Language of document : ECLI:EU:T:2024:152

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

6 mars 2024 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de nullité – Marque de l’Union européenne consistant en une nuance de la couleur orange – Cause de nullité absolue – Représentation graphique suffisamment claire et précise – Article 4 et article 7, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) no 40/94 [devenus article 4 et article 7, paragraphe 1, sous a), du règlement (UE) 2017/1001] – Caractère distinctif acquis par l’usage – Article 7, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 3, du règlement no 40/94 [devenu article 7, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 3, du règlement 2017/1001] »

Dans l’affaire T‑652/22,

Lidl Stiftung & Co. KG, établie à Neckarsulm (Allemagne), représentée par Mes M. Kefferpütz, K. Wagner et A. Wrage, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. T. Klee, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

MHCS, établie à Épernay (France), représentée par Mes O. Vrins, B. Raus et N. Clarembeaux, avocats,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de Mme M. J. Costeira, présidente, M. P. Zilgalvis (rapporteur) et Mme E. Tichy‑Fisslberger, juges,

greffier : Mme R. Ūkelytė, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 20 septembre 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Lidl Stiftung & Co. KG, demande l’annulation de la décision de la quatrième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 16 août 2022 (affaire R 118/2022‑4) (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Le 12 février 1998, SA Veuve Clicquot Ponsardin, le prédécesseur en droit de l’intervenante, MHCS, a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’EUIPO, en vertu du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié, lui-même remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

3        La marque dont l’enregistrement a été demandé était désignée comme une marque figurative dans le formulaire de demande, dans lequel était mentionné, dans la rubrique « Couleur revendiquée », que « la protection [était] revendiquée pour la couleur orange dont la définition scientifique sui[vait]t : coordonnées trichromatiques/caractéristiques colorimétriques : x 0,520, y 0,428 - facteur de réflexion diffuse 42,3 % - Longueur d’onde dominante 586,5 mm - Pureté d’excitation 0,860 - Pureté colorimétrique : 0,894 ». Cette marque était représentée comme suit :

Image not found

4        Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent notamment de la classe 33 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent à la description suivante : « Vins de Champagne ».

5        Par décision du 20 janvier 2000, l’examinatrice a rejeté la demande de marque de l’Union européenne, au motif qu’elle était dépourvue de caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94 [devenu article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001]. Elle a précisé que la marque n’était pas une marque de couleur per se, mais une marque figurative en couleur et que, si la demande visait une couleur, au lieu de la case « marque figurative », la case « autres » aurait dû être cochée dans le formulaire de demande.

6        Par décision du 20 novembre 2002 (affaire R 246/2000-2), la deuxième chambre de recours a indiqué que le formulaire standard de demande devait être interprété comme faisant référence à une demande de protection pour une marque de couleur, même si la case correspondant à une marque figurative avait été cochée. Elle a annulé la décision de l’examinatrice du 20 janvier 2000 et a renvoyé l’affaire à cette dernière afin de déterminer si la marque avait acquis un caractère distinctif par l’usage au sens de l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 40/94 (devenu article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001).

7        Par décision du 19 décembre 2003, l’examinatrice, qui a désigné la marque dont l’enregistrement était demandé comme étant déposée « sous forme de couleur per se », a rejeté la demande au motif qu’aucun caractère distinctif acquis par l’usage au sens de l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 40/94 n’avait été établi.

8        Par décision du 26 avril 2006 (affaire R 148/2004-2), la deuxième chambre de recours a annulé la décision de l’examinatrice du 19 décembre 2003 et a conclu qu’un caractère distinctif acquis par l’usage avait été démontré pour les vins de Champagne.

9        La demande de marque a été publiée au Bulletin des marques communautaires no 37/2006 du 11 septembre 2006 et la marque en cause a été enregistrée le 23 mars 2007 sous le numéro 747949.

10      Le 16 mars 2010, la marque en cause a été transférée à l’intervenante.

11      Une première demande en nullité de la marque en cause a été introduite par un tiers sur le fondement de l’article 52, paragraphe 1, du règlement no 207/2009. Cette demande a été rejetée par la décision de la division d’annulation du 25 février 2015 au motif notamment que ladite marque avait acquis un caractère distinctif par l’usage sur le territoire pertinent. Cette décision est devenue définitive.

12      Une deuxième demande en nullité de la marque en cause a été introduite par la requérante, le 3 novembre 2015, sur le fondement de l’article 52, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009 [devenu article 59, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001], lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement no 207/2009 [devenu article 7, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement 2017/1001].

13      Par décision du 12 novembre 2018, la division d’annulation a rejeté la demande en nullité de la requérante. Premièrement, elle a considéré que, en dépit du fait que la marque contestée eut été déposée et enregistrée en tant que « marque figurative », les parties n’avaient pas contesté qu’il s’agissait d’une marque de couleur en tant que telle, comme la chambre de recours l’avait reconnu dans ses décisions du 20 novembre 2002 et du 26 avril 2006. Deuxièmement, elle a considéré qu’il avait été satisfait aux exigences de l’article 4 du règlement no 40/94, aux motifs que la représentation de ladite marque était immédiatement intelligible et que la description permettait à des tiers d’acquérir une connaissance précise du signe pour lequel la protection était demandée. Troisièmement, elle a estimé qu’un caractère distinctif acquis par l’usage de cette marque avait été établi à la date de dépôt de la demande d’enregistrement sur le territoire de quinze États membres, à savoir en Belgique, aux Pays-Bas, au Luxembourg, au Royaume-Uni, en Irlande, en Allemagne, en France, en Espagne, en Italie, en Grèce, au Danemark, au Portugal, en Autriche, en Finlande et en Suède.

14      Le 6 décembre 2018, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO contre la décision de la division d’annulation du 12 novembre 2018.

15      Par décision du 24 février 2020 (affaire R 2392/2018-1), la première chambre de recours a annulé la décision de la division d’annulation du 12 novembre 2018 et lui a renvoyé l’affaire.

16      En premier lieu, la chambre de recours a examiné la catégorie de la marque désignée par le demandeur de la marque contestée. À cet égard, elle a indiqué que cette catégorie n’était pas susceptible de faire l’objet d’un accord entre les parties et que l’indication d’une telle catégorie dans le formulaire de demande n’était pas ambiguë. Selon elle, ladite marque ne pouvait être considérée, selon sa représentation, que comme une marque figurative revendiquant une couleur spécifique. En deuxième lieu, elle a rappelé que la modification de la qualification d’une marque était de nature à influencer l’analyse de son caractère distinctif. En troisième lieu, après avoir rappelé que les décisions de l’EUIPO ne pouvaient être fondées que sur des motifs ou des preuves au sujet desquels les parties avaient pu prendre position, elle a estimé qu’il convenait d’annuler la décision de la division d’annulation du 12 novembre 2018 en vue d’un réexamen, pour permettre aux parties de s’adapter à son interprétation et assurer le plein respect de leurs droits de la défense.

17      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 mai 2020, l’intervenante a formé un recours contre la décision de la première chambre de recours du 24 février 2020.

18      Par arrêt du 15 septembre 2021, MHCS/EUIPO – Lidl Stiftung (Nuance de couleur orange) (T‑274/20, non publié, EU:T:2021:592), le Tribunal a annulé la décision de la première chambre de recours du 24 février 2020 au motif que celle-ci avait excédé sa compétence, en violation de l’article 95, paragraphe 1, dernière phrase, du règlement 2017/1001, lu conjointement avec l’article 27, paragraphe 2, du règlement délégué (UE) 2018/625 de la Commission du 5 mars 2018 complétant le règlement 2017/1001 et abrogeant le règlement délégué (UE) 2017/1430 (JO 2018, L 104, p. 1). Il a notamment conclu que la question de la nature de la marque contestée ne constituait ni un argument ni un moyen soumis par les parties et qu’elle ne concernait pas non plus un fait pertinent ou une exigence procédurale essentielle, que la deuxième chambre de recours avait déjà statué sur la question de ladite nature dans le cadre de la procédure d’enregistrement, et que c’est à tort que le département de l’EUIPO chargé du registre avait omis de rectifier l’enregistrement de cette marque en tant qu’« autre marque » ou en tant que « marque de couleur » au lieu de « marque figurative ».

19      Une troisième demande en nullité de la marque contestée a été introduite, le 5 novembre 2021, par Lidl Digital International GmbH & Co. KG, une filiale de la requérante, au vu des incohérences dans le formulaire de demande.

20      À la suite de l’arrêt du 15 septembre 2021, Nuance de couleur orange (T‑274/20, non publié, EU:T:2021:592), l’EUIPO a rectifié, le 14 janvier 2022, l’erreur commise dans le registre en indiquant que la marque contestée était enregistrée en tant que marque de couleur.

21      Par la décision attaquée, la quatrième chambre de recours a rejeté le recours auprès de l’EUIPO contre la décision de la division d’annulation du 12 novembre 2018. En substance, elle a considéré, d’une part, que la marque contestée était conforme aux exigences de l’article 4 du règlement no 40/94 et, d’autre part, que les éléments de preuve soumis par l’intervenante démontraient qu’une partie importante du public pertinent était, au moment de la demande d’enregistrement de ladite marque, habituée à la nuance d’orange telle que protégée par cette marque et que, partant, il n’existait aucun doute quant au caractère distinctif acquis par l’usage de la marque contestée au sens de l’article 7, paragraphe 3, dudit règlement au moment du dépôt de cette marque.

 Conclusions des parties

22      La requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée et constater la nullité de la marque contestée ;

–        à titre subsidiaire, renvoyer l’affaire devant la chambre de recours aux fins d’un réexamen ;

–        condamner l’EUIPO et l’intervenante à supporter leurs propres dépens et l’EUIPO à supporter les dépens exposés par elle, y compris ceux exposés devant l’EUIPO.

23      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens en cas de tenue d’une audience.

