Language of document : ECLI:EU:C:2023:831

ORDONNANCE DU JUGE DES RÉFÉRÉS

24 octobre 2023 (*)

« Pourvoi – Référé – Marché public – Exclusion de la participation aux procédures de passation de marchés publics et d’octroi de subventions – Urgence – Critères d’appréciation de la condition relative à l’urgence – Préjudice d’ordre pécuniaire »

Dans l’affaire C‑456/23 P(R),

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 57, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 20 juillet 2023,

VC, établie à Madrid (Espagne), représentée par Mes S. Centeno Huerta et J. Rodríguez Cárcamo, abogados,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EUOSHA), représentée par Mme E. Ortega Urretavizcaya, en qualité d’agent, assistée de Mes L. Lence de Frutos et M. Troncoso Ferrer, abogados

partie défenderesse en première instance,

LE JUGE DES RÉFÉRÉS,

l’avocat général, M. M. Szpunar, entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son pourvoi, VC demande l’annulation de l’ordonnance du président du Tribunal de l’Union européenne du 14 juillet 2023, VC/EU-OSHA (T‑126/23 R, ci-après l’« ordonnance attaquée », EU:T:2023:405), par laquelle celui-ci a partiellement rejeté sa demande tendant à ce qu’il soit sursis à l’exécution de la décision 2023/01 du directeur exécutif provisoire de l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU-OSHA), du 13 janvier 2023, relative à l’exclusion de la requérante de la participation aux procédures de passation de marchés publics et à celles relatives aux subventions, aux prix, aux attributions et aux instruments financiers régies par le budget général de l’Union européenne ainsi qu’aux procédures d’attribution relatives au Fonds européen de développement régies par le règlement (UE) 2018/1877 du Conseil (ci-après la « décision litigieuse »).

 Le cadre juridique

2        Le cinquième considérant de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO 1989, L 395, p. 33), telle que modifiée par la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014 (JO 2014, L 94, p. 1) (ci-après la « directive 89/665 »), est ainsi rédigé :

« [C]onsidérant que, étant donné la brièveté des procédures de passation des marchés publics, les instances de recours compétentes doivent notamment être habilitées à prendre des mesures provisoires pour suspendre une telle procédure ou l’exécution de décisions éventuellement prises par le pouvoir adjudicateur ; que la brièveté des procédures exige un traitement urgent des violations mentionnées ci‑dessus ».

3        L’article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665 dispose :

« Les États membres s’assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités que les États membres peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée. »

4        L’article 2 de cette directive établit une série d’exigences en matière de procédures de recours.

 Les antécédents du litige

5        Les antécédents du litige sont exposés aux points 2 à 9 de l’ordonnance attaquée. Ils peuvent, pour les besoins de la présente procédure, être résumés comme suit.

6        Le 11 mai 2021, la Comisión Nacional de los Mercados y la Competencia (Commission nationale des marchés et de la concurrence, Espagne) a adopté une décision dans laquelle elle a considéré que VC avait participé à un réseau de répartition d’appels d’offres publics. La requérante a formé un recours contre cette décision devant l’Audiencia Nacional (Cour centrale, Espagne) et a demandé le sursis à l’exécution de ladite décision.

7        Le 29 juillet 2021, dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres lancée par l’EU-OSHA en vue de l’attribution d’un marché public de fourniture de services, dans laquelle la requérante avait présenté une offre, l’EU-OSHA a adressé à cette dernière une demande formelle d’informations qui se référait à la décision de la Commission nationale des marchés et de la concurrence du 11 mai 2021. La requérante a répondu à cette demande le 24 août 2021.

8        Le 4 avril 2022, l’Audiencia Nacional (Cour centrale) a prononcé le sursis à l’exécution de cette dernière décision.

9        Par la décision litigieuse, adoptée le 13 janvier 2023 et notifiée par un courrier daté du 17 janvier 2023, l’EU-OSHA a :

–        à l’article 1er de cette décision, ordonné l’exclusion de VC de la participation aux procédures de passation de marchés publics, aux procédures relatives aux subventions, aux prix, aux attributions et aux instruments financiers régies par le budget général de l’Union européenne ainsi qu’aux procédures d’attribution relatives au Fonds européen de développement régies par le règlement (UE) 2018/1877 du Conseil, du 26 novembre 2018, portant règlement financier applicable au 11e Fonds européen de développement, et abrogeant le règlement (UE) 2015/323 (JO 2018, L 307, p. 1), pour une durée de deux ans ;

–        à l’article 2 de ladite décision, indiqué que l’exclusion ordonnée audit article 1er prendrait effet à la date de notification de cette dernière ;

–        à l’article 3 de la même décision, ordonné l’inscription de VC dans la base de données du système de détection rapide et d’exclusion pour la durée de la période d’exclusion ;

–        à l’article 4 de celle-ci, ordonné la publication sur le site Internet de la Commission européenne, trois mois après la notification de la décision litigieuse, de certaines informations ayant trait à l’exclusion de la participation de VC à certaines procédures.

 La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 mars 2023, VC a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

11      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, VC a introduit une demande en référé tendant à ce qu’il soit sursis à l’exécution de cette décision.

