Language of document : ECLI:EU:C:2020:514

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 2 juillet 2020 (1)

Affaire C826/18

LB,

Stichting Varkens in Nood,

Stichting Dierenrecht,

Stichting Leefbaar Buitengebied

contre

College van burgemeester en wethouders van de gemeente Echt-Susteren,

autre partie à la procédure :

Sebava BV

[demande de décision préjudicielle du rechtbank Limburg (tribunal du Limbourg, Pays‑Bas)]

« Renvoi préjudiciel – Convention d’Aarhus – Article 6 – Droits de participation – Procédure de participation du public – Article 2, paragraphes 4 et 5 – Public et public concerné – Champ d’application personnel – Article 9, paragraphes 2 et 3 – Accès à la justice – Intérêt et qualité pour agir – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47 et article 52, paragraphe 1 – Droit à une protection juridictionnelle effective – Directive 2011/92/UE – Articles 6 et 11 – Directive 2010/75/UE – Articles 24 et 25 – Condition de participation préalable – Autonomie procédurale »






I.      Introduction

1.        En droit néerlandais, toute personne a le droit de prendre part à une procédure de participation du public conduisant à l’adoption d’une décision concernant une activité environnementale. En revanche, l’accès à la justice pour contester une décision administrative finale adoptée dans le cadre de cette procédure est soumis à deux conditions cumulatives. Premièrement, la personne doit être un intéressé dont les intérêts sont directement affectés par la décision en question. Deuxièmement, cette personne doit avoir pris part à la procédure de participation du public en présentant des observations au sujet du projet de décision, sauf s’il ne peut raisonnablement lui être reproché de ne pas l’avoir fait.

2.        Énoncées en ces termes, les règles nationales semblent aboutir à une divergence considérable entre le champ d’application personnel des deux cadres procéduraux : une phase administrative très ouverte et une phase judiciaire beaucoup plus restreinte. Cela soulève naturellement la question du sort des personnes exclues. Qu’en est-il des personnes qui soit ne sont pas directement affectées, soit n’ont pas présenté d’observations au cours de la procédure de participation du public ? Ces personnes sont-elles totalement exclues de l’accès à la justice garanti au titre de la convention d’Aarhus (2) ou de dispositions du droit de l’Union ?

II.    Le cadre juridique

A.      La convention d’Aarhus

3.        La convention d’Aarhus a été signée à Aarhus le 25 juin 1998 par ce qui était alors la Communauté européenne et a par la suite été approuvée par la décision 2005/370 (3).

4.        En vertu de l’article 6, paragraphe 1, sous a), de la convention d’Aarhus, la décision d’autoriser des activités environnementales énumérées à l’annexe I est soumise à la procédure de participation du public décrite à l’article 6, paragraphes 2 à 11. L’article 9, paragraphe 2, de la convention régit l’accès à la justice en vue de contester les décisions qui ont été soumises à la procédure de participation du public visée à l’article 6. Pour définir leur champ d’application personnel, l’article 6 et l’article 9, paragraphe 2, emploient les termes « public » et « public concerné ». Ces termes sont respectivement définis à l’article 2, paragraphes 4 et 5, de la convention.

B.      Le droit de l’Union

5.        Avant l’adoption de la décision 2005/370, la Communauté européenne, à l’époque, avait adopté la directive 2003/35/CE (4). Cette dernière a modifié deux directives existantes afin d’aligner correctement les règles communautaires sur la convention d’Aarhus, et en particulier sur l’article 6 et l’article 9, paragraphes 2 et 4, de celle‑ci (5). Ces directives ont été remplacées depuis par la directive 2010/75/UE (6) et la directive 2011/92/UE (7), telle que modifiée par la directive 2014/52/UE (ci‑après la « directive 2011/92 ») (8).

6.        L’article 6 et l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus ont été respectivement transposés par les articles 6 et 11 de la directive 2011/92, par les dispositions combinées de l’article 24 et de l’annexe IV ainsi que par l’article 25 de la directive 2010/75. Les termes « public » et « public concerné », qui figurent également dans ces dispositions, sont respectivement définis à l’article 1er, paragraphe 2, sous d) et e), de la directive 2011/92 et à l’article 3, points 16 et 17, de la directive 2010/75.

C.      Le droit néerlandais

7.        À la lecture de la décision de renvoi et sous le bénéfice des précisions apportées par le gouvernement néerlandais à l’audience, je comprends les dispositions pertinentes du droit néerlandais de la façon suivante.

8.        L’activité contestée au principal a été soumise à la procédure préparatoire publique prévue à l’article 3.4 de l’Algemene wet bestuursrecht (code administratif, ci‑après l’« Awb »). Cette procédure est une procédure de participation du public au sens de l’article 6 de la convention d’Aarhus.

9.        La procédure préparatoire publique visée par l’Awb implique que, dans l’hypothèse de la présentation d’une demande de permis, l’autorité compétente doit tout d’abord adopter un projet de décision relatif à sa position sur la demande en question. Le projet de décision doit être communiqué, par des moyens appropriés, à quiconque en fait la demande et, conformément à l’article 3.12, paragraphe 5, de la Wet algemene bepalingen omgevingsrecht (loi portant des dispositions générales de droit de l’environnement, ci‑après la « Wabo »), quiconque le souhaite  peut formuler des observations sur le projet de décision.

10.      Je relève que le gouvernement néerlandais a expressément confirmé à l’audience que, en vertu de la Wabo, quiconque signifie littéralement tout un chacun, toute personne physique ou morale, sans limitations, d’ordre géographique ou autre. Ainsi, un Tchèque résidant en République tchèque, un Danois résidant au Danemark ou un Chinois résidant en Chine ont, en principe, tous le droit de participer, en vertu du droit néerlandais, dans le cadre de la procédure de participation du public relative à l’activité demandée au principal.

11.      Le gouvernement néerlandais a expliqué en outre qu’en ouvrant la procédure préparatoire publique à quiconque souhaite y participer, il entendait enrichir autant que possible le débat entre les autorités compétentes et le public. Ce gouvernement entendait également décharger les autorités administratives (locales) de l’obligation de déterminer, dans chaque cas particulier, quelle partie du public était susceptible d’être concernée par l’activité envisagée en question et quelle partie du public ne l’était pas.

12.      De surcroît, le gouvernement néerlandais considère qu’il découle en fait de l’article 6, paragraphe 7, de la convention d’Aarhus que quiconque a le droit de prendre part aux procédures de participation du public soumises à l’article 6 de ladite convention.

13.      L’autorité administrative prend ensuite, après l’achèvement de la procédure de participation du public, une décision finale concernant l’activité demandée. La possibilité de contester la légalité formelle et matérielle d’une telle décision devant un tribunal est subordonnée à deux conditions cumulatives en droit néerlandais. Ces conditions réduisent considérablement le nombre des requérants par rapport à la phase administrative ayant abouti à l’adoption de cette décision.

14.      En premier lieu, aux termes de l’article 8:1 de l’Awb, le requérant doit être un « belanghebbende » (intéressé) au sens de l’article 1:2 de cette loi, à savoir une personne qui est directement affectée dans ses intérêts par la décision. En vertu de l’article 1:2, paragraphe 3, de l’Awb, les associations qui œuvrent en faveur de la protection de l’environnement sont toujours considérées comme des intéressés.

15.      Je relève que le terme « intéressé » ne figure pas à l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus qui emploie quant à elle l’expression « membres du public concerné [...] ayant un intérêt suffisant pour agir ou [...] faisant valoir une atteinte à un droit ». Il me semble, à la lecture de la décision de renvoi, que le terme « belanghebbende » (intéressé) au sens de l’Awb constitue la transposition de cette expression de l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus. Par conséquent, une personne qui n’est pas un intéressé au sens de l’article 1:2 de l’Awb n’est pas considérée comme relevant du « public concerné » au sens de l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus.

16.      En second lieu, il ressort de l’article 6:13 de l’Awb que l’intéressé doit également avoir participé à la procédure préparatoire publique en faisant valoir son point de vue quant à l’activité en question, sauf s’il ne peut raisonnablement lui être reproché de ne pas l’avoir fait.

17.      Selon le gouvernement néerlandais, cette seconde condition vise à accroître l’efficacité des procédures administratives et, partant, l’efficacité des procédures judiciaires. La participation à la procédure préparatoire publique permet de repérer les points litigieux à un stade précoce du processus décisionnel, ce qui améliore la qualité de ce processus. Il est ainsi possible d’éviter des actions en justice ou, si elles sont engagées, cela devrait contribuer à les rendre plus efficaces.

18.      En ce qui concerne l’exception à cette règle (correspondant à l’hypothèse où il ne peut pas raisonnablement être reproché à la partie en cause de ne pas avoir participé), le gouvernement néerlandais a expliqué lors de l’audience qu’elle visait le cas où la non‑participation était justifiée. En vertu de la jurisprudence nationale, il en est ainsi, par exemple, lorsque la publication du projet de décision est entachée d’un vice ; lorsque la décision adoptée est différente du projet de décision publié et que la différence a des conséquences négatives pour l’intéressé ; ou lorsque, en raison d’un déménagement, une personne n’acquiert la qualité d’intéressé qu’après l’expiration du délai imparti pour présenter des observations sur le projet de décision.

19.      Enfin, en ce qui concerne le lien entre les deux conditions de recevabilité, le gouvernement néerlandais a précisé à l’audience qu’une partie qui a participé à la procédure préparatoire publique conformément à la Wabo, mais qui n’est pas un intéressé au sens de l’Awb, ne sera pas habilitée à attaquer en justice la décision ultérieure, même si cette partie a participé en présentant des observations au cours de la phase préparatoire.

III. Les faits, la procédure nationale et les questions préjudicielles

20.      En 2016, Sebava BV a adressé au College van burgemeester en wethouders van de gemeente Echt-Susteren (collège des bourgmestre et échevins de la commune d’Echt-Susteren, Pays-Bas, ci‑après le « défendeur ») une demande relative à la construction d’une nouvelle étable pour 855 truies, au remplacement, dans les étables existantes, de cochettes par des truies en maternité et à la construction d’un parcours pour truies couvert.

21.      La demande a été soumise par le défendeur à la procédure préparatoire publique uniforme, au sens de l’article 3.4 de l’Awb. La juridiction de renvoi confirme que cette procédure est une procédure de participation du public au sens de l’article 6 de la convention d’Aarhus.

22.      Le défendeur a mis un exemplaire de la demande déposée et d’autres pièces annexes à la disposition du public pour consultation. Un avis y afférent a été publié dans le Nederlandse Staatscourant (journal officiel néerlandais). La demande a également été publiée dans le Gemeenteblad (bulletin communal) de la commune défenderesse.

23.      Le 28 septembre 2017, le défendeur a délivré le permis demandé et fait publier un avis à ce propos dans le Nederlandse Staatscourant.

24.      La décision d’octroi du permis a été attaquée devant la juridiction de renvoi, le rechtbank Limburg (tribunal du Limbourg, Pays-Bas) par quatre requérantes. La première requérante est une personne physique qui exerce la profession de vétérinaire (ci‑après la « première requérante »). Elle est également membre du conseil d’administration, secrétaire et présidente de plusieurs groupes d’intérêts qui œuvrent en faveur du bien-être animal. Les trois autres requérantes sont des associations de défense de l’environnement (ci‑après les « trois associations requérantes », collectivement les « quatre requérantes »).

25.      Les quatre requérantes ont admis devant la juridiction de renvoi qu’elles n’avaient pas présenté d’observations à l’encontre du projet de décision du défendeur. Toutefois, elles font valoir que cela ne peut pas raisonnablement leur être reproché, car le défendeur n’avait pas notifié correctement le projet de décision. Les quatre requérantes demandent par conséquent à la juridiction de renvoi d’annuler la décision attaquée, afin qu’elles puissent encore présenter des observations à l’encontre du projet de décision.

26.      En ce qui concerne le recours formé par la première requérante, la juridiction de renvoi considère qu’il doit être déclaré irrecevable par application de l’article 8:1 et de l’article 1:2 de l’Awb. À ses yeux, la première requérante n’est pas un intéressé au sens de ces dispositions. La juridiction de renvoi constate que la première requérante a intenté le recours à titre personnel, étant donné qu’elle n’a fait état de ses qualités de membre du conseil d’administration, de secrétaire et de présidente de plusieurs groupes d’intérêts que bien après l’expiration du délai de recours. En outre, elle réside à une certaine distance de la porcherie à construire et, par conséquent, elle ne subit pas les effets éventuels de ce projet en matière d’occupation des sols ou en matière environnementale.

