Language of document : ECLI:EU:T:2022:19

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre élargie) (i)

26 janvier 2022 (*)

« Concurrence – Abus de position dominante – Marché des microprocesseurs – Décision constatant une infraction à l’article 102 TFUE et à l’article 54 de l’accord EEE – Rabais de fidélité – Restrictions “non déguisées” – Qualification de pratique abusive – Analyse du concurrent aussi efficace – Stratégie d’ensemble – Infraction unique et continue »

Dans l’affaire T‑286/09 RENV,

Intel Corporation, Inc., établie à Wilmington, Delaware (États-Unis), représentée par MM. A. Parr, solicitor, D. Beard, QC, et J. Williams, barrister,

partie requérante,

soutenue par

Association for Competitive Technology, Inc., établie à Washington, DC (États-Unis), représentée par Mes J.-F. Bellis et K. Van Hove, avocats,

partie intervenante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. T. Christoforou, V. Di Bucci, N. Khan et M. Kellerbauer, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Union fédérale des consommateurs – Que choisir (UFC – Que choisir), établie à Paris (France), représentée par Me E. Nasry, avocate,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant, à titre principal, à l’annulation de la décision C(2009) 3726 final de la Commission, du 13 mai 2009, relative à une procédure d’application de l’article [102 TFUE] et de l’article 54 de l’accord EEE (affaire COMP/C‑3/37.990 – Intel), ou, à titre subsidiaire, à la suppression ou à la réduction du montant de l’amende infligée à la requérante,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie),

composé de MM. H. Kanninen, président, J. Schwarcz (rapporteur), C. Iliopoulos, Mme I. Reine et M. B. Berke, juges,

greffier : Mme E. Artemiou, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 10 au 12 mars 2020,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1        Intel Corporation, Inc. (ci-après la « requérante » ou « Intel ») est une société de droit des États-Unis qui assure la conception, le développement, la fabrication et la commercialisation de microprocesseurs (ci-après les « CPU »), de « chipsets » (jeux de puces) et d’autres composants semi-conducteurs ainsi que de solutions pour plateformes dans le cadre du traitement des données et des dispositifs de communication.

2        À la fin de l’année 2008, Intel employait environ 94 100 personnes à travers le monde. En 2007, les recettes nettes d’Intel s’élevaient à 38 334 millions de dollars des États-Unis (USD) et son bénéfice net à 6 976 millions d’USD. En 2008, ses recettes nettes s’élevaient à 37 586 millions d’USD et son bénéfice net à 5 292 millions d’USD.

 Procédure administrative

3        Le 18 octobre 2000, Advanced Micro Devices, Inc. (ci-après « AMD ») a déposé devant la Commission des Communautés européennes une plainte formelle au titre de l’article 3 du règlement no 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [101] et [102 TFUE] (JO 1962, 13, p. 204), qu’elle a complétée en avançant de nouveaux faits et de nouvelles allégations, dans le cadre d’une plainte complémentaire du 26 novembre 2003.

4        En mai 2004, la Commission a lancé une série d’investigations portant sur certains éléments contenus dans la plainte complémentaire d’AMD. Dans le cadre de cette enquête et avec l’appui de plusieurs autorités nationales de la concurrence, conformément à l’article 20, paragraphe 4, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), la Commission a procédé, en juillet 2005, à des inspections sur quatre sites d’Intel en Allemagne, en Espagne, en Italie et au Royaume-Uni ainsi que sur les sites de plusieurs clients d’Intel en Allemagne, en Espagne, en France, en Italie et au Royaume-Uni.

5        Le 17 juillet 2006, AMD a déposé une plainte auprès du Bundeskartellamt (Office fédéral des ententes, Allemagne), dans laquelle elle a affirmé qu’Intel avait instauré, notamment, des pratiques commerciales d’éviction avec Media-Saturn-Holding GmbH (ci-après « MSH »), distributeur européen d’appareils microélectroniques et premier distributeur européen d’ordinateurs de bureau. L’Office fédéral des ententes a échangé des informations avec la Commission sur cette affaire, en application de l’article 12 du règlement no 1/2003.

6        Le 23 août 2006, la Commission a tenu une réunion avec D1 [confidentiel] (1), un client d’Intel. La Commission n’a pas versé la liste indicative des thèmes de cette réunion au dossier de l’affaire et elle n’en a pas établi de procès-verbal. Un membre de l’équipe chargé du dossier au sein de la Commission a rédigé une note concernant cette réunion qui a été qualifiée d’interne par la Commission. Le 19 décembre 2008, la Commission a fourni à la requérante une version non confidentielle de cette note.

7        Le 26 juillet 2007, la Commission a notifié à la requérante une communication des griefs (ci-après la « communication des griefs de 2007 ») relative à son comportement à l’égard de cinq grands équipementiers informatiques (Original Equipment Manufacturer, ci‑après les « OEM »), à savoir Dell, Hewlett-Packard Company (HP), Acer Inc., NEC Corp. et International Business Machines Corp. (IBM). Intel y a répondu le 7 janvier 2008 et une audition a eu lieu les 11 et 12 mars 2008. Intel a eu accès au dossier à trois reprises, en l’occurrence le 31 juillet 2007, le 23 juillet et le 19 décembre 2008.

8        La Commission a procédé à plusieurs actes d’instruction concernant les allégations d’AMD, y compris des inspections sur les sites de plusieurs vendeurs d’ordinateurs au détail et sur des sites d’Intel, en février 2008. Elle a, en outre, adressé plusieurs demandes écrites de renseignements, en vertu de l’article 18 du règlement no 1/2003, à divers grands OEM.

9        Le 17 juillet 2008, la Commission a notifié à la requérante une communication des griefs complémentaire relative à son comportement à l’égard de MSH. Cette communication des griefs (ci-après la « communication des griefs complémentaire de 2008 ») portait également sur le comportement d’Intel à l’égard de Lenovo Group Ltd (ci-après « Lenovo ») et comportait de nouveaux éléments de preuve concernant le comportement d’Intel à l’égard de certains des OEM concernés par la communication des griefs de 2007, que la Commission avait obtenus après la publication de cette dernière.

10      La Commission a d’abord accordé à Intel un délai de huit semaines pour présenter sa réponse à la communication des griefs complémentaire de 2008. Le 15 septembre 2008, ce délai a été prorogé jusqu’au 17 octobre 2008 par le conseiller-auditeur.

11      Intel n’a pas répondu à la communication des griefs complémentaire de 2008 dans le délai imparti. Le 10 octobre 2008, elle a, en revanche, déposé un recours auprès du Tribunal, enregistré sous la référence T‑457/08, lui demandant, premièrement, d’annuler deux décisions de la Commission relatives à la fixation du délai pour répondre à la communication des griefs complémentaire de 2008 ainsi qu’au refus de la Commission de se procurer plusieurs catégories de documents émanant notamment du dossier du contentieux privé opposant Intel et AMD dans l’État du Delaware (États-Unis) et, deuxièmement, de prolonger le délai pour le dépôt de sa réponse à la communication des griefs complémentaire de 2008 afin de disposer d’un délai de 30 jours à compter du jour où elle obtiendrait l’accès aux documents pertinents.

12      Intel a, en outre, introduit une demande en référé, enregistrée sous la référence T‑457/08 R, visant à obtenir la suspension de la procédure de la Commission dans l’attente du jugement relatif à sa requête sur le fond ainsi que la suspension du délai fixé pour le dépôt de sa réponse à la communication des griefs complémentaire de 2008 et, subsidiairement, l’octroi d’un délai de 30 jours à compter de la date dudit jugement pour répondre à la communication des griefs complémentaire de 2008.

13      Le 19 décembre 2008, la Commission a envoyé à Intel une lettre attirant son attention sur un certain nombre d’éléments de preuve qu’elle avait l’intention d’utiliser dans une éventuelle décision finale (ci-après la « lettre factuelle »). Intel n’a pas répondu à cette lettre dans le délai fixé au 23 janvier 2009.

14      Le 27 janvier 2009, le président du Tribunal a rejeté la demande en référé par l’ordonnance du 27 janvier 2009, Intel/Commission (T‑457/08 R, non publiée, EU:T:2009:18). À la suite de cette ordonnance, Intel a, le 29 janvier 2009, proposé de soumettre sa réponse à la communication des griefs complémentaire de 2008 et à la lettre factuelle dans les 30 jours à compter de l’ordonnance du président du Tribunal.

15      Le 2 février 2009, la Commission a informé Intel par courrier du fait que ses services avaient décidé de ne pas lui accorder de prolongation du délai imparti pour répondre à la communication des griefs complémentaire de 2008 ou à la lettre factuelle. Cette même lettre indiquait également que les services de la Commission étaient néanmoins disposés à envisager l’éventuelle pertinence d’un mémoire tardif pour autant qu’Intel soumette ses observations pour le 5 février 2009. Enfin, la Commission a estimé qu’elle n’était pas tenue de faire droit à une demande d’audition déposée hors délai et que ses services considéraient que le bon déroulement de la procédure administrative ne nécessitait pas l’organisation d’une audience.

16      Le 3 février 2009, Intel s’est désistée de son recours au principal dans l’affaire T‑457/08 et l’affaire a été radiée du registre par ordonnance du président de la cinquième chambre du Tribunal du 24 mars 2009.

17      Le 5 février 2009, Intel a soumis un mémoire comprenant des observations relatives à la communication des griefs complémentaire de 2008 ainsi qu’à la lettre factuelle, qu’elle a qualifiées de « réponse à la communication des griefs complémentaire [de 2008] » et de « réponse à [la lettre factuelle] ».

18      Le 10 février 2009, Intel a écrit au conseiller-auditeur pour obtenir une audition sur la communication des griefs complémentaire de 2008. Le conseiller-auditeur a rejeté cette demande par lettre du 17 février 2009.

19      Le 13 mai 2009, la Commission a adopté la décision C(2009) 3726 final, relative à une procédure d’application de l’article [102 TFUE] et de l’article 54 de l’accord EEE (affaire COMP/C‑3/37.990 – Intel) (ci-après la « décision attaquée »), dont un résumé figure au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2009, C 227, p. 13).

 Décision attaquée

20      Selon la décision attaquée, Intel a commis une violation unique et continue de l’article 102 TFUE et de l’article 54 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE), entre octobre 2002 et décembre 2007, en mettant en œuvre une stratégie visant à exclure un concurrent, à savoir AMD, du marché des CPU d’architecture x86 (ci-après les « CPU x86 »).

 Marché en cause

21      Les produits en cause dans la décision attaquée sont des CPU, qui sont des composants essentiels de tout ordinateur, tant pour les performances générales du système que pour son coût global. Ils sont souvent considérés comme le « cerveau » de l’ordinateur. La fabrication des CPU requiert ainsi des installations de pointe coûteuses.

22      Les CPU utilisés dans les ordinateurs peuvent être regroupés en deux catégories, à savoir les CPU x86 et les CPU fondés sur une autre architecture. L’architecture x86 est une norme conçue par Intel pour ses CPU. Elle permet le fonctionnement des systèmes d’exploitation Windows et Linux. Windows est principalement lié à l’ensemble des instructions correspondant à l’architecture x86. Avant 2000, plusieurs fabricants de CPU x86 étaient sur le marché. La plupart l’ont toutefois depuis quitté. La décision attaquée relève que, depuis cette date, Intel et AMD sont pratiquement les deux seules entreprises à encore fabriquer des CPU x86.

23      Dans son enquête, la Commission est parvenue à la conclusion selon laquelle le marché de produits en cause n’était pas plus large que le marché des CPU x86. La décision attaquée ne se prononce pas sur la question de savoir s’il existe un marché unique de CPU x86 pour tous les ordinateurs ou s’il convient de faire la distinction entre trois marchés de CPU x86, à savoir celui pour les ordinateurs de bureau, celui pour les ordinateurs portables et celui pour les serveurs. Selon la décision attaquée, au vu des parts de marché d’Intel pour chaque segment, les conclusions relatives à la position dominante ne diffèrent pas.

24      Le marché géographique a été défini comme étant de taille mondiale.

 Position dominante

25      Dans la décision attaquée, la Commission constate que, au cours de la période de dix années qui a été examinée (1997 à 2007), Intel a toujours détenu des parts de marché d’environ 70 % ou plus. De surcroît, il existe, selon la décision attaquée, des barrières importantes à l’entrée et à l’expansion sur le marché des CPU x86. Ces barrières résulteraient des investissements irrécupérables dans la recherche et le développement, la propriété intellectuelle et les installations de production nécessaires à la fabrication de CPU x86. Par conséquent, tous les concurrents d’Intel, à l’exception d’AMD, auraient quitté le marché ou ne détiendraient plus qu’une part de marché négligeable.

26      S’appuyant sur les parts de marché détenues par Intel et sur les barrières à l’entrée et à l’expansion sur le marché en cause, la décision attaquée conclut qu’Intel a occupé une position dominante sur ledit marché au moins au cours de la période couverte par ladite décision, soit d’octobre 2002 à décembre 2007.

 Comportement abusif et amende

27      La décision attaquée décrit deux types de comportement adoptés par Intel à l’égard de ses partenaires commerciaux, à savoir les rabais conditionnels et les restrictions non déguisées.

28      Premièrement, selon la décision attaquée, Intel a accordé des rabais à quatre OEM, en l’occurrence Dell, Lenovo, HP et NEC, à la condition qu’ils achètent auprès d’elle la totalité ou la quasi-totalité de leurs CPU x86. De même, Intel aurait octroyé des paiements à MSH, à la condition que cette dernière vende exclusivement des ordinateurs équipés de CPU x86 produits par elle.

29      La décision attaquée conclut que les rabais conditionnels accordés par Intel constituent des rabais de fidélité. En ce qui concerne les paiements conditionnels d’Intel à MSH, la décision attaquée constate que le mécanisme économique de ces paiements est équivalent à celui des rabais conditionnels accordés aux OEM.

30      De plus, la décision attaquée fournit également une analyse économique portant sur la capacité des rabais d’évincer un concurrent qui serait aussi efficace qu’Intel (as efficient competitor test, ci-après l’« analyse AEC » ou le « test AEC ») sans occuper pour autant une position dominante. Concrètement, l’analyse établit le prix auquel un concurrent aussi efficace qu’Intel aurait dû proposer ses CPU afin d’indemniser un OEM pour la perte d’un rabais que lui aurait accordé Intel. Une analyse du même type a été réalisée pour les paiements octroyés par Intel à MSH.

31      Sur la base des éléments de preuve qu’elle a rassemblés, la Commission parvient à la conclusion selon laquelle les rabais conditionnels et les paiements octroyés par Intel ont eu pour conséquence d’assurer la fidélité des OEM stratégiques et de MSH. Ces pratiques auraient eu des effets complémentaires, en ce sens qu’elles auraient sensiblement réduit la capacité des concurrents de se livrer à une concurrence fondée sur les mérites de leurs CPU x86. Le comportement anticoncurrentiel d’Intel aurait contribué ainsi à réduire le choix offert aux consommateurs ainsi que les incitations à l’innovation.

32      Deuxièmement, en ce qui concerne les restrictions non déguisées, la Commission soutient qu’Intel a octroyé des paiements à trois OEM, à savoir HP, Acer et Lenovo, à la condition que ceux-ci reportent ou annulent le lancement de produits équipés de CPU x86 d’AMD ou imposent des restrictions à la distribution de ces produits. La décision attaquée conclut que ce comportement d’Intel a également causé un préjudice direct à la concurrence et ne relève pas d’une concurrence normale, fondée sur les mérites.

33      La Commission conclut dans la décision attaquée que chacun des comportements litigieux d’Intel à l’égard des OEM susmentionnés et de MSH constitue un abus au sens de l’article 102 TFUE, la totalité de ces abus s’inscrivant cependant également dans le cadre d’une stratégie d’ensemble visant à évincer AMD, le seul concurrent important d’Intel, du marché des CPU x86. Ces abus formeraient donc une infraction unique au sens de l’article 102 TFUE.

34      En appliquant les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2), la Commission a infligé à la requérante une amende de 1,06 milliard d’euros.

 Dispositif

35      Le dispositif de la décision attaquée se lit comme suit :

« Article premier

Intel a commis une infraction unique et continue à l’article [102 TFUE] et à l’article 54 de l’accord EEE, entre octobre 2002 et décembre 2007, en mettant en œuvre une stratégie visant à évincer des concurrents du marché des CPU x86 qui a consisté à :

a)      accorder des rabais à Dell entre décembre 2002 et décembre 2005 dont le niveau était subordonné à la condition que Dell achète la totalité de ses CPU x86 auprès d’Intel ;

b)      accorder des rabais à HP entre novembre 2002 et mai 2005 dont le niveau était subordonné à la condition que HP achète au moins 95 % des CPU x86 destinés à ses ordinateurs de bureau pour entreprises auprès d’Intel ;

c)      accorder des rabais à NEC entre octobre 2002 et novembre 2005 dont le niveau était subordonné à la condition que NEC achète au moins 80 % des CPU x86 destinés à ses PC “clients” auprès d’Intel ;

d)      accorder des rabais à Lenovo entre janvier 2007 et décembre 2007 dont le niveau était subordonné à la condition que Lenovo achète la totalité des CPU x86 destinés à ses ordinateurs portables auprès d’Intel ;

e)      accorder des paiements à [MSH] entre octobre 2002 et décembre 2007 dont le niveau était subordonné à la condition que [MSH] ne vende que des ordinateurs équipés des CPU x86 d’Intel ;

f)      accorder des paiements à HP entre novembre 2002 et mai 2005 à condition que : (i) HP oriente les ordinateurs de bureau HP équipés de CPU x86 d’AMD destinés aux entreprises vers les petites et moyennes entreprises et les clients du secteur gouvernemental, éducatif et médical, plutôt que vers les grandes entreprises ; (ii) HP interdise à ses partenaires de distribution de stocker les ordinateurs équipés de CPU x86 d’AMD destinés aux entreprises de façon à ce que ces ordinateurs soient uniquement disponibles pour les clients en les commandant à HP (soit directement, soit par le biais de partenaires de distribution de HP exerçant une fonction d’agents commerciaux) ; (iii) HP retarde de six mois le lancement de son ordinateur de bureau destiné aux entreprises équipé d’un CPU x86 d’AMD dans la région Europe, Moyen-Orient et Afrique ;

g)      accorder des paiements à Acer entre septembre 2003 et janvier 2004 à condition qu’Acer retarde le lancement d’un ordinateur portable équipé d’un CPU x86 d’AMD ;

h)      accorder des paiements à Lenovo entre juin 2006 et décembre 2006 à condition que Lenovo retarde et annule finalement le lancement de ses ordinateurs portables équipés de CPU x86 d’AMD.

Article 2

Pour l’infraction mentionnée à l’article 1er, une amende d’un montant de 1 060 000 000 d’euros est infligée à Intel […]

Article 3

Intel doit mettre fin immédiatement à l’infraction mentionnée à l’article 1er si ce n’est déjà le cas.

Intel doit s’abstenir de réitérer les agissements ou comportements visés à l’article 1er ainsi que de tout agissement ou comportement ayant un objet ou un effet identique ou similaire.

[…] »

 Procédure devant le Tribunal et la Cour

36      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 juillet 2009, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision attaquée en invoquant neuf moyens.

37      Par acte enregistré au greffe le 14 octobre 2009, AMD a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien de la Commission. Toutefois, le 16 novembre 2009, AMD a informé le Tribunal qu’elle retirait son intervention dans cette affaire. Par conséquent, par ordonnance du président de la huitième chambre du Tribunal du 5 janvier 2010, AMD a été radiée de l’affaire en tant que demanderesse en intervention.

38      Par acte enregistré au greffe le 30 octobre 2009, l’Union fédérale des consommateurs – Que choisir (UFC – Que choisir) (ci-après « UFC ») a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien de la Commission. Par ordonnance du 7 juin 2010, le président de la huitième chambre du Tribunal a admis cette intervention. Par lettre enregistrée au greffe le 22 septembre 2010, UFC a informé le Tribunal qu’elle renonçait au dépôt d’un mémoire en intervention, mais qu’elle présenterait des observations orales lors de l’audience.

39      Par acte enregistré au greffe le 2 novembre 2009, Association for Competitive Technology, Inc. (ci-après « ACT ») a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien d’Intel. Par ordonnance du 7 juin 2010, le président de la huitième chambre du Tribunal a admis cette intervention. ACT a déposé son mémoire en intervention dans le délai imparti et les parties principales ont présenté leurs observations sur celui-ci.

40      Intel et la Commission ont demandé que certains éléments confidentiels contenus dans la requête, le mémoire en défense, la réplique, la duplique et leurs observations respectives sur le mémoire en intervention soient exclus de la communication aux intervenantes, UFC et ACT. Elles ont produit une version commune non confidentielle de ces différents actes de procédure. La communication desdits actes de procédure a été limitée à cette version non confidentielle. Les intervenantes n’ont pas soulevé d’objection à ce sujet.

41      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée en septembre 2010, et le juge rapporteur ayant été élu président de la septième chambre, l’affaire a, par conséquent, été attribuée à cette dernière.

42      Par décision du 18 janvier 2012, le Tribunal a renvoyé l’affaire devant la septième chambre élargie en application de l’article 14, paragraphe 1, et de l’article 51, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

43      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries lors de l’audience qui s’est tenue du 3 au 6 juillet 2012.

