Language of document : ECLI:EU:T:2004:108

Arrêt du Tribunal

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)
21 avril 2004 (1)

« Conjoint divorcé d'un ancien membre d'une institution communautaire, depuis décédé – Pension alimentaire – Convention orale entre les anciens conjoints – Droit applicable aux conditions de forme de la convention et à l'admissibilité des modes de preuve de son existence (article 27 de l'annexe VIII du statut des fonctionnaires des Communautés européennes) »

Dans l'affaire T-172/01,

M, demeurant à Athènes (Grèce), représentée par Mes G. Vandersanden et

H. Tagaras, avocats,

partie requérante,

contre

Cour de justice des Communautés européennes, représentée par

M. M. Schauss, en qualité d'agent, assisté de Me T. Papazissi, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande en annulation du refus d’octroi à la requérante d'une pension de survie du chef de son ex-époux,



LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),



composé de MM. A. W. H. Meij, président, N. J. Forwood et H. Legal, juges,

greffier : M. I. Natsinas, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 14 mai 2003,

rend le présent



Arrêt




Cadre juridique du litige

1
L’article 15, paragraphe 7, du règlement n° 422/67/CEE et n° 5/67/Euratom du Conseil, du 25 juillet 1967, portant fixation du régime pécuniaire du président et des membres de la Commission, du président, des juges, des avocats généraux et du greffier de la Cour de justice (JO 1967, 187, p. 1), tel que modifié, notamment, par l’article 2, paragraphe 3, du règlement (Euratom, CECA, CEE) n° 1416/81 du Conseil, du 19 mai 1981 (JO L 142, p. 1) (ci-après le « régime pécuniaire »), détermine les droits pécuniaires des ayants droit des membres susmentionnés des institutions communautaires par analogie avec les articles 22, 27 et 28 de l’annexe VIII du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le « statut »).

2
Aux termes de l’article 27 de l’annexe VIII du statut :

« La femme divorcée d’un fonctionnaire ou d’un ancien fonctionnaire a droit à la pension de survie définie au présent chapitre, à condition de justifier avoir droit pour son propre compte, au décès de son ex-époux, à une pension alimentaire à charge de celui-ci et fixée, soit par décision de justice, soit par convention intervenue entre les anciens époux.

La pension de survie ne peut, toutefois, excéder la pension alimentaire telle qu’elle était versée au moment du décès de son ex-époux, celle-ci étant adaptée selon les modalités prévues à l’article 82 du statut.

[...] »


Antécédents du litige

3
La requérante a épousé, en 1981, M. M, qui a exercé les fonctions de juge à la Cour de justice de 1983 à 1997. Leur mariage a été dissous par divorce prononcé le 26 février 1997, en première instance, puis par jugement définitif rendu le 14 juillet 1998. Le certificat religieux de divorce, dont l’établissement constitue, en Grèce, une formalité nécessaire en cas de mariage religieux, a été délivré le 4 mars 1999.

4
Par télécopie du 15 mars 1999, M. M a transmis à la division du personnel de la Cour une attestation officielle de divorce.

5
Selon un mémorandum du 2 juin 1999, adressé par le chef de la division du personnel de la Cour au chef de la division financière de l’institution, intitulé « Pension d’âge de M. le Juge [M] » :

« M. le Juge [M] vient de nous informer qu’il [est] divorcé [depuis] le 26 février 1997. Le divorce ecclésiastique a été prononcé le 4 mars 1999.

En outre, il nous a confirmé, par l’intermédiaire de Mme [K.], qu’aucune pension alimentaire n’était versée à son ex-épouse. »

6
Selon un testament olographe rédigé le 22 septembre 1999, M. M a institué son frère légataire universel de ses biens. Un certificat établi le 31 août 2000 par le secrétaire du Monomeles Protodikeio (tribunal de première instance à juge unique) d’Athènes (Grèce) atteste que le frère du défunt est son seul légataire testamentaire pour l’ensemble des biens de la succession.

7
M. M est décédé le 23 mars 2000.

8
En sa qualité de conjoint divorcé d’un ancien membre d’une institution communautaire, Mme M a, par lettre du 18 juillet 2000, demandé à l’administration de la Cour l’octroi d’une pension de survie du chef de feu M. M Dans cette missive, la requérante a invoqué un accord qui serait intervenu entre elle-même et M. M et « relatif au versement d’une pension alimentaire que [son] époux [avait] mis [à] exécution avant même le prononcé [du] divorce ».

9
Par courrier du 5 octobre 2000, l’administration de la Cour a répondu à la requérante qu’elle pourrait être admise au bénéfice de la pension de survie prévue par l’article 15 du régime pécuniaire, pour autant qu’elle justifie avoir eu droit pour son propre compte, au décès de son ex-époux, à une pension alimentaire à charge de celui-ci et fixée, soit par décision de justice, soit par convention intervenue entre elle et feu M. M.

10
Mme M a répondu, par lettre du 8 novembre 2000, que M. M lui avait proposé lui-même une pension d’un montant mensuel de 200 000 francs belges (BEF) (4 957,87 euros), qu’elle avait acceptée.

11
Selon la requérante, une convention en ce sens a été conclue oralement par M. et Mme M au printemps de l’année 1999, à l’occasion d’une rencontre organisée à Athènes entre les anciens conjoints, à laquelle M. O. aurait assisté.

12
Au soutien de ses allégations, Mme M a annexé à son pli du 8 novembre 2000 deux déclarations effectuées sous serment devant notaire par M. O. et par M. P., respectivement les 6 et 7 novembre 2000.

13
Dans sa déclaration, M. O. affirme avoir assisté, quelques semaines après le prononcé définitif du divorce, à un entretien entre les anciens conjoints au cours duquel Mme M aurait accepté que M. M lui verse une pension alimentaire de 200 000 BEF par mois.