27.      En ce qui concerne le recours formé par les trois associations requérantes, la juridiction de renvoi considère que, en leur qualité d’associations de défense de l’environnement, elles sont effectivement des intéressés au regard de l’article 1:2, paragraphe 1, de l’Awb. Toutefois, elles n’ont pas émis d’objections à l’encontre du projet de décision. Il ressort de l’article 6:13 de l’Awb qu’un intéressé qui peut raisonnablement se voir reprocher de ne pas avoir formulé d’observations durant la procédure préparatoire ne peut former de recours devant le tribunal administratif.

28.      C’est dans ce contexte factuel et juridique que le rechtbank Limburg (tribunal du Limbourg) a décidé de surseoir à statuer et de poser les questions préjudicielles suivantes à la Cour :

« 1)      Faut-il interpréter le droit de l’Union et, en particulier, l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus en ce sens qu’ils s’opposent à ce que le “public” (c’est‑à‑dire tout un chacun) soit totalement exclu du droit d’accès à la justice, dans la mesure où il ne constitue pas le “public concerné” (autrement dit les “intéressés”) ?

En cas de réponse affirmative à la première question :

2)      Faut-il interpréter le droit de l’Union et, en particulier, l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus en ce sens qu’il en ressort que le “public” (tout un chacun) doit se voir reconnaître un accès à la justice lorsqu’est alléguée une violation d’exigences procédurales et de droits de participation en faveur dudit public, tels que prévus par l’article 6 de ladite convention ?

La circonstance que les membres du “public concerné” (intéressés) jouissent d’un accès à la justice sur ce point et aient, en plus, qualité pour contester la légalité d’un acte au fond est-il un aspect dont il est important de tenir compte à cet égard ?

3)      Faut-il interpréter le droit de l’Union et, en particulier, l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus en ce sens qu’ils s’opposent à ce que l’accès à la justice du “public concerné” (intéressés) soit subordonné à l’usage de la possibilité de participation telle que prévue par l’article 6 de la convention d’Aarhus ?

En cas de réponse négative à la troisième question :

4)      Faut-il interpréter le droit de l’Union et, en particulier, l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’une disposition de droit national dénie le droit d’agir en justice contre une décision aux membres du “public concerné” (intéressés) auxquels on peut raisonnablement reprocher de ne pas avoir formulé des observations à l’encontre du projet de décision (ou de certains aspects de celui‑ci) ?

En cas de réponse négative à la quatrième question :

5)      Suffit-il que le juge national se prononce, en considérant les circonstances de la cause, sur ce que signifie l’expression “à qui l’on peut raisonnablement reprocher” ou doit-il tenir compte, à cet égard, de garanties déterminées prévues par le droit de l’Union ?

6)      Dans quelle mesure les troisième, quatrième et cinquième questions appellent-elles une réponse différente si elles concernent le “public” (tout un chacun), par opposition au “public concerné” (intéressés) ? »

29.      Des observations écrites ont été présentées par les gouvernements néerlandais, danois, l’Irlande, le gouvernement suédois ainsi que par la Commission européenne. Le défendeur a indiqué qu’il souscrivait aux observations présentées par le gouvernement néerlandais. Les quatre requérantes au principal, le défendeur, l’Irlande, le gouvernement néerlandais et la Commission ont participé à l’audience qui s’est tenue le 30 janvier 2020.

IV.    Appréciation

30.      Les présentes conclusions sont structurées comme suit. Je commencerai par recenser les dispositions applicables de la convention d’Aarhus et des directives 2010/75 et 2011/92 (A). J’analyserai ensuite la compatibilité avec ces instruments des deux conditions auxquelles le droit néerlandais subordonne la qualité pour agir, à savoir la condition tenant au fait d’être un intéressé (B), et la condition tenant à la présentation d’observations dans le cadre de la procédure de participation du public (C).

A.      Le droit applicable : la convention d’Aarhus, les directives 2010/75 et 2011/92

31.      La juridiction de renvoi considère que les dispositions relatives à la participation du public qui figurent à l’article 6 de la convention d’Aarhus, à l’article 6 de la directive 2011/92 et à l’article 24 de la directive 2010/75 sont applicables au litige au principal.

32.      Il semble que cela soit effectivement le cas pour ce qui est de la convention d’Aarhus et de la directive 2010/75. Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, sous a), de la convention d’Aarhus, l’article 6 est applicable lorsqu’il s’agit de décider d’autoriser ou non des activités proposées du type de celles énumérées à l’annexe I. L’annexe I, point 15, sous c), mentionne les installations destinées à l’élevage intensif de porcs disposant de plus de 750 emplacements pour truies. Aux termes de l’article 10 de la directive 2010/75, les dispositions relatives à la participation du public qui figurent à l’article 24 de cette directive s’appliquent aux activités énumérées à son annexe I. Le point 6.6, sous c), de cette annexe mentionne l’élevage intensif de porcs avec plus de 750 emplacements pour les truies.

33.      En revanche, il n’est pas évident à première vue que les activités en cause au principal relèvent des activités visées par la directive 2011/92. En vertu de l’annexe I, point 17, sous c), et de l’annexe II, point 1, sous c), de cette directive, celle-ci est applicable aux installations destinées à l’élevage intensif de porcs disposant de plus de 900 emplacements pour truies et aux projets d’hydraulique agricole. Cela étant, c’est naturellement à la juridiction nationale qu’il appartient de trancher le point de savoir si « la construction d’une nouvelle étable pour 855 truies, le remplacement, dans les étables existantes, de cochettes par des truies en maternité et la construction d’un parcours pour truies couvert » relèvent également de cette disposition ou d’une autre disposition de la directive 2011/92, et ce en tenant compte des conditions techniques détaillées de cette activité.

34.      La Cour ne disposant pas des éléments de fait nécessaires pour porter une appréciation définitive sur l’applicabilité de la directive 2011/92, je pars de l’idée que, comme l’a indiqué la juridiction de renvoi, cette directive est également applicable au litige au principal.

35.      Par ailleurs, la juridiction de renvoi se réfère expressément au seul article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus dans les six questions posées à la Cour. Au vu de la décision de renvoi, la mention du « droit de l’Union » dans la formulation des questions doit cependant être entendue comme couvrant également l’article 11 de la directive 2011/92 et l’article 25 de la directive 2010/75. Ces deux dispositions correspondent, en substance, à l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus.

36.      En ce qui concerne l’interprétation de ces instruments de droit dérivé, les articles 6 et 11 de la directive 2011/92 ainsi que les articles 24 et 25 de la directive 2010/75 doivent être interprétés à la lumière des dispositions correspondantes de l’article 6 et de l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus. Étant donné que le législateur de l’Union a entendu assurer la cohérence du droit de l’Union à la convention d’Aarhus, il convient de tenir compte du texte et de l’objet de ladite convention aux fins de l’interprétation de ces directives (9).

37.      Par conséquent, le droit dérivé de l’Union qui a été adopté dans ce domaine est lié, d’une manière ou d’une autre, à la convention d’Aarhus. J’estime donc qu’il est utile d’analyser les questions posées par la juridiction nationale à la lumière des dispositions pertinentes de la convention d’Aarhus, en particulier de son article 6 et de son article 9, paragraphe 2, et de ne prendre en considération les dispositions correspondantes des articles 6 et 11 de la directive 2011/92 ainsi que des articles 24 et 25 de la directive 2010/75 que lorsque ces dispositions s’écartent du texte de la convention d’Aarhus. En principe, il peut en être ainsi dans deux situations.

38.      Premièrement, l’article 3, paragraphe 5, de la convention d’Aarhus autorise les parties contractantes à introduire des mesures prévoyant des droits plus étendus que ceux qui sont établis dans la convention. Deuxièmement, il est effectivement possible qu’il y ait une discordance entre la convention d’Aarhus et des règles de droit dérivé de l’Union en ce qui concerne une disposition spécifique. De fait, la juridiction de renvoi considère qu’il y a une discordance ou une contradiction entre la portée des droits de participation accordés au « public » dans les deux directives, d’une part, et dans la convention d’Aarhus, d’autre part.

B.      L’accès du « public » à la justice

39.      Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande si l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus, l’article 11 de la directive 2011/92 ou l’article 25 de la directive 2010/75 s’opposent à ce que le « public » soit totalement exclu du droit d’accès à la justice dans la mesure où il ne constitue pas le « public concerné » au sens de ces instruments.

40.      Ces questions se rapportent à la situation de la première requérante, la personne physique qui relève, de l’avis de la juridiction de renvoi, du « public », mais pas du « public concerné ». En revanche, les trois associations requérantes sont considérées comme des « intéressés » au regard de l’article 1:2, paragraphe 3, de l’Awb (10). Elles ont, dès lors, un « intérêt suffisant pour agir » au sens de l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus et ne sont pas concernées par les première et deuxième questions.

41.      Les première et deuxième questions de la juridiction de renvoi reposent sur l’hypothèse que l’article 6 de la convention d’Aarhus confère des droits de participation au grand « public », indépendamment du point de savoir s’il relève également du « public concerné ». La juridiction de renvoi indique ainsi que l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus semble s’appliquer uniquement au « public concerné », si bien que la première requérante n’aurait pas qualité pour agir en vertu de cette disposition. Toutefois, la juridiction de renvoi se demande si une telle interprétation peut être retenue compte tenu du fait que l’article 6 de la convention accorde plusieurs droits procéduraux non seulement au « public concerné », mais au grand « public ». À cet égard, la juridiction de renvoi cite l’article 6, paragraphes 3, 7 et 9, de la convention.

42.      Pour apprécier si l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus s’oppose à ce que le grand « public » soit totalement exclu du droit d’accès à la justice, il faut déterminer, tout d’abord, le champ d’application personnel de cette disposition (1). L’article 9, paragraphe 2, constituant le mécanisme de contrôle juridictionnel des droits de participation prévus à l’article 6 de la convention, il faut ensuite analyser le champ d’application personnel des droits de participation visés à l’article 6 (2).

1.      Le champ d’application personnel de l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus

43.      Le libellé de l’article 9, paragraphe 2, est assez clair : cette disposition confère un droit d’accès à la justice aux seules personnes qui relèvent du « public concerné », et non au (grand) « public ».

44.      La convention d’Aarhus définit spécifiquement les deux notions. En vertu de l’article 2, paragraphe 4, le terme « public » désigne, en substance, toute personne. En vertu de l’article 2, paragraphe 5, le « public concerné » est un sous-ensemble du public. L’expression vise uniquement le « public qui est touché ou qui risque d’être touché par les décisions prises en matière d’environnement ou qui a un intérêt à faire valoir à l’égard du processus décisionnel ».

45.      Sur le plan de son objectif, l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus vise certes à garantir un large accès à la justice dans le cadre de la convention (11).  Toutefois, cet objectif ne saurait être extrait de son contexte pour reformuler le libellé clair de l’article 9, paragraphe 2. L’économie et la logique de l’article 9, paragraphe 2, considéré dans le contexte d’autres dispositions de la convention d’Aarhus, corroborent cette thèse.

46.      En premier lieu, les auteurs de la convention d’Aarhus ont choisi de ne pas instaurer une actio popularis en matière d’environnement. Comme l’avocate générale Sharpston l’a déjà souligné (12), c’est parce que la voie de l’actio popularis a été rejetée au cours des négociations relatives à la convention que les auteurs de la convention d’Aarhus ont choisi de renforcer le rôle des organisations non gouvernementales (ONG) de protection de l’environnement qui, conformément à l’article 2, paragraphe 5, et à l’article 9, paragraphe 2, sont toujours considérées comme faisant partie du « public concerné » et comme ayant un intérêt suffisant pour agir (13). Si l’article 9, paragraphe 2, était désormais interprété en ce sens qu’il confère subitement la qualité pour agir au grand « public », cela remettrait en cause cette logique et ce compromis.

47.      En deuxième lieu, il y a la différence entre l’article 9, paragraphe 2, et l’article 9, paragraphe 3 : il semble que lorsque les rédacteurs de la convention d’Aarhus ont entendu accorder l’accès à un tribunal au grand « public », et pas uniquement au « public concerné », ils ont eu la possibilité de l’indiquer expressément. Cela est illustré par le libellé de l’article 9, paragraphe 3, qui confère des droits aux personnes relevant du « public », sans autres précisions.

48.      En troisième lieu, l’article 9, paragraphe 2, et l’article 9, paragraphe 3, sont cependant des dispositions distinctes de la convention. L’article 9, paragraphe 2, renvoie à l’article 6. De plus, il ressort de l’économie de l’article 9 dans son ensemble que la disposition relative au contrôle juridictionnel afférent à l’article 6 est l’article 9, paragraphe 2, tout comme l’article 9, paragraphe 1, l’est pour l’article 4.