44      Par l’arrêt du 12 juin 2014, Intel/Commission (T‑286/09, ci-après l’« arrêt initial », EU:T:2014:547), le Tribunal a rejeté le recours dans son intégralité.

45      À l’appui de son premier moyen, relatif aux questions horizontales concernant les appréciations juridiques effectuées par la Commission, Intel a contesté la répartition de la charge de la preuve et le niveau de preuve requis, la qualification juridique des rabais et des paiements accordés en contrepartie d’un approvisionnement exclusif ainsi que la qualification juridique de paiements, que la Commission a dénommés « restrictions non déguisées », visant à ce que les OEM retardent, annulent ou restreignent la commercialisation de produits équipés de CPU d’AMD. Intel a en particulier fait valoir que l’analyse des preuves effectuée par la Commission ne satisfaisait pas au standard requis. Ainsi, la Commission ne prouverait pas que les accords de rabais d’Intel dépendaient de ce que les clients achetaient tous ou presque tous les CPU x86 dont ils avaient besoin auprès d’Intel. En outre, la Commission aurait utilisé un test AEC pour déterminer si les rabais d’Intel pouvaient restreindre la concurrence, mais elle aurait commis de nombreuses erreurs dans son analyse et son appréciation des preuves en lien avec l’application de ce test.

46      Le Tribunal a, en substance, jugé, au point 79 de l’arrêt initial, que les rabais accordés à Dell, à HP, à NEC et à Lenovo étaient des rabais d’exclusivité, en ce qu’ils étaient liés à la condition que le client s’approvisionne auprès d’Intel, soit pour la totalité de ses besoins en CPU x86, soit pour une partie importante de ses besoins. En outre, le Tribunal a exposé, aux points 80 à 89 de l’arrêt initial, que la qualification d’abusif d’un tel rabais ne dépendait pas d’une analyse des circonstances de l’espèce visant à établir la capacité de celui-ci de restreindre la concurrence.

47      À titre surabondant, le Tribunal a considéré, aux points 172 à 197 de l’arrêt initial, que la Commission avait démontré, à suffisance de droit et sur la base d’une analyse des circonstances de l’espèce, la capacité des rabais et des paiements d’exclusivité accordés respectivement par Intel à Dell, à HP, à NEC, à Lenovo et à MSH de restreindre la concurrence.

48      Sur le deuxième moyen, tiré de ce que la Commission n’a pas prouvé sa compétence territoriale pour appliquer les articles 101 et 102 TFUE aux pratiques mises en œuvre à l’égard d’Acer et de Lenovo, le Tribunal a, tout d’abord, estimé, au point 244 de l’arrêt initial, que, pour justifier la compétence de la Commission au regard du droit international public, il suffisait d’établir les effets qualifiés de la pratique ou la mise en œuvre de celle-ci dans l’Union européenne. Il a ensuite jugé, au point 296 de l’arrêt initial, que les effets substantiels, prévisibles et immédiats que le comportement d’Intel était susceptible de produire au sein de l’EEE permettaient de justifier la compétence de la Commission. Enfin, à titre surabondant, il a considéré, au point 314 de l’arrêt initial, que cette compétence était également fondée, en raison de la mise en œuvre du comportement en cause sur le territoire de l’Union et de l’EEE.

49      À l’appui de son troisième moyen, relatif aux vices de procédure reprochés à la Commission, Intel a notamment soulevé une violation de ses droits de la défense du fait de l’absence d’un procès-verbal retranscrivant une réunion avec D1, arguant que certains éléments relatifs à cette réunion auraient pu être utilisés comme éléments à décharge. Il a également été soutenu que la Commission aurait refusé à tort la tenue d’une seconde audition ainsi que la communication de certains documents d’AMD qui auraient pu être pertinents pour la défense d’Intel.

50      Dans un premier temps, le Tribunal a estimé, au point 618 de l’arrêt initial, que la réunion en cause ne constituait pas un interrogatoire formel au sens de l’article 19 du règlement no 1/2003 et que la Commission n’était pas tenue de procéder à un tel interrogatoire. Il en a déduit, audit point, que l’article 3 du règlement (CE) no 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101] et [102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18), n’était pas applicable, si bien que l’argument tiré de la violation des formalités prescrites par cette disposition était inopérant.

51      Dans un second temps, le Tribunal a jugé, aux points 621 et 622 de l’arrêt initial, que, même si la Commission avait enfreint le principe de bonne administration en s’abstenant d’établir un document contenant un bref résumé des sujets abordés dans ladite réunion ainsi que le nom de ses participants, elle avait toutefois corrigé cette lacune initiale en mettant à la disposition d’Intel la version non confidentielle d’une note interne relative à cette même réunion.

52      S’agissant du quatrième moyen, relatif aux prétendues erreurs d’appréciation des pratiques à l’égard des OEM et de MSH, le Tribunal a rejeté intégralement les griefs invoqués par Intel concernant Dell, HP, NEC, Lenovo, Acer et MSH aux points 665, 894, 1032, 1221, 1371 et 1463 de l’arrêt initial.

53      En ce qui concerne le cinquième moyen, par lequel Intel a contesté l’existence d’une stratégie d’ensemble visant à barrer l’accès d’AMD aux canaux de vente les plus importants, le Tribunal a jugé, aux points 1551 et 1552 de l’arrêt initial, que la Commission avait, en substance, démontré à suffisance de droit la tentative de dissimulation de la nature anticoncurrentielle des pratiques d’Intel et la mise en œuvre d’une stratégie d’ensemble à long terme dont l’objectif était de barrer l’accès d’AMD auxdits canaux de ventes.

54      S’agissant du sixième moyen, selon lequel la Commission aurait appliqué incorrectement les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003, le Tribunal a notamment considéré, au point 1598 de l’arrêt initial, que ni le principe de sécurité juridique ni le principe de légalité des délits et des peines ne s’opposaient à ce que la Commission décide d’adopter et d’appliquer de nouvelles lignes directrices pour le calcul des amendes même après la commission d’une infraction. En outre, le Tribunal a considéré, audit point, qu’une application efficace des règles de concurrence justifiait qu’une entreprise doive tenir compte d’une éventuelle modification de la politique générale de concurrence de la Commission en matière d’amendes en ce qui concernait tant la méthode de calcul que le niveau des amendes.

55      Sur le septième moyen, tiré de la prétendue absence de violation de l’article 102 TFUE, de propos délibéré ou par négligence, le Tribunal a jugé, en substance, aux points 1602 et 1603 de l’arrêt initial, qu’Intel ne pouvait ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement et que les éléments de preuve retenus dans la décision attaquée démontraient à suffisance de droit qu’elle avait mis en œuvre une stratégie d’ensemble à long terme visant à barrer l’accès d’AMD aux canaux de vente les plus importants d’un point de vue stratégique, tout en s’efforçant de dissimuler le caractère anticoncurrentiel de son comportement.

56      Concernant le huitième moyen, tiré du caractère prétendument disproportionné de l’amende infligée, le Tribunal a constaté, aux points 1614 à 1616 de l’arrêt initial, que la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne pouvait servir de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence et que, en tout état de cause, les décisions invoquées à cet égard par Intel n’étaient pas pertinentes au regard du respect du principe d’égalité de traitement. Par ailleurs, contrairement à ce qu’a fait valoir Intel, le Tribunal a rappelé, aux points 1627 et 1628 de l’arrêt initial, que la Commission n’avait pas pris en considération l’impact concret de l’infraction sur le marché afin de déterminer sa gravité.

57      S’agissant, enfin, du neuvième moyen, lequel était soulevé au soutien d’une demande de suppression ou de réduction du montant de l’amende infligée à la requérante dans le cadre de l’exercice de la compétence de pleine juridiction du Tribunal, ce dernier a notamment jugé, au point 1647 de l’arrêt initial, que rien dans les griefs, les arguments et les éléments de droit et de fait avancés par Intel ne permettait de conclure que le montant de l’amende qui lui avait été infligée ne présentait un caractère disproportionné. En effet, le Tribunal a estimé, audit point, que cette amende était appropriée aux circonstances de l’espèce et a souligné qu’elle se situait bien en dessous du plafond de 10 % fixé à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003.

58      Par requête déposée au greffe de la Cour le 26 août 2014, la requérante a formé un pourvoi contre l’arrêt initial.

59      À l’appui de son pourvoi, la requérante a soulevé six moyens. Par le premier moyen, elle a fait valoir que le Tribunal avait commis une erreur de droit en n’examinant pas les rabais litigieux au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes. Par le deuxième moyen, la requérante a invoqué une erreur de droit commise par le Tribunal dans l’appréciation du constat de l’infraction au titre des années 2006 et 2007, notamment en ce qui concerne l’appréciation de la couverture de marché par les rabais litigieux au cours de ces deux années. Par le troisième moyen, la requérante a allégué une erreur de droit commise par le Tribunal concernant la qualification juridique des rabais d’exclusivité conclus par Intel avec HP et Lenovo. Par le quatrième moyen, elle a considéré que le Tribunal avait conclu à tort à l’absence d’un vice de procédure substantiel affectant ses droits de la défense, dans le traitement, par la Commission, de l’entretien de D1. Le cinquième moyen était tiré d’une application erronée par le Tribunal des critères relatifs à la compétence de la Commission à l’égard des accords conclus par Intel avec Lenovo au titre des années 2006 et 2007. Enfin, par le sixième moyen, la requérante a demandé à la Cour de supprimer ou de réduire substantiellement le montant de l’amende qui lui avait été infligée en application du principe de proportionnalité ainsi que du principe de non-rétroactivité des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003.

60      La Commission a conclu au rejet du pourvoi. Quant à ACT, elle a conclu à ce qu’il soit fait droit au pourvoi dans son intégralité.

61      La Cour, par son arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C‑413/14 P, ci-après l’« arrêt sur pourvoi », EU:C:2017:632), tel que rectifié, a annulé l’arrêt initial et a renvoyé l’affaire devant le Tribunal.

 Procédure et conclusions des parties après renvoi

62      L’affaire a été attribuée à la quatrième chambre élargie du Tribunal.

63      Le 14, le 15 et le 16 novembre 2017, ACT, la requérante et la Commission ont, respectivement, soumis leurs observations écrites sur le renvoi, au titre de l’article 217, paragraphe 1, du règlement de procédure (ci-après les « observations principales »).

64      La requérante et la Commission ont demandé que certains éléments confidentiels contenus dans leurs observations principales respectives soient exclus de la communication aux intervenantes. Elles ont produit une version non confidentielle de ces différents actes de procédure. La communication desdits actes de procédure a été limitée à cette version non confidentielle. Les intervenantes n’ont pas soulevé d’objection à ce sujet.

65      Le 20 février 2018, ACT et, le 5 mars 2018, la requérante ainsi que la Commission ont, respectivement, déposé des observations écrites complémentaires conformément à l’article 217, paragraphe 3, du règlement de procédure (ci-après les « observations complémentaires »).

66      La requérante et la Commission ont demandé que certains éléments confidentiels contenus dans leurs observations complémentaires respectives soient exclus de la communication aux intervenantes. Elles ont produit une version commune non confidentielle de ces différents actes de procédure. La communication desdits actes de procédure a été limitée à cette version non confidentielle. Les intervenantes n’ont pas soulevé d’objection à ce sujet.

67      Dans ses observations, la requérante, soutenue par ACT, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler entièrement ou partiellement la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, supprimer ou réduire substantiellement le montant de l’amende imposée ;

–        condamner la Commission aux dépens de la requérante.

68      Dans ses observations, la Commission conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours.

69      Par lettres des 7, 15 et 28 octobre 2019, Intel et la Commission ont partiellement renoncé à la confidentialité aux fins de l’audience et de la décision mettant fin à l’instance, à condition qu’aucun document confidentiel ne soit signifié aux intervenantes. Elles ont, en substance, indiqué que toutes les données du dossier pouvaient être discutées en audience publique, à deux exceptions près, à savoir que le Tribunal s’abstienne de divulguer des détails sur le serveur [confidentiel] et que les noms des personnes physiques mentionnées dans les écritures ne soient pas rendus publics.

70      Par lettre du 27 janvier 2020, ACT a demandé à être autorisée à participer à la partie de l’audience qui devait se tenir à huis clos en raison de la confidentialité des données qui devaient être discutées, conformément à la décision du Tribunal du 10 décembre 2019.

71      Par lettre du 6 mars 2020, UFC a informé le Tribunal qu’elle renonçait à participer à l’audience prévue du 10 au 12 mars 2020 (ci-après l’« audience de 2020 »).

72      Lors de l’audience de 2020, le président de la quatrième chambre élargie s’est référé à la lettre du 27 janvier 2020 déposée par ACT, par laquelle cette dernière demandait à participer à l’audience qui devait initialement se tenir à huis clos. Le président de la quatrième chambre élargie a décidé de verser cette lettre au dossier. Toutefois, l’audience de 2020 s’étant entièrement déroulée en audience publique, il a indiqué qu’il n’y avait plus lieu de répondre à la demande d’ACT. En outre, il a confirmé que les noms des personnes physiques ne seraient pas divulgués en audience publique, ni dans la décision mettant fin à l’instance.

73      À la suite du décès du juge Berke, survenu le 1er août 2021, les trois juges dont le présent arrêt porte la signature ont poursuivi les délibérations, conformément à l’article 22 et à l’article 24, paragraphe 1, du règlement de procédure.

 En droit

 Sur les arguments des parties relatifs à lobjet du litige après renvoi

74      À titre liminaire, il y a lieu de relever que, par ses observations écrites déposées au titre de l’article 217, paragraphes 1 et 3, du règlement de procédure, la requérante a renoncé aux moyens du recours tirés de la compétence de la Commission et de vices de procédure, lesquels ne font donc plus partie de l’objet du litige après renvoi.

75      Les parties s’opposent quant à l’étendue du litige après renvoi en ce qui concerne les autres moyens du recours.

76      La requérante, soutenue par ACT, fait valoir, en substance, que, eu égard à l’annulation de l’arrêt initial dans son intégralité, le Tribunal est tenu de rendre un nouvel arrêt en procédant à un réexamen de tous les moyens et arguments invoqués dans son recours autres que ceux auxquels elle a renoncé, en tenant compte du cadre juridique tracé par la Cour dans l’arrêt sur pourvoi. Elle ajoute, d’une part, que l’arrêt sur pourvoi apporte une clarification substantielle du cadre dans lequel les éléments de preuve factuels et économiques doivent être pris en compte et, d’autre part, que le fait que le premier moyen du pourvoi ait été accueilli a nécessairement une incidence sur l’appréciation de ces éléments de preuve et des termes dans lesquels est libellée la décision attaquée.

77      Au contraire, la Commission soutient, en substance, que les constatations de l’arrêt initial sont définitives lorsqu’elles ne sont pas liées à une erreur de droit relevée par la Cour dans son arrêt sur pourvoi. Selon elle, tel est le cas notamment lorsque les constatations du Tribunal n’ont pas été attaquées dans le cadre du pourvoi ou lorsque la Cour a rejeté la remise en cause de constatations contenues dans l’arrêt initial. Elle ajoute, d’une part, qu’il ressort des points 147 et 149 de l’arrêt sur pourvoi que le Tribunal n’est tenu d’examiner dans le cadre du renvoi que la capacité des rabais de restreindre la concurrence et, d’autre part, qu’il résulte clairement des points 109, 137 et 138 de l’arrêt sur pourvoi que le point de départ de cet examen est la constatation factuelle non remise en cause selon laquelle les rabais litigieux constituent des rabais de fidélité. À titre subsidiaire, la Commission fait en outre valoir que, si le Tribunal décidait de réexaminer l’ensemble des moyens et des arguments soulevés par la requérante dans son recours, il n’y aurait aucune raison pour que le Tribunal parvienne à des conclusions différentes de celles formulées dans son arrêt initial sur les questions qui n’ont pas été soulevées dans le cadre du pourvoi.

78      En l’espèce, premièrement, se pose donc la question de savoir si, dans le cadre du renvoi, le Tribunal est à nouveau saisi de l’ensemble des moyens et des arguments soulevés par la requérante dans son recours ou si, comme le soutient, en substance, la Commission, des constatations contenues dans l’arrêt initial peuvent être considérées comme étant revêtues de l’autorité de la chose jugée.

79      La réponse à cette question est, ainsi que l’a soutenu à juste titre la requérante à l’audience de 2020, déterminée par le libellé du dispositif de l’arrêt sur pourvoi.

80      En effet, il y a lieu de rappeler que, à la suite de l’annulation par la Cour et du renvoi de l’affaire devant le Tribunal, celui-ci est saisi, en application de l’article 215 du règlement de procédure, par l’arrêt de la Cour et doit se prononcer une nouvelle fois sur l’ensemble des moyens d’annulation soulevés par la partie requérante, à l’exclusion des éléments du dispositif non annulés par la Cour ainsi que des considérations qui constituent le fondement nécessaire desdits éléments, ceux-ci étant passés en force de chose jugée (arrêt du 14 septembre 2011, Marcuccio/Commission, T‑236/02, EU:T:2011:465, point 83).

81      À cet égard, il convient de relever que le point 1 du dispositif de l’arrêt sur pourvoi procède à l’annulation de l’intégralité de l’arrêt initial, dès lors qu’il énonce que cet arrêt « est annulé ».

82      Il s’ensuit que, ainsi que le soutiennent la requérante et ACT, le Tribunal doit, en l’espèce, se prononcer une nouvelle fois sur l’ensemble des moyens et des arguments des parties présentés en première instance, à l’exception de ceux mentionnés au point 74 ci-dessus et tirés de la compétence de la Commission et de vices de procédure, auxquels la requérante a expressément renoncé.

83      Deuxièmement, en vertu de l’article 61 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque le pourvoi est fondé et que l’affaire est renvoyée devant le Tribunal pour qu’il statue sur le litige, celui-ci est lié par les points de droit tranchés par la décision de la Cour. Partant, ainsi que l’a relevé la Commission et que l’a, en substance, souligné ACT lors de l’audience de 2020, rien ne s’oppose, en principe, à ce que le juge de renvoi porte la même appréciation que le juge de première instance s’agissant des moyens et des arguments qui n’ont pas fait l’objet d’un examen dans les motifs de l’arrêt sur pourvoi. En effet, dans cette hypothèse, il n’y a pas de « points de droit tranchés par la décision de la Cour », au sens de l’article 61, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, qui lierait le juge de renvoi (arrêt du 14 septembre 2011, Marcuccio/Commission, T‑236/02, EU:T:2011:465, point 86).

84      En l’espèce, force est de constater que la seule erreur ayant justifié l’annulation de l’arrêt initial réside dans le fait que le Tribunal « s’est, à tort, abstenu, dans le cadre de son analyse de la capacité des rabais litigieux de restreindre la concurrence, de prendre en considération l’argumentation d’Intel visant à dénoncer de prétendues erreurs commises par la Commission dans le cadre du test AEC » (arrêt sur pourvoi, point 147).

85      Il en découle que, en application de la jurisprudence citée aux points 80 et 83 ci-dessus, le Tribunal est contraint d’examiner dans le cadre du renvoi la capacité des rabais litigieux de restreindre la concurrence à la lumière, d’une part, des précisions contenues aux points 133 et 141 de l’arrêt sur pourvoi, quant aux principes posés dans l’arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission (85/76, EU:C:1979:36), et, d’autre part, des observations principales et complémentaires des parties sur les conclusions à tirer de ces précisions. Dès lors, si le Tribunal est tenu d’examiner les arguments d’Intel tendant à démontrer que la Commission a commis des erreurs dans son analyse AEC, il peut, pour le reste, reprendre à son compte, dans le cadre de son examen, l’ensemble des constatations non remises en cause dans le cadre du pourvoi ou, en tout état de cause, celles portant sur des « points de droit non tranchés » par l’arrêt sur pourvoi.

86      Tel est le cas, en particulier, des constatations relatives à la qualification juridique des pratiques dites de restrictions non déguisées, sous le titre II « Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée », point A, intitulé « Questions horizontales concernant les appréciations juridiques effectuées par la Commission », point 3, intitulé « Sur la qualification juridique des pratiques dites de “restrictions non déguisées” », de l’arrêt initial (points 198 à 220 dudit arrêt), ainsi qu’aux restrictions non déguisées et à l’existence des rabais d’exclusivité, sous le même titre II, point D, intitulé « Erreurs d’appréciation concernant les pratiques à l’égard des divers OEM et de MSH », de l’arrêt initial (points 437 à 1522 dudit arrêt).

87      S’agissant des constatations relatives aux restrictions non déguisées, Intel et ACT font valoir, dans leurs observations principales, qu’il ressort de l’arrêt sur pourvoi que la Commission aurait dû examiner, dans la décision attaquée, si les restrictions non déguisées étaient susceptibles de produire les effets d’éviction reprochés à la requérante en faisant application des éléments énumérés au point 139 de l’arrêt sur pourvoi et du test AEC. ACT ajoute que les restrictions non déguisées constitueraient, en dernière analyse, une forme de rabais ou de paiement d’exclusivité et que le principe de la sécurité juridique commanderait de ne pas distinguer ces deux pratiques tarifaires.

