Language of document : ECLI:EU:C:2023:383

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 4 mai 2023 (1)

Affaire C454/21 P

Engie Global LNG Holding Sàrl,

Engie Invest International SA,

Engie

contre

Commission européenne

Affaire C451/21 P

Grand-Duché de Luxembourg

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Droit en matière d’aides d’État – Mesure du Grand-Duché de Luxembourg en faveur d’Engie – Avantage sélectif – Détermination du cadre de référence – Critère d’examen pour déterminer l’existence d’un avantage sélectif en droit fiscal – Décision fiscale anticipative – Erreur dans l’application du droit en faveur d’un contribuable en tant qu’avantage sélectif – Régime des sociétés mères (à savoir l’exonération des distributions de bénéfices au sein d’un groupe) et distribution cachée de bénéfices – Principe non écrit de correspondance – Interprétation du droit interne par la Commission – Application erronée d’une disposition générale visant à prévenir les abus en tant qu’avantage sélectif »






I.      Introduction

1.        Les présents pourvois donnent à la Cour une nouvelle fois (2) la possibilité de se pencher sur le contrôle d’une décision fiscale anticipative au regard du droit en matière d’aides d’État. Bien que ces décisions fiscales anticipatives visent, d’un côté, à garantir la sécurité juridique, il existe, d’un autre côté, parfois le soupçon latent qu’elles conduisent, dans certains États membres, à des accords potentiellement anticoncurrentiels entre autorités fiscales et contribuables.

2.        À la différence des autres procédures en matière d’aides d’État introduites par la Commission européenne en rapport avec des décisions fiscales anticipatives (3), la présente affaire ne porte pas sur des prix de transfert dérogeant au principe de pleine concurrence. Au contraire, dans le litige au principal, l’administration fiscale luxembourgeoise s’est exprimée à l’égard du groupe Engie dans deux séries de décisions fiscales anticipatives sur le traitement fiscal d’une restructuration du groupe au Luxembourg. Elle a certifié au final qu’un emprunt convertible entre plusieurs sociétés luxembourgeoises du groupe Engie devait être qualifié, en définitive, au niveau de la « société emprunteuse », en tant que capitaux externes et, au niveau de la « société prêteuse », en tant que fonds propres. Les rémunérations versées en lien avec le financement n’étaient donc pas comptabilisées dans la base imposable au niveau de la filiale, mais étaient traitées comme des revenus de participations au niveau de la société mère. Ces derniers ne sont généralement – comme cela est également le cas au Luxembourg – pas imposés au sein d’un groupe. Au niveau de la filiale, une imposition n’avait lieu, en revanche, qu’à hauteur d’une base imposable spéciale (« marge »), convenue avec l’administration fiscale.

3.        Dans la décision litigieuse (4), la Commission a considéré que l’administration fiscale luxembourgeoise n’aurait pas dû traiter les revenus de participations comme étant exonérés au niveau de la société mère. En procédant à une appréciation différente dans les décisions fiscales anticipatives, le Grand‑Duché de Luxembourg a, selon elle, accordé une aide aux sociétés mères respectives, à savoir au groupe Engie. À titre subsidiaire, la Commission estime que l’administration fiscale aurait dû appliquer la disposition générale visant à prévenir les abus en droit luxembourgeois. Le Tribunal s’est entièrement rallié à ce point de vue de la Commission.

4.        Le présent pourvoi soulève ainsi, premièrement, la question de savoir si les avantages fiscaux obtenus par le recours aux emprunts convertibles doivent être qualifiés d’avantage fiscal sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. À cet égard, il conviendra de répondre également à la question de savoir si le droit en matière d’aides d’État impose, dans le contexte national, une imposition correspondante (c’est-à-dire l’absence d’exonération fiscale pour les revenus de participations, lorsque les bénéfices distribués n’ont pas déjà été entièrement imposés au niveau de la filiale).

5.        Deuxièmement, la question se pose de savoir si la Commission et la Cour peuvent opérer, par l’intermédiaire du droit en matière d’aides d’État, un contrôle de la position retenue par l’administration fiscale nationale et de ses décisions fiscales pour déterminer si celles-ci sont « correctes ». Il convient à cet égard, s’agissant de ces deux aspects, notamment de répondre également à la question de savoir dans quelle mesure la Commission peut substituer sa propre interprétation (du droit national) à une interprétation du droit national retenue par les autorités fiscales nationales (en l’espèce, une disposition générale visant à prévenir les abus) pour établir l’existence d’un avantage sélectif.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

6.        Le cadre juridique du droit de l’Union se compose des articles 107 et suivants TFUE. La procédure applicable aux aides illégales est régie par le chapitre III du règlement (UE) 2015/1589 portant modalités d’application de l’article 108 TFUE (5).

B.      Le droit luxembourgeois

7.        L’article 22, paragraphe 5, de la loi modifiée du 4 décembre 1967, concernant l’impôt sur le revenu (ci-après la « LIR ») dispose, en substance, que la conversion d’actifs est considérée, en principe, comme un échange et, par conséquent, comme la vente de l’actif donné et l’acquisition de l’actif reçu. Il peut en résulter une plus-value imposable.

8.        L’article 22 bis, paragraphe 2, point 1, de la LIR, dans la version qui, selon l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 mai 2021, Luxembourg e.a./Commission (T‑516/18 et T‑525/18, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2021:599), était applicable à la date d’adoption des décisions fiscales anticipatives, prévoit que :

« (2)      Par dérogation à l’article 22, alinéa 5, les opérations d’échange visées aux numéros 1 à 4 ci-dessous ne conduisent pas à la réalisation des plus-values inhérentes aux biens échangés, à moins que, dans les cas visés aux numéros 1, 3 et 4, soit le créancier, soit l’associé ne renoncent à l’application de la présente disposition :

1.      lors de la conversion d’un emprunt : l’attribution au créancier de titres représentatifs du capital social du débiteur. En cas de conversion d’un emprunt capitalisant convertible, l’intérêt capitalisé se rapportant à la période de l’exercice d’exploitation en cours précédant la conversion est imposable au moment de l’échange ; »

9.        L’article 164 de la LIR est libellé de la manière suivante :

« 1.      Pour déterminer le revenu imposable, il est indifférent que le revenu soit distribué ou non aux ayants droit.

2.      Sont à considérer comme distribution dans le sens de l’alinéa qui précède, les distributions de quelque nature qu’elles soient, faites à des porteurs d’actions, de parts bénéficiaires ou de fondateurs, de parts de jouissance ou de tous autres titres, y compris les obligations à revenu variable donnant droit à une participation au bénéfice annuel ou au bénéfice de liquidation.

3.      Les distributions cachées de bénéfices sont à comprendre dans le revenu imposable. Il y a distribution cachée de bénéfices notamment si un associé, sociétaire ou intéressé reçoit directement ou indirectement des avantages d’une société ou d’une association dont normalement il n’aurait pas bénéficié s’il n’avait pas eu cette qualité. »

10.      L’article 166, paragraphe 1, de la LIR dispose ce qui suit :

« Les revenus d’une participation détenue par :

1.      un organisme à caractère collectif résident pleinement imposable et revêtant une des formes énumérées à l’annexe de l’alinéa 10,

2.      une société de capitaux résidente pleinement imposable non énumérée à l’annexe de l’alinéa 10,

3.      un établissement stable indigène d’un organisme à caractère collectif visé par l’article 2 de la directive 2011/96/UE du Conseil, du 30 novembre 2011, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents [ci-après la « directive mères-filiales »],

4.      un établissement stable indigène d’une société de capitaux qui est un résident d’un État avec lequel le Grand-Duché de Luxembourg a conclu une convention tendant à éviter les doubles impositions,

5.      un établissement stable indigène d’une société de capitaux ou d’une société coopérative qui est un résident d’un État partie à l’Accord sur l’Espace économique européen (EEE) autre qu’un État membre de l’Union européenne, sont exonérés lorsque, à la date de la mise à la disposition des revenus, le bénéficiaire détient ou s’engage à détenir ladite participation pendant une période ininterrompue d’au moins douze mois et que pendant toute cette période le taux de participation ne descend pas au-dessous du seuil de 10 pour cent ou le prix d’acquisition au-dessous de 1 200 000 euros. »

11.      L’article 6 de la loi d’adaptation fiscale luxembourgeoise (Steueranpassungsgesetz, ci-après le « StAnpG ») prévoit ce qui suit :

« 1.      Une obligation fiscale ne saurait être contournée ou réduite par une utilisation abusive des formes et des possibilités de montage de droit civil. En cas d’abus, les impôts doivent être prélevés de la même manière qu’ils le seraient dans un montage juridique adapté aux opérations, faits et circonstances économiques. »

III. Les antécédents du litige

12.      Le litige résulte de deux séries de décisions fiscales anticipatives, émises par le Grand-Duché de Luxembourg en faveur du groupe Engie. Celles-ci concernent chacune deux structures de financement intragroupe comparables.

13.      Pour une meilleure compréhension, je présenterai tout d’abord la structure du groupe Engie, pertinente aux fins du litige (sous A), avant d’examiner les transactions ayant donné lieu aux décisions fiscales anticipatives, y compris la structure de financement choisie par Engie (sous B). Je présenterai ensuite les décisions fiscales anticipatives, octroyées par les autorités fiscales luxembourgeoises (sous C), la décision de la Commission (sous D), la procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué (sous E).

A.      La structure du groupe Engie

14.      Le groupe Engie se compose d’Engie SA, une société établie en France, ainsi que de toutes les sociétés qu’elle contrôle directement ou indirectement (points 4 et suivants de l’arrêt attaqué). Parmi ces sociétés figurent également plusieurs sociétés établies au Luxembourg.

15.      Au Luxembourg, Engie SA contrôle notamment la Compagnie européenne de financement C.E.F. SA (ci-après « CEF »), qui a été renommée Engie Invest International SA en 2015. L’objet de cette société consiste en l’acquisition de participations au Luxembourg et dans des entreprises étrangères, ainsi qu’en la gestion, l’exploitation et le contrôle de ces participations.

16.      CEF détient la totalité des parts de GDF Suez Treasury Management Sàrl (ci-après « GSTM »), d’Electrabel Invest Luxembourg SA (ci-après « EIL ») et de GDF Suez LNG Holding Sàrl (ci-après « LNG Holding ») qui a été fondée au Luxembourg en 2009 et renommée Engie Global LNG Holding Sàrl en 2015.

17.      LNG Holding a également pour objet l’acquisition de participations dans des entreprises luxembourgeoises et étrangères ainsi que la gestion de ces participations. La société détient, quant à elle, la totalité des parts de GDF Suez LNG Supply SA (ci-après « LNG Supply ») et de GDF Suez LNG Luxembourg Sàrl (ci-après « LNG Luxembourg »). LNG Supply exerce ses activités dans le secteur de l’achat et de la vente ainsi que du commerce de gaz naturel liquéfié, de gaz et de produits dérivés du gaz.

B.      Les transactions et la structure de financement

18.      Au cours des années 2009 à 2015, plusieurs restructurations ont eu lieu au sein de la partie luxembourgeoise du groupe Engie, lesquelles ont été mises en œuvre, notamment, par des structures de financement intragroupe complexes, qui sont décrites aux points 12 et suivants ainsi qu’aux points 36 et suivants de l’arrêt attaqué.

1.      Le transfert d’activités à LNG Supply

19.      La première restructuration concernait LNG Holding (société mère) et ses filiales LNG Luxembourg (ci-après également désignées les « sociétés intermédiaires ») et LNG Supply (filiale).

20.      Le 30 octobre 2009, LNG Holding a transféré ses activités opérationnelles dans le secteur du gaz naturel liquéfié et des produits dérivés du gaz à LNG Supply. Le prix d’achat s’élevait à 657 millions de dollars des États-Unis (USD) (environ 553,26 millions d’euros).

21.      Aux fins du financement du transfert intragroupe, LNG Luxembourg a accordé à LNG Supply un emprunt obligatoirement convertible en actions (ci‑après le « ZORA » (6)) pour un montant nominal de 646 millions d’USD et une durée de 15 ans. Aucun intérêt périodique n’a été prélevé sur le ZORA. En lieu et place, LNG Supply devait octroyer à LNG Luxembourg, en tant que société prêteuse, des parts de sa propre société lors de la conversion du ZORA en fonds propres, prévue à une date ultérieure.

22.      La valeur des parts qui devront alors être octroyées est calculée sur la base du montant nominal du ZORA au moment de la conversion, majoré ou diminué d’une part variable. La part variable correspond, quant à elle, aux bénéfices réalisés par LNG Supply durant la durée d’exécution du ZORA après déduction d’une marge imposable. La marge soumise concrètement à imposition et l’assiette de cette marge ont été convenues avec l’administration fiscale dans une décision fiscale anticipative (voir ci-après sous C). La part variable peut cependant également – dans les années déficitaires – être négative. Le montant de la part variable est également appelé « accrétions sur ZORA ».

23.      LNG Luxembourg a, pour sa part, financé le ZORA au moyen d’un contrat à terme conclu avec LNG Holding (encore dénommée, à cette date, LNG Trading). Dans le cadre de ce contrat à terme, LNG Holding verse à LNG Luxembourg un montant égal au montant nominal du ZORA – à savoir 646 millions d’USD- en échange de l’acquisition des droits sur les parts que LNG Supply émettra lors de la conversion du ZORA.

24.      En 2014, le ZORA a fait l’objet d’une conversion partielle. En tant qu’élément dit de financement hybride, le ZORA est traité au niveau de la filiale comme un type de capitaux externes, tandis qu’il est considéré comme des fonds propres au niveau de la société mère au moment de la conversion. À cette fin, LNG Supply a procédé à une augmentation de capital de 699,9 millions d’USD (environ 589,6 millions d’euros), dont 193,8 millions d’USD (environ 163,3 millions d’euros) au titre du remboursement d’une partie du montant nominal du ZORA concerné, et le montant restant a été affecté au paiement d’une partie des accrétions sur ZORA.

25.      Au niveau de LNG Luxembourg (société intermédiaire), la conversion partielle a conduit à une réduction de la valeur du ZORA, comptabilisée en tant qu’actif, de 193,8 millions d’USD et à une réduction correspondante du passif enregistré en ce qui concerne le contrat à terme. Par conséquent, l’opération était, au niveau de LNG Luxembourg, fiscalement neutre. Les revenus de participations perçus par la suite au niveau de LNG Holding (société mère), sous la forme des parts émises par LNG Supply (filiale) lors de la conversion du ZORA, ont été traités, par application du régime des sociétés mères prévu à l’article 166 de la LIR (à savoir l’exonération des distributions de bénéfices au sein d’un groupe), comme étant exonérés. Ces conséquences fiscales étaient prévues dans les décisions fiscales anticipatives (voir ci-après sous C).

2.      Le transfert d’activités à GSTM

26.      La deuxième restructuration concernait CEF (société mère) ainsi que ses filiales EIL (ci-après également désignée les « sociétés intermédiaires ») et GSTM (filiale). À partir de 2010, CEF a transféré son activité de financement et de gestion de trésorerie à GSTM. Le prix d’achat pour cette opération s’élevait à environ 1,036 milliard d’euros.