49.      Qui plus est, les termes liminaires de l’article 9, paragraphe 3, sont : « En outre, et sans préjudice des procédures de recours visées aux paragraphes 1 et 2 ci‑dessus, chaque partie veille [...] ». Ce libellé et la logique structurelle de l’article 9 de la convention d’Aarhus indiquent que l’article 9, paragraphe 3, ne vise pas à régir le contrôle afférent aux droits de participation au titre de l’article 6, mais vise à régir le contrôle afférent à d’autres droits conférés par d’autres dispositions de la convention (ou par le droit national). Contrairement au gouvernement danois et à la Commission, je ne considère dès lors pas que l’article 9, paragraphe 3, régisse le droit d’accès à la justice pour ce qui est des droits de participation prévus à l’article 6 de la convention, ou les décisions issues de la procédure de l’article 6.

50.      Si tel était effectivement le cas, quelle serait alors la finalité de l’article 9, paragraphe 2, et des conditions ou règles qu’il énonce (ou, d’ailleurs, qui sont énoncées à l’article 9, paragraphe 1), si absolument tout ce qui est visé par ces dispositions était immédiatement primé par l’article 9, paragraphe 3, qui a vocation à l’exhaustivité ?

51.      En résumé, l’article 9, paragraphe 2, confère, par lui‑même, un droit d’accès à la justice non pas au « public », mais seulement au « public concerné ». La même conclusion s’impose pour ce qui est de l’article 11 de la directive 2011/92 et de l’article 25 de la directive 2010/75, qui ont tous deux des termes identiques, à cet égard, à ceux de l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus.

52.      Toutefois, il se pose la question de l’articulation entre l’article 9, paragraphe 2, et l’article 6. En effet, le texte de l’article 6 mentionne parfois le « public » et pas uniquement le « public concerné ». C’est l’aspect que j’aborde maintenant.

2.      Le champ d’application personnel de l’article 6 de la convention d’Aarhus

53.      La plupart des dispositions de l’article 6, et notamment sa disposition clé qui figure au paragraphe 2, confèrent des droits de participation au seul « public concerné ». C’est le « public concerné » qui, en vertu de l’article 6, paragraphe 2, doit être informé de l’activité proposée dans le cadre du processus décisionnel touchant l’environnement et qui, en vertu de l’article 6, paragraphe 6, doit ensuite pouvoir consulter toutes les informations présentant un intérêt pour le processus décisionnel. En outre, l’article 6, paragraphe 5, indique que c’est à nouveau le « public concerné » qui doit être identifié par quiconque a l’intention de déposer une demande d’autorisation, avant le dépôt de celle‑ci, afin d’engager la discussion avec lui et de l’informer de l’objet de la demande qu’il envisage de présenter.

54.      Toutefois, ainsi que le relève la juridiction de renvoi, les paragraphes 3, 7 et 9 de l’article 6 emploient le terme « public », et pas uniquement l’expression « public concerné » (14). Cela soulève effectivement la question de savoir si l’article 6 confère des droits de participation au grand « public », indépendamment du point de savoir s’il relève ou non du « public concerné » et, dans l’affirmative, si l’article 9, paragraphe 2, impose néanmoins aux parties contractantes, en dépit de la conclusion préliminaire formulée ci‑dessus, de veiller à ce que le « public » ait qualité (même limitée) pour agir afin de faire valoir ces droits.

a)      L’article 6, paragraphes 3 et 9

55.      L’article 6, paragraphe 3, impose aux autorités publiques l’obligation de prévoir des délais raisonnables pour les différentes étapes de la procédure de participation du public, afin que le « public » soit, tout d’abord, informé et qu’il puisse, ensuite, se préparer et participer effectivement aux travaux.

56.      Selon moi, la mention du « public » dans cette disposition s’explique aisément par la nature de cette dernière. Elle concerne une phase au cours de laquelle il est nécessaire de communiquer avec le monde extérieur et où il n’est peut-être ni possible ni raisonnable d’exiger que le « public concerné » soit identifié. Partant, l’information doit simplement être rendue publique. Cette interprétation est corroborée en outre par le fait que l’article 6, paragraphe 3, renvoie à l’article 6, paragraphe 2, lequel concerne uniquement le « public concerné ».

57.      Des considérations similaires peuvent être formulées pour ce qui est de l’article 6, paragraphe 9. Cette disposition oblige les autorités à informer promptement le « public » une fois qu’une décision a été prise et à communiquer la décision au « public ». D’une certaine façon, cette disposition est le pendant de celle de l’article 6, paragraphe 3, mais en aval : si l’article 6, paragraphe 3, impose une diffusion assez large des informations relatives à la procédure de participation du public avant le début de celle‑ci, l’article 6, paragraphe 9, prévoit la même obligation en ce qui concerne les résultats de cette procédure une fois que celle‑ci est achevée.

58.      Il n’y a pas de raison de garder secrets les permis de construire. Il n’en est pas uniquement ainsi du fait de l’obligation générale de transparence et d’ouverture de l’administration publique. Il peut également y avoir, outre le « public concerné » qui a participé au processus décisionnel et qui est connu des autorités publiques lorsqu’elles prennent la décision finale, des personnes relevant du « public concerné » qui n’ont pas participé à ce processus, mais qui entendent néanmoins attaquer la décision à laquelle ce processus a abouti.

59.      Par voie de conséquence, l’ouverture en amont et en aval ainsi que la praticabilité de la procédure de participation du public prévue à l’article 6 expliquent, de manière logique, pourquoi la notion de « public » est utilisée à l’article 6, paragraphes 3 et 9.

b)      Le cas singulier de l’article 6, paragraphe 7

60.      Aux termes de l’article 6, paragraphe 7, la procédure de participation du public prévoit la possibilité pour le « public » de soumettre par écrit ou, selon qu’il convient, lors d’une audition ou d’une enquête publique faisant intervenir l’auteur de la demande toutes observations, informations, analyses ou opinions qu’il estime pertinentes au regard de l’activité proposée.

61.      Il semble que, eu égard au libellé de l’article 6, paragraphe 7, le gouvernement néerlandais considère, tout comme la juridiction de renvoi, que le grand « public » se voit conférer des droits de participation dans le cadre de la procédure de participation du public. Conformément à son libellé et par opposition aux paragraphes 3 et 9, le paragraphe 7 de l’article 6 concerne effectivement la procédure de participation du public elle‑même. Il ne vise ni le stade préparatoire, ni le stade de la publication. En fait, il concerne les échanges eux‑mêmes entre les participants à la procédure publique et l’autorité publique au sujet de l’activité proposée.

62.      Il semble y avoir deux façons différentes d’interpréter l’article 6, paragraphe 7, de la convention d’Aarhus.

63.      La première interprétation de  l’article 6, paragraphe 7, serait celle suggérée par le gouvernement néerlandais, tout au moins en ce qui concerne la première étape de celle‑ci : le terme « public » figurant à l’article 6, paragraphe 7, devrait signifier tout un chacun. Ainsi, toute personne physique ou morale, sans limitations quant à son intérêt ou quant à savoir si elle est individuellement affectée ou quant à son intérêt, se voit conférer un droit de participation au processus décisionnel touchant l’environnement qui est prévu à l’article 6 de la convention d’Aarhus.

64.      Toutefois, pour les raisons exposées en détail ci‑dessous (15), la conséquence logique de cette thèse ne saurait être celle préconisée en droit néerlandais, reconnaissant à chacun le droit de participer, mais ne permettant qu’aux intéressés d’attaquer en justice le résultat de cette participation. La conséquence logique de cette interprétation de l’article 6, paragraphe 7, serait au contraire celle qui est proposée par la Commission et qui est également mentionnée dans le guide d’application (16) : étant donné que l’article 9, paragraphe 2, constitue le moyen d’assurer l’application de l’ensemble des droits au titre de l’article 6 et que l’article 9, paragraphe 2, s’applique uniquement au « public concerné », cela impliquerait que tout membre du « public » qui participe effectivement à une procédure de participation du public en soumettant des observations acquière le statut de membre du « public concerné ». En d’autres termes, selon cette interprétation, l’article 6, paragraphe 7, ouvrirait la porte à un « intérêt acquis en vertu d’une participation » aux fins de l’application de l’article 9, paragraphe 2.

65.      La seconde interprétation consisterait à comprendre l’article 6, paragraphe 7, en ce sens que quiconque (le « public ») a la faculté de s’adresser à l’autorité publique pour se faire connaître et faire connaître son intérêt au processus décisionnel. S’il est interprété dans le contexte global de l’article 6 et de la convention d’Aarhus, l’article 6, paragraphe 7, confère des droits de participation – à savoir des droits qui créent, dans le chef des autorités compétentes, l’obligation correspondante de prendre en considération ces observations conformément à l’article 6, paragraphe 8, et qui sont susceptibles d’être exercés en justice en vertu de l’article 9, paragraphe 2 – uniquement aux personnes qui relèvent du « public concerné ».

66.      Pour plusieurs raisons que je développerai dans les trois sous-sections qui suivent, il me paraît inconcevable que la première interprétation, sous l’une ou l’autre de ses formes possibles, soit judicieuse.

c)      Un droit de participation « global » ?

67.      Premièrement, il y a la logique interne de l’article 6. Si l’article 6, paragraphe 7, était interprété en ce sens qu’il confère un droit de participation à tout un chacun, et pas uniquement au « public concerné », quelles en seraient les implications pour les autres dispositions du même article qui sont, à titre isolé, limitées au « public concerné » ? Qu’en serait-il de leur interaction ? Comment, par exemple, le « public » pourrait-il exercer son droit de présenter des observations sur un projet de décision conformément à l’article 6, paragraphe 7, s’il ne dispose pas du droit préalable d’être informé de l’existence du projet de décision, parce que l’article 6, paragraphe 2, limite ce droit au « public concerné » ? De même, sur quels éléments le « public » devrait-il se fonder pour présenter des observations sur l’activité envisagée, compte tenu du fait qu’il n’a pas le droit de consulter toutes les informations présentant un intérêt pour le projet de décision, étant donné que l’article 6, paragraphe 6, confère uniquement ce droit au « public concerné » ?

68.      Concrètement, l’article 6 doit donc former un tout cohérent. Pour cela, il faut soit élargir la portée de l’expression « public concerné » dans toutes les autres dispositions de l’article 6, pour lui donner en fait le sens de « public », ce qui va à l’encontre du libellé clair de ces dispositions, soit réduire, par voie d’interprétation, le champ d’application de l’article 6, paragraphe 7, pour l’aligner sur le reste de l’article, de sorte que seul le « public concerné » jouirait des droits de participation visés au point 65 ci‑dessus.

69.      À mon sens, le tout cohérent que l’article 6 devrait constituer confère uniquement des droits de participation au « public concerné », et non au « public », et ce pour des raisons tant opérationnelles que de principe.

70.      Sur le plan opérationnel, j’ai quelques difficultés à imaginer comment des procédures et des droits qui sont conçus et prévus pour une certaine communauté de personnes, lesquelles sont raisonnablement susceptibles d’être touchées par l’activité proposée, pourraient s’appliquer à tout un chacun.

71.      Commençons par la communication effective des informations relatives à l’activité proposée conformément à l’article 6, paragraphes 3 et 2 : si cette communication est censée être effectuée non pas seulement à destination du public raisonnablement susceptible d’être concerné, mais – contrairement au libellé de ces paragraphes – à destination du public en général, sans limites spatiales, environnementales ou fondées sur les intérêts, toute activité proposée, quelle qu’elle soit, ne devrait-elle pas être portée à la connaissance du monde entier ? L’avis relatif à toute porcherie de dimensions importantes (aux Pays‑Bas) devrait-il alors être publié dans, par exemple, le Financial Times, The Economist, ou tout autre média à diffusion véritablement mondiale ?

72.      Il est donc relativement clair que le terme « public » utilisé dans les diverses dispositions de l’article 6 doit être entendu dans les limites raisonnables de la finalité à laquelle tend l’ensemble de l’opération : donner au public qui est susceptible d’être concerné une possibilité adéquate de s’informer préalablement et suffisamment tôt sur le processus décisionnel et sur les possibilités de participation concernant les activités projetées (17).

73.      Cet aspect opérationnel est lié à la question de principe : quels intérêts, pour ne pas parler de droits, un Tchèque, un Danois ou un Chinois (18), qui réside à des centaines ou même des milliers de kilomètres de l’activité envisagée, pourrait-il faire valoir en ce qui concerne la construction d’une nouvelle porcherie pour 855 truies à Echt-Susteren, dans le sud-est des Pays‑Bas ?

74.      Certes, la convention d’Aarhus rappelle, dans son préambule, le droit de chacun de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé. De même, les théories expliquant pourquoi les droits environnementaux sont des droits collectifs spéciaux, qui doivent pouvoir être exercés de manière spéciale, ne manquent assurément pas. La convention d’Aarhus elle‑même plaide, dans certaines dispositions générales de son article 3, ainsi que dans d’autres dispositions spécifiques, en faveur d’une participation du public et d’un accès du public à la justice en matière environnementale qui soient aussi larges que possible.