12      Par l’ordonnance du 13 mars 2023, VC/EU-OSHA (T‑126/23 R), adoptée sur le fondement de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, le président du Tribunal a ordonné le sursis à exécution de la décision litigieuse jusqu’à l’adoption de l’ordonnance mettant fin à la procédure de référé devant le Tribunal.

13      Par l’ordonnance attaquée, le président du Tribunal a rapporté cette ordonnance du 13 mars 2023 et a ordonné le sursis à l’exécution de la décision litigieuse, dans la mesure où cette décision prévoit, à son article 4, la publication sur le site Internet de la Commission de certaines informations ayant trait à l’exclusion de la participation de VC à certaines procédures. En outre, au point 2 du dispositif de l’ordonnance attaquée, le président du Tribunal a rejeté, pour le surplus, la demande en référé introduite par VC.

14      En ce qui concerne la condition relative à l’urgence, le président du Tribunal a relevé, aux points 19 et 20 de l’ordonnance attaquée, qu’il appartenait à VC d’apporter la preuve qu’elle ne pouvait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable.

15      Or, s’il a estimé, au point 33 de cette ordonnance, que VC n’était pas parvenue à apporter une telle preuve en ce qui concerne le préjudice financier qu’elle avait invoqué, il a considéré, au point 38 de ladite ordonnance, que, au regard de l’existence d’un risque d’atteinte à sa réputation, VC avait démontré que la condition relative à l’urgence était remplie s’agissant de la publication sur le site Internet de la Commission des informations relatives à son exclusion de la participation à certaines procédures.

16      Par ailleurs, aux points 53 et 63 de la même ordonnance, le président du Tribunal a jugé que la condition relative au fumus boni juris était remplie et que l’intérêt à un rejet de la demande en référé devait céder devant l’intérêt défendu par VC.

 Les conclusions des parties

17      VC demande à la Cour :

–        d’annuler le point 2 du dispositif de l’ordonnance attaquée ;

–        de surseoir à l’exécution des articles 1er à 3 et 5 de la décision litigieuse jusqu’à ce qu’il soit statué sur le recours introduit dans l’affaire T‑126/23 ;

–        à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et

–        de condamner l’EU-OSHA aux dépens afférents au pourvoi et à la procédure de première instance.

18      L’EU-OSHA demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi ainsi que la demande de mesures provisoires et

–        de condamner VC aux dépens.

 La procédure devant la Cour

19      Par son ordonnance du 27 juillet 2023, VC/EU-OSHA [C‑456/23 P(R)‑R, EU:C:2023:612], adoptée sur le fondement de l’article 160, paragraphe 7, du règlement de procédure de la Cour, le vice-président de la Cour a ordonné le sursis à l’exécution des articles 1er à 3 et 5 de la décision litigieuse jusqu’à l’adoption de l’ordonnance qui interviendra le plus tôt entre celle mettant fin à la procédure en référé et celle se prononçant sur le présent pourvoi.

20      Le vice-président étant empêché, le président de la première chambre de la Cour a été désigné, le 14 septembre 2023, pour exercer les fonctions de juge des référés, en vertu de l’article 13 du règlement de procédure de la Cour. 

 Sur le pourvoi

 Sur la recevabilité

 Argumentation

21      L’EU-OSHA soutient que le pourvoi est irrecevable en raison du fait que VC se borne à solliciter un nouvel examen des arguments et des moyens exposés devant le Tribunal, sans critiquer le raisonnement retenu dans l’ordonnance attaquée.

 Appréciation

22      Selon une jurisprudence constante, il résulte de l’article 256 TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 168, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la Cour qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de la décision dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande, sous peine d’irrecevabilité du pourvoi ou du moyen concerné [voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 29 mars 2012, Gollnisch/Parlement, C‑569/11 P(R), EU:C:2012:199, point 19 et jurisprudence citée].

23      Ne répond pas aux exigences selon lesquelles doivent être mentionnés de façon précise les éléments critiqués de la décision dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande un pourvoi qui se limite à répéter ou à reproduire textuellement les moyens et les arguments qui ont été présentés devant le Tribunal, y compris ceux qui étaient fondés sur des faits expressément rejetés par cette juridiction. En effet, un tel pourvoi constitue une demande visant à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, ce qui échappe à la compétence de la Cour [voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 29 mars 2012, Gollnisch/Parlement, C‑569/11 P(R), EU:C:2012:199, point 20 et jurisprudence citée].

24      En l’espèce, il y a lieu de constater que le pourvoi de VC comporte une critique précise du raisonnement retenu, dans l’ordonnance attaquée, par le président du Tribunal et qu’il ne se borne donc pas à reproduire des arguments qui ont déjà été présentés devant le Tribunal.

25      Il s’ensuit que la fin de non-recevoir avancée par l’EU-OSHA doit être rejetée.

 Sur le fond

26      À l’appui de son pourvoi, VC fait valoir trois moyens, tirés respectivement d’une violation de l’obligation de motivation, d’une violation du droit à une protection juridictionnelle effective et d’une erreur de droit dans l’interprétation de la condition relative à l’urgence.

27      Il convient d’examiner le premier moyen.

 Argumentation

28      Au soutien du premier moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation, VC souligne qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que, en matière de passation de marchés publics, lorsque le soumissionnaire évincé parvient à démontrer l’existence d’un fumus boni juris particulièrement sérieux, il ne saurait être exigé de sa part qu’il établisse que le rejet de sa demande en référé risquerait de lui causer un préjudice irréparable.