27.      Ce transfert intragroupe a, quant à lui également, été financé par un ZORA, dont l’échéance est fixée à 2026, accordé par EIL à GSTM. Le montant nominal du ZORA correspond au prix d’achat. La structure de financement était d’ailleurs analogue à celle utilisée pour le transfert des activités à LNG Supply ; en particulier, EIL a conclu avec CEF un contrat à terme identique, de sorte qu’il y a lieu de se référer aux développements exposés dans les points qui précèdent.

28.      La conversion du ZORA n’a cependant pas encore eu lieu, de sorte que le CEF n’a pas encore perçu, à cet égard, de revenus de participations.

C.      Les décisions fiscales anticipatives de l’administration fiscale luxembourgeoise

29.      En lien avec ces transactions et leur financement respectif, l’administration fiscale luxembourgeoise a délivré au groupe Engie deux séries de décisions fiscales anticipatives (points 17 et suivants de l’arrêt attaqué).

1.      Les décisions fiscales anticipatives relatives au transfert d’activités à LNG Supply

30.      La première décision fiscale anticipative a été émise le 9 septembre 2008. Elle porte sur la création de LNG Supply et de LNG Luxembourg ainsi que sur le projet de transfert des activités de LNG Holding à LNG Supply.

31.      Sur le plan fiscal, il ressort de la décision fiscale anticipative que LNG Supply n’est imposée de manière spécifique qu’en ce qui concerne une marge convenue avec l’administration fiscale luxembourgeoise : selon la décision litigieuse (7), la base imposable n’est pas le bénéfice (en tant que différence de deux actifs d’exploitation au début et à la fin de l’exercice) de LNG Supply, mais un montant correspondant à « une marge globale nette de ■ % de la valeur des actifs bruts telle qu’indiquée dans le bilan de [LNG Supply] ». À cet égard, « cette marge nette ne doit toutefois pas être inférieure à ■ % du chiffre d’affaires brut annuel de la société ». Ce montant (la marge) est alors soumis au taux normal de l’impôt sur le bénéfice (ci-après l’« imposition de la marge »).

32.      Il en résulte une imposition des bénéfices, basée sur la valeur inscrite au bilan, à tout le moins cependant, une imposition des bénéfices basée sur le chiffre d’affaires. Cela signifie que LNG Supply doit également payer des impôts sur les bénéfices en cas de perte. En raison de cette imposition basée sur la valeur inscrite au bilan ou sur le chiffre d’affaires, les revenus réels (les recettes moins les dépenses) de LNG Supply n’étaient plus pertinents pour la détermination de la base imposable. Il ne ressort pas des dossiers pour quelle raison et sur le fondement de quelle base légale l’administration fiscale luxembourgeoise a admis (ou pouvait admettre) cette imposition dérogatoire et a procédé à l’imposition de cette marge nette. Le résultat économique qui restait à LNG Supply après déduction de cette marge donnait, en tout état de cause, conformément à ce qui avait été convenu, le montant des accrétions sur ZORA.

33.      Selon la décision litigieuse (8), l’administration fiscale luxembourgeoise donne à LNG Luxembourg, en tant que « société emprunteuse », la possibilité de conserver dans ses comptes, durant la durée d’exécution du ZORA, la valeur de ce dernier à sa valeur comptable, ce dont LNG Luxembourg a fait usage. En outre, la décision fiscale anticipative prévoit que la conversion ultérieure du ZORA en parts sociales n’entraîne pas de plus-value imposable si LNG Luxembourg opte pour l’application de l’article 22 bis de la LIR. Cela ne conduit donc pas à une imposition des accrétions sur ZORA incluses dans la valeur des parts émises. Celles-ci sont traitées, à cet égard, comme des fonds propres.

34.      Enfin, il ressort de la décision fiscale anticipative du 9 septembre 2008 que LNG Holding comptabilise le paiement effectué à LNG Luxembourg en lien avec le contrat à terme en tant qu’immobilisation financière, de sorte que, avant la conversion du ZORA, LNG Holding ne prendra en compte aucun revenu ni aucune charge déductible en rapport avec ce ZORA. En outre, l’administration fiscale luxembourgeoise confirme que l’exonération des revenus de participations prévue à l’article 166 de la LIR s’applique à la participation dans LNG Supply, acquise sur le fondement du contrat à terme.

35.      La deuxième décision fiscale anticipative a été émise le 30 septembre 2008 et concerne le transfert de la gestion effective de LNG Trading aux Pays-Bas. La troisième décision fiscale anticipative a été émise le 3 mars 2009 et elle confirme les modifications opérées dans la structure de financement, prévues dans la décision fiscale anticipative du 9 septembre 2008, notamment le remplacement de LNG Trading par LNG Holding et la mise en œuvre du ZORA souscrit par LNG Supply auprès de LNG Luxembourg et de LNG Holding. La quatrième décision fiscale anticipative a été émise le 9 mars 2012 et clarifie certains termes comptables utilisés dans le calcul de la marge sur laquelle LNG Supply est imposée.

36.      La dernière décision fiscale anticipative a été émise le 13 mars 2014 et a confirmé la position exposée dans la demande du 20 septembre 2013. Elle concerne le traitement fiscal de la conversion partielle du ZORA souscrit par LNG Supply. Il en découle, selon le point 27 de l’arrêt attaqué, que LNG Supply procédera, le jour de la conversion de cet emprunt, à la réduction de son capital d’un montant égal au montant de cette conversion.

37.      D’un point de vue fiscal, l’administration fiscale luxembourgeoise confirme que la conversion partielle en cause n’aura aucune incidence pour LNG Luxembourg. LNG Holding comptabilisera, pour sa part, un bénéfice équivalent à la différence entre le montant nominal des actions converties et le montant de cette conversion (c’est-à-dire, à hauteur des accrétions sur ZORA). En outre, il est prévu que ce bénéfice sera couvert par l’exonération des revenus de participations, en vertu de l’article 166 de la LIR.

2.      Les décisions fiscales anticipatives relatives au transfert d’activités à GSTM

38.      La première décision fiscale anticipative, émise le 9 février 2010, valide une structure analogue à celle mise en place par LNG Holding pour financer le transfert de ses activités dans le secteur du gaz naturel liquéfié à LNG Supply. La structure en cause repose en effet sur un ZORA conclu par GSTM avec EIL aux fins de financer l’acquisition de l’activité de financement et de gestion de trésorerie de CEF. De la même manière que pour LNG Supply, GSTM est imposée durant la durée d’exécution du ZORA sur une marge convenue avec l’administration fiscale luxembourgeoise.

39.      La seconde décision fiscale anticipative, émise le 15 juin 2012, valide le traitement fiscal de l’opération de financement et repose sur une analyse identique à celle figurant dans la décision fiscale anticipative du 9 septembre 2008 au sujet du transfert des activités de LNG Trading au bénéfice de LNG Supply. Elle s’en distingue néanmoins pour ce qui concerne une éventuelle augmentation du montant du ZORA souscrit par GSTM.

3.      Résumé

40.      En conclusion, il ressort des décisions fiscales anticipatives que les sociétés opérationnelles LNG Supply et GSTM ne sont imposées au taux normal de l’impôt sur les sociétés que sur une base imposable (marge) convenue avec l’administration fiscale. La détermination de cette base imposable aux fins de l’impôt sur les sociétés n’était pas effectuée dans le cadre de la détermination normale des bénéfices (à savoir, habituellement, par une comparaison des actifs d’exploitation), mais sur la base de la valeur inscrite au bilan, ou, à tout le moins, sur la base du chiffre d’affaires. Ainsi, les filiales opérationnelles étaient imposées même en cas de perte.

41.      Les plus-values d’actifs supérieures à la base imposable ainsi déterminée (c’est-à-dire le reste du bénéfice effectif) n’étaient, en raison de l’imposition convenue de la marge, pas imposées au niveau des sociétés opérationnelles (LNG Supply et GSTM) et étaient uniquement rattachées à l’élément de financement (ZORA).

42.      En raison du contrat à terme, il n’y a, en cas de conversion du ZORA en parts sociales, aucun bénéfice au niveau de la société intermédiaire. Les bénéfices tirés de la conversion du ZORA sont alors traités comme des fonds propres au niveau de la société mère et, en vertu du régime luxembourgeois des sociétés mères (article 166 de la LIR), ils ne sont pas imposés. En définitive, il demeure uniquement l’imposition susmentionnée de la marge au titre de l’activité opérationnelle.

D.      La décision de la Commission

43.      Le 23 mars 2015, la Commission européenne a adressé au Grand‑Duché de Luxembourg une demande de renseignements concernant les décisions fiscales anticipatives délivrées au groupe Engie. Après avoir informé le Grand-Duché de Luxembourg, par lettre du 1er avril 2016, qu’elle éprouvait des doutes quant à la conformité de ces décisions fiscales anticipatives au droit en matière d’aides d’État, la Commission a, le 19 septembre 2016, ouvert la procédure formelle d’examen, conformément à l’article 108, paragraphe 2, TFUE. Le 20 juin 2018, la Commission a adopté la décision litigieuse.

44.      Dans cette décision, la Commission considère en substance que le Grand‑Duché de Luxembourg a octroyé un avantage sélectif au groupe Engie, en violation de l’article 107, paragraphe 1, et de l’article 108, paragraphe 3, TFUE. La Commission conteste l’incidence concrète de la structure de financement choisie sur l’impôt total dû par ce groupe, étant donné que, en définitive, la quasi‑totalité des bénéfices réalisés par les filiales au Luxembourg n’est, en réalité, pas imposée.

45.      La Commission justifie l’octroi d’un avantage économique notamment par le fait qu’en vertu des décisions fiscales anticipatives, à l’exception de la marge convenue avec l’administration fiscale luxembourgeoise, aucune des sociétés impliquées dans les transactions n’a été imposée sur les accrétions sur ZORA, lesquelles correspondraient aux bénéfices réalisés par LNG Supply et GSTM. La Commission estime que l’avantage pertinent au regard du droit en matière d’aides d’État réside concrètement dans l’application de l’exonération fiscale prévue à l’article 166 de la LIR aux revenus de participations réalisés par les sociétés mères respectives après conversion, alors que, au niveau des filiales (tout comme des sociétés intermédiaires), aucune imposition effective n’a été, selon elle, assurée.

46.      En ce qui concerne l’existence d’un avantage sélectif, la Commission se fonde sur, au total, quatre voies de raisonnement différentes.

47.      Premièrement, la Commission considère qu’il existe une sélectivité au niveau des sociétés mères – à savoir LNG Holding et CEF – car les décisions fiscales anticipatives ont, selon elle, avalisé à ce niveau une non‑imposition de revenus de participations qui auraient correspondu, d’un point de vue économique, aux accrétions sur ZORA. La Commission considère que le traitement déroge à un cadre de référence étendu, constitué du système luxembourgeois d’imposition des sociétés, en vertu duquel les entités résidentes au Luxembourg sont imposées sur leurs bénéfices, tels que constatés dans leurs comptes annuels.

48.      Deuxièmement, la Commission considère qu’il existe une sélectivité au niveau des sociétés mères, car les décisions fiscales anticipatives ont avalisé l’application de l’exonération des revenus de participations, prévue à l’article 166 de la LIR, aux revenus réalisés par les sociétés mères. Selon la Commission, ce traitement déroge à un cadre de référence restreint, constitué des dispositions relatives à l’exonération fiscale des revenus de participations, car, selon ce traitement, une exonération fiscale ne doit être accordée que lorsque les bénéfices distribués ont été préalablement imposés au niveau des filiales (le « principe de correspondance »).

49.      Troisièmement, la Commission estime que les décisions fiscales anticipatives entraînent un avantage sélectif pour le groupe Engie, car la déductibilité fiscale des accrétions sur ZORA au niveau des filiales, combinée à leur non‑imposition au niveau des sociétés intermédiaires et mères, a entraîné, dans l’ensemble, une réduction de la base imposable globale du groupe au Luxembourg. La Commission considère que cela déroge à un cadre de référence étendu, constitué du système luxembourgeois d’imposition des sociétés, qui n’autorise pas, selon elle, une telle réduction de la base imposable (l’« analyse au niveau du groupe »).

50.      Quatrièmement, la Commission indique, à titre de voie subsidiaire de raisonnement, que les décisions fiscales anticipatives dérogent à la disposition luxembourgeoise visant à prévenir les abus en droit fiscal, à savoir que c’est à tort que l’administration fiscale n’a pas appliqué la disposition visant à prévenir les abus, prévue à l’article 6 du StAnpG. Selon la Commission, la structure de financement mise en place par le groupe Engie était abusive, de sorte que, en vertu de la jurisprudence luxembourgeoise, l’administration fiscale luxembourgeoise n’aurait pas dû délivrer ces décisions fiscales anticipatives (omission de lutte contre les abus).

51.      La Commission est partie de la prémisse que les autres éléments constitutifs d’une aide en vertu de l’article 107, paragraphe 1, TFUE étaient également réunis et elle a donc décidé que le Luxembourg devait récupérer l’aide auprès de LNG Holding. D’éventuels montants qui ne seraient pas remboursés par LNG Holding devraient être réclamés par Engie SA Étant donné que la deuxième série de décisions fiscales anticipatives n’a pas encore fait l’objet d’une conversion des ZORA en parts de GSTM, aucune récupération n’a été ordonnée à leur égard. S’agissant des conversions futures, le traitement ultérieur des revenus subséquents de participations en tant que revenus exonérés a été interdit.

E.      La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

52.      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 août 2018, le Grand-Duché de Luxembourg a introduit, dans l’affaire T‑516/18, un recours en annulation de la décision litigieuse.

53.      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 septembre 2018, Engie Global LNG Holding Sàrl, Engie Invest International SA et Engie SA (ci-après « Engie ») ont également introduit, dans l’affaire T‑525/18, un recours en annulation de la décision litigieuse.

54.      Par ordonnance du 15 février 2019, le président de la septième chambre élargie du Tribunal a fait droit à la demande d’intervention de l’Irlande dans l’affaire T‑516/18.