14
Dans sa déclaration, M. P. affirme avoir constaté personnellement, à au moins une reprise, la remise par un tiers à Mme M, de la part de M. M, d’une somme d’argent dont elle lui aurait indiqué qu’il s’agissait du versement d’une pension alimentaire.

15
Par mémorandum du 5 mars 2001, le contrôleur financier de la Cour a demandé au directeur du personnel et des finances de la Cour des éclaircissements sur les éléments susceptibles de justifier le versement d’une pension de survie à Mme M. Il s’est référé au mémorandum précité du chef de la division du personnel de la Cour du 2 juin 1999. Le contrôleur financier s’est notamment interrogé sur l’existence éventuelle de pièces bancaires susceptibles de retracer les mouvements de fonds correspondant au versement de la pension alimentaire alléguée.

16
À la suite du rejet implicite de sa demande de pension de survie, la requérante a introduit contre cette décision une réclamation, datée du 23 mars 2001.

17
Celle-ci a été rejetée par décision du 29 mai 2001 du comité de la Cour chargé des réclamations, au motif que Mme M n’avait pas établi à suffisance de droit qu’elle bénéficiait pour son propre compte d’une pension alimentaire à charge de son ex-époux fixée par jugement ou par convention. D’une part, était-il indiqué dans cette décision, les deux dépositions notariées produites n’étaient corroborées par aucune pièce écrite relative à l’existence de la convention alléguée, au montant de la pension sur lequel cette convention aurait porté ou à son exécution, ni par aucun autre élément. D’autre part, il y était rappelé que, peu de temps après le divorce ecclésiastique prononcé le 4 mars 1999, M. M avait fait savoir à la division du personnel de la Cour qu’« aucune pension alimentaire n’était versée à son ex-épouse » et que cette déclaration n’avait pas été ultérieurement révoquée. Le comité chargé des réclamations en a déduit que Mme M ne remplissait pas la condition à laquelle l’article 27 de l’annexe VIII du statut subordonne le bénéfice d’une pension de survie.

18
Contre cette décision de rejet, Mme M a introduit le présent recours en annulation, déposé au greffe le 26 juillet 2001.


Procédure devant le Tribunal

19
En raison de l’empêchement de siéger de M. le président de la première chambre B. Vesterdorf, M. le juge A. W. H. Meij a été désigné pour le remplacer, par décision du président du Tribunal du 21 septembre 2001.

20
La partie défenderesse a déposé son mémoire en défense le 11 octobre 2001.

21
Par courrier du 18 décembre 2001, le frère de M. M a, de sa propre initiative, fait parvenir à la partie défenderesse un ensemble de documents qu’il estimait susceptibles de contribuer à la manifestation de la vérité.

22
La partie défenderesse a produit devant le Tribunal certaines pièces ainsi communiquées par le frère de M. M, en annexe à la duplique déposée le 16 janvier 2002. Dans ce document, la partie défenderesse a, en outre, demandé au Tribunal de citer M. T. comme témoin.

23
Postérieurement à la clôture de la procédure écrite, la requérante a déposé, par pli du 15 février 2002, deux nouvelles déclarations notariées établies, respectivement, les 6 et 7 février 2002, et portant notamment sur le déroulement de la procédure de divorce entre les anciens conjoints M, le consentement allégué de M. M au paiement d’une pension alimentaire à son ex-épouse et sur les conditions dans lesquelles serait intervenu le versement de cette pension.

24
M. le juge Moura Ramos ayant été empêché de siéger en raison de la cessation de ses fonctions comme juge au Tribunal, M. le président du Tribunal a désigné, en application de l’article 32, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, M. le juge N. J. Forwood pour compléter la formation de jugement.

25
Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, sous réserve des observations des parties, d’entendre comme témoins MM. O. et T.

26
Par lettre du 11 mars 2003, le Tribunal a invité les parties à présenter leurs observations sur cette mesure d’instruction dans un délai de quinze jours.

27
Par courrier du 24 mars 2003, la requérante a souligné que l’audition de M. O. revêtait un caractère indispensable et s’en est remise à la sagesse du Tribunal quant à l’audition de M. T.

28
Par ordonnance du 3 avril 2003, le Tribunal (première chambre) a décidé d’entendre comme témoins MM. O. et T. sur l’éventuelle convention conclue par les anciens conjoints M et fixant, selon la requérante, une pension alimentaire à charge de M. M en faveur de Mme M, ainsi que sur le maintien en vigueur de cette pension jusqu’au décès de M. M.

29
Au cours d’une audition à huis clos qui a eu lieu le 14 mai 2003, préalablement à l’audience de plaidoiries du même jour, MM. O. et T. ont été entendus en qualité de témoins dans les conditions fixées par les articles 65 à 76 du règlement de procédure.

30
Au cours de l’audience de plaidoiries également tenue à huis clos, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal.

31
À l’issue de cette audience, le Tribunal a décidé de surseoir à la clôture de la procédure orale afin de déterminer s’il était en possession de tous les éléments utiles pour statuer ou si, au contraire, d’autres mesures d’instruction ou d’organisation de la procédure s’avéraient nécessaires.

32
En définitive, le Tribunal s’est estimé suffisamment éclairé par les pièces du dossier, l’argumentation des parties et les témoignages recueillis pendant l’audition du 14 mai 2003. En particulier, il n’a pas estimé utile à la manifestation de la vérité l’audition d’autres témoins, étant donné que les demandes présentées en ce sens par les deux parties ne faisaient pas référence à des éléments de fait pouvant affecter son appréciation des circonstances pertinentes du dossier.

33
En conséquence, M. le président de la première chambre a clôturé la procédure orale et mis l’affaire en délibéré par décision du 23 octobre 2003.