75.      Toutefois, si je concède tout cela, je ne vois toujours pas, de mon point de vue peut-être traditionnel et positiviste, quel intérêt ces Tchèques, Danois ou Chinois pourraient faire valoir dans un cas tel que celui de l’espèce, en ce qui concerne l’activité environnementale concrète envisagée au principal. Surtout, de tels droits opposables ne me paraissent pas découler des dispositions de la convention d’Aarhus. Du point de vue de sa logique générale, ainsi que de son contexte, celle‑ci ne saurait être interprétée en ce sens qu’elle confère à chacun le droit de participer au processus décisionnel touchant l’environnement qui est visé à son article 6.

76.      L’interprétation la plus judicieuse de l’article 6, paragraphe 7, considéré isolément, est donc que cette disposition est censée suivre la même logique que le reste de cet article. Pour identifier le « public concerné » dans le cadre d’une procédure de participation du public, les autorités publiques devraient permettre aux personnes relevant du grand « public » de s’adresser aux autorités et d’expliquer en quoi consistent leur intérêt et leur position pour ce qui est du processus décisionnel. Sous cet angle, l’article 6, paragraphe 7, autorise le grand « public » à soumettre des observations aux autorités publiques. Toutefois, cela ne signifie pas que le grand public ait des droits en ce qui concerne la participation effective à cette procédure, ou que les autorités publiques aient des obligations corrélatives. Pour avoir ce droit, « le public » doit relever du « public concerné ».

77.      Par souci d’exhaustivité, il ne semble pas que les rapports du comité d’examen, mentionnés par la juridiction de renvoi, suggèrent une interprétation différente. Il est vrai que ledit comité a constaté que, en limitant le droit de présenter des observations au public concerné, une partie à la convention n’avait pas garanti dans toute leur portée les droits prévus par l’article 6, paragraphe 7. Toutefois, cela était également dû au fait qu’il était exigé que ces observations soient des « propositions motivées », c’est‑à‑dire qu’elles devaient contenir une argumentation raisonnée, obligation qui était peut-être excessivement lourde pour la procédure (administrative) de participation du public (19). De même, l’article 6, paragraphe 8, de la convention d’Aarhus oblige les autorités publiques à « examiner de près toutes les observations reçues » aux fins de leur décision (20). Toutefois, ces conclusions ne traitent pas véritablement du champ d’application de l’article 6, paragraphe 7, en ce qui concerne le « public » et la définition de ce public dans le contexte global de l’article 6 de la convention d’Aarhus.

78.      Enfin, et à titre très subsidiaire, l’interprétation que je propose de la convention d’Aarhus garantit également une interprétation conforme et cohérente avec les directives 2011/92 et 2010/75. Je relève que les directives 2011/92 et 2010/75 ne confèrent de droits de participation au « public » que dans la mesure où il fait partie du « public concerné ». Ainsi, si le droit d’être informé du projet de décision est accordé au grand « public » dans ces directives (21), le droit de présenter des observations ainsi que tous les autres droits de participation sont accordés au seul « public concerné » (22).

79.      L’approche et les distinctions logiques opérées dans les directives, qui reflètent pour l’essentiel l’interprétation de l’article 6, paragraphe 7, de la convention d’Aarhus par le législateur de l’Union, semblent cohérentes. Si chacun (le « public ») a le droit d’être informé d’un projet de décision, seul le « public concerné », c’est-dire le public qui est effectivement touché ou qui risque d’être touché ou qui a un intérêt à faire valoir, a le droit de participer activement à la procédure.

80.      Enfin, même s’il est quelquefois relevé que la législation de l’Union en général et certaines dispositions du droit de l’Union en particulier sont en contradiction avec des dispositions de la convention d’Aarhus (23), ce n’est manifestement pas le cas ici. Au contraire, il me semble que le législateur de l’Union a évalué et transposé les obligations découlant du droit international d’une manière plutôt rationnelle, sans rester en deçà des conditions minimales énoncées à l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus. Par conséquent, je ne considère pas, contrairement à la juridiction de renvoi, qu’il y ait une discordance ou une contradiction entre le champ d’application des directives et celui de la convention d’Aarhus sur ce point.

d)      Les droits de participation au titre de l’article 6, leges imperfectae ?

81.      Il convient de relever que la législation néerlandaise en question est tout de même un peu plus nuancée. D’une part, le gouvernement néerlandais affirme que le terme « public » au sens de cette disposition devrait désigner tout un chacun. Ainsi, comme le démontre également la transposition que cette obligation a reçue en droit national, chacun a le droit de présenter des observations et de prendre part à la procédure de participation du public prévue à l’article 6 de la convention d’Aarhus. Toutefois, seuls les intéressés, à savoir le « public concerné », ont accès à la justice.

82.      Si cette approche était suivie dans l’interprétation des dispositions pertinentes de la convention d’Aarhus, cela voudrait dire que l’article 6, paragraphe 7, voire l’article 6 dans son ensemble, conférerait à tout un chacun le droit de participer à la prise de décision en matière d’environnement. Cependant, seules les personnes visées à l’article 9, paragraphe 2, de la convention, à savoir le « public concerné », auraient alors accès à la justice. De plus, la participation effective au titre de l’article 6 n’intéresserait pas le champ d’application de l’article 9, paragraphe 2 : le « public » au sens de l’article 6, paragraphe 7, ne pourrait jamais acquérir le statut de « public concerné » au sens de l’article 9, paragraphe 2, même si ce public participait pleinement au processus décisionnel en matière d’environnement.

83.      Je rappelle a) que l’article 9, paragraphe 2, régit expressément la légalité matérielle et procédurale des décisions soumises à la procédure de participation de l’article 6, b) que l’article 9, paragraphe 2, ne s’applique qu’au « public concerné » et c) que l’article 9, paragraphe 3, ne régit pas la légalité des décisions soumises à la procédure de l’article 6 (24). En d’autres termes, considérer que l’article 6 confère des droits de participation au grand « public » engendrerait une situation dans laquelle la convention créerait des droits de participation pour le « public », sans que l’article 9 de la convention ne comporte de mécanisme correspondant pour faire respecter de tels droits.

84.      Par voie de conséquence, il y aurait deux catégories de participants au processus décisionnel en matière d’environnement qui se déroule auprès d’une autorité administrative en vertu de la convention d’Aarhus : ceux qui jouissent de droits opposables et ceux qui ne disposent d’aucun droit opposable. Cette dernière catégorie aurait le droit de s’exprimer et de participer. Toutefois, il n’existerait en pratique aucun mécanisme permettant de faire respecter ces droits. Certes, il faut partir du principe que toutes les autorités administratives de tous les États membres se comportent de manière irréprochable. Toutefois, à supposer que l’une ou plusieurs d’entre elles ne se conforment pas toujours à cet idéal, absolument rien n’empêcherait une telle autorité administrative moins angélique de jeter immédiatement à la poubelle tout ce qui lui est adressé par le « public » qui n’est pas le « public concerné ».

85.      Une telle conception me paraît indéfendable et je partage à cet égard le point de vue de la Commission (25). En vertu de la convention d’Aarhus et, surtout, du droit de l’Union en général (26) ou, d’ailleurs, de tout système juridique digne de ce nom, pour qu’il y ait un droit, il faut qu’il y ait une voie de recours. S’il n’existe aucune possibilité de faire respecter l’obligation corrélative de l’autre partie, en l’occurrence l’autorité publique, il n’y a, par définition, pas de droit. Il pourra s’agir d’un cadeau, d’une faveur, voire d’un acte charitable, mais guère d’un droit. Par conséquent, si le droit de l’Union ou, d’ailleurs, une convention internationale à laquelle l’Union est partie, à laquelle elle adhère et qu’elle applique dans le cadre de l’ordre juridique de l’Union prévoit un droit, un accès à la justice doit être ouvert afin de faire respecter ce droit, soit au moyen de l’instrument en question soit, à défaut, au titre de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte ») (27).

e)      Une légalité purement « procédurale » ou un intérêt du fait de la participation ?

86.      Certes, il se pourrait, tout au moins en théorie, qu’il y ait des positions intermédiaires en ce qui concerne la portée de l’accès à la justice en question.

87.      En premier lieu, que se passerait-il si le grand « public », au sens de l’article 6, paragraphe 7, de la convention d’Aarhus, n’était censé avoir accès à un tribunal que dans la mesure où il a participé au processus décisionnel en matière d’environnement ? De telles personnes ne pourraient alors agir pour sauvegarder leurs droits de participation personnels que dans la mesure où elles les ont exercés, sans être autorisées à attaquer la décision finale ? Subsidiairement, que se passerait-il si elles étaient uniquement autorisées à contester la légalité externe, mais non la légalité interne des décisions issues de la procédure de l’article 6 ?

88.      De telles suggestions trouvent un fondement encore moins solide dans le texte et la structure de la convention d’Aarhus. Elles reviendraient dans les faits à ajouter aux catégories constituées par le « public » et le « public concerné » une troisième catégorie constituée par le « public semi-concerné » (ou « public concerné d’un point de vue procédural »).

89.      De surcroît, je ne pense pas que de telles positions intermédiaires puissent en fait être adoptées. Dans le cadre du premier scénario, la portée du contrôle juridictionnel « à la carte » dépendrait entièrement du choix personnel opéré par le requérant au cours de la phase administrative (28). Le second scénario repose sur une distinction imaginaire (et difficilement applicable en pratique) entre la légalité procédurale et la légalité matérielle des décisions soumises à la procédure de l’article 6 (29). Surtout, encore une fois, une telle distinction ne figure pas dans l’article 9, paragraphe 2, lui‑même. En fait, l’article 9, paragraphe 2, n’exige même pas qu’une partie invoquant uniquement un vice de procédure soit recevable à agir s’il est établi que la décision contestée n’aurait pas été différente sans ce vice (30).

90.      En second lieu, si l’article 6, paragraphe 7, devait être interprété en ce sens que quiconque participe effectivement à la procédure de participation du public relève du « public concerné », une telle condition devrait être appliquée par tous les États parties dans le cadre de la définition de ce qui constitue un intérêt suffisant pour agir ou l’atteinte à un droit au sens de l’article 9, paragraphe 2, pour le « public concerné » autre que les ONG. En d’autres termes, les États parties seraient tenus d’utiliser un critère correspondant à « l’intérêt du fait de la participation » dans le cadre de l’article 9, paragraphe 2.

91.      Toutefois, il ne saurait en être ainsi. L’article 9, paragraphe 2, laisse aux parties contractantes une large marge d’appréciation pour définir ce qui constitue un intérêt suffisant pour agir ou une atteinte à un droit pour le « public concerné » autre que les ONG (31). De plus, la notion d’« intérêt du fait de la participation » porterait atteinte à la raison même des conditions de recevabilité figurant à l’article 9, paragraphe 2. Si tout un chacun était autorisé à participer en vertu de l’article 6, paragraphe 7, et acquérait, de ce fait, qualité et intérêt pour agir au sens de l’article 9, paragraphe 2, simplement parce qu’il a pris part à la procédure de participation, l’article 9, paragraphe 2, s’appliquerait en substance à tout un chacun, ce qui en ferait une actio popularis. Encore une fois, il s’agit cependant d’une solution que les rédacteurs de la convention d’Aarhus ont explicitement rejetée (32).

f)      Conclusion intermédiaire

92.      Si j’ai à cœur de respecter pleinement l’esprit de la convention d’Aarhus et les efforts qu’elle représente pour ce qui est de l’ouverture du processus décisionnel et de l’accès à la justice en matière environnementale, je ne saurais souscrire à l’idée de devoir accorder à tout un chacun, sur le fondement du libellé de l’article 6, paragraphe 7, de la convention isolé du contexte de l’article 6 dans son entier, les droits de participation du public inscrits à l’article 6. Cette conclusion ne repose pas uniquement sur la disposition elle‑même, mais également, comme je l’ai démontré dans les sous-sections précédentes des présentes conclusions, sur les conséquences discutables qu’un tel élargissement aurait sur les autres dispositions de la convention d’Aarhus – en particulier, la question ultérieure de l’accès à la justice. L’objectif louable consistant à accorder un accès plus large en matière environnementale ne saurait être dissocié de la logique générale de l’instrument et de ses limites.

93.      À la lumière de toutes les considérations qui précèdent, je conclus que l’article 6, paragraphe 7, de la convention d’Aarhus doit être interprété en ce sens qu’il ne prévoit des droits de participation pour le « public » que si celui‑ci relève du « public concerné » et que l’article 9, paragraphe 2, de ladite convention ne s’applique lui aussi qu’au « public concerné ». Par conséquent, cette dernière disposition ne s’oppose pas à ce que le grand « public », qui n’est pas considéré comme constituant simultanément le « public concerné », soit exclu du droit d’accès à la justice.