55.      Par ordonnance du président de la deuxième chambre élargie du Tribunal du 12 juin 2020, une fois les parties entendues, les affaires T‑516/18 et T‑525/18 ont été jointes aux fins de la phase orale de la procédure, conformément à l’article 68, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

56.      Engie et le Grand-Duché de Luxembourg ont invoqué, en substance, six groupes de moyens au soutien de leurs recours :

–        Le premier groupe concerne une violation des articles 4 et 5 TUE ainsi que des articles 3 à 5 et 113 à 117 TFUE, en ce que l’appréciation de la Commission conduit, selon eux, à une harmonisation fiscale déguisée (troisième moyen dans l’affaire T‑516/18 et cinquième moyen dans l’affaire T‑525/18) ;

–        le deuxième groupe porte sur une violation de l’article 107 TFUE, en ce que la Commission a considéré que les décisions fiscales anticipatives octroient un avantage au motif qu’elles ne sont pas conformes au droit fiscal luxembourgeois (deuxième moyen dans l’affaire T‑516/18 et deuxième moyen dans l’affaire T‑525/18) ;

–        le troisième groupe invoque une violation de l’article 107 TFUE, de l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE ainsi que du principe du respect des droits de la défense, en ce que la Commission a constaté le caractère sélectif de cet avantage (premier, quatrième et sixième moyens dans l’affaire T‑516/18 et troisième, sixième et huitième moyens dans l’affaire T‑525/18) ;

–        le quatrième groupe fait valoir une violation de l’article 107 TFUE, en ce que la Commission a retenu l’imputabilité des décisions fiscales anticipatives à l’État luxembourgeois ainsi qu’un engagement de ressources d’État (premier moyen dans l’affaire T‑525/18) ;

–        le cinquième groupe est tiré d’une violation de l’article 107 TFUE, en ce que la Commission a qualifié à tort les décisions fiscales anticipatives d’aides individuelles (quatrième moyen dans l’affaire T‑525/18) ;

–        le sixième groupe concerne une violation des principes généraux du droit de l’Union en ce que la Commission a ordonné la récupération de l’aide (cinquième moyen dans l’affaire T‑516/18 et septième moyen dans l’affaire T‑525/18).

57.      Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté l’ensemble de ces moyens et, partant, les recours dans les affaires T‑516/18 et T‑525/18 dans leur intégralité.

58.      S’agissant du premier groupe de moyens, le Tribunal a constaté, en substance (points 134 et suivants, notamment point 150), que la Commission n’avait pas procédé, par le contrôle des décisions fiscales anticipatives, à une harmonisation fiscale, mais s’était limitée à faire usage du pouvoir que lui conférait l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

59.      S’agissant des deuxième et troisième groupes de moyens, le Tribunal a considéré, au point 230 de son arrêt, que, dans la mesure où certains motifs d’une décision sont, à eux seuls, de nature à justifier à suffisance de droit celle-ci, les vices dont pourraient être entachés les autres motifs sont sans incidence sur le dispositif. Le Tribunal a tout d’abord examiné le cadre de référence restreint, prétendument constitué de l’article 164 et de l’article 166 de la LIR, et conclu, déjà, au regard de ce cadre de référence, à l’existence d’une dérogation à ce dernier, laquelle n’est pas susceptible de justification. Le Tribunal a estimé, à l’instar de la Commission, que cette dernière n’était pas tenue d’inclure les dispositions de la directive mères-filiales dans le cadre de référence, notamment parce qu’il s’agissait d’une situation purement interne (points 263 et suivants). C’est donc à juste titre que la Commission a considéré, selon le Tribunal, que les décisions fiscales anticipatives dérogeaient au cadre de référence constitué des articles 164 et 166 de la LIR, à savoir que, par les décisions fiscales anticipatives, une erreur d’application du droit a été validée (points 288 et suivants).

60.      S’agissant de la prétendue absence d’avantage sélectif quant à la disposition visant à prévenir les abus de droit, le Tribunal a considéré que la Commission avait suffisamment démontré la réunion de tous les critères nécessaires pour établir l’existence d’un abus de droit en droit luxembourgeois – à savoir l’utilisation de formes ou d’institutions de droit privé, la réduction de la charge d’impôt, l’utilisation d’une voie juridique non appropriée et l’absence de motifs extrafiscaux (points 384 et suivants, notamment points 410 et suivants).

61.      En ce qui concerne le quatrième groupe de moyens, le Tribunal a constaté (aux points 212 et suivants) que les décisions fiscales anticipatives avaient été adoptées par l’administration fiscale luxembourgeoise et qu’il résultait de ces décisions anticipatives une diminution de la charge fiscale supportée, en principe, par une entreprise, de sorte qu’il n’y avait ni imputabilité au Grand-Duché de Luxembourg ni engagement de ressources d’État.

62.      En ce qui concerne le cinquième groupe de moyens, le Tribunal a considéré (aux points 479 et suivants) que la Commission est en mesure d’appréhender une mesure d’application d’un régime général en tant qu’aide individuelle sans être préalablement tenue de démontrer que les dispositions fondant ledit régime constituent un régime d’aides, quand bien même cela serait le cas.

63.      Enfin, s’agissant du sixième groupe de moyens, le Tribunal a constaté (aux points 489 et suivants) que la Commission n’avait pas violé les principes généraux de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime en ordonnant au Grand-Duché de Luxembourg la récupération de l’aide. En particulier, les entreprises bénéficiaires d’une aide ne sauraient avoir, en principe, une confiance légitime dans la régularité de l’aide que si celle-ci a été accordée dans le respect de la procédure prévue à l’article 108 TFUE.

IV.    La procédure devant la Cour

64.      Le 22 juillet 2021, Engie a formé le présent pourvoi (affaire C‑454/21 P) contre l’arrêt attaqué. Engie conclut à ce qu’il plaise à la Cour :

–        déclarer le présent pourvoi recevable et fondé ;

–        annuler l’arrêt attaqué ;

–        statuer définitivement sur le fond, conformément à l’article 61 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, et faire droit aux demandes présentées par Engie en première instance ou, à titre subsidiaire, annuler l’article 2 de la décision litigieuse, en ce qu’il ordonne la récupération de l’aide ;

–        à titre très subsidiaire, renvoyer l’affaire devant le Tribunal ;

–        condamner la Commission à l’ensemble des dépens.

65.      Le 21 juillet 2021, le Grand-Duché de Luxembourg a formé le présent pourvoi (affaire C‑451/21 P) contre l’arrêt attaqué. Le Luxembourg conclut à ce qu’il plaise à la Cour :

–        annuler l’arrêt attaqué ;

–        statuer définitivement sur le fond, conformément à l’article 61 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, et faire droit aux conclusions présentées par le Luxembourg en première instance et annuler la décision litigieuse ;

–        à titre subsidiaire, renvoyer l’affaire devant le Tribunal ;

–        condamner la Commission aux dépens exposés par le Grand-Duché de Luxembourg.

66.      Dans les deux affaires, la Commission demande à la Cour de rejeter les pourvois et de condamner les requérantes aux dépens.

67.      Toutes les parties intéressées ont soumis des observations écrites devant la Cour et, le 30 janvier 2023, elles ont présenté conjointement des observations orales sur les pourvois.

V.      Analyse juridique

68.      À l’appui du pourvoi, Engie invoque trois moyens et le Luxembourg quatre moyens, dont les contenus se recoupent. Dans le cadre de l’examen des moyens invoqués au titre du pourvoi, je me pencherai tout d’abord sur les moyens avancés par Engie (sous A, B et C), puis je poursuivrai par les moyens invoqués par le Luxembourg, tirés de griefs supplémentaires par rapport à ceux allégués par Engie (sous D). À cet égard, je me limiterai, à titre d’exemple, à la série de décisions fiscales anticipatives relatives à LNG Holding, puisque, en ce qui les concerne, le ZORA a, en tout état de cause, fait l’objet d’une conversion partielle. Ce raisonnement peut être transposé à la deuxième série de décisions fiscales anticipatives concernant GSTM.

A.      Sur le premier moyen du pourvoi : interprétation erronée de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, s’agissant du cadre de référence restreint

69.      Par son premier moyen, Engie (et également Luxembourg) fait valoir que le Tribunal a commis des erreurs de droit dans l’interprétation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en particulier dans la détermination du cadre de référence. Le Tribunal a considéré que les décisions fiscales anticipatives en faveur d’Engie ont dérogé au cadre de référence restreint constitué des articles 164 et 166 de la LIR.

70.      Selon une jurisprudence constante de la Cour, la qualification d’« aide d’État » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert, premièrement, qu’il s’agisse d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (9).

71.      Il convient ici de vérifier uniquement les considérations du Tribunal relatives au critère de l’avantage sélectif. En ce qui concerne les mesures fiscales, la sélectivité doit, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, être déterminée en plusieurs étapes. À cette fin, il convient d’identifier, dans un premier temps, le régime fiscal commun ou « normal » applicable dans l’État membre concerné (le « cadre de référence ») (10). C’est à partir de ce régime fiscal commun ou « normal » qu’il convient, dans un second temps, d’apprécier si la mesure fiscale en cause déroge audit régime commun, dans la mesure où elle introduit des différenciations entre des opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par ce régime commun, dans une situation factuelle et juridique comparable (11). Si une dérogation à l’« imposition normale » a été constatée, il convient, dans un dernier temps, d’examiner si la dérogation est justifiée.

72.      Le point de départ lors de la détermination du cadre de référence ne peut, à cet égard, toujours être que le choix du législateur national quant à ce qu’il considère être l’imposition « normale ». Les décisions fondamentales d’imposition, notamment les décisions relatives à la technique d’imposition, mais aussi les objectifs et les principes de l’imposition relèvent donc de l’État membre (12). Dès lors, ni la Commission ni la Cour ne peuvent apprécier le droit fiscal national à l’aune d’un régime fiscal idéal ou fictif (13).

73.      Étant donné que la détermination du cadre de référence constitue le point de départ de l’examen comparatif qui doit être mené dans le cadre de l’appréciation de la sélectivité, une erreur commise dans cette détermination vicie nécessairement l’ensemble de l’analyse de la condition relative à la sélectivité (14).

1.      Les constatations du Tribunal

74.      Le Tribunal a constaté, aux points 292 et suivants, que l’article 166 de la LIR ne subordonne, certes, pas formellement l’octroi de l’exonération des revenus de participations au niveau de la société mère à une imposition des bénéfices distribués au niveau des filiales. Selon le Tribunal, il ressort cependant du lien entre l’article 166 de la LIR et l’article 164 de la LIR que l’exonération des revenus de participations au titre de l’article 166 de la LIR n’est accordée que si les revenus n’ont pas été déduits de la base imposable de la filiale (point 297).

75.      En outre, les accrétions sur ZORA ne constituent, selon le Tribunal, certes pas formellement des distributions de bénéfices au sens de l’article 164 de la LIR. Étant donné que les revenus de participations exonérés au niveau des sociétés mères correspondent toutefois, en substance, au montant des accrétions, le Tribunal estime qu’il y a lieu de considérer, dans les circonstances particulières de l’espèce, qu’il s’agit matériellement de distributions de bénéfices (point 300).

76.      Au point 327, le Tribunal a constaté que l’administration fiscale luxembourgeoise a dérogé, dans les décisions fiscales anticipatives, au cadre de référence constitué des articles 164 et 166 de la LIR dès lors qu’elle a confirmé l’exonération, au niveau des sociétés mères, des revenus de participations correspondant, d’un point de vue économique, au montant des accrétions sur ZORA, déduites en tant que charges au niveau des filiales.

2.      Appréciation

77.      Engie et le Luxembourg font valoir en définitive que, dans ces constatations, le Tribunal a commis des erreurs de droit et une dénaturation des faits. Ils estiment que c’est à tort que le Tribunal a conclu à l’existence d’un lien entre l’article 164 de la LIR et l’article 166 de la LIR en considérant, à l’instar de la Commission, que les décisions fiscales anticipatives luxembourgeoises constituent une aide. Il convient donc de déterminer si le Tribunal a commis une erreur de droit en confirmant le cadre de référence utilisé par la Commission dans la décision litigieuse.

78.      La détermination correcte du bon cadre de référence nécessite une interprétation de la loi fiscale luxembourgeoise (LIR). La Commission conteste la recevabilité de cette branche du moyen au motif qu’elle concerne, selon elle, des questions de fait. Certes, l’appréciation des faits – dont relève en principe également l’appréciation du droit national par le Tribunal (15) – et des éléments de preuve ne constitue pas une question de droit pouvant faire l’objet d’un contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi. La Cour n’est compétente que pour examiner s’il y a eu dénaturation de ce droit (16). En revanche, la qualification juridique du droit national effectuée par le Tribunal au regard du droit de l’Union peut être contrôlée par la Cour (17). Cela est déterminant dans le champ d’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, car l’avantage sélectif nécessaire pour admettre l’existence d’une aide ne résulte que d’une dérogation au régime fiscal national « normal », à savoir le cadre de référence.

79.      Par conséquent, il est reconnu en droit en matière d’aides d’État que la question de savoir si le Tribunal a correctement identifié et délimité le cadre de référence résultant du droit national est une question de droit. En tant que telle, cette question peut faire l’objet d’un contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (18). Un argument mettant en cause le choix du cadre de référence correct lors de la première étape de l’examen de l’existence d’un avantage sélectif est donc également recevable dans le cadre d’un pourvoi.

80.      Étant donné que les arguments d’Engie et du Luxembourg visent à contester l’existence, admise par le Tribunal, d’un principe de correspondance au titre de l’article 164, lu conjointement avec l’article 166 de la LIR, en tant que cadre de référence en matière d’aides d’État, la première branche du deuxième moyen est donc recevable. La Cour peut, par conséquent, examiner, dans le cadre d’un pourvoi, la question de droit de savoir si le Tribunal a correctement constaté et appliqué le principe de correspondance en droit luxembourgeois comme faisant partie du cadre de référence.

81.      À cet égard, il convient tout d’abord d’identifier l’avantage sélectif pertinent (sous a). Il faut ensuite déterminer le critère d’examen à appliquer lors du contrôle de décisions fiscales anticipatives (sous b). C’est sur cette base que seront analysées les considérations du Tribunal relatives à l’identification du cadre de référence pertinent (sous c et d). Étant donné que la Commission a, lors de l’audience, contesté la cohérence du droit fiscal luxembourgeois en tant que tel, nous examinerons ensuite si une éventuelle absence de clause matérielle de correspondance en droit national peut constituer une aide (sous e).

a)      L’avantage sélectif pertinent

82.      Dans la décision attaquée, la Commission conclut à l’existence d’un avantage sélectif au motif qu’il existe, selon elle, un lien contraignant entre l’article 164 et l’article 166 de la LIR. À cet égard, la Commission et, à sa suite, le Tribunal ont mis en évidence le fait que, en raison de la structure de financement choisie par le groupe Engie, cela conduit largement, en dérogation à l’imposition normale des sociétés, à une non‑imposition des bénéfices réalisés au niveau des filiales lorsque la filiale réalise des bénéfices. L’un et l’autre n’ont toutefois pas tenu compte du fait que cela conduit aussi – également en dérogation à l’imposition normale des sociétés – à une imposition lorsque la filiale subit des pertes, comme cela a été manifestement le cas pour LNG Supply en 2015 et 2016.

83.      En effet, dans les deux cas, la marge convenue avec l’administration fiscale est toujours imposée, celle-ci étant déterminée au moins en fonction du chiffre d’affaires, puis indépendamment des bénéfices éventuels. En revanche, la Commission et, à sa suite, le Tribunal soulignent que, au niveau des sociétés mères, où aboutissaient au final les bénéfices lors de la conversion du ZORA, il était possible de bénéficier de l’exonération des revenus de participations, prévue à l’article 166 de la LIR, bien que ceux-ci n’aient pas été « imposés » au niveau de la filiale en vertu de l’article 164 de la LIR.