Conclusions des parties

34
La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

annuler la décision attaquée ;

reconnaître son droit à l’obtention d’une pension de survie ;

fixer le montant de cette pension à 200 000 BEF par mois (4 957, 87 euros) ;

condamner la défenderesse aux dépens.

35
La partie défenderesse conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours comme non fondé ;

condamner la requérante aux dépens.


Sur la recevabilité des offres de preuve au regard de l’article 48, paragraphe 1, du règlement de procédure

36
Au cours de l’audience de plaidoiries, la requérante a contesté la recevabilité des pièces produites par la partie défenderesse en annexe à la duplique.

37
Pour sa part, la défenderesse a conclu à l’irrecevabilité des offres de preuve proposées par la requérante en annexe à son courrier du 15 février 2002 et constituées par deux nouvelles dépositions de témoins faites sous serment devant notaire.

38
Le Tribunal rappelle que l’article 48, paragraphe 1, du règlement de procédure dispose :

« Les parties peuvent encore faire des offres de preuve à l’appui de leur argumentation dans la réplique et la duplique. Elles motivent le retard apporté à la présentation de leurs offres de preuve. »

39
Répondent aux prescriptions de cette disposition les offres de preuve produites par la défenderesse en annexe à la duplique et se composant du testament olographe établi le 22 septembre 1999 par M. M, du certificat de succession délivré par le tribunal de première instance d’Athènes ainsi que des relevés et ordres de transfert bancaires de M. M.

40
Ce n’est en effet que par courrier du 18 décembre 2001, postérieurement au dépôt du mémoire en défense intervenu le 11 octobre 2001, que le frère de M. M a fait parvenir ces documents à la partie défenderesse. Celle-ci n’était donc pas en mesure de les produire lors du dépôt de son mémoire en défense.

41
La partie défenderesse a pu ainsi valablement annexer à la duplique les documents qu’elle a présentés comme provenant du frère de M. M et dont la requérante n’a pas contesté l’origine.

42
Il convient par conséquent d’admettre ces documents comme éléments de conviction du Tribunal.

43
En revanche, il échet d’écarter comme tardives les deux offres de preuve que la requérante a proposé de verser au dossier, après la clôture de la procédure écrite, dans son courrier du 15 février 2002 et consistant en deux déclarations notariées établies les 6 et 7 février 2002.

44
En effet, si l’exigence d’une procédure équitable peut conduire le Tribunal, en certaines circonstances, à admettre le dépôt d’offres de preuve postérieurement à la duplique, cette exigence ne trouve à s’appliquer à pareille espèce que si l’auteur de l’offre ne pouvait, avant la clôture de la procédure écrite, disposer des preuves en question ou si les productions tardives de son adversaire justifient que le dossier soit complété de façon à assurer le respect du principe du contradictoire.

45
Or, d’une part, rien n’indique que la requérante n’ait pas été en mesure de produire les deux déclarations notariées constituant ses dernières offres de preuve dès le dépôt de sa requête, compte tenu de l’identité des témoins proposés et des points sur lesquels il est suggéré au Tribunal de les entendre.

46
D’autre part, même si leur objet est de contrebalancer l’effet de la production des pièces annexées à la duplique de la défenderesse, les dernières offres de preuve de la requérante ne portent pas sur des points nouveaux qui auraient été introduits dans le dossier à ce stade tardif, ni, en particulier, sur les dispositions testamentaires de M. M, mais sur le contexte général des relations entre les deux anciens conjoints et sur le versement par M. M d’une pension alimentaire. Or, ces questions étaient posées dès l’origine du litige et leur pertinence n’est pas apparue avec la production des offres de preuve annexées à la duplique.


Sur le fond

47
Au soutien de son recours, la requérante invoque trois moyens tirés, respectivement, de l’irrégularité de la procédure précontentieuse, du défaut de motivation de la décision de rejet attaquée et de l’erreur de droit entachant cette décision.

Sur le premier moyen, tiré de l’irrégularité de la procédure précontentieuse

Arguments des parties

48
La requérante reproche à la défenderesse de ne lui avoir demandé à aucun stade de la procédure précontentieuse de produire des pièces ou autres éléments spécifiques afin de prouver la véracité de sa version des faits.

49
La partie défenderesse répond qu’il ne lui appartenait pas d’exiger un document déterminé, mais qu’il lui suffisait d’inviter la requérante, comme elle soutient l’avoir fait dans sa lettre du 5 octobre 2000, à produire des documents justifiant son droit à une pension alimentaire dans le contexte normatif applicable.

Appréciation du Tribunal

50
C’est à la requérante qu’il appartenait de produire de sa propre initiative tous les éléments de preuve qu’elle estimait nécessaires et suffisants pour « justifier », au sens de l’article 27, premier alinéa, de l’annexe VIII du statut, le droit à la pension alimentaire dont elle se prétendait titulaire en vertu de la convention alléguée.

51
Par conséquent, la lettre du 5 octobre 2000 du chef de la division du personnel de la Cour invitant l’intéressée à lui « faire parvenir des documents justifiant [son] droit à une pension alimentaire », même si elle ne déterminait pas la nature spécifique des pièces susceptibles d’être produites, était néanmoins suffisamment précise à cet égard pour ne comporter aucune irrégularité de nature à vicier la procédure.

52
Au demeurant, il aurait été inapproprié que la partie défenderesse invite la requérante à produire des éléments de preuve déterminés au soutien de sa demande de pension, étant donné que, comme le soutient elle-même la requérante dans l’exposé de son troisième moyen, sont recevables à cet égard tous les moyens de preuve habituellement admis aussi bien par le droit national applicable que par le règlement de procédure.

53
Le premier moyen ne peut donc qu’être rejeté.

Sur le deuxième moyen, pris du défaut de motivation de la décision de rejet attaquée

Arguments des parties

54
La requérante fait valoir que la partie défenderesse ne pouvait, sans autre motivation, sauf à empêcher tout contrôle juridictionnel de la décision attaquée, qualifier d’insuffisantes les déclarations notariées de MM. O. et P., produites au soutien de sa demande de pension de survie.

