la définition de l’utilisateur averti, le dessin ou modèle antérieur R5015 et le dessin ou modèle contesté produisaient la même impression globale sur l’utilisateur averti. En l’absence de caractère individuel du dessin ou modèle contesté au sens de l’article 6 du même règlement, elle a donc déclaré nul ce dernier.

  Conclusions des parties

9        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        rejeter la demande en nullité du dessin ou modèle contesté ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens, en ce compris les dépens de la procédure devant la chambre de recours.

10      L’EUIPO et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

  En droit

11      La requérante invoque, en substance, trois moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 63, paragraphe 2, du règlement no 6/2002, en ce que certains éléments de preuve ont été produits tardivement devant la chambre de recours, le deuxième, de la violation de l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement, en ce que le dessin ou modèle antérieur a été considéré à tort comme ayant fait l’objet d’une divulgation, et, le troisième, de la violation de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, lu conjointement avec l’article 6 dudit règlement, en ce que les dessins ou modèles en conflit ont été considérés à tort comme produisant la même impression globale sur l’utilisateur averti et que le dessin ou modèle contesté a donc été considéré à tort comme dépourvu de caractère individuel.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 63, paragraphe 2, du règlement no 6/2002,en ce que certainséléments de preuve ont été produits tardivement devant la chambre de recours

12      La requérante soutient que la chambre de recours a violé l’article 63, paragraphe 2, du règlement no 6/2002 en ayant déclaré recevables certains éléments de preuve relatifs au rouleau d’étiquettes R5015 produits par l’intervenante pour la première fois au stade du recours contre la décision de la division d’annulation.

13      L’EUIPO et l’intervenante contestent cette argumentation.

14      Aux termes de l’article 63, paragraphe 2, du règlement no 6/2002, l’EUIPO peut ne pas tenir compte des faits que les parties n’ont pas invoqués ou des preuves qu’elles n’ont pas produites en temps utile.

15      Il découle du libellé de cette disposition que, en règle générale et sauf disposition contraire, la présentation de faits et de preuves par les parties demeure possible après l’expiration des délais auxquels se trouve subordonnée une telle présentation, en application des dispositions du règlement no 6/2002, et qu’il n’est nullement interdit à l’EUIPO de tenir compte de faits et de preuves ainsi tardivement invoqués ou produits [arrêt du 14 mars 2018, Crocs/EUIPO – Gifi Diffusion (Chaussures), T‑651/16, non publié, EU:T:2018:137, point 31].

16      En précisant que l’EUIPO « peut », en pareil cas, décider de ne pas tenir compte de preuves tardivement produites, l’article 63, paragraphe 2, du règlement no 6/2002 l’investit en effet d’un large pouvoir d’appréciation à l’effet de décider, tout en motivant sa décision sur ce point, s’il y a lieu ou non de prendre celles-ci en compte (arrêt du 14 mars 2018, Chaussures, T‑651/16, non publié, EU:T:2018:137, point 32).

17      S’agissant de l’exercice du pouvoir d’appréciation de l’EUIPO aux fins de la prise en compte éventuelle de preuves produites tardivement, une telle prise en compte par l’EUIPO, lorsqu’il est appelé à statuer dans le cadre d’une procédure de nullité, est, en particulier, susceptible de se justifier lorsque celui-ci considère que, d’une part, les éléments tardivement produits sont de prime abord susceptibles de revêtir une réelle pertinence en ce qui concerne le sort de la demande en nullité formée devant lui et, d’autre part, le stade de la procédure auquel intervient cette production tardive et les circonstances qui l’entourent ne s’opposent pas à cette prise en compte. De telles considérations sont en particulier susceptibles de justifier la prise en compte par l’EUIPO d’éléments de preuve qui, bien que n’ayant pas été produits dans le délai imparti par celui-ci, le sont à un stade ultérieur de la procédure, en complément à des éléments de preuve ayant été produits dans ledit délai (arrêt du 14 mars 2018, Chaussures, T‑651/16, non publié, EU:T:2018:137, point 34).

18      En l’espèce, il ressort des éléments du dossier, et notamment du point 14 de la décision attaquée, que l’intervenante a produit pour la première fois devant la chambre de recours les annexes 32 à 34, et ce afin de démontrer l’existence de la divulgation du dessin ou modèle antérieur. En particulier, l’annexe 32 contient une déclaration sous serment du 18 février 2019 de A, directeur d’une société active dans le domaine de l’impression d’étiquettes, indiquant que cette société produisait des rouleaux d’étiquettes R5015 pour l’intervenante depuis 2003, déclaration accompagnée de factures et des représentations desdits rouleaux. Les annexes 33 et 34 contiennent deux déclarations sous serment, datées, respectivement, la première, du 11 février 2019 et émanant de B, membre du bureau de direction d’une société produisant des matrices souples (« flexible dies ») pour l’intervenante de 1999 à 2003, et, la seconde, du 19 février 2019 et émanant de C, ingénieur mécanicien pour l’intervenante, contenant notamment des représentations des rouleaux d’étiquettes 8853 utilisés par l’intervenante et confirmant les déclarations de A. 

19      La chambre de recours a estimé nécessaire de tenir compte des preuves supplémentaires produites par l’intervenante devant elle. Elle a considéré qu’elles étaient pertinentes et venaient à l’appui de celles produites devant la division d’annulation. En particulier, elle a souligné que l’annexe 32 avait été présentée à l’appui de la divulgation de l’étiquette R5015 figurant à l’annexe 8 présentée dans le cadre de la demande en nullité. Elle a également indiqué que ces preuves avaient été notifiées à la requérante, qui avait émis des observations à leur sujet, qu’il n’existait pas de délai pour introduire une demande en nullité et que leur prise en considération pourrait contribuer à garantir qu’un dessin ou modèle communautaire enregistré, dont la validité pourrait par la suite être contestée avec succès au moyen d’une autre procédure de nullité, ne reste pas inscrit au registre. Elle a enfin ajouté que ces preuves avaient été produites afin de contester la décision de la division d’annulation selon laquelle les preuves de la divulgation étaient insuffisantes. Elle les a donc déclarées recevables.