88      Il convient de souligner d’emblée qu’il ressort des considérants 1641 et suivants de la décision attaquée qu’une distinction a été établie entre les actions d’Intel envers Acer, HP et Lenovo, qui sont qualifiées de restrictions non déguisées, et les autres agissements d’Intel relevant, quant à eux, du test AEC effectué dans la décision attaquée. À cet égard, force est de constater que cette distinction vient du fait que les restrictions non déguisées reposent sur deux piliers, dont le second les différencie des autres actions d’Intel visées dans la décision attaquée. En effet, outre le fait que des rabais ou des paiements ont été proposés par Intel aux OEM concernés (respectivement HP, Acer et Lenovo), des abstentions spécifiques d’agir leur étaient demandées, comme contrepartie desdits paiements, à savoir d’annuler ou de restreindre d’une manière ou d’une autre la commercialisation de certains produits équipés de CPU d’AMD.

89      Plus particulièrement, ainsi que ces pratiques ont été décrites par le Tribunal au point 198 de l’arrêt initial, l’octroi des paiements par Intel était soumis aux conditions suivantes :

–        premièrement, HP devait orienter ses ordinateurs de bureau destinés aux entreprises et équipés de CPU x86 d’AMD vers les petites et moyennes entreprises et le secteur gouvernemental, éducatif et médical, plutôt que vers les grandes entreprises ;

–        deuxièmement, HP devait interdire à ses partenaires de distribution de stocker des ordinateurs de bureau destinés aux entreprises et équipés de CPU x86 d’AMD, de sorte que ces ordinateurs soient uniquement disponibles pour les clients en les commandant à HP soit directement, soit par le biais de partenaires de distribution de HP exerçant une fonction d’agents commerciaux ;

–        troisièmement, Acer, HP et Lenovo devaient reporter ou annuler le lancement d’ordinateurs équipés de CPU d’AMD.

90      Compte tenu de ce qui précède, tout d’abord, le Tribunal constate que rien dans l’arrêt sur pourvoi ne permet de considérer que la Cour ait jugé que la méthode définie aux points 138 et suivants de l’arrêt sur pourvoi doive s’appliquer également aux restrictions non déguisées. De même, il ne découle aucunement de cet arrêt que la Cour ait exigé la réalisation d’un test AEC pour les restrictions non déguisées comme le soutenait la requérante en première instance. Alors même que ces pratiques étaient clairement distinguées tant dans la décision attaquée de la Commission que dans l’arrêt initial du Tribunal, force est de constater que l’arrêt sur pourvoi n’analyse pas ces pratiques telles quelles, mais les mentionne simplement à ses points 11 et 15, dans le contexte des antécédents du litige et du résumé de la procédure devant le Tribunal, sans autre évaluation.

91      Ainsi que l’observe à juste titre la Commission, la façon dont la Cour a, d’une part, résumé le premier moyen du pourvoi et, d’autre part, motivé son appréciation aux points 137 et suivants de son arrêt corrobore la thèse selon laquelle elle n’a aucunement porté une appréciation sur les restrictions non déguisées en cause. Il ressort en effet sans ambiguïté desdits points que la Cour n’y a porté son appréciation que sur les rabais de fidélité au sens de l’arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission (85/76, EU:C:1979:36).

92      Cela apparaît d’autant plus évident à la lecture du point 141 de l’arrêt sur pourvoi, qui précise que, « [s]i, dans une décision constatant le caractère abusif d’un système de rabais, la Commission effectue une [analyse AEC], il appartient au Tribunal d’examiner l’ensemble des arguments de la partie requérante visant à mettre en cause le bien-fondé des constatations faites par la Commission quant à la capacité d’éviction du système de rabais concerné ». En effet, dès lors que la Commission n’a nullement effectué d’analyse AEC s’agissant des restrictions non déguisées et que le Tribunal a, en substance, validé cette approche aux points 198 à 220 de l’arrêt initial, il ne fait aucun doute que la Cour visait le « test juridique » à appliquer aux rabais et aux paiements accordés respectivement aux OEM et à MSH et non aux restrictions non déguisées.

93      Ainsi, contrairement à ce que soutiennent Intel et ACT, il ne ressort pas de l’arrêt sur pourvoi que les restrictions non déguisées devraient être soumises, quant à l’établissement de leur caractère abusif, aux mêmes principes que les rabais litigieux.

94      Ensuite, contrairement à ce que soutient ACT, les restrictions non déguisées telles qu’elles sont identifiées par la Commission se caractérisent par le fait qu’il s’agit de pratiques reposant sur deux piliers, dont le second les différencie des autres actions d’Intel visées dans la décision attaquée, ainsi que cela a été exposé au point 88 ci-dessus. Partant, le principe de sécurité juridique ne s’oppose pas à ce que les rabais conditionnels et les restrictions non déguisées soient soumis à des tests juridiques différents, au motif qu’une distinction entre ces deux types de comportement ne serait pas susceptible d’être appliquée d’une manière cohérente par les autorités et les juridictions compétentes.

95      Enfin, dans leurs observations principales et complémentaires, Intel et ACT ne font valoir aucun argument de nature à démontrer que certains éléments factuels examinés dans l’arrêt initial et relatifs aux restrictions non déguisées devraient être réexaminés à la suite du renvoi.

96      Dans ces conditions, le Tribunal estime qu’il y a lieu de reprendre à son compte les constatations figurant aux points 198 à 220, 799 à 873, 1043 à 1144, 1222 à 1361 et 1371 de l’arrêt initial, uniquement en ce qu’elles concernent les restrictions non déguisées et leur caractère illégal au regard de l’article 102 TFUE.

97      S’agissant des appréciations portant sur la qualification des rabais litigieux de « rabais d’exclusivité » contenues sous le titre II, point D, de l’arrêt initial, le Tribunal estime également qu’il convient de les reprendre à son compte. Premièrement, elles n’ont pas fait l’objet d’un examen dans les motifs de l’arrêt sur pourvoi et ne peuvent donc pas être considérées comme un point de droit tranché par la décision de la Cour, au sens de l’article 61, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Deuxièmement, force est de constater, à l’instar de la Commission lors de l’audience de 2020, que la requérante n’a apporté aucun argument de nature à démontrer que certains éléments factuels examinés dans l’arrêt initial aux fins de la qualification des rabais litigieux de « rabais d’exclusivité » devraient être réexaminés, notamment à la suite des précisions apportées dans l’arrêt sur pourvoi quant aux principes posés dans l’arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission (85/76, EU:C:1979:36).

98      Dans ces conditions, le Tribunal estime qu’il y a lieu de reprendre à son compte les considérations figurant sous le titre II, point D, de l’arrêt initial selon lesquelles la Commission, dans la décision attaquée, a établi que, premièrement, la requérante avait signalé à Dell que, de décembre 2002 à décembre 2005, le niveau des rabais consenti en vertu d’un programme d’alignement sur la concurrence (Meet Competition Programme) était soumis à une condition d’exclusivité (arrêt initial, points 444 à 584), deuxièmement, les deux accords conclus entre la requérante et HP entre novembre 2002 et mai 2005 (ci-après les « accords HPA ») consistaient en des rabais d’exclusivité (arrêt initial, points 673 à 798), troisièmement, la requérante avait accordé des rabais d’exclusivité à NEC entre octobre 2002 et novembre 2005 (arrêt initial, points 900 à 1018), quatrièmement, la requérante et Lenovo avaient conclu une déclaration d’intention, le Memorandum of Understanding de 2007 (ci-après le « MoU 2007 »), qui était soumise à une condition non écrite d’exclusivité (arrêt initial, points 1045 à 1208) et, cinquièmement, la requérante avait accordé des paiements à MSH entre octobre 2002 et décembre 2007 dont le niveau était conditionné au fait que MSH vende exclusivement des ordinateurs équipés de CPU d’Intel (arrêt initial, points 1372 à 1502).

99      Il convient d’ajouter que les considérations visées au point 98 ci-dessus sont reprises sous réserve de deux précisions.

100    Tout d’abord, celles des considérations visées au point 98 ci-dessus selon lesquelles la Commission n’était pas tenue de quantifier de manière exacte la partie des rabais constituant la contrepartie d’une exclusivité (arrêt initial, points 453, 538, 916 et 1500) ne valent que dans la mesure où elles interviennent au soutien de la qualification des rabais litigieux de « rabais d’exclusivité ».

101    Ensuite, le Tribunal étant lié par le point de droit tranché par la Cour dans l’arrêt sous pourvoi exposé au point 84 ci-dessus, il reprend à son compte les considérations visées au point 98 ci-dessus à l’exclusion de celles dont il ressort, d’une part, que l’application du test AEC n’était pas nécessaire dans le cadre de l’analyse de la capacité des rabais litigieux de restreindre la concurrence et, d’autre part, que la qualification des rabais litigieux de rabais d’exclusivité suffisait à les qualifier également d’abusifs au titre de l’article 102 TFUE.

102    Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de considérer, en réponse aux arguments des parties, que l’objet du litige porte, en substance, sur l’analyse par le Tribunal de la capacité des rabais litigieux de restreindre la concurrence à la lumière, d’une part, des précisions apportées quant aux principes posés dans l’arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission (85/76, EU:C:1979:36), contenues aux points 133 et suivants de l’arrêt sur pourvoi et, d’autre part, des observations des parties sur les conclusions à tirer de ces précisions.

 Sur les arguments de la Commission relatifs à la recevabilité de certains arguments contenus dans les observations principales de la requérante et d’ACT

103    Dans ses observations complémentaires, la Commission fait valoir que les observations principales de la requérante sont dans une large mesure irrecevables ou, à tout le moins, dénuées de pertinence. Selon elle, le véritable rôle des observations formulées en vertu de l’article 217 du règlement de procédure est de commenter les effets que l’arrêt sur pourvoi aura dans le cadre du renvoi. Or, compte tenu du fait qu’il a été considéré dans l’arrêt sur pourvoi que l’absence d’examen des arguments avancés par Intel concernant le test AEC était une erreur, mais qu’aucune conclusion n’a été tirée quant au bien-fondé du test AEC figurant dans la décision attaquée, il n’y a rien dans l’arrêt sur pourvoi qui justifierait que la requérante ait consacré l’essentiel de ses observations à répéter les arguments avancés au sujet du test AEC.

104    La Commission fait également valoir que l’arrêt sur pourvoi ne constitue pas un élément nouveau justifiant que la requérante puisse modifier ou étendre les griefs formulés dans le cadre de la procédure ayant donné lieu à l’arrêt initial et soutient, à ce titre, que certains arguments figurant dans les observations principales de la requérante ou d’ACT sont irrecevables.

105    À cet égard, il y a lieu de rappeler la jurisprudence constante selon laquelle, aux termes de l’article 76, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure, la partie requérante a l’obligation de définir l’objet du litige et de présenter ses conclusions dans l’acte introductif d’instance (voir arrêt du 20 mai 2009, VIP Car Solutions/Parlement, T‑89/07, EU:T:2009:163, point 110 et jurisprudence citée). Par ailleurs, selon l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable en vertu de l’article 218 de ce même règlement, lorsque le Tribunal est saisi, comme en l’espèce, par un arrêt de renvoi de la Cour, la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite, à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit ou de fait qui se sont révélés au cours de la procédure. Si l’article 84, paragraphe 2, dudit règlement permet, dans certaines circonstances, la production de moyens nouveaux en cours d’instance, cette disposition ne peut, en aucun cas, être interprétée comme autorisant la partie requérante à saisir le juge de l’Union de conclusions nouvelles et à modifier ainsi l’objet du litige ou la nature du recours (arrêts du 20 mai 2009, VIP Car Solutions/Parlement, T‑89/07, EU:T:2009:163, point 110, et du 13 juin 2012, Insula/Commission, T‑246/09, non publié, EU:T:2012:287, points 100 et 103).

106    Il en résulte que, après un arrêt de renvoi de la Cour, les parties ne sont pas recevables, en principe, à invoquer des moyens qui n’auraient pas été soulevés au cours de la procédure ayant donné lieu à l’arrêt du Tribunal annulé par la Cour (arrêt du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/UFEX e.a., C‑341/06 P et C‑342/06 P, EU:C:2008:375, point 71). Seul un moyen qui constitue l’ampliation d’un moyen énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête introductive d’instance et qui présente un lien étroit avec celui-ci doit être déclaré recevable (arrêt du 11 mars 2020, Commission/Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy Gdynia Kosakowo, C‑56/18 P, EU:C:2020:192, point 66).

107    Il convient également de rappeler que seuls les arguments d’une partie intervenante qui s’inscrivent dans le cadre défini par les conclusions et les moyens des parties principales sont recevables (arrêt du 4 février 2020, Uniwersytet Wrocławski et Pologne/REA, C‑515/17 P et C‑561/17 P, EU:C:2020:73, point 51).

108    En l’espèce, le recours dans l’affaire T‑286/09 a été délimité sur la base de la requête, évoquée au point 36 ci-dessus.

109    À ce titre, il convient de relever que, dans la requête, la requérante a fait valoir que, dans la décision attaquée, la Commission avait commis une série d’« erreurs manifestes » lors de l’application du test AEC, puis a détaillé ses allégations au sujet desdites erreurs s’agissant des rabais et des paiements octroyés respectivement à Dell, à Lenovo, à HP, à NEC et à MSH. Dès lors, l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure ne s’oppose pas à ce que la requérante consacre l’essentiel de ses observations principales à répéter les arguments de la requête relatifs au test AEC, ou même à procéder à une ampliation desdits arguments. En effet, une telle pratique ne saurait être assimilée à la production de moyens nouveaux en cours d’instance.

110    Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter l’argument de la Commission tiré de l’article 217 du règlement de procédure selon lequel les observations principales de la requérante sont dans une large mesure irrecevables ou, à tout le moins, dénuées de pertinence.

111    En revanche, la Commission fait valoir à juste titre que, malgré le fait que, en vertu de l’article 61 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le Tribunal soit lié par l’interprétation du droit effectuée par l’arrêt sur pourvoi, il n’en demeure pas moins que le Tribunal est également lié par les moyens soulevés par la requérante dans la requête et que le pourvoi ne constitue pas, en tant que tel, un élément nouveau justifiant une modification ou une extension des griefs d’Intel contre la décision attaquée. C’est également à bon droit que la Commission soutient qu’ACT ne peut pas faire valoir, à la suite du renvoi, des arguments au soutien de la requérante qui ne correspondraient pas à des moyens soulevés par cette dernière dans la requête.

112    Les allégations de la Commission selon lesquelles certains arguments formulés dans les observations principales de la requérante ou dans les observations principales d’ACT auraient modifié ou étendu les griefs formulés dans le cadre de la procédure ayant donné lieu à l’arrêt initial seront, si cela se révèle nécessaire aux fins de la résolution de la présente affaire, examinées ultérieurement dans le présent arrêt (voir notamment points 401 et 506 ci-après).

 Sur le fond

 Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée

113    La requérante, soutenue par ACT, fait valoir que la décision attaquée doit être annulée, au motif que, premièrement, elle est fondée sur une analyse juridique erronée, deuxièmement, elle n’a pas dûment analysé et tenu compte des critères mentionnés au point 139 de l’arrêt sur pourvoi et, troisièmement, elle contient une analyse AEC entachée de nombreuses erreurs.

114    La Commission, quant à elle, fait valoir, en substance, que la décision attaquée doit être maintenue dans son intégralité, au motif que, premièrement, elle est conforme à l’approche adoptée par l’arrêt sur pourvoi, deuxièmement, elle a pris en compte l’ensemble des critères visés au point 139 de cet arrêt et, troisièmement, l’analyse AEC n’est entachée d’aucune erreur.

115    En l’espèce, ainsi que cela a été précisé au point 102 ci-dessus, le Tribunal est tenu d’examiner, à la lumière de l’arrêt sur pourvoi, le bien-fondé des moyens et des arguments invoqués par la requérante afin de nier la capacité des rabais litigieux de restreindre la concurrence. À cette fin, il y a lieu, dans un premier temps, de rappeler la méthode définie par la Cour aux fins d’analyser si des rabais, tels que ceux en cause en l’espèce, sont susceptibles de restreindre la concurrence et, dans un second temps, d’en tirer les principaux enseignements.

I.      Sur la méthode définie par la Cour pour apprécier la capacité d’un système de rabais de restreindre la concurrence

116    En premier lieu, la Cour a rappelé, aux points 133 à 137 de l’arrêt sur pourvoi, quelles étaient la nature et la finalité de l’article 102 TFUE. En faisant notamment référence à l’arrêt du 27 mars 2012, Post Danmark (C‑209/10, EU:C:2012:172), la Cour a, en substance, souligné que la concurrence par les mérites pouvait conduire à évincer du marché les concurrents moins efficaces (arrêt sur pourvoi, point 134), tout en rappelant la responsabilité particulière qui incombait aux entreprises en position dominante afin de ne pas porter atteinte à une concurrence effective et non faussée (arrêt sur pourvoi, point 135). Par ailleurs, elle a souligné que toute concurrence par les prix ne pouvait être considérée comme légitime (arrêt sur pourvoi, point 136).

117    En deuxième lieu, au point 137 de l’arrêt sur pourvoi, la Cour a rappelé sa jurisprudence constante issue de l’arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission (85/76, EU:C:1979:36) (ci-après la « jurisprudence Hoffmann-La Roche »), selon laquelle, en substance, les rabais de fidélité constituaient une exploitation abusive d’une position dominante au sens de l’article 102 TFUE.

118    En troisième lieu, la Cour a toutefois jugé, au point 138 de l’arrêt sur pourvoi, que la jurisprudence Hoffmann-La Roche devait être précisée dans le cas où une entreprise en position dominante « sout[enai]t, au cours de la procédure administrative, éléments de preuve à l’appui, que son comportement n’a[vait] pas eu la capacité de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire les effets d’éviction reprochés ».

119    Dans une telle hypothèse, la Cour a indiqué, au point 139 de l’arrêt sur pourvoi, quels étaient les critères à prendre en compte pour établir une infraction à l’article 102 TFUE. Selon la Cour, la Commission est tenue d’analyser, premièrement, l’importance de la position dominante de l’entreprise sur le marché pertinent, deuxièmement, le taux de couverture du marché par la pratique contestée, troisièmement, les conditions et les modalités d’octroi des rabais en cause et, quatrièmement, leur durée et leur montant, mais elle est également tenue d’apprécier, cinquièmement, l’existence éventuelle d’une stratégie visant à évincer les concurrents au moins aussi efficaces.

120    En quatrième lieu, au point 141 de l’arrêt sur pourvoi, la Cour a jugé que, « si, [comme en l’espèce], dans une décision constatant le caractère abusif d’un système de rabais, la Commission effectu[ait] une [analyse de la capacité d’éviction], il appart[enai]t au Tribunal d’examiner l’ensemble des arguments de la partie requérante visant à mettre en cause le bien-fondé des constatations faites par la Commission quant à la capacité d’éviction du système de rabais concerné ».

121    En cinquième lieu, au point 142 de l’arrêt sur pourvoi, la Cour a relevé que, bien que la Commission ait souligné dans la décision attaquée que « les rabais [litigieux] avaient, par leur nature même, la capacité de restreindre la concurrence, de sorte qu’une analyse de l’ensemble des circonstances de l’espèce et, en particulier, un test AEC n’étaient pas nécessaires pour constater un abus de position dominante (voir, notamment, points 925 et 1760 de cette décision), [elle] a[vait] néanmoins opéré un examen approfondi de ces circonstances, en consacrant, aux points 1002 à 1576 de cette décision, des développements très détaillés à son analyse menée dans le cadre du test AEC, analyse qui l’a[vait] conduite à conclure, aux points 1574 et 1575 de ladite décision, qu’un concurrent aussi efficace aurait dû pratiquer des prix qui n’auraient pas été viables et que, partant, la pratique de rabais en cause était susceptible d’avoir des effets d’éviction d’un tel concurrent ».

122    C’est la raison pour laquelle la Cour en a conclu, aux points 143 et 144 de l’arrêt sur pourvoi, que, dès lors que le test AEC avait revêtu une importance réelle dans l’appréciation par la Commission de la capacité de la pratique des rabais litigieux de produire un effet d’éviction de concurrents aussi efficaces, le Tribunal était tenu d’examiner l’ensemble des arguments d’Intel formulés au sujet du test AEC appliqué par la Commission dans la décision attaquée, ce qu’il s’était abstenu de faire.

II.    Sur les principes découlant de l’arrêt sur pourvoi

123    À l’instar des parties, il y a lieu de relever que l’arrêt sur pourvoi précise la jurisprudence Hoffmann-La Roche, dont il est possible de tirer trois enseignements.

124    Premièrement, il ressort des points 137 et 138 de l’arrêt sur pourvoi que, si un système de rabais instauré par une entreprise en position dominante sur le marché peut être qualifié de restriction de concurrence, dès lors que, compte tenu de sa nature, ses effets restrictifs sur la concurrence peuvent être présumés, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit, à cet égard, d’une présomption simple et non d’une violation per se de l’article 102 TFUE, dispensant la Commission en toute hypothèse d’en examiner les effets.