55
La décision de rejet attaquée serait à cet égard doublement entachée d’un défaut de motivation, compte tenu de l’intégrité morale, connue et irréprochable, de MM. O. et P. La défenderesse n’expliquerait nullement pourquoi la requérante aurait dû produire des pièces écrites à l’appui des déclarations de ces personnes.

56
En toute hypothèse, la requérante relève la contradiction qui existerait entre la reconnaissance par la partie défenderesse de la validité des conventions verbales en matière de pensions alimentaires et son exigence de pièces écrites corroborant les attestations notariées établissant l’existence d’une telle convention.

57
La partie défenderesse soutient que la décision attaquée était suffisamment motivée, puisque la requérante a compris le raisonnement sur lequel était fondé le rejet de sa demande de pension de survie et que ce raisonnement permet au juge de contrôler la légalité de cette décision.

58
S’agissant de l’intégrité morale des auteurs des déclarations notariées, elle ne saurait avoir pour conséquence que celles-ci doivent automatiquement se voir conférer une force probante, sauf à admettre que l’administration communautaire doive se satisfaire, sans autre examen, de telles déclarations, chaque fois qu’elles seraient produites à l’appui d’une demande de remboursement de frais ou de prestations financières réclamées en vertu du statut.

59
Enfin, il ne serait pas contradictoire de reconnaître la possibilité de créer un droit à une pension alimentaire par convention orale, tout en exigeant une pièce écrite corroborant les attestations délivrées par des tiers. Si le droit hellénique, que la partie défenderesse retient comme droit régissant les conditions de validité des conventions en cause, ne subordonne pas, admet-elle, la validité de celles-ci à leur forme écrite, ce même droit ne permettrait d’établir leur existence sans la production d’un écrit que dans des hypothèses bien définies.

Appréciation du Tribunal

60
En indiquant qu’il avait estimé que les déclarations faites sous serment devant un notaire d’Athènes par MM. O. et P. étaient insuffisantes, à défaut d’être corroborées par toute autre pièce ou tout autre élément, pour justifier un droit à une pension alimentaire permettant l’octroi d’une pension de survie, le comité de la Cour chargé des réclamations a permis à la requérante comme au Tribunal de connaître les circonstances de fait et de droit constituant le fondement de la décision attaquée. Cette décision satisfait dès lors à l’obligation de motivation.

61
Au reste, il y a lieu de rappeler que l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de la décision contestée (arrêt de la Cour du 22 mars 2001, France/Commission, C-17/99, Rec. p. I-2481, point 35).

62
Ainsi, dans la mesure où la requérante reproche à la partie défenderesse d’avoir trop sommairement dénié valeur probante aux déclarations notariées de MM. O. et P., compte tenu notamment de leur moralité reconnue, ce grief, tiré d’une erreur d’appréciation de la valeur des pièces produites, se rattache en réalité à la critique du bien-fondé de la décision attaquée.

63
Il en va de même de la contradiction supposée entre l’admission de la validité d’une convention orale et l’exigence de pièces écrites qui, si elle était établie, serait susceptible de constituer une erreur de droit, mais ne révélerait pour autant aucune insuffisance de motivation.

64
Il y aura donc lieu d’examiner ces griefs dans le cadre de l’étude du troisième moyen, consistant à savoir si c’est à bon droit que le comité de la Cour chargé des réclamations a estimé que les déclarations faites sous serment devant notaire par MM. O. et P. n’établissaient pas, à elles seules, le droit de la requérante à une pension alimentaire fixée par convention et mise à la charge de son ex-époux.

65
Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen.

Sur le troisième moyen, tiré de l’erreur de droit procédant du refus de l’institution défenderesse de tenir pour établi le droit de la requérante à une pension alimentaire fixée par convention, au sens de l’article 27 de l’annexe VIII du statut

66
Afin de se prononcer sur le bien-fondé de la décision attaquée, il convient de déterminer si peut être regardé comme démontré le droit de Mme M à une pension alimentaire fixée par convention orale entre les ex-conjoints M et dont, à son décès, M. M aurait été redevable à son ancienne épouse. En effet, une telle pension alimentaire ouvrirait droit au bénéfice de Mme M, dans la limite de son montant, à une pension de survie, en application de l’article 27 de l’annexe VIII du statut.

67
Il importe de déterminer au préalable si la convention alléguée a pu être légalement conclue en la forme orale.

S’agissant de la validité de la fixation d’une pension alimentaire par convention orale aux fins de l’article 27, premier alinéa, de l’annexe VIII du statut

68
Il y a lieu d’identifier d’abord le droit régissant les conditions auxquelles une convention fixant une pension alimentaire a pu, le cas échéant, être validement conclue en la forme orale par M. et Mme M.

69
Les deux parties s’accordent pour considérer que cette question doit être résolue sur le fondement des dispositions pertinentes du droit civil hellénique.

70
Le Tribunal rappelle à cet égard que les termes d’une disposition de droit communautaire qui, comme l’article 27, premier alinéa, de l’annexe VIII du statut, applicable en l’espèce en raison de la référence à cette disposition contenue dans l’article 15, paragraphe 7, du régime pécuniaire, ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement faire l’objet d’une interprétation autonome par référence au contexte de la disposition et à l’objectif poursuivi par la réglementation en cause (arrêt du Tribunal du 18 décembre 1992, Díaz García/Parlement, T-43/90, Rec. p. II‑2619, point 36).

71
Toutefois, même en l’absence d’un tel renvoi exprès, l’application du droit communautaire peut impliquer une référence au droit des États membres lorsque le juge communautaire ne peut déceler dans le droit communautaire ou dans ses principes généraux les éléments lui permettant de préciser le contenu et la portée d’une disposition communautaire par une interprétation autonome (arrêt Díaz García/Parlement, précité, point 36).