29      En l’espèce, d’une part, le président du Tribunal aurait constaté l’existence d’un fumus boni juris particulièrement sérieux et, d’autre part, VC aurait fait valoir, de manière argumentée, que l’assouplissement par la jurisprudence des critères d’appréciation de la condition relative à l’urgence en matière de marchés publics était applicable dans la présente affaire.

30      Or, le président du Tribunal n’aurait aucunement exposé la raison pour laquelle il entendait ne pas appliquer cet assouplissement des critères d’appréciation de la condition relative à l’urgence, et ce alors même que la Cour aurait jugé que, en matière de passation des marchés publics, il doit nécessairement déterminer les critères sur la base desquels il procède à l’appréciation de cette condition.

31      L’EU-OSHA fait valoir que l’assouplissement des critères d’appréciation de la condition relative à l’urgence à laquelle se réfère VC ne s’applique que lorsque certaines circonstances particulières sont réunies, ce qui ne serait manifestement pas le cas en l’espèce. Partant, VC aurait effectivement été tenue de démontrer le risque de survenance d’un préjudice irréparable.

32      En outre, il ressortirait de la jurisprudence de la Cour que le Tribunal n’est nullement tenu d’examiner chacun des moyens soulevés par un requérant au soutien de ses conclusions.

 Appréciation

33      L’obligation de motivation, qui incombe au Tribunal en vertu de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE et de l’article 36 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lui impose de faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement qu’il a suivi, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la décision prise et à la Cour d’exercer son contrôle juridictionnel [voir, en ce sens, ordonnances du vice-président de la Cour du 13 décembre 2021, Portugal/Commission, C‑547/21 P(R), EU:C:2021:1007, point 38, et du 12 octobre 2022, Juvin/Parlement, C‑544/22 P(R), EU:C:2022:798, point 26].

34      Cette obligation de motivation n’impose pas au Tribunal de fournir un exposé qui suivrait, de manière exhaustive et un par un, tous les raisonnements articulés par les parties au litige, la motivation du Tribunal pouvant dès lors être implicite à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles le Tribunal n’a pas fait droit à leurs arguments et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle [voir, en ce sens, ordonnances du vice-président de la Cour du 17 août 2022, SJM Coordination Center/Magnetrol International et Commission, C‑4/22 P(I), EU:C:2022:626, point 20, ainsi que du 12 octobre 2022, Juvin/Parlement, C‑544/22 P(R), EU:C:2022:798, point 27].

35      S’agissant, plus précisément, de la condition relative à l’urgence, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le président du Tribunal doit nécessairement, en vue de pouvoir apprécier si cette condition est remplie, déterminer les critères sur la base desquels cette appréciation doit être conduite [voir, en ce sens, ordonnance du vice-président de la Cour du 22 novembre 2022, Telefónica de España/Commission, C‑478/22 P(R), EU:C:2022:914, point 40].

36      À cet égard, il importe de rappeler que, ainsi que le souligne VC, la prise en compte du principe général du droit à un recours effectif, tel que concrétisé par la directive 89/665, a conduit la Cour à considérer que, en matière de passation des marchés publics, certaines circonstances peuvent justifier que, lorsque l’existence d’un fumus boni juris particulièrement sérieux est établie, il ne soit pas exigé du requérant, en vue de démontrer que la condition relative à l’urgence est remplie, qu’il établisse que le rejet de sa demande en référé risquerait de lui causer un préjudice irréparable [voir, en ce sens, ordonnances du vice-président de la Cour du 23 avril 2015, Commission/Vanbreda Risk & Benefits, C‑35/15 P(R), EU:C:2015:275, points 29 et 41, ainsi que du 22 novembre 2022, Telefónica de España/Commission, C‑478/22 P(R), EU:C:2022:914, point 47].

37      Partant, étant donné que la demande en référé introduite par VC portait sur une décision adoptée en matière de passation des marchés publics, il incombait au président du Tribunal de déterminer s’il devait apprécier la condition de l’urgence sur la base des seuls critères généralement applicables dans la procédure de référé, tenant au risque de survenance d’un préjudice grave et irréparable, ou s’il devait, au contraire, appliquer les critères alternatifs mentionnés au point précédent, à savoir l’existence d’un fumus boni juris particulièrement sérieux et d’un risque de survenance d’un préjudice grave [voir, par analogie, ordonnance du vice-président de la Cour du 22 novembre 2022, Telefónica de España/Commission, C‑478/22 P(R), EU:C:2022:914, point 41].

38      Dans ce contexte, dès lors que, dans sa demande en référé, VC se prévalait de ces critères alternatifs et qu’elle avait présenté une argumentation détaillée visant à établir que le président du Tribunal devait appliquer, en l’espèce, lesdits critères alternatifs, il lui appartenait d’exposer les raisons le conduisant à estimer que les mêmes critères alternatifs n’étaient pas applicables en l’espèce.

39      Or, aux points 19 et 20 de l’ordonnance attaqué, le président du Tribunal a considéré qu’il appartenait à VC d’apporter la preuve qu’elle ne pouvait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable, sans faire état en aucune manière des motifs qui justifiaient l’application d’une telle exigence dans la présente affaire.