125    Deuxièmement, la Cour a jugé que, dans l’hypothèse où une entreprise en position dominante « soutient, au cours de la procédure administrative, éléments de preuve à l’appui, que son comportement n’a pas eu la capacité de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire les effets d’éviction [qui lui sont] reprochés », la Commission doit analyser la capacité d’éviction du système de rabais en appliquant les cinq critères énoncés au point 139 de l’arrêt sur pourvoi (voir point 119 ci-dessus). Eu égard au libellé du point 139 de l’arrêt sur pourvoi, la Commission est, au minimum, tenue d’examiner ces cinq critères aux fins d’apprécier la capacité d’éviction d’un système de rabais, tel que celui en cause, en l’espèce.

126    Enfin, troisièmement, il y a lieu de souligner que, si la Cour n’a pas jugé qu’un test AEC devait nécessairement être réalisé pour examiner la capacité d’éviction de tout système de rabais, il découle de l’arrêt sur pourvoi, en substance, que, lorsqu’un test AEC a été effectué par la Commission, il fait partie des éléments dont elle doit tenir compte pour apprécier la capacité du système de rabais de restreindre la concurrence.

127    C’est à la lumière de ces enseignements et de la méthode définie par la Cour que le Tribunal examinera les moyens et les arguments soulevés par la requérante pour contester la capacité des rabais litigieux de restreindre la concurrence, en commençant d’abord par l’appréciation du bien-fondé de l’argument de la requérante et d’ACT selon lequel, en substance, la décision attaquée serait fondée sur une analyse juridique erronée susceptible, à elle seule, d’entraîner son annulation.

III. Sur le bien-fondé des arguments soulevés par la requérante et ACT

A.      Sur l’argument selon lequel la décision attaquée serait fondée sur une analyse juridique erronée

128    Premièrement, tout comme elles le faisaient valoir en première instance, la requérante et ACT soutiennent que la Commission s’est appuyée sur une analyse juridique entachée d’une erreur fondamentale qui a eu des conséquences sur l’ensemble de la décision attaquée et doit, à elle seule, entraîner son annulation.

129    Selon la requérante et ACT, le constat d’une infraction dans la décision attaquée ne peut être maintenu que s’il peut être démontré qu’il se fonde sur une analyse juridique qui correspond à celle décrite aux points 138 et 139 de l’arrêt sur pourvoi. Or, il ne ferait aucun doute, selon elles, que tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, au lieu d’interpréter la jurisprudence Hoffmann-La Roche, en ce sens qu’elle crée une simple présomption d’illégalité, la Commission s’est contentée de constater que les rabais litigieux étaient par nature abusifs, si bien qu’il n’aurait pas été nécessaire d’examiner et, a fortiori, de tenir compte de leur capacité d’éviction pour conclure à leur caractère abusif.

130    Deuxièmement, ACT ajoute, en substance, que, quand bien même la décision attaquée comporterait des constatations relatives à la capacité des rabais litigieux de restreindre la concurrence, de telles constatations additionnelles ne faisaient aucunement partie de l’analyse juridique effectuée afin d’établir que ces rabais étaient abusifs et enfreignaient l’article 102 TFUE. En outre, elle observe que la Commission aurait considéré que des critères tels que la couverture du marché, la durée des rabais et le montant de ceux-ci n’étaient pas pertinents pour établir l’existence d’un abus, confirmant qu’ils n’avaient pas été pris en considération à cette fin. Or, à la lumière de la méthode définie dans l’arrêt sur pourvoi, cela serait suffisant pour considérer que l’ensemble de l’analyse de la décision attaquée serait entaché d’une erreur, justifiant son annulation.

131    La Commission conteste le bien-fondé de l’argument selon lequel la décision attaquée serait fondée sur une analyse juridique erronée susceptible, à elle seule, d’entraîner son annulation.

132    Lors de l’audience de 2020, en réponse à une question du Tribunal, la Commission a, en substance, souligné que la décision attaquée reposait principalement sur une interprétation classique de la jurisprudence Hoffman-La Roche. C’est pourquoi elle a fait valoir dans ses écritures en première instance que la décision attaquée n’avait pas besoin de s’appuyer sur le test AEC, au motif que cela était sans pertinence. Elle a cependant observé que la Cour avait indiqué, au point 143 de l’arrêt sur pourvoi, que le test AEC avait revêtu une réelle importance dans son appréciation de la capacité de la pratique de rabais en cause de produire un effet d’éviction de concurrents aussi efficaces, ce qui était cohérent avec le considérant 925 de la décision attaquée. Enfin, la Commission a, en substance, observé que, bien qu’elle ne se soit pas appuyée en premier lieu sur le test AEC dans la décision attaquée, ce test avait été effectué de façon complémentaire et avait permis de démontrer que les rabais litigieux étaient capables de conduire à une éviction anticoncurrentielle.

133    À cet égard, il y a lieu de souligner d’emblée qu’il est constant, en l’espèce, que la requérante a soutenu, au cours de la procédure administrative, éléments de preuve à l’appui, que son comportement n’avait pas eu la capacité de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire les effets d’éviction qui lui étaient reprochés obligeant, ainsi que cela ressort des points 138 et 139 de l’arrêt sur pourvoi, la Commission à analyser la capacité d’éviction du système de rabais. Par ailleurs, il convient de constater qu’il ressort notamment des considérants 920 à 926, 950, 972, 981, 989, 1000 et 1001 de la décision attaquée ainsi que des explications fournies par la Commission dans ses écritures en première instance et lors de l’audience de 2020 que la Commission a considéré que, eu égard aux principes découlant de l’arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission (85/76, EU:C:1979:36), il n’était pas nécessaire de démontrer une capacité d’éviction des rabais litigieux pour établir une infraction à l’article 102 TFUE, dès lors que ces derniers étaient par nature anticoncurrentiels.

134    En premier lieu, s’agissant des considérants susmentionnés de la décision attaquée, figurant tous dans la partie de cette décision traitant de la conditionnalité des rabais et précédant l’analyse AEC, la Commission a notamment indiqué au considérant 923 de la décision attaquée que, « [c]ontrairement à ce que sout[enai]t Intel, la preuve d’une éviction réelle ne d[eva]it […] pas être apportée » et que, « [e]n outre, une violation de l’article [102 TFUE] p[ouvai]t également résulter de l’objet anticoncurrentiel des pratiques poursuivies par une entreprise dominante ».

135    En outre, au considérant 925 de la décision attaquée, la Commission a affirmé ce qui suit :

« Si les constats qui précèdent sont, en l’absence de toute justification objective, en eux-mêmes suffisants pour constater une infraction au titre de l’article [102 TFUE] aux termes de la jurisprudence, la Commission démontrera également, dans les sections 4.2.3 à 4.2.6, que, en plus de remplir les conditions définies par la jurisprudence visées aux considérants 920, 921 et 923, les rabais conditionnels qu’Intel a consentis à Dell, HP, NEC et Lenovo, et les paiements conditionnels consentis à MSH, étaient en mesure ou susceptibles de produire un effet d’éviction (susceptible de porter préjudice aux consommateurs). Bien que non indispensable à la démonstration d’une infraction à l’article [102 TFUE] aux termes de la jurisprudence, une façon possible de démontrer que les rabais et les paiements d’Intel étaient en mesure ou susceptibles de provoquer l’éviction de concurrents est de conduire une analyse du concurrent aussi efficace (section 4.2.3). Sur la base des résultats de cette analyse et des éléments de preuve qualitatifs et quantitatifs (sections 4.2.4 et 4.2.5), et compte tenu de l’absence de justification objective et de gains d’efficacité (section 4.2.6), la Commission conclut que les rabais conditionnels octroyés par Intel à Dell, HP, NEC et Lenovo, ainsi que les paiements conditionnels d’Intel à MSH, constituaient une pratique abusive au titre de l’article [102 TFUE] qui mérite l’attention particulière de la Commission. »

136    Au considérant 926  de la décision attaquée, lequel introduit l’analyse de la nature et du fonctionnement des rabais effectuée par la Commission, il est indiqué notamment que, « bien que cela ne soit pas indispensable aux termes de la jurisprudence visée aux considérants 920, 921 et 923 [de ladite décision], la Commission démontrera que les systèmes de rabais conditionnels empêchaient ou rendaient plus difficile pour chacun de ces équipementiers informatiques de s’approvisionner auprès d’AMD en [CPU] x86 [et] montrera de quelle façon les systèmes de paiements conditionnels accordés à MSH constituaient un moyen d’inciter MSH à vendre exclusivement des ordinateurs de bureau équipés de [CPU] d’Intel, et empêchaient ou rendaient plus difficile la vente par MSH d’ordinateurs de bureau équipés de [CPU] d’AMD ».

137    Quant aux considérants 950 (concernant Dell), 972 (concernant HP), 981 (concernant NEC), 989 (concernant Lenovo) et 1000 (concernant MSH) de la décision attaquée,  concluant l’analyse de la conditionnalité des rabais accordés à chaque OEM ou à MSH, la Commission a systématiquement estimé, tout d’abord, qu’il y avait lieu de considérer que le montant des rabais ou des paiements accordés par Intel à ces OEM ou à MSH était de facto lié à la condition qu’ils se fournissent auprès d’Intel pour la totalité de leurs besoins en CPU x86, ensuite, que ces rabais ou ces paiements remplissaient les conditions établies par la jurisprudence visée aux considérants 920, 921 et 923 de la décision attaquée pour les qualifier d’abusifs et, enfin, que ces rabais ou ces paiements avaient pour effet de restreindre la liberté des OEM ou de MSH de choisir leur source d’approvisionnement en CPU x86 et d’empêcher d’autres concurrents de fournir ces OEM ou MSH en CPU x86.

138    Enfin, au considérant 1001  de la décision attaquée,  concluant l’analyse de la section 4.2.2, intitulée, « Nature et fonctionnement des rabais », la Commission a considéré ce qui suit :

« Compte tenu des éléments de preuve présentés aux sections 4.2.2.2 à 4.2.2.6 [lesquelles portent sur la nature et le fonctionnement des rabais pour les OEM et MSH] et de la jurisprudence rappelée à la section 4.2.1 [à savoir la jurisprudence Hoffmann-La Roche], il est conclu que le montant des rabais consentis par Intel à Dell, HP et NEC, du quatrième trimestre de 2002 à décembre 2005, était de facto lié à la condition que ces clients s’approvisionnent en CPU x86 exclusivement (Dell) ou, dans des segments déterminés, quasi exclusivement (HP et NEC), auprès d’Intel […] Les rabais et les paiements en question constituent des rabais de fidélité qui remplissent les conditions établies par la jurisprudence pertinente pour être qualifiés d’abusifs (voir considérants 920, 921 et 923). En outre, ils avaient pour effet de restreindre la liberté de choix des équipementiers informatiques respectifs et de MSH. »

139    En second lieu, s’agissant des explications fournies par la Commission dans ses écritures en première instance et lors de l’audience de 2020, la Commission a indiqué, premièrement, au point 144 du mémoire en défense, ce qui suit :

« Contrairement à ce qu’affirme la requérante […], il ressort de la structure et du texte de la décision que la Commission ne doit pas nécessairement prouver les effets potentiels des pratiques d’Intel. Les considérants 920 à 925 expliquent très clairement le rôle de l’analyse AEC dans le cadre de la décision [attaquée], ne laissant aucun doute quant au fait que l’analyse des considérants précédents établit, en l’absence d’une justification objective, le caractère illégal des rabais et des paiements d’exclusivité d’Intel, en ce que ceux-ci constituent des rabais de fidélité au sens de [la jurisprudence] Hoffmann-La Roche et poursuivent un objectif anticoncurrentiel ou s’inscrivent dans une stratégie anticoncurrentielle. Pour chacune de ces raisons, la décision [attaquée] conclut (au considérant 925) qu’il n’était pas nécessaire d’établir le potentiel effet d’éviction des rabais et paiements d’exclusivité d’Intel pour déterminer que ces pratiques allaient à l’encontre de l’article 102 [TFUE]. »

140    Deuxièmement, au point 145 du mémoire en défense, elle a souligné que la « décision attaquée (au considérant 925) dispos[ait] clairement [qu’elle] n’établi[ssai]t les effets potentiels des rabais d’Intel qu’en vue de démontrer que ces pratiques méritaient [son] attention particulière ».

141    Troisièmement, au point 283 du mémoire en défense, la Commission a fait valoir que, « contrairement aux allégations de la requérante, [elle] n’était pas tenue de démontrer que les rabais d’exclusivité d’Intel étaient en mesure d’évincer un concurrent aussi efficace » et que, « [a]insi qu[’il est] mentionné aux considérants 925 et 926 de la décision [attaquée], [s]es constatations […] quant aux effets potentiels des rabais d’exclusivité d’Intel sur le marché ne faisaient pas partie de l’analyse juridique réalisée pour établir leur nature abusive, mais étaient plutôt l’un des facteurs qui [l’avaie]nt conduite […] à conclure que l’infraction méritait son attention particulière ».

142    Quatrièmement, au point 109 de la duplique, la Commission a relevé que, « [c]omme [cela est] indiqué dans la décision [attaquée], les efforts consacrés à l’analyse [AEC] ne d[evai]ent pas être considérés comme une indication [qu’elle] entendait s’écarter d’une jurisprudence de longue date sur les rabais de fidélité ».

143    Enfin, cinquièmement, s’agissant du taux de couverture, de la durée et du montant des rabais, la Commission a, tout d’abord, souligné au point 68 de la duplique que la « question que soul[evait] Intel au sujet de la durée n’[était] pas pertinente en droit », dès lors que, « [en effet, la décision dans l’affaire Hoffmann-La Roche n’a[vait] pas considéré la durée comme un facteur pertinent aux fins de [son] appréciation […] du caractère abusif du comportement » relevé. Ensuite, au point 166 du mémoire en défense, elle a relevé que « l’argument de la requérante [selon lequel elle aurait omis de tenir compte de l’ampleur des rabais] pass[ait] à côté de sa cible[,] [au motif que,] comme cela [était] dit au considérant 1620 [de la décision attaquée], ce n’[était] pas l’ampleur des rabais qui [était] mise en cause dans la décision[,] mais l’exclusivité en contrepartie de laquelle ils [avaie]nt été octroyés, de même que l’objectif anticoncurrentiel qu’ils poursuivaient ». Enfin, aux points 169 et 170 du même mémoire, la Commission a fait valoir que « [s]i Intel entend[ait] faire valoir que ses rabais d’exclusivité n’[avaie]nt restreint la concurrence que pour certains types [de CPU] x86, [elle] [se serait attendue] plutôt à trouver de tels propos dans la section de la requête consacrée au montant des amendes », dès lors que « rien dans la jurisprudence relative aux rabais de fidélité n’indiqu[ait] que leur caractère illicite dépend[ait] du fait qu’ils couvr[ai]ent le marché dans son ensemble ou “seulement” un segment de celui-ci ».

144    Il découle donc des points 134 à 143 ci-dessus que la Commission a déduit de la jurisprudence Hoffmann-La Roche, premièrement, que les rabais litigieux étaient par nature anticoncurrentiels, si bien qu’il n’y avait aucune nécessité de démontrer une capacité d’éviction pour établir une infraction à l’article 102 TFUE. Deuxièmement, bien que la décision attaquée contienne une analyse additionnelle de la capacité d’éviction desdits rabais, la Commission a estimé que, en vertu de cette jurisprudence, elle n’était pas tenue de prendre en compte cette analyse pour conclure au caractère abusif de ces rabais. Enfin, troisièmement, toujours en se fondant sur cette même jurisprudence, la Commission a notamment jugé sans pertinence un certain nombre de critères aux fins d’établir l’existence d’un abus.

145    Or, force est de constater que cette position n’est pas conforme à la jurisprudence Hoffman-La Roche, telle qu’elle est précisée par la Cour aux points 137 à 139 de l’arrêt sur pourvoi. Il y a donc lieu de considérer que la requérante et ACT soutiennent à juste titre que, en partant de la prémisse selon laquelle, en substance, la jurisprudence Hoffman-La Roche lui permettait de se limiter à constater que les rabais litigieux enfreignaient l’article 102 TFUE, au motif qu’ils étaient par nature abusifs, sans devoir nécessairement tenir compte de la capacité de ces rabais de restreindre la concurrence pour conclure à leur caractère abusif, la Commission a entaché la décision attaquée d’une erreur de droit.

146    La Commission a, certes, affirmé au considérant 925 de la décision attaquée qu’elle avait également démontré que les rabais qu’Intel avait accordés aux OEM ainsi que les paiements conditionnels accordés à MSH étaient en mesure ou susceptibles de produire un effet d’éviction en procédant à une analyse AEC, exposée à la section 4.2.3 de la décision attaquée, et en tenant compte d’éléments de preuve qualitatifs et quantitatifs, exposés aux sections 4.2.4 et 4.2.5 de cette même décision. Toutefois, il y a lieu de relever qu’il ressort de la décision attaquée que les constatations faites dans les sections 4.2.3 à 4.2.5 de la décision attaquée n’étaient pas considérées comme nécessaires à l’analyse juridique réalisée pour établir le caractère abusif des pratiques d’Intel.

147    Il en résulte que la Commission a, dans la décision attaquée, considéré que le test AEC n’était pas nécessaire aux fins d’apprécier le caractère abusif des pratiques d’Intel et de conclure au caractère abusif desdites pratiques.

148    À cet égard doit être rejeté l’argument invoqué par la Commission lors de l’audience de 2020 selon lequel, en substance, cette conclusion serait en contradiction avec le fait que la Cour a affirmé, au point 143 de l’arrêt sur pourvoi, que le test AEC avait revêtu une réelle importance dans l’appréciation par la Commission de la capacité de la pratique de rabais en cause de produire un effet d’éviction de concurrents aussi efficaces. En effet, lu à la lumière du point 142 de l’arrêt sur pourvoi, ledit point 143 doit être interprété en ce sens que la Cour a conclu à l’importance du test AEC eu égard aux développements détaillés et au nombre de considérants consacrés au test dans la décision attaquée. En revanche, contrairement à ce que sous-entend la Commission, le libellé du point 143 de l’arrêt sur pourvoi ne corrobore pas la thèse selon laquelle, en substance, la Cour aurait dit pour droit que le test AEC avait fait partie des éléments que la Commission avait considérés comme nécessaires pour conclure au caractère abusif des rabais.

149    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’accueillir l’argument selon lequel la décision attaquée est entachée d’une erreur de droit. Toutefois, comme cela ressort des points 143 et 144 de l’arrêt sur pourvoi, le test AEC a revêtu une importance réelle dans l’appréciation par la Commission de la capacité de la pratique de rabais en cause de produire un effet d’éviction de concurrents aussi efficaces et, dans ces conditions, le Tribunal est tenu d’examiner l’ensemble des arguments d’Intel formulés au sujet de ce test.

B.      Sur l’argument selon lequel la décision attaquée doit être annulée au motif qu’elle contient une analyse AEC entachée de nombreuses erreurs

1.      Sur la portée du contrôle du Tribunal

150    Le système de contrôle juridictionnel des décisions de la Commission relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE consiste en un contrôle de la légalité des actes des institutions établi à l’article 263 TFUE (voir arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission, C‑99/17 P, EU:C:2018:773, point 47 et jurisprudence citée). La portée de ce contrôle s’étend à l’ensemble des éléments des décisions de la Commission relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE, dont le juge de l’Union assure un contrôle approfondi, en droit comme en fait, à la lumière des moyens soulevés par la partie requérante et compte tenu de l’ensemble des éléments pertinents soumis par cette dernière (voir arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission, C‑99/17 P, EU:C:2018:773, point 48 et jurisprudence citée). Il convient de rappeler, toutefois, que les juridictions de l’Union ne peuvent, dans le cadre du contrôle de légalité visé à l’article 263 TFUE, substituer leur propre motivation à celle de l’auteur de l’acte en cause (voir arrêt du 24 janvier 2013, Frucona Košice/Commission, C‑73/11 P, EU:C:2013:32, point 89 et jurisprudence citée).

151    Avant d’examiner le bien-fondé de l’argument de la requérante, il convient, d’une part, d’exposer des considérations générales relatives au test AEC, et d’autre part, de rappeler les règles sur la charge de la preuve et sur le niveau de preuve requis.

2.      Considérations générales sur lanalyse AEC

152    Le point de départ du test AEC, tel qu’il a été défini aux considérants 1003 et suivants de la décision attaquée et appliqué par la Commission dans la présente affaire, est que, compte tenu notamment de la nature de son produit, de son image de marque et de son profil, Intel était un partenaire commercial incontournable et que les OEM auraient toujours acheté au moins une partie de leurs besoins en CPU auprès d’Intel, indépendamment de la qualité de l’offre du fournisseur alternatif. Par conséquent, c’est seulement pour une part du marché que les clients étaient disposés et en mesure de reporter leur approvisionnement sur ce fournisseur alternatif (ci-après la « part disputable »). De cette qualité de partenaire commercial incontournable résultait le pouvoir d’Intel d’utiliser la part non disputable comme un levier pour réduire le prix sur la part disputable du marché.

