CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA
présentées le 22 février 2024 (1)
Affaire C‑40/23 P
Commission européenne
contre
Royaume des Pays-Bas
« Pourvoi – Aides d’État – Articles 107 et 108 TFUE – Règlement (UE) 2015/1589 – Article 4, paragraphe 3 – Déclaration de compatibilité avec le marché intérieur d’une mesure n’ayant pas été qualifiée d’“aide d’État” – Principe de sécurité juridique »
1. Dans le cadre du présent pourvoi, la Commission européenne attaque l’arrêt du Tribunal du 16 novembre 2022, Pays‑Bas/Commission (2), qui a annulé la décision C(2020) 2998 final (3).
2. Selon le Tribunal, la Commission a outrepassé ses compétences en considérant, dans cette décision, qu’une mesure était compatible avec le marché intérieur, sans l’avoir préalablement qualifiée d’« aide », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
3. Le débat entre la Commission et le gouvernement néerlandais donne l’occasion à la Cour de se prononcer pour la première fois (sauf erreur de ma part) sur une question importante pour le régime de contrôle des aides accordées par les États, prévu aux articles 107 et 108 TFUE et précisé par le règlement (UE) 2015/1589 (4).
I. Les antécédents du litige
4. Les antécédents du litige sont exposés aux points 2 à 18 de l’arrêt attaqué et peuvent être résumés comme suit :
– le 27 mars 2019, conformément à la directive (UE) 2015/1535 (5), les autorités néerlandaises ont notifié à la Commission un projet de loi interdisant l’utilisation du charbon pour la production d’électricité ;
– le projet de loi, qui n’a pas été notifié à la Commission au titre de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, visait à réduire les émissions de dioxyde de carbone (CO2). Il prévoyait la possibilité d’accorder la compensation du préjudice occasionné à une centrale qui, par rapport aux autres centrales, serait, de manière disproportionnée, affectée par l’interdiction de l’utilisation du charbon pour la production d’électricité ;
– à la suite de la notification du projet de loi en application de la directive 2015/1535, la Commission a commencé, de sa propre initiative, l’examen des informations concernant une aide présumée ;
– la Commission a demandé certains renseignements aux autorités néerlandaises, qui ont itérativement répondu que l’indemnisation prévue par la loi ne constituait pas une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE ;
– la loi a été adoptée le 11 décembre 2019 et est entrée en vigueur le 20 décembre 2019. À cette époque, cinq centrales électriques au charbon existaient aux Pays‑Bas (6) ;
– étant donné que la centrale Hemweg 8, en raison de ses caractéristiques (7), n’a pas pu bénéficier de la période transitoire de cinq à dix ans accordée aux quatre autres centrales et a été contrainte de fermer à la fin de l’année 2019, son exploitant (Vattenfall NV) a obtenu du ministre des Affaires économiques et du Climat néerlandais une indemnisation de 52,5 millions d’euros ;
– le 12 mai 2020, la Commission a adopté la décision attaquée, par laquelle elle a conclu que la mesure d’indemnisation accordée à Vattenfall, en raison de la fermeture de Hemweg 8, était compatible avec le marché intérieur en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE ;
– au paragraphe 48 de la décision attaquée, s’agissant de l’existence éventuelle d’une aide d’État, il était indiqué que, « eu égard aux informations fournies par les autorités néerlandaises, il ne p[o]u[vai]t être conclu, avec un degré suffisant de certitude, qu’il exist[ait] dans cette affaire un droit à indemnisation d’un montant de 52,5 millions d’euros ». La Commission en a déduit qu’il ne pouvait être exclu que la mesure en question « octroie une aide d’État à l’entreprise concernée » ;
– au paragraphe 49 de la décision attaquée, la Commission a affirmé que, en tout état de cause, « il n’y a[vait] pas lieu [...] de tirer une conclusion définitive [...] quant à la question de savoir si la mesure conf[é]r[ait] ou non un avantage à l’exploitant et constitu[ait] donc une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, puisque, même en présence d’une aide d’État, [elle] consid[é]r[ait] que la mesure [étai]t compatible avec le marché intérieur » (8) ;
II. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
5. Le 27 juillet 2020, le Royaume des Pays-Bas a introduit un recours contre la décision attaquée devant le Tribunal.
6. À l’appui de son recours, le Royaume des Pays-Bas a soulevé cinq moyens :
– les trois premiers moyens ont été invoqués « dans l’hypothèse où la décision attaquée devrait être comprise en ce qu’elle implique nécessairement la qualification d’“aide” de la mesure en cause » (9) ;
– les quatrième et cinquième moyens étaient dirigés « contre la décision attaquée en ce qu’elle ne se prononce pas sur la question de savoir si la mesure en cause constitue ou non une aide d’État » (10). Ils étaient respectivement tirés : a) de l’incompétence de la Commission pour déclarer une mesure compatible avec le marché intérieur, au titre de l’article 107, paragraphe 3, TFUE, sans, au préalable, l’avoir qualifiée d’« aide d’État », et b) d’une violation du principe de sécurité juridique.