24      L’intervenante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante et l’EUIPO à supporter leurs propres dépens et la requérante à supporter les dépens exposés par elle.

–        à titre subsidiaire, si le Tribunal devait annuler la décision attaquée, renvoyer l’affaire devant la chambre de recours aux fins de la poursuite de la procédure.

 En droit

 Sur la recevabilité de certains éléments de preuve présentés par la requérante

25      L’EUIPO et l’intervenante soutiennent que la requérante a présenté certains éléments de preuve pour la première fois devant le Tribunal et que, pour cette raison, ceux-ci sont irrecevables. Selon l’EUIPO, il s’agit des annexes A.7 à A.9 de la requête, tandis que l’intervenante mentionne les annexes A.6.a à A.10 de la requête.

26      Interrogée lors de l’audience, la requérante, tout en soutenant qu’elle a produit des documents en lien avec ceux déjà soumis au cours de la procédure administrative devant l’EUIPO, a admis que certaines annexes auraient pu être présentées pour la première fois devant le Tribunal.

27      À cet égard, il doit être rappelé qu’un recours porté devant le Tribunal en vertu de l’article 72, paragraphe 2, du règlement 2017/1001 vise au contrôle de la légalité des décisions des chambres de recours. Dans le cadre dudit règlement, en application de son article 95, ce contrôle doit se faire au regard du cadre factuel et juridique du litige tel qu’il a été porté devant la chambre de recours [voir arrêt du 1er février 2005, SPAG/OHMI – Dann et Backer (HOOLIGAN), T‑57/03, EU:T:2005:29, point 17 et jurisprudence citée]. Il s’ensuit que le Tribunal ne saurait annuler ou réformer la décision objet du recours pour des motifs qui apparaîtraient postérieurement à son prononcé (arrêts du 11 mai 2006, Sunrider/OHMI, C‑416/04 P, EU:C:2006:310, point 55, et du 13 mars 2007, OHMI/Kaul, C‑29/05 P, EU:C:2007:162, point 53).

28      Dès lors, la fonction du Tribunal n’est pas de réexaminer les circonstances de fait à la lumière des preuves présentées pour la première fois devant lui. En effet, l’admission de ces preuves est contraire à l’article 188 du règlement de procédure du Tribunal, selon lequel les mémoires des parties ne peuvent pas modifier l’objet du litige devant la chambre de recours. Partant, les preuves produites pour la première fois devant le Tribunal doivent être déclarées irrecevables, sans qu’il soit nécessaire de les examiner [voir arrêt du 14 mai 2009, Fiorucci/OHMI – Edwin (ELIO FIORUCCI), T‑165/06, EU:T:2009:157, point 22 et jurisprudence citée].

29      S’agissant, premièrement, des annexes A.7 à A.9 de la requête, il s’agit de captures d’écran de bouteilles de vins de Champagne de différentes marques, datant entre 1993 et 1995. Ces éléments ne faisaient pas faire partie du dossier administratif devant la chambre de recours, de sorte qu’ils sont irrecevables conformément à la jurisprudence citée aux points 27 et 28 ci-dessus.

30      S’agissant, deuxièmement, de l’annexe A.10 de la requête, comportant une capture d’écran d’une bouteille de vins de Champagne Veuve Clicquot de 1964, cet élément ne faisait pas partie du dossier administratif devant la chambre de recours de sorte qu’il est irrecevable conformément à la jurisprudence citée aux points 27 et 28 ci-dessus.

31      En ce qui concerne, troisièmement, les annexes A.6.a et A.6.b de la requête, à savoir la lettre du 21 avril 2006 à l’EUIPO en français et sa traduction en anglais, par laquelle le prédécesseur en droit de l’intervenante a précisé, à la demande de la deuxième chambre de recours, que la référence Pantone la plus proche de la nuance de couleur de la marque contestée était 137 C, il convient de constater que cette lettre a été soumise par l’intervenante elle-même devant la chambre de recours et figure, ainsi, dans le dossier administratif devant ladite chambre. Elle est, de surcroît, reproduite au point 11 de la décision attaquée et, par ailleurs, mentionnée aux points 10 et 68 de celle-ci. Dans ces conditions, ces éléments n’ont pas été présentés pour la première fois devant le Tribunal, de sorte qu’ils sont recevables.

 Sur le bien-fondé des moyens

32      Compte tenu de la date d’introduction de la demande d’enregistrement en cause, à savoir le 12 février 1998, qui est déterminante aux fins de l’identification du droit matériel applicable, les faits de l’espèce sont régis  par les dispositions matérielles du règlement no 40/94 (voir, en ce sens, ordonnance du 5 octobre 2004, Alcon/OHMI, C‑192/03 P, EU:C:2004:587, points 39 et 40, et arrêt du 23 avril 2020, Gugler France/Gugler et EUIPO, C‑736/18 P, non publié, EU:C:2020:308, point 3 et jurisprudence citée). Par ailleurs, dans la mesure où, selon une jurisprudence constante, les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à la date à laquelle elles entrent en vigueur (voir arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, C‑610/10, EU:C:2012:781, point 45 et jurisprudence citée), le litige est régi par les dispositions procédurales du règlement 2017/1001 et du règlement délégué 2018/625.

33      Par conséquent, en ce qui concerne les règles de fond, il convient d’entendre les références faites par la chambre de recours dans la décision attaquée et par les parties dans leurs écritures à l’article 4, à l’article 7, paragraphe 1, sous a) et b) et paragraphe 3, ainsi qu’à l’article 59, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, comme visant l’article 4, l’article 7, paragraphe 1, sous a) et b) et paragraphe 3, ainsi que l’article 51, paragraphe 1, sous a), d’une teneur identique du règlement no 40/94.

34      À l’appui du recours, la requérante invoque formellement dix moyens, cinq pour chaque motif de nullité invoqué au cours de la procédure administrative devant l’EUIPO, à savoir l’article 4 du règlement no 40/94 et l’article 7, paragraphe 1, sous b) et paragraphe 3, du même règlement. Dans la mesure où la requérante a regroupé ses moyens par motif de nullité, il convient de considérer que la requérante soulève, en substance, deux moyens, dont chacun comporte cinq branches.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 4 du règlement no 40/94

35      Il y a lieu de commencer par l’examen conjoint des première, troisième et quatrième branches du présent moyen.

–       Sur les première, troisième et quatrième branches

36      Par la première branche du présent moyen, la requérante soutient que la description de la marque contestée, à savoir la définition scientifique, ne respecte pas les conditions établies par l’article 4 du règlement no 40/94 et par l’arrêt du 12 décembre 2002, Sieckmann (C‑273/00, ci-après l’« arrêt Sieckmann », EU:C:2002:748). À cet égard, elle avance que cette définition, premièrement, n’est pas complète par elle-même dans la mesure où elle ne mentionne pas le système trichromatique 2° de la Commission internationale de l’éclairage (CIE) de 1931 prétendument applicable, deuxièmement, n’est pas facilement accessible en ce qu’il est nécessaire de mandater un expert, car un opérateur économique n’a pas de connaissances dans le domaine de colorimétrie et, troisièmement, n’est pas intelligible dans la mesure où les opérateurs économiques ne comprennent pas la définition scientifique. Elle estime qu’il existe une différence essentielle entre la définition en cause et les codes de couleur Pantone, RAL ou HKS en ce que ladite définition donne une « instruction sur la manière d’identifier de manière approximative la couleur prétendument décrite »

37      Par ailleurs, selon la requérante, la chambre de recours n’a donné aucun motif de nature à justifier l’affirmation selon laquelle la « définition scientifique » était comparable aux codes Pantone, RAL ou HKS et a violé, ainsi l’article 94, du règlement 2017/1001.

38      Dans le cadre de la troisième branche du premier moyen, la requérante conteste l’affirmation de la chambre de recours selon laquelle l’ajout de la « définition scientifique » était superflu et n’était donc pas déterminant à l’égard des causes de nullité invoquées. Selon elle, quand bien même l’ajout d’une description de la marque serait optionnel, étant donné que la titulaire de la marque contestée a décidé de procéder à un tel ajout, il fait partie de ladite marque. À cet égard, elle se réfère à l’arrêt du 19 juin 2019, adidas/EUIPO – Shoe Branding Europe (Représentation de trois bandes parallèles) (T‑307/17, EU:T:2019:427). Elle soutient que, dans la mesure où, selon cette jurisprudence, la description doit être examinée conjointement avec la représentation graphique, il doit y avoir une correspondance entre la description de la marque et sa représentation graphique. Or la même définition scientifique serait également incluse dans la description de la marque française 1597323 dont la représentation graphique différerait considérablement de celle produite en l’espèce.

39      Par la quatrième branche du premier moyen, la requérante conteste la conclusion de la chambre de recours selon laquelle la représentation graphique de la marque contestée satisfait en soi aux exigences de l’article 4, du règlement no 40/94 et, en particulier, à la constatation de ladite chambre selon laquelle l’échantillon électronique par lequel ladite marque est reproduite satisfait auxdites exigences. À cet égard, elle se réfère au point 31 de l’arrêt du 6 mai 2003, Libertel (C‑104/01, ci-après l’« arrêt Libertel », EU:C:2003:244), dont il ressortirait qu’un simple échantillon de couleur ne répondait pas aux exigences de l’arrêt Sieckmann. Selon elle, un registre électronique ne permet pas de surmonter le manque de durabilité et, de toute façon, n’est jamais clair et précis. En outre, une représentation électronique ne serait pas objective si elle exige que la nuance de couleur revendiquée soit affichée de manière fiable et toujours de la même façon. La nuance de couleur pourrait être altérée lors du processus de numérisation et les couleurs des copies numérisées ne correspondraient pas exactement à celles de l’original. Ainsi, même si le registre pourrait être durable, il ne serait pas objectif. Or, la chambre de recours n’aurait pas abordé ces insuffisances dans la décision attaquée.