153    Ainsi que l’a relevé le Tribunal au point 141 de l’arrêt initial, le test AEC effectué dans la décision attaquée part du principe qu’un concurrent aussi efficace, qui cherche à décrocher la part disputable des commandes jusque-là satisfaites par une entreprise dominante, doit offrir une compensation au client pour le rabais d’exclusivité qu’il perdrait s’il achetait une part moindre que celle définie par la condition d’exclusivité ou de quasi-exclusivité. Le test AEC vise à déterminer si le concurrent aussi efficace que l’entreprise en position dominante, qui subit les mêmes coûts que celle-ci, peut toujours couvrir ses coûts dans ce cas.

154    Le test AEC, tel qu’il est appliqué en l’espèce, établit le prix auquel un concurrent aussi efficace qu’Intel aurait dû offrir ses CPU x86 afin de compenser un OEM pour la perte d’un quelconque paiement d’exclusivité octroyé par Intel. Ce prix est dénommé dans le test AEC « prix effectif » ou « PE ».

155    En principe, la partie des rabais totaux, pour laquelle un concurrent aussi efficace doit offrir une compensation, comprend seulement le montant des rabais qui est soumis à la condition d’approvisionnement exclusif en excluant des rabais de quantité (ci-après la « part conditionnelle » des rabais). Ainsi que cela ressort notamment du considérant 1460 de la décision attaquée, pour ne prendre en considération que la part conditionnelle d’un paiement, le test AEC fait référence, en l’espèce, au prix moyen de vente (ci-après le « PVM »), à savoir le prix catalogue, déduction faite des rabais conditionnels.

156    Plus la part disputable et, par conséquent, la quantité des produits avec lesquels le fournisseur alternatif peut entrer en concurrence est petite, plus la probabilité que le paiement d’exclusivité ait la capacité d’évincer un concurrent aussi efficace est grande. En effet, si la perte des paiements octroyés par Intel à son client doit être répartie sur une faible quantité de produits offerts par le fournisseur alternatif sur la part disputable, cela entraîne une réduction sensible du prix effectif. Ce dernier sera donc plus vraisemblablement inférieur à la mesure viable du coût d’Intel.

157    Le prix effectif doit être comparé à la mesure viable du coût d’Intel. La mesure viable du coût d’Intel adoptée dans la décision attaquée est celle du coût évitable moyen  (ci-après le « CEM »).

158    Ainsi qu’il ressort notamment du considérant 1006 de la décision attaquée, il est permis de conclure qu’un système de paiements d’exclusivité est capable de barrer l’accès au marché pour les concurrents aussi efficaces lorsque le prix effectif est inférieur au CEM d’Intel. Il s’agit dans ce cas d’un résultat négatif du test AEC. Si, en revanche, le prix effectif est supérieur au CEM, un concurrent aussi efficace est censé pouvoir couvrir ses coûts et donc être en mesure d’accéder au marché. Dans ce cas, le test AEC aboutit à un résultat positif.

159    C’est à la lumière de ces considérations générales qu’il y a lieu d’examiner le bien-fondé des arguments de la requérante selon lesquels l’analyse AEC est entachée de nombreuses erreurs.

3.      Sur la charge de la preuve et le niveau de preuve requis

160    La requérante se réfère à la jurisprudence du juge de l’Union et souligne, notamment, que les affaires de concurrence revêtent un caractère quasi pénal, ce qui signifierait qu’elles exigent un niveau de preuve élevé et que la présomption d’innocence s’applique.

161    Ainsi qu’il a été rappelé aux points 62 et suivants de l’arrêt initial, selon l’article 2 du règlement no 1/2003, dans toutes les procédures d’application de l’article 102 TFUE, la charge de la preuve d’une violation de cet article incombe à la partie ou à l’autorité qui l’allègue, à savoir, en l’espèce, à la Commission. En outre, selon une jurisprudence bien établie, l’existence d’un doute dans l’esprit du juge doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant une infraction. Le juge ne saurait donc conclure que la Commission a établi l’existence de l’infraction en cause à suffisance de droit si un doute subsiste encore dans son esprit sur cette question, notamment dans le cadre d’un recours tendant à l’annulation d’une décision infligeant une amende (arrêts du 8 juillet 2004, JFE Engineering/Commission, T‑67/00, T‑68/00, T‑71/00 et T‑78/00, EU:T:2004:221, point 177, et du 12 juillet 2011, Hitachi e.a./Commission, T‑112/07, EU:T:2011:342, point 58).

162    En effet, dans cette dernière situation, il est nécessaire de tenir compte du principe de la présomption d’innocence, qui constitue un principe général du droit de l’Union, qui est aujourd’hui énoncé à l’article 48, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (voir arrêt du 22 novembre 2012, E.ON Energie/Commission, C‑89/11 P, EU:C:2012:738, point 72 et jurisprudence citée). Il résulte également de la jurisprudence de la Cour que le principe de la présomption d’innocence s’applique aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à la prononciation d’amendes ou d’astreintes (voir arrêt du 22 novembre 2012, E.ON Energie/Commission, C‑89/11 P, EU:C:2012:738, point 73 et jurisprudence citée).

163    S’il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour fonder la ferme conviction que l’infraction a été commise, il importe de souligner que chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence, ainsi que le retient la jurisprudence concernant la mise en œuvre de l’article 101 TFUE (voir arrêt du 26 janvier 2017, Commission/Keramag Keramische Werke e.a., C‑613/13 P, EU:C:2017:49, point 52 et jurisprudence citée). Ce principe s’applique également dans des affaires concernant la mise en œuvre de l’article 102 TFUE (arrêt du 1er juillet 2010, AstraZeneca/Commission, T‑321/05, EU:T:2010:266, point 477).

164    S’agissant de la force probante des éléments de preuve retenus par la Commission, il convient de distinguer deux situations.

165    D’une part, lorsque la Commission constate une infraction aux règles de concurrence en se fondant sur la supposition que les faits établis ne peuvent pas être expliqués autrement qu’en fonction de l’existence d’un comportement anticoncurrentiel, le juge de l’Union sera amené à annuler la décision en question lorsque les entreprises concernées avancent une argumentation qui donne un éclairage différent aux faits établis par la Commission et qui permet ainsi de substituer une autre explication plausible des faits à celle retenue par la Commission pour conclure à l’existence d’une infraction. En effet, dans un tel cas, il ne saurait être considéré que la Commission a apporté la preuve de l’existence d’une infraction au droit de la concurrence (voir, en ce sens, arrêts du 28 mars 1984, Compagnie royale asturienne des mines et Rheinzink/Commission, 29/83 et 30/83, EU:C:1984:130, point 16, et du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, C‑89/85, C‑104/85, C‑114/85, C‑116/85, C‑117/85 et C‑125/85 à C‑129/85, EU:C:1993:120, points 126 et 127).

166    D’autre part, lorsque la Commission se fonde sur des éléments de preuve qui sont, en principe, suffisants pour démontrer l’existence de l’infraction, il ne suffit pas à l’entreprise concernée d’évoquer la possibilité qu’une circonstance se soit produite qui pourrait affecter la valeur probante de ces éléments de preuve pour que la Commission supporte la charge de prouver que cette circonstance n’a pas pu affecter la valeur probante de ceux-ci. Au contraire, sauf dans les cas où une telle preuve ne pourrait pas être fournie par l’entreprise concernée en raison du comportement de la Commission elle-même, il appartient à l’entreprise concernée d’établir à suffisance de droit, d’une part, l’existence de la circonstance qu’elle invoque et, d’autre part, que cette circonstance met en cause la valeur probante des éléments de preuve sur lesquels se fonde la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 2010, E.ON Energie/Commission, T‑141/08, EU:T:2010:516, point 56 et jurisprudence citée).

4.      Sur le bien-fondé des arguments selon lesquels la décision attaquée serait entachée de nombreuses erreurs quant au test AEC

167    La requérante fait valoir, en substance, que l’analyse AEC effectuée pour tous les OEM et pour MSH comporte de nombreuses erreurs, en particulier s’agissant de la part disputable, de la part conditionnelle des rabais et du CEM. Elle présente des arguments généraux qu’elle précise par la suite par rapport à chaque OEM et à MSH, et ce pour chacun des trois volets susmentionnés.

a)      Arguments généraux sur les prétendues erreurs relatives au test AEC appliqué à Dell

168    Concernant le test AEC effectué par rapport aux rabais accordés à Dell, Intel fait valoir, en substance, que la Commission commet des erreurs lorsqu’elle évalue chacun des trois éléments clés du test AEC, à savoir la part disputable, la part conditionnelle des rabais et les coûts. Selon Intel, dans la plupart des cas, la correction d’une seule de ces erreurs suffirait à démontrer qu’elle répond au critère du test AEC, et ce même si les autres erreurs n’étaient pas corrigées. Intel avance que la Commission sélectionne des données à partir de sources contradictoires pour faire pencher les résultats en sa défaveur et qu’elle exploite les documents de manière sélective et incohérente. Cela serait mis en évidence, notamment, si l’on compare les résultats de l’analyse faite par la Commission dans le cadre du test AEC avec les faits tels qu’ils se sont réellement produits lorsque Dell a commencé à s’approvisionner auprès d’AMD en 2006.

169    En outre, Intel affirme que la Commission admet, dans la décision attaquée, que les rabais ont satisfait au test AEC au cours des quatre premiers trimestres visés (entre décembre 2002 et octobre 2003). En dépit de ce fait, au considérant 1281 de la décision attaquée, la Commission conclurait de manière inexplicable que les rabais accordés par Intel « de décembre 2002 à décembre 2005 » étaient « susceptibles d’exercer, voire qu’il était probable qu’ils aient exercé, des effets d’éviction anticoncurrentiels ». Selon la requérante, la décision attaquée ne tenterait même pas d’expliquer ou de justifier cette incohérence dans son raisonnement.

170    La Commission soutient, en substance, que la décision attaquée montre que les rabais d’exclusivité consentis à l’égard de Dell étaient de nature à évincer un concurrent aussi efficace. Elle n’indiquerait notamment pas que les rabais consentis par Intel à Dell satisfaisaient à l’analyse AEC entre décembre 2002 et octobre 2003. Selon la Commission, les calculs d’Intel se fondaient uniquement sur des hypothèses optimistes qui lui étaient favorables. La Commission soutient qu’Intel n’a pas fourni de documents contemporains étayant ses allégations portant sur la part disputable. Quant aux événements qui ont eu lieu après que Dell a annoncé qu’elle commencerait, à partir de mai 2006, à s’approvisionner partiellement auprès d’AMD, la Commission avance qu’ils confirment les constatations selon lesquelles les rabais consentis par Intel à Dell étaient susceptibles d’avoir un effet d’éviction sur un concurrent aussi efficace qu’Intel. Elle affirme également que le but de l’analyse AEC n’est pas de fournir des prédictions quant à l’évolution effective du marché, mais de déterminer le degré d’incitation économique créé par les systèmes de rabais dans une situation théorique.

1)      Sur l’évaluation de la part disputable

171    La décision attaquée a retenu une part disputable de 7,1 % pour l’analyse AEC relative aux rabais qu’Intel avait accordés à Dell. Selon la Commission, ce chiffre découle d’une feuille de calcul datant de janvier 2004 (ci-après la « feuille de calcul de 2004 ») que Dell lui avait fournie au cours de la procédure administrative.  La Commission a souligné  aux considérants 1202 à 1208 de la décision attaquée que la feuille de calcul de 2004 comprenait notamment une analyse spécifique de la dimension temporelle d’un transfert des approvisionnements vers AMD, alors que les présentations antérieures, dont une datant du 26 février 2003, intitulée « AMD Update – Dimension LOB », et l’autre du 17 mars 2003, intitulée « AMD Update », n’en comportaient pas et, partant, avaient été écartées par elle.

172    Aux considérants 1209 à 1212 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que la feuille de calcul de 2004 constituait un document interne de Dell, présentant des hypothèses, dans lesquelles la relation entre Dell et AMD pouvait évoluer, avec une pénétration d’AMD augmentant dans les différents segments d’activité évalués, cette feuille de calcul devant être lue en combinaison avec la lettre d’accompagnement du 18 avril 2007 adressée par Dell à la Commission, à laquelle ferait référence la note en bas de page no 1542 sous le considérant 1209 de la décision attaquée.

173    La décision attaquée a mis en exergue, aux considérants 1210 à 1213, que, à l’époque de l’élaboration de la feuille de calcul de 2004, un changement de fournisseur des CPU x86 était envisagé par Dell pour certains segments de produits fabriqués. Selon la décision attaquée, compte tenu de l’estimation du volume total dans chacun de ces segments, il est possible de calculer que la part totale d’AMD au cours des quatre années en cause, à savoir des années fiscales 2005 à 2008, s’élèverait à 7,1 % la première année et à 17,3 %, à 22,5 % et à 24,2 % au cours des trois années suivantes. La Commission conclut qu’il était ainsi approprié d’utiliser une part disputable de 7,1 % aux fins de l’analyse du test AEC.

174    Aux considérants 1214 à 1254 de la décision attaquée, la Commission a écarté un certain nombre d’arguments soulevés par Intel concernant la part disputable, portant, premièrement, sur la détermination de la date de départ des calculs dans la feuille de calcul de 2004, deuxièmement, sur la présentation interne de Dell intitulée « MAID status review » du 17 février 2004 (ci-après la « présentation de Dell du 17 février 2004 »), troisièmement, sur les estimations internes d’Intel, quatrièmement, sur le transfert effectif par Dell d’une partie de ses besoins d’approvisionnement vers AMD en 2006 et enfin, cinquièmement, sur les dépositions des dirigeants de Dell dans le cadre de la procédure contentieuse privée opposant AMD et Intel dans l’État du Delaware.

175    Aux considérants 1255 à 1259 de la décision attaquée, la Commission a procédé à une comparaison de la part requise avec la part disputable. En substance, la Commission a pris les 7,1 % indiqués au considérant 1213 de la décision attaquée comme pourcentage pertinent à appliquer pour la part disputable et l’a comparé à la part requise ressortant du tableau no 22 figurant au considérant 1194 de la décision attaquée (ci-après le « tableau no 22 »). Elle a estimé ainsi que pour 9 trimestres sur 13 la part requise était supérieure à la part disputable. Elle a observé que cette conclusion n’était pas infirmée par l’utilisation de l’évaluation faite par Intel du ratio entre le CEM et le PVM, même si le CEM était sous-estimé.

176    La Commission a ensuite rappelé, au considérant 1257 de la décision attaquée, que la valeur de 7,1 % accordée à la part disputable avait été établie sur la base des estimations internes de Dell réalisées en janvier 2004, c’est-à-dire en prévision d’un changement de fournisseur qui aurait pu avoir lieu au plus tôt au cours du premier trimestre de l’exercice fiscal 2005 de Dell, tandis que la part requise correspondante était de 7,9 %. La Commission a encore indiqué, au considérant 1258 de la décision attaquée, les raisons pour lesquelles, avant le premier trimestre de l’exercice fiscal 2005, il était possible que la part disputable ait été inférieure à 7,1 %. Elle a considéré ainsi que la différence entre la part requise et la part disputable au cours des premiers trimestres de la période pertinente pouvait être inférieure à ce qui ressortait de prime abord des chiffres figurant dans le tableau no 22.

177    Aux considérants 1260 à 1265 de la décision attaquée, la Commission fait référence à un certain nombre de facteurs de renforcement qui, s’ils étaient inclus dans l’analyse, renforceraient, selon la décision attaquée, la capacité d’éviction estimée des rabais. Selon la décision attaquée, ces facteurs consistent, en substance, premièrement, en ce que Dell a clairement considéré que toute perte de rabais d’Intel serait également accompagnée d’une augmentation des rabais consentis par Intel aux OEM concurrents de Dell et, deuxièmement, en ce que l’estimation de la part disputable ne tient pas compte du fait que Dell achetait également à Intel des produits autres que les microprocesseurs CPU x86, notamment des jeux de puces.

178    Enfin, aux considérants 1266 à 1280 de la décision attaquée, la Commission a eu recours à une méthode alternative de calcul de la part disputable.

179    Les allégations de la requérante portent, d’une part, sur l’utilisation de la feuille de calcul de 2004 et sur l’appréciation de son contenu par la Commission et, d’autre part, sur certains autres éléments de preuve qui auraient dû, selon elle, servir de base à l’appréciation de la part disputable.

180    En premier lieu, selon la requérante, la Commission ne pouvait fonder son appréciation de la part disputable sur un document dont Intel n’avait pas connaissance. Une telle approche constituerait une violation du principe de sécurité juridique. En outre, l’évaluation de la part disputable sur la base de la feuille de calcul de 2004 serait erronée, du fait que ce chiffre de 7,1 % reposerait uniquement sur huit mois de vente de CPU x86 d’AMD et que l’analyse sélective et incohérente de la feuille de calcul de 2004 priverait les conclusions de la Commission de toute crédibilité. Enfin, la requérante affirme que la décision attaquée admet que les rabais d’Intel en faveur de Dell ont satisfait au test AEC au cours des quatre premiers trimestres visés, c’est-à-dire entre décembre 2002 et octobre 2003.

181    La requérante renvoie, s’agissant de la période prise en compte dans la feuille de calcul de 2004, également aux points 82 à 86 et 121 à 131 du rapport du professeur Shapiro du 4 janvier 2008, soutenant que si Dell avait craint de subir des mesures de représailles de la part d’Intel, à la suite d’un début d’approvisionnement auprès d’AMD, elle aurait évité de faire part de sa décision de faire appel à un concurrent et elle aurait tenu secrète cette décision jusqu’au dernier moment, après avoir conclu un accord avec elle sur les conditions et le pourcentage des rabais du trimestre suivant.

182    Selon la requérante, les points 82 à 86 du rapport du professeur Shapiro du 4 janvier 2008 soulignent l’importance de la date à laquelle la décision a été prise par Dell de procéder à l’achat des CPU x86 auprès d’AMD et cette date est mise en rapport avec celle à laquelle les premières livraisons des CPU x86 d’AMD en faveur de Dell pouvaient réellement avoir lieu. Le professeur Shapiro se fonderait sur la présentation de Dell du 17 février 2004 pour indiquer que ces deux dates auraient pu se situer à trois ou quatre mois d’intervalle (notamment, février 2004 pour la première date et juin 2004 pour la seconde). Selon le professeur Shapiro, en tenant également compte de la date réelle du début d’approvisionnement en CPU x86 d’AMD (et donc du fait que la feuille de calcul de 2004 ne correspondrait, selon lui, qu’à huit mois de la première année indiquée), la part disputable de Dell se situerait plutôt à 10,65 %.

183    En second lieu, la requérante fait valoir, en substance, que l’évaluation de la part disputable dans la décision attaquée est erronée du fait que la Commission a rejeté à tort des éléments de preuve fournis par les dirigeants de Dell démontrant que la part disputable était de loin supérieure à celle retenue par la Commission, entre 12,5 % et 17,5 %, tout comme des éléments de preuve démontrant qu’Intel pensait que la part disputable de Dell oscillait entre 15 et 25 %, et, enfin, les éléments de preuve liés au transfert des approvisionnements de Dell vers AMD en 2006.

184    La Commission répond, en substance, en premier lieu, que la feuille de calcul de 2004 est plus fiable pour évaluer la part disputable que les documents présentés par Intel, puisqu’il s’agirait d’un document contemporain de Dell contenant une analyse quantitative minutieuse et détaillée du transfert potentiel des approvisionnements en CPU x86 de cette entreprise vers AMD.

185    Dans le mémoire en défense, la Commission fait valoir que l’analyse des documents datant de la période comprise entre mai et juillet 2006, donc après l’annonce du transfert partiel des approvisionnements de Dell chez AMD, bien que n’ayant qu’un poids limité par rapport au test AEC effectué dans la décision attaquée, confirme qu’Intel était en position de réduire les rabais accordés à Dell immédiatement après l’annonce du transfert partiel de ses approvisionnements chez AMD, c’est-à-dire quatre mois avant que Dell n’ait commencé à vendre des produits équipés de CPU x86 d’AMD. La Commission indique encore que, alors même qu’il est correct d’affirmer que la feuille de calcul de 2004 ne portait, pour la première année, que sur des plans de ventes de Dell pour des produits équipés de CPU x86 d’AMD commençant après l’écoulement des quatre premiers mois de l’année 2004, Dell s’attendait toutefois à une perte de 50 % des rabais pour l’ensemble de l’année 2004, incluant les quatre mois précédant le début des ventes.

186    La Commission avance également, au point 46 de ses observations principales, ce qui suit :

« [L]a décision attaquée estime que la période pertinente pour l’analyse AEC débute au plus tard lorsqu’Intel aurait été en position de suspendre les rabais consentis à son client. La raison en est simple : lorsque les clients d’Intel ont analysé les avantages et les inconvénients du passage à AMD, ils ont dû prendre en considération la totalité de la période au cours de laquelle cette décision aurait des conséquences financières. »

187    En second lieu, selon la Commission, Intel n’a fourni aucun document datant de l’époque des faits pour étayer son affirmation selon laquelle elle estimait que la part disputable se situait entre 15 % et 25 %. Le seul document qu’Intel ait fourni serait un document ad hoc rédigé par un de ses cadres aux fins de la procédure administrative et contenant des informations que viendrait contredire, au moins partiellement, un document datant de l’époque des faits et rédigé par le même cadre d’Intel. La Commission affirme que, pour cette raison, la décision attaquée ne prend pas position sur la question de savoir si l’appréciation de la part disputable devait se fonder sur les attentes de l’entreprise dominante.