7. Le Tribunal a accueilli les deux derniers moyens et a annulé la décision attaquée.
8. Les arguments qui l’ont conduit à accueillir le quatrième moyen étaient, en substance, les suivants :
– « [l]’emploi du terme “aide”, à l’article 107, paragraphe 3, TFUE, implique que la compatibilité d’une mesure nationale avec le marché intérieur ne puisse être examinée qu’après que cette mesure a été qualifiée d’“aide” » (11) ;
– « il est de jurisprudence constante que, lorsque la Commission ne peut pas acquérir la conviction, à l’issue de la phase préliminaire d’examen, qu’une mesure étatique soit ne constitue pas une “aide” au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, soit, si elle est qualifiée d’“aide”, est compatible avec le traité, ou lorsque cette procédure ne lui a pas permis de surmonter toutes les difficultés soulevées par l’appréciation de la compatibilité de la mesure considérée, cette institution est dans l’obligation d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE sans disposer à cet égard d’une marge d’appréciation » (12) ;
– « seule une mesure entrant dans le champ d’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, c’est-à-dire une mesure qualifiée d’“aide d’État”, peut être considérée par la Commission comme étant compatible avec le marché intérieur » (13) ;
– cette conclusion est confortée par l’article 4 du règlement 2015/1589, tel qu’interprété à la lumière de la jurisprudence de la Cour ;
– il en résulte que « l’article 4 du règlement 2015/1589, applicable en l’espèce en vertu de l’article 15, paragraphe 1, dudit règlement, [...] fixe [...] une liste exhaustive des décisions que la Commission peut adopter à l’issue de l’examen préliminaire de la mesure nationale en cause, au nombre desquelles ne figure pas la possibilité d’adopter une décision déclarant une mesure nationale compatible avec le marché intérieur sans que la Commission se soit au préalable prononcée sur la qualification d’“aide d’État” de cette mesure » (14) ;
– en l’espèce, « il est constant que la Commission avait des doutes sur la qualification d’“aide” de la mesure en cause, [...] de sorte que [...] elle a décidé de ne pas se prononcer sur cette question dans la décision attaquée, tout en concluant que la mesure en cause était compatible avec le marché intérieur ». Par conséquent, « la Commission a adopté une décision contraire tant à l’article 107, paragraphe 3, TFUE qu’à l’article 4, paragraphe 3, du règlement 2015/1589 » (15) ;
– en définitive, « en considérant, dans la décision attaquée, que la mesure en cause était compatible avec le marché intérieur, sans se prononcer préalablement sur la question de savoir si une telle mesure constituait une aide, la Commission a outrepassé ses compétences » (16).
9. S’agissant de la violation du principe de sécurité juridique, le Tribunal a accueilli le cinquième moyen en se fondant sur les motifs suivants :
– « la Commission a déclaré, dans la décision attaquée, que la mesure en cause était compatible avec le marché intérieur. Toutefois, il n’a pas été procédé à la qualification de cette mesure, alors [...] qu’il s’agit d’un préalable nécessaire à l’examen de la compatibilité de ladite mesure avec le marché intérieur » (17) ;
– « dans l’hypothèse où des concurrents de Vattenfall engageraient une procédure devant les juridictions nationales sur la légalité de la mesure en cause et si ces dernières la qualifiaient d’“aide d’État”, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, il en résulterait que l’article 108, paragraphe 3, TFUE aurait été enfreint en raison de l’absence de notification de la mesure en cause à la Commission et qu’il incomberait au Royaume des Pays-Bas de réclamer à Vattenfall des intérêts au titre de la période d’illégalité » (18) ;
– « l’absence de qualification de la mesure en cause a laissé le Royaume des Pays‑Bas dans une situation incertaine quant à l’octroi d’une nouvelle aide en vertu des règles relatives au cumul des aides » (19) ;
– « il ne saurait donc en être conclu que la décision attaquée permettait au Royaume des Pays-Bas, destinataire de la décision attaquée, de connaître avec exactitude ses droits et obligations et d’agir en conséquence » (20) ;
– « [i]l convient, dans ces circonstances, de juger que la Commission, en décidant de ne pas se prononcer sur la question de savoir si la mesure en cause devait être qualifiée d’“aide d’État”, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, a enfreint le principe de sécurité juridique » (21).
III. Le pourvoi et la procédure devant la Cour
10. Dans son pourvoi, enregistré à la Cour le 26 janvier 2023, la Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour :
– annuler l’arrêt attaqué ;
– rejeter les quatrième et cinquième moyens soulevés dans le cadre de la procédure devant le Tribunal ;
– exercer le pouvoir que lui confère l’article 61, premier alinéa, seconde phrase, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne de statuer elle-même sur le litige et rejeter le pourvoi dans son intégralité comme non fondé ;
– condamner le Royaume des Pays-Bas aux dépens.