20      Il convient de relever que, ainsi que la requérante l’admet elle-même, l’intervenante avait produit au soutien de sa demande en nullité des documents, et notamment une déclaration sous serment de C, devant la division d’annulation. Toutefois, la division d’annulation avait estimé que les représentations et documents fournis n’étayaient pas les affirmations de C. La division d’annulation avait également considéré que les preuves produites avec la demande en nullité étaient insuffisantes pour établir une divulgation, au motif d’une absence d’identification claire des dessins ou modèles antérieurs invoqués et d’une absence de preuve concernant les sources et les dates pertinentes de divulgation. Elle a donc conclu que la divulgation du dessin ou modèle antérieur ne pouvait pas être établie.

21      Par conséquent, les annexes et les représentations produites devant la chambre de recours s’ajoutent à celles déjà produites devant la division d’annulation. De plus, ces annexes, postérieures à la décision de la division d’annulation, et n’ayant donc pas pu être produites précédemment, ont en particulier permis à l’intervenante de répondre aux constatations de la division d’annulation rappelées au point 20 ci-dessus. En outre, même si, comme la requérante le souligne, certaines représentations des rouleaux d’étiquettes produites dans les annexes 32 et 34 sont différentes du dessin ou modèle contesté, il n’en reste pas moins qu’elles appartenaient à la même série d’étiquettes que le dessin ou modèle contesté (à savoir R5012-R5020). Dès lors, ces annexes se révélaient pertinentes pour la solution du litige et pouvaient valablement compléter les preuves déjà produites.

22      Par ailleurs, ces annexes ont été présentées dans le cadre du mémoire du 25 février 2019 exposant les motifs du recours. Dès lors, la chambre de recours a été en mesure d’exercer, de façon objective et motivée, son pouvoir d’appréciation quant à la prise en compte desdites vues [voir, en ce sens, arrêt du 5 juillet 2017, Gamet/EUIPO – « Metal-Bud II » Robert Gubała (Poignée de porte), T‑306/16, non publié, EU:T:2017:466, point 22].

23      Enfin, c’est à tort que la requérante soutient que la recevabilité de ces annexes a enfreint son droit d’être entendue, dès lors qu’elle a pu présenter ses observations à cet égard dans ses écritures devant la chambre de recours des 2 mai et 6 septembre 2019, ainsi qu’elle-même le reconnaît.

24      Il en résulte que, en acceptant de façon motivée de prendre en compte les annexes supplémentaires produites devant elle, la chambre de recours a fait un usage approprié du pouvoir d’appréciation que lui conférait l’article 63, paragraphe 2, du règlement no 6/2002 et le premier moyen doit donc être rejeté.

 Sur le deuxième moyen, tiré dede la violation del’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, en ce que le dessin ou modèle antérieur a été considéré à tort comme ayant fait l’objet d’une divulgation

25      Dans le cadre de son deuxième moyen, la requérante indique que le dessin ou modèle du rouleau d’étiquettes R5015 a été considéré à tort comme relevant de l’état antérieur de la technique et invoque la violation de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, au motif en substance d’une absence de divulgation du rouleau d’étiquettes R5015 avant la date pertinente.

26      Elle allègue une erreur de traduction concernant l’annexe 32 et soutient que, contrairement à ce que la chambre de recours a considéré, ladite annexe démontrait une production de rouleaux d’étiquettes R5015 uniquement pour l’intervenante. De plus, elle fait valoir que les factures jointes à l’annexe 32 démontraient non pas la production d’étiquettes R5015, mais la fabrication d’un outil d’étiquetage conçu pour les produire. Elle ajoute que les commandes ne prouvent pas la divulgation de l’étiquette, mais uniquement l’existence de procédés de fabrication confidentiels pour la produire et de préparatifs confidentiels pour la divulguer, sans aucune référence à une vente avant la date pertinente. La relation entre l’intervenante et A ne saurait ainsi être qualifiée d’usage de l’étiquette R5015 dans le commerce.

27      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante. 

28      Selon l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, aux fins de l’application des articles 5 et 6 dudit règlement, un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué au public s’il a été publié à la suite de l’enregistrement ou autrement, ou exposé, utilisé dans le commerce ou rendu public de toute autre manière, avant la date du dépôt de la demande d’enregistrement, sauf si ces faits, dans la pratique normale des affaires, ne pouvaient raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’Union. Toutefois, le dessin ou modèle n’est pas réputé avoir été divulgué au public s’il a seulement été divulgué à un tiers sous des conditions explicites ou implicites de secret.

29      Selon la jurisprudence, un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué une fois que la partie qui fait valoir la divulgation a prouvé les faits constitutifs de cette divulgation. Pour réfuter cette présomption, il incombe, en revanche, à la partie qui conteste la divulgation de démontrer à suffisance de droit que les circonstances de l’espèce pouvaient raisonnablement faire obstacle à ce que ces faits soient connus des milieux spécialisés du secteur concerné dans la pratique normale des affaires [arrêt du 21 mai 2015, Senz Technologies/OHMI – Impliva (Parapluies), T‑22/13 et T‑23/13, EU:T:2015:310, point 26].

30      Dès lors, aux fins d’établir la divulgation d’un dessin ou modèle antérieur, il convient de procéder à une analyse en deux étapes, consistant à examiner, en premier lieu, si les éléments présentés dans la demande en nullité démontrent, d’une part, des faits constitutifs d’une divulgation d’un dessin ou modèle et, d’autre part, le caractère antérieur de cette divulgation par rapport à la date de dépôt ou de priorité du dessin ou modèle contesté et, en second lieu, dans l’hypothèse où le titulaire du dessin ou modèle contesté aurait allégué le contraire, si lesdits faits pouvaient, dans la pratique normale des affaires, raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’Union, faute de quoi une divulgation sera considérée comme sans effets et ne sera pas prise en compte [arrêt du 13 juin 2019, Visi/one/EUIPO – EasyFix (Porte-affichette pour véhicules), T‑74/18, EU:T:2019:417, point 24].