72
En l’occurrence, la notion de « pension alimentaire […] fixée […] par convention intervenue entre les anciens époux », au sens de l’article 27, premier alinéa, de l’annexe VIII du statut, ne saurait faire l’objet d’une interprétation communautaire autonome. La notion d’obligation alimentaire convenue entre d’anciens conjoints en raison de leur divorce relève, au contraire, des conséquences patrimoniales découlant du jugement de divorce prononcé sur le fondement des règles du droit civil applicable.

73
Par conséquent, les conditions de validité d’une convention stipulant le paiement d’une pension alimentaire au profit du conjoint divorcé d’un agent des Communautés ou, en l’occurrence, d’un ancien membre d’une institution communautaire doivent être, en principe, déterminées selon la loi qui régit les effets du divorce, soit, en l’espèce, la loi hellénique en vertu de laquelle le divorce a été prononcé (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 17 mai 1972, Meinhardt/Commission, 24/71, Rec. p. 269, point 6).

74
Il est constant que les dispositions pertinentes du code civil hellénique admettent, en cas de divorce, la constitution d’un droit à une pension alimentaire au profit d’un ancien conjoint par simple convention orale entre les ex-conjoints.

75
Dès lors, M. M a pu valablement stipuler en faveur de Mme M. une pension alimentaire par convention orale.

76
Une telle convention orale étant valide sous cette forme selon le droit national applicable, il échet encore d’examiner si son existence peut être, en l’espèce, tenue pour établie, en l’absence d’un écrit, sur le fondement de la preuve testimoniale.

S’agissant de l’admissibilité de la preuve par témoins aux fins d’établir l’existence de la convention alléguée

    Arguments des parties

77
La requérante estime que l’existence d’un droit à une pension alimentaire stipulé en sa faveur dans une convention, au sens de l’article 27, premier alinéa, de l’annexe VIII du statut, peut être démontrée par tout moyen de preuve habituellement admis par le droit hellénique ou par le règlement de procédure.

78
En l’occurrence, l’article 393, paragraphe 1, du code de procédure civile hellénique exigerait la preuve littérale, et exclurait la preuve par témoins, d’une convention portant sur une obligation pécuniaire excédant un montant maximum porté par les nouvelles dispositions législatives de 1 467,35 à 5 869,41 euros.

79
Toutefois, en vertu de l’article 394 du même code, la preuve par témoins serait admise même à l’égard de conventions portant sur des sommes supérieures à ce maximum légal, lorsque :

il existe un début de preuve par écrit, résultant d’un document ayant force probante ;

il est matériellement ou moralement impossible d’obtenir une preuve écrite ;

il est établi qu’un document écrit a été perdu accidentellement ;

la nature des choses ou les circonstances spécifiques ayant entouré la formation du contrat justifient qu’il soit recouru à la preuve testimoniale.

80
La présente espèce relèverait clairement aussi bien de la deuxième que de la quatrième de ces exceptions. Aurait été en effet exclue toute « négociation » de la part de Mme M. sur le montant ou sur les modalités de la pension alimentaire, telles que la fréquence et le mode de paiement ou la rédaction d’un écrit, sauf à risquer d’aggraver l’état de santé très critique dans lequel M. M se serait trouvé lors de sa rencontre avec Mme M.

81
De l’avis de la partie défenderesse, les modes de preuve pouvant être admis pour établir l’existence de la convention alléguée sont ceux découlant, d’une part, des dispositions adoptées en matière de paiement des prestations financières prévues par le statut et figurant dans le règlement financier du 21 décembre 1977 applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 356, p. 1), alors en vigueur, et, d’autre part, des règles du droit hellénique relatives à la preuve des conventions stipulant le versement d’une pension alimentaire en raison du divorce.

82
Si, fait valoir la défenderesse, le droit hellénique admet la création par convention orale d’un droit à une pension alimentaire en cas de divorce, il requerrait toutefois la preuve littérale, au moyen d’un écrit préconstitué par les parties, des conventions portant sur une obligation pécuniaire dont le montant est, comme en l’espèce, supérieur au maximum légal.

83
Les déclarations faites devant notaire par MM. O. et. P. ne constitueraient pas la preuve littérale envisagée par l’article 393, paragraphe 1, du code de procédure civile hellénique. Ces deux documents ne pourraient tout au plus que suppléer un commencement de preuve par écrit.

84
En tout état de cause, l’admissibilité formelle des témoignages en tant que moyens de preuve ne contraindrait pas le juge à accepter le fond de ces témoignages. Leur fiabilité serait librement et souverainement appréciée par le juge, lequel n’aurait pas à se justifier du fait qu’il s’en est éventuellement écarté.

    Appréciation du Tribunal

85
Les principes régissant l’admissibilité des modes de preuve de l’existence d’une convention orale stipulant, en raison du divorce des ex-époux M, une pension alimentaire en faveur de Mme M à la charge du de cujus relèvent, au même titre que les conditions de validité d’une telle convention, du droit hellénique (voir, en ce sens, arrêt Meinhardt/Commission, précité, point 12).

86
Le droit hellénique ne subordonnant pas à l’existence d’un écrit la validité d’une convention fixant une pension alimentaire, le Tribunal ne saurait écarter un mode de preuve admis selon le droit national applicable, à l’effet d’établir l’existence d’une telle convention, légalement conclue en la forme orale.

87
Si l’admissibilité des modes de preuve de l’existence de la convention alléguée est ainsi régie par le droit hellénique, c’est néanmoins au Tribunal, saisi d’un recours dirigé contre le refus d’octroi d’une pension de survie censée découler de l’application de l’article 27, premier alinéa, de l’annexe VIII du statut, qu’il incombe de vérifier, en vue d’assurer une exacte application de cette disposition, si les éléments exigés par le droit interne sont réunis (voir, en ce sens, arrêt Meinhardt/Commission, précité, point 12).