11. À l’appui de son pourvoi, la Commission invoque un moyen unique, qui se divise en deux branches. Elle y fait respectivement valoir : a) l’interprétation erronée de l’article 107, paragraphe 3, TFUE et de l’article 4, paragraphe 3, du règlement 2015/1589, et b) une erreur de droit dans l’interprétation du principe de sécurité juridique.
12. Pour le cas où l’arrêt attaqué serait annulé, la Commission demande que les trois premiers moyens soient déclarés irrecevables ou, à tout le moins, dénués de fondement et que les quatrième et cinquième moyens soient rejetés comme non fondés.
13. Le gouvernement néerlandais conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation de la Commission aux dépens.
14. Les parties ont déposé des mémoires en réplique et en duplique.
IV. Appréciation
A. Sur la première branche du moyen de pourvoi : interprétation erronée de l’article 107, paragraphe 3, TFUE et de l’article 4, paragraphe 3, du règlement 2015/1589
1. Arguments de la Commission et du gouvernement néerlandais
15. La Commission soutient que le Tribunal a fondé l’arrêt attaqué sur une interprétation trop restrictive de l’article 107, paragraphe 3, TFUE et de l’article 4, paragraphe 3, du règlement 2015/1589, en considérant que cette institution n’était pas compétente pour adopter la décision attaquée.
16. Selon la Commission :
– le Tribunal part de la prémisse (infondée), selon laquelle la compétence devrait être expressément prévue par une disposition spécifique du règlement 2015/1589 ;
– l’interprétation des dispositions invoquées, à la lumière de leurs objectifs, confirmerait qu’aucune d’elles n’exige que la compatibilité d’une mesure nationale avec le marché intérieur ne puisse être examinée qu’après que cette mesure a été qualifiée d’« aide » ;
– au contraire, l’interprétation retenue par le Tribunal comporte tous les inconvénients de l’incertitude inhérente à une procédure prolongée inutilement, dans des situations où l’incompatibilité d’une mesure avec le marché intérieur peut être écartée de manière anticipée.
17. Le gouvernement néerlandais soutient que l’arrêt attaqué est bien fondé. Selon lui :
– la notion d’« aide », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, est déterminante pour les compétences de la Commission. Conformément à la jurisprudence, la Commission doit d’abord examiner s’il existe une aide d’État et, ensuite, apprécier si elle est compatible avec le marché intérieur ;
– dans certaines situations, il peut être plus simple d’établir si une mesure est compatible avec le marché intérieur que de déterminer si elle constitue une aide d’État. Toutefois, la Commission pourrait écarter l’incompatibilité seulement s’il n’y avait pas de divergences entre l’État membre et la Commission quant à la qualification d’« aide d’État » de la mesure en cause ;
– étant donné qu’il existe en l’espèce un litige à cet égard et que la mesure en cause n’a pas été notifiée, la Commission ne pourrait pas, en sa qualité de gardienne des traités, omettre un élément essentiel du régime des aides d’État.
2. Analyse
18. De prime abord, tel qu’il est décrit, le problème que soulève cette première branche du moyen de pourvoi paraît simple. Il est toutefois délicat et complexe de lui apporter une réponse.
19. J’avancerai d’ores et déjà que, selon moi, c’est à tort que le Tribunal fait grief à la Commission d’avoir « outrepassé ses compétences » (22) dans une décision dans laquelle elle exerce, précisément, les pouvoirs qui lui sont conférés par les articles 107 et 108 TFUE ainsi que par le règlement 2015/1589.
20. Selon le Tribunal, la Commission ne dispose en aucun cas de la compétence pour adopter une décision déclarant une mesure étatique compatible avec le marché intérieur si elle ne l’a pas qualifiée au préalable d’« aide d’État ».
21. Selon moi, cette thèse est entachée d’une erreur de droit qu’il convient de corriger (23).
22. Parmi les compétences conférées à la Commission par les articles 107 et 108 TFUE figure celle de clôturer une procédure d’examen préliminaire (menée au titre de l’article 4 du règlement 2015/1589) sans soulever d’objections à l’égard de la mesure nationale examinée. Tel a été le cas en l’espèce.
23. Il en va autrement si, en statuant en ce sens, une décision donnée est entachée d’un vice invalidant (qui ne serait pas celui d’incompétence) en raison du fait que l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE a été appliqué à la mesure examinée, sans qu’elle ait été qualifiée au préalable d’« aide d’État » (24).
24. En laissant donc de côté la question de la compétence de la Commission, l’analyse du présent pourvoi doit se concentrer sur le point de savoir si le régime du contrôle des aides d’État (articles 107 et 108 TFUE et règlement 2015/1589) doit faire l’objet d’une interprétation stricte ou, au contraire, permet de retenir la thèse défendue par la Commission. Cette institution défend une conception téléologique et fonctionnelle des missions qui lui sont confiées en tant que garante de la concurrence au sein du marché intérieur.