40      Il s’ensuit que le président du Tribunal n’a pas permis à VC de connaître les raisons pour lesquelles il n’a pas fait droit à ses arguments relatifs à l’assouplissement des critères d’appréciation de la condition relative à l’urgence et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle du choix opéré à cet égard par le président du Tribunal.

41      En outre, il apparaît que ce choix a été déterminant pour la solution retenue dans l’ordonnance attaquée, dans la mesure où, alors que le président du Tribunal a constaté dans cette ordonnance l’existence d’un fumus boni juris, sans exclure que celui-ci puisse revêtir un caractère particulièrement sérieux, il s’est fondé, en substance, au point 30 de ladite ordonnance, sur le fait que VC n’avait pas établi le caractère irréparable du préjudice financier dont elle se prévalait pour considérer que ce préjudice ne permettait pas d’établir que la condition relative à l’urgence était remplie.

42      Il découle de ce qui précède qu’il y a lieu d’accueillir le premier moyen et, en conséquence, d’annuler l’ordonnance attaquée en tant qu’elle a rejeté la demande tendant à ce qu’il soit sursis à l’exécution des articles 1er à 3 et 5 de la décision litigieuse, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens présentés par VC à l’appui de son pourvoi.

 Sur la demande de mesures provisoires présentée devant le Tribunal

43      Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque la Cour annule la décision du Tribunal, elle peut soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue. Cette disposition s’applique également aux pourvois formés conformément à l’article 57, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne [ordonnance du vice‑président de la Cour du 24 mai 2022, Puigdemont i Casamajó e.a./Parlement et Espagne, C‑629/21 P(R), EU:C:2022:413, point 172 ainsi que jurisprudence citée].

44      En l’espèce, la Cour dispose des éléments nécessaires pour statuer définitivement sur la demande en référé présentée par VC en tant qu’elle vise à obtenir le sursis à l’exécution des articles 1er à 3 et 5 de la décision litigieuse.

45      À cette fin, il importe de rappeler que l’article 156, paragraphe 4, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, selon une jurisprudence constante de la Cour, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours au fond. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence [ordonnance du vice-président de la Cour du 24 mai 2022, Puigdemont i Casamajó e.a./Parlement et Espagne, C‑629/21 P(R), EU:C:2022:413, point 175 ainsi que jurisprudence citée].

46      Dans le cadre de l’examen desdites conditions, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle du droit de l’Union ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnance de la vice-présidente de la Cour du 16 juillet 2021, Symrise/ECHA, C‑282/21 P(R), EU:C:2021:631, point 28 et jurisprudence citée].

47      En l’espèce, il convient d’examiner d’emblée la condition relative à l’urgence.

 Argumentation

48      À titre liminaire, VC fait valoir, d’une part, que la décision litigieuse ne produira d’effets que pendant une période de deux années à compter de sa notification, ce qui, au regard des délais moyens de traitement des recours en annulation par le Tribunal, impliquera que l’essentiel de ses effets seront déjà intervenus à la date où le Tribunal se prononcera sur le recours principal. Dès lors, il serait justifié, en vue de préserver l’effet utile de l’article 263 TFUE, de surseoir à l’exécution de cette décision.

49      D’autre part, il ressortirait d’une jurisprudence constante de la Cour que, en matière de passation de marchés publics, lorsque le soumissionnaire évincé parvient à démontrer l’existence d’un fumus boni juris particulièrement sérieux, il ne saurait être exigé de sa part qu’il établisse que le rejet de sa demande en référé risquerait de lui causer un préjudice irréparable. Cet assouplissement des critères d’appréciation de la condition relative à l’urgence devrait être appliqué en l’espèce.

50      Tout d’abord, un tel assouplissement des critères d’appréciation de la condition relative à l’urgence serait conforme aux objectifs et au contenu de la réglementation applicable. Ainsi, le législateur de l’Union aurait entendu que la mesure d’exclusion ou la publication ne soit pas appliquée dans certains cas pour des raisons de proportionnalité ou de sécurité juridique. Il ressortirait, en effet, de diverses dispositions de droit de l’Union qu’il doit être mis fin à la mesure d’exclusion si un jugement définitif remet en cause la réalité de la conduite fondant celle‑ci ou si des mesures de correction sont prises. La publication devrait, en outre, être exclue dans certaines circonstances.

51      Ensuite, le prononcé d’un sursis à l’exécution de la décision litigieuse permettrait d’assurer la protection juridictionnelle de VC, dans la mesure où diverses difficultés exposées dans le recours en annulation introduit par VC devraient pouvoir être correctement analysées.

52      Enfin, la décision litigieuse impliquerait notamment que VC ne pourra participer à aucune attribution de marché public au cours des deux prochaines années. Or, la solution retenue s’agissant d’un soumissionnaire exclu d’une procédure d’appel d’offres unique devrait, a fortiori, être appliquée à une entreprise qui est frappée d’une telle exclusion de portée générale.