31      Ni le règlement no 6/2002 ni le règlement (CE) no 2245/2002 de la Commission, du 21 octobre 2002, portant modalités d’application du règlement no 6/2002 (JO 2002, L 341, p. 28), ne spécifient la forme obligatoire des éléments de preuve qui doivent être apportés par le demandeur en nullité pour justifier de la divulgation du dessin ou modèle antérieur avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement du dessin ou modèle contesté. Il s’ensuit que le demandeur en nullité est libre du choix de la preuve qu’il juge utile de présenter à l’EUIPO pour appuyer sa demande en nullité [arrêts du 17 mai 2018, Basil/EUIPO – Artex (Paniers spéciaux pour cycles), T‑760/16, EU:T:2018:277, point 41, et du 12 mars 2020, Gamma-A/EUIPO – Zivju pārstrādes uzņēmumu serviss (Emballage pour aliments), T‑353/19, non publié, EU:T:2020:95, point 21]. En outre, l’EUIPO est tenu d’analyser tous les éléments présentés pour conclure s’ils sont effectivement une preuve de la divulgation du dessin ou modèle antérieur (arrêt du 13 juin 2019, Porte-affichette pour véhicules, T‑74/18, EU:T:2019:417, point 21).

32      La divulgation d’un dessin ou modèle antérieur ne peut toutefois pas être démontrée par des probabilités ou des présomptions, mais doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui prouvent une divulgation effective du dessin ou modèle antérieur sur le marché. En outre, les éléments de preuve fournis par le demandeur en nullité doivent être appréciés les uns par rapport aux autres. En effet, si certains de ces éléments peuvent être insuffisants à eux seuls pour démontrer la divulgation d’un dessin ou modèle antérieur, il n’en demeure pas moins que, lorsqu’ils sont associés ou lus conjointement avec d’autres documents ou informations, ils peuvent contribuer à former la preuve de la divulgation. Enfin, pour apprécier la valeur probante d’un document, il convient de vérifier la vraisemblance et la véracité de l’information qui y est contenue. Il faut tenir compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration et de son destinataire, ainsi que se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable (voir arrêt du 17 mai 2018, Paniers spéciaux pour cycles, T‑760/16, EU:T:2018:277, point 42 et jurisprudence citée).

33      À titre liminaire, il y a lieu de relever que, dans les circonstances de l’espèce, la date à prendre en considération pour apprécier l’antériorité de la divulgation est celle du dépôt de la demande d’enregistrement du dessin ou modèle contesté, à savoir le 20 février 2004.

34      En l’espèce, la chambre de recours a accueilli la demande en nullité de l’intervenante en se fondant sur le fait que, si c’était à juste titre que la division d’annulation avait estimé que les preuves produites devant elle n’étaient pas suffisantes, les éléments de preuve supplémentaires produits devant elle, notamment les annexes 32 à 34, avaient démontré l’existence d’une divulgation au public du dessin ou modèle antérieur R5015, au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002.

35      À cet égard, il ressort des éléments du dossier que, devant la division d’annulation, l’intervenante avait produit notamment des éléments relatifs à des machines de découpe de feuilles contenant l’image d’un repère d’impression (annexe 6), une déclaration sous serment de C (annexe 8), affirmant que l’intervenante utilisait des repères d’impression rectangulaires et carrés dès 2003 et 2004, accompagnée d’une brochure montrant des rouleaux d’étiquettes et des machines d’étiquetage, et un brevet européen pour un appareil d’impression sur bande.

36      Devant la chambre de recours, l’intervenante a produit, à titre de preuves supplémentaires de la divulgation, l’annexe 32, qui contient une déclaration sous serment du 18 février 2019 de A, directeur d’une société active dans le domaine de l’impression d’étiquettes, accompagnée d’une traduction en anglais et de plusieurs factures, confirmations de commandes et photographies. L’annexe 33 contient une déclaration sous serment du 11 février 2019 de B, membre du bureau de direction d’une société produisant des matrices souples (‘flexible dies’) pour l’intervenante aux fins de la production de l’étiquette 8853 de 1999 à 2003. L’annexe 34 contient une déclaration sous serment du 19 février 2019 de C, ingénieur mécanicien pour l’intervenante, contenant notamment des représentations des rouleaux d’étiquettes 8853 utilisés par l’intervenante et confirmant les déclarations de A. 

37      Il n’y a pas lieu d’examiner plus avant les annexes 33 et 34, dès lors que l’annexe 33 a trait à un modèle d’étiquettes 8853 non pris en compte par la décision attaquée et que l’annexe 34, qui émane d’un membre du personnel de l’intervenante, confirme le contenu de l’annexe 32, seule prise en compte par la décision attaquée.

38      Il ressort de la déclaration sous serment de A, telle que produite en langue de procédure, à savoir l’allemand, et de sa traduction en anglais figurant à l’annexe 32, que la société de A produisait depuis 2003 pour l’intervenante, entre autres, des rouleaux d’étiquettes R5015.

39      Selon la requérante, c’est à tort que la chambre de recours a compris l’expression « entre autres » utilisée par A dans sa déclaration sous serment comme s’appliquant à l’intervenante, alors qu’elle s’appliquait aux produits, ce qui ressortirait clairement de la version allemande de ladite déclaration. La requérante en déduit que l’annexe 32 ne démontrait une divulgation qu’à l’égard de l’intervenante.

40      Il convient de relever à cet égard que ce à quoi s’applique l’expression « entre autres » peut paraître ambigu dans les deux versions, anglaise et allemande, de la déclaration sous serment.