25. Certes, il ne manque pas d’arguments bien étayés qui plaident en faveur d’une interprétation stricte, telle que celle retenue par le Tribunal, et que défend le gouvernement néerlandais dans le cadre du présent pourvoi.
26. Selon moi, dans des situations telles que celles de l’espèce, une relecture de la réglementation applicable pourrait toutefois s’imposer, de façon à combiner une approche littérale et téléologique et aboutir, finalement, à admettre la validité de la décision attaquée.
27. J’en viendrai tout d’abord à l’interprétation sur laquelle se fonde l’arrêt attaqué.
a) Interprétation stricte
28. Dans une première approche, le Tribunal interprète les articles 107 et 108 TFUE en suivant un ordre logique :
– il convient, tout d’abord, de déterminer si la mesure constitue une « aide » ; en d’autres termes, si les fonds ou les avantages publics octroyés à une entreprise ou à un secteur de production ne sont pas accordés à un autre titre que la simple volonté de conférer une aide ou un avantage (25) ;
– si la Commission nourrit des doutes quant à la qualification d’« aide » de la mesure examinée, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, elle est tenue d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE.
29. Cette même séquence pourrait être déduite de l’article 4 du règlement 2015/1589, relatif aux aides notifiées (26). Comme le relève le Tribunal (27), l’organisation de l’examen des aides d’État en deux phases axées sur des questions différentes est confirmée par les dispositions contenues dans cet article, en vertu duquel :
– la Commission doit d’abord vérifier, « après un examen préliminaire », que la mesure projetée et notifiée par un État membre « ne constitue pas une aide » (paragraphe 2) ;
– « [s]i la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée, pour autant qu’elle entre dans le champ de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ne suscite pas de doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, elle décide que cette mesure est compatible avec le marché intérieur [...] Cette décision précise quelle dérogation prévue par le [traité FUE] a été appliquée » (paragraphe 3) (28) ;
– « [s]i la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée suscite des doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, elle décide d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE [...] » (paragraphe 4).
30. Il résulterait donc des articles 107 et 108 TFUE, lus en combinaison avec l’article 4 du règlement 2015/1589, que l’appréciation des aides est une procédure dans laquelle : a) il y a lieu, premièrement, de constater l’existence d’une aide d’État, et b) deuxièmement, d’apprécier si, bien qu’étant, en principe, illicite, cette aide est compatible avec le marché intérieur.
31. Admettre une telle approche, qui est celle retenue dans l’arrêt attaqué, impliquerait que la Commission ne pourrait pas se prononcer sur la compatibilité avec le marché intérieur de la mesure en cause sans avoir établi au préalable que cette mesure constituait une aide au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
32. Je reconnais que cette interprétation est solidement étayée par les textes réglementaires applicables. Toutefois, pour les raisons que j’exposerai dans les présentes conclusions, je ne crois pas qu’il s’agisse de la seule interprétation possible ni que ce soit celle devant s’appliquer à la présente affaire. Même si la lecture de nombreux arrêts de la Cour semblerait la corroborer, il n’est pas certain que cette jurisprudence puisse être extrapolée à des cas tels que celui qui nous occupe ici.
b) Interprétation découlant de la jurisprudence de la Cour ?
33. Avant de poursuivre, il convient de préciser que la solution préconisée dans l’arrêt attaqué n’a été jusqu’à présent (sauf erreur de ma part) reprise par aucune décision explicite de la Cour rendue dans des circonstances analogues à celles du présent litige.
34. Comme l’a relevé la Commission (29), l’arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission (C‑487/06 P, EU:C:2008:757), invoqué au point 54 de l’arrêt attaqué, concerne, dans la partie citée par le Tribunal, la portée du contrôle juridictionnel (approfondi) des appréciations de la Commission quant à la question de savoir si une mesure doit être considérée comme une aide d’État. Cet arrêt ne se prononce pas sur la compétence de la Commission pour déclarer une mesure compatible avec le marché intérieur sans avoir déterminé au préalable si elle constituait une aide d’État (30).
35. Il en va de même avec l’arrêt du 24 mai 2011, Commission/Kronoply et Kronotex (31), dont les points 43 et 44 sont cités au point 58 de l’arrêt attaqué :
– d’une part, lesdits points 43 et 44 se limitent à reproduire, en substance, l’article 4 du règlement (CE) no 659/1999 (32) ;
– d’autre part, dans cette affaire, la décision de la Commission a confirmé l’existence d’une aide d’État, à l’égard de laquelle elle a décidé de ne pas soulever d’objections à l’issue de l’examen préliminaire de la compatibilité d’une mesure avec le marché intérieur. Le débat de fond portait sur les éléments utilisés par la Commission pour conclure à cette compatibilité.
36. En réalité, il ne manque pas d’arrêts de la Cour dans lesquels il est, certes, affirmé que la qualification d’« aide » d’une mesure est un préalable nécessaire à la détermination de la compatibilité de ladite mesure avec le marché intérieur. Il s’agit cependant d’affirmations qui, à mon sens, sont formulées à titre incident et ne sont pas nécessairement pertinentes pour le fondement de la décision rendue par la Cour au cas par cas.