88
Or, cette obligation suppose le respect des dispositions du règlement de procédure du Tribunal et des principes généraux applicables en matière d’administration de la preuve, en particulier quant à l’admissibilité des modes de preuve et, par conséquent, de la preuve testimoniale, aux modalités de l’audition des témoins cités et à l’interprétation qu’il convient de donner aux faits rapportés par ceux-ci. Comme toute juridiction, le Tribunal doit en effet exercer ses compétences conformément aux textes qui les lui confèrent.

89
Il est constant que la convention alléguée est censée fixer une pension alimentaire comportant des obligations pécuniaires d’un montant excédant le maximum au-delà duquel le droit hellénique exclut, en principe, le recours à la preuve testimoniale en matière de contrats.

90
La requérante a cependant soutenu lors de l’audience de plaidoiries, sans être utilement contredite sur ce point par la partie défenderesse, que son ancien époux n’aurait jamais accepté de mettre par écrit un accord prévoyant en sa faveur le versement d’une pension alimentaire.

91
Il convient en outre d’admettre que les relations entre anciens conjoints peuvent, dans des circonstances telles que celles de l’espèce, rendre extrêmement difficile à l’un d’entre eux de demander à l’autre une preuve écrite d’une convention intervenue entre les intéressés.

92
Il s’ensuit que la requérante peut être considérée comme s’étant trouvée confrontée à l’impossibilité matérielle et morale, au sens de l’article 394, deuxième tiret, du code de procédure civile hellénique, de se procurer un écrit constatant la conclusion de la convention alléguée.

93
Aux fins d’établir l’existence de celle-ci, il y a donc lieu de considérer comme recevable la preuve par témoins sur le fondement des dispositions concordantes du droit hellénique et du règlement de procédure. En effet, la preuve testimoniale est, en l’espèce, à la fois admise par les dispositions précitées du code de procédure civile hellénique et prévue par l’article 65, sous c), du règlement de procédure.

94
Seuls constituent toutefois des témoignages recevables comme tels par le Tribunal ceux qui ont été recueillis par lui lors de l’audition organisée le 14 mai 2003 conformément aux articles 65 à 76 du règlement de procédure. Ne peuvent être admises comme constituant des témoignages au sens du même texte les dépositions faites sous serment devant notaire par M. O. et par M. P., dès lors qu’elles n’ont pas d’autre statut dans la procédure devant le Tribunal que celui d’offres de preuve.

S’agissant de l’existence d’une convention orale stipulant au profit de Mme M le versement d’une pension alimentaire au sens de l’article 27, premier alinéa, de l’annexe VIII du statut

    Arguments des parties

95
La requérante soutient que M. M avait honoré la convention conclue oralement par les anciens conjoints, fixant à son profit une pension alimentaire, malgré les difficultés résultant de ses problèmes de santé. En raison de sa réticence à l’égard des opérations bancaires, M. M aurait, aux fins de l’exécution de la convention, fait remettre à Mme M, en mains propres, deux versements en espèces, par l’intermédiaire d’une tierce personne.

96
Un premier versement aurait été effectué en juin 1999, peu avant l’hospitalisation de M. M en vue d’une intervention chirurgicale, et un second paiement en septembre 1999, après une amélioration provisoire de l’état de santé de M. M, en la présence fortuite de M. P.

97
Chacun de ces deux versements, intervenus, respectivement, en juin et en septembre 1999, aurait représenté le paiement cumulé de quatre mensualités de la pension alimentaire alléguée et se serait donc élevé à la contre-valeur en drachmes grecques de 800 000 BEF (19 831,48 euros).

98
Lors du versement intervenu au mois de juin 1999, M. M aurait calculé les mensualités à compter du 1er mars 1999, bien que les formalités du divorce n’eussent pas encore été achevées à cette date. Le versement effectué en septembre 1999 aurait inclus la mensualité due au titre du mois d’octobre suivant.

99
L’absence de versements ultérieurs aurait procédé de la grave et soudaine détérioration de l’état de santé de M. M Celui-ci se serait d’ailleurs trouvé en traitement à l’étranger pour la plus grande partie de cette période.

100
Néanmoins, le versement effectif d’une pension alimentaire au sens de l’article 27 de l’annexe VIII du statut ne constituerait nullement une condition d’octroi du droit à la pension de survie. La seule reconnaissance du droit à la pension alimentaire, par décision de justice ou par convention privée, serait suffisante à cet égard.

101
En tout état de cause, les traces des paiements constatées dans les comptes bancaires de la requérante, associées aux déclarations effectuées devant notaire par M. O. et par M. P., permettraient d’établir au-delà de tout doute raisonnable la réalité des versements mensuels, leur continuité, leur régularité, ainsi que leur montant.

102
La partie défenderesse objecte que les éléments de preuve avancés par la requérante n’établissent pas à suffisance de droit qu’elle remplit les conditions d’octroi d’une pension de survie au sens de l’article 27 de l’annexe VIII du statut.

103
Comme il résulte du terme « justifier » figurant au premier alinéa de cette disposition, l’ex-conjoint demandeur devrait démontrer l’existence d’une convention fixant une obligation d’aliments et sa validité au décès du débiteur. Un assouplissement de ces exigences serait contraire à la disposition précitée et au principe de bonne gestion financière consacré par l’article 274 CE et par l’article 2 du règlement financier.

104
À supposer que M. M ait exécuté des versements en faveur de la requérante, il resterait à en déterminer la cause juridique. Or, en l’absence de preuve écrite, une conclusion ne pourrait être tirée sur une telle cause qu’à la lumière des circonstances de l’espèce. Les extraits du compte bancaire de la requérante ne démontreraient nullement l’existence, le contenu ou l’exécution de la convention alléguée.