84.      La Commission n’a donc ni examiné ni contesté l’accord relatif à la marge qui, selon les décisions fiscales anticipatives, doit constituer au niveau des filiales la seule base imposable. La question de savoir si cette méthode dérogeant à l’imposition normale des sociétés (à savoir une imposition fondée non sur une comparaison de la valeur comptable, mais sur le bilan ou le chiffre d’affaires) constitue un avantage sélectif n’a pas été examinée. La Commission n’a ni soulevé ni examiné également la question de savoir si cette méthode spécifique était, en vertu de la loi fiscale luxembourgeoise, accessible à tous les contribuables comparables. Il en va de même pour les pourcentages qui y sont fixés. Il n’est pas précisé comment ces pourcentages ont été calculés ni de quelle manière leur montant est susceptible d’être justifié.

85.      Dès lors, cette imposition de la marge, qui influence notamment le montant des accrétions sur ZORA, ne fait l’objet ni de la décision litigieuse ni de l’arrêt attaqué et ne peut donc pas non plus être examinée par la Cour. La Commission reste toutefois libre de remédier à cette situation dans une nouvelle décision en matière d’aides d’État, pour autant qu’aucune prescription ne soit encore acquise.

b)      Les décisions fiscales anticipatives en tant qu’objet du contrôle au regard du droit en matière d’aides d’État et le critère d’examen applicable

86.      La Commission indique, au contraire, expressément dans sa décision que l’aide doit découler des décisions fiscales anticipatives délivrées au groupe Engie. Ce n’est pas le régime des sociétés mères prévu à l’article 166 de la LIR (à savoir l’exonération des distributions de bénéfices au sein d’un groupe) en lui-même, mais l’application de celui-ci dans le cas concret qui, pour la Commission, est problématique au regard du droit en matière d’aides d’État. La Commission invoque à cet égard – bien que de manière non explicite – une erreur d’application du droit par les autorités luxembourgeoises. Cela ressort également des considérations relatives au cadre de référence restreint qui, selon la Commission, est constitué des articles 164 et 166 de la LIR.

87.      Le Tribunal se rallie à ce point de vue en considérant que l’aide supposée par la Commission consiste en une application erronée de l’article 164, lu conjointement avec l’article 166 de la LIR, car le droit luxembourgeois en matière d’imposition des sociétés comporte un principe dit de correspondance. Cela signifie que l’exonération au niveau de la société mère bénéficiaire est subordonnée à l’imposition préalable des montants distribués au niveau de la filiale.

88.      Il convient tout d’abord de rappeler que les décisions fiscales anticipatives ne constituent pas, en elles-mêmes, des aides incompatibles au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Elles sont un outil important pour assurer la sécurité juridique, ce que reconnaît également la Commission (19). Le principe de sécurité juridique est un principe général du droit de l’Union (20). Les décisions anticipatives ne posent donc pas de problème au regard du droit en matière d’aides d’État tant qu’elles sont ouvertes à tous les contribuables (en général, sur demande) et qu’elles sont conformes – comme, d’ailleurs, toute autre décision fiscale – à la loi fiscale concernée. Elles ne font, à cet égard, qu’anticiper le résultat d’une décision fiscale ultérieure.

89.      Toutefois, lorsque la décision fiscale anticipative fait l’objet d’un contrôle au regard du droit en matière d’aides d’État, la question se pose de savoir si toute dérogation à la loi fiscale favorable au contribuable (et donc toute décision fiscale anticipative erronée en faveur du contribuable) peut constituer une aide au sens des traités. En soi, une telle interprétation serait couverte par le libellé de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

90.      Elle est cependant en contradiction avec le critère d’examen que la Cour a dégagé pour les régimes d’aides sous la forme de lois fiscales générales. La Cour souligne ainsi que, en l’état actuel de l’harmonisation du droit fiscal de l’Union, les États membres sont libres d’établir le régime fiscal qu’ils jugent le plus approprié (21), ce qui vaut également de manière explicite dans le domaine des aides d’État (22). Cette marge d’appréciation des États membres s’étend à la définition des caractéristiques constitutives de chaque impôt. Il en va ainsi, notamment, du choix du taux de l’impôt, qui peut être proportionnel ou progressif, mais aussi de la détermination de son assiette et de son fait générateur (23). De même, la décision déterminant quels impôts étrangers peuvent être imputés sur l’impôt dû au niveau national, et à quelles conditions une telle imputation peut être opérée, est une telle décision générale relevant du pouvoir d’appréciation de l’État membre en matière de détermination des caractéristiques constitutives de l’impôt (24). Il en va de même de la mise en œuvre et des modalités du principe de pleine concurrence pour les transactions entre sociétés liées (25).

91.      Les limites de cette marge d’appréciation des États membres sont cependant outrepassées (26) lorsque les États membres font un usage abusif de leur législation fiscale pour accorder néanmoins des avantages à des entreprises individuelles « en contournant le droit en matière d’aides d’État ». Un tel abus de l’autonomie fiscale peut être présumé en présence de modalités manifestement incohérentes de la loi fiscale – comme cela était le cas, par exemple, de Gibraltar (27). Ainsi, dans sa jurisprudence récente, la Cour ne procède à un contrôle, au regard du droit en matière d’aides d’État, des décisions générales d’imposition que si celles-ci ont été conçues de manière manifestement discriminatoire aux fins de contourner les exigences découlant du droit de l’Union en matière d’aides d’État (28).

92.      On ne voit aucune raison de ne pas transposer cette jurisprudence à l’application erronée du droit au profit du contribuable. Ce sont donc non pas toutes les décisions fiscales anticipatives erronées, mais seulement les décisions fiscales anticipatives manifestement erronées en faveur du contribuable qui constituent un avantage sélectif. De telles dérogations au cadre de référence national applicable, qui ne sauraient être expliquées de manière plausible à un tiers tel que la Commission ou les juridictions de l’Union, sont manifestes et donc également évidentes pour le contribuable concerné. Dans de tels cas de figure, on peut considérer que l’on est en présence d’un contournement du droit en matière d’aides d’État par une application de la loi d’une manière manifestement discriminatoire. Il n’y a alors pas lieu de répondre aux questions soulevées lors de l’audience, concernant le point de savoir si une partie de la doctrine luxembourgeoise ou une juridiction luxembourgeoise de première instance interprètent réellement le droit fiscal luxembourgeois d’une manière différente de l’interprétation retenue par l’administration fiscale et une autre partie de la doctrine luxembourgeoise.

93.      Il n’y a pas non plus lieu de craindre que la Commission et les juridictions de l’Union puissent se voir imposer l’exigence excessive de devoir procéder à l’interprétation correcte dans tous les détails de 27 régimes fiscaux différents.

94.      Cette exigence excessive se manifeste déjà dans la présente procédure. L’argumentation de la Commission, jugée correcte par le Tribunal, repose sur une interprétation des articles 164 et 166 de la LIR différente de celle avancée par Engie et surtout par le Luxembourg. À cet égard, les déclarations du Tribunal en matière de droit fiscal, relatives à l’interprétation des articles 164 et 166 de la LIR (29), montrent que celui-ci a éprouvé des difficultés à jouer le rôle d’une « juridiction fiscale luxembourgeoise de seconde instance ». Au point 294 de l’arrêt attaqué, le Tribunal mentionne, par exemple, que l’article 164 de la LIR prévoit l’imposition des revenus générés par une société, « que ces revenus soient ou non distribués. Ces revenus comprennent également, en application de l’article 164, troisième alinéa, de la LIR, les distributions cachées de bénéfices ».

95.      Or, selon son libellé, l’article 164 de la LIR concerne non pas l’imposition de revenus, mais uniquement la détermination de la base imposable de la filiale. La question de savoir si de quelconques revenus sont imposés n’est pas mentionnée dans cette disposition. L’imposition des revenus devrait plutôt résulter du fait générateur concerné et de l’application ou non de dispositions d’exonération prévues par ailleurs.

96.      En outre, une interprétation large de l’article 107 TFUE – selon laquelle toutes les décisions fiscales anticipatives erronées en faveur du contribuable constituent des avantages sélectifs – soulèverait la problématique supplémentaire suivante : lors de l’adoption d’une décision anticipative, tout comme lors de l’adoption de toute décision fiscale, des erreurs peuvent être commises. Le contrôle du point de savoir si une telle décision fiscale est correcte ou erronée incombe cependant, en réalité, aux autorités fiscales nationales et aux juridictions nationales. Si l’on considérait toute simple erreur lors de la fixation de l’impôt déjà comme une violation du droit en matière d’aides d’État, cela aurait pour conséquence que la Commission deviendrait de facto une administration supérieure en matière fiscale et les juridictions de l’Union, par le contrôle des décisions de la Commission, des juridictions suprêmes en matière fiscale.

97.      Cela porterait, pour sa part, atteinte à l’autonomie fiscale des États membres, comme l’indique également le premier groupe de moyens dans l’affaire au principal. Il y est question d’une harmonisation fiscale déguisée. Le troisième moyen du pourvoi du Luxembourg retient, lui aussi, une conception selon laquelle le contrôle, au regard du droit en matière d’aides d’État, des décisions et lois fiscales concernant des impôts non harmonisés constitue une atteinte à l’autonomie fiscale propre à chaque État.

98.      La Cour a déjà pris en compte par ailleurs ces objections. Ainsi, l’avocat général Pikamäe a indiqué, en ce qui concerne les critères de détermination de l’imposition « normale », que ce sont, à cet égard, les règles du droit positif qui sont déterminantes. Afin d’éviter tout empiétement sur la compétence exclusive des États membres en matière de fiscalité directe, l’existence d’un avantage au sens de l’article 107 TFUE ne peut être vérifiée qu’au regard du cadre normatif tracé par le législateur national dans l’exercice effectif de cette compétence (30). Lors de l’application de ce cadre normatif, il conviendrait, par exemple, de reconnaître une certaine marge d’appréciation lors de la détermination des prix de transfert pertinents (31).

99.      La Cour souligne dans ce contexte (32) que des paramètres et des règles externes au système fiscal national en cause ne sauraient être pris en compte dans l’examen de l’existence d’un avantage fiscal sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et aux fins d’établir la charge fiscale devant normalement peser sur une entreprise, à moins que ce dernier ne s’y réfère explicitement. Cela constitue une expression du principe de légalité de l’impôt, qui fait partie de l’ordre juridique de l’Union en tant que principe général du droit. Il exige que toute obligation de paiement d’un impôt ainsi que tous les éléments essentiels qui définissent les caractéristiques fondamentales de celui-ci soient prévus par la loi. Le contribuable doit être en mesure de prévoir et de calculer le montant de l’impôt dû et de déterminer à quel moment il lui sera exigible (33). En outre, la Cour souligne que la fixation éventuelle des méthodes et critères permettant de déterminer un résultat de « pleine concurrence » relève du pouvoir d’appréciation des États membres (34).

100. Un tel contrôle restreint du droit national s’impose donc également à la lumière de l’intérêt des contribuables à la sécurité juridique. Comme cela a été indiqué ci-dessus (points 88 et suivants), les décisions fiscales anticipatives sont, davantage encore que d’autres décisions fiscales (35), des instruments importants pour créer de la sécurité juridique (36). Tant le principe de sécurité juridique que l’institution connexe liée au caractère définitif d’un acte administratif seraient privés de tout effet utile si toute décision fiscale erronée (décision fiscale anticipative comme décision fiscale normale) pouvait être considérée comme une violation du droit en matière d’aides d’État.

101. Compte tenu de la jurisprudence citée ci-dessus (aux points 90 et suivants), je suis donc d’avis que le contrôle de certaines décisions fiscales individuelles (décisions fiscales normales comme décisions fiscales anticipatives) ne devrait également s’effectuer que sur la base d’un critère d’examen restreint qui se limite à un contrôle de plausibilité. Sur cette base, toute application erronée du droit fiscal national n’est pas constitutive d’un avantage sélectif. Seule une dérogation manifeste, par la décision fiscale anticipative (ou la décision fiscale), au cadre de référence constitué de la loi fiscale nationale en faveur du contribuable est donc susceptible de constituer un avantage sélectif. En l’absence d’une telle dérogation manifeste, la décision peut éventuellement être illégale, mais elle ne constitue pas pour autant, du fait de cette éventuelle dérogation au cadre de référence, une aide au sens de l’article 107 TFUE.

c)      Sur l’existence d’un cadre de référence correctement défini (article 164, lu conjointement avec l’article 166 de la LIR)

102. Il s’ensuit que la Cour n’est pas tenue d’examiner si la conséquence juridique accordée dans les décisions fiscales anticipatives et contestée par la Commission découle effectivement du droit fiscal luxembourgeois. Le seul aspect déterminant réside dans le point de savoir si cette conséquence juridique ne découle manifestement pas du droit fiscal luxembourgeois.

103. Tel serait le cas si un principe de cohérence tel que celui retenu par la Commission et le Tribunal comme étant le cadre de référence applicable ressortait manifestement d’une lecture combinée des articles 164 et 166 de la LIR.

1)      Absence de prise en compte de la directive mères-filiales dans le cadre de référence (première branche du premier moyen invoqué par Engie)

104. Contrairement à ce que soutiennent Engie et le Luxembourg, il n’y a tout d’abord pas lieu de critiquer l’absence de prise en compte de la directive mères‑filiales dans le cadre de référence. Il est certes exact que, en vertu de la directive mères-filiales, jusqu’à sa modification en 2014 (37), une imposition préalable des bénéfices au niveau de la filiale n’était pas une condition de l’exonération des revenus de capitaux au niveau de la société mère.

105. La détermination du cadre de référence doit toutefois être opérée sur la base du droit national en vigueur. Une directive de l’Union ne peut cependant en principe pas être directement appliquée au contribuable (en l’espèce, Engie), car elle s’adresse à l’État membre. En l’absence de situation transfrontalière (toutes les sociétés concernées sont établies au Luxembourg), le champ d’application matériel de cette directive n’était, en outre, pas ouvert. Par conséquent, seul le droit luxembourgeois (en l’espèce, les articles 164 et 166 de la LIR) constitue le cadre de référence pertinent.

106. Cela ne signifie cependant pas que la directive mères-filiales soit sans pertinence. En effet – ainsi qu’il a été rappelé lors de l’audience –, l’article 166 de la LIR constitue une transposition en droit luxembourgeois de la directive mères‑filiales et il réglemente la situation transfrontalière et la situation interne de la même manière. Il convient absolument de tenir compte de cet aspect lors de l’interprétation du cadre de référence.

2)      Lien entre l’article 164 et l’article 166 de la LIR en droit luxembourgeois (le « principe de correspondance »)

107. En outre, le pourvoi d’Engie et du Luxembourg est dirigé contre le lien contraignant constaté par la Commission entre l’article 164 et l’article 166 de la LIR. Si ce lien existait effectivement, le bénéfice de l’exonération pour les revenus de participations serait conditionné, en vertu du droit luxembourgeois, à une imposition au niveau de la filiale. L’application du régime des sociétés mères (exonération des distributions au sein du groupe) pourrait alors constituer une erreur d’application du droit, étant donné que les accrétions sur ZORA au niveau de la filiale ne sont pas comprises dans l’assiette de l’imposition de la marge convenue.