3.      Des droits plus étendus conférés par le droit national

94.      Quelles seraient les conséquences de cette conclusion pour la situation de la première requérante, si elle était considérée uniquement au regard de la convention d’Aarhus et des directives 2010/75 et 2011/92 ? La première requérante est une personne physique, qui exerce la profession de vétérinaire. Elle affirme être personnellement concernée par le bien-être des animaux du fait de sa profession et du serment qu’elle a prêté pour être admise à professer. Toutefois, cela ne constitue pas, en droit national, une atteinte à ses intérêts qui lui conférerait le statut d’intéressée.

95.      En vertu de l’interprétation de la convention d’Aarhus qui a été exposée ci‑dessus, la première requérante fait partie du « public », mais pas du « public concerné ». Elle n’a pas le droit de participer au processus décisionnel touchant l’environnement au titre de l’article 6 de la convention. En outre, elle ne fait apparemment pas partie du « public concerné » au titre du droit national aux fins de l’application de l’article 9, paragraphe 2. Étant donné qu’elle ne jouit pas de droits de participation au titre de l’article 6, l’État partie n’est pas obligé de lui accorder des droits d’accès à la justice en vertu de l’article 9, paragraphe 2. L’article 9, paragraphe 3, ne vise pas à couvrir les actes ou les omissions qui sont déjà régis par l’article 9, paragraphe 2. Aucune obligation supplémentaire ne résulte donc de l’article 9, paragraphe 3. Les directives 2010/75 et 2011/92 ne changent rien à ces conclusions.

a)      Un droit d’accès conféré au « public » par le droit national

96.      Néanmoins, la présente affaire ne s’arrête pas véritablement là. Je rappelle que, conformément à la législation des Pays‑Bas, le droit de participer au processus décisionnel qui est conféré au « public » par cette législation va au-delà du champ d’application de l’article 6, paragraphe 7, de la convention telle qu’interprétée ci‑dessus. En vertu de l’article 3.12, paragraphe 5, de la Wabo, le droit de participer au processus décisionnel s’applique à quiconque le souhaite, sans qu’une distinction soit faite entre le « public concerné » et le « public ». J’en déduis que le droit national confère à toute personne physique ou morale le droit de participer pleinement à la procédure de participation du public (33).

97.      Cela ajoute encore à la complexité de la question. L’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus, l’article 11 de la directive 2011/92 et l’article 25 de la directive 2010/75 ou, en fait, d’autres dispositions du droit de l’Union s’opposent-ils à ce que le « public » soit exclu du droit d’accès à la justice pour ce qui est de la légalité des décisions soumises à la procédure de l’article 6 de la convention, dans des hypothèses où des droits de participation du public plus étendus ont été expressément conférés à ce groupe en vertu du droit national ?

98.      Aux termes de l’article 3, paragraphe 5, de la convention d’Aarhus, les parties peuvent adopter, en droit national, des mesures plus favorables que celles qui sont prévues par la convention, telles que des mesures assurant une participation accrue du public au processus décisionnel visé à l’article 6. La possibilité de prévoir davantage de droits en vertu de la législation nationale se reflète également dans plusieurs dispositions spécifiques de la convention.

99.      Eu égard à l’interprétation de l’article 6 de la convention d’Aarhus, proposée dans la section précédente, selon laquelle les États membres sont obligés de garantir la pleine participation du public uniquement au « public concerné », mais non au grand « public », il semble que le Royaume des Pays‑Bas ait instauré des droits de participation du public plus étendus que ceux qui sont prévus par la convention. Toutefois, cet État membre l’a fait uniquement dans le cas de la participation du public au titre de l’article 6, mais non dans le cas des droits ultérieurs d’accès à la justice au titre de l’article 9, paragraphe 2.

b)      Des droits plus étendus et le champ d’application de la Charte

100. Comment convient-il d’analyser une telle situation au regard du droit de l’Union ? En particulier, de telles dispositions nationales « plus favorables » relèvent-elles « du champ d’application du droit de l’Union » aux fins de l’applicabilité de la Charte ? Est-il alors impératif que l’accès à un tribunal qui est visé à l’article 47, premier alinéa, de la Charte soit accordé aux personnes relevant du grand « public », afin qu’elles puissent bénéficier d’un recours juridictionnel en cas de violation des droits de participation plus étendus qui leur sont conférés par le droit national, mais dans les limites du champ d’application de l’instrument législatif du droit de l’Union ?

101. Il convient de procéder à une analyse en deux étapes pour répondre à ces questions. Premièrement, un État membre qui, sur un point spécifique, va au-delà de ce qui est nécessaire et prend des mesures qui ne sont pas expressément imposées par le droit de l’Union agit-il dans le cadre du champ d’application du droit de l’Union et met-il en œuvre le droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte ? Deuxièmement, l’article 47, premier alinéa, de la Charte est-il alors applicable, au motif que des « droits et libertés garantis par le droit de l’Union » sont en jeu ?

102. En premier lieu, considérer que les dispositions nationales « plus favorables » en cause relèvent du champ d’application de la Charte, conformément à l’article 51, paragraphe 1, de celle‑ci, serait conforme à l’approche en réalité dominante sur cette question. Bien que les règles nationales spécifiques ne soient pas (à proprement parler) imposées par le droit de l’Union, elles relèveront du champ d’application du droit de l’Union si elles mettent en œuvre des dispositions du droit de l’Union qui sont formulées de manière plus large et plus abstraite (34).

103. Il semble possible de soutenir que les mêmes conclusions s’imposent, a fortiori, en ce qui concerne un instrument qui prévoit clairement la faculté pour les États membres d’aller au-delà du strict minimum nécessaire, et intègre en fait dans son cadre général les droits plus étendus et la participation accrue qui sont assurés, comme c’est le cas à l’article 3, paragraphe 5, et à l’article 9, paragraphes 2 ou 3, de la convention d’Aarhus.

104. S’il en était effectivement ainsi, la logique exposée ci‑dessus (35) en ce qui concerne les droits garantis par la convention d’Aarhus serait également applicable : lorsqu’un droit est conféré, même si c’est non par le droit de l’Union, mais par l’État membre dans le cadre du champ d’application du droit de l’Union et en vertu d’un mandat exprès en ce sens, il doit exister un recours en cas de violation de ce droit.

105. Il devrait, a fortiori, en être ainsi pour ce qui est d’une garantie aussi fondamentale que le droit à un recours effectif et à l’accès à un tribunal qui est consacré à l’article 47, premier alinéa, de la Charte. En effet, cet article confère aux particuliers un droit susceptible d’être invoqué en tant que tel (36). Ainsi que le précise la jurisprudence récente de la Cour, l’article 47 de la Charte ne constitue pas une simple cerise sur le gâteau, mais représente le cœur même et la quintessence de tout système régi par l’État de droit (37).

106. Toutefois, dans l’arrêt rendu récemment (par la grande chambre) dans l’affaire TSN et AKT, la Cour a constaté qu’un État membre ne met pas en œuvre le droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte lorsqu’il adopte des dispositions nationales qui relèvent de la compétence retenue des États membres, en vertu d’une disposition du droit de l’Union selon laquelle une directive ne porte pas atteinte à la faculté des États membres d’appliquer des dispositions plus favorables (38).

107. Il semble ressortir de cet arrêt que c’est la micro-analyse de chaque disposition qui compte : « [L]orsque les dispositions du droit de l’Union dans le domaine concerné ne réglementent pas un aspect et n’imposent aucune obligation spécifique aux États membres à l’égard d’une situation donnée, la réglementation nationale qu’édicte un État membre quant à cet aspect se situe en dehors du champ d’application de la Charte et la situation concernée ne saurait être appréciée au regard des dispositions de cette dernière » (39).

108. Je ne peux totalement adhérer aux termes dudit arrêt TSN et AKT, en allant jusqu’à dire que, contrairement à la jurisprudence constante de la Cour, des affaires relèveraient subitement, et quelque peu brutalement, du champ d’application du droit de l’Union ou y échapperaient et que, partant, la Charte serait examinée au niveau de toute disposition du droit dérivé (40). Conformément à cette logique, un certain nombre d’affaires antérieures, dans lesquelles il n’y avait pas de disposition concrète du droit de l’Union régissant le domaine spécifique en cause, mais qui ont néanmoins été considérées comme relevant du champ d’application du droit de l’Union et, partant, de l’application de la Charte, échapperaient subitement au champ d’application de la Charte (41). Cette approche s’écarte également d’autres courants jurisprudentiels plus récents, dans le cadre desquels il a été jugé que la Charte et les garanties qu’elle comporte restaient applicables, dès lors que, comme il a été admis, aucune disposition concrète de droit dérivé ne garantissait un droit spécifique qui s’opposerait à la solution législative prévue en droit national (42).

109. Je peux, cependant, adhérer à la logique fonctionnelle de l’arrêt du 19 novembre 2019, TSN et AKT (C‑609/17 et C‑610/17, EU:C:2019:981). C’est seulement après avoir examiné le niveau d’harmonisation dans un domaine donné, la nature de la compétence de l’Union et, surtout, après avoir énoncé la réserve selon laquelle les « mesures plus favorables » mises en place par la législation nationale ne doivent pas remettre en cause la cohérence de l’intervention du législateur de l’Union dans le domaine en cause que la Cour a formulé l’affirmation rappelée au point 107 des présentes conclusions (43).

110. À mes yeux, la question essentielle qui se pose dans un tel contexte est non pas la question de l’applicabilité de la Charte (et du champ d’application du droit de l’Union), mais celle de la détermination d’un droit spécifique qui serait prévu par le droit de l’Union et qui  déclencherait ensuite la protection de l’article 47, premier alinéa, de la Charte.

111. C’est la raison pour laquelle, en second lieu, même sans vouloir, peut-être, affirmer catégoriquement que tout élément de participation du « public » échappe totalement à l’application du droit de l’Union, il demeure que le droit de l’Union ne garantit pas au « public » de droit de participation qui serait opposable au titre de l’article 47, premier alinéa, de la Charte. Le droit de l’Union ne fait donc effectivement pas obstacle à ce que des membres du « public », qui ne relèvent pas du « public concerné », soient exclus du droit d’accès à la justice. Toutefois, ce n’est pas la raison pour laquelle la Charte ou le droit de l’Union ne sont absolument pas applicables à la présente affaire ; il en est ainsi parce que le droit de l’Union ne prévoit pas, au départ, un tel droit de participation du « public ». Si le droit de l’Union ne confère pas de droit ou de liberté, il n’existera pas de droit correspondant d’accès à un tribunal, au titre de l’article 47, premier alinéa, de la Charte, pour faire respecter un droit inexistant.

112. De fait, j’ai déjà indiqué que, dans de tels cas, l’analyse ne doit pas nécessairement être focalisée sur le champ d’application de la Charte, mais doit rechercher plutôt un droit découlant d’une disposition spécifique du droit de l’Union (44). En l’absence d’un tel droit spécifique et même dans une affaire relevant du champ d’application du droit de l’Union en vertu de l’interprétation extensive, plus traditionnelle, de ce champ d’application, l’incidence du droit de l’Union en la matière sera limitée ou nulle, cet espace réglementaire étant laissé, dans un domaine de compétence partagée, aux États membres. Dans un tel cas, la Cour n’est pas subitement dépourvue de compétence mais conclut que le droit de l’Union ne s’oppose pas au droit national en cause.

113. En résumé, pour toutes les raisons qui précèdent, la réponse que je propose d’apporter à la question de la compatibilité de l’exclusion de membres du « public » qui ne relèvent pas du « public concerné » de l’accès à la justice dans une situation où des droits de participation ont été conférés à  ces membres du public par le droit national serait la suivante.

114. Premièrement, des droits de participation pleins et entiers au titre de l’article 6 de la convention d’Aarhus sont uniquement garantis au « public concerné ». Un tel droit n’est pas garanti au « public » en vertu de cette disposition ou, a fortiori, en vertu d’une autre disposition du droit de l’Union, y compris les directives 2011/92 et 2010/75.

115. Deuxièmement, même si une telle situation n’échappait pas au champ d’application du droit de l’Union et, partant, à l’application de la Charte, il demeure que, dans une telle situation, le droit de l’Union ne prévoit et ne garantit aucun droit. Le contrôle du respect des droits prévus par la législation nationale relève donc des garanties nationales (des droits fondamentaux). Le droit de l’Union ne s’oppose pas à une telle exclusion parce qu’il n’exige pas, au départ, l’extension au grand « public ». Il appartient à la législation nationale de protéger les droits conférés au plan national dans de telles situations.

116. Une dernière remarque s’impose. Une telle solution est compatible non seulement avec la logique de l’ordre juridique complexe et du système, comportant plusieurs niveaux, de protection des droits fondamentaux qu’est l’Union, mais aussi avec les objectifs généraux de la convention d’Aarhus. La participation du public en matière environnementale peut être encouragée et promue de diverses manières. L’une de ces manières pourrait peut-être résider en un certain système de participation du public « à plusieurs vitesses » : afin d’encourager la participation, des droits allant plus loin que ce qui est exigé par la convention d’Aarhus sont conférés à un stade, mais pas nécessairement aux stades suivants.