41      Toutefois, comme l’indique l’EUIPO, même si l’on considère que cette déclaration sous serment atteste uniquement que le dessin ou modèle antérieur R5015 a été divulgué à la société dont A est directeur, il convient de considérer sa valeur probante à la lumière de l’ensemble des pièces produites, conformément à la jurisprudence évoquée au point 32 ci-dessus.

42      À cet égard, la déclaration sous serment est accompagnée notamment de deux factures no 232506 et 232449 des 3 et 4 décembre 2003, portant sur des outils pour étiquettes, et notamment le dessin ou modèle R5015 pour deux montants de 1 860 euros, émanant de la société de A et adressées à l’intervenante.

43      De même, il ressort de l’annexe 2, jointe à l’annexe 32, qu’une commande du 24 novembre 2003 portant notamment sur cinquante « R5015 Thermal label rolls » a été passée par l’intervenante à la société de A et que la livraison est datée du 1er décembre 2003. Le fait que ce document ne soit ni signé ni revêtu d’un cachet démontrant que la livraison a été effectivement reçue n’est pas susceptible de remettre en cause ou d’affaiblir son caractère authentique. Sa valeur probante concernant la divulgation est en effet caractérisée par le fait qu’il contient un certain nombre d’indications, parmi lesquelles les coordonnées des deux parties contractantes, une date, un numéro de commande, la désignation précise des produits concernés, dont celui auquel le dessin et modèle antérieur a été appliqué, et leurs spécifications.

44      Au surplus, le fait qu’il est précisé en page 3 de ce bon de commande que la quantité est fictive et le montant fixé à titre de test n’empêche pas de considérer cette commande comme une divulgation. En effet, la divulgation ne requiert nullement que le dessin ou modèle antérieur ait fait l’objet d’une utilisation en vue de la production ou de la commercialisation d’un produit (voir, en ce sens, arrêt du 21 mai 2015, Parapluies, T‑22/13 et T‑23/13, EU:T:2015:310, point 36). Le fait, souligné par la requérante, qu’il n’y ait pas eu de vente des étiquettes, mais simplement l’assistance de la société de A à la préparation par l’intervenante de ses propres étiquettes, dessins ou modèles antérieurs, n’est pas de nature à empêcher le constat d’une divulgation au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002.

45      De plus, même si les factures portent sur des outils d’étiquetage, comme le soutient la requérante et comme cela ressort du libellé desdites factures, elles font explicitement référence au dessin ou modèle R5015, ce qui, comme l’indique l’EUIPO, permet de les considérer comme pertinentes au regard du critère de la divulgation dudit dessin ou modèle et comme venant corroborer l’affirmation contenue dans la déclaration sous serment selon laquelle ladite divulgation est intervenue avant la date pertinente.

46      Dès lors, compte tenu de la production de la déclaration sous serment, telle que corroborée par les deux factures no 232506 et 232449 des 3 et 4 décembre 2003 ainsi que par la commande du 24 novembre 2003, c’est à juste titre que la chambre de recours a estimé que la divulgation du dessin ou modèle antérieur R5015 avant la date pertinente avait été prouvée.

47      L’argument de la requérante, qui soutient que la relation entre la société de A et l’intervenante ne peut être qualifiée d’usage de l’étiquette R5015 dans le commerce, au motif qu’il s’agirait de « préparatifs confidentiels », doit être écarté. En effet, force est de constater que le caractère confidentiel ou secret des relations entre la société de A et l’intervenante, qui empêcherait de constater l’usage de l’étiquette R5015, n’est aucunement étayé.

48      En outre, pour autant que, par son argument fondé sur le fait que la société de A n’agirait que pour l’intervenante, la requérante entendrait faire valoir l’absence de connaissance de la divulgation du dessin ou modèle antérieur par les milieux spécialisés du secteur concerné, il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 29 et 30 ci-dessus, dès lors que la divulgation a été démontrée, elle est présumée exister. C’est donc à la partie qui la conteste qu’il incombe de rapporter la preuve que les circonstances de l’espèce pouvaient raisonnablement faire obstacle à ce que les faits constitutifs de la divulgation en cause soient connus des milieux spécialisés du secteur concerné dans la pratique normale des affaires [voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2020, Bog-Fran/EUIPO – Fabryki Mebli « Forte » (Meubles), T‑159/19, non publié, EU:T:2020:77, points 39 et 41].

49      De plus, la question de savoir si divulgation d’un dessin ou modèle à une seule entreprise du secteur concerné, sur le territoire de l’Union, est ou non suffisante pour considérer que les milieux spécialisés dudit secteur, dans la pratique normale des affaires, pouvaient raisonnablement en avoir connaissance, est une appréciation qui dépend des circonstances (voir, en ce sens, arrêt du 13 février 2014, H. Gautzsch Großhandel, C‑479/12, EU:C:2014:75, points 35 et 36).

50      Or, en l’espèce, force est de constater que la requérante ne rapporte aucunement la preuve que la divulgation en cause ne pouvait pas être connue des milieux spécialisés du secteur concerné.

51      Il s’ensuit que, au vu de la démonstration par l’intervenante de la matérialité des faits constitutifs d’une divulgation du dessin ou modèle antérieur, c’est à juste titre que la chambre de recours a considéré que le dessin ou modèle antérieur avait fait l’objet d’une divulgation antérieure à la date de dépôt du dessin ou modèle contesté, au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002.

52      Le deuxième moyen doit donc être rejeté.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, lu conjointement avec l’article 6dudit règlement,en ce que les dessins ou modèles en conflit ont été considérés à tort comme produisant la même impression globale sur l’utilisateur averti et que le dessin ou modèle contesté a donc été considéré à tort comme dépourvu de caractère individuel

53      Par son troisième moyen, la requérante soutient que la chambre de recours a commis une erreur d’appréciation en décidant que le dessin ou modèle contesté était dépourvu de caractère individuel, en violation de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, lu conjointement avec l’article 6 de ce règlement, au motif notamment que les différences entre les dessins ou modèles en conflit auraient été ignorées à tort.