108. Par conséquent, la question se pose de savoir si la législation fiscale du Grand-Duché de Luxembourg exige effectivement une telle imposition correspondante. Ce n’est que dans ce cas que le Tribunal n’aurait commis aucune erreur de droit (voir, en détail, points 78 et suivants des présentes conclusions) en considérant que cela constituait le cadre de référence correct. L’application du critère d’examen restreint proposé ci-dessus permet assez clairement d’y répondre par la négative, car, en tout état de cause, on n’est manifestement pas en présence d’un tel lien.

109. Le libellé du droit national (articles 164 et 166 de la LIR) ne comporte aucun lien entre ces deux dispositions. Au contraire, chacune d’entre elles concerne des contribuables différents. Il n’en ressort ni qu’une distribution cachée de bénéfices visée à l’article 164, paragraphe 3, de la LIR, telle que, notamment, une hausse du paiement des intérêts pour un emprunt d’associé (qui, au niveau de la filiale, est comprise dans la base imposable) doit être traitée comme un revenu exonéré d’une participation en vertu de l’article 166 de la LIR, ni inversement qu’un revenu exonéré en vertu de l’article 166 de la LIR doit être considéré comme une utilisation des bénéfices au sens de l’article 164.

110. Cette interprétation « proposée » par la Commission des articles 164 et 166 de la LIR, qui a été reprise par le Tribunal, est éventuellement possible, mais elle ne ressort pas du libellé de la loi nationale. La position contraire (pas de principe de correspondance, comme soutenu par le Luxembourg et Engie) est également possible et elle est même davantage conforme à ce libellé. Étant donné que l’article 166 de la LIR constitue une transposition de la directive mères-filiales et que celle-ci ne prévoyait pas non plus de clause de correspondance lors de l’adoption des décisions fiscales anticipatives, une interprétation conforme à la directive plaide également contre l’interprétation de l’article 166 de la LIR retenue par le Tribunal.

111. Cette conclusion est même confirmée par la décision litigieuse et par l’arrêt du Tribunal. Tant la décision litigieuse que l’arrêt du Tribunal ont admis et motivé, à titre subsidiaire, également l’existence d’un avantage sélectif résultant de l’application incorrecte de la disposition nationale anti-abus (article 6 du StAnpG) (38). Cette motivation et cette conclusion ne peuvent cependant logiquement exister que si les conditions légales de la « double non‑imposition » étaient réunies au niveau de la filiale et au niveau de la société mère. À l’évidence, tant la Commission que le Tribunal ont donc éprouvé des doutes quant à la question de savoir si leur propre interprétation des articles 164 et 166 de la LIR était nécessairement (et donc manifestement) correcte.

112. Par ailleurs, une application erronée des articles 164 et 166 de la LIR par l’administration fiscale ne peut jamais constituer un montage abusif de la part du contribuable en vertu de l’article 6 du StAnpG.

113. Il s’ensuit que l’interprétation sur laquelle s’est fondé le Luxembourg dans les décisions fiscales anticipatives n’est, en tout état de cause, pas une interprétation manifestement erronée du droit national. La Commission et le Tribunal se sont donc fondés sur un cadre de référence erroné, étant donné que le cadre de référence qu’ils ont retenu ne ressort pas manifestement du droit luxembourgeois.

114. Selon une jurisprudence constante, une erreur dans la détermination du cadre de référence vicie nécessairement l’ensemble de l’analyse de la condition relative à la sélectivité (39). Par conséquent, déjà pour cette raison, les pourvois d’Engie et du Luxembourg sont fondés.

d)      À titre subsidiaire : existe-t-il un principe de correspondance sur la base d’une interprétation combinée des articles 164 et 166 de la LIR ?

115. En revanche, si l’on ne restreignait pas le critère d’examen à la détermination du caractère manifestement erroné des décisions fiscales anticipatives, la Cour devrait se prononcer en détail sur la manière correcte d’interpréter les articles 164 et 166 de la LIR aux fins d’apprécier si le Tribunal s’est fondé sur le bon cadre de référence. Cela suppose des connaissances approfondies du droit fiscal luxembourgeois, que je ne prétendrais pas détenir. Toutefois, je doute que, – comme l’ont fait la Commission et le Tribunal aux points 292 et suivants –, un principe de correspondance puisse effectivement être déduit d’une lecture combinée des articles 164 et 166 de la LIR. J’étaierai ces doutes dans la suite des présentes conclusions par mon interprétation du droit fiscal luxembourgeois, présentée à titre subsidiaire.

116. Comme cela a été indiqué précédemment (au point 109), le libellé de ces dispositions plaide contre l’existence d’un principe de correspondance. L’article 166, premier alinéa, de la LIR ne fait pas directement référence à l’article 164 de la LIR. On doit partir du principe que l’article 166, premier alinéa, de la LIR régit de manière exhaustive les conditions dans lesquelles l’exonération des revenus de participations est accordée. Cette disposition concerne toutefois uniquement une durée minimale de détention et un montant minimal de la participation, et non une imposition anticipée des bénéfices distribués. En outre, il ne ressort pas de l’article 164 de la LIR que les revenus distribués doivent faire l’objet d’une imposition au niveau de la filiale. En particulier, l’article 164 de la LIR ne concerne que la base imposable (voir point 95 des présentes conclusions) de la filiale. La base imposable et l’obligation fiscale sont deux notions différentes en droit fiscal.

117. De plus, l’esprit et la finalité des deux dispositions n’exigent pas non plus nécessairement une telle correspondance. C’est ce qui ressort déjà de la directive mères-filiales, qui, jusqu’à sa modification en 2014, ne contenait pas non plus cette condition (40). En l’absence d’une telle règle de correspondance, il se peut que la directive mères-filiales n’ait pas été parfaite, mais ses dispositions faisaient néanmoins sens et n’étaient pas incohérentes. Étant donné que l’article 166 de la LIR transpose également la directive mères-filiales au Luxembourg et ne fait, à cet égard, pas de distinction entre les distributions transfrontalières et les distributions internes, cette considération découlant de la directive mères-filiales (à savoir l’absence de principe de correspondance lors de l’adoption des décisions fiscales anticipatives) est transposable à l’interprétation de l’article 166 de la LIR.

118. Malheureusement, lors de l’audience, le Luxembourg n’est parvenu que partiellement à expliquer avec précision l’objectif de l’article 166 de la LIR. L’affirmation de la Commission selon laquelle l’article 166 de la LIR est incohérent et n’a pas d’objectif propre n’est pas non plus convaincante. En règle générale, un régime des sociétés mères (tel que celui prévu à l’article 166 de la LIR) a deux objectifs. Il vise, d’une part, à prévenir la double imposition économique d’un revenu déjà imposé. Il garantit, d’autre part, également le maintien d’une exonération fiscale (personnelle ou matérielle) au niveau de la filiale lorsque celle-ci redistribue ses bénéfices (alors exonérés) à l’actionnaire (société mère). On peut parvenir ainsi à une certaine égalité de traitement entre les structures de sociétés à un seul niveau et celles à plusieurs niveaux et, par conséquent, à une certaine neutralité au regard de la forme organisationnelle ou juridique. Tel me semble également être le sens de la règle prévue en droit luxembourgeois à l’article 166 de la LIR. Celui-ci plaide donc également contre un principe global et non écrit de correspondance.

119. Il en va de même au regard du principe de l’impôt personnel, sur lequel repose, en règle générale, un impôt sur le revenu. L’imposition d’un contribuable ne dépend normalement pas de l’imposition concrète d’un autre contribuable. Le législateur peut certainement introduire une telle correspondance dans certaines limites. Toutefois, dans ce cas, la réserve de la loi en droit fiscal (qui constitue tout de même un droit d’intervention classique) exige que cette correspondance se reflète dans le texte de la loi.

120. Un principe de correspondance non écrit ne découle pas non plus nécessairement, contrairement à ce que soutient la Commission – et, à sa suite, le Tribunal –, de la réponse du Grand-Duché de Luxembourg du 31 janvier 2018, mentionnée au considérant 202 de la décision litigieuse. Selon cette réponse, toutes les participations dont les revenus bénéficient du régime d’exemption prévu à l’article 166 de la LIR relèvent également de l’article 164 de la LIR. Cela ne dit cependant rien d’une imposition anticipée au niveau des filiales, mais confirme simplement que la distribution elle-même ne doit pas conduire à une réduction de la base imposable.

121. Enfin, on ne peut non plus déduire aucun lien contraignant de l’avis – selon toute vraisemblance, consultatif – du Conseil d’État, du 2 avril 1965, sur le projet de loi incorporant l’article 166 dans la LIR. Certes, il se peut que l’esprit et la finalité du régime des sociétés mères en droit luxembourgeois visent à prévenir une imposition en chaîne. Toutefois, contrairement à ce qu’affirme le Tribunal, cela ne signifie pas que le droit luxembourgeois n’accepterait pas une double non‑imposition dans le cas concret. La directive mères-filiales visait, elle aussi, à éviter une double imposition et, jusqu’à sa modification en 2014, acceptait une double non‑imposition en raison de l’absence de clause de correspondance.

122. Tout cela montre que le principe non écrit de correspondance sur lequel la Commission et le Tribunal se sont fondés ne saurait être interprété comme étant le cadre de référence en droit luxembourgeois. Certes, cela permettrait de combler les lacunes en matière d’imposition résultant, notamment, du recours à des moyens de financement hybrides. Ainsi que la Cour l’a cependant déjà jugé à plusieurs reprises (41), aucun droit fiscal idéal ne saurait être élaboré par des institutions de l’Union telles que la Commission ou le Tribunal par le biais du droit en matière d’aides d’État. Cela incombe, s’agissant du droit fiscal non harmonisé, en définitive, au législateur national.

123. Enfin, lors de la détermination et de l’application du cadre de référence, la Commission et, à sa suite, également le Tribunal n’ont pas tenu compte du fait que la double non‑imposition alléguée ne résulte absolument pas de l’application des articles 164 et 166 de la LIR. D’une part, les filiales sont imposées, mais précisément à un niveau très faible. D’autre part, même si les accrétions sur ZORA devaient être considérées comme des distributions de bénéfices (manifestes ou cachées) au niveau de la filiale, l’article 164 de la LIR ne serait pas pertinent en l’espèce. Tel ne serait le cas que si les accrétions sur ZORA avaient réduit la base imposable. Cela aurait peut-être été le cas dans le cadre d’une imposition normale des sociétés. En l’espèce, le résultat tout à fait singulier (imposition très faible des filiales opérationnelles) découle cependant uniquement de l’imposition de la marge ayant été convenue avec l’administration fiscale luxembourgeoise.

124. Il s’ensuit que la Commission et le Tribunal n’ont pas adopté le bon cadre de référence (à savoir qu’ils se sont fondés sur les articles 164 et 166 de la LIR au lieu de la base légale pour l’accord relatif à l’imposition de la marge) et qu’ils ont ensuite défini ce cadre, en outre, d’une manière erronée (en retenant un principe non écrit de correspondance). Partant, l’ensemble de l’analyse de la condition relative à la sélectivité est entaché d’un vice. Les pourvois d’Engie et du Luxembourg sont, sur ce point également, fondés.

e)      Incohérence du droit fiscal luxembourgeois en raison de l’absence d’une clause matérielle de correspondance ?

125. La Commission a enfin également laissé entendre que, en l’absence d’une telle clause de correspondance, le droit fiscal luxembourgeois était incohérent et constituait donc, en tant que tel, une aide (42).

126. Cela n’aurait cependant, pour deux raisons, aucune incidence sur la conclusion susmentionnée (au point 124). D’une part, la décision litigieuse de la Commission et l’arrêt attaqué du Tribunal ne concernent pas la loi luxembourgeoise en tant que régime d’aides d’État, mais uniquement les décisions fiscales anticipatives en tant qu’aides individuelles (voir également, à cet égard, points 86 et suivants des présentes conclusions). L’absence de clause de correspondance au niveau de la loi ne ferait donc pas l’objet du litige.

127. D’autre part, une loi fiscale nationale qui peut conduire à une non‑imposition lors du recours à des instruments financiers hybrides n’est pas, en soi, incohérente.

128. Certes, le Tribunal a relevé à juste titre, au point 293 de l’arrêt attaqué, que, selon l’interprétation précédemment exposée, le droit fiscal luxembourgeois peut conduire à une double non‑imposition de bénéfices. Il semble en fait que l’exonération au niveau de la société bénéficiaire de la distribution, prévue à l’article 166, premier alinéa, point 2, de la LIR, soit indépendante du sort fiscal des bénéfices distribués au niveau de la société distributrice. On n’a, de ce fait, cependant pas atteint pour autant le stade de l’incohérence.

129. D’une part, ce régime des sociétés mères (à savoir l’exonération des distributions de bénéfices au sein d’un groupe) est un régime courant qui est largement répandu au niveau international. Dans un contexte transfrontalier, cela ressort déjà de l’existence de la directive mères-filiales, qui repose sur une idée similaire et qui, jusqu’en 2014, ne contenait également aucune clause matérielle de correspondance. D’autre part, les États membres sont, en principe, libres de définir les modalités précises d’un tel régime des sociétés mères. À cet égard, la jurisprudence de la Cour relative aux règles nationales d’imputation est transposable dans un contexte transfrontalier et la définition des modalités précises de ces règles incombe également aux États membres (43).

130. Il est vrai que, dans une perspective de politique juridique et dans le contexte des efforts déployés au niveau mondial pour promouvoir un système fiscal équitable, il convient d’éviter autant que possible les « revenus blancs ». La neutralisation de telles asymétries au niveau de l’imposition – notamment transfrontalières – est une demande formulée tant par l’OCDE (44) que par l’Union (45).

131. En l’espèce, d’une part, il existe cependant déjà des doutes sur le point de savoir si l’on peut parler de revenus blancs, car les bénéfices de la filiale ne demeurent pas totalement non imposés. Au contraire, selon les décisions fiscales anticipatives, ils sont imposés d’une autre manière (imposition spéciale de la marge). D’autre part, les mesures de l’OCDE et de l’Union visent exclusivement les montages hybrides résultant des interactions (non concertées) entre les systèmes d’imposition des sociétés de plusieurs États membres ou pays tiers. En revanche, les asymétries résultant de régimes fiscaux purement nationaux ne sont pas visées. À cet égard, il est certes possible que, sur le plan juridique, il soit légitime et, entre-temps, également largement répandu au niveau international d’éviter la création de revenus blancs au moyen de clauses matérielles concrètes de correspondance.

132. Il apparaît qu’une telle clause a également été introduite pour l’avenir au Luxembourg aux fins de transposer en conséquence la directive mères-filiales modifiée en 2014. Cela ne change cependant le cadre de référence que pour l’avenir.