37. L’arrêt du 16 mars 2021, Commission/Pologne (33), indique, par exemple, que « la Commission est tenue d’ouvrir la procédure formelle d’examen si, à la suite de l’examen préliminaire visé à l’article 4 du règlement 2015/1589, elle n’a pas été en mesure d’acquérir la conviction que la mesure notifiée est compatible avec le marché intérieur. Il en va de même lorsqu’elle conserve des doutes sur la qualification même d’“aide”, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, de cette mesure » (34).
38. Toutefois, l’arrêt du 16 mars 2021, Commission/Pologne (C‑562/19 P, EU:C:2021:201) avait pour objet deux recours dirigés contre l’ouverture, par la Commission, d’une procédure formelle d’examen et contre la décision ultérieure qualifiant la mesure fiscale en cause d’« aide d’État incompatible avec le marché intérieur ».
39. Quant à l’arrêt du 24 novembre 2020, Viasat Broadcasting UK (35), il y est dit pour droit que « la question de savoir si une mesure doit être qualifiée d’“aide d’État” intervient en amont de celle consistant à vérifier, le cas échéant, si une aide incompatible au sens de l’article 107 TFUE est néanmoins nécessaire à l’accomplissement de la mission impartie au bénéficiaire de la mesure en cause, au titre de l’article 106, paragraphe 2, TFUE [...]. Par conséquent, la Commission doit, avant d’examiner éventuellement une mesure au regard de cette disposition, pouvoir contrôler si cette mesure constitue une aide d’État » (36).
40. Or, dans ce recours, il s’agissait de savoir s’il y avait lieu « de payer des intérêts au titre de la période au cours de laquelle des mesures d’aide dont [l’entreprise] a bénéficié ont été illégalement mises à exécution avant l’adoption de la décision finale de la Commission européenne déclarant celles-ci compatibles avec le marché intérieur » (arrêt du 24 novembre 2020, Viasat Broadcasting UK, C‑445/19, EU:C:2020:952, point 2).
41. Enfin, l’arrêt du 31 janvier 2023, Commission/Braesch e.a. (37), indique que, « lorsque la Commission constate, au terme de la phase préliminaire d’examen instituée à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, que la mesure notifiée constitue une “aide d’État”, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, qui ne suscite pas de doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, elle adopte une décision [...] par laquelle elle déclare que cette mesure est compatible avec le marché intérieur, en vertu des dispositions de l’article 107, paragraphe 3, TFUE ».
42. De nouveau, la Cour n’a pas abordé à cette occasion la question faisant l’objet du présent débat. Le litige portait sur une décision de la Commission dans laquelle cette dernière a estimé que certaines mesures constituaient des « aides d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, qui pouvaient être considérées comme compatibles avec le marché intérieur pour des motifs de stabilité financière, au titre de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE (38).
43. En ce qui concerne les décisions antérieures du Tribunal, la Commission souligne que, dans l’arrêt a&o hostel and hotel Berlin/Commission (39), le Tribunal a reconnu que la Commission pouvait apprécier la compatibilité d’une mesure étatique avec le marché intérieur « dans l’hypothèse où [cette] mesur[e] constituerai[t] une aide ». Il a donc admis qu’une décision de la Commission puisse déclarer la mesure compatible avec le marché intérieur, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer au préalable sur la qualification d’« aide » de cette mesure (40).
44. Jusqu’à présent (de nouveau, sauf erreur de ma part), la question soulevée dans la présente procédure n’a pas été tranchée par la Cour, qui n’a pas été confrontée à un cas de figure dans lequel la compétence de la Commission pour constater la compatibilité avec le marché intérieur d’une mesure n’ayant pas été préalablement qualifiée d’« aide », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, était remise en cause.
c) Interprétation combinée et fonctionnelle
45. J’estime qu’une interprétation différente de celle qui précède est possible, si l’on suppose que la licéité de toute aide d’État est subordonnée à l’appréciation de sa compatibilité avec le marché intérieur.
46. Si l’on s’en tient aux circonstances de l’espèce, la question décisive n’est pas tant, je le répète, de savoir si la Commission a compétence pour déclarer qu’une mesure est compatible avec le marché intérieur, mais dans quelles conditions elle peut la déclarer incompatible.
47. À mon avis, les articles 107 et 108 TFUE attribuent à la Commission une compétence générale pour veiller au respect de la concurrence au sein du marché intérieur. Cette attribution lui est conférée afin de garantir que les États membres ne faussent pas ou ne menacent pas de fausser la concurrence en octroyant des aides financées par des ressources d’État (41).
48. L’existence de cette compétence générale est attestée par le contenu de l’article 12, paragraphe 1, du règlement 2015/1589 : « [L]a Commission peut, de sa propre initiative, examiner les informations concernant une aide présumée illégale, quelle qu’en soit la source » (42).