40      En outre, la requérante soutient qu’un simple échantillon manque de clarté et de précision et que l’utilisateur n’est pas en mesure d’identifier la nuance exacte de la couleur sur cette base, de sorte qu’il serait nécessaire d’associer à cet échantillon une description verbale, ainsi que l’aurait conclu la Cour dans l’arrêt Libertel.

41      L’EUIPO et l’intervenante contestent les allégations de la requérante.

42      Conformément à l’article 7, paragraphe 1, sous a), du règlement no 40/94, sont refusés à l’enregistrement en tant que marques de l’Union européenne les signes qui ne sont pas conformes à l’article 4 de ce règlement.

43      Aux termes de l’article 4 du règlement no 40/94, peuvent constituer des marques de l’Union européenne tous les signes susceptibles d’une représentation graphique, notamment les mots, y compris les noms de personnes, les dessins, les lettres, les chiffres, la forme du produit ou de son conditionnement, à condition que de tels signes soient propres à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises.

44      S’agissant de l’article 2 de la directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1) qui correspond en substance à l’article 4 du règlement no 40/94, la Cour a jugé qu’une représentation graphique, au sens de cette disposition, doit permettre au signe d’être représenté visuellement, en particulier au moyen de figures, de lignes ou de caractères, de sorte qu’il puisse être identifié avec exactitude. Pour remplir sa fonction, la représentation graphique doit être claire, précise, complète par elle-même, facilement accessible, intelligible, durable et objective (arrêt Sieckmann, points 47 à 55). Il s’agit des critères auxquels se réfère notamment la requérante.

45      S’agissant des marques de couleur, la Cour a estimé que la description verbale d’une couleur, tant qu’elle est formée de mots composés eux-mêmes de caractères, constitue une représentation graphique de celle-ci. Toutefois la question de savoir si une description verbale de la couleur remplit les conditions de l’arrêt Sieckmann doit être appréciée au vu des circonstances de chaque cas d’espèce. Elle est parvenue à la conclusion que l’association d’un échantillon d’une couleur et d’une description verbale de celle-ci peut donc constituer une représentation graphique au sens de l’article 2 de la directive 89/104, à condition que la description soit claire, précise, complète par elle-même, facilement accessible, intelligible et objective (arrêt Libertel, points 34 à 36).

46      En l’espèce, la demande d’enregistrement de la marque contestée comportait un échantillon de couleur, tel que reproduit au point 3 ci-dessus et au point 1 de la décision attaquée, ainsi que la description suivante « la protection est revendiquée pour la couleur orange dont la définition scientifique suit : coordonnées trichromatiques/caractéristiques colorimétriques : x 0,520, y 0,428 - facteur de réflexion diffuse 42,3 % - Longueur d’onde dominante 586,5 mm - Pureté d’excitation 0,860 - Pureté colorimétrique : 0,894 », figurant aux mêmes points.

47      À cet égard, la chambre de recours a considéré, au point 66 de la décision attaquée, que l’échantillon électronique par lequel la marque contestée était reproduite satisfaisait à lui seul aux exigences de l’article 4 du règlement no 40/94. Elle a ajouté que ce mode de représentation de la couleur orange pour laquelle la protection est revendiquée, telle que décrite, était sans aucun doute aussi clair, précis, complet par lui-même, facilement accessible, intelligible, durable et objectif que possible. Au point 67 de cette décision, elle a indiqué également que l’ajout supplémentaire de la description verbale de la couleur et de la définition scientifique de la CIE ne faisait que clarifier davantage ce qui est déjà suffisamment défini, mais, en soi, satisferait également aux exigences susmentionnées et, partant, d’autant plus en combinaison avec cet échantillon électronique.

48      Il y a lieu de relever que par la quatrième branche, la requérante soutient que l’échantillon de couleur en cause ne satisfait pas aux exigences de l’article 4 du règlement no 40/94 et à celles de l’arrêt Sieckmann. Par la première branche, elle estime que la description et la définition scientifique ne satisfont pas aux mêmes exigences. Enfin, par la troisième branche, elle soutient que la description doit être examinée conjointement avec la représentation graphique et qu’il doit y avoir une correspondance entre les deux.

49      En premier lieu, il convient d’examiner si l’échantillon de couleur en cause satisfait aux exigences de l’article 4 du règlement no 40/94 et à celles de l’arrêt Sieckmann.

50      S’agissant des échantillons de couleur, la Cour a relevé qu’ils pouvaient s’altérer avec le temps. Il ne saurait donc être exclu que certains supports permettent d’enregistrer une couleur de façon inaltérable. Toutefois, d’autres supports, notamment le papier, ne permettent pas de préserver la nuance de couleur de l’usure du temps. Dans un tel cas, le dépôt d’un échantillon d’une couleur ne présenterait pas le caractère durable exigé par l’article 2 de la directive 89/104 (voir arrêt Libertel, points 31 à 32 et jurisprudence citée).

51      Il ressort de la lecture combinée des points 15, 31 et 32 de l’arrêt Libertel que les considérations de la Cour selon lesquelles un échantillon de couleur ne présenterait pas le caractère durable exigé par l’article 2 de la directive 89/104 sont formulées à l’égard d’un tel échantillon sous format papier. Or, en l’espèce, l’échantillon de couleur en cause est numérisé, de sorte que ce support numérique permet d’enregistrer une couleur de façon inaltérable, comme l’avait notamment estimé la chambre de recours qui a considéré que cet échantillon satisfaisait, à lui seul, aux exigences de l’article 4, du règlement no 40/94.

52      De même, les arguments de la requérante selon lesquels, l’échantillon de couleur en cause ne répondrait pas au critère de la durabilité sont purement hypothétiques et spéculatifs et remettent en cause le registre de l’EUIPO dans son ensemble, ainsi que l’ont relevé ce dernier et l’intervenante.

53      De surcroît, il y a lieu de relever que la seule critique de la Cour dans l’arrêt Libertel contre un échantillon de couleur sous format papier concernait sa durabilité. Partant, les autres allégations de la requérante selon lesquelles la représentation graphique de la marque contestée ne remplissait pas les critères de l’arrêt Sieckmann, notamment ceux de clarté et de précision ne sauraient prospérer.

54      Il s’ensuit que la chambre de recours n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant que l’échantillon de couleur en cause satisfaisait, à lui seul, aux exigences de l’article 4, du règlement no 40/94.

55      S’agissant, en second lieu, des arguments tirés d’une nécessaire correspondance entre la description et la définition scientifique, il ressort de la jurisprudence que lorsque la demande est assortie d’une description verbale du signe, cette description doit contribuer à préciser l’objet et l’étendue de la protection sollicitée au titre du droit des marques et une telle description ne saurait entrer en contradiction avec la représentation graphique d’une marque, ni être de nature à susciter des doutes sur l’objet et l’étendue de cette représentation graphique (voir arrêt du 29 juillet 2019, Red Bull/EUIPO, C‑124/18 P, EU:C:2019:641, point 37 et jurisprudence citée).

56      De même, il ressort de l’arrêt auquel se réfère la requérante, que la règle 3, paragraphe 3, du règlement (CE) no 2868/95 de la Commission du 13 décembre 1995 portant modalités d’application du règlement (CE) n40/94 du Conseil sur la marque communautaire (JO 1995, L 303, p. 1) prévoit que la demande d’enregistrement « peut contenir une description de la marque ». Dès lors, dans l’hypothèse où une description est présente dans la demande d’enregistrement, cette description doit être examinée conjointement avec la représentation graphique (voir arrêt du 19 juin 2019, Représentation de trois bandes parallèles, T‑307/17, EU:T:2019:427, point 31 et jurisprudence citée).

57      Toutefois, en l’espèce, force est de constater, d’une part, que la description de la marque contestée a été bien prise en compte par la chambre de recours (voir point 67 de la décision attaquée). D’autre part, il doit être relevé, à l’instar de l’intervenante, que la requérante bien qu’elle avance que la définition scientifique de la CIE ne répond pas aux critères de l’arrêt Sieckmann et à ceux de l’article 4 du règlement no 40/94, n’a pas soutenu qu’il y aurait une contradiction entre l’échantillon de couleur en cause et la description contenant la définition scientifique de la CIE. Interrogée sur ce point lors de l’audience, la requérante a estimé que la démonstration concrète de la contradiction ne faisait pas partie de la présente procédure.

58      Ainsi, dans la mesure où, en l’espèce, les exigences de l’article 4 du règlement no 40/94, telles que précisées par l’arrêt Sieckmann sont satisfaites par l’échantillon de couleur en cause (voir point 54 ci-dessus) et ne sont pas contredites par la description fournie et la définition scientifique qui a bien été prise en compte conjointement (voir point 57 ci-dessus), il n’est pas nécessaire d’examiner si la description de la marque contestée et la définition scientifique de la CIE satisfont aux critères de cet article et dudit arrêt. En effet, selon la jurisprudence citée aux points 55 et 56 ci-dessus, il n’est pas exigé que la description de la marque, lorsqu’elle est incluse dans le formulaire de demande, réponde, à elle seule, aux critères dudit article.

59      Dans ces conditions, les considérations de la chambre de recours figurant au point 67 de la décision attaquée selon lesquelles la description satisferait, en soi, également aux exigences de l’article 4 du règlement no 40/94 sont formulées à titre surabondant. Or, les arguments dirigés contre des motifs surabondants d’une décision sont inopérants [voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2020, Muratbey Gida/EUIPO (Forme d’un fromage tressé), T‑570/19, non publié, EU:T:2020:127, point 43 et jurisprudence citée].

60      S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel l’échantillon de couleur en cause ne correspondrait pas à celui de la marque française décrite pourtant par la même définition scientifique, il convient de rappeler que le régime des marques de l’Union européenne, est un système autonome, constitué d’un ensemble de règles et poursuivant des objectifs qui lui sont spécifiques, son application étant indépendante de tout système national (arrêt du 12 décembre 2013, Rivella International/OHMI, C‑445/12 P, EU:C:2013:826, point 48).