133. Par conséquent, cela reste une décision qui incombe au législateur national. C’est ce dernier – et non la Commission ou les juridictions de l’Union – qui doit décider si, et dans quelles situations, il convient d’introduire une clause matérielle de correspondance.

3.      Résumé des conclusions sur le premier moyen du pourvoi

134. Par conséquent, il n’en demeure pas moins que seul le législateur luxembourgeois était en mesure de veiller par voie législative à ce qu’une imposition correspondante entre l’entité distributrice et l’entité bénéficiaire constitue le cadre de référence pour l’imposition normale sur le territoire du Luxembourg. Étant donné que cela n’a pas été fait ou ne l’a été qu’ultérieurement, la Commission s’est fondée, en lieu et place du droit fiscal national en vigueur, sur un système fiscal éventuellement préférable, mais, en définitive, fictif. Ainsi que cela a déjà été exposé précédemment (aux points 72 et suivants), cela n’est pas autorisé par le droit en matière d’aides d’État.

135. Le premier moyen est, par conséquent, fondé. Le Tribunal a commis une erreur de droit en retenant, lors de la détermination du cadre de référence, un lien contraignant entre l’article 164 et l’article 166 de la LIR, et donc un principe de correspondance. Ce lien n’est pas manifeste (points 107 et suivants) et, à y regarder de plus près, il ne ressort pas non plus du libellé, de l’esprit et de la finalité des réglementations nationales ou de la jurisprudence constante des juridictions luxembourgeoises (points 115 et suivants).

B.      Sur le deuxième moyen du pourvoi : interprétation erronée de l’article 107 TFUE par le recours à l’article 6 du StAnpG en tant que cadre de référence

136. Toutefois, le Tribunal a également rejeté, à titre subsidiaire, un autre moyen au motif que les autorités fiscales luxembourgeoises n’ont, selon lui, pas appliqué la disposition générale visant à prévenir les abus, prévue à l’article 6 du StAnpG, alors que les conditions de cette application étaient réunies.

137. Par le deuxième moyen du pourvoi, Engie et le Luxembourg font donc valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en rejetant leur moyen de première instance, tiré de l’absence de violation de l’article 107 TFUE. Ils estiment que la non‑application en l’espèce de l’article 6 du StAnpG ne constitue pas une dérogation au cadre de référence constitué du droit luxembourgeois.

138. En vertu de la disposition luxembourgeoise générale visant à prévenir les abus, prévue à l’article 6 du StAnpG, une obligation fiscale ne peut être contournée ou réduite par une utilisation abusive des formes et des possibilités du droit civil. En cas d’abus, les impôts doivent être prélevés de la même manière qu’ils le seraient dans une structure juridique adaptée aux opérations, faits et circonstances économiques.

139. Dans l’affaire à trancher en l’espèce, la Cour doit se pencher pour la première fois sur la question de savoir si l’application erronée ou l’absence d’application d’une disposition générale de droit interne, visant à prévenir les abus en droit fiscal (en l’espèce, l’article 6 du StAnpG), constitue une aide au sens de l’article 107 TFUE.

1.      Les constatations du Tribunal

140. Le Tribunal considère, aux points 384 et suivants, que la Commission a démontré que les quatre conditions nécessaires à l’existence d’un abus, prévues à l’article 6 du StAnpG, qui ont été dégagées par la jurisprudence luxembourgeoise en matière fiscale étaient remplies. L’interprétation de la disposition relative à l’abus de droit, prévue à l’article 6 du StAnpG, ne présente pas non plus de difficultés d’interprétation, de sorte qu’il n’était pas nécessaire d’examiner la pratique de l’administration luxembourgeoise (point 409 de l’arrêt attaqué).

141. La Commission et, à sa suite, le Tribunal (point 388) partent notamment du principe que d’autres instruments financiers (des instruments purement liés aux fonds propres ou à des capitaux externes) étaient accessibles et que ceux-ci n’auraient pas conduit à une non‑imposition des bénéfices réalisés au niveau des filiales. Ainsi, le ZORA aurait pu être émis également directement par la société mère concernée en faveur de sa filiale respective. Une imposition appropriée aurait eu lieu également par le recours à un emprunt convertible sans intervention d’une société intermédiaire.

142. Les décisions fiscales anticipatives n’auraient donc pas dû être adoptées sous cette forme. Au contraire, l’administration fiscale luxembourgeoise aurait dû appliquer la disposition générale visant à prévenir les abus, prévue à l’article 6 du StAnpG. Dans la mesure où il n’a pas appliqué cette disposition, le Grand-Duché de Luxembourg aurait accordé un avantage fiscal sélectif à Engie.

2.      Appréciation

143. Engie et le Luxembourg soutiennent, en substance, que c’est à tort que le Tribunal a déterminé le cadre de référence en considérant qu’il n’était pas nécessaire que la Commission tienne compte de la pratique administrative luxembourgeoise. Ils estiment que la Commission et le Tribunal ont commis, en outre, plusieurs erreurs manifestes d’interprétation et d’application lors de l’interprétation des quatre conditions cumulatives permettant de conclure à l’existence d’un abus ainsi que lors de la qualification des faits concrets de l’espèce au regard de ces conditions.

144. Étant donné que la Commission et, à sa suite, le Tribunal invoquent une violation de l’interdiction des aides en raison de la non‑application d’une disposition générale visant à prévenir les abus, il convient tout d’abord de se prononcer sur cette approche et sur le critère d’examen applicable (voir sous a) pour pouvoir déterminer le cadre de référence correct. Il convient ensuite d’examiner si le Tribunal s’est fondé en l’espèce sur le bon cadre de référence (voir sous b).

a)      Examen, au regard des règles en matière d’aides d’État, de l’application de dispositions générales visant à prévenir les abus en droit fiscal

145. Ce n’est que si l’administration fiscale luxembourgeoise avait dû appliquer, lors de l’adoption des décisions anticipatives, la disposition générale visant à prévenir les abus, prévue à l’article 6 du StAnpG, qu’une dérogation au cadre de référence (article 6 du StAnpG) aurait été envisageable. À cet égard également, la Commission et le Tribunal n’invoquent toutefois, en définitive, qu’une simple erreur dans l’application du droit luxembourgeois. Cela ne justifie toutefois pas pour autant l’existence d’un avantage sélectif (voir points 89 et suivants des présentes conclusions).

146. Par ailleurs, il existe, s’agissant des dispositions générales visant à prévenir les abus (les « GAAR » (46)), nécessairement une marge d’appréciation lors de l’application du droit, semblable à celle dont dispose l’administration fiscale lorsqu’elle détermine le prix de transfert « correct » (47).

147. Non seulement la notion d’abus dépend tout particulièrement des appréciations de l’ordre juridique de chaque État membre, mais la constatation d’un abus dépend en outre, en elle-même, largement du cas d’espèce.

148. À cet égard, l’affirmation du Tribunal au point 409 de l’arrêt attaqué, selon laquelle « la disposition relative à l’abus de droit ne soulevait, en l’espèce, aucune difficulté d’interprétation », semble discutable. Il n’y a certainement aucune disposition générale visant à prévenir les abus en droit fiscal qui ne présente pas de difficultés d’interprétation (48). Cela vaut d’autant plus que le Tribunal a déjà été confronté à des difficultés en ce qui concerne l’interprétation des dispositions fiscales luxembourgeoises, prétendument appliquées de manière abusive (voir points 94 et suivants des présentes conclusions).

149. Ce n’est que dans un très petit nombre de cas que l’application d’une disposition visant à prévenir les abus devrait être contraignante. Il ne peut s’agir que de cas de figure qui sont évidents, car ils ont déjà été clarifiés par la jurisprudence en matière fiscale des États membres (et non par les décisions de la Commission ou la jurisprudence du Tribunal). Cela vaut d’autant plus au regard du fait que, selon la jurisprudence de la Cour, le contribuable est même libre, en vertu du droit de l’Union, de choisir, dans les limites légales, le montage fiscal qui lui est le plus favorable (49).

150. Compte tenu des particularités des dispositions générales visant à prévenir les abus, le critère de contrôle doit, lors du contrôle, au regard du droit en matière d’aides d’État et de l’application des dispositions générales visant à prévenir les abus, se limiter a fortiori à un simple contrôle de plausibilité. Il doit donc s’agir d’une application manifestement erronée de la disposition visant à prévenir les abus. On peut considérer que tel est le cas lorsqu’il n’est pas possible d’expliquer de manière plausible pourquoi il n’y aurait pas d’abus dans un cas concret.

b)      Application de ces principes au cas d’espèce

151. La Commission et le Tribunal (points 398 et suivants) se fondent tout d’abord à juste titre sur un cadre de référence constitué de l’article 6 du StAnpG. Conformément à l’article 6 du StAnpG, on est en présence d’un abus lorsque quatre critères sont cumulativement remplis, à savoir l’utilisation de formes ou d’institutions de droit privé, la réduction de la charge d’impôt, l’utilisation d’une voie juridique non appropriée et l’absence de motifs extrafiscaux.

152. Le cadre de référence ne peut donc être déterminé concrètement en l’espèce que si la façon dont il convient d’entendre l’« abus » en droit fiscal luxembourgeois est établie. L’article 6 du StAnpG ne définit pas la notion d’abus. Une définition de la notion d’abus en droit fiscal luxembourgeois et, partant, du cadre de référence aurait nécessairement impliqué un examen tant de la jurisprudence luxembourgeoise que de la pratique administrative luxembourgeoise. À cet égard, au point 409 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a déjà commis une erreur de droit en partant du principe qu’il n’était pas nécessaire de tenir compte de la pratique administrative, étant donné que la disposition visant à prévenir les abus ne soulève pas de difficultés d’interprétation en l’espèce.

153. Certes, au point 409 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé que, dans sa décision, la Commission s’est référée à une note de service de l’administration luxembourgeoise ainsi qu’à la pratique juridictionnelle luxembourgeoise. Toutefois, il ressort des passages concernés de la décision litigieuse (points 293 à 298), auxquels le Tribunal renvoie, uniquement que la Commission a examiné de manière générale les quatre conditions d’applicabilité de l’article 6 du StAnpG, mais non de quelle manière l’administration fiscale luxembourgeoise traite des montages fiscaux comparables.

154. En outre, le Tribunal a commis une erreur de droit en substituant sa propre interprétation à celle de l’administration fiscale luxembourgeoise. Il faut procéder, au contraire, à un contrôle de la décision de l’administration fiscale luxembourgeoise pour déterminer si celle-ci contient des erreurs manifestes (voir point 150 des présentes conclusions).

155. En l’espèce, il n’apparaît cependant pas que la disposition visant à prévenir les abus aurait dû être appliquée. En particulier, il n’est pas manifeste que l’interprétation de la Commission et du Tribunal découle effectivement ainsi du droit luxembourgeois. On peut le constater, par exemple, au regard des développements relatifs au critère de la voie juridique non appropriée. Selon la jurisprudence luxembourgeoise à laquelle se réfère la Commission, ce critère vise une possibilité de traitement fiscal en contradiction directe avec l’intention manifeste du législateur, conforme à l’objectif ou à l’esprit de la loi. Selon les observations du Luxembourg, il doit exister au moins deux possibilités pour atteindre le résultat économique recherché, dont l’une serait inappropriée et engendrerait un avantage fiscal qui n’aurait pas pu être obtenu par la possibilité appropriée.

156. Le Tribunal examine (aux points 445 et suivants) sur cette base si le recours à des instruments financiers alternatifs aurait permis d’éviter, en définitive, une double non‑imposition. À cette fin, le Tribunal envisage un financement au moyen d’un instrument de fonds propres, d’un emprunt non convertible ainsi que d’un ZORA direct, conclu sans intermédiaire entre la société mère et la filiale. Selon les constatations du Tribunal, cela aurait conduit dans tous ces cas de figure à une imposition unique, ce que le Luxembourg et Engie ont continué à contester lors de l’audience.

157. Le Tribunal a ainsi commis une erreur de droit à deux égards. Il a tout d’abord appliqué, à l’instar de la Commission, de manière manifestement erronée, les dispositions luxembourgeoises auxquelles cette dernière a eu recours en tant que cadre de référence, en faisant ainsi reposer ces dispositions sur un cadre de référence erroné. La condition prévue à l’article 6 du StAnpG est que la structure choisie constitue une voie juridique non appropriée. Le Tribunal et la Commission ont cependant examiné, à l’inverse, si, en lieu et place, d’autres possibilités de financement auraient été appropriées. Il n’y a cependant pas lieu d’en conclure nécessairement a contrario que la structure choisie par Engie est alors effectivement non appropriée.

158. En outre, il existe un désaccord sur la question de savoir si l’utilisation d’un ZORA direct, c’est-à-dire sans recourir à une société intermédiaire, pourrait également donner lieu à une double non‑imposition, étant donné que la Commission et, à sa suite, le Tribunal (aux points 441 et suivants) constatent précisément l’inadéquation de la complexité de la structure. Cela n’est, à mon sens, pas explicite et exclut donc l’existence d’un abus manifeste. En particulier, Engie et la Commission s’opposent sur le rôle de l’article 22 bis de la LIR. Selon cette disposition, la conversion d’un emprunt n’entraîne pas, sous certaines conditions, la réalisation de plus-values. À cet égard – comme l’audience l’a également montré –, il semble exister des doutes sur le point de savoir si le champ d’application de l’article 22 bis de la LIR est véritablement ouvert et quelle serait, en définitive, l’incidence de cette disposition. La Cour elle-même n’est pas en mesure de l’apprécier en l’espèce. En présence de telles difficultés d’interprétation du droit national, on ne saurait parler d’abus manifeste.

159. En l’espèce, il n’est justement pas manifeste qu’il existerait une contradiction évidente avec l’intention du législateur uniquement en raison d’un financement au moyen d’un instrument de financement convertible avec une structure de participation à plusieurs niveaux, d’autant plus que ces deux éléments sont courants dans les structures des entreprises. À cela s’ajoute le fait qu’il ressort d’une lecture attentive que l’on n’est pas en présence d’une double non‑imposition en raison de l’imposition de la marge des filiales. On est, au contraire, en présence d’une imposition très faible en raison de l’imposition de la marge convenue, mais qui ne fait pas l’objet de la décision litigieuse (voir points 84 et 85 des présentes conclusions).

160. Enfin, on ne saurait considérer être en présence d’une aide interdite en lien avec une disposition générale visant à prévenir les abus que si le montage concerné n’était pas ouvert de la même manière à toutes les entreprises, car l’administration fiscale de l’État membre aurait, dans des cas similaires, appliqué la disposition visant à prévenir les abus.

161. La Commission doit donc démontrer que l’administration fiscale luxembourgeoise aurait appliqué l’article 6 du StAnpG dans d’autres cas similaires sur le plan juridique ou factuel. Il n’est pas suffisant de constater de manière générale que la disposition visant à prévenir les abus a été appliquée à d’autres contribuables. Comme Engie l’a exposé à juste titre, il n’en résulte pas que la non‑application de la disposition visant à prévenir les abus est, en l’espèce, discriminatoire.