188    Il y a lieu d’examiner d’abord les allégations de la requérante tirées du principe de sécurité juridique puis celles relatives à la feuille de calcul de 2004 sur laquelle se fonde, en substance, le calcul de la part disputable contesté par la requérante.

i)      Sur les arguments tirés du principe de sécurité juridique

189    La requérante se prévaut du principe de sécurité juridique pour faire grief à la Commission d’avoir établi la part disputable de Dell à 7,1 % en s’appuyant sur la feuille de calcul de 2004, communiquée à la Commission en annexe à la lettre d’accompagnement de Dell du 18 avril 2007, alors qu’il s’agit d’un document interne de Dell qui contenait des éléments confidentiels dont elle n’avait pas connaissance durant la période pertinente, à savoir de décembre 2002 à décembre 2005.

190    À cet égard, il convient de relever que, dans l’arrêt du 14 octobre 2010, Deutsche Telekom/Commission (C‑280/08 P, EU:C:2010:603, points 198 à 202), la Cour a jugé que pour évaluer si les pratiques tarifaires d’une entreprise dominante étaient susceptibles d’éliminer un concurrent en violation de l’article 102 TFUE, il convenait de retenir un critère fondé sur les coûts et la stratégie de l’entreprise dominante elle-même. Le caractère abusif des pratiques tarifaires en cause dans ladite affaire résultant de leur effet d’éviction des concurrents de l’entreprise dominante, c’est dès lors sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé que la Commission avait pu fonder son analyse relative au caractère abusif des pratiques tarifaires de l’entreprise dominante uniquement par référence aux tarifs et aux coûts de celle-ci. Un tel critère permettant de vérifier si l’entreprise dominante elle-même avait été en mesure de proposer ses services de détail aux abonnés autrement qu’à perte, si elle avait été préalablement obligée d’acquitter ses propres prix de gros pour les services intermédiaires d’accès à la boucle locale, il était propre à déterminer si les pratiques tarifaires de la requérante conduisaient à un effet d’éviction pour les concurrents par la compression de leurs marges. La Cour a jugé qu’une telle approche était d’autant plus justifiée que, comme le Tribunal l’avait indiqué, en substance, au point 192 de l’arrêt du 10 avril 2008, Deutsche Telekom/Commission (T‑271/03, EU:T:2008:101), elle était également conforme au principe général de sécurité juridique, dès lors que la prise en compte des coûts de l’entreprise dominante permettait à celle-ci, eu égard à la responsabilité particulière qui lui incombait au titre de l’article 102 TFUE, d’apprécier la légalité de ses propres comportements, puisque, si une entreprise dominante connaissait ses propres coûts et tarifs, elle ne connaissait pas en principe ceux de ses concurrents.

191    Cette jurisprudence a été précisée dans l’arrêt du 17 février 2011, TeliaSonera Sverige (C‑52/09, EU:C:2011:83, points 41 à 46). Aux points 45 et 46 de cet arrêt, la Cour a jugé qu’il ne pouvait pas être exclu que les coûts et les prix des concurrents puissent être pertinents dans l’examen de la pratique tarifaire en cause. Selon la Cour, tel pourrait notamment être le cas lorsque la structure des coûts de l’entreprise dominante n’est pas précisément identifiable pour des raisons objectives ou lorsque la prestation fournie aux concurrents consiste en une simple exploitation d’une infrastructure dont le coût de production a déjà été amorti, de sorte que l’accès à une telle infrastructure ne représente plus un coût pour l’entreprise dominante économiquement comparable au coût que ses concurrents doivent supporter pour y accéder, ou bien encore lorsque les conditions de concurrence spécifiques du marché l’exigent en raison, par exemple, de la circonstance que le niveau des coûts de l’entreprise dominante est tributaire précisément de l’intensité de la concurrence à laquelle elle est soumise. Ainsi, dans le cadre de l’appréciation du caractère abusif d’une pratique tarifaire aboutissant à la compression des marges, il y a lieu de prendre en considération, en principe et prioritairement, les prix et les coûts de l’entreprise dominante concernée sur le marché des prestations de détail. Ce n’est que lorsqu’il n’est pas possible, compte tenu des circonstances, de faire référence à ces prix et ces coûts qu’il convient d’examiner ceux des concurrents sur ce même marché (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2018, Deutsche Telekom/Commission, T‑827/14, EU:T:2018:930, point 165).

192    À supposer même que cette jurisprudence, dégagée dans des affaires relatives à des pratiques de prix prédateurs ou de compression de marges, soit transposable au présent litige, aux fins de la détermination de la part disputable dans le cadre du test AEC appliqué à des pratiques de rabais tarifaires, les arguments d’Intel ne sauraient prospérer.

193    En effet, il ressort de la jurisprudence citée au point 191 ci-dessus que le principe selon lequel il convient de s’appuyer prioritairement sur les données connues de l’entreprise dominante aux fins de l’examen du caractère abusif d’un comportement trouve une exception lorsqu’il n’est pas possible, compte tenu des circonstances, de s’appuyer sur lesdites données et qu’il convient alors de s’appuyer sur des données connues d’autres opérateurs économiques.

194    En l’espèce, Intel indique que, durant la période pertinente, elle estime que la part disputable de Dell se situait entre 15 % et 25 % « et que les documents de Dell datant de l’époque des faits concord[ai]ent avec cette estimation, confirmée par » la déclaration de I1, le responsable de la relation avec Dell chez Intel à l’époque des faits, datant du 21 décembre 2007 (ci-après la « déclaration de I1 du 21 décembre 2007 »).

195    À cet égard, il convient de relever que la déclaration de I1 du 21 décembre 2007 a été faite par un représentant de la requérante et vise à atténuer la responsabilité de celle-ci dans l’infraction constatée. Cette déclaration a donc une valeur probante faible et, à tout le moins, inférieure à celle des pièces documentaires produites dans le cadre de la procédure administrative ou devant le Tribunal (voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 2008, Lafarge/Commission, T‑54/03, non publié, EU:T:2008:255, point 379).

196    Quant aux « documents de Dell datant de l’époque des faits » auxquels la requérante se réfère, ils consistent en un document interne de Dell, à savoir un courriel de D1, daté du 10 novembre 2005 (ci-après le « courriel de D1 du 10 novembre 2005 »), qui se présente comme une pièce à conviction produite le 18 février 2009 et dont Intel ne prétend pas avoir eu connaissance durant la période pertinente, ainsi qu’en des déclarations de D3 effectuées le 11 février 2009 dans le cadre de la procédure contentieuse privée opposant Intel et AMD dans l’État du Delaware, qui sont donc postérieures à la période pertinente.

197    Il ressort de ce qui précède que, au soutien de ses allégations selon lesquelles elle aurait connaissance de certaines estimations de la part disputable de Dell, auxquelles elle aurait pu se référer pour évaluer la légalité de ses pratiques durant la période pertinente, le seul élément pertinent dont se prévaut la requérante consiste en une déclaration d’un de ses dirigeants visant à atténuer la responsabilité de celle-ci dans l’infraction constatée.

198    Ainsi que le relève à juste titre la Commission, la requérante ne produit devant le Tribunal aucune pièce documentaire qui serait relative à une estimation de la part disputable de Dell dont elle aurait eu connaissance durant la période pertinente. En effet, pour étayer le contenu de la déclaration mentionnée au point 197 ci-dessus, la requérante s’appuie sur des documents internes de Dell ou des déclarations d’un dirigeant de Dell alors même qu’il n’est pas établi qu’elle en avait connaissance durant la période pertinente.

199    Il s’ensuit que, s’il y avait lieu, en l’espèce, comme le soutient Intel, de faire application du principe de sécurité juridique, la Commission aurait l’obligation de se fonder uniquement sur une déclaration faite par un représentant de la requérante et visant à atténuer la responsabilité de celle-ci dans l’infraction constatée pour déterminer la part disputable de Dell, sans pouvoir s’appuyer sur des documents internes de Dell, dont certains sont du reste, a priori, pertinents aux yeux de la requérante, puisqu’elle-même s’en prévaut afin d’étayer le bien-fondé de ladite déclaration.

200    Partant, sauf à admettre qu’il suffirait à un représentant de l’entreprise dominante de faire certaines déclarations à décharge aux fins de la procédure administrative pour que ladite entreprise échappe à toute responsabilité, il y a lieu de juger que, dans les circonstances de l’espèce, la Commission n’était pas tenue de s’appuyer uniquement sur les éléments ayant trait aux données connues d’Intel durant la période pertinente et qu’elle pouvait tenir compte d’autres éléments ayant trait à des données connues d’autres opérateurs économiques, en l’occurrence des documents internes de Dell.

201    Ainsi, les arguments de la requérante tirés du principe de sécurité juridique, faisant grief à la Commission de s’être fondée sur la feuille de calcul de 2004 dont elle n’avait pas connaissance durant la période pertinente plutôt que sur ses propres estimations de la part disputable contemporaines à la période pertinente, doivent être écartés.

ii)    Sur l’évaluation de la part disputable à 7,1 %

202    La requérante fait valoir que la Commission a commis une erreur en se fondant uniquement sur la feuille de calcul de 2004 pour évaluer la part disputable de Dell à 7,1 %, en rejetant de manière injustifiée d’autres documents ou éléments ayant une force probante supérieure dont il est possible de déduire une part disputable plus élevée.

203    En premier lieu, la requérante s’appuie sur plusieurs éléments de preuve pour contester la part disputable de 7,1 % retenue par la Commission.

204    Premièrement, Intel invoque le courriel de D1 du 10 novembre 2005, dans lequel ce dernier a indiqué à D3, [confidentiel], et à D4, alors [confidentiel], que « les hypothèses avancées dans le cadre du projet MAID au cours des six aux douze premiers mois prévoyaient [...] un transfert d’environ 25 % de notre volume total » en faveur d’AMD. Le projet MAID était l’un des programmes concrets dans lesquels Dell a envisagé de basculer une partie de ses achats vers AMD.  Intel affirme que, sur la base des calculs effectués dans le rapport du professeur Salop et du Dr Hayes du 22 juillet 2009 (ci-après le « rapport Salop-Hayes »), la projection en volume de 25 % des besoins de Dell se traduit par une part disputable de 17,5 % pour la première année (ou de 12,5 % si est utilisée l’approche de la Commission que la requérante estime déraisonnable).  

205    Deuxièmement, Intel invoque un courriel interne de Dell, de D5 à D1, du 9 mars 2004 (ci-après le « courriel de D5 du 9 mars 2004 ») qui visait une autre hypothèse, c’est-à-dire un transfert des approvisionnements de Dell vers AMD pour 25 % du volume total de ses besoins en CPU x86 « en 90 jours ».

206    Troisièmement, la requérante s’appuie sur la déclaration de I1 du 21 décembre 2007 pour affirmer que, durant la période pertinente pour l’attribution de rabais à Dell, ses estimations internes de la part disputable des besoins de Dell en CPU x86 se situaient entre 15 % et 25 %. Dans cette déclaration, I1 écrit que, pendant ladite période, il « pensait que, si Dell se tournait vers AMD comme deuxième fournisseur, elle achèterait probablement 15 à 25 % de ses CPU x86 auprès d’AMD au cours de la première année et entre un quart et un tiers de ses microprocesseurs à l’horizon de la troisième année suivant le lancement ».

207    La Commission soutient, premièrement, concernant le courriel de D1 du 10 novembre 2005, qu’il est moins fiable pour évaluer la part disputable que la feuille de calcul de 2004, car il s’agirait d’un résumé schématique des souvenirs de D1 concernant le programme MAID, rédigé deux ans après les faits. En revanche, la feuille de calcul de 2004 évaluerait la part potentielle des achats de Dell transférable à AMD, ligne de produits par ligne de produits et segment par segment, dans le contexte du projet MAID que Dell menait alors. En outre, la Commission soutient, aux points 287 à 290 du mémoire en défense, renvoyant également à l’annexe B.31 de celui-ci, avoir démontré que l’allégation d’Intel selon laquelle le courriel de D1 du 10 novembre 2005 réfute l’estimation à 7,1 % de la part disputable telle qu’avancée dans la décision attaquée, repose sur des calculs hypothétiques, qui se fondent sur des scénarios spéculatifs de « montée en puissance » d’achats auprès d’AMD favorables à Intel. Malgré le fait que ce courriel mentionne une période d’accroissement de la part des CPU x86 provenant de sources autres qu’Intel, en l’occurrence d’AMD, comprise entre six et douze mois, Intel n’aurait effectué aucun calcul prévisionnel pour cette dernière hypothèse, c’est-à-dire pour une montée en puissance lente, de douze mois. En outre, selon la Commission, dans les hypothèses de calcul d’Intel, le niveau de départ de l’accroissement se serait situé à 5 % au lieu de 0 % sans aucune logique justifiant un tel accroissement discontinu et soudain. Au point 198 de la duplique, la Commission soutient, en effectuant un renvoi à l’annexe D.9, que les arguments avancés dans la réplique selon lesquels les calculs d’Intel n’étaient pas faussés sont dénués de fondement et reposent sur des distorsions graves des données réelles.

208    Ainsi, selon la Commission, les scénarios figurant dans le courriel de D1 du 10 novembre 2005 moins favorables à Intel seraient systématiquement passés sous silence. En intégrant aussi les hypothèses qui ne sont pas favorables à certains types de scénarios, il apparaît, selon elle, que la part disputable découlant des données contenues dans ledit courriel de D1 est comprise entre 5,6 % et 10,4 %. Cette valeur serait cohérente avec le chiffre de 7,1 % figurant dans la décision attaquée, qui se fonderait sur des données plus précises.

209    Deuxièmement, la Commission avance que, alors même qu’Intel affirme avoir cru que Dell achèterait 15 à 25 % de ses besoins en CPU x86 chez AMD au cours de la première année, comme l’expliqueraient en détail les considérants 1231 à 1238 de la décision attaquée, Intel n’aurait fourni aucun document contemporain étayant ces allégations. Selon la Commission, Intel ne s’appuierait à cet égard que sur un document ad hoc rédigé par un de ses cadres, I1, aux fins de la procédure administrative et contenant des informations que viendrait contredire sur au moins un point un document contemporain qu’il avait rédigé. Selon la Commission, il ne peut donc pas être accepté comme preuve crédible en ce qui concerne les estimations internes d’Intel relatives à la part disputable.

210    Aux considérants 1251 et 1252 de la décision attaquée, la Commission a constaté, s’agissant du courriel de D1 du 10 novembre 2005, en substance, que le chiffre indiqué relevait plutôt d’une aspiration que d’une estimation raisonnable et réelle. En outre, il n’aurait pas été possible de déterminer exactement le point de départ du lancement des produits dont il était question. La Commission rappelle que le point de départ pertinent de la période d’un an examinée dans l’analyse du concurrent aussi efficace est la date à laquelle Intel pouvait commencer à réagir au changement de fournisseur par Dell. Cette date était, selon la décision attaquée, antérieure à la date effective des premières ventes par Dell d’ordinateurs équipés de CPU x86 d’AMD.

211    Aux considérants 1233 à 1236 de la décision attaquée, la Commission affirme que la crédibilité de la déclaration de I1 du 21 décembre 2007, qui n’aurait été préparée que pour la procédure administrative, est affaiblie du fait, d’une part, qu’Intel n’a pas pu la corroborer par des éléments de preuve datant de l’époque des faits et, d’autre part, qu’elle contient, sur un autre point, relatif à la réaction d’Intel si Dell mettait fin à son approvisionnement exclusif auprès d’elle, des informations qui sont en contradiction avec une présentation de I1 du 10 janvier 2003, intitulée « Dell F1H’04 MCP ».

212    Au considérant 1237 de la décision attaquée, la Commission indique encore qu’Intel avait elle-même attiré son attention sur le fait que « D1 a[vait] témoigné qu’AMD n’était pas une option viable pour Dell en début de l’année 2003 ». La Commission poursuit en indiquant qu’« Intel cherch[ait] donc à [l’]amener […] à conclure tout à la fois qu’AMD ne constituait pas une option viable pour Dell au début de l’année 2003 et que Dell était susceptible de s’approvisionner auprès d’AMD à hauteur de 15 à 25 % la première année, sur la base de deux déclarations non contemporaines de I1 et D1 ».

213    Il convient de relever d’emblée que, contrairement à ce que soutient Intel, les documents dont elle se prévaut n’ont pas, en eux-mêmes, une valeur probante supérieure à celle de la feuille de calcul de 2004.

214    Tout d’abord, au même titre que le courriel de D1 du 10 novembre 2005 et le courriel de D5 du 9 mars 2004, la feuille de calcul de 2004 est une pièce documentaire interne de Dell, établie durant la période pertinente et relative à la demande en CPU x86 que cet OEM envisageait de transférer à AMD.

215    Ensuite, Intel fait valoir que les documents dont elle se prévaut ont été rédigés par de hauts dirigeants de Dell, que D1 a confirmé sous serment, lors de la procédure contentieuse privée opposant Intel et AMD dans l’État du Delaware, la teneur de son courriel du 10 novembre 2005 et que D3, dans le cadre de cette même procédure, a déclaré qu’il n’avait aucune raison de s’interroger sur l’exactitude des propos de D1.

216    Cependant, il ressort de la jurisprudence que les réponses données au nom d’une entreprise en tant que telle sont revêtues d’une crédibilité surpassant celle que pourrait avoir la réponse donnée par un membre de son personnel ou un de ses dirigeants, quelle que soit l’expérience ou l’opinion personnelles de ce dernier (voir arrêt du 8 juillet 2004, JFE Engineering/Commission, T‑67/00, T‑68/00, T‑71/00 et T‑78/00, EU:T:2004:221, point 205 et jurisprudence citée).

217    Ainsi, c’est à bon droit que la Commission soutient que la feuille de calcul de 2004 a une valeur probante supérieure aux documents ou aux déclarations de hauts dirigeants de Dell dont se prévaut Intel.

218    C’est également à juste titre que la Commission se prévaut du caractère précis et détaillé des informations figurant dans la feuille de calcul de 2004, ces caractéristiques étant, en principe, susceptibles de conforter la valeur probante d’un document (voir, en ce sens, arrêt du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, T‑305/94 à T‑307/94, T‑313/94 à T‑316/94, T‑318/94, T‑325/94, T‑328/94, T‑329/94 et T‑335/94, EU:T:1999:80, point 593).

219    Il n’en reste pas moins que les éléments de preuve dont Intel se prévaut ne sont pas, pour autant, dépourvus de toute valeur probante

220    Il convient d’apprécier les éléments de preuve consistant, tout d’abord, en des évaluations de la part disputable au sein de Dell, à savoir des évaluations faites par D1 et D5, ensuite, en des déclarations faites par des dirigeants de Dell dans le cadre de la procédure contentieuse privée opposant Intel et AMD dans l’État du Delaware et, enfin, en un document qui est la déclaration de I1 du 21 décembre 2007.

221    Premièrement, il ressort du courriel de D1 du 10 novembre 2005 que « les hypothèses avancées dans le cadre du projet MAID au cours des six aux douze premiers mois prévoyaient [...] un transfert d’environ 25 % [du] volume total » des approvisionnements de Dell en faveur d’AMD. S’agissant des critiques de la Commission portant sur la fiabilité objective du courriel de D1 du 10 novembre 2005, force est de constater, tout d’abord, que son expéditeur, D1, était [confidentiel] à l’époque des faits. Ensuite, ce courriel a été rédigé durant la période pertinente. Enfin, son contenu est suffisamment clair et porte précisément sur la part disputable à l’époque des faits. Eu égard à ces éléments, il convient d’en tenir compte et de lui accorder une réelle pertinence, sa fiabilité n’étant pas amoindrie par le fait qu’il s’agit d’un résumé schématique des souvenirs de D1.

222    Deuxièmement, contrairement à ce que la Commission indique au considérant 1251 de la décision attaquée, l’affirmation selon laquelle « le chiffre de 25 % qui serait atteint à l’issue d’une période de 6 à 12 mois [mentionnée dans le courriel de D1 du 10 novembre 2005] », s’apparentait à « une “aspiration” et non à une estimation raisonnable réelle », concernait, en réalité, comme le soutient à juste titre la requérante, un autre élément de preuve, à savoir le courriel de D5 du 9 mars 2004, et visait une autre hypothèse, c’est-à-dire un transfert des approvisionnements de Dell vers AMD pour 25 % du volume total de ses besoins en CPU x86 « en 90 jours ». En effet, c’est uniquement dans ce dernier courriel que les termes « aspiration » ou encore « planning guidelines » (lignes directrices de planification) sont mentionnés.

223    De surcroît, s’agissant du courriel de D5 du 9 mars 2004, il convient encore de constater que, même en prenant en considération le fait qu’un transfert des approvisionnements particulièrement rapide auprès d’AMD pour 25 % du volume total des besoins de Dell en CPU x86, « en 90 jours », n’y était mentionné que comme une aspiration, cela démontre déjà qu’une telle hypothèse pouvait être soulevée dans une discussion interne de Dell, à tout le moins à titre de motivation ou d’une planification ciblée, ce qui doit être jugé comme étant un indice additionnel d’une possibilité d’une part disputable plutôt élevée. Il en est d’autant plus ainsi que ce courriel n’est que de quelques mois postérieur à la feuille de calcul de 2004 et que, à l’instar du courriel de D1 du 10 novembre 2005, il évoque un transfert d’environ 25 % de la demande de Dell en faveur d’AMD.