61      Quant au grief formulé par la requérante relatif à l’insuffisance de motivation, celui-ci devrait être, en tout état de cause, rejeté. En effet, l’obligation de motivation n’impose pas aux chambres de recours de fournir un exposé qui suivrait exhaustivement et un par un tous les raisonnements articulés par les parties devant elles. Il leur suffit d’exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision [arrêt du 15 janvier 2015, MEM/OHMI (MONACO), T‑197/13, EU:T:2015:16, point 19]. Or, en l’espèce, même si les considérations selon lesquelles la définition de la CIE satisferait en soi aux exigences de l’article 4 du règlement no 40/94 sont erronées, elles permettent de comprendre que la chambre de recours a assimilé cette définition aux codes Pantone, RAL et HKS en suivant l’argumentation de l’intervenante.

62      Partant, il y a lieu d’écarter les première, troisième et quatrième branches du premier moyen.

–       Sur la deuxième branche

63      La requérante conteste la légalité de l’affirmation de la chambre de recours, figurant au point 68 de la décision attaquée, selon laquelle la titulaire de la marque contestée a précisé que la référence Pantone la plus proche de la nuance de couleur demandée était 137 C. À cet égard, elle avance que ces précisions ne ressortent pas de la demande d’enregistrement et fait valoir que l’objet d’une marque ne saurait être précisé par référence à des informations extérieures. Elle se réfère notamment au point 52 de l’arrêt Sieckmann. Selon elle, une communication adressée à ladite chambre est un élément extérieur et ne relève ni de la demande d’enregistrement, ni de l’enregistrement publié dans le registre des marques.

64      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

65      En l’espèce, il y a lieu de relever que la chambre de recours s’est référée, au point 68 de la décision attaquée, à la décision de la deuxième chambre de recours du 20 novembre 2002, dont il ressortait que, à la suite de sa demande, la titulaire de la marque contestée avait précisé que la référence Pantone la plus proche de la nuance de couleur demandée était 137 C. Il ressort du même point que cette dernière chambre n’avait manifestement pas jugé nécessaire d’ajouter cette clarification à la demande, considérant, en substance que la marque contestée était conforme à l’article 4 du règlement no 40/94.

66      Bien que la décision attaquée indique que le prédécesseur en droit de l’intervenante avait communiqué la référence au code Pantone le plus proche, à savoir 137 C, il ressort clairement de la décision attaquée que cette information a été mentionnée à titre informatif, en tant qu’obiter dictum, et visait à expliquer pourquoi l’EUIPO, dès le dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée, considérait que celle-ci remplissait les conditions de l’article 4 du règlement no 40/94 sans qu’il soit nécessaire d’ajouter une référence au code Pantone communiqué. Partant, cette branche doit être écartée comme étant inopérante.

67      Même à supposer que la chambre de recours ait énoncé de telles considérations, elles ont nécessairement été formulées à titre surabondant. Or, les arguments dirigés contre des motifs surabondants d’une décision sont inopérants conformément à la jurisprudence citée au point 59 ci-dessus.

68      La présente branche doit donc être écartée comme étant inopérante.

–       Sur la cinquième branche

69      La requérante indique que la chambre de recours avait conclu qu’accueillir le motif de nullité invoqué irait à l’encontre des attentes légitimes envers l’EUIPO et des assurances données par les chambres de recours. Elle conteste la pertinence de ce motif et fait valoir, à cet égard, que la question de la conformité de la définition scientifique à l’article 4 du règlement no 40/94 n’a pas fait l’objet de décisions antérieures et qu’un tel raisonnement serait contraire à l’objectif des procédures de nullité donnant à tout tiers la possibilité de faire contrôler l’enregistrement d’une marque.

70      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

71      En l’espèce, la chambre de recours a indiqué, au point 70 de la décision attaquée, qu’elle estimait, à l’instar des autres instances de l’EUIPO, que la marque contestée avait été déposée conformément aux exigences de l’article 4 du règlement no 40/94 et que toute décision contraire (pour laquelle il n’existait, en tout état de cause, aucun motif) irait totalement à l’encontre de la confiance légitime établie par l’EUIPO et des assurances données par les chambres de recours qui étaient totalement légales et fondées.

72      À cet égard, force est de constater que les considérations contestées par la requérante constituent un motif surabondant de la conclusion selon laquelle la marque contestée a été déposée conformément à l’article 4 du règlement no 40/94. Or, ainsi qu’il a déjà été rappelé, au point 59 ci-dessus, les arguments dirigés contre un motif surabondant, sont inopérants. Partant, la présente branche ne peut qu’être écartée.

73      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le premier moyen.

 Sur le second moyen, tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 40/94

74      La requérante estime que la chambre de recours a, à juste titre, considéré que la marque contestée était dépourvue de caractère distinctif, mais aurait adopté un raisonnement juridiquement erroné en considérant que ladite marque avait acquis un caractère distinctif par l’usage. Ce moyen s’articule en cinq branches.

–       Observations liminaires

75      Il est constant que, en l’espèce, la marque contestée est dépourvue de caractère distinctif intrinsèque. De même, à titre liminaire, il convient d’indiquer que, en l’espèce, la chambre de recours a examiné l’acquisition du caractère distinctif avant le dépôt de la marque contestée, soit le 12 février 1998 sans se prononcer sur la question de savoir si ce caractère a été acquis entre l’enregistrement de ladite marque et le dépôt de la demande en nullité (voir point 81 de la décision attaquée).

76      Il convient de rappeler que, selon l’article 51, paragraphe 2, du règlement no 40/94, lorsqu’une marque de l’Union a été enregistrée contrairement, notamment, à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, lequel prévoit que sont refusées à l’enregistrement les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif intrinsèque, elle ne peut toutefois être déclarée nulle si, par l’usage qui en a été fait, elle a acquis après son enregistrement un caractère distinctif pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée. Selon l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 40/94, le paragraphe 1, sous b), de ce même article n’est pas applicable si la marque a acquis, pour les produits ou les services pour lesquels est demandé l’enregistrement, un caractère distinctif après l’usage qui en a été fait.

77      L’acquisition d’un caractère distinctif par l’usage d’une marque exige qu’au moins une fraction significative du public pertinent identifie, grâce à celle-ci, les produits ou les services visés comme provenant d’une entreprise déterminée [voir arrêt du 20 novembre 2019, Rezon/EUIPO (imot.bg), T‑101/19, non publié, EU:T:2019:793, point 46 et jurisprudence citée].

78      La charge de la preuve du caractère distinctif acquis par l’usage, en application de l’article 51, paragraphe 2, du règlement no 40/94, et de l’article 7, paragraphe 3, de ce règlement, repose sur le titulaire de la marque contestée [voir, en ce sens, arrêt du 4 avril 2019, Stada Arzneimittel/EUIPO (Représentation de deux arches opposées), T‑804/17, non publié, EU:T:2019:218, point 49 et jurisprudence citée].

79      Ainsi, dans le cadre d’une procédure de nullité d’une marque pour motifs absolus de refus, le titulaire de ladite marque est tenu de prouver soit que celle-ci avait acquis un caractère distinctif en raison de l’usage qui en avait été fait avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement, soit qu’elle avait acquis un tel caractère en raison de l’usage qui en avait été fait entre la date de son enregistrement et celle de la demande en nullité [voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 2016, Mondelez UK Holdings & Services/EUIPO – Société des produits Nestlé (Forme d’une tablette de chocolat), T‑112/13, non publié, EU:T:2016:735, point 117 et jurisprudence citée].

80      Selon la jurisprudence, pour déterminer si une marque a acquis un caractère distinctif après l’usage qui en a été fait, l’autorité compétente doit procéder à un examen concret et apprécier globalement les éléments qui peuvent démontrer que ladite marque est devenue apte à identifier le produit ou le service concerné comme provenant d’une entreprise déterminée (voir arrêt du 19 juin 2014, Oberbank e.a., C‑217/13 et C‑218/13, EU:C:2014:2012, point 40 et jurisprudence citée).

81      Pour déterminer si une marque a acquis un caractère distinctif par l’usage, il convient de prendre en considération, notamment, la part de marché détenue par la marque, l’intensité, l’étendue géographique et la durée de l’usage de cette marque, l’importance des investissements faits par l’entreprise pour la promouvoir, la proportion des milieux intéressés qui identifie le produit comme provenant d’une entreprise déterminée grâce à la marque, les déclarations de chambres de commerce et d’industrie ou d’autres associations professionnelles ainsi que les sondages d’opinions [voir arrêt du 21 avril 2015, Louis Vuitton Malletier/OHMI – Nanu-Nana (Représentation d’un motif à damier gris), T‑360/12, non publié, EU:T:2015:214, point 90 et jurisprudence citée].

82      S’agissant de l’étendue géographique de la preuve du caractère distinctif acquis par l’usage, il convient de rappeler qu’un signe ne peut être enregistré en tant que marque de l’Union, en vertu de l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 40/94, que si la preuve est rapportée qu’il a acquis, par l’usage qui en a été fait, un caractère distinctif dans la partie de l’Union dans laquelle il n’avait pas ab initio un tel caractère, au sens du paragraphe 1, sous b), du même article. Il s’ensuit que, s’agissant d’une marque dépourvue de caractère distinctif ab initio dans l’ensemble des États membres, une telle marque ne peut être enregistrée en vertu de cette disposition que s’il est démontré qu’elle a acquis un caractère distinctif par l’usage dans l’ensemble du territoire de l’Union (voir arrêt du 25 juillet 2018, Société des produits Nestlé e.a./Mondelez UK Holdings & Services, C‑84/17 P, C‑85/17 P et C‑95/17 P, EU:C:2018:596, points 75 et 76 et jurisprudence citée).