105
S’agissant des problèmes de santé de M. M qui, selon la requérante, seraient la cause de la cessation du versement de la pension alimentaire, la partie défenderesse fait observer que l’état de santé de l’intéressé ne l’a pas empêché de donner personnellement des ordres de paiement à sa banque au cours des semaines précédant son décès, en dépit de la réticence à l’égard des transactions bancaires que lui attribue la requérante.

106
Ni les documents retraçant les mouvements des comptes bancaires de M. M ni même son testament ne contiendraient la moindre trace ou la moindre mention de la convention prétendument conclue. Vu l’importance, le montant et le caractère inhabituel de celle-ci, il serait incompréhensible que M. M n’ait pas cru devoir informer son légataire et les tiers concernés des obligations qu’il aurait contractées envers Mme M.

    Appréciation du Tribunal

107
C’est à la partie requérante qu’il appartient, en vertu des principes généraux de la procédure et des termes de l’article 27, premier alinéa, de l’annexe VIII du statut, d’apporter les éléments de preuve établissant, à la satisfaction du Tribunal, qu’elle avait droit pour son propre compte, au décès de son ex-époux, à une pension alimentaire à charge de celui-ci et fixée par convention intervenue entre les ex-conjoints.

108
Le témoignage de M. O., dont il convient d’admettre le caractère probant quant aux faits qu’il relate, permet au Tribunal de tenir pour acquis qu’est intervenu au printemps de l’année 1999, entre M. et Mme M, un entretien au cours duquel les anciens conjoints sont tombés d’accord pour que Mme M reçoive de son ancien époux une somme de 200 000 BEF (4 957, 87 euros).

109
À cet égard, M. O. a précisé qu’il ne pouvait pas se souvenir de négociations, de discussions sur le montant, mais qu’il savait que les anciens conjoints M « avaient parlé et [que] Mme M avait dit d’accord sur 200 000 [BEF] ».

110
Si l’autre témoin entendu par le Tribunal, M. T., a estimé très peu vraisemblables les circonstances relatées par M. O., force est toutefois de relever que, si M. T. était en contact téléphonique régulier avec M. M au printemps de l’année 1999, il ne se trouvait pas à Athènes à cette époque et ne pouvait donc avoir connaissance des faits et gestes de M. M que pour autant que celui-ci ait jugé utile de les évoquer avec lui. Le silence gardé par M. M sur ce point à l’égard de M. T. ne signifie donc pas nécessairement que l’entretien en cause n’ait pas eu lieu.

111
Il ne saurait toutefois être déduit d’emblée du témoignage de M. O. que l’accord de volontés constaté par lui doive être interprété, aux fins de l’application du statut, comme une convention par laquelle M. M se serait obligé, de façon juridiquement contraignante, à verser à Mme M une pension alimentaire d’un montant mensuel de 200 000 BEF (4 957,87 euros), en lui reconnaissant un droit à une telle pension.

112
Il revient en effet au seul Tribunal de qualifier juridiquement, au regard des catégories du droit hellénique des contrats et en tenant compte de l’ensemble des faits de la cause, l’échange de propos qui lui a été rapporté par un des témoins et qui, si l’on met à part les versements d’argent allégués, est la seule concrétisation tangible d’une éventuelle intention des anciens époux de fixer par convention entre eux une pension alimentaire.

113
Il convient à cet égard de noter que tout accord de volontés n’est pas, en droit hellénique, constitutif d’une convention et qu’est reconnu dans cet ordre juridique, comme d’ailleurs dans d’autres, sous des terminologies variables, une catégorie d’actes dits de « courtoisie », qui englobe les promesses acceptées, lorsqu’elles ont été formulées dans un esprit de bienveillance, ou de bienséance, mais sans que leur auteur ait entendu souscrire un engagement juridique ni prendre à sa charge une obligation d’exécution.

114
Or, l’ensemble des circonstances de l’espèce, telles qu’elles ressortent notamment des témoignages à cet égard concordants de M. O. et de M. T, ne permettent pas de tenir pour établie à suffisance de droit l’hypothèse d’une volonté de M. M de s’imposer l’obligation juridique de servir une pension alimentaire à son ancienne épouse.

115
Une telle hypothèse est en premier lieu contredite par la circonstance que M et Mme M se sont opposés lors d’une procédure de divorce qui a duré presque dix ans et à l’issue de laquelle M. M a obtenu un jugement définitif de séparation ne le rendant débiteur d’aucun aliment envers son ancienne épouse.

116
Il est en outre constant que, pendant les six années précédant le prononcé définitif du divorce, les époux ont vécu séparés et qu’aucun versement d’argent n’a été effectué par M. M à destination de son épouse pendant cette période.

117
Il ne saurait dès lors être tenu pour crédible que, dès le prononcé du divorce, M. M se serait empressé de se constituer débiteur d’aliments dont il avait jusque-là refusé, avec succès, d’assumer l’obligation.

118
Plus vraisemblable est l’explication fournie dans le témoignage de M. O., selon laquelle la proposition faite par M. M à son ancienne épouse de lui verser de l’argent était inspirée par un souci d’apaiser sa conscience et de se mettre en règle avec ses convictions religieuses et morales. Or, force est de constater qu’une telle préoccupation, née alors que les obligations juridiques procédant du mariage se sont éteintes, fait partie des motifs propres à inspirer des actes de courtoisie non créateurs d’effets contraignants.

119
En outre, ainsi que le signale également M. O. dans son témoignage, M. M avait l’habitude d’effectuer de nombreux dons à titre de libéralité, notamment à des œuvres philanthropiques. La conduite ainsi relatée évoque le caractère d’une personne plus encline à se montrer généreuse par choix qu’à se soumettre à des contraintes imposées.