54      L’EUIPO et l’intervenante contestent cette argumentation.

55      Selon l’article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, un dessin ou modèle communautaire enregistré est considéré comme présentant un caractère individuel si l’impression globale qu’il produit sur l’utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou, si une priorité est revendiquée, avant la date de priorité.

56      L’article 6, paragraphe 2, du règlement no 6/2002 précise en outre que, pour apprécier ce caractère individuel, il doit être tenu compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle.

57      Il ressort, par ailleurs, du considérant 14 du règlement no 6/2002 que, lors de l’appréciation du caractère individuel d’un dessin ou modèle, il convient de tenir compte de la nature du produit auquel le dessin ou modèle s’applique ou dans lequel celui-ci est incorporé et, notamment, du secteur industriel dont il relève et du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle.

58      L’appréciation du caractère individuel d’un dessin ou modèle communautaire procède donc, en substance, d’un examen en quatre étapes. Cet examen consiste à déterminer, premièrement, le secteur des produits auxquels le dessin ou modèle est destiné à être incorporé ou auxquels il est destiné à être appliqué ; deuxièmement, l’utilisateur averti desdits produits selon leur finalité et, en référence à cet utilisateur averti, le degré de connaissance de l’art antérieur ainsi que le niveau d’attention aux similitudes et aux différences dans la comparaison des dessins ou modèles ; troisièmement, le degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle, dont l’influence sur le caractère individuel est en proportion inverse, et, quatrièmement, en tenant compte de celui-ci, le résultat de la comparaison, directe si possible, des impressions globales produites sur l’utilisateur averti par le dessin ou modèle contesté et par tout dessin ou modèle antérieur divulgué au public, pris individuellement (voir arrêt du 13 juin 2019, Porte-affichette pour véhicules, T‑74/18, EU:T:2019:417, point 66 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 20 octobre 2011, PepsiCo/Grupo Promer Mon Graphic, C‑281/10 P, EU:C:2011:679, points 53, 55 et 59).

59      C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner si la chambre de recours a correctement conclu que le dessin ou modèle contesté était dépourvu de caractère individuel par rapport au dessin ou modèle antérieur, dans la mesure où il produisait la même impression globale que celui-ci sur l’utilisateur averti.

60      À titre liminaire, il y a lieu de relever que, ainsi que la décision attaquée l’a indiqué, les dessins ou modèles en conflit sont destinés à être incorporés à des rouleaux d’étiquettes pour imprimantes, ce qui n’est pas contesté par les parties. Il convient donc d’examiner, tour à tour, l’utilisateur averti, le degré de liberté du créateur et de comparer les impressions globales produites par les dessins ou modèles en conflit.

 Sur l’utilisateur averti

61      La notion d’utilisateur averti n’est pas définie par le règlement no 6/2002. Selon la jurisprudence, elle doit être comprise comme une notion intermédiaire entre celle de consommateur moyen, applicable en matière de marques, auquel il n’est demandé aucune connaissance spécifique et qui en général n’effectue pas de rapprochement direct entre les marques en conflit, et celle d’homme de l’art, expert doté de compétences techniques approfondies. Ainsi, la notion d’utilisateur averti peut s’entendre comme désignant un utilisateur doté non d’une attention moyenne, mais d’une vigilance particulière, que ce soit en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré (arrêt du 20 octobre 2011, PepsiCo/Grupo Promer Mon Graphic, C‑281/10 P, EU:C:2011:679, point 53).

62      S’agissant plus précisément du niveau d’attention de l’utilisateur averti, si celui-ci n’est pas le consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé qui perçoit habituellement un dessin ou un modèle comme un tout et ne se livre pas à un examen de ses différents détails, il n’est pas non plus l’expert ou l’homme de l’art capable d’observer dans le détail les différences minimes susceptibles d’exister entre les modèles ou dessins en conflit. Ainsi, le qualificatif « averti » suggère que, sans être un concepteur ou un expert technique, l’utilisateur connaît différents dessins ou modèles existant dans le secteur concerné, dispose d’un certain degré de connaissance quant aux éléments que ces dessins ou modèles comportent normalement et, du fait de son intérêt pour les produits concernés, fait preuve d’un degré d’attention relativement élevé lorsqu’il les utilise (voir arrêt du 20 octobre 2011, PepsiCo/Grupo Promer Mon Graphic, C‑281/10 P, EU:C:2011:679, point 59 et jurisprudence citée).

63      En l’espèce, comme la chambre de recours l’a constaté, l’utilisateur averti, sans être un créateur, ni un expert technique, connaît les différents dessins ou modèles de rouleaux d’imprimantes grâce à la gamme de produits disponible sur le marché, dispose d’un certain niveau de connaissance quant aux éléments que ces rouleaux d’étiquettes comportent normalement et, du fait de son intérêt, fait preuve d’un niveau d’attention relativement élevé lorsqu’il les utilise, ce qui n’est pas contesté par les parties.

 Sur le degré de liberté du créateur

64      Il ressort de la jurisprudence que le degré de liberté du créateur est défini à partir, notamment, des contraintes liées aux caractéristiques imposées par la fonction technique du produit ou d’un élément du produit, ou encore des prescriptions légales applicables au produit. Ces contraintes conduisent à une normalisation de certaines caractéristiques, devenant alors communes à plusieurs dessins ou modèles appliqués au produit concerné [voir arrêt du 21 mai 2015, Parapluies, T‑22/13 et T‑23/13, EU:T:2015:310, point 56 (non publié) et jurisprudence citée].

65      Partant, plus la liberté du créateur dans l’élaboration d’un dessin ou modèle est grande, moins des différences mineures entre les dessins ou modèles en conflit suffisent à produire des impressions globales différentes sur l’utilisateur averti. À l’inverse, plus la liberté du créateur dans l’élaboration d’un dessin ou modèle est restreinte, plus les différences mineures entre les dessins ou modèles en conflit suffisent à produire des impressions globales différentes sur l’utilisateur averti [arrêt du 21 mai 2015, Parapluies, T‑22/13 et T‑23/13, EU:T:2015:310, point 57 (non publié)].