83      À cet égard, la Cour a précisé qu’il serait excessif d’exiger que la preuve d’une telle acquisition soit apportée pour chaque État membre pris individuellement (voir, en ce sens, arrêt du 24 mai 2012, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli/OHMI, C‑98/11 P, EU:C:2012:307, point 62).

84      Dans ce contexte, il y a lieu de distinguer entre, d’une part, les faits qui doivent être prouvés, à savoir l’acquisition d’un caractère distinctif par l’usage par un signe dépourvu d’un tel caractère intrinsèque, et, d’autre part, les moyens de preuve susceptibles de démontrer ces faits. En effet, aucune disposition du règlement no 40/94 n’impose d’établir par des preuves distinctes l’acquisition d’un caractère distinctif par l’usage dans chaque État membre pris individuellement (arrêt du 25 juillet 2018, Société des produits Nestlé e.a./Mondelez UK Holdings & Services, C‑84/17 P, C‑85/17 P et C‑95/17 P, EU:C:2018:596, points 79 et 80).

85      Ainsi, il est possible que des éléments de preuve de l’acquisition, par un signe déterminé, d’un caractère distinctif par l’usage présentent une pertinence en ce qui concerne plusieurs États membres, voire l’ensemble de l’Union. Notamment, il est possible que, pour certains produits ou services, les opérateurs économiques aient regroupé plusieurs États membres au sein du même réseau de distribution et aient traité ces États membres, en particulier du point de vue de leurs stratégies marketing, comme s’ils constituaient un seul et même marché national. Dans cette hypothèse, les éléments de preuve de l’usage d’un signe sur un tel marché transfrontalier sont susceptibles de présenter une pertinence pour tous les États membres concernés. Il en ira de même lorsque, en raison de la proximité géographique, culturelle ou linguistique entre deux États membres, le public pertinent du premier possède une connaissance suffisante des produits ou des services présents sur le marché national du second (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2018, Société des produits Nestlé e.a./Mondelez UK Holdings & Services, C‑84/17 P, C‑85/17 P et C‑95/17 P, EU:C:2018:596, points 80 à 82).

86      S’il n’est donc pas nécessaire, aux fins de l’enregistrement, sur le fondement de l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 40/94, d’une marque dépourvue ab initio de caractère distinctif dans l’ensemble des États membres de l’Union, que la preuve soit apportée, pour chaque État membre pris individuellement, de l’acquisition par cette marque d’un caractère distinctif par l’usage, les preuves apportées doivent néanmoins permettre de démontrer une telle acquisition dans l’ensemble des États membres de l’Union. En effet, dans le cas d’une marque qui ne possède pas un caractère distinctif intrinsèque dans l’ensemble de l’Union, le caractère distinctif acquis par l’usage de cette marque doit être démontré dans l’ensemble de ce territoire, et non seulement dans une partie substantielle ou la majorité du territoire de l’Union, de sorte que, bien qu’une telle preuve puisse être rapportée de façon globale pour tous les États membres concernés ou bien de façon séparée pour différents États membres ou groupes d’États membres, il n’est en revanche pas suffisant que celui à qui en incombe la charge se borne à produire des éléments de preuve d’une telle acquisition qui ne couvriraient pas une partie de l’Union, même consistant en un seul État membre [voir arrêt du 19 octobre 2022, Louis Vuitton Malletier/EUIPO – Wisniewski (Représentation d’un motif à damier II), T‑275/21, non publié, EU:T:2022:654, point 28 et jurisprudence citée].

87      Enfin, il importe de souligner  que la charge de la preuve imposée au titulaire de la marque contestée de démontrer le caractère distinctif acquis par l’usage de cette marque ne doit pas être déraisonnable. Cette exigence fait partie des principes généraux de droit de l’Union et, notamment, du droit à une bonne administration, inscrit également à l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (voir arrêt du 19 octobre 2022, Représentation d’un motif à damier II, T‑275/21, non publié, EU:T:2022:654, point 31 et jurisprudence citée).

88      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les cinq branches du présent moyen. Il convient de commencer par l’examen de la cinquième branche.

–       Sur la cinquième branche, relative à la suffisance des preuves en ce qui concerne l’Irlande, la Grèce, le Luxembourg et le Portugal

89      Par la présente branche, la requérante soutient que les éléments de preuve relatifs à l’Irlande, à la Grèce, au Luxembourg et au Portugal étaient particulièrement limités et insuffisants pour démontrer le caractère distinctif acquis par l’usage de la marque contestée.

90      La requérante estime que la chambre de recours a procédé à une extrapolation inadmissible lorsque, au point 101 de la décision attaquée, celle-ci a déduit des décisions des juridictions nationales ayant conclu au caractère distinctif acquis pour la Belgique et la France qu’il n’y avait aucune raison valable de s’écarter de ces considérations en ce qui concerne le reste du public de l’Union, l’intensité de l’usage étant comparable sur ces territoires. Cette extrapolation serait contraire à la jurisprudence de la Cour, à savoir l’arrêt du 25 juillet 2018, Société des produits Nestlé e.a./Mondelez UK Holdings & Services (C‑84/17 P, C‑85/17 P et C‑95/17 P, EU:C:2018:596). En outre, la requérante remet en cause la pertinence de certains éléments de preuve présentés par l’intervenante et les considérations de ladite chambre à cet égard, à savoir les pièces II.D.14, II.B.18, II.D.1 et II.B.19.

91      S’agissant, en particulier, du Portugal, la requérante soutient que la chambre de recours a conclu à un caractère distinctif acquis sur le fondement de quelques exemples de publicité, d’une brochure internationale multilingue et d’une commercialisation de longue date des vins de Champagne Veuve Clicquot dont la première expédition remontait à 1864. Or, d’une part, il aurait déjà été jugé que ni les chiffres de vente, ni le matériel publicitaire n’étaient suffisants pour conclure à un caractère distinctif acquis. D’autre part, la requérante indique que l’étiquette orange n’a pas été utilisée avant 1877 et que l’usage constant de la même nuance d’orange ne saurait être présumé, car il ressortirait d’une image d’une bouteille de 1964 montrant une étiquette dorée.

92      S’agissant de la Grèce, la requérante observe que la chambre de recours s’est fondée sur une première expédition en 1845, avant le prétendu changement d’étiquette et une reconnaissance du Roi Constantin de Grèce qui ne saurait être considéré comme représentant le grand public. En outre, le budget promotionnel annuel d’environ 12 000 euros serait très limité.

93      S’agissant de l’Irlande, les éléments de preuve que la chambre de recours a pris en compte seraient clairement insuffisants. Ainsi, une première expédition en 1788 serait faite avant le prétendu changement d’étiquette et l’article concernant un rassemblement entre des barreaux australien, irlandais et anglais en 1987 serait dénué de pertinence quant à la couleur orange. En ce qui concerne les articles de 1999, l’un concernant la remise du prix « Veuve Clicquot Business Women Award » et l’autre portant sur la « fête d’Halloween de Veuve Clicquot », il s’agirait des évènements ne visant que des cercles spécifiques du public pertinent et la couleur orange ne serait pas inhabituelle pour une fête d’Halloween.

94      S’agissant du Luxembourg, la requérante avance que la chambre de recours a considéré, en substance que ce pays faisait partie de la Belgique et des Pays-Bas malgré la différence de langue et qu’il était dénué de pertinence, puisqu’il ne comptait que 424 000 habitants. Selon la requérante, ce raisonnement n’est pas valable et ne permettrait pas de conclure à un caractère distinctif acquis par l’usage.

95      L’EUIPO fait valoir qu’il ne saurait être affirmé que la chambre de recours a fondé sa conclusion sur une extrapolation erronée des décisions nationales. À cet égard, il soutient que le point 101 de la décision attaquée, ne doit pas être lu isolément, mais conjointement avec l’appréciation qui précède (à savoir les points 90 à 100 de ladite décision) et que ce point ne fait que clarifier que les décisions nationales confirment les conclusions de l’examen par ladite chambre des éléments de preuve produits par l’intervenante.

96      Quant à l’insuffisance des éléments de preuve pour les quatre pays mentionnés par la requérante, l’EUIPO avance que ceux-ci ont été examinés de manière explicite et exhaustive aux points 123 à 142 de la décision attaquée. La requérante relèverait des lacunes individuelles de certains éléments de preuve pris isolément, mais ne procéderait pas à une appréciation globale de ces preuves, de sorte que ces remarques seraient insuffisantes pour contester la légalité de l’appréciation globale des éléments de preuve effectuée par la chambre de recours.

97      L’intervenante relève que la requérante n’a pas contesté les éléments de preuve sur plan quantitatif pour onze États membres. S’agissant des décisions nationales citées par la chambre de recours, elle soutient que ladite chambre n’a pas procédé à l’extrapolation, mais s’était référée à ces décisions pour approuver les considérations de la division d’annulation dans l’affaire 8666 C. Par ailleurs, nonobstant l’approbation des considérations de ladite division, cette chambre aurait exposé également son appréciation des éléments de preuve tout au long de la décision attaquée.

98      En ce qui concerne la pertinence des éléments de preuve concrets, l’intervenante estime que la requérante se limite à contester des considérations distinctes et spécifiques en dehors de tout contexte, mais ne critique pas l’appréciation globale effectuée par la chambre de recours. Selon elle, ladite chambre a effectué une appréciation globale correcte d’un point de vue quantitatif pour l’Irlande, la Grèce, le Luxembourg et le Portugal. Les allégations de la requérante résulteraient d’une lecture erronée de la décision attaquée.