120
En second lieu, il ressort tout aussi clairement du témoignage de M. O., comme des dires de la requérante, que M. M attachait une importance extrême à ce que l’accord auquel il était parvenu avec son ancienne épouse ne reçoive aucune publicité et n’ait aucune incidence sur ses rapports, notamment financiers, avec des tiers.

121
M. O. fait notamment état de la volonté exprimée par M. M que le témoin ne dise rien à personne de l’entretien auquel il avait assisté et de son souhait que les gens, et en particulier les membres de sa famille, ne sachent pas qu’il avait donné de lルargent à son ancienne épouse. Selon le même témoin, M. M aurait déclaré qu’il se serait senti déshonoré si un engagement de sa part de verser de l’argent à son ex-épouse était venu à la connaissance de tiers.

122
Ces déclarations de M. O. confirment les propos tenus par Mme M elle-même lors de l’audience selon lesquels M. M n’aurait jamais consenti à rédiger un écrit de la transaction intervenue entre les ex-conjoints.

123
Cette préoccupation constante manifestée par M. M de conserver un caractère occulte à cette transaction est corroborée par la circonstance que M. M n’a jamais porté son existence à la connaissance de l’administration communautaire débitrice de sa pension d’ancienneté, pas plus qu’à celle de M. T., son fondé de pouvoir pour ses opérations bancaires à Luxembourg, de même que par le silence total que M. M a, comme il est constant, observé dans son testament à propos de cette transaction.

124
Or, il est inconcevable que, s’il avait effectivement entendu contracter vis-à-vis de son ancienne épouse une dette d’aliments consécutivement au divorce, M. M se soit abstenu de mentionner dans son testament l’existence d’une charge qui aurait été, dans une telle hypothèse, susceptible de grever sa succession.

125
Il convient en effet de préciser à cet égard que, selon le code civil hellénique, l’obligation du débiteur de la pension alimentaire ne s’éteint pas par le décès de l’obligé.

126
Ce caractère à la fois non obligatoire et occulte que M. M a ainsi entendu conférer à la transaction intervenue entre les ex-époux M a pour conséquence nécessaire de la rendre par nature tant inopposable aux tiers et, partant, à l’administration de la partie défenderesse que non susceptible d’être invoquée en justice.

127
Dans ces conditions, cette transaction ne peut être regardée que comme un acte de pure courtoisie que M. M a accompli à l’égard de Mme M et par lequel il n’a aucunement entendu s’engager juridiquement à verser une pension alimentaire dont il se serait estimé débiteur à l’égard de l’intéressée vis-à-vis des tiers ou des juridictions compétentes.

128
Il résulte de ce qui précède que ne peut être considéré comme établi le droit de Mme M à une pension alimentaire due par M. M à son décès en vertu d’une convention intervenue entre les anciens conjoints.

129
L’absence d’accord de volontés déployant entre les ex-conjoints M des effets juridiques contraignants est, s’il en était besoin, corroborée par l’absence de démonstration crédible de l’exécution par M. M d’une convention fixant une pension alimentaire.

130
Certes, en principe, l’établissement de la réalité des paiements mensuels d’une pension alimentaire qui aurait été fixée oralement ainsi que la preuve du montant de tels versements, de leur régularité, de leur continuité et de leur cause juridique sont de nature à permettre d’inférer le consentement du de cujus à être lié, jusqu’au moment de son décès, par une convention orale stipulant une telle pension en faveur de son ancien conjoint (voir, en ce sens, arrêt Meinhardt/Commission, précité, point 12).

131
Toutefois, en l’espèce, aucun document probant, d’origine bancaire ou d’une autre nature, ne vient étayer l’hypothèse de versements réguliers et la requérante elle-même ne fait état, en définitive, que de deux versements en espèces qui auraient été effectués en juin et en septembre 1999, par l’intermédiaire d’une tierce personne.

132
Force est, en outre, de constater que même cette hypothèse d’une remise d’espèces qui aurait eu lieu à deux reprises ne constitue qu’une allégation. La seule personne, M. P., qui a déclaré devant notaire avoir assisté à l’une de ces remises de fonds (voir point 14 ci-dessus) n’a pas eu connaissance du montant qui était apporté à la requérante et, quant à son origine et à sa nature, n’a pu que répéter ce qui lui a été dit, en particulier par la destinataire de la somme donnée.

133
Dès lors, c’est sans commettre d’erreur de droit que la partie défenderesse a refusé d’accueillir la demande de pension de survie présentée par la requérante, au motif que n’était pas remplie la condition à laquelle l’article 27, premier alinéa, de l’annexe VIII du statut subordonne l’octroi d’une telle pension à la femme divorcée d’un ancien fonctionnaire ou, en l’occurrence, d’un ancien membre d’une institution communautaire.

134
Il s’ensuit que le recours doit être rejeté comme non fondé.

135
Il n’y a donc pas lieu de statuer sur les autres chefs de conclusions de la requérante tendant à obtenir du Tribunal, d’une part, la reconnaissance de son droit à l’obtention d’une pension de survie et, d’autre part, la fixation du montant mensuel de cette pension à 200 000 BEF (4 957,87 euros).


Sur les dépens

136
Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Toutefois, selon l’article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les dépens exposés par les institutions demeurent à la charge de celles-ci.

137
En application par analogie de ces dispositions au présent litige (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 12 décembre 1989, Kontogeorgis/Commission, C-163/88, Rec. p. 4189, point 17), il convient de décider que chaque partie supportera ses propres dépens.


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)
Le recours est rejeté.

2)
Chaque partie supportera ses propres dépens.

Meij

Forwood

Legal

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 avril 2004.

Le greffier

Le président

H. Jung

A. W. H. Meij


1
Langue de procédure : le français.