53      En tout état de cause, VC soutient que la décision litigieuse lui cause des préjudices graves et irréparables.

54      Premièrement, alors qu’elle participerait régulièrement à des procédures d’appel d’offres ouvertes par les institutions, les organes et les organismes de l’Union, et qu’elle aurait présenté des offres dans quatre procédures de cet ordre actuellement en cours, la décision litigieuse lui interdirait une telle participation pour une période deux ans. De même, VC ne serait plus en mesure de conclure des contrats spécifiques en vertu des contrats-cadres qu’elle exécuterait actuellement pour des institutions, des organes et des organismes de l’Union. De surcroît, à l’issue de la période d’exclusion, elle serait appelée à rencontrer des difficultés pour prouver son expérience antérieure lors de futures procédures d’appel d’offres.

55      Deuxièmement, en raison de la mesure d’inscription de son nom dans la base de données du système de détection rapide et d’exclusion, les contrats qu’elle exécuterait actuellement pour tous les institutions, les organes et les organismes de l’Union seraient susceptibles d’être révisés ou résiliés.

56      Troisièmement, VC soutient que la publication sur le site Internet de la Commission des informations relatives à son exclusion de la participation à certaines procédures porte une atteinte irrémédiable à sa réputation ainsi qu’à celle de toutes les entreprises qui utilisent sa marque au niveau international.

57      L’EU-OSHA estime que la condition relative à l’urgence n’est pas remplie.

58      À cet égard, elle fait valoir, en premier lieu, que le rapport entre la période durant laquelle les effets de la décision sont appelés à se produire et la durée prévisible de la procédure devant le Tribunal est dépourvu de toute pertinence.

59      En deuxième lieu, elle soutient que la situation de VC n’est en aucun cas comparable à celle qui était en cause dans les affaires dans lesquelles un assouplissement des critères d’appréciation de la condition relative à l’urgence a été admis par la Cour.

60      En troisième lieu, les éléments de preuve fournis par VC ne permettraient pas d’établir un risque de survenance d’un dommage grave et irréparable. L’évaluation proposée du préjudice financier que pourrait subir la requérante serait ainsi purement hypothétique. Le caractère irréparable d’un tel préjudice devrait, de surcroît, être écarté, dans la mesure, notamment, où une action en réparation serait toujours possible.

61      En quatrième lieu, la mesure de publication ordonnée par la décision litigieuse ne porterait pas sur des informations confidentielles. En particulier, les principaux éléments relatifs au comportement reproché à VC seraient déjà connus du fait de la publication de la décision de la Commission nationale des marchés et de la concurrence du 11 mai 2021.

 Appréciation

 Sur les critères d’appréciation de la condition relative à l’urgence

62      Il ressort de la jurisprudence de la Cour que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision au fond, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union. C’est pour atteindre cet objectif que l’urgence doit être appréciée par rapport à la nécessité de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit causé à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure au fond, sans avoir à subir un préjudice de cette nature. Si, pour établir l’existence de ce préjudice, il n’est pas nécessaire d’exiger que la survenance et l’imminence de celui-ci soient établies avec une certitude absolue et qu’il suffit que ledit préjudice soit prévisible avec un degré de probabilité suffisant, il n’en reste pas moins que la partie qui sollicite une mesure provisoire demeure tenue de prouver les faits au regard desquels elle estime qu’il existe un risque réel de survenance d’un tel préjudice [ordonnance du vice-président de la Cour du 22 novembre 2022, Telefónica de España/Commission, C‑478/22 P(R), EU:C:2022:914, point 45 et jurisprudence citée].

63      Cependant, la Cour a jugé que, aux fins de se prononcer sur la condition relative à l’urgence dans une demande en référé relative à un marché attribué par l’Union, il convient de prendre en compte l’expression du principe général du droit à un recours effectif dans le domaine des marchés publics que contiennent les dispositions de la directive 89/665 [ordonnance du vice-président de la Cour du 22 novembre 2022, Telefónica de España/Commission, C‑478/22 P(R), EU:C:2022:914, point 46 et jurisprudence citée].

64      Or, étant donné qu’il résulte des dispositions de cette directive qu’une protection juridictionnelle effective exige que les soumissionnaires évincés disposent d’une réelle possibilité d’intenter un recours, y compris tendant à l’adoption de mesures provisoires, il découle de la prise en compte du principe général du droit à un recours effectif, tel que concrétisé par ladite directive, que, lorsque le soumissionnaire évincé parvient à démontrer l’existence d’un fumus boni juris particulièrement sérieux, il ne saurait être exigé de sa part, en vue de démontrer que la condition relative à l’urgence est remplie, qu’il établisse que le rejet de sa demande en référé risquerait de lui causer un préjudice irréparable [ordonnance du vice-président de la Cour du 22 novembre 2022, Telefónica de España/Commission, C‑478/22 P(R), EU:C:2022:914, point 47 et jurisprudence citée].

65      Pour autant, dès lors qu’il tient compte des dispositions d’une directive qui concrétisent un principe général du droit de l’Union, le juge de l’Union ne saurait faire abstraction du contenu de ces dispositions, nonobstant le fait qu’elles ne sont pas d’application, en tant que telles, au cas d’espèce. Plus particulièrement, dans la mesure où il ressort des dispositions d’une telle directive que le législateur de l’Union a voulu établir un équilibre entre les différents intérêts en présence, le juge de l’Union doit tenir compte de cet équilibre dans l’application qu’il fait du principe général ainsi concrétisé [ordonnance du vice-président de la Cour du 22 novembre 2022, Telefónica de España/Commission, C‑478/22 P(R), EU:C:2022:914, point 48 et jurisprudence citée].