99      À titre liminaire, il doit être rappelé que les éléments de preuve produits doivent permettre de démontrer que la marque est devenue de nature à identifier le produit concerné comme provenant d’une entreprise déterminée et donc à distinguer ce produit de ceux d’autres entreprises. L’appréciation du caractère distinctif de la marque faisant l’objet d’une demande d’enregistrement peut s’effectuer en prenant en considération des éléments tels que les parts de marché détenues par la marque, l’intensité, l’étendue géographique et la durée de l’usage de cette marque, l’importance des investissements faits par l’entreprise pour la promouvoir, la proportion des milieux intéressés qui identifie le produit comme provenant d’une entreprise déterminée grâce à la marque ainsi que les déclarations de chambres de commerce et d’industrie ou d’autres associations professionnelles [voir arrêt du 9 septembre 2020, Glaxo Group/EUIPO (Nuance de couleur pourpre), T‑187/19, non publié, EU :T :2020 :405, point 93 et jurisprudence citée].

100    Toutefois, certains éléments sont considérés comme jouissant d’une force probante plus importante que d’autres. En particulier, les chiffres de ventes et le matériel publicitaire ne peuvent être considérés que comme des preuves secondaires qui peuvent corroborer, le cas échéant, les preuves directes du caractère distinctif acquis par l’usage, telles que rapportées par des enquêtes ou des études de marché ainsi que des déclarations d’associations professionnelles ou des déclarations du public spécialisé (voir arrêt du 9 septembre 2020, Nuance de couleur pourpre, T‑187/19, non publié, EU:T:2020:405, point 94 et jurisprudence citée).

101    De surcroît, il résulte de la jurisprudence que la preuve du caractère distinctif acquis par l’usage ne saurait être apportée par la seule production des volumes de vente et du matériel publicitaire. De même, le seul fait que le signe ait été utilisé sur le territoire de l’Union depuis un certain temps ne suffit pas non plus à démontrer que le public visé par les produits en cause le perçoit comme une indication d’origine commerciale [voir arrêt du 24 février 2016, Coca-Cola/OHMI (Forme d’une bouteille à contours sans cannelures), T‑411/14, EU:T:2016:94, point 72 et jurisprudence citée].

102    Il en découle que des preuves directes sont nécessaires afin de démontrer qu’une marque a acquis un caractère distinctif par l’usage. Ainsi, il convient d’examiner si les éléments de preuve soumis par l’intervenante, tels que décrits aux points 86 à 89 de la décision attaquée, constituent des preuves directes.

103    À cet égard, la chambre de recours a affirmé, au point 90 de la décision attaquée, avoir soigneusement examiné les nombreux éléments de preuve produits et a confirmé, comme la décision de la division d’annulation et les décisions antérieures (mentionnées aux points 8 et 11 ci-dessus), ayant été fondées sur une partie des éléments de preuve que l’intervenante a produits en l’espèce au cours de la procédure administrative, que le caractère distinctif acquis de la marque contestée a été prouvé. De même, au point 142 de ladite décision, elle a affirmé que l’examen global des éléments de preuve a permis de conclure que le public pertinent était devenu à même d’identifier les produits portant ladite marque comme provenant de l’intervenante. Elle a ajouté que, en totale conformité avec les décisions antérieures de l’EUIPO, fondées sur les mêmes éléments de preuve, bien que moins nombreux qu’en l’espèce, il n’existait aucun doute quant au caractère distinctif acquis de la marque contestée au sens de l’article 7, paragraphe 3, du règlement no 40/94 au moment du dépôt, le 12 février 1998.

104    En particulier, la chambre de recours, aux points 92 à 140 de la décision attaquée, est parvenue aux conclusions selon lesquelles, premièrement, les éléments de preuve produits démontraient l’usage de la marque contestée, c’est-à-dire de la même nuance de couleur qu’enregistrée, deuxièmement, les éléments de preuve en tant que tels permettaient de conclure qualitativement que la marque contestée sera perçue comme une marque et, troisièmement, que les éléments de preuve étaient suffisants sur le plan quantitatif, en particulier, pour l’Irlande, la Grèce, le Luxembourg et le Portugal. À cet égard, il convient de préciser que ladite chambre a procédé à une appréciation des éléments de preuve visant à démontrer l’acquisition du caractère distinctif par l’usage par pays uniquement en ce qui concerne l’Irlande, la Grèce, le Luxembourg et le Portugal (voir points 132 à 135 de la décision attaquée).

105    En outre, il doit être relevé que les appréciations de la chambre de recours, dans leur ensemble, mettent l’accent sur l’histoire particulièrement riche et prestigieuse de la marque de vins de Champagne Veuve Clicquot, le fait que la « fameuse étiquette orange » a été utilisée depuis 1877, la renommée de la marque verbale avec laquelle la marque contestée est utilisée, les importantes parts du marché détenues par cette dernière marque dans les différents États membres et les efforts publicitaires considérables. De même, ladite chambre a notamment affirmé, au point 99 de la décision attaquée, que les éléments de preuve montraient que la couleur orange des vins de Champagne Veuve Clicquot jouait en premier lieu un rôle d’accroche visuelle : même vue de loin, celle-ci se démarquerait immédiatement. De surcroît, au point 100 de ladite décision, elle a considéré, à l’instar de la division d’annulation dans l’affaire 8666 C que l’intervenante avait prouvé que le public pertinent attribuait à ladite couleur la fonction d’identification desdits vins, puisqu’il a été exposé de longue date à des publicités, des slogans, des articles, des livres et des évènements où cette couleur particulière avait été mise en avant comme un « signe de ralliement à la marque ».

106    S’agissant des preuves directes au sens de la jurisprudence citée au point 100 ci-dessus, il y a lieu de relever que le dossier contient, premièrement, certaines déclarations, dont celles issues du Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC) en tant que pièce II.E.2.

107    À cet égard, il doit être relevé que les deux déclarations du CIVC, datées respectivement de 2003 et de 2014, soutiennent, comme l’a relevé la chambre de recours, que la titulaire de la marque contestée était le seul producteur de vins de Champagne à utiliser la nuance de couleur orange en cause. Or, de telles affirmations sont insuffisantes pour démontrer que le public pertinent perçoit la marque contestée en tant que marque et, a fortiori, pour déduire de ces éléments de preuve que ladite marque a acquis un caractère distinctif par l’usage. Ainsi, ces déclarations, au vu de leur contenu, ne sont que des éléments de preuve potentiellement corroboratifs comme l’a, en substance, soutenu la requérante lors de l’audience.

108    Quant aux autres déclarations soumises par l’intervenante, elles émanent de ses employés, de sorte qu’elles ne sauraient être considérées comme des preuves directes crédibles. À cet égard, il ressort de la jurisprudence qu’il ne peut être attribué une valeur probante à une déclaration, au sens de l’article 97, paragraphe 1, sous f), du règlement 2017/1001, établie par l’un des employés de la partie concernée que si elle est corroborée par d’autres éléments de preuve [voir arrêt du 7 septembre 2022, 6Minutes Media/EUIPO – ad pepper media International (ad pepper the e-advertising network), T‑521/21, non publié, EU:T:2022:520, point 100 et jurisprudence citée]. Par conséquent, ces éléments de preuve pourraient éventuellement corroborer des éléments de preuve directs de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage de la marque contestée.

109    Deuxièmement, le dossier contient des décisions des juridictions nationales qui peuvent être considérées comme des preuves directes au sens de la jurisprudence citée au point 100 ci-dessus. À cet égard, la chambre de recours a considéré, au point 101 de la décision attaquée, que les juridictions nationales en France et en Belgique et le tribunal des marques communautaires à Bruxelles ont reconnu tous clairement la manière dont les consommateurs percevaient la nuance de couleur orange apposée sur la bouteille de vin de Champagne et qu’il n’existait aucune raison valable de s’écarter de ces considérations en ce qui concerne le public des autres États membres dans lesquels l’intensité de l’usage était comparable.

110    La requérante conteste l’extrapolation faite par la chambre de recours de ces décisions des juridictions nationales. L’EUIPO, quant à lui, fait valoir que les considérations de cette chambre, figurant au point 101 de la décision attaquée ne doivent pas être lues isolément, mais conjointement avec les appréciations qui les précèdent et qu’elles ne font que clarifier que les décisions nationales confirment les conclusions de l’examen des éléments de preuve versés au dossier effectué par ladite chambre.

111    À cet égard, il doit être rappelé, que, en vertu de la jurisprudence citée au point 85 ci-dessus, il est possible que des éléments de preuve de l’acquisition, par un signe déterminé, d’un caractère distinctif par l’usage présentent une pertinence en ce qui concerne plusieurs États membres, voire l’ensemble de l’Union. Notamment, il est possible que, pour certains produits ou services, les opérateurs économiques aient regroupé plusieurs États membres au sein du même réseau de distribution et aient traité ces États membres, en particulier du point de vue de leurs stratégies marketing, comme s’ils constituaient un seul et même marché national. Dans cette hypothèse, les éléments de preuve de l’usage d’un signe sur un tel marché transfrontalier sont susceptibles de présenter une pertinence pour tous les États membres concernés. Il en ira de même lorsque, en raison de la proximité géographique, culturelle ou linguistique entre deux États membres, le public pertinent du premier possède une connaissance suffisante des produits ou des services présents sur le marché national du second (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2018, Société des produits Nestlé e.a./Mondelez UK Holdings & Services, C‑84/17 P, C‑85/17 P et C‑95/17 P, EU:C:2018:596, points 80 à 82). Toutefois, en l’espèce, la décision attaquée, à l’exception de son point 135, relatif à la démonstration de l’acquisition du caractère distinctif au Luxembourg, ne contient pas d’autres considérations expliquant en quoi les conclusions des juridictions nationales mentionnées au point 101 de la décision attaquée (voir point 109 ci-dessus) seraient pertinentes pour les autres États membres, de sorte que toute extrapolation serait, en tout état de cause, insuffisamment motivée.