49. La faculté prévue par cet article atteste qu’un devoir de surveillance active incombe à la Commission afin d’assurer la protection de la concurrence dans le marché intérieur. Ce devoir ne se limite pas à l’examen des projets d’aide notifiés par les États membres ou aux plaintes susceptibles de lui être adressées par les intéressés, mais s’étend, de manière générale, à toutes les mesures publiques susceptibles de fausser la concurrence dans le marché intérieur.
50. À la lumière de ce devoir général de surveillance, le silence de la Commission à l’égard d’une mesure qui ne lui a pas été notifiée, qui n’a pas fait l’objet d’une plainte par un intéressé ou qui, quelle que soit la voie par laquelle elle en a pris connaissance, n’a pas suscité de préoccupations l’amenant à agir de sa propre initiative, implique, en définitive, une déclaration implicite de compatibilité avec le marché intérieur ; en d’autres termes, la supposition qu’il ne s’agit pas d’une mesure susceptible de fausser la concurrence.
51. Dans le même sens, je rappellerai que, conformément à l’article 4, paragraphe 6, du règlement 2015/1589, la mesure est réputée avoir été autorisée par la Commission lorsque cette dernière ne prend pas de décision en application du paragraphe 2, 3 ou 4 de cet article dans le délai prévu au paragraphe 5 dudit article. En d’autres termes, l’autorisation est réputée avoir été accordée sans que la Commission se soit prononcée explicitement, dans un sens ou dans l’autre, sur la qualification d’« aide » de la mesure nationale.
52. Or, je partage l’avis de la Commission (43) selon lequel il est difficilement compréhensible que cette institution puisse provoquer un résultat par son inaction (autoriser, par son silence, la mesure, bien qu’elle ne se soit pas prononcée au préalable sur sa qualification d’« aide ») et qu’il ne puisse pas en aller de même lorsqu’elle décide, expressément, de ne pas soulever d’objections à l’égard de cette même mesure parce qu’elle la considère comme compatible avec le marché intérieur, qu’il s’agisse ou non d’une aide d’État.
53. Contrairement à ce qui se produit avec la déclaration de compatibilité, qui, j’insiste, ne requiert pas inexorablement que la mesure examinée soit préalablement définie comme une aide, la Commission peut déclarer explicitement l’incompatibilité d’une aide publique uniquement dans des cas limitativement énumérés : lorsque, en vertu de l’article 107 TFUE, et à l’issue des procédures prévues à l’article 108 TFUE, il y a lieu de procéder à cette déclaration concrète en ce qui concerne les mesures constitutives d’une aide, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Il s’agit, plus précisément, des mesures qui répondent à la définition de cette dernière disposition en tous points, et qu’il conviendra ensuite d’apprécier sous l’angle de l’incompatibilité avec le marché intérieur (44).
54. En conséquence, et en ce qui a trait au cas d’espèce, lorsque la Commission exclut sans équivoque, dans le cadre d’un premier examen préliminaire, que la mesure en cause soit incompatible avec le marché intérieur, elle se borne à satisfaire à son obligation générale de veiller à ce que la concurrence ne soit pas faussée.
55. Qu’il s’agisse ou non d’une aide au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ce qui importait était que, en tout état de cause, la mesure en cause n’avait pas d’effets négatifs indus sur la concurrence (45) et les échanges entre les États membres et qu’elle contribuait à la réalisation d’un objectif d’intérêt commun clairement défini (la préservation de l’environnement par la réduction des émissions polluantes).
56. Si la Commission était parvenue à la conclusion inverse et avait constaté, prima facie, que cette mesure pourrait être incompatible avec le marché intérieur, elle aurait dû ouvrir la procédure formelle d’examen visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE. Dans le cadre de cette procédure, après avoir vérifié qu’il s’agissait, en tous points (46), d’une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, elle pourrait, le cas échéant, constater son illégalité.
57. En outre, je partage l’avis de la Commission (47) selon lequel l’article 107 TFUE ne précise pas l’ordre dans lequel cette institution doit examiner si une mesure nationale est une aide d’État ou si elle est compatible avec le marché intérieur, aux fins de l’adoption d’une décision telle que celle en cause en l’espèce. L’interprétation que le Tribunal donne de cette disposition restreint, indûment, les possibilités d’action qu’elle accorde à la Commission.
58. Outre le fait que cette approche rend justice à la compétence générale attribuée à la Commission dans le domaine de la protection du marché intérieur contre d’éventuelles distorsions causées par des aides publiques, elle est naturellement conforme aux exigences du principe de bonne administration, comme le fait valoir la Commission elle-même.
59. En effet, cela n’aurait guère de sens de consacrer les ressources limitées d’une institution de l’Union à l’instruction d’une procédure formelle d’examen, telle que celle prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE (parfois délicate et complexe), dans le seul but de déterminer si une mesure constitue une aide d’État lorsque, à l’issue d’un examen préliminaire rigoureux (48), il peut être exclu sans équivoque qu’elle est incompatible avec le marché intérieur, même dans l’hypothèse où il s’agirait d’une aide (49).