66      Ainsi, l’assouplissement des critères d’appréciation de la condition relative à l’urgence vise uniquement à éviter que l’application sans nuance de la jurisprudence constante rappelée au point 62 de la présente ordonnance rende pratiquement impossible l’obtention de mesures provisoires au titre des articles 278 et 279 TFUE, en méconnaissance des impératifs découlant de la protection provisoire effective qui doit être garantie en matière de passation des marchés publics, mis en œuvre par les dispositions de la directive 89/665 [voir, en ce sens, ordonnance du vice-président de la Cour du 23 avril 2015, Commission/Vanbreda Risk & Benefits, C‑35/15 P(R), EU:C:2015:275, point 30].

67      Il s’ensuit que les critères d’appréciation de la condition relative à l’urgence doivent nécessairement être assouplis dans des situations comparables à celles dans lesquelles la directive 89/665 impose aux États membres de permettre aux opérateurs concernés d’obtenir le prononcé de mesures provisoires [voir, en ce sens, ordonnance du vice‑président de la Cour du 22 novembre 2022, Telefónica de España/Commission, C‑478/22 P(R), EU:C:2022:914, point 53].

68      En revanche, la circonstance, invoquée par VC, que certaines dispositions de la réglementation de l’Union, qui ne se rapportent pas aux recours ouverts contre les décisions des pouvoirs adjudicateurs, imposent, dans certaines circonstances, de ne pas adopter ou de réviser des mesures telles que celles imposées par la décision litigieuse ne saurait justifier que la présente demande en référé soit examinée en dérogeant aux critères d’appréciation de la condition relative à l’urgence rappelés au point 62 de la présente ordonnance.

69      En ce qui concerne l’étendue de la protection juridictionnelle prévue par la directive 89/665, il est vrai que cette directive ne prévoit aucune restriction quant à la nature et au contenu des décisions des pouvoirs adjudicataires qui doivent pouvoir faire l’objet des recours qu’elle vise (voir, en ce sens, arrêt du 4 juillet 2013, Fastweb, C‑100/12, EU:C:2013:448, point 26 et jurisprudence citée).

70      Toutefois, ladite directive ne saurait être considérée comme procédant à une harmonisation complète et, partant, comme envisageant l’ensemble des voies de recours possibles en matière de marchés publics (voir, en ce sens, arrêts du 26 mars 2020, Hungeod e.a., C‑496/18 et C‑497/18, EU:C:2020:240, point 73, ainsi que du 14 mai 2020, T-Systems Magyarország, C‑263/19, EU:C:2020:373, point 53).

71      Dans ce contexte, il importe de souligner que, aux termes de l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665, les États membres s’assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités qu’ils peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée du droit de l’Union en matière de marchés publics ou des règles nationales transposant ce droit [arrêt du 9 février 2023, VZ (Soumissionnaire définitivement exclu), C‑53/22, EU:C:2023:88, point 29]. Les exigences prévues notamment à l’article 2 de cette directive ne se rapportent, en conséquence, qu’aux recours engagés par des personnes ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésées par une violation alléguée (voir, en ce sens, du 14 mai 2020, T-Systems Magyarország, C‑263/19, EU:C:2020:373, point 54).

72      Il découle ainsi des dispositions définissant le champ d’application de la directive 89/665 que celle-ci porte non pas sur tout recours exercé contre une décision arrêtée en matière de passation de marché public mais, plus spécifiquement, sur les recours exercés dans le cadre d’une procédure se rapportant à un marché public déterminé.

73      Plusieurs éléments du contexte entourant cette disposition corroborent ce constat.

74      D’une part, le cinquième considérant de la directive 89/665 établit un lien entre la brièveté des procédures de passation de marchés publics et la nécessité de pouvoir obtenir des instances de recours compétentes le prononcé de mesures provisoires pour suspendre une procédure de passation de marchés publics ou l’exécution de décisions éventuellement prises par le pouvoir adjudicateur.

75      D’autre part, divers mécanismes prévus par cette directive, tels que la possibilité d’encadrer les délais de recours en fonction de la date de publication de l’avis d’attribution du marché ou de celle de conclusion du contrat ainsi que l’imposition d’un délai de suspension à compter de la notification de la décision d’attribution du contrat, ne peuvent, par nature, trouver à s’appliquer que dans une procédure se rapportant à un marché public déterminé.

76      Il découle de ces éléments que la protection provisoire effective qui doit être garantie en matière de passation de marchés publics, telle qu’elle résulte de la directive 89/665, ne s’étend pas aux décisions de portée générale qui ne se rapportent pas à un marché public déterminé.

77      Au regard des limites de la portée de cette protection provisoire, il résulte des considérations figurant aux points 66 et 67 de la présente ordonnance que les critères d’appréciation de la condition relative à l’urgence doivent être assouplis uniquement lorsqu’une personne ayant ou ayant eu intérêt à obtenir un marché public déterminé se prévaut de l’irrégularité d’une décision du pouvoir adjudicataire ayant eu pour effet d’exclure sa participation à ce marché public déterminé.