117. Faire valoir, dans une telle situation, des exigences assez radicales du type « tout ou rien », à savoir que si quelque chose de plus est accordé à un stade (45), tout le reste doit également être accordé, serait, en définitive, contre-productif du point de vue des objectifs poursuivis par la convention d’Aarhus. De fait, aucune bonne action ne reste impunie. Trêve d’ironie, il est probable que, si un tel choix entre « tout ou rien » était prôné pour ce qui est des suppléments facultatifs, la réaction naturelle d’un certain nombre d’États parties serait d’opter pour l’absence de supplément. Néanmoins, cette solution n’est sans doute pas celle vers laquelle devrait tendre une interprétation raisonnable de la portée d’obligations (opposables) résultant d’un instrument qui vise à encourager la participation du public au processus décisionnel en matière d’environnement.

c)      Conclusion

118. À la lumière de toutes les considérations qui précèdent, je propose d’interpréter l’article 6 de la convention d’Aarhus, ainsi que l’article 6 de la directive 2011/92 et l’article 24 de la directive 2010/75, en ce sens qu’ils confèrent des droits de participation pleins et entiers uniquement au « public concerné » au sens de ces instruments, et non au grand « public ».

119. Ni l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus, ni l’article 11 de la directive 2011/92 ou l’article 25 de la directive 2010/75, ni, d’ailleurs, l’article 47 de la Charte ne s’opposent à ce que des membres du « public » qui ne relèvent pas du « public concerné » soient exclus de l’accès à la justice.

C.      La condition de la participation préalable

120. Par ses troisième à sixième questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur le point de savoir si l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus ou l’article 11 de la directive 2011/92 et l’article 25 de la directive 2010/75 s’opposent à une condition du droit national telle que celle qui figure à l’article 6:13 de l’Awb, qui subordonne l’accès à la justice du « public concerné » à la présentation préalable d’observations dans le cadre de la procédure de participation du public, sauf à justifier l’absence d’observations. Pour le cas où la Cour répondrait par la négative à cette question, la juridiction de renvoi demande en outre si ces mêmes dispositions font obstacle à une règle du droit national en vertu de laquelle une juridiction nationale peut déclarer que le recours de personnes relevant du « public concerné » n’est recevable que pour ce qui est des parties de la décision au sujet desquelles des objections ont déjà été soulevées au cours de la phase préparatoire. Enfin, par sa sixième question, la juridiction de renvoi demande si ces questions appellent une réponse différente en ce qui concerne le « public ».

121. Pour les raisons que j’exposerai dans la présente section, il me semble que la condition de la participation préalable à la procédure administrative est effectivement incompatible avec l’accès à la justice accordé directement par l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus au « public concerné ». Toutefois, suivant la logique et l’approche suggérées dans la section précédente, il n’en est pas ainsi pour le grand « public ».

1.      La condition de la participation préalable pour le « public concerné »

122. Le libellé de l’article 9, paragraphe 2, est muet sur une éventuelle condition de participation préalable, ce qui n’est guère surprenant. À l’instar de la juridiction de renvoi et du gouvernement néerlandais, j’estime que la question posée à la Cour doit être distinguée de la situation régie par l’article 9, paragraphe 2, troisième alinéa, de la convention. Cette disposition porte sur l’obligation d’épuiser les voies de recours administratif avant d’engager une procédure judiciaire lorsqu’une telle obligation est prévue en droit interne. Toutefois, cette disposition porte manifestement sur le recours administratif, qui aboutit généralement à une décision administrative rendue en deuxième instance. Elle ne concerne pas l’accès à un tribunal (46).

123. Ensuite, le gouvernement néerlandais relève que l’article 9, paragraphe 2, impose aux parties à la convention de veiller, « dans le cadre de [leur] législation nationale », à ce que les membres du public concerné aient accès à la justice. Le gouvernement néerlandais déduit de ce renvoi au cadre de la législation nationale que les États membres sont libres de subordonner la qualité pour agir à des conditions telles que celle qui est présente au principal.

124. Je partage ce point de vue de manière générale, tout en l’assortissant d’une réserve assez importante : il appartient naturellement aux États membres de subordonner la qualité pour agir à des conditions précises, mais sans retirer ce qui a déjà été accordé par l’article 9, paragraphe 2, lui‑même.

125. En l’absence de réglementation de l’Union en la matière, les États membres disposent d’une autonomie procédurale leur permettant de régler les modalités procédurales des recours visés à l’article 9, paragraphe 2 (47). Toutefois, dans le cadre de l’exercice de cette autonomie procédurale, la marge d’appréciation des États membres ne trouve pas uniquement ses limites dans le respect (traditionnel) des principes d’équivalence et d’effectivité. Dans le contexte spécifique de la convention d’Aarhus, elle est limitée en outre par l’objectif de l’article 9, paragraphe 2, qui consiste à accorder au « public concerné » un large accès à la justice dans le cadre du champ d’application de la convention (48).

126. La Commission considère que l’article 9, paragraphe 2, fait obstacle à une condition de participation préalable. Elle fonde cette interprétation sur l’objectif de l’article 9, paragraphe 2, tel qu’il a été interprété dans les arrêts Commission/Allemagne (49) et Djurgården-Lilla Värtans Miljöskyddsförening (ci‑après l’« arrêt Djurgården ») (50). En revanche, le gouvernement néerlandais et l’Irlande tirent de cette jurisprudence la conclusion inverse et invoquent, à cet égard, l’arrêt Protect Natur-, Arten- und Landschaftsschutz Umweltorganisation  (ci‑après l’« arrêt Protect Natur ») (51). Il est dès lors nécessaire d’entamer la discussion sur cette question par une analyse détaillée de cette jurisprudence.

a)      Les arrêts Djurgården, Commission/Allemagne et Protect Natur

127. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Djurgården, l’autorisation de réaliser un projet susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement avait été demandée. Conformément au droit suédois, la procédure de participation du public a eu lieu auprès d’une juridiction spécialisée en matière environnementale. Le Högsta domstolen (Cour suprême, Suède) a dès lors demandé à la Cour si, au regard de l’article 11 de la directive 2011/92, il était possible de considérer que le droit de former un recours avait déjà été épuisé au cours de la procédure ayant abouti à la décision, étant donné que cette procédure s’était déroulée devant une juridiction, ou si le « public concerné » avait toujours le droit d’exercer un recours devant une juridiction.

128. La Cour a répondu que les personnes relevant du public concerné doivent pouvoir exercer un recours, quel que soit le rôle qu’elles ont pu jouer dans l’instruction de la demande en prenant part à la procédure devant l’instance juridictionnelle et en faisant valoir leur position à cette occasion (52). La Cour a avancé deux raisons à l’appui de cette conclusion : d’une part, le bénéfice du droit de recours au sens de l’article 11 de la directive 2011/92 est indépendant de la nature administrative ou juridictionnelle de l’autorité ayant pris la décision ou l’acte contesté. D’autre part, la participation au processus décisionnel en matière d’environnement dans les conditions prévues par la directive 2011/92 est « distincte et a une finalité autre que le recours juridictionnel, ce dernier pouvant, le cas échéant, être exercé contre la décision prise à l’issue de ce processus. Cette participation est, dès lors, sans incidence sur les conditions d’exercice du recours » (53).

129. L’arrêt Commission/Allemagne  concernait, notamment, une règle procédurale du droit allemand qui limitait aux objections qui avaient déjà été émises dans le cadre de la procédure administrative les moyens susceptibles d’être invoqués à l’appui d’un recours juridictionnel contre une décision administrative relevant du champ d’application de l’article 11 de la directive 2011/92 et de l’article 25 de la directive 2010/75 (54).

130. La Cour a constaté que cette règle était contraire à l’article 11 de la directive 2011/92 et à l’article 25 de la directive 2010/75. Elle a souligné que ces dispositions ne limitaient aucunement les moyens qui peuvent être invoqués à l’appui d’un recours formé en vertu de ces dispositions et a rappelé qu’elles avaient pour objectif de garantir un large accès à la justice dans le domaine de la protection de l’environnement (55). Passant aux dispositions nationales en question, la Cour a relevé qu’elles établissaient des conditions particulières qui limitaient le contrôle juridictionnel et qui n’étaient prévues ni à l’article 11 de la directive 2011/92 ni à l’article 25 de la directive 2010/75 (56).

131. En réponse à un argument avancé par les gouvernements allemand et autrichien, la Cour a ajouté qu’une telle restriction ne pouvait pas être justifiée par l’efficacité des procédures administratives. En substance, les gouvernements allemand et autrichien avaient fait valoir que, conformément à l’article 11 de la directive 2011/92 et à l’article 25 de la directive 2010/75, l’établissement des modalités procédurales des recours visés à ces dispositions relevait de l’autonomie procédurale des États membres (57).

132. La Cour a néanmoins rejeté ces arguments, en affirmant que « s’il est vrai que le fait de soulever un moyen pour la première fois dans le cadre d’un recours juridictionnel peut entraver, dans certains cas, le bon déroulement de cette procédure, il suffit de rappeler que l’objectif même poursuivi par l’article 11 de la directive 2011/92 et par l’article 25 de la directive 2010/75 consiste non seulement à garantir au justiciable un accès le plus large possible au contrôle juridictionnel, mais également à permettre que ce contrôle porte sur la légalité de la décision attaquée, quant au fond ou à la procédure, dans sa totalité » (58).      La Cour a ajouté qu’il est néanmoins loisible, pour le législateur national, de prévoir des règles procédurales spécifiques, telles que l’irrecevabilité d’un argument présenté de manière abusive ou de mauvaise foi, lesquelles constituent des mécanismes appropriés afin de garantir l’efficacité de la procédure juridictionnelle (59).

133. Enfin, l’arrêt Protect Natur (60) concernait une règle du droit autrichien comportant une condition de participation préalable. Plus précisément, la règle procédurale en question était une règle de forclusion visant les organisations de défense de l’environnement, en vertu de laquelle de telles organisations étaient déchues de leur qualité de partie à la procédure administrative et ne pouvaient donc introduire un recours contre la décision issue de cette procédure si elles avaient omis de faire valoir leurs objections dans les délais fixés dans le cadre de la procédure administrative. Toutefois, il y a lieu de relever que cette affaire concernait la compatibilité de cette règle avec l’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus pour ce qui est des procédures publiques soumises à la directive 2000/60/CE (61), et non avec l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus et les procédures publiques soumises à l’article 6 de cette convention.

134. La Cour a constaté que l’établissement de la règle nationale en question relevait de l’autonomie procédurale des États membres.      Elle a fondé cette constatation sur le libellé de l’article 9, paragraphe 3, qui prévoit expressément que les recours visés par cette disposition peuvent être assujettis à des « critères » en droit national. Selon la Cour, il en découle que, en principe, les États membres peuvent, dans le cadre du pouvoir d’appréciation qui leur est laissé à cet égard, fixer des règles de droit procédural relatives aux conditions devant être réunies pour exercer de tels recours (62). Par conséquent, la compatibilité d’une telle règle dépend du point de savoir si elle respecte le droit à un recours effectif consacré à l’article 47 de la Charte, qui correspond au principe d’effectivité, et les conditions auxquelles l’article 52, paragraphe 1, de la Charte permet de restreindre ce droit (63).

135. À l’instar de la Commission et de la juridiction de renvoi, je considère que la constatation de la Cour dans l’arrêt Protect Natur n’est pas applicable dans le contexte de l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus. L’article 9, paragraphe 3, diffère de l’article 9, paragraphe 2, à plusieurs égards. L’article 9, paragraphe 3, a un champ d’application personnel plus large et couvre une catégorie d’actes et de décisions plus étendue que l’article 9, paragraphe 2. L’article 9, paragraphe 3, confère surtout une plus grande marge de manœuvre aux parties contractantes pour ce qui est des conditions de la qualité pour agir, étant donné qu’il autorise expressément les parties contractantes à fixer des « critères » en droit national. En effet, le raisonnement de la Cour reposait sur ce dernier point.

136. En ce qui concerne l'arrêt Djurgården et l’arrêt du 15 octobre 2015, Commission/Allemagne (C‑137/14, EU:C:2015:683), j’estime que cette jurisprudence n’apporte pas non plus de réponse concrète à la question posée en l’espèce. Toutefois, je suis obligé de reconnaître que l’orientation générale de cette jurisprudence est assez claire. Je tire de cette jurisprudence trois conclusions qui sont effectivement pertinentes pour la présente affaire.