60. En définitive, il y a lieu, selon moi, d’accueillir la première branche du moyen de pourvoi, puisque la Commission était compétente pour adopter la décision attaquée et que cette dernière n’est entachée d’aucun vice invalidant en ce qu’elle déclare la mesure nationale en cause compatible avec le marché intérieur (et ne soulève aucune objection à son égard), que celle-ci ait ou non revêtu le caractère d’une aide d’État.
B. Sur la seconde branche du moyen de pourvoi
1. Arguments de la Commission et du gouvernement néerlandais
61. La Commission fait grief à l’arrêt attaqué d’être entaché d’une erreur de droit dans l’interprétation du principe de sécurité juridique. À l’appui de sa thèse, elle avance les arguments suivants :
– en constatant que la mesure en cause est compatible avec le marché intérieur, la décision attaquée contribue à une sécurité juridique accrue. En particulier, il y est clairement indiqué que la Commission n’ouvrira pas la procédure formelle d’examen ni n’ordonnera la récupération de l’indemnisation litigieuse ;
– au contraire, la solution du Tribunal implique que la Commission, dans des cas tels que celui de l’espèce, devra procéder à un examen approfondi et complexe pour déterminer si la mesure constitue une aide, ce qui réduira la sécurité juridique au lieu de la renforcer ;
– conformément à la jurisprudence de la Cour (50), bien que la Commission soit tenue d’informer l’État membre si elle estime qu’une mesure est compatible avec le marché intérieur, elle n’est, en revanche, pas tenue d’adopter une décision si, au cours de l’examen préliminaire, elle conclut qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE ;
– par conséquent, si le fait que la Commission n’adopte pas de décision (et ne se prononce donc pas sur la qualification d’« aide d’État » de la mesure) ne porte pas atteinte au principe de sécurité juridique, il n’y a pas non plus de violation de ce principe si, comme en l’espèce, la Commission décide de ne pas soulever d’objections, parce qu’elle considère que la mesure est compatible avec le marché intérieur (sans se prononcer sur sa qualification d’« aide d’État ») ;
– dans l’hypothèse où la Commission aurait conclu à l’absence d’aide d’État, les concurrents auraient eu malgré tout la possibilité de contester cette conclusion. De même, ils auraient pu réclamer le paiement d’intérêts au titre de la période d’illégalité, même si la Commission avait considéré que la mesure était une aide d’État ou n’avait pas procédé à son examen ;
– le règlement 2015/1589 n’impose pas l’ouverture d’un examen préliminaire d’une mesure non notifiée. Si une incertitude juridique existait en l’espèce, elle serait imputable au Royaume des Pays-Bas et à la société indemnisée, qui ont décidé, respectivement, de verser et d’accepter l’indemnisation sans la notifier à la Commission ;
– la prétendue incertitude suscitée en cas de cumul avec des paiements ultérieurs serait purement hypothétique et nullement convaincante ;
– même si elle avait constaté l’existence d’une aide d’État, la Commission aurait pu ne pas en quantifier le montant exact, contrairement à ce qu’a soutenu le Tribunal.
62. Le gouvernement néerlandais insiste sur le fait que la Commission n’était pas compétente pour adopter la décision attaquée et a donc violé le principe de légalité, ce qui implique une atteinte au principe de sécurité juridique. Il ajoute à cette considération les arguments suivants :
– en omettant de se prononcer sur l’existence d’une aide d’État, la Commission a placé le Royaume des Pays-Bas dans une situation d’insécurité, puisque la situation et les relations juridiques ne sont ni claires ni prévisibles. L’on ne voit pas pourquoi la sécurité devrait être réduite, au lieu d’être renforcée, par un examen approfondi de la question, sans que l’on explique pour quelle raison cet examen devrait nécessairement être long et complexe ;
– il importe peu qu’en ce moment aucune procédure n’ait été diligentée devant le juge national, car la possibilité d’engager celle-ci constitue l’un des motifs pour lesquels la décision attaquée viole le principe de sécurité juridique ;
– le cumul de la mesure avec des paiements ultérieurs est souvent hypothétique, étant donné qu’il s’agit d’un événement futur, mais ce qui est déterminant, c’est qu’il soit possible et que les États membres doivent en tenir compte.
2. Analyse
63. Si l’on admettait, comme je le propose, que la Commission est compétente pour déclarer la compatibilité avec le marché intérieur d’une mesure qu’elle n’a pas préalablement qualifiée d’« aide » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, la décision attaquée aurait été adoptée conformément au principe de légalité. Dans la même mesure, elle aurait respecté le principe de sécurité juridique.
64. Si, comme j’ai tenté de l’expliquer dans les présentes conclusions, la Commission peut déclarer une mesure de financement public compatible avec le marché intérieur (mais ne peut pas – j’insiste – déclarer son incompatibilité sans l’avoir préalablement qualifiée d’« aide », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE), cette déclaration a, en réalité, pour effet d’exclure l’existence même d’une aide illicite, au regard du droit de l’Union.