78      Dans cette perspective, seul le préjudice qui résulterait, pour cette personne, de la poursuite de la procédure relative à ce marché public déterminé doit être apprécié sur la base de critères assouplis, la directive 89/665 ne prévoyant pas l’octroi d’une protection provisoire au-delà du cadre d’une telle procédure spécifique.

79      Or, en l’espèce, la décision litigieuse revêt une portée générale et le préjudice dont se prévaut VC découle non pas de son exclusion de la procédure relative à un marché public déterminé à la suite de laquelle cette décision aurait été adoptée, mais des effets que pourrait produire à l’avenir ladite décision dans d’autres procédures.

80      Il ressort d’ailleurs des écritures des parties que la procédure de marché public de l’EU-OSHA à laquelle VC avait participé a déjà été clôturée et que le contrat relatif à ce marché a été signé, ce qui confirme que les mesures provisoires sollicitées par VC ne sont pas de nature à prévenir la survenance d’un préjudice qui serait lié à la poursuite de cette procédure.

81      En conséquence, il y a lieu d’apprécier la condition relative à l’urgence sur la base des critères d’appréciation généralement applicables dans la procédure de référé, rappelés au point 62 de la présente ordonnance.

 Sur l’existence d’un préjudice grave et irréparable

82      À titre liminaire, il convient de relever que la circonstance que la décision litigieuse pourrait épuiser une large partie de ses effets avant la date prévisible de la décision du Tribunal sur le recours en annulation est, en tout état de cause, dépourvue de toute pertinence aux fins de l’appréciation de la condition relative à l’urgence, dans la mesure où cette circonstance n’est pas susceptible de démontrer que VC subirait, en cas de rejet de sa demande en référé, un préjudice grave et irréparable.

83      En ce qui concerne la nature du préjudice invoqué par VC, il importe de souligner que celle-ci ne s’est prévalue d’un dommage à sa réputation qu’en relation avec la mesure de publication, mesure dont l’exécution a été suspendue au point 1 de l’ordonnance attaquée, lequel n’a pas fait l’objet d’un pourvoi.

84      S’agissant du préjudice dont se prévaut VC en relation avec les mesures d’exclusion et d’enregistrement de son nom dans la base de données du système de détection rapide et d’exclusion, force est de constater que ce préjudice revêt un caractère exclusivement pécuniaire.

85      Or, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour qu’un préjudice d’ordre pécuniaire ne saurait, sauf circonstances exceptionnelles, être considéré comme irréparable, une compensation pécuniaire étant, en règle générale, à même de rétablir la personne lésée dans la situation antérieure à la survenance du préjudice [ordonnance du vice-président de la Cour du 17 mars 2023, LE/Commission, C‑781/22 P-R, EU:C:2023:226, point 24 et jurisprudence citée].

86      Dans ce contexte, lorsque le préjudice invoqué est d’ordre financier, les mesures provisoires sollicitées se justifient notamment s’il apparaît que, en l’absence de ces mesures, la partie requérante se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril sa viabilité financière avant le prononcé de la décision mettant fin à la procédure au fond au regard, notamment, de la taille et du chiffre d’affaires de son entreprise ainsi que des caractéristiques du groupe auquel elle appartient [ordonnance du vice-président de la Cour du 17 mars 2023, LE/Commission, C‑781/22 P–R, EU:C:2023:226, point 25 et jurisprudence citée].

87      En l’espèce, si VC soutient que l’exécution de la décision litigieuse est susceptible de lui causer à la fois des pertes et un manque à gagner, elle ne présente pas d’argument destiné à établir que ceux-ci seraient de nature à mettre en péril sa viabilité financière.

88      À supposer même qu’il y ait lieu de comprendre la demande en référé en ce sens que VC entend faire état d’un tel risque, il convient de rappeler que, le juge des référés devant disposer d’indications concrètes et précises, étayées par des documents détaillés qui démontrent que l’entreprise concernée se trouve dans une situation susceptible de mettre en péril sa viabilité financière avant le prononcé de la décision mettant fin à la procédure au fond et permettent d’examiner les conséquences précises qui résulteraient, vraisemblablement, de l’absence des mesures demandées, il incombe à VC de fournir, pièces justificatives à l’appui, les éléments de preuve et d’information permettant d’établir une image fidèle et globale de sa situation financière [voir, par analogie, ordonnance du vice-président de la Cour du 17 mars 2023, LE/Commission, C‑781/22 P-R, EU:C:2023:226, point 27 et jurisprudence citée].

89      De surcroît, compte tenu de la célérité qui caractérise, par sa nature, la procédure de référé, il peut raisonnablement être exigé de la partie qui sollicite des mesures provisoires de présenter, sauf cas exceptionnels, dès le stade de l’introduction de sa demande, tous les éléments de preuve disponibles à l’appui de celle-ci, afin que le juge des référés puisse apprécier, sur cette base, le bien-fondé de ladite demande [ordonnance du vice-président de la Cour du 17 mars 2023, LE/Commission, C‑781/22 P-R, EU:C:2023:226, point 29 et jurisprudence citée].