66      En l’espèce, la chambre de recours a indiqué, en substance, que les dessins ou modèles en conflit étaient destinés à être incorporés à des rouleaux d’étiquettes pour imprimantes et que le degré de liberté en ce qui concerne les repères d’impression et les trous ovales était limité par les exigences techniques, à savoir la synchronisation et la régulation du processus d’impression. Néanmoins, la chambre de recours a constaté qu’une liberté considérable existait concernant la couleur de la bande, la forme, la taille et la couleur des étiquettes ainsi que la forme globale du rouleau.

67      Le degré de liberté du créateur du dessin ou modèle contesté a donc été considéré comme moyen, ce qui n’est pas contesté par les parties.

 Sur l’impression globale

68      Il convient de rappeler que le caractère individuel d’un dessin ou modèle résulte d’une impression globale de différence, ou d’absence de « déjà vu », du point de vue de l’utilisateur averti, par rapport à toute antériorité au sein du patrimoine des dessins ou modèles, sans tenir compte de différences demeurant insuffisamment marquées pour affecter ladite impression globale, bien qu’excédant des détails insignifiants, mais en ayant égard à des différences suffisamment marquées pour créer des impressions d’ensemble dissemblables [voir arrêt du 16 février 2017, Antrax It/EUIPO – Vasco Group (Thermosiphons pour radiateurs), T‑828/14 et T‑829/14, EU:T:2017:87, point 53 et jurisprudence citée].

69      La comparaison des impressions globales produites par les dessins ou modèles en conflit doit être synthétique et ne peut se borner à la comparaison analytique d’une énumération de similitudes et de différences. Cette comparaison doit prendre pour base les caractéristiques divulguées du dessin ou modèle contesté et doit porter uniquement sur les caractéristiques protégées, sans tenir compte des caractéristiques, notamment techniques, exclues de la protection. Ladite comparaison doit porter sur les dessins ou modèles, en principe, tels qu’enregistrés, sans qu’il puisse être exigé du demandeur en nullité une représentation graphique du dessin ou modèle invoqué, comparable à la représentation figurant dans la demande d’enregistrement du dessin ou modèle contesté (voir arrêt du 13 juin 2019, Porte-affichette pour véhicules, T‑74/18, EU:T:2019:417, point 84 et jurisprudence citée).

70      En l’espèce, ainsi que la chambre de recours l’a constaté, les caractéristiques des dessins ou modèles en conflit coïncident par les caractéristiques du rouleau de support, de la bande jaunâtre, des étiquettes rectangulaires blanches unies et des trous ovales entre chaque étiquette. Quant aux différences, elles se limitent à la taille de l’étiquette, plus longue et plus étroite dans le dessin ou modèle contesté que dans le dessin ou modèle antérieur R5015, la différence correspondante portant sur la hauteur du rouleau et le nombre, la position et la taille des repères d’impression noirs.

71      Si ces différences ne peuvent pas être jugées insignifiantes, comme l’a indiqué la chambre de recours, c’est à juste titre qu’elle a estimé qu’elles ne suffisaient toutefois pas à produire une impression globale différente dans l’esprit de l’utilisateur averti.

72      Les arguments que la requérante invoque pour soutenir que le dessin ou modèle contesté ne produit pas sur l’utilisateur averti la même impression globale que celle produite par le dessin ou modèle antérieur ne sauraient remettre en cause cette conclusion.

73      Premièrement, la requérante relève une contradiction dans la décision attaquée au motif que, au point 53 de ladite décision, la chambre de recours aurait supposé que l’utilisateur averti considérerait que les repères d’impression remplissaient un rôle « principalement » technique, alors que, au point 32 de la décision attaquée, elle aurait estimé que ces repères remplissaient un rôle « uniquement » technique.

74      Toutefois, cet argument doit être écarté. En effet, une telle différence dans les termes employés n’a pas d’incidence sur la comparaison des impressions globales produites par les dessins ou modèles en conflit, dès lors que la conséquence de la qualification du rôle uniquement ou principalement technique des repères d’impression est que l’utilisateur averti ne focalisera pas son attention sur lesdits repères et qu’ils ne contribueront donc pas à l’apparence du dessin ou modèle contesté. Cet argument ne saurait donc conduire à l’annulation de la décision attaquée.

75      Au demeurant, comme le souligne l’EUIPO, les deux constats sont effectués dans des cadres juridiques différents. Ainsi, la conclusion relative au caractère uniquement technique des repères d’impression, au point 32 de la décision attaquée, résulte de l’application du critère objectif visé à l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, dans le cadre duquel la chambre de recours a conclu que les caractéristiques de l’apparence des repères d’impression figurant sur les rubans d’étiquettes étaient imposées par leur fonction uniquement technique, alors que la conclusion au point 53 de la décision attaquée porte sur la manière dont l’utilisateur averti percevra ces repères d’impression et, dans ce cadre, la chambre de recours a pu conclure sans se contredire que les repères d’impression remplissaient une finalité principalement technique.

76      Deuxièmement, la requérante précise que les dessins ou modèles en conflit concernent non pas les étiquettes, mais les rouleaux d’étiquettes et elle soutient que c’est à tort que la chambre de recours a ignoré les différences entre les repères d’impression au motif qu’ils étaient placés sur la partie arrière de la bande d’étiquettes.

77      Il y a lieu de relever que les points 49 à 51 de la décision attaquée rappellent les caractéristiques des dessins ou modèles en conflit et énoncent notamment les rouleaux d’étiquettes. En outre, la chambre de recours a notamment considéré que les dessins ou modèles en conflit coïncidaient par les caractéristiques des rouleaux de support et, dans le cadre de son appréciation de l’impression globale, elle ne s’est pas limitée aux étiquettes, mais a bien considéré les rouleaux d’étiquettes dans leur ensemble.