65. L’illégalité d’une (hypothétique) aide publique dépend indissociablement de sa compatibilité avec le marché intérieur. Seules les aides qui, tout en affectant les échanges entre États membres, en plus d’être des aides publiques, faussent ou menacent de fausser la concurrence seront incompatibles avec le marché intérieur et, partant, illicites.
66. Par conséquent, le fait d’apprécier la compatibilité d’une mesure ayant ces caractéristiques, qu’elle soit ou non en définitive une aide d’État, avec le marché intérieur revient à établir que, si elle avait le caractère d’une aide, elle ne constituerait pas une aide illégale au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
67. Dans ces conditions, la déclaration de compatibilité avec le marché intérieur effectuée par la décision attaquée comporte une confirmation implicite de l’absence d’aide illégale au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
68. En partant de cette prémisse, je ne vois pas de raison de considérer qu’il existe en l’espèce une violation du principe de sécurité juridique.
69. Premièrement, en ne soulevant pas d’objections à l’égard de la mesure, la décision attaquée confirme sa validité et, indirectement, l’appréciation du gouvernement néerlandais, en ce qu’elle laisse la voie libre à son exécution sans réserve au regard du droit de l’Union.
70. Deuxièmement, la préoccupation relative à un futur et hypothétique jugement national qui qualifierait d’« aide contraire à l’article 107, paragraphe 1, TFUE » la mesure que la Commission a déclarée compatible avec le marché intérieur et, partant, licite au regard du droit de l’Union, ne me paraît pas fondée. La décision de la Commission statuant ainsi ne peut pas être réexaminée par les juridictions nationales.
71. Le Tribunal se rallie à l’argumentation du gouvernement néerlandais, en ce qu’il estime, au point 65 de l’arrêt attaqué, que les concurrents de Vattenfall pourraient engager une procédure devant les juridictions nationales afin que ces dernières « qualifi[ent] [la mesure en cause] d’“aide d’État”, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE ». Toutefois, comme je viens de l’indiquer aux points précédents des présentes conclusions, la décision de la Commission fait obstacle, sur le fond, à cette possibilité.
72. Troisièmement, il ne me semble pas non plus que des problèmes ultérieurs puissent se poser en ce qui concerne un futur cumul de nouvelles aides, car cela ne respecterait pas les règles imposant la prise en compte du montant total des aides perçues ou instaurant certaines limites à ce cumul (51).
73. Le caractère hypothétique de ce grief ressort notamment du fait qu’il n’apparaît pas que le gouvernement néerlandais ait procédé à la notification formelle à la Commission des décisions (ultérieures) résultant de l’application de la loi sur l’interdiction du charbon pour la production d’électricité (52). Si tel est le cas, on ne voit pas comment il pourrait y avoir, a posteriori, un cumul d’aides à ce titre.
74. Je considère, en définitive, qu’il y a également lieu de faire droit à cette seconde branche du moyen de pourvoi.
C. Résolution définitive du litige
75. Conformément à l’article 61 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule l’arrêt attaqué et, le cas échéant, statue définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.
76. Selon moi, le litige est en état d’être jugé par la Cour.
77. Les trois premiers moyens d’annulation soulevés par le gouvernement néerlandais devant le Tribunal étaient invoqués dans l’hypothèse où la décision attaquée impliquerait la qualification d’« aide d’État » de la mesure en cause. Or, ainsi que le Tribunal l’a reconnu en ne procédant pas à leur analyse (53), ces trois moyens reposent sur une prémisse inexacte : dans sa décision, la Commission ne se prononce pas sur la nature de la mesure, en ce qu’elle se borne à déclarer que, même s’il s’agissait d’une aide d’État, elle serait compatible avec le marché intérieur.
78. Les quatrième et cinquième moyens étaient tirés, respectivement, de l’incompétence de la Commission pour adopter la décision attaquée et de la violation du principe de sécurité juridique. Eu égard à ce qui a été exposé dans les présentes conclusions, ces deux moyens ne sont pas fondés.
79. Il y a donc lieu de rejeter le recours du gouvernement néerlandais.
D. Sur les dépens
80. Conformément à l’article 184 du règlement de procédure de la Cour, et eu égard aux conclusions de la Commission, il y a lieu de condamner le Royaume des Pays-Bas aux dépens.
V. Conclusion
81. Eu égard à ce qui précède, je propose à la Cour :
– d’accueillir le pourvoi ;
– d’annuler l’arrêt du Tribunal du 16 novembre 2022, Pays-Bas/Commission (T‑469/20, EU:T:2022:713) ;
– d’exercer la faculté prévue à l’article 61 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne de statuer définitivement sur le litige, en rejetant le recours en annulation introduit par le Royaume des Pays‑Bas comme non fondé ;
– de condamner le Royaume des Pays-Bas aux dépens.