112    S’agissant de l’argument de l’intervenante, soulevé lors de l’audience, selon lequel le Tribunal de Commerce Francophone de Bruxelles (Belgique) qui est un tribunal des marques de l’Union européenne au sens de l’article 123 du règlement 2017/1001 a reconnu que la marque contestée avait acquis un caractère distinctif par l’usage, il y a lieu de relever que cette juridiction a certes considéré que « l’usage intensif qui [avait] été fait du signe composé [avait] dès lors permis à la couleur en tant que telle d’acquérir un caractère distinctif ». Il n’en demeure pas moins que, étant donné que l’affaire sur laquelle s’est prononcé le Tribunal de Commerce Francophone de Bruxelles portait sur deux marques de couleur, une du Benelux et l’autre de l’Union européenne, il n’est pas certain que la juridiction visait la marque de l’Union européenne. De même, à plus forte raison, il n’est pas indiqué quelle est l’étendue territoriale de cette conclusion. Partant, il ne saurait être considéré que les considérations du Tribunal de Commerce Francophone de Bruxelles s’appliquent à l’ensemble du territoire de l’Union.

113    Il s’ensuit que les éléments de preuve, appréciées aux points 107 à 112 ci-dessus, sont soit que des éléments de preuves corroboratifs, soit ne portent pas sur l’ensemble des États membres et, en particulier, la Grèce et le Portugal à l’égard desquels la requérante a notamment soutenu que les preuves soumises par l’intervenante étaient particulièrement insuffisantes. Il y a lieu d’examiner les éléments de preuve relatifs à ces deux pays.

114    S’agissant, dans un premier temps, des éléments de preuve concernant plusieurs pays que la chambre de recours a examinés lorsqu’elle a apprécié l’acquisition du caractère distinctif notamment en Grèce et au Portugal, la chambre de recours a évalué, aux points 126 à 130 de la décision attaquée, les pièces II.D.1 (lue ensemble avec les pièces II.E.1 et II.E.5), II.D.14, II.B.18 et II.B.19.

115    À cet égard, il doit être relevé, tout d’abord, que les pièces II.D.1 et II.D.14 contiennent des informations relatives aux ventes des vins de Champagne Veuve Clicquot, ainsi que sur les parts de marché de SA Veuve Clicquot Ponsardin. Cependant, au vu de la jurisprudence citée au point 100 ci-dessus, ainsi que le point 95 de l’arrêt du 26 octobre 2022, Lemken/EUIPO (Nuance de bleu ciel) (T‑621/21, non publié, EU:T:2022:676), de tels éléments ne sauraient être considérés comme étant des preuves directes de l’acquisition d’un caractère distinctif par l’usage.

116    Ensuite, la pièce II.B.18, qui est une déclaration de l’ancien gérant de SA Veuve Clicquot Ponsardin, comporte des informations relatives au budget promotionnel pour les États membres pertinents au cours de la période 1994-1997, y compris pour la Grèce et pour le Portugal. Cependant, cet élément de preuve ne démontre pas directement que la marque contestée est devenue de nature à identifier les vins de Champagne concernés comme provenant d’une entreprise déterminée.

117    Enfin, la pièce II.B.19, consistant en des dernières pages de différents numéros du magazine Veuve Clicquot Ponsardin publiés entre 1995 et 1999, contient des informations relatives à la distribution en Grèce et au Portugal. Il n’en demeure pas moins que cet élément de preuve ne démontre pas directement que la marque contestée est devenue de nature à identifier les vins de Champagne concernés comme provenant d’une entreprise déterminée.

118    S’agissant, dans un deuxième temps, particulièrement, du Portugal, la chambre de recours s’est référée, au point 132 de la décision attaquée, aux éléments de preuve suivants.

119    Premièrement, s’agissant de la pièce II.D.13, la chambre de recours a considéré qu’elle montrait à partir de quand SA Veuve Clicquot Ponsardin avait pénétré le marché au Portugal. À cet égard, il doit être relevé que cet élément de preuve correspond à une lettre, datée de 1864, adressée au prédécesseur en droit de l’intervenante confirmant l’expédition de 20 caisses de vins de Champagne à M. Richard Knowles à Lisbonne (Portugal). Force est de constater qu’il démontre uniquement que 20 caisses de vins de Champagne Veuve Clicquot ont été expédiées au Portugal en 1864.

120    Deuxièmement, s’agissant de la pièce II.D.5, la chambre de recours a considéré qu’elle montrait comment SA Veuve Clicquot Ponsardin s’était établie sur un nouveau marché restreint et en développement, en affichant des parts de marché considérables. Il doit être relevé que cet élément de preuve contient un aperçu des volumes de ventes et des parts de marché des vins de Champagne Veuve Clicquot pour le Portugal au cours de la période 1965 à 1973 et de 1976 à 1978. Il n’en demeure pas moins que cet élément de preuve ne démontre pas directement que la marque contestée est devenue de nature à identifier les vins de Champagne concernés comme provenant d’une entreprise déterminée.

121    Troisièmement, en ce qui concerne la pièce II.D.6, la chambre de recours a avancé que cette pièce montre que les ventes en 1992 avaient presque été multipliées par dix, ce qui est illustré en détail dans le mémoire en réponse de l’intervenante. Il y a lieu de considérer que cet élément de preuve consistant en un aperçu des volumes de ventes au Portugal de 1991 à 1993 ne démontre pas directement que la marque contestée est devenue de nature à identifier les vins de Champagne concernés comme provenant d’une entreprise déterminée.

122    Quatrièmement, s’agissant de la pièce II.B.5, cet élément, selon la chambre de recours, montre l’allocation d’un budget promotionnel pour le Portugal en 1988. Il doit être relevé que cet élément de preuve est constitué par une correspondance datée du 7 janvier 1988 entre le prédécesseur en droit de l’intervenante et le distributeur au Portugal concernant le budget promotionnel pour le Portugal en 1988. Il n’en demeure pas moins qu’il ne démontre pas directement que la marque contestée est devenue de nature à identifier les vins de Champagne concernés comme provenant d’une entreprise déterminée.

123    Cinquièmement, en ce qui concerne la pièce II.B.7, la chambre de recours a relevé que la correspondance datée du 14 février 1986 entre le prédécesseur en droit de l’intervenante et le distributeur au Portugal concernait « l’intensifi[cation de] la promotion de la Grande Dame » par des boîtes cadeaux et des étuis de luxe qui, comme le montraient les autres éléments de preuve versés au dossier, étaient généralement réalisés dans la nuance orange telle que protégée par la marque contestée. Toutefois, cette correspondance relative à la réalisation de boîtes cadeaux et d’étuis de luxe dans la couleur en cause ne permet pas de démontrer directement que la marque contestée est devenue de nature à identifier les vins de Champagne Veuve Clicquot comme provenant d’une entreprise déterminée.

124    Sixièmement, en ce qui concerne la pièce II.B.15, la chambre de recours a constaté qu’il s’agissait de la version portugaise de la brochure The Essentials de SA Veuve Clicquot Ponsardin datant de 1990 dont l’image figurait à la page 87 du mémoire en réponse de l’intervenante devant elle et qui contient l’emballage des vins de Champagne Veuve Clicquot comportant l’inscription « a viuva ». Force est de constater que cet élément de preuve atteste tout au plus l’usage de la marque contestée au Portugal, mais ne démontre pas directement que la marque contestée est devenue de nature à identifier les vins de Champagne concernés comme provenant d’une entreprise déterminée.

125    Septièmement, s’agissant des pièces II.B.6 correspondant à des exemples de publicité dans des magazines portugais et II.B.22 correspondant à des impressions de sites Internet concernant les magazines Olà Semanário et Distribuiçao Hoje, la chambre de recours les a qualifiés d’ « exemples de publicité dans des magazines portugais » en ajoutant que l’étiquette orange était représentée de manière proéminente. À cet égard, il doit être relevé qu’il s’agit d’articles promotionnels, apparus dans des magazines portugais, mentionnant notamment les vins de Champagne Veuve Clicquot et mettant en évidence les bouteilles de celui-ci. Ces articles montrent tout au plus que les bouteilles de tels vins portant la marque contestée ont été offertes à la vente au Portugal en 1992.

126    Huitièmement, il convient également d’examiner la pièce II.B.21, mentionnée par la chambre de recours en relation avec l’acquisition du caractère distinctif en Irlande au point 134 de la décision attaquée. Il s’agit d’un album contenant les images de la « fête d’Halloween de Veuve Clicquot » en 1999. Ladite chambre a relevé que cette pièce contenait des images de la fête organisée en Irlande et au Portugal ayant la couleur orange comme thème dominant. Selon elle, l’album soumis confirme que la fête avait déjà eu lieu au cours des cinq années précédentes et que l’orange était la couleur non seulement d’Halloween, mais aussi de la célèbre étiquette « Veuve Clicquot ». Cet élément de preuve atteste certes l’existence d’un événement promotionnel ayant lieu notamment au Portugal où la couleur en cause est mise à l’honneur. Toutefois, lesdites images ne démontrent pas directement que la marque contestée est devenue de nature à identifier les vins de Champagne concernés comme provenant d’une entreprise déterminée.

127    S’agissant, dans un troisième temps, particulièrement de la Grèce, la chambre de recours s’est appuyée, au point 133 de la décision attaquée, sur les éléments suivants.

128    Premièrement, en ce qui concerne la pièce II.D.9, relative à la première expédition de 75 bouteilles de vins de Champagne Veuve Clicquot en Grèce en 1845, commandées par le consul grec à Amsterdam (Pays-Bas), la chambre de recours a considéré que cet élément montre à partir de quand SA Veuve Clicquot Ponsardin est entrée sur la marché grec. Toutefois, ainsi que l’a également indiqué ladite chambre, il n’est pas certain que ces bouteilles ont été étiquetées en orange. De surcroît, pareille expédition de bouteilles en Grèce ne démontre pas directement que la marque contestée est devenue de nature à identifier les vins de Champagne concernés comme provenant d’une entreprise déterminée.