78      En outre, contrairement à ce que la requérante affirme, la chambre de recours a bien pris en compte la partie de dos de la bande d’étiquettes des dessins ou modèles en conflit, qui est d’ailleurs représentée dans les vues nos 3 et 5 du dessin ou modèle contesté et est évoquée au titre des caractéristiques desdits dessins ou modèles. Sans ignorer ces éléments, elle a cependant relativisé leur importance, compte tenu du fait que, pour l’utilisateur averti, ils remplissaient une fonction principalement technique. C’est donc sans commettre d’erreur d’appréciation que la chambre de recours en a déduit qu’ils ne contribuaient pas à « l’apparence » de l’étiquette elle-même, puisque ces repères figuraient au dos de la bande. Au surplus, même si cette conclusion concerne les étiquettes, celles-ci font partie intégrante du dessin ou modèle contesté, enregistré pour des « étiquettes », et un tel constat est donc pertinent dans le cadre de la comparaison des impressions globales produites par les dessins ou modèles en conflit.

79      Troisièmement, la requérante fait valoir que les éléments verbaux et figuratifs ont été ignorés à tort. Elle mentionne à cet égard les marques verbales présentées dans une police spéciale figurant sur le dessin ou modèle contesté (dymo) et sur le dessin ou modèle antérieur R5015 (avery) ainsi que l’élément figuratif en forme de triangle figurant à côté de l’élément verbal « avery » et soutient que ces éléments sont des éléments de décoration.

80      Cependant, force est de constater que les éléments verbaux et figuratifs figurant sur les dessins ou modèles en conflit sont des marques ou des signes distinctifs apposés sur le produit pour indiquer sa provenance. Ces éléments ne revêtent pas une fonction ornementale ou décorative et ne constituent pas des caractéristiques du produit conférant leur apparence aux produits concernés, au sens de l’article 3, sous a) et b), du règlement no 6/2002. Ces éléments verbaux et figuratifs sont donc dénués de pertinence dans le cadre de la comparaison des impressions globales aux fins d’établir le caractère individuel du dessin ou modèle contesté.

81      En outre et en tout état de cause, il y a lieu de rappeler que la comparaison des impressions globales des dessins ou modèles en conflit doit prendre pour base les caractéristiques divulguées du dessin ou modèle contesté et doit porter uniquement sur les caractéristiques protégées, sans tenir compte des caractéristiques, notamment techniques, exclues de la protection (voir arrêt du 13 juin 2019, Porte-affichette pour véhicules, T‑74/18, EU:T:2019:417, point 84 et jurisprudence citée).

82      Dès lors, quand bien même ces éléments verbaux et figuratifs pourraient être considérés comme étant pertinents, il sera clair pour l’utilisateur averti qu’ils servent à indiquer l’origine des produits, si bien que, dans l’impression globale, celui-ci ne leur accordera pas d’importance et que ces éléments seront donc, en l’espèce, insuffisants pour modifier l’impression globale qu’il aura du dessin ou modèle contesté.

83      Quatrièmement, la requérante soutient que des différences dans le nombre de types, dans la forme et dans la disposition des repères d’impression ont été ignorées à tort et que leurs formes et longueurs ont été considérées de façon erronée comme simplement techniques.

84      Il ressort du dossier que, dans le dessin ou modèle contesté, il existe au dos de chaque étiquette deux types de repères d’impression, les uns rectangulaires et noirs au dos de la bande, en séquence équidistante continue, et les autres de forme carrée, plus grands, également en séquence équidistante continue, mais à intervalles plus espacés, à savoir un seul au dos de chaque étiquette. Dans le dessin ou modèle antérieur, il existe au dos de chaque étiquette un grand repère d’impression rectangulaire et noir ainsi que deux repères d’impression rectangulaires de taille moyenne et petite, chacun n’apparaissant qu’une fois, en séquence équidistante.

85      Dès lors, il est exact que certaines différences existent en ce qui concerne les repères d’impression situés au dos de la bande d’étiquettes de chacun des dessins ou modèles en conflit, en particulier en ce qui concerne leur nombre, leur forme et leur longueur, ainsi que leur disposition.

86      Toutefois, il ressort de la décision attaquée que la chambre de recours a dûment pris en compte ces différences relatives aux repères d’impression. Elles ont été évoquées notamment dans le rappel des caractéristiques des dessins ou modèles en conflit et dans l’appréciation effectuée par la chambre de recours, en ce qui concerne leur nombre, leur taille et leur position. Il ressort en outre du point 53 de la décision attaquée que la chambre de recours a estimé que ces différences n’étaient pas insignifiantes, même si elle a ensuite estimé qu’elles étaient insuffisantes pour produire une impression globale différente dans l’esprit de l’utilisateur averti.

87      Dès lors, l’argument de la requérante selon lequel ces différences auraient été ignorées doit être écarté.

88      Cinquièmement, pour autant que la requérante soutient que ces différences ont été erronément considérées comme insuffisantes pour produire une impression globale différente dans l’esprit de l’utilisateur averti, il convient de constater que la chambre de recours a relativisé l’importance desdits repères d’impression sur l’utilisateur averti, compte tenu de leur fonction technique.

89      Selon la requérante, les formes et longueurs desdits repères ne sont pas simplement techniques. Elle fait valoir que la charge de la preuve à cet égard incombait à l’intervenante. Elle ajoute que, le brevet européen étant silencieux concernant la taille et la forme des repères d’impression, ce brevet ne pouvait pas être considéré comme prouvant leur caractère uniquement fonctionnel. La requérante fait également valoir que les éléments de preuve produits, et notamment la déclaration sous serment du créateur dont elle souligne la force probante, démontraient que le choix de la forme et de la longueur des repères d’impression était arbitraire. Elle en conclut que l’utilisateur averti n’ignorera pas les repères d’impression au motif qu’ils ont une fonction également technique.