224    Troisièmement, lors de la procédure contentieuse privée opposant Intel et AMD dans l’État du Delaware, D1 a confirmé qu’il supposait dans le cadre du projet MAID que, au cours des six aux douze premiers mois, le transfert de la demande vers AMD concernerait environ 25 % du volume de CPU x86 et D3 a déclaré qu’il n’avait aucune raison de s’interroger sur l’exactitude des propos de D1.

225    Ainsi, les déclarations faites par des dirigeants de Dell dans le cadre de la procédure contentieuse privée opposant Intel et AMD dans l’État du Delaware viennent corroborer l’hypothèse selon laquelle, dans le cadre du projet MAID, au cours des six aux douze premiers mois, le transfert de la demande de Dell vers AMD pouvait concerner environ 25 % du volume de CPU x86.

226    Quatrièmement, il convient encore d’évaluer la déclaration de I1 du 21 décembre 2007. S’agissant des critiques de la Commission dans la décision attaquée à son égard, elles relèvent de trois catégories, tirées du fait, la première, qu’elle serait préparée uniquement pour la procédure administrative, la deuxième, qu’elle n’aurait pas été corroborée par d’autres éléments de preuve datant de l’époque des faits et, la troisième, qu’elle contiendrait certaines contradictions par rapport à une présentation de I1 du 10 janvier 2003 adressée à Dell (voir point 211 ci-dessus).

227    À cet égard, tout d’abord, il est vrai que, ainsi que cela ressort du point 195 ci-dessus, la déclaration de I1 du 21 décembre 2007 a été faite par un représentant de la requérante et vise à atténuer la responsabilité de celle-ci dans l’infraction constatée, de telle sorte qu’elle a, en elle-même, une valeur probante faible.

228    Il n’en reste pas moins que la déclaration de I1 du 21 décembre 2007 a été effectuée sous serment et que I1 était, comme il ressort du point 1 de ladite déclaration, [confidentiel], et ce depuis 1999. En raison de ses fonctions et de son ancienneté auprès d’Intel, I1 devait avoir pleine connaissance des éléments principaux concernant la relation avec Dell, ce qui inclut la question de la part disputable prévisible pour la période pertinente.

229    Ensuite, ainsi que cela ressort des points 221 à 223 ci-dessus, des documents internes de Dell relevant de la période pertinente corroborent la déclaration de I1 du 21 décembre 2007 en ce que le transfert de la demande de Dell vers AMD aurait pu concerner jusqu’à 25 % du volume de CPU x86. À tout le moins, ladite déclaration, en ce qu’elle évoque un volume de CPU x86 entre 15 et 25 %, témoigne, à l’instar desdits documents, de ce que le transfert de la demande de Dell vers AMD pouvait être supérieur au volume de 7 % qui figure dans la feuille de calcul de 2004.

230    S’agissant des prétendues contradictions relevant de la logique économique du fait de passer vers AMD, soulevées par la Commission, ou encore des contradictions dans les affirmations de I1, il y a lieu de relever que celui-ci précise, dans sa présentation du 10 janvier 2003, quel est le rapport entre Intel et Dell, en soulignant, notamment, qu’il fallait faire comprendre à Dell la particularité de cette relation, dans le cas où cette entreprise envisagerait de passer vers AMD. Comme le souligne, à juste titre, la Commission aux considérants 1235 et 1236 de la décision attaquée, ce passage de ladite présentation peut paraître être en contradiction avec le point 4 de la déclaration de I1 du 21 décembre 2007, portant sur l’absence d’une quelconque conditionnalité des rabais proposés par Intel. Toutefois, à la différence des conséquences qu’en tire la Commission, force est de constater que, dans la mesure où cette contradiction porte sur un autre élément de la déclaration de I1 du 21 décembre 2007 que celui pertinent pour l’appréciation de la part disputable, il ne saurait en être déduit que ladite déclaration est dépourvue de toute valeur probante dans son ensemble et donc également en ce qu’elle porte sur la part disputable.

231    Il convient d’ajouter que la déclaration de I1 du 21 décembre 2007, selon laquelle tout approvisionnement potentiel de Dell auprès d’AMD en CPU x86 prendrait une dimension importante, compte tenu des coûts, de la complexité accrue et des ressources additionnelles en ingénierie, en assistance et en vente liés à l’ajout de plateformes AMD n’est ni illogique ni contradictoire. Il ressort de la déclaration de I1 du 21 décembre 2007 que celui-ci s’est efforcé de donner une vue d’ensemble objective, dès lors qu’il indique également qu’il estimait que la probabilité d’un transfert partiel des approvisionnements de Dell vers AMD n’était que « basse » durant la période pertinente. En revanche, I1 explique clairement dans sa déclaration que, pour les raisons susmentionnées, si Dell devait prendre AMD en tant que seconde source d’approvisionnement en CPU x86, cela aurait nécessairement porté sur 15 à 25 % de ses besoins.

232    Il ne peut être exclu que Dell puisse réellement avoir eu l’intention, durant la période pertinente, de s’approvisionner partiellement en CPU x86 auprès d’AMD. En effet, il ressort de plusieurs éléments du dossier, en ce inclus la feuille de calcul de 2004, que Dell envisageait et analysait régulièrement en interne, durant l’ensemble de la période pertinente, la possibilité d’une transition partielle vers AMD. Il y a également lieu de relever que le témoignage de D1, mentionné au point 212 ci-dessus, selon lequel AMD n’était pas une option viable pour Dell, ne concernait que l’année 2003. Or, la Commission a elle-même souligné, notamment au considérant 1258 de la décision attaquée, qu’il ne pouvait être exclu que la part disputable de Dell varie dans le temps, celle-ci pouvant notamment augmenter, à terme, en raison du fait que les consommateurs s’habituaient, au fur et à mesure, aux CPU x86 produits par AMD. Partant, il ne saurait être considéré que la situation quant à la part disputable de Dell en 2003 devait nécessairement être identique à celle des années 2004 et 2005. Dans ces circonstances, la déclaration de I1 du 21 décembre 2007, qui est corroborée par les éléments de preuve mentionnés aux points 221 et 222 ci-dessus, doit également être considérée comme étant fiable en ce qu’elle porte sur la part disputable de Dell.

233    Partant, il ressort du courriel de D1 du 10 novembre 2005, du courriel de D5 du 9 mars 2004, des déclarations faites par des dirigeants de Dell dans le cadre de la procédure contentieuse privée opposant Intel et AMD dans l’État du Delaware ainsi que de la déclaration de I1 du 21 décembre 2007, qui, pris ensemble, sont corroborés les uns par les autres, que, durant l’année 2005, le transfert de la demande de Dell vers AMD pouvait concerner jusqu’à 25 % du volume de CPU x86, et non 7 % comme cela ressort de la feuille de calcul de 2004.

234    Il s’ensuit que les éléments de preuve dont se prévaut Intel conduisent à mettre en doute le fait que la part disputable de Dell devait être évaluée uniquement à partir de la feuille de calcul de 2004 mentionnant un transfert de la demande de Dell vers AMD pour un volume de 7 % pour l’année 2005, dont la Commission a inféré une part disputable de 7,1 %.

235    La conclusion à laquelle parvient le Tribunal ne saurait être infirmée par les analyses économiques présentées par la Commission devant le Tribunal à l’annexe B.31, qui illustre ses arguments soulevés au point 290 du mémoire en défense, et aux points 196 et 199 de la duplique, qui renvoient à l’annexe D.9, visant à démontrer que, à supposer même qu’il y ait lieu de calculer la part disputable à partir des pièces mentionnées au point 233 ci-dessus, l’on ne saurait en déduire une part disputable comprise entre 12,5 % et 17,5 %, comme le soutient Intel.

236    En effet, le Tribunal ne peut tenir compte de ces analyses complémentaires, produites pour la première fois durant la procédure devant lui, pour étayer le test AEC contenu dans la décision attaquée sans substituer sa propre motivation à celle de la Commission figurant dans ladite décision. Or, la jurisprudence citée au point 150 ci-dessus interdit au Tribunal de procéder à une telle substitution de motifs.

237    Au demeurant, il y a lieu d’ajouter que même les analyses économiques présentées par la Commission devant le Tribunal font ressortir, à tout le moins dans l’une des hypothèses prévisibles fondées sur l’analyse du courriel de D1 du 10 novembre 2005 une part disputable de 10,4 %.

238    La Commission indique, à cet égard, dans ses écrits, que l’échelle de 5,6 % à 10,4 % en tant que part disputable relevant de l’analyse non biaisée du courriel de D1 du 10 novembre 2005 correspondait au résultat de la feuille de calcul de 2004, prévoyant 7,1 %.

239    Une telle conclusion ne saurait être acceptée, dans la mesure où le résultat du test AEC pourrait varier selon que la part disputable dont il est tenu compte est de 7,1 % ou de 10,4 %. En effet, notamment aux considérants 1255 à 1259 de la décision attaquée, la prévision de la part disputable est ensuite comparée à la part requise indiquée dans le tableau no 22, dont seuls les trois derniers trimestres présentent des chiffres excédant les 10,4 %. Or, aucun élément objectif ne permet d’écarter l’une ou l’autre des hypothèses pouvant être envisagées au regard du courriel de D1 du 10 novembre 2005, sur l’échelle de 5,6 % à 10,4 % en tant que part disputable ou encore de conclure qu’une d’entre elles était plus probable qu’une autre. Dans ces circonstances, un doute demeure quant au pourcentage pouvant être définitivement consacré comme étant celui de la part disputable pour Dell et, plus particulièrement, sur le fait que celui-ci devait être fixé à 7,1 %.

240    En second lieu, Intel fait valoir, en substance, que les observations qui peuvent être tirées du transfert de la demande de Dell vers AMD démontrent que la part disputable de Dell pouvait être supérieure à 7,1 %.

241    La Commission soutient que le transfert des approvisionnements de Dell vers AMD durant les années 2006 et 2007 n’a qu’un intérêt limité pour examiner la situation durant la période pertinente, qu’il y aurait lieu à tout le moins de réajuster certains paramètres de calcul, notamment le niveau des rabais durant l’année 2006, qu’elle a effectué, à titre subsidiaire, un test AEC dans la décision attaquée tenant compte de la situation en 2006 et 2007 qui corrobore ses conclusions et que l’annexe D.9 produite durant la procédure devant le Tribunal permet de contredire les allégations d’Intel.

242    Aux considérants 1241 à 1246 de la décision attaquée, la Commission a examiné l’argument d’Intel selon lequel le taux de transfert observé lorsque Dell a décidé de transférer une partie de ses approvisionnements vers AMD après 2006 pouvait être pertinent aux fins de l’évaluation de la part disputable. Elle a estimé, notamment, que si les transferts ultérieurs pouvaient être instructifs en tant que tels, il ne fallait pas leur accorder plus d’importance que les documents présentant des estimations contemporaines. Puis, en examinant les approvisionnements de Dell au cours des trois trimestres commençant en octobre 2006 et se terminant en juin 2007, tels que corrigés compte tenu de la période de transition au regard de ses propres hypothèses relatives au point de départ de l’horizon temporel d’un an, elle a estimé la part totale d’AMD à 8,2 % selon les données de Gartner et à un chiffre compris entre 8,8 % et 10,1 % selon les estimations internes d’Intel, durant la première année de transfert de la demande de Dell vers AMD. Elle en a conclu que, bien que ces estimations soient légèrement plus élevées que celles de Dell au cours de la période pertinente, elles n’étaient pas d’un niveau tel qu’elles puissent être invoquées pour infirmer l’exactitude de son analyse.

243    Il convient d’observer que la Commission a expressément admis, au considérant 1245 de la décision attaquée, que, à partir des observations tirées du transfert effectif d’une partie de la demande de Dell vers AMD, il était possible de calculer une part disputable supérieure à 7,1 %, comprise entre 8,2 % et 10,1 %.

244    Même si la Commission considère, dans la décision attaquée, que ces estimations étaient légèrement plus élevées que celle déduite de la feuille de calcul de 2004, de sorte qu’il n’y aurait pas lieu d’en tenir compte, il n’en reste pas moins que l’existence même desdites estimations suffit à démontrer que l’hypothèse d’une part disputable de 7,1 % n’était pas la seule envisageable et conduit à mettre en doute le bien-fondé de l’évaluation retenue par la Commission dans la décision attaquée.

245    Devant le Tribunal, tout d’abord, la Commission réitère l’argument figurant aux considérants 1242 et 1243 de la décision attaquée selon lequel les observations déduites du transfert d’une part de la demande de Dell vers AMD dans le courant des années 2006 et 2007 n’ont qu’une valeur probante limitée pour déterminer la part disputable durant la période pertinente.

246    Toutefois, il y a lieu de relever que, en réponse à l’argument du professeur Shapiro selon lequel le calcul de la limite temporelle d’un an pour le test AEC ne saurait commencer après la date à laquelle le transfert d’une part de la demande de Dell vers AMD commence à avoir des conséquences, la Commission s’est appuyée de façon déterminante, aux considérants 1221 à 1227 de la décision attaquée, sur les observations qui pouvaient être tirées des événements en 2006. Elle a déduit d’une série de circonstances qu’Intel était déjà informée du changement de fournisseur en mai 2006 et qu’elle avait procédé à une forte baisse des rabais entre le premier et le deuxième trimestre de l’exercice fiscal 2007.

247    Ainsi, la Commission, dans le cadre de l’évaluation de la part disputable, a elle-même utilisé les observations déduites du transfert d’une part de la demande de Dell vers AMD dans le courant des années 2006 et 2007 pour contredire l’hypothèse du professeur Shapiro relative au point de départ de l’horizon temporel d’un an.

248    Partant, la Commission ne peut pas utilement soutenir, aux considérants 1242 et 1243 de la décision attaquée, que les mêmes observations n’ont qu’un intérêt limité afin de contester la pertinence de l’évaluation de la part disputable comprise entre 8,2 % et 10,1 %.

249    Ensuite, la Commission fait valoir qu’un calcul utilisant les chiffres de la part disputable dérivés des années 2006 et 2007 devrait intégrer, notamment, le fait que le niveau des rabais accordés par Intel à Dell a atteint des niveaux sans précédent en 2006. Cependant, si la Commission estimait que l’évaluation de la part disputable devait être réajustée en raison de ce paramètre, elle aurait dû l’inclure dans le calcul effectué au considérant 1245 de la décision attaquée.

250    Par ailleurs, la Commission, se référant au considérant 1258 de la décision attaquée, fait valoir que le test AEC a intégré les parts de marché réelles d’AMD chez Dell durant les années 2006 et 2007, telles qu’elles ont été fournies par Intel durant l’enquête, et que les résultats de ce calcul corroborent les constatations de la décision attaquée pour la période prenant fin en 2005.

251    Cependant, au considérant 1258 de la décision attaquée, tout en admettant qu’il était possible que la part disputable ait quelque peu augmenté au fil du temps, à mesure que les consommateurs prenaient conscience de la viabilité de la solution alternative offerte par AMD, la Commission a formulé des observations relatives à l’évolution de la part requise durant l’année 2006 et au volume de la demande de Dell transférée vers AMD durant l’année 2007. Elle n’a pas procédé, à ce stade, à un réajustement de la part disputable retenue pour l’année 2005 à partir des calculs effectués au considérant 1245 de la décision attaquée.

252    Enfin, dans le mémoire en défense et dans la duplique, la Commission se prévaut de l’annexe B.31, qui contiendrait une analyse fondée sur le transfert d’une part de la demande de Dell vers AMD dans le courant des années 2006 et 2007 confirmant les constatations de la décision attaquée sur la capacité des rabais de produire un effet d’éviction, et de l’annexe D.9, qui démontrerait que la part de marché d’AMD chez Dell était inférieure à celle figurant dans la réplique et utiliserait les nouveaux chiffres tirés de la réplique pour effectuer un test AEC.

253    Toutefois, le Tribunal ne peut tenir compte de ces analyses complémentaires, produites pour la première fois durant la procédure devant lui pour étayer le test AEC contenu dans la décision attaquée, sans substituer sa propre motivation à celle de la Commission figurant dans ladite décision. Or, la jurisprudence citée au point 150 ci-dessus interdit au Tribunal de procéder à une telle substitution de motifs.

254    Partant, il ressort de la décision attaquée qu’il était possible d’établir une part disputable pour Dell comprise entre 8,2 % et 10,1 % à partir d’autres éléments que la feuille de calcul de 2004. L’existence même desdites estimations démontre que l’hypothèse d’une part disputable de 7,1 % s’agissant de Dell n’était pas la seule envisageable, ce qui conduit le Tribunal à douter du bien-fondé de ladite hypothèse, retenue par la Commission dans la décision attaquée.

255    Cette constatation ainsi que celle déjà formulée au point 234 ci-dessus s’agissant de la question de savoir si la part disputable de Dell devait être évaluée uniquement à partir de la feuille de calcul de 2004 contenant le chiffre de 7 % pour l’année 2005, prises ensemble, confortent le doute concernant l’évaluation de ladite part disputable retenue dans la décision attaquée.

256    Compte tenu de tout ce qui précède, il convient de conclure que les éléments avancés par Intel sont à même de faire naître un doute dans l’esprit du juge quant au fait que la part disputable pour Dell devait être fixée à 7,1 %. Par conséquent, la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit le bien-fondé de l’évaluation de ladite part disputable.

iii) Sur l’allégation de la requérante portant sur la partie initiale de la période pertinente, comprise entre décembre 2002 et octobre 2003

257    Bien que la conclusion visée au point 256 ci-dessus invalide déjà en soi l’appréciation de la part disputable de Dell effectuée dans la décision attaquée, il convient, à titre surabondant, d’évaluer au regard des arguments d’Intel le bien-fondé de l’analyse de la Commission de la part disputable de Dell s’agissant de la partie initiale de la période pertinente, comprise entre décembre 2002 et octobre 2003.

258    Selon Intel, il existe une incohérence entre la constatation, par la Commission, de la part disputable à 7,1 % pour Dell et sa conclusion, au considérant 1281 de la décision attaquée, effectuée sur la base d’une comparaison de ladite part avec la part du marché requise pour qu’un concurrent aussi efficace puisse accéder au marché sans subir de pertes (ci-après la « part requise »), selon laquelle, sur l’ensemble de la période allant de décembre 2002 à décembre 2005, les rabais d’Intel étaient capables ou susceptibles de produire des effets d’éviction anticoncurrentiels.

259    La Commission conteste les allégations d’Intel, en soutenant qu’il ne s’agissait que de conclusions intermédiaires, et elle renvoie aux considérants 1281 et 1282 de la décision attaquée, qui contiendraient une évaluation d’ensemble.

260    À cet égard, force est de constater que le tableau no 22 fait clairement ressortir que la part disputable était supérieure à la part requise, pour les quatre premiers trimestres indiqués, et ce même si l’on accepte les calculs de la part requise et de la part disputable effectués par la Commission. En effet, conformément au tableau no 22, pendant les exercices relevant de la période comptable de Dell à partir du quatrième trimestre de l’année fiscale 2003 jusqu’au troisième trimestre de l’année fiscale 2004, la part requise était au maximum de 6,6 %, tandis que la part disputable retenue dans la décision attaquée était de 7,1 %.

261    En outre, au considérant 1256 de la décision attaquée, la Commission constate explicitement que, « [p]our la plupart des trimestres (9 sur 13), la part requise est supérieure à la part disputable ». Par conséquent, à l’instar de ce que soutient Intel, selon les propres chiffres de la Commission, le test AEC concernant les rabais d’Intel en faveur de Dell a abouti à un résultat positif pendant les quatre premiers trimestres visés par la décision attaquée.

262    S’agissant des considérants 1281 et 1282 de la décision attaquée, auxquels renvoie la Commission (voir point 259 ci-dessus) pour avancer que la comparaison entre la part requise et la part disputable ne serait que l’un des trois éléments utilisés pour la conclusion de l’analyse AEC, ils indiquent que les conclusions auxquelles la Commission est parvenue s’agissant des rabais accordés à Dell sont déduites de la comparaison de la part disputable avec la part requise, des facteurs de renforcement et de la méthode alternative de calcul et que la décision attaquée se fonde sur les chiffres de coûts les plus favorables à Intel. Cependant, il ressort du considérant 1213 de la décision attaquée que le tableau no 22 a été utilisé dans le cadre de la comparaison de la part disputable avec la part requise. En outre, pour les motifs exposés aux points 272 à 282 ci-dessous, ni la méthode alternative de calcul ni les facteurs de renforcement ne comportent un examen de l’effet d’éviction des rabais pour les quatre premiers trimestres visés par la décision attaquée. Par conséquent, ces trois éléments de l’analyse de la Commission, même pris ensemble, n’apportent pas d’explications quant au fait que le test AEC concernant les rabais d’Intel en faveur de Dell a abouti à un résultat positif pendant les quatre premiers trimestres visés par la décision attaquée.