162. En l’espèce, la non‑application de l’article 6 du StAnpG lors de l’adoption des décisions fiscales anticipatives ne constitue donc pas un avantage sélectif au profit d’Engie.

3.      Résumé

163. Il s’ensuit que le deuxième moyen doit, lui aussi, être accueilli. La Commission et le Tribunal, qui a confirmé la position de cette dernière, se sont fondés sur un critère d’examen erroné en procédant à leur propre interprétation de la disposition générale visant à prévenir les abus, prévue à l’article 6 du StAnpG, aux fins de déterminer son champ d’application allégué. En lieu et place, ils auraient dû se fonder sur la pratique administrative luxembourgeoise et sur l’interprétation retenue au Luxembourg. À cet égard, l’existence d’un abus en vertu du droit luxembourgeois n’est pas manifeste et elle n’a pas non plus été établie par la Commission, ce que le Tribunal a méconnu au point 472 de l’arrêt attaqué.

C.      À titre subsidiaire : sur le troisième moyen, tiré d’une violation des principes généraux de protection de la confiance légitime

164. Par son troisième moyen, Engie fait valoir que l’ordre de récupération de l’aide viole les principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique. Le Luxembourg invoque également ce grief dans son deuxième moyen de pourvoi. Il n’y a cependant pas lieu d’examiner plus avant ce moyen. En effet, l’annulation de l’arrêt attaqué découle déjà du bien-fondé des deux premiers moyens du pourvoi.

165. Toutefois, si la Cour, dans le contexte de la disposition générale visant à prévenir les abus, n’appliquait pas le critère d’examen restreint et concluait à l’existence d’un montage abusif au sens de l’article 6 du StAnpG luxembourgeois, la question de la protection de la confiance légitime se poserait alors. Par conséquent, il convient de présenter à cet égard, également à titre subsidiaire, quelques observations.

166. Selon la jurisprudence constante de la Cour, la suppression d’une aide illégale par voie de récupération est la conséquence logique de la constatation de son illégalité (50).

167. L’obligation de récupération est limitée, notamment, par le principe de protection de la confiance légitime, qui constitue un principe général du droit de l’Union, au sens de l’article 16 du règlement 2015/1589. Il ressort toutefois de la jurisprudence constante de la Cour que ce n’est que dans des cas exceptionnels qu’une demande de récupération est exclue pour des considérations liées à la confiance légitime. Ainsi, la Cour a jugé que le droit de se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime s’étend à tout justiciable dans le chef duquel une institution a, en lui fournissant des assurances précises, fait naître des espérances fondées (51).

168. En revanche, des assurances données par l’État membre ne doivent, en considération du principe d’effectivité, pas suffire (52). Cela signifierait que le seul fait qu’un traitement fiscal particulier ait été accordé par des autorités nationales dans une décision fiscale anticipative ne saurait fonder aucune confiance légitime du point de vue du droit de l’Union.

169. Les décisions fiscales anticipatives sont cependant un instrument classique pour garantir la sécurité juridique par l’administration fiscale nationale, ce que reconnaît également la Commission (voir points 88 et suivants des présentes conclusions). Si toute application erronée du droit par une autorité publique au profit du contribuable faisait obstacle à la confiance légitime, le caractère définitif des décisions correspondantes serait fortement limité, ce qui, pour sa part, serait en tension avec le principe de sécurité juridique.

170. Si cependant la Cour retient le critère d’examen restreint proposé dans les présentes conclusions pour les erreurs d’application du droit, cette problématique n’a plus lieu d’être. Si l’erreur dans l’application du droit fiscal national n’est pas manifeste, on n’est déjà pas en présence d’une aide d’État. En revanche, une aide d’État peut exister lorsqu’une erreur d’application du droit est manifeste et ne peut pas non plus être expliquée de manière plausible à un tiers. Si tel est le cas, la « violation du droit » est également décelable pour le contribuable. Celui-ci n’a alors aucune confiance légitime. La fourniture d’une assurance (alors manifestement illégale), sous la forme d’une décision administrative, ne pourra, elle non plus, rien y changer.

D.      Sur les moyens invoqués par le Luxembourg, tirés de griefs supplémentaires

171. Par son troisième moyen, le Luxembourg invoque une violation des articles 4 et 5 TUE en ce que le Tribunal aurait porté atteinte à l’autonomie fiscale des États membres. Par son quatrième moyen, le Luxembourg invoque une violation de l’obligation de motivation par le Tribunal. Il n’y a cependant pas lieu d’examiner plus avant ces moyens. En effet, l’annulation de l’arrêt attaqué découle déjà du bien-fondé des deux premiers moyens du pourvoi.

E.      Sur le recours devant le Tribunal

172. Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, cette dernière peut, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

173. Il pourrait exister des doutes sur le fait que le litige soit en état d’être jugé en l’espèce car, dans sa décision, la Commission avait conclu à la sélectivité par quatre voies différentes. Dans leurs recours, Engie et le Luxembourg contestent toutes ces voies de raisonnement. Dans son arrêt (point 382, lu conjointement avec les points 230 et 231), le Tribunal a indiqué que, dès lors que le dispositif d’une décision de la Commission repose sur plusieurs piliers de raisonnement dont chacun suffirait à lui seul à fonder ce dispositif, il n’y a lieu d’annuler cet acte, en principe, que si chacun de ces piliers est entaché d’illégalité.

174. Dans son arrêt, le Tribunal a donc uniquement examiné les voies de raisonnement de la Commission relatives aux articles 164 et 166 de la LIR et à l’application erronée de l’article 6 du StAnpG et a conclu, selon les deux approches, à l’existence d’une sélectivité. Le Tribunal n’a pas examiné les deux autres voies permettant d’établir la sélectivité (53). Une annulation de la décision litigieuse n’est cependant envisageable que si ces deux voies de raisonnement ne conduisent pas non plus à une sélectivité du traitement fiscal accordé par les décisions fiscales anticipatives.

175. Selon la Cour, dans un tel cas, le litige peut néanmoins être en état d’être jugé si les autres moyens ont fait l’objet d’un débat contradictoire devant le Tribunal et que leur examen ne nécessite d’adopter aucune mesure supplémentaire d’organisation de la procédure ou d’instruction du dossier (54).

176. Tel est le cas en l’espèce. L’ensemble des moyens d’Engie relatifs à la sélectivité du traitement fiscal accordé par les décisions fiscales anticipatives ont été débattus, à tout le moins au cours de la procédure devant le Tribunal, étant donné qu’Engie a contesté, par la voie du recours, toutes les possibilités de conclure à l’existence d’une sélectivité. En outre, il est vrai que les parties s’opposent sur la manière dont le droit national du Grand-Duché de Luxembourg doit être interprété. Toutefois, aucune mesure d’instruction n’est nécessaire pour résoudre le litige. Enfin, les deux voies de raisonnement susceptibles de conduire à la conclusion de l’existence d’une sélectivité qui n’ont pas été examinées par le Tribunal comportent, en substance, les mêmes considérations et faits fondamentaux que le cadre de référence restreint qui doit, quoi qu’il en soit, être examiné en détail par la Cour. Si, pour ces raisons, la décision devait s’avérer légale, le pourvoi serait, en définitive, non fondé.

177. Je présenterai donc ci-après encore quelques développements relatifs à la sélectivité du traitement fiscal accordé par le biais des décisions fiscales, pour autant que celui-ci doit, selon la Commission, être déduit d’un cadre de référence étendu, constitué de l’ensemble du système d’imposition des sociétés (voir sous 1). Enfin, j’examinerai également si l’existence d’une sélectivité a été exposée de manière compréhensible par la Commission à la lumière du cadre de référence étendu en ce qui concerne le groupe Engie, qui comprend, en l’espèce, les sociétés mères concernées, les sociétés intermédiaires et les filiales (voir sous 2).

1.      La sélectivité appréciée par rapport à un cadre de référence étendu

178. Dans sa décision (considérants 171 et suivants), la Commission part tout d’abord du principe que le cadre de référence est constitué du système général luxembourgeois d’imposition des sociétés et conclut ainsi également à l’existence d’une sélectivité de la non‑imposition des revenus de capitaux au niveau de LNG Holding.

179. L’exonération des revenus de participations résulte d’une application – erronée, selon la Commission – du régime des sociétés mères prévu à l’article 166 de la LIR. Le grief formulé par la Commission est donc à nouveau que les revenus de participations ont été traités comme étant exonérés, alors que l’équivalent économique sous la forme des accrétions sur ZORA était fiscalement déductible de la base imposable de LNG Supply.

180. Comme nous l’avons déjà expliqué, un tel principe de correspondance ne ressort pas du droit national du Grand-Duché de Luxembourg (voir points 102 et suivants et points 115 et suivants des présentes conclusions). Par conséquent, le recours à l’ensemble du système luxembourgeois d’imposition des sociétés en tant que cadre de référence ne modifie pas non plus la conclusion susmentionnée.

181. Le régime des sociétés mères (exonération des bénéfices distribués à la société mère) doit être compris, même si l’on recourt à l’ensemble du système luxembourgeois d’imposition des sociétés, comme faisant partie intégrante du cadre de référence lui-même. Ce régime relève donc de la souveraineté fiscale du Luxembourg. Ainsi, le Luxembourg était en droit de prévoir ou non un tel régime de prévention de la double imposition économique dans les structures de groupes et de déterminer les modalités précises d’un tel régime.

182. Si – comme nous l’avons précédemment indiqué – cette disposition est pertinente, un traitement favorable sélectif résultant de l’application de cette disposition n’est alors, même en recourant à l’ensemble du système d’imposition des sociétés, pas non plus envisageable.

2.      La sélectivité appréciée au regard de l’incidence du traitement fiscal sur l’ensemble du groupe d’entreprises

183. Enfin, dans la décision litigieuse (points 237 et suivants), la Commission conclut à l’existence d’une sélectivité du traitement fiscal d’Engie sur la base d’une approche par groupe. Cette voie de raisonnement se fonde sur une prémisse identique à l’approche consistant à recourir à l’ensemble du système d’imposition des sociétés comme cadre de référence. La Commission élargit cependant la perspective dans la mesure où elle se réfère ici à la base imposable globale du groupe Engie.

184. La Commission soutient que les régimes d’aides ne s’appliquent pas aux différentes sociétés d’une entreprise, mais qu’il convient de se référer à la notion d’entreprise en droit de la concurrence. Toutes les sociétés concernées en l’espèce font partie, selon elle, d’une entreprise au sens du droit de la concurrence. La Commission estime que le traitement fiscal subséquent, qui a déjà été décrit, ne comporte, contrairement aux décisions de la Commission relatives au groepsrentebox (55) et à Fiat (56), aucun élément transfrontalier, de sorte qu’il n’est pas incohérent, selon elle, qu’elle opte pour une approche par groupe.

185. La Commission identifie à nouveau en tant que cadre de référence (aux points 245 et suivants) le système d’imposition des sociétés du Grand-Duché de Luxembourg. Elle limite ensuite son analyse au traitement fiscal des opérations de financement au sein d’un groupe de sociétés. Selon cette analyse, une réduction du revenu imposable combiné n’est pas prévue par le droit fiscal luxembourgeois, quel que soit le mode de financement. La Commission explique cela en se basant sur les possibilités alternatives susmentionnées d’assurer un financement, lesquelles aboutiraient dans chaque cas à une imposition unique. L’objectif de l’imposition des bénéfices des entreprises ressort en outre, selon elle, du système luxembourgeois d’imposition des sociétés. Elle considère qu’il en résulte directement qu’une réduction de la base imposable globale d’un groupe de sociétés ne serait pas autorisée. Tous les groupes de sociétés qui réalisent des opérations de financement au sein d’un groupe de sociétés sont, selon elle, comparables. Elle estime par ailleurs que la structure de financement n’est pas ouverte à toutes les entreprises. Une justification ne serait pas non plus possible.

186. Le raisonnement de la Commission ne s’écarte du reste de ses observations que pour autant qu’elle considère un revenu imposable combiné comme pertinent et qu’elle a identifié le groupe Engie comme bénéficiaire de la mesure d’aide en application de la notion d’entreprise en droit de la concurrence. Cette dernière thèse n’est déjà pas convaincante lorsque la loi fiscale nationale concernée ne prévoit pas d’imposition de groupe ou qu’il n’a pas été recouru à cette imposition. Elle est, à cet égard, en contradiction avec le principe de l’impôt personnel, habituellement applicable en droit fiscal.

187. Enfin, la Commission déduit en outre, une nouvelle fois, l’existence d’un avantage sélectif uniquement de sa considération selon laquelle l’objectif de l’imposition des bénéfices des entreprises ressort du droit luxembourgeois en matière d’imposition des sociétés. Tel peut être le cas, mais il convient également de relever dans ce contexte que le régime des sociétés mères fait partie intégrante du droit fiscal luxembourgeois (voir points 180 et suivants des présentes conclusions) et qu’il modifie, à cet égard, cet objectif. D’autre part, les bénéfices opérationnels des filiales sont également imposés, mais précisément selon une méthode différente. Cette autre méthode n’a cependant pas été examinée plus en détail par la Commission.

188. En conclusion, la Commission n’a donc pas non plus démontré à cet égard que le traitement fiscal accordé au groupe Engie au moyen des accrétions sur ZORA était sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

3.      Conclusion sur le recours devant le Tribunal

189. Étant donné que la Commission n’a pas satisfait à la charge de l’exposé des faits qui lui incombait également au regard des approches qui n’ont pas examinées dans l’arrêt en ce qui concerne l’existence d’un avantage sélectif, la décision litigieuse peut être annulée dans son ensemble sans renvoi devant le Tribunal.

VI.    Sur les dépens

190. Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, la Cour statue sur les dépens.

191. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement qui, en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, est applicable à la procédure de pourvoi, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Étant donné qu’Engie et le Luxembourg ont présenté une demande en ce sens, il y a lieu de condamner la Commission aux dépens exposés par Engie et le Luxembourg dans le cadre du présent pourvoi.

192. La Commission ayant succombé dans les deux instances, il y a lieu de la condamner aux dépens des deux instances, conformément aux conclusions des requérants.

193. Conformément à l’article 184, lu conjointement avec l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenues au litige supportent leurs propres dépens. L’Irlande, partie intervenante au litige, doit donc supporter ses propres dépens exposés dans le cadre du présent pourvoi.

VII. Conclusion

194. Eu égard à l’ensemble des éléments qui précèdent, je propose à la Cour de statuer comme suit dans l’affaire C‑454/21 P :

1)      L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 mai 2021, Luxembourg e.a./Commission (T‑516/18 et T‑525/18, EU:T:2021:251), est annulé.

2)      La décision (UE) 2019/421 de la Commission, du 20 juin 2018, concernant l’aide d’État SA.44888 (2016/C) (ex 2016/NN) mise à exécution par le Luxembourg en faveur d’Engie est annulée.

3)      La Commission européenne supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par Engie Global LNG Holding Sàrl, Engie Invest International SA et Engie SA dans les deux instances. L’Irlande supportera ses propres dépens dans les deux instances.