90      En l’espèce, s’il est vrai qu’il incombe uniquement à VC d’établir que le préjudice dont elle se prévaut est prévisible avec un degré de probabilité suffisant (voir, en ce sens, ordonnance du 17 décembre 2018, Commission/Pologne, C‑619/18 R, EU:C:2018:1021, point 60), il suffit de constater que la demande en référé ne comporte aucune information précise, étayée par des pièces justificatives, permettant d’évaluer la situation financière actuelle de VC.

91      Il convient de relever, toutefois, qu’un préjudice d’ordre financier peut notamment être considéré comme irréparable si ce préjudice, même lorsqu’il se produit, ne peut pas être chiffré [ordonnance du vice‑président de la Cour du 28 novembre 2013, EMA/InterMune UK e.a., C‑390/13 P(R), EU:C:2013:795, point 49].

92      Certes, l’incertitude liée à la réparation d’un préjudice d’ordre pécuniaire dans le cadre d’un éventuel recours en indemnité ne saurait être considérée, en elle-même, comme une circonstance de nature à établir le caractère irréparable d’un tel préjudice, au sens de la jurisprudence de la Cour. En effet, au stade du référé, la possibilité d’obtenir ultérieurement la réparation d’un préjudice d’ordre pécuniaire dans le cadre d’un éventuel recours en indemnité, qui pourrait être intenté à la suite de l’annulation de l’acte attaqué, est nécessairement incertaine. Or, la procédure de référé n’a pas pour objet de se substituer à un tel recours en indemnité pour éliminer cette incertitude, sa finalité étant seulement de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive à intervenir dans la procédure au fond sur laquelle le référé se greffe, à savoir, en l’espèce, un recours en annulation [ordonnance du vice-président de la Cour du 28 novembre 2013, EMA/InterMune UK e.a., C‑390/13 P(R), EU:C:2013:795, point 50].

93      En revanche, il en va autrement lorsqu’il apparaît clairement, dès l’appréciation effectuée par le juge des référés, que le préjudice invoqué, compte tenu de sa nature et de son mode prévisible de survenance, ne sera pas susceptible d’être identifié et chiffré de manière adéquate s’il se produit et que, en pratique, un recours en indemnité ne saurait par conséquent permettre de le réparer [ordonnance du vice‑président de la Cour du 28 novembre 2013, EMA/InterMune UK e.a., C‑390/13 P(R), EU:C:2013:795, point 51].

94      En l’espèce, si les modalités du calcul de la réparation que VC pourrait éventuellement obtenir doivent encore être précisées, il n’en demeure pas moins que la requérante fait état d’un préjudice qui, au regard de sa nature et de son mode prévisible de survenance, pourrait en principe être déterminé en évaluant dans quelle mesure VC a subi une perte de chance de conclure de nouveaux contrats. Force est d’ailleurs de constater que VC fournit elle-même des éléments d’évaluation pécuniaire des dommages qu’elle pourrait subir du fait de la décision litigieuse.

95      Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que le préjudice dont se prévaut VC ne pourrait pas être chiffré.

96      Partant, il y a lieu de constater que VC n’a pas établi qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure au fond sans avoir à subir un préjudice financier grave et irréparable du fait de l’application des articles 1 à 3 et 5 de la décision litigieuse.

97      Compte tenu du caractère cumulatif des conditions requises pour l’octroi de mesures provisoires, il convient, dès lors, de rejeter la demande tendant à ce qu’il soit sursis à l’exécution des articles 1er à 3 et 5 de la décision litigieuse, sans qu’il soit besoin d’examiner les conditions relatives au fumus boni juris et à la mise en balance des intérêts.

 Sur les dépens

98      Conformément à l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement, elle statue sur les dépens.

99      L’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’article 138, paragraphe 3, dudit règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, prévoit, en outre, que, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, la Cour peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie.

100    En l’espèce, eu égard à l’annulation partielle de l’ordonnance attaquée et au rejet partiel du recours de première instance, il convient de condamner VC et l’EU-OSHA à supporter leurs propres dépens afférents au pourvoi.

101    Concernant les dépens afférents à la procédure de première instance, il y a lieu, conformément à l’article 137 du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, de réserver les dépens de VC et de l’EU‑OSHA.

Par ces motifs, le juge des référés ordonne :

1)      L’ordonnance du président du Tribunal de l’Union européenne du 14 juillet 2023, VC/EU-OSHA (T126/23 R, EU:T:2023:405), est annulée en tant qu’elle rejette la demande tendant à ce qu’il soit sursis à l’exécution des articles 1er à 3 et 5 de la décision 2023/01 du directeur exécutif provisoire de l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU-OSHA), du 13 janvier 2023, relative à l’exclusion de la requérante de la participation aux procédures de passation de marchés publics et à celles relatives aux subventions, aux prix, aux attributions et aux instruments financiers régies par le budget général de l’Union européenne ainsi qu’aux procédures d’attribution relatives au Fonds européen de développement régies par le règlement (UE) 2018/1877 du Conseil.

2)      La demande tendant à ce qu’il soit sursis à l’exécution des articles 1er à 3 et 5 de la décision 2023/01 est rejetée.

3)      VC et l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU-OSHA) supportent leurs propres dépens afférents au pourvoi.

4)      Les dépens de VC et de l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU-OSHA) afférents à la procédure de première instance sont réservés.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.