137. Premièrement, selon la Cour, le processus décisionnel administratif en matière d’environnement et le contrôle juridictionnel (potentiel) ultérieur de ce processus sont deux procédures distinctes. Les deux procédures ont naturellement le même objet, mais il importe de les séparer. Deuxièmement, l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus confère au public concerné un droit d’accès à la justice en matière d’environnement qui est autonome et indépendant. La Cour admet un certain lien avec la procédure de participation du public, mais pas un lien de subordination. Troisièmement, les conditions nationales qui peuvent raisonnablement être fixées dans le cadre de la transposition de l’article 9, paragraphe 2, et, partant, de l’établissement des critères de l’accès à la justice ne sauraient vider de sa substance l’accès lui‑même.

b)      La condition de la participation préalable et la nonparticipation justifiée : ce qui constitue la règle et ce qui constitue l’exception

138. À mon sens, la qualité requise en droit néerlandais pour agir en justice au titre de l’article 9, paragraphe 2, qui impose au « public concerné » d’avoir également pris part à la procédure de participation du public prévue à l’article 6 n’est pas compatible avec la première disposition. Plus simplement, une telle règle nationale soumet la qualité pour agir à une condition supplémentaire qui n’est pas présente dans le texte de l’article 9, paragraphe 2, et qui n’est pas non plus compatible avec l’esprit de cet article.

139. Si j’admets tout à fait que les États membres sont habilités à fixer les règles concrétisant les critères d’application de l’article 9, paragraphe 2, il y a critères et critères. Le critère de la participation préalable touche au cœur même de ce que l’article 9, paragraphe 2, vise à garantir de manière directe et indépendante : si une personne relève du « public concerné » et a un « intérêt suffisant pour agir ou, sinon, [fait] valoir une atteinte à un droit », l’accès à un tribunal devrait lui être accordé. En revanche, « le point de savoir si cette personne a pris part à la procédure antérieure de participation du public » n’est, par sa nature même, pas une condition qui pourrait raisonnablement être incluse dans l’article 9, paragraphe 2, sous a) ou b), de la convention d’Aarhus. Dans la pratique, il s’agit plutôt de l’insertion d’une nouvelle lettre c) dans cette disposition.

140. En effet, une telle condition est en contradiction avec les conclusions tirées de la jurisprudence qui a été présentée dans la section précédente. Si une telle règle était introduite, la phase administrative et la phase judiciaire formeraient en fait un tout : l’accès à la seconde serait subordonné à la participation à la première. De surcroît, la nature et l’incidence de ce critère sont telles qu’il s’agirait non pas d’une simple concrétisation, sur le plan procédural, de l’article 9, paragraphe 2, mais, en fait, d’un début de suppression de ce qui est garanti de manière indépendante par l’article 9, paragraphe 2.

141. Cette conclusion est également corroborée au regard des implications pratiques que l’application d’une telle règle est susceptible d’avoir pour deux types de « public concerné » : les ONG, d’une part, et d’autres personnes, en particulier les personnes physiques, d’autre part.

142. En ce qui concerne, d’une part, les ONG, il ressort de l’article 9, paragraphe 2, de la convention, que toute ONG remplissant les conditions de l’article 2, paragraphe 5, c’est-à-dire qui est reconnue, au regard du droit interne, comme une ONG qui œuvre en faveur de la protection de l’environnement et qui relève, par conséquent, du « public concerné », est réputée remplir la condition consistant à avoir un intérêt suffisant pour agir ou à faire valoir une atteinte à un droit. Les ONG ont donc automatiquement qualité pour agir en vertu de l’article 9, paragraphe 2, dès lors qu’elles remplissent la condition consistant à relever du « public concerné » (64). Cette considération est également étayée par la constatation de la Cour selon laquelle la disposition équivalente figurant à l’article 11, paragraphe 2, troisième alinéa, de la directive 2011/92 est d’effet direct à l’égard des ONG qui relèvent du « public concerné », ce qui signifie que cette disposition fixe une règle qui est précise et qui n’est pas soumise à d’autres conditions (65).

143. Eu égard à ce qui précède et à l’objectif de garantir un large accès au contrôle juridictionnel, la condition de la participation préalable à la phase préparatoire porte atteinte à la qualité pour agir automatique que l’article 9, paragraphe 2, confère aux ONG relevant du « public concerné ». Une telle condition impose, en pratique, à toutes ces ONG de participer à toutes les procédures publiques au sens de l’article 6 de la convention d’Aarhus aux Pays‑Bas, afin de sauvegarder leur droit d’exercer ultérieurement des recours en justice contre les décisions auxquelles ces procédures aboutiront. La condition de la participation préalable va, par là, à l’encontre de l’objectif même de l’octroi d’une qualité pour agir privilégiée aux ONG relevant du « public concerné » (66).

144. D’autre part, des questions similaires se posent pour ce qui est des autres personnes relevant du « public concerné », même si c’est pour une raison légèrement différente. En effet, l’article 9, paragraphe 2, laisse aux parties contractantes, en ce qui concerne ce groupe, une large marge d’appréciation pour définir ce qui constitue un intérêt suffisant pour agir ou une atteinte à un droit (67). Toutefois, même pour cette catégorie de personnes, la condition de la participation préalable va, du point de vue de son incidence, bien au-delà de ce qui pourrait raisonnablement relever de la mise en œuvre de ces notions au plan national.

145. Prenons l’exemple d’une personne physique qui possède une maison à proximité du site de la porcherie envisagée. Il est légitime de supposer que, quelle que soit la façon dont les notions d’« intérêt suffisant pour agir » ou d’« atteinte à un droit » auront été mises en œuvre en droit national, une telle personne sera concernée par l’activité environnementale envisagée et devrait disposer du droit d’accès à un tribunal si elle entend exercer un recours contre le permis en vertu de l’article 9, paragraphe 2. Toutefois, une telle personne doit-elle également, à cette fin, toujours prendre part à la procédure de participation du public ? Même si cette personne n’avait aucune objection à cette activité sous la forme initialement envisagée et ne voyait dès lors aucune raison d’y prendre part ? Ou bien, qu’en serait-il si elle n’avait pas présenté d’observations parce que d’autres participants au processus décisionnel avaient déjà fait valoir le point de vue qu’elle aurait défendu ? Qu’en serait-il si une partie du « public concerné » avait seulement pris connaissance du projet de décision après l’expiration du délai imparti pour présenter des observations ?

146. De la même façon qu’une ONG, toutes les autres personnes relevant du « public concerné » devraient-elles également être obligées de se faire enregistrer officiellement, voire de prendre part à la procédure de participation du public, même si elles estiment, à ce stade, qu’elles n’ont pas d’éléments utiles à apporter ? Devraient-elles simplement être contraintes de le faire à titre conservatoire, de façon à ne pas perdre leur droit d’accès à la justice, lequel est, par ailleurs, garanti de manière indépendante par l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus (68) ?

147. À cet égard, la juridiction de renvoi a mentionné les exceptions à l’obligation de la participation préalable qui sont prévues en droit néerlandais, exceptions que le gouvernement néerlandais a expliquées à l’audience : la condition de la participation préalable n’est pas applicable si l’absence d’observations de la part du « public concerné » est justifiée (69).

148. L’existence de ces exceptions atténue sûrement le problème. Elle ne résout cependant pas réellement la question structurelle découlant du fait que l’accès à la justice en matière environnementale, ouvert de plein droit en vertu de l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus, est subordonné à une condition qui, par sa nature même, va bien au-delà d’une simple transposition de cette disposition. De plus, elle accroît la marge d’appréciation et l’absence de prévisibilité : quels sont les cas qui sont susceptibles d’être couverts par l’exception ? Lors de l’audience, le gouvernement néerlandais a confirmé que les cas de « non‑participation justifiée » à la procédure de participation du public étaient entièrement déterminés par la jurisprudence (par nature casuistique) et qu’il pouvait uniquement, pour sa part, fournir quelques exemples illustrant les situations dans lesquelles cette exception était susceptible d’être appliquée.

149. Tout cela ne fait que souligner la véritable nature de la difficulté générale et les conséquences de la règle de la participation préalable : elle inverse tout simplement la logique sur laquelle l’article 9, paragraphe 2, repose. Comme la Cour l’a déjà reconnu, pour ceux qui remplissent les critères énoncés par cette disposition, l’accès est la règle et des exceptions raisonnables peuvent être établies (70). En droit néerlandais, l’absence d’accès est la règle pour ceux qui n’ont pas pris part à la procédure de participation du public, même s’ils remplissent tous les critères énoncés à l’article 9, paragraphe 2, règle qui peut faire l’objet d’exceptions. Par conséquent, si les exceptions ne sont pas formulées de façon si large, en pratique, qu’elles inversent en fait la règle (71), la structure est incompatible avec l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus.

150. J’en conclus, dès lors, que l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus, l’article 11 de la directive 2011/92 et l’article 25 de la directive 2010/75 font obstacle à une condition de participation préalable à la procédure de participation du public à laquelle le « public concerné » doit satisfaire pour pouvoir exercer un recours juridictionnel au sens de ces instruments.

151. Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner séparément la quatrième question posée par la juridiction de renvoi. En outre et en tout état de cause, étant donné qu’aucune des quatre requérantes n’a fait valoir son point de vue au cours de la procédure de participation du public, il n’est pas évident de savoir en quoi elles pourraient, par définition, être affectées par une règle nationale qui énonce qu’une juridiction nationale peut déclarer que le recours n’est recevable que pour ce qui est des parties de la décision au sujet desquelles des objections ont été soulevées au cours de la phase préparatoire. Cet aspect de la quatrième question paraît donc totalement hypothétique dans le contexte de la présente affaire.

152. Enfin, compte tenu de la réponse que j’ai déjà proposé d’apporter à la deuxième question de la juridiction de renvoi, une logique identique à celle qui a été décrite dans ce cadre s’applique à la sixième question. Il appartient à la législation nationale de déterminer les droits du grand « public » qui ne relève pas du « public concerné » au sens de l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus. Le droit de l’Union ne s’oppose donc pas à ce que la législation nationale applique uniquement au « public » la condition de la participation préalable.

V.      Conclusion

153. Je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles du rechtbank Limburg (tribunal du Limbourg, Pays‑Bas) :

1)      L’article 6 de la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, signée à Aarhus le 25 juin 1998 et approuvée, au nom de la Communauté européenne, par la décision 2005/370/CE du Conseil du 17 février 2005, l’article 6 de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, telle que modifiée par la directive 2014/52/UE du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, et l’article 24 de la directive 2010/75/UE du Parlement européen et du Conseil, du 24 novembre 2010, relative aux émissions industrielles (prévention et réduction intégrées de la pollution) confèrent des droits de participation pleins et entiers uniquement au « public concerné » au sens de ces instruments, et non au grand « public ».

2)      Ni l’article 9, paragraphe 2, de la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, signée à Aarhus le 25 juin 1998 et approuvée, au nom de la Communauté européenne, par la décision 2005/370/CE du Conseil du 17 février 2005, ni l’article 11 de la directive 2011/92, telle que modifiée par la directive 2014/52, ou l’article 25 de la directive 2010/75, ni l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne s’opposent à ce que le « public » qui ne relève pas du « public concerné », au sens de ces instruments, soit exclu de l’accès à la justice.

3)      L’article 9, paragraphe 2, de la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, signée à Aarhus le 25 juin 1998 et approuvée, au nom de la Communauté européenne, par la décision 2005/370/CE du Conseil du 17 février 2005, l’article 11 de la directive 2011/92, telle que modifiée par la directive 2014/52, et l’article 25 de la directive 2010/75 font obstacle à une condition du droit national qui subordonne l’accès à la justice du « public concerné », au sens de ces instruments, à la participation préalable aux procédures soumises à l’article 6 de ladite convention, à l’article 6 de la directive 2011/92, telle que modifiée par la directive 2014/52, et à l’article 24 de la directive 2010/75.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, signée à Aarhus le 25 juin 1998 et approuvée, au nom de la Communauté européenne, par la décision 2005/370/CE du Conseil, du 17 février 2005 (JO 2005, L 124, p. 1, ci‑après la « convention d’Aarhus » ou la « convention »).


3      Voir note en bas de page 2 des présentes conclusions.


4      Directive du Parlement européen et du Conseil du 26 mai 2003 prévoyant la participation du public lors de l’élaboration de certains plans et programmes relatifs à l’environnement, et modifiant, en ce qui concerne la participation du public et l’accès à la justice, les directives 85/337/CEE et 96/61/CE du Conseil (JO 2003, L 156, p. 17).


5      Considérants 5 et 11 de la directive 2003/35.


6      Directive du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010 relative aux émissions industrielles (prévention et réduction intégrées de la pollution) (JO 2010, L 334, p. 17).


7      Directive du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (JO 2012, L 26, p. 1).


8      Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 modifiant la directive 2011/92 (JO 2014, L 124, p. 1).