195. En outre, je propose à la Cour de statuer comme suit dans l’affaire C‑451/21 P :

1)      L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 mai 2021, Luxembourg e.a./Commission (T‑516/18 et T‑525/18, EU:T:2021:251), est annulé.

2)      La décision (UE) 2019/421 de la Commission, du 20 juin 2018, concernant l’aide d’État SA.44888 (2016/C) (ex 2016/NN) mise à exécution par le Luxembourg en faveur d’Engie est annulée.

3)      La Commission européenne supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Grand-Duché de Luxembourg dans les deux instances. L’Irlande supportera ses propres dépens dans les deux instances.


1      Langue originale : l’allemand.


2      Voir, à cet égard, notamment, en dernier lieu, arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859), et conclusions de l’avocat général Pikamäe dans l’affaire Irlande/Commission (C‑898/19 P, EU:C:2021:1029).


3      Voir, à cet égard, arrêts du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859), du 15 juillet 2020, Irlande e.a./Commission (T‑778/16 et T‑892/16, EU:T:2020:338 – pourvoi pendant sous la référence C‑465/20 P), et du 24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission (T‑760/15, EU:T:2019:669).


4      Décision (UE) 2019/421 de la Commission, du 20 juin 2018, concernant l’aide d’État SA.44888 (2016/C) (ex 2016/NN) mise à exécution par le Luxembourg en faveur d’Engie (JO 2019, L 78, p. 1, ci-après la « décision litigieuse »).


5      Règlement du Conseil du 13 juillet 2015 portant modalités d’application de l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (JO 2015, L 248, p. 9).


6      La signification précise de l’acronyme ZORA n’est pas claire. La Commission part du principe qu’il correspond à « Zéro-intérêts Obligation Remboursable en Actions » – voir note de bas de page 6 de la décision litigieuse.


7      Considérant 36 de cette décision.


8      Considérant 38 de cette décision. La description dans l’exposé des faits de l’arrêt attaqué (point 22) manque, à cet égard, de précision et de clarté.


9      Arrêts du 16 mars 2021, Commission/Pologne (C‑562/19 P, EU:C:2021:201, point 27), du 28 juin 2018, Andres (faillite Heitkamp BauHolding)/Commission (C‑203/16 P, EU:C:2018:505, point 82), du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a. (C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 53), et du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck (C‑524/14 P, EU:C:2016:971, point 40).


10      Arrêts du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a. (C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 57), et du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck (C‑524/14 P, EU:C:2016:971, points 53 et 55).


11      Arrêts du 19 décembre 2018, A-Brauerei (C‑374/17, EU:C:2018:1024, point 36), du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a. (C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 57), et du 8 septembre 2011, Paint Graphos (C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550, point 49).


12      Conclusions de l’avocat général Pikamäe dans l’affaire Irlande/Commission (C‑898/19 P, EU:C:2021:1029, points 60 et suiv.) ; voir également mes conclusions dans l’affaire Fossil (Gibraltar) (C‑705/20, EU:C:2022:181, point 57), dans l’affaire Commission/Pologne (C‑562/19 P, EU:C:2020:834, point 39), et dans l’affaire Commission/Hongrie (C‑596/19 P, EU:C:2020:835, point 43).


      Confirmées par les arrêts du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 73), du 15 septembre 2022, Fossil (Gibraltar) (C‑705/20, EU:C:2022:680, point 59), du 16 mars 2021, Commission/Pologne (C‑562/19 P, EU:C:2021:201, points 38 et 39), et du 16 mars 2021, Commission/Hongrie (C‑596/19 P, EU:C:2021:202, points 44 et 45).


13      Conclusions de l’avocat général Pikamäe dans l’affaire Irlande/Commission (C‑898/19 P, EU:C:2021:1029, point 64).


      En ce sens, également, arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 74), selon lequel « [i]l s’ensuit que seul le droit national applicable dans l’État membre concerné doit être pris en compte en vue d’identifier le système de référence en matière de fiscalité directe ».


14      Arrêts du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 71), et du 6 octobre 2021, World Duty Free Group et Espagne/Commission (C‑51/19 P et C‑64/19 P, EU:C:2021:793, point 61 et jurisprudence citée).


15      Voir arrêts du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 82), du 28 juin 2018, Andres (faillite Heitkamp BauHolding)/Commission (C‑203/16 P, EU:C:2018:505, point 78), du 3 avril 2014, France/Commission (C‑559/12 P, EU:C:2014:217, point 79), et du 24 octobre 2002, Aéroports de Paris/Commission (C‑82/01 P, EU:C:2002:617, point 63).


16      Voir arrêts du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 82), et du 28 juin 2018, Andres (faillite Heitkamp BauHolding)/Commission (C‑203/16 P, EU:C:2018:505, point 78 et jurisprudence citée).


17      Arrêt du 28 juin 2018, Andres (faillite Heitkamp BauHolding)/Commission (C‑203/16 P, EU:C:2018:505, point 78) ; voir, en ce sens, également arrêts du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck (C‑524/14 P, EU:C:2016:971, points 61 à 63), et du 3 avril 2014, France/Commission (C‑559/12 P, EU:C:2014:217, point 83).


18      Voir (sur l’existence alléguée d’un principe de pleine concurrence en droit national) récemment arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 85) ; voir, par analogie, arrêt du 28 juin 2018, Andres (faillite Heitkamp BauHolding)/Commission [C‑203/16 P, EU:C:2018:505, points 80 et 81 sur l’interprétation erronée de l’article 8c du Körperschaftsteuergesetz (KStG) (loi relative à l’impôt sur les sociétés) par le Tribunal].


19      Communication de la Commission relative à la notion d’« aide d’État » visée à l’article 107, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (JO 2016, C 262, p. 1), points 169 et suiv..


20      Arrêts du 15 février 1996, Duff e.a. (C‑63/93, EU:C:1996:51, point 20 et jurisprudence citée), et du 8 décembre 2011, France Télécom/Commission (C‑81/10 P, EU:C:2011:811, point 100).


21      Arrêt du 16 mars 2021, Commission/Pologne (C‑562/19 P, EU:C:2021:201, point 37) ; voir, en ce sens, également, en ce qui concerne les libertés fondamentales, arrêts du 3 mars 2020, Vodafone Magyarország (C‑75/18, EU:C:2020:139, point 49), et du 3 mars 2020, Tesco-Global Áruházak (C‑323/18, EU:C:2020:140, point 69 et jurisprudence citée).


22      Arrêts du 15 septembre 2022, Fossil (Gibraltar) (C‑705/20, EU:C:2022:680, point 59), et du 16 mars 2021, Commission/Pologne (C‑562/19 P, EU:C:2021:201, point 37) ; voir, en ce sens, notamment, arrêt du 26 avril 2018, ANGED (C‑233/16, EU:C:2018:280, point 50 et jurisprudence citée).


23      Arrêts du 15 septembre 2022, Fossil (Gibraltar) (C‑705/20, EU:C:2022:680, points 59 et 60), du 16 mars 2021, Commission/Pologne (C‑562/19 P, EU:C:2021:201, point 38), et du 16 mars 2021, Commission/Hongrie (C‑596/19 P, EU:C:2021:202, point 44).


24      Ainsi que l’indique expressément l’arrêt du 15 septembre 2022, Fossil (Gibraltar) (C‑705/20, EU:C:2022:680, point 60).


25      En ce sens, également, arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, points 95 et suivants).


26      Arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, point 72).


27      Arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, points 101 et suiv.). Dans cette affaire, le Royaume-Uni n’était pas non plus en mesure de justifier les critères fiscaux retenus (point 149).


28      Arrêts du 15 septembre 2022, Fossil (Gibraltar) (C‑705/20, EU:C:2022:680, point 61), du 16 mars 2021, Commission/Pologne (C‑562/19 P, EU:C:2021:201, points 42 et suiv., notamment point 44), et du 16 mars 2021, Commission/Hongrie (C‑596/19 P, EU:C:2021:202, points 48 et suiv., notamment point 50). Déjà dans l’arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, point 101), la Cour mentionne les bases juridiques pour lesquelles « il apparaît que le régime litigieux [...] opère, en fait, une discrimination » (mise en italique par nos soins) entre les contribuables.


29      Ainsi que le mentionne explicitement l’intitulé qui précède les points concernés, à savoir les points 288 et suivants de l’arrêt attaqué.


30      Conclusions de l’avocat général Pikamäe dans l’affaire Irlande/Commission (C‑898/19 P, EU:C:2021:1029, point 106).


31      Conclusions de l’avocat général Pikamäe dans l’affaire Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (C‑885/19 P, EU:C:2021:1028, point 118).


32      Arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, points 96 et suiv.).


33      Arrêts du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 97), et du 8 mai 2019, Związek Gmin Zagłębia Miedziowego (C‑566/17, EU:C:2019:390, point 39).


34      Arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 95).


35      Selon la jurisprudence de la Cour, le caractère définitif des actes administratifs ne soulève, en principe, en droit de l’Union aucune difficulté – voir arrêts du 10 mars 2022, Grossmania (C‑177/20, EU:C:2022:175, point 52), du 12 février 2008, Kempter (C‑2/06, EU:C:2008:78, point 37), du 19 septembre 2006, i-21 Germany et Arcor (C‑392/04 et C‑422/04, EU:C:2006:586, point 51), et du 13 janvier 2004, Kühne & Heitz (C‑453/00, EU:C:2004:17, point 24).


36      Voir communication de la Commission relative à la notion d’« aide d’État » visée à l’article 107, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (JO 2016, C 262, p. 1), points 169 et suiv..


37      Voir article 1er de la directive 2014/86/UE du Conseil, du 8 juillet 2014, modifiant la directive 2011/96 (JO 2014, L 219, p. 40), avec un délai de transposition expirant le 31 décembre 2015.


38      Le Tribunal aux points 384 et suivants de l’arrêt attaqué, la Commission dans les considérants 289 et suivants de la décision litigieuse.


39      Arrêts du 16 mars 2021, Commission/Pologne (C‑562/19 P, EU:C:2021:201, point 46), et du 28 juin 2018, Andres (faillite Heitkamp BauHolding)/Commission (C‑203/16 P, EU:C:2018:505, point 107). En définitive, voir également arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 105).


40      Voir article 1er de la directive 2014/86, avec un délai de transposition expirant le 31 décembre 2015.


41      En ce sens, notamment, arrêts du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, points 93 et suiv.), du 16 mars 2021, Commission/Pologne (C‑562/19 P, EU:C:2021:201, points 38 et suiv.), et du 16 mars 2021, Commission/Hongrie (C‑596/19 P, EU:C:2021:202, points 44 et suiv.).


42      Voir considérants 184 et 185 de la décision litigieuse et les explications apportées lors de l’audience.


43      Arrêt du 15 septembre 2022, Fossil (Gibraltar) (C‑705/20, EU:C:2022:680, point 60).


44      Voir rapport final de l’OCDE « Neutraliser les effets des dispositifs hybrides : Action 2 – Rapport final 2015 » – accessible sous https://www.oecd.org/fr/fiscalite/beps/neutraliser-les-effets-des-dispositifs-hybrides-action-2-rapport-final-2015‑9789264255104-fr.htm#page1.


45      Voir article 9 de la directive (UE) 2016/1164 du Conseil, du 12 juillet 2016, établissant des règles pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur (JO 2016, L 193, p. 1), et considérant 2 de la directive 2014/86.


46      General Anti-Abuse Rules, telles qu’elles ont été prévues entre-temps également en droit de l’Union – voir seulement article 6 de la directive 2016/1164.


47      Voir, à cet égard, arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 95), et, de manière plus explicite, conclusions de l’avocat général Pikamäe dans l’affaire Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (C‑885/19 P, EU:C:2021:1028, point 118, selon lequel les autorités fiscales nationales disposent d’une marge d’appréciation en raison du caractère approximatif des méthodologies de détermination des prix de transfert).


48      Ainsi, des États membres, tels que la République fédérale d’Allemagne qui dispose déjà de longue date de telles dispositions, rencontrent toujours des difficultés en ce qui concerne leur interprétation correcte. Cela ressort du grand nombre de décisions judiciaires et de la longueur des articles de doctrine commentant ces décisions – voir seulement Peter Fischer, « § 42 AO », dans Hübschmann/Hepp/Spitaler (éd.), AO/FGOKommentar, novembre 2022, 200 pages ; Klaus-Dieter Drüen, « § 42 AO », dans Tipke/Kruse (éd.), AO/FGO-Kommentar, septembre 2022, 85 pages.


      De même, la Cour est itérativement saisie de questions relatives à l’interprétation de l’interdiction générale des montages abusifs en droit, dont la réponse est si complexe que c’est la grande chambre qui s’est prononcée à cet égard – voir seulement arrêts du 26 février 2019, T Danmark et Y Denmark (C‑116/16 et C‑117/16, EU:C:2019:135), du 26 février 2019, N Luxembourg 1 e.a. (C‑115/16, C‑118/16, C‑119/16 et C‑299/16, EU:C:2019:134), et du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas (C‑196/04, EU:C:2006:544).


49      Voir arrêts du 17 décembre 2015, WebMindLicenses (C‑419/14, EU:C:2015:832, point 42), du 22 décembre 2010, Weald Leasing (C‑103/09, EU:C:2010:804, point 27), du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas (C‑196/04, EU:C:2006:544, point 36), et du 21 février 2006, Halifax e.a. (C‑255/02, EU:C:2006:121, point 73).


50      De manière fondamentale, voir arrêt du 21 mars 1990, Belgique/Commission (C‑142/87, EU:C:1990:125, point 66).


51      Voir, notamment, arrêts du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission (C‑182/03 et C‑217/03, EU:C:2006:416, point 147), du 16 décembre 2010, Kahla/Thüringen Porzellan/Commission (C‑537/08 P, EU:C:2010:769, point 63 et jurisprudence citée), et du 5 mars 2019, Eesti Pagar (C‑349/17, EU:C:2019:172, point 97).


52      Voir, notamment, arrêt du 20 mars 1997, Alcan Deutschland (C‑24/95, EU:C:1997:163, points 34 et suiv.) ; de manière très approfondie, également, arrêt du 26 avril 2018, ANGED (C‑233/16, EU:C:2018:280, points 75 et suiv.).


53      Voir, à cet égard, point 177, ainsi que points 46 et suiv. des présentes conclusions.


54      Arrêt du 8 septembre 2020, Commission et Conseil/Carreras Sequeros e.a. (C‑119/19 P et C‑126/19 P, EU:C:2020:676, point 130).


55      Décision 2009/809/CE de la Commission, du 8 juillet 2009, concernant le régime du groepsrentebox C 4/07 (ex N 465/06) que les Pays-Bas ont l’intention de mettre à exécution (JO 2009, L 288, p. 26).


56      Décision (UE) 2016/2326 de la Commission, du 21 octobre 2015, concernant l’aide d’État SA.38375 (2014/C ex 2014/NN) mise à exécution par le Luxembourg en faveur de Fiat(JO 2016, L 351, p. 1).