129    Deuxièmement, selon la chambre de recours la pièce II.D.10 correspondant à la reconnaissance en 1964 par le roi Constantin de Grèce du fait que SA Veuve Clicquot Ponsardin était un fournisseur royal de la Cour indiquait à quel point les vins de Champagne Veuve Clicquot étaient hautement reconnus à l’époque. Toutefois, même si cet élément pourrait être très pertinent pour prouver la renommée de la marque contestée, il n’est pas directement pertinent en ce qui concerne la preuve de l’acquisition d’un caractère distinctif par l’usage par ladite marque.

130    Troisièmement, s’agissant de la pièce I.D.7, correspondant à un aperçu des ventes de vins de Champagne Veuve Clicquot en Grèce en 1991 et en 1992, la chambre de recours a considéré que cet élément de preuve confirmait le caractère dominant de l’étiquette orange pour la variante « brut » et montrait les ventes considérables. Toutefois, les volumes des ventes, aussi élevés soient-ils, ne démontrent pas directement que la marque contestée est devenue de nature à identifier les vins de Champagne concernés comme provenant d’une entreprise déterminée.

131    Quatrièmement, en ce qui concerne la pièce II.D.8, contenant une correspondance datée de février et de juin 1998 et portant sur des factures impayées en Grèce, la chambre de recours a relevé que les montants figurant sur les factures montraient que les ventes ont été considérables. Il n’en demeure pas moins que les volumes des ventes, pouvant seulement corroborer les preuves directes, ne démontrent pas directement que la marque contestée est devenue de nature à identifier les vins de Champagne concernés comme provenant d’une entreprise déterminée.

132    Cinquièmement, en ce qui concerne la pièce II.B.8, contenant une correspondance entre le prédécesseur en droit de l’intervenante et le distributeur en Grèce concernant le matériel de point de vente et le budget promotionnel pour 1997, la chambre de recours a considéré que la vue d’ensemble du matériel de point de vente proposé montrait le code pouvant être relié au catalogue mondial présenté en tant que pièce II.G.6. Toutefois, force est de relever que cet élément de preuve est susceptible de démontrer uniquement que les articles de promotion de l’intervenante ont été offerts en Grèce et non que la marque contestée est devenue de nature à identifier les vins de Champagne concernés comme provenant d’une entreprise déterminée.

133    Sixièmement, il doit être relevé que la pièce II.B.9 concerne des exemples de publicité ou de couverture des vins de Champagne Veuve Clicquot dans des magazines ou journaux grecs faisant référence à 1995. Cependant, cette action de promotion n’apporte pas directement d’indications que la marque contestée est devenue de nature à identifier les vins de Champagne concernés comme provenant d’une entreprise déterminée.

134    Au vu des considérations qui précèdent, il doit être constaté que les éléments de preuve relatifs à la Grèce et au Portugal sur lesquels s’est appuyée la chambre de recours ne sont pas des preuves directes de l’acquisition d’un caractère distinctif par l’usage au sens de la jurisprudence citée au point 100 ci-dessus et, appréciés globalement, ne sont pas susceptibles de démontrer que le public visé par les produits en cause perçoit la marque contestée comme une indication d’origine commerciale sur ces territoires. Il convient d’ajouter que l’EUIPO a admis, lors de l’audience, qu’aucune des preuves directes qu’il avait identifiées ne concernait la Grèce.

135    En outre, lors de l’audience l’intervenante, a soutenu que les journalistes ou les auteurs sont des observateurs qui, de manière spontanée, reflètent la perception du public pertinent, de sorte que leurs publications devraient être considérées comme des preuves directes au sens de la jurisprudence citée au point 100 ci-dessus. L’EUIPO a également fait valoir que, comme preuves directes, devraient être considérées les preuves donnant des indications sur la perception du signe par ledit public. Ainsi, il a avancé, en substance, que les articles de presse devaient être considérés comme de telles preuves.

136    À cet égard, il doit être relevé que s’il ne saurait être exclu que les articles de presse ou d’autres publications puissent être considérés comme des preuves directes au sens de la jurisprudence citée au point 100 ci-dessus, ces éléments doivent néanmoins effectivement contenir des indications que la marque en question est devenue de nature à identifier les produits concernés comme provenant d’une entreprise déterminée sur le territoire concerné.

137    Par ailleurs, il doit être rappelé que le seul critère pertinent pour apprécier les preuves produites réside dans leur crédibilité. Ainsi, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut avant tout vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue. Il faut alors tenir compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration et de son destinataire et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable (voir arrêt du 9 septembre 2020, Nuance de couleur pourpre, T‑187/19, non publié, EU :T :2020 :405, point 92 et jurisprudence citée). S’agissant des différentes publications, il convient notamment de s’interroger s’il s’agit d’un article d’information ou d’une publication promotionnelle.

138    Or, en l’espèce, en ce qui concerne les éléments de preuve concernant la Grèce et le Portugal, les extraits des journaux soumis par l’intervenante ne portaient pas sur la perception de la marque contestée par le public de ces pays, ainsi qu’il ressort des considérations contenues aux points 119 à 133 ci-dessus. Quant aux magazines promotionnels Veuve Clicquot Ponsardin, ils ne sauraient, en tout état de cause, être considérés comme des éléments de preuve objectifs étant donné qu’ils émanent de l’intervenante.

139    Partant, en l’absence de preuves directes au sens de la jurisprudence citée au point 100 ci-dessus pour la Grèce et le Portugal, la chambre de recours ne pouvait pas, sur la base des éléments de preuve qu’elle a analysés, parvenir à la conclusion que l’acquisition du caractère distinctif par l’usage avait été démontrée à suffisance de droit en ce qui concerne ces deux pays. Or, conformément à la jurisprudence citée au point 86 ci-dessus, bien que la preuve d’acquisition d’un caractère distinctif par l’usage puisse être rapportée de façon globale pour tous les États membres concernés ou bien de façon séparée pour différents États membres ou groupes d’États membres, il n’est en revanche pas suffisant que celui à qui en incombe la charge se borne à produire des éléments de preuve d’une telle acquisition qui ne couvriraient pas une partie de l’Union, même consistant en un seul État membre.

140    Dans ces conditions, la conclusion de la chambre de recours selon laquelle la marque contestée avait acquis un caractère distinctif par l’usage au moment de son dépôt est entachée d’une erreur d’appréciation. Par conséquent, il convient d’accueillir la cinquième branche du présent moyen et d’annuler la décision attaquée sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres arguments avancés par la requérante, en particulier, ceux formulés dans le cadre des autres branches du second moyen.

141    S’agissant de la seconde partie du premier chef de conclusions de la requérante, tendant à ce que le Tribunal constate la nullité de la marque contestée, elle vise, en substance, à ce que le Tribunal exerce son pouvoir de réformation pour prononcer la nullité de la marque contestée, adoptant ainsi la décision que la chambre de recours aurait dû prendre lorsqu’elle a été saisie du recours.

142    À cet égard, il y a lieu de rappeler que le pouvoir de réformation, reconnu au Tribunal en vertu de l’article 72, paragraphe 3, du règlement 2017/1001, doit en principe être limité aux situations dans lesquelles le Tribunal, après avoir contrôlé l’appréciation portée par la chambre de recours, est en mesure de déterminer, sur la base des éléments de fait et de droit tels qu’ils sont établis, la décision que la chambre de recours était tenue de prendre (arrêt du 5 juillet 2011, Edwin/OHMI, C‑263/09 P, EU:C:2011:452, point 72).

143    Or, en l’espèce, les conditions pour l’exercice du pouvoir de réformation du Tribunal ne sont pas réunies. En effet, la chambre de recours n’a notamment pas examiné la question de savoir si la marque antérieure a acquis un caractère distinctif par l’usage entre son enregistrement et le dépôt de la demande en nullité (voir point 75 ci-dessus et la jurisprudence citée au point 79 ci-dessus), de sorte que le Tribunal n’est pas en mesure de déterminer la décision que ladite chambre était tenue de prendre. Par conséquent, il y a lieu de rejeter la demande en réformation.

144    S’agissant du deuxième chef de conclusions de la requérante, formulé à titre subsidiaire, par lequel cette dernière demande de renvoyer l’affaire devant la chambre de recours aux fins du réexamen et du troisième chef de conclusions de l’intervenante, également formulé à titre subsidiaire, par lequel cette dernière demande, en cas d’annulation de la décision attaquée, à ce que la présente affaire soit renvoyée devant la chambre de recours aux fins de la poursuite de la procédure, il suffit de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre d’un recours introduit devant le juge de l’Union contre la décision d’une chambre de recours de l’EUIPO, ce dernier est tenu, conformément à l’article 72, paragraphe 6, du règlement 2017/1001, de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt du juge de l’Union.

 Sur les dépens

145    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

146    L’EUIPO et l’intervenante ont succombé, pour l’essentiel, en l’espèce. Toutefois, la requérante a demandé de condamner uniquement l’EUIPO aux dépens exposés par elle, y compris au cours de la procédure administrative. Dans ces conditions, l’EUIPO doit supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la requérante. L’intervenante supportera ses propres dépens.

147    S’agissant de la demande de la requérante tendant à ce que l’EUIPO soit également condamné aux dépens qu’elle a exposés dans le cadre de la procédure devant la chambre de recours, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 190, paragraphe 2, du règlement de procédure, les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure devant la chambre de recours sont considérés comme dépens récupérables. Partant, il y a également lieu de condamner l’EUIPO aux dépens indispensables exposés par la requérante aux fins de la procédure devant la chambre de recours.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la quatrième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 16 août 2022 (affaire R 118/20224) est annulée.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      L’EUIPO supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par Lidl Stiftung & Co. KG, y compris ceux exposés devant la chambre de recours.

4)      MHCS supportera ses propres dépens.

Costeira

Zilgalvis

Tichy-Fisslberger

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 mars 2024.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.