90      Il y a lieu de rappeler qu’il incombe à la requérante de démontrer devant le Tribunal la preuve de ce qu’elle avance. À cet égard, il ressort du dossier que, devant la chambre de recours, l’intervenante a produit des éléments de preuve démontrant que les repères d’impression, lus par les capteurs d’imprimantes, servaient à synchroniser le début des étiquettes et donc à démarrer le processus d’impression et à le contrôler en identifiant et en régulant la position, la vitesse, la cadence et la quantité de matériau à faire avancer. Ce caractère technique des repères d’impression a été établi sur la base notamment d’un avis d’expert, de deux brevets européens no 1718472 B1 et no 0934168 B1 dans lesquels les marquages sont les repères d’impression, d’une attestation du 17 juin 2016 de C, ingénieur mécanicien pour l’intervenante, se référant à un catalogue également produit.

91      Il ressort ainsi des éléments du dossier que la fonction technique des repères d’impression a bien été établie.

92      Sixièmement, le fait, invoqué par la requérante, qu’il existe d’autres dessins ou modèles de ces repères d’impression ou que les brevets européens évoqués indiquent que les dimensions sont données à titre d’exemple n’infirme pas le constat selon lequel ces repères remplissent une fonction technique.

93      S’agissant de la forme et de la longueur des repères d’impression, la chambre de recours a indiqué qu’il ressortait de l’avis de l’expert produit devant elle que leur forme rectangulaire était due à l’opération de numérisation réalisée par les capteurs et que leur position, leur espacement, leur forme (contours rectilignes), leur largeur et leur longueur étaient déterminés par le capteur de l’imprimante et la commande logicielle correspondante. Ainsi, même si ces caractéristiques liées à la forme et à la longueur desdits repères peuvent varier, il reste qu’elles doivent néanmoins correspondre aux capteurs d’imprimantes utilisées et revêtent donc une fonction technique.

94      S’agissant de l’attestation émanant du créateur, produite par la requérante dans l’annexe 18 de sa requête, il convient de rappeler que les énonciations d’une déclaration écrite faite sous serment par une personne liée, de quelque manière que ce soit, à la société qui l’invoque doivent, en tout état de cause, être corroborées par d’autres éléments de preuve [voir, en ce sens, arrêt du 18 novembre 2015, Liu/OHMI – DSN Marketing (Étui d’ordinateur portable), T‑813/14, non publié, EU:T:2015:868, point 29].

95      En l’espèce, si l’intention du créateur peut être prise en compte (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans l’affaire DOCERAM, C‑395/16, EU:C:2017:779, point 67), il reste que cette seule intention ne saurait suffire en soi à infirmer qu’une caractéristique de l’apparence d’un produit résulte également de sa fonction technique. En outre et en tout état de cause, il résulte également de cette attestation que la forme et la taille des repères peuvent être différentes pour autant qu’il y ait correspondance avec les capteurs d’imprimantes, ce qui correspond à la fonction technique desdits repères.

96      Dès lors, il résulte des éléments du dossier que ces caractéristiques tenant notamment à la disposition, à la forme et à la longueur des repères d’impression, qui peuvent influer sur l’apparence desdits repères, sont liées non pas à un choix esthétique, mais technique, qui dépend de la configuration de l’imprimante avec laquelle le dessin ou modèle en cause est appelé à fonctionner. De plus, ces caractéristiques n’influent pas, dans une mesure significative, sur la configuration et, partant, sur la forme et l’aspect général du dessin ou modèle de rouleau d’étiquettes lui-même.

97      C’est donc à juste titre que la chambre de recours a conclu que l’utilisateur averti, conscient de cette finalité technique des repères d’impression figurant au dos de la bande d’étiquettes et du fait que les étiquettes pour imprimantes étaient disponibles dans différentes tailles en fonction de leur destination, n’accordait pas une attention particulière aux différences ainsi relevées.

98      Enfin, septièmement, contrairement à ce que la requérante affirme concernant l’attention de l’utilisateur averti, la chambre de recours n’a aucunement exclu les repères d’impression de son appréciation relative à l’impression globale des dessins ou modèles en conflit. Elle a uniquement estimé que, en raison de sa connaissance des rouleaux d’étiquettes pour imprimantes et des imprimantes correspondantes, l’utilisateur averti devait être considéré comme connaissant « les caractéristiques d’apparence qu’un rouleau d’étiquettes doit posséder afin de remplir sa finalité d’interaction avec le capteur de l’imprimante » et qu’il n’accorderait donc pas une attention particulière à la différence de taille des étiquettes.

99      Il ressort de tout ce qui précède que la chambre de recours n’a pas commis d’erreur d’appréciation en estimant que les dessins ou modèles en conflit produisaient la même impression globale sur l’utilisateur averti et en concluant ainsi que le dessin ou modèle contesté était dépourvu de caractère individuel au sens de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, lu en combinaison avec l’article 6 de ce règlement, eu égard au dessin ou modèle antérieur.

100    Par conséquent, il convient de rejeter le troisième moyen soulevé par la requérante comme étant non fondé et, partant, le recours dans son intégralité, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la recevabilité du deuxième chef de conclusions de la requérante visant à ce que le Tribunal rejette la demande en nullité du dessin ou modèle contesté, dès lors qu’il présuppose qu’il soit fait droit au recours en annulation et qu’il n’est donc formé que si le recours aboutit dans son premier chef de conclusions [voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2019, Aytekin/EUIPO – Dienne Salotti (Dienne), T‑107/18, non publié, EU:T:2019:114, point 84 et jurisprudence citée].

 Sur les dépens

101    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

102    La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO et de l’intervenante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Sanford LP est condamnée aux dépens.

Spielmann

Öberg

Mastroianni

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 novembre 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.


1      Le présent arrêt fait l’objet d’une publication par extraits.