9      Arrêt du 16 avril 2015, Gruber (C‑570/13, EU:C:2015:231, point 34).


10      Voir points 14 et 27 des présentes conclusions.


11      Voir, par exemple, arrêt du 8 novembre 2016, Lesoochranárske zoskupenie VLK  (C‑243/15, EU:C:2016:838, point 58).


12      Conclusions de l’avocate générale Sharpston dans les affaires Djurgården-Lilla Värtans Miljöskyddsförening (C‑263/08, EU:C:2009:421, point 63) et Protect Natur-, Arten- und Landschaftsschutz Umweltorganisation (C‑664/15, EU:C:2017:760, point 81).


13      Voir, en ce sens, Commission économique pour l’Europe, la Convention d’Aarhus : guide d’application, Nations unies, New York-Genève, 2014, 2e éd. (ci‑après le « guide d’application »), p. 194, et Comité d’examen du respect des dispositions de la convention d’Aarhus (ci‑après le « comité d’examen »), Conclusions et recommandations du  16 juin 2006, Belgique (ACCC/C/2005/11, point 35).


14      Dans un souci d’exhaustivité, la juridiction de renvoi mentionne également le paragraphe 8 de l’article 6. Toutefois, cette disposition impose simplement aux parties contractantes de veiller à ce que les résultats de la procédure de participation du public soient dûment pris en considération au moment où la décision est prise. Je ne vois donc pas en quoi cette disposition prévoirait des droits potentiels pour le « public ».


15      Voir points 81 à 85 des présentes conclusions.


16      Voir p. 153 et 195 du guide d’application. Bien que celui-ci n’ait aucune force obligatoire, il peut être pris en considération aux fins d’interpréter la convention – voir arrêt du 19 décembre 2013, Fish Legal et Shirley (C‑279/12, EU:C:2013:853, point 38).


17      Voir arrêt du 7 novembre 2019, Flausch e.a. (C‑280/18, EU:C:2019:928, points 32 et suiv.), où la Cour a relevé que l’efficacité de la communication doit être appréciée du point de vue du « public concerné », et non du grand « public ». Voir également conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Flausch e.a. (C‑280/18, EU:C:2019:449, point 62).


18      Pour reprendre l’exemple, évoqué au point 10 ci‑dessus, des personnes qui, selon ce qui a été confirmé par le gouvernement néerlandais, auraient le droit de prendre part à la procédure de participation du public en application du droit néerlandais.


19      Comité d’examen, Conclusions et recommandations du 4 avril 2008, Lituanie (ACCC/C/2006/16, point 80).


20      Comité d’examen, Conclusions et recommandations du 8 février 2011, Espagne (ACCC/C/2008/24, points 99 et 100).


21      Article 6, paragraphe 2, de la directive 2011/92 et article 24, paragraphe 1, de la directive 2010/75, lu en combinaison avec l’annexe IV, point 1.


22      En ce qui concerne le droit de présenter des observations, voir article 6, paragraphe 4, de la directive 2011/92 et article 24, paragraphe 1, de la directive 2010/75, lu en combinaison avec l’annexe IV, points 3 et 5. Pour tous les autres droits de participation, voir article 6, paragraphes 3, 5, 6 et 7, de la directive 2011/92 et article 24, paragraphe 1, de la directive 2010/75, lu en combinaison avec l’annexe IV, point 3.


23      Voir, par exemple, comité d’examen, Conclusions et recommandations du 17 mars 2017 concernant la communication ACCC/C/2008/32 (partie II) relative au respect des dispositions par l’Union européenne, dans lesquelles le comité d’examen a constaté que le droit de l’Union ne prévoyait pas, dans le cadre de l’article 263, paragraphe 4, TFUE, un contrôle administratif ou juridictionnel adéquat des actes environnementaux non législatifs.


24      Voir points 48 à 50 des présentes conclusions.


25      Voir point 64 des présentes conclusions.


26      Voir, en ce sens, arrêts du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil (C‑50/00 P, EU:C:2002:462, points 38 et 39), du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461, point 335), ainsi que du 18 mars 2010, Alassini e.a. (C‑317/08 à C‑320/08, EU:C:2010:146, point 61).


27      Voir, en ce sens, arrêts du 15 avril 2008, Impact (C‑268/06, EU:C:2008:223, points 45 à 47 et jurisprudence citée), ainsi que du 27 septembre 2017, Puškár (C‑73/16, EU:C:2017:725, points 57 et 58 et jurisprudence citée).


28      La portée du contrôle juridictionnel pourrait également, potentiellement, être contraire à la jurisprudence antérieure de la Cour en la matière, à savoir à l’arrêt du 15 octobre 2015, Commission/Allemagne (C‑137/14, EU:C:2015:683, points 75 à 82), où la Cour a indiqué que limiter la portée du contrôle juridictionnel aux moyens qui avaient déjà été soulevés au cours de la phase administrative était incompatible avec l’accès le plus large possible au contrôle juridictionnel en matière environnementale.


29      Sur la difficulté générale de scinder et d’établir une distinction claire entre les moyens d’un recours en matière environnementale, voir, par analogie, mes conclusions dans l’affaire North East Pylon Pressure Campaign et Sheehy (C‑470/16, EU:C:2017:781, points 74 à 91).


30      Voir, en ce sens, arrêt du 7 novembre 2013, Gemeinde Altrip e.a. (C‑72/12, EU:C:2013:712, points 49 à 51).


31      Arrêt du 16 avril 2015, Gruber (C‑570/13, EU:C:2015:231, point 38).


32      Voir point 46 des présentes conclusions.


33      Comme indiqué aux points 9 et 10 des présentes conclusions.


34      Par exemple, il a ainsi été jugé, dès l’arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105), que des règles nationales relatives à une majoration d’impôt infligée au cours de l’exercice fiscal suivant à titre de sanction pour des fausses déclarations d’impôt effectuées au cours d’exercices antérieurs procédaient d’une « mise en œuvre du droit de l’Union » et, plus spécifiquement, de l’obligation des États membres de veiller à « l’exacte perception de la taxe et [à] éviter la fraude ». Voir également, par exemple, arrêts du 21 décembre 2011, N. S. e.a. (C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865, points 64 à 69), ou du 13 juin 2017, Florescu e.a. (C‑258/14, EU:C:2017:448, point 48).


35      Voir point 85 des présentes conclusions et jurisprudence citée.


36      Voir par exemple, récemment, arrêt du 29 juillet 2019, Torubarov (C‑556/17, EU:C:2019:626, point 56 et jurisprudence citée).


37      Voir, par exemple, arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, points 120, 167 et jurisprudence citée).


38      Arrêt du 19 novembre 2019 (C‑609/17 et C‑610/17, EU:C:2019:981, en particulier points 49 à 51).


39      Arrêt du 19 novembre 2019, TSN et AKT (C‑609/17 et C‑610/17, EU:C:2019:981, point 53).


40      Cela se produirait d’ailleurs d’une manière contre-intuitive : plus la discussion est concrète et spécifique sur le fond, plus l’affaire serait susceptible d’échapper entièrement, subitement, au champ d’application du droit de l’Union, alors que, probablement, toutes les questions abstraites connexes et structurelles continueraient à relever de ce champ d’application. En pratique, cela conduirait vraisemblablement à déplacer toute la discussion relative au fond sur le terrain de la compétence, un examen détaillé et approfondi au fond devenant alors subitement une question d’incompétence/de recevabilité à la toute fin du raisonnement.


41      Dans laquelle, par des expressions abstraites telles « l’exacte perception de la TVA » ou « les ressources financières de l’Union », on pouvait faire relever virtuellement toute question concernant le contrôle de l’application de la TVA ou des questions de fraude concernant des ressources financières de l’Union du champ d’application du droit de l’Union. Toutefois, si telle était la logique (et le niveau d’abstraction) à adopter, l’affaire TSN et AKT relèverait clairement du champ d’application du droit de l’Union, étant donné que, à ce niveau d’abstraction, les « droits à congé annuel payé » sont assurément prévus tant par le droit primaire que par le droit secondaire de l’Union. Pour une analyse détaillée des implications d’une telle « logique de mise en œuvre » pour le champ d’application de la Charte, voir mes conclusions dans l’affaire Ispas  (C‑298/16, EU:C:2017:650, points 26 à 56).


42      Voir, par exemple, arrêt du 13 juin 2019, Moro (C‑646/17, EU:C:2019:489, points 66 à 74).


43      Arrêt du 19 novembre 2019, TSN et AKT (C‑609/17 et C‑610/17, EU:C:2019:981, points 47 à 51).


44      Voir mes conclusions dans l’affaire El Hassani (C‑403/16, EU:C:2017:659, points 74 à 83) et, en ce qui concerne le niveau d’analyse du droit en question, mes conclusions dans l’affaire Dzivev (C‑310/16, EU:C:2018:623, points 70 à 80).


45      Il est entendu que, comme cela a été exposé au point 11 des présentes conclusions, les raisons pour lesquelles ce supplément est accordé à un stade spécifique relèvent de la logique réglementaire.


46      Dans certaines hypothèses, en particulier dans le cas des tribunaux hybrides, il est possible de discuter du point de savoir si cette instance est toujours « administrative » ou déjà « judiciaire ». Toutefois, ce point n’est manifestement pas en cause en l’espèce.


47      Voir arrêts du 18 octobre 2011, Boxus e.a. (C‑128/09 à C‑131/09, C‑134/09 et C‑135/09, EU:C:2011:667, point 52), ainsi que du 27 juin 2013, Agrokonsulting-04 (C‑93/12, EU:C:2013:432, point 35).


48      Arrêts du 16 avril 2015, Gruber (C‑570/13, EU:C:2015:231, point 39), ainsi que du 8 novembre 2016, Lesoochranárske zoskupenie VLK (C‑243/15, EU:C:2016:838, point 58).


49      Arrêt du 15 octobre 2015 (C‑137/14, EU:C:2015:683).


50      Arrêt du 15 octobre 2009 (C‑263/08, EU:C:2009:631).


51      Arrêt du 20 décembre 2017 (C‑664/15, EU:C:2017:987).


52      Arrêt Djurgården, point 39.


53      Arrêt Djurgården, point 38.


54      Arrêt du 15 octobre 2015 (C‑137/14, EU:C:2015:683).


55      Arrêt du 15 octobre 2015, Commission/Allemagne (C‑137/14, EU:C:2015:683, points 76 et 77).


56      Arrêt du 15 octobre 2015, Commission/Allemagne (C‑137/14, EU:C:2015:683, point 78).


57      Arrêt du 15 octobre 2015, Commission/Allemagne (C‑137/14, EU:C:2015:683, points 71 à 74).


58      Arrêt du 15 octobre 2015, Commission/Allemagne (C‑137/14, EU:C:2015:683, point 80).


59      Arrêt du 15 octobre 2015, Commission/Allemagne (C‑137/14, EU:C:2015:683, point 81).


60      Arrêt du 20 décembre 2017, (C‑664/15, EU:C:2017:987).


61      Directive du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau (JO 2000, L 327, p. 1).


62      Arrêt Protect Natur point 86.


63      Arrêt Protect Natur, points 87 et 90).


64      Voir, dans le même sens, conclusions de l’avocate générale Sharpston dans l’affaire Djurgården-Lilla Värtans Miljöskyddsförening (C‑263/08, EU:C:2009:421, points 42 à 44 et 57) et guide d’application, p. 195.


65      Arrêt du 12 mai 2011, Bund für Umwelt und Naturschutz Deutschland, Landesverband Nordrhein-Westfalen (C‑115/09, EU:C:2011:289, points 55 à 57).


66      Voir, dans le même sens, comité d’examen, Conclusions et recommandations du 29 juin 2012, République tchèque (ACCC/C/2010/50, point 78).


67      Arrêt du 16 avril 2015, Gruber (C‑570/13, EU:C:2015:231, point 38).


68      Voir également guide d’application, p. 195, qui indique que, en ce qui concerne les personnes relevant du « public concerné » qui ne sont pas des ONG, « il pourrait s’avérer bien trop restrictif d’exiger que seules les personnes qui participent au processus décisionnel se voient accorder l’accès en vertu [de l’article 9, paragraphe 2] ».


69      Cet aspect est exposé au point 18 des présentes conclusions.


70      Voir, notamment, arrêt du 15 octobre 2015, Commission/Allemagne (C‑137/14, EU:C:2015:683, points 80 et 81), analysé aux points 129 à 132 des présentes conclusions.


71      Certes, je prends acte du fait que certaines des exceptions mentionnées par le gouvernement néerlandais lors de l’audience vont assez loin. Toutefois, si tel est effectivement le cas dans la pratique judiciaire (et sans parler de la question de la prévisibilité), quelle est alors l’utilité, si tant est qu’elle en ait une, de l’établissement de la règle ?