263    Ainsi, il convient de constater qu’il existe une contradiction entre ce qui ressort, d’une part, du considérant 1256 de la décision attaquée, selon lequel, à tout le moins sur quatre trimestres de la période pertinente, Intel réussissait à passer le test AEC et, d’autre part, des conclusions de la Commission aux considérants 1281 et 1282 de cette même décision, dont il découle que les rabais accordés à Dell étaient susceptibles de produire un effet d’éviction durant toute la période pertinente.

264    Ensuite, les autres éléments de la décision attaquée, auxquels la Commission fait référence pour démontrer qu’il n’y avait pas d’erreur quant aux quatre premiers trimestres, ne sont pas non plus concluants, s’agissant de la période comprise entre décembre 2002 et octobre 2003. Selon la Commission, les considérants 1258 et 1259 de la décision attaquée montreraient qu’une approche trimestrielle stricte ne serait pas pertinente.

265    Plus particulièrement, au considérant 1258 de la décision attaquée, la Commission avance qu’il est possible que la part disputable se soit accrue au fil du temps en raison d’une prise de conscience de plus en plus forte des consommateurs quant à la viabilité de l’alternative que représentait AMD. Elle souligne également que, dans toutes les hypothèses de calcul, la part requise augmente constamment au cours de la période couverte par la décision attaquée. La Commission renvoie encore aux chiffres réels, ressortant de la situation qui prévalait en 2006 lorsque Dell avait choisi de commencer à s’approvisionner auprès d’AMD. Elle se fonde, notamment, sur des données fournies par Gartner.

266    Au considérant 1259 de la décision attaquée, la Commission estime que, à l’inverse, il serait possible que la part disputable ait été inférieure à 7,1 % durant la période précédant le premier trimestre de l’année fiscale 2005, date à laquelle le transfert par Dell d’une partie de ses besoins en CPU x86 d’Intel vers AMD aurait pu avoir lieu au plus tôt selon le scénario qui était à la base de la feuille de calcul de 2004. La Commission en conclut que la différence entre la part requise et la part disputable pour les premiers trimestres de la période pertinente pourrait être moins importante que les chiffres mentionnés dans le tableau no 22 le suggèrent.

267    Concernant ce motif, la requérante soulève l’argument selon lequel la Commission n’a jamais modifié son évaluation de la part disputable pour les quatre premiers trimestres de la période pertinente, pour faire en sorte qu’elle reflète cette amélioration de la viabilité d’AMD, qui, selon la requérante, ne s’est pas réalisée du jour au lendemain.

268    Il y a lieu de constater que la Commission n’a aucunement chiffré, dans la décision attaquée, ladite croissance présumée de la part disputable, qui tiendrait compte d’une modification de la perception d’AMD par les consommateurs dans le temps. Au contraire, seul le chiffre de 7,1 % est utilisé dans la décision attaquée, et ce alors même que la feuille de calcul de 2004 envisageait une évolution durant les années subséquentes considérées, en indiquant des valeurs dont il pouvait être déduit que la part disputable de Dell était de 17,3 %, de 22,5 % et de 24,2 % pour les trois années suivant l’année initiale d’approvisionnement partiel auprès d’AMD.

269    À aucun endroit de la décision attaquée, il n’est affirmé de manière définitive qu’une croissance de la part disputable de Dell dans le temps avait eu lieu, en raison de l’amélioration de la perception des produits d’AMD, mais il est uniquement fait état, aux considérants 1258 et 1259 de cette décision, qu’il s’agissait d’une « possibilité ». Par ailleurs, même le tableau no 22 évalue uniquement les modifications, dans le temps, de la part requise, et ce sur une base pluriannuelle, mais non de la part disputable. Pour autant, la Commission s’est limitée, à l’audience de 2020, en réponse à une question du Tribunal à cet égard, de souligner que les 7,1 % utilisés concernant la part disputable de manière constante pour toute la période pertinente l’étaient pour une « raison technique », liée à un prétendu accord entre Intel et la Commission quant à l’utilisation d’une période d’une année pour l’analyse AEC. Ainsi, alors même que le considérant 1212 de la décision attaquée reprend les quatre différentes données qui ressortent de la feuille de calcul de 2004, seule la donnée des 7,1 % est jugée appropriée pour la part disputable, au considérant 1213 de la décision attaquée.

270    Dans ces circonstances, les arguments de la Commission ne permettent pas d’expliquer ou de valider, a posteriori, la différence entre les résultats, indiqués par la Commission pour les quatre premiers trimestres de la période pertinente, dans le tableau no 22, et sa conclusion, adoptée pour l’ensemble de la période pertinente, selon laquelle Intel n’a pas réussi le test AEC.

271    Il convient ainsi de constater que, le résultat du test AEC étant positif pour Intel, dans le cadre du calcul principal, pour les quatre premiers trimestres visés par la décision attaquée, la Commission n’a pas démontré sur la seule base de ce test que les rabais d’Intel accordés à Dell étaient capables de restreindre la concurrence durant toute la période pertinente.

2)      Sur la méthode de calcul alternative

272    La Commission a effectué, aux considérants 1266 à 1274 et 1281 de la décision attaquée, un calcul alternatif, sur la base d’informations contenues dans la présentation de Dell du 17 février 2004, qui confirmait, selon la Commission, les conclusions tirées du calcul principal dans le test AEC, à savoir que les rabais qu’Intel avait accordés à Dell étaient capables d’évincer un concurrent aussi efficace.

273    Intel conteste la pertinence du calcul alternatif. Cette évaluation ne porterait que sur l’année fiscale 2005, qui se situe en dehors de la période pour laquelle il est démontré, dans la décision attaquée, qu’Intel a réussi le test AEC. Le constat d’infraction en rapport avec Dell pour la période entre décembre 2002 et octobre 2003 ne pourrait donc être maintenu.

274    La Commission rejette les arguments d’Intel et considère, quant à elle, que le calcul alternatif constitue une approche confirmative de la solution de la décision attaquée adoptée à titre principal.

275    À cet égard, dans la mesure où la décision attaquée fonde son calcul alternatif sur la présentation de Dell du 17 février 2004, qui, comme cela ressort également des tableaux nos 28 et 29 figurant aux considérants 1268 et 1270 de cette décision, évalue la période débutant à l’année fiscale 2005, il ne saurait en être déduit qu’elle permettrait d’expliquer ou, a fortiori, de modifier les évaluations de la Commission portant sur la période entre décembre 2002 et octobre 2003. En outre, dans la mesure où la Commission a fait référence, à l’audience de 2020, à la note en bas de page no 1604 du considérant 1264 de la décision attaquée pour soutenir que les documents utilisés concernaient bien la période pertinente, il suffit de constater que cette note en bas de page concernait les facteurs de renforcement et non la méthode alternative de calcul.

276    Partant, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur le bien-fondé de la méthode alternative, il suffit de constater que celle-ci ne démontre pas que les pratiques de rabais d’Intel étaient susceptibles de produire un effet d’éviction durant toute la période pertinente.

3)      Sur les facteurs de renforcement

277    Selon la requérante, c’est en vain que la Commission tenterait d’étayer son analyse en déclarant que son utilisation du critère de concurrent aussi efficace revêt en fait un caractère conservateur qui ne tenait pas compte de facteurs de renforcement (voir également point 177 ci-dessus). En revanche, la Commission soutient, en substance, qu’il était justifié de tenir compte des facteurs de renforcement.

278    Il convient ainsi d’analyser si les différentes erreurs de la Commission dans le test AEC concernant Dell pourraient être corrigées par les divers éléments pris en compte en tant que facteurs de renforcement, tels qu’ils ressortent des considérants 1260 à 1265 de la décision attaquée.

279    À cet égard, d’une part, il ressort du considérant 1260 de la décision attaquée que l’intérêt des facteurs de renforcement est qu’« un certain nombre de facteurs n’ont pas été pleinement pris en compte dans l’analyse [précédente], alors que, s’ils étaient inclus, ils renforceraient la capacité d’éviction estimée par les rabais ». Ainsi, les facteurs dont il s’agit avaient uniquement pour objet de renforcer l’examen principal relatif à l’existence d’un effet d’éviction.

280    D’autre part, il ressort du considérant 1261 de la décision attaquée que la Commission a elle-même estimé que la prise en considération complète des effets des facteurs de renforcement aurait nécessité des hypothèses additionnelles sur la manière dont les rabais seraient accordés à d’autres concurrents, ainsi que sur les conséquences d’une telle situation concurrentielle et agressive sur les revenus de Dell.

281    En réponse à une question du Tribunal à l’audience de 2020, la Commission a affirmé que les facteurs de renforcement avaient fait l’objet d’une « évaluation pragmatique » et qu’il s’agissait d’éléments « sui generis », insérés dans la structure de la décision attaquée concernant le test AEC. Cependant, la Commission n’a pas pour autant soutenu qu’ils auraient été précisément évalués, de manière chiffrée, dans le cadre du test AEC. Elle souligne plutôt que ces éléments, indépendamment de la question de leur légalité, constituaient « un effet de levier additionnel » au profit d’Intel, dans la mesure où les rabais perdus par Dell seraient transférés à des concurrents et étant donné que ces pertes de rabais pouvaient concerner d’autres puces achetées à Intel, qui « n’étaient pas celles faisant l’objet de la décision attaquée ».

282    Il découle de ce qui précède que les facteurs de renforcement ont été inclus dans la décision attaquée en tant qu’éléments susceptibles de renforcer l’examen principal relatif à l’existence d’un effet d’éviction produit par les rabais litigieux et que ceux-ci n’ont pas été suffisamment analysés par la Commission quant à l’incidence qu’ils auraient eue sur l’appréciation de la capacité d’éviction desdits rabais. Ainsi, leur prise en compte ne peut pas être utilement contrôlée par le Tribunal, ni ne saurait se substituer à l’analyse principale de la Commission sur la capacité des rabais d’Intel accordés à Dell de produire un effet d’éviction.

4)      Conclusion sur le test AEC pour les rabais accordés à Dell

283    Il ressort de tout ce qui précède que la Commission n’a pas établi à suffisance de droit le bien-fondé de son hypothèse selon laquelle la part disputable de Dell pour la période considérée était de 7,1 %. Dès lors que, aux considérants 1255 à 1257 de la décision attaquée, cette hypothèse a servi de base pour démontrer, par comparaison de la part requise et de la part disputable, la capacité des rabais d’Intel accordés à Dell de produire un effet d’éviction, sans qu’il soit besoin d’analyser les griefs de la requérante relatifs au calcul de la partie conditionnelle, il s’ensuit que ladite comparaison n’a pas démontré à suffisance de droit ladite capacité.

284    En outre, les facteurs de renforcement ne sont pas susceptibles, par eux-mêmes, de démontrer la capacité des rabais d’Intel accordés à Dell de produire un effet d’éviction et, en tout état de cause, n’ont pas été suffisamment analysés, tandis que la méthode de calcul alternative ne démontre pas que les pratiques de rabais d’Intel étaient susceptibles de produire un effet d’éviction durant toute la période pertinente.

285    Il convient de relever que, au considérant 1281 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que les conclusions auxquelles elle était parvenue s’agissant de la capacité des rabais accordés à Dell de produire un effet d’éviction sont déduites de la comparaison de la part disputable et de la part requise, des facteurs de renforcement et de la confirmation apportée par la méthode alternative de calcul.

286    Toutefois, dès lors que la comparaison de la part disputable et de la part requise ne démontre pas, à suffisance de droit, les effets d’éviction et que les facteurs de renforcement n’ont pas été suffisamment analysés, la Commission n’est pas en mesure d’établir sur la base de ces deux premiers éléments la capacité des rabais accordés à Dell de produire un effet d’éviction. En outre, le troisième élément retenu par la Commission, qui consiste en une méthode alternative de calcul, ayant, selon les termes du considérant 1281 de la décision attaquée, une fonction de confirmation des deux premiers éléments, ne saurait à lui seul étayer les conclusions de la Commission, a fortiori dès lors qu’il ne démontre pas que les pratiques de rabais d’Intel étaient susceptibles de produire un effet d’éviction durant toute la période pertinente.

287    Il convient donc d’accueillir le grief de la requérante selon lequel la Commission n’a pas établi à suffisance de droit le bien-fondé de la conclusion, formulée au considérant 1281 de la décision attaquée, selon laquelle, sur la période comprise entre décembre 2002 et décembre 2005, les rabais d’Intel étaient capables ou susceptibles de produire un effet d’éviction anticoncurrentiel, car même un concurrent aussi efficace aurait été empêché d’approvisionner Dell pour ses besoins en CPU x86.

b)      Sur les prétendues erreurs relatives au test AEC appliqué à HP

288    Au considérant 413 de la décision attaquée, la Commission a relevé que HP et la requérante avaient conclu, pour la période entre novembre 2002 et mai 2005, les accords HPA ayant pour objet des ordinateurs de bureau destinés aux entreprises. Au même considérant, la Commission a constaté que ces accords prévoyaient une condition non écrite à l’octroi de rabais à HP (ci-après les « rabais HPA »), à savoir que celle-ci se fournisse auprès de la requérante pour au moins 95 % de ses besoins en CPU x86 afin d’équiper ses ordinateurs de bureau destinés aux entreprises (ci-après la « condition de quasi-exclusivité »). Au considérant 1406 de la décision attaquée, la Commission a conclu sur la base du test AEC que ces rabais HPA étaient susceptibles d’avoir des effets d’éviction anticoncurrentiels.

289    En ce qui concerne plus précisément les périodes couvertes par les accords ayant conduit aux rabais HPA, la Commission a relevé, aux considérants 338, 341 et 1296 de la décision attaquée, que le premier de ces accords (ci-après l’« accord HPA1 ») avait été conclu après la fusion en mai 2002 de HP avec Compaq et couvrait une période allant de novembre 2002 à mai 2004. S’agissant du second des accords HPA, la Commission a constaté, aux considérants 342 et 343 de la décision attaquée, qu’il couvrait une période allant de juin 2004 à mai 2005.

290    La requérante conteste la conclusion de la Commission selon laquelle les rabais HPA étaient susceptibles d’avoir des effets d’éviction anticoncurrentiels et fait valoir que, lorsqu’il est correctement appliqué, le test AEC montre que ces rabais n’étaient pas susceptibles d’évincer un concurrent aussi efficace.

291    En substance, la requérante fait valoir que la décision attaquée contient quatre erreurs relatives, la première, à la part disputable, la deuxième, au montant de la part conditionnelle des rabais, la troisième, à la période infractionnelle examinée et, la quatrième, aux facteurs de renforcement pris en considération. La requérante avance un cinquième argument selon lequel la Commission aurait commis des erreurs dans l’appréciation de ses CEM.

1)      Sur la période examinée par le test AEC

292    La requérante soutient que la Commission n’a pas effectué le test AEC pour toute la période visée par la décision attaquée. La décision attaquée ne comporterait pas de test AEC pour les onze premiers mois de la période concernée, à savoir de novembre 2002 au troisième trimestre de l’année fiscale 2003 de HP. Aussi, bien que le tableau no 35 figurant au considérant 1337 de la décision attaquée (ci-après le « tableau no 35 ») présente une analyse de « solidité » qui engloberait prétendument l’intégralité de l’accord HPA1, cette analyse reposerait, selon la requérante, sur des données incomplètes. La Commission aurait commis une « erreur manifeste d’appréciation » en affirmant que la requérante ne satisfaisait pas au test AEC pour la période couverte par l’accord HPA1, tout en admettant qu’il était possible que, à défaut de données cohérentes, la période de référence « ne coïncide pas parfaitement avec la durée contractuelle effective » de l’accord HPA1.

293    Par ailleurs, la requérante estime que l’affirmation de la Commission faite au considérant 1014 de la décision attaquée selon laquelle le test AEC requiert que soit examinée la part disputable des besoins d’un OEM sur une période de tout au plus un an est incompatible avec l’analyse qui ressort du tableau no 35 faite sur une période plus longue, à savoir sur un an et demi.

294    La Commission fait valoir que la décision contient bel et bien une analyse AEC pour l’ensemble de la période couverte par l’accord HPA1, qui court de novembre 2002 à mai 2004, et que l’annexe B.31 démontre en quoi il s’agit d’une période pertinente.

295    Ensuite, la Commission soutient que la requérante n’a, à aucun moment, soulevé cet argument au cours de la procédure administrative, alors que les mêmes périodes de référence auraient été utilisées pour tous les calculs relatifs à HP. De surcroît, la requérante aurait utilisé ces périodes de référence pour ses propres calculs relatifs à HP dans sa réponse à la communication des griefs de 2007.

296    Enfin, la Commission précise la raison pour laquelle le calcul pour toute la durée de validité de l’accord HPA1 – soit un an et demi – n’utilise pas les parts disputables établies à l’horizon d’un an et demi, mais une moyenne des parts disputables trimestrielles pendant la période de validité de l’accord HPA1, établie à l’horizon d’un an. Selon elle, quel que soit le moment où le concurrent aussi efficace tenterait d’entrer sur le marché HP, cette dernière devrait apprécier la proposition dudit concurrent pour l’année commençant au moment de son entrée sur le marché.

297    Aux considérants 1334 à 1337 de la décision attaquée, la Commission a exposé ses calculs relatifs à la part requise s’agissant de HP.

298    Aux considérants 1385 à 1387 de la décision attaquée, la Commission, se référant aux chiffres exposés au considérant 1334 de ladite décision, a estimé que la part requise était systématiquement supérieure à la part disputable.

299    Au considérant 1406 de la décision attaquée, la Commission a retenu que, sur la base de la comparaison de la part disputable et de la part requise effectuée aux considérants 1385 à 1389 de ladite décision, il y avait lieu de considérer que, au cours de la période comprise entre novembre 2002 et mai 2005, les rabais accordés par Intel à HP étaient susceptibles de produire un effet d’éviction anticoncurrentiel.

300    En premier lieu, il convient de rappeler que, en vertu de la jurisprudence, s’agissant de l’application des articles 101 et 102 TFUE, aucune disposition du droit de l’Union n’impose au destinataire de la communication des griefs de contester ses différents éléments de fait ou de droit au cours de la procédure administrative, sous peine de ne plus pouvoir le faire ultérieurement au stade de la procédure juridictionnelle (arrêt du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission, C‑407/08 P, EU:C:2010:389, point 89).

301    Dès lors, l’argument de la Commission selon lequel la requérante se serait abstenue de contester, durant la procédure administrative, les périodes utilisées par la Commission pour ses calculs ne saurait prospérer.

302    Il en va de même pour l’argument de la Commission selon lequel la requérante aurait utilisé les périodes en cause pour ses propres calculs durant la procédure administrative. Dès lors que certaines périodes ont été utilisées par la Commission pour ses propres calculs dans la décision attaquée, elles font partie des motifs de ladite décison que la requérante peut contester devant le Tribunal.

303    En second lieu, il convient d’observer que le tableau no 34, figurant au considérant 1334 de la décision attaquée, qui reprend les paramètres et les calculs de la part requise (ci-après le « tableau no 34 ») couvre la période allant du quatrième trimestre de l’exercice fiscal 2003 au troisième trimestre de l’exercice fiscal 2005, de sorte qu’il n’intègre aucune donnée concernant les mois de novembre et de décembre 2002 ainsi que les trois premiers trimestres de l’exercice fiscal 2003.

304    En outre, la requérante avance à juste titre que les chiffres pour l’accord HPA1 qui figurent à la première ligne du tableau no 35, visant à établir la solidité des conclusions de la Commission en exposant le calcul de la part requise pour les accords HPA, résultent de la somme ou de la moyenne arithmétique des chiffres qui figurent aux trois premières lignes du tableau no 34.

305    Plus précisément :

–        le nombre de CPU x86 achetés par HP identifié dans le tableau no 35 pour la période couverte par l’accord HPA1, à savoir 7 079 382 unités, correspond au nombre de CPU x86 achetés par HP sur la période s’étendant du quatrième trimestre de l’exercice fiscal 2003 au deuxième trimestre de l’exercice fiscal 2004, identifié dans le tableau no 34 (quatrième trimestre de l’exercice fiscal 2003, 2 416 750 unités ; premier trimestre de l’exercice fiscal 2004, 2 200 225 unités ; deuxième trimestre de l’exercice fiscal 2004, 2 462 407 unités) ;

–        le montant des rabais perçus par HP identifié dans le tableau no 35 pour la période couverte par l’accord HPA1, à savoir 97 499 999 USD, correspond aux rabais perçus par HP sur la période s’étendant du quatrième trimestre de l’exercice fiscal 2003 au deuxième trimestre de l’exercice fiscal 2004, identifiés dans le tableau no 34 (quatrième trimestre de l’exercice fiscal 2003, 32 499 999 USD ; premier trimestre de l’exercice fiscal 2004, 32 500 000 USD ; deuxième trimestre de l’exercice fiscal 2004, 32 500 000 USD) ;

–        la valeur « V » (c’est-à-dire, la fraction du volume total d’unités de CPU x86 que HP aurait achetées auprès de la requérante en respectant la condition de quasi-exclusivité) identifiée dans le tableau no 35 pour la période couverte par l’accord HPA1, à savoir 6 725 413 unités, correspond, à une unité près et en tenant compte d’une erreur de frappe, aux valeurs « V » pour la période s’étendant du quatrième trimestre de l’exercice fiscal 2003 au deuxième trimestre de l’exercice fiscal 2004, identifiées dans le tableau no 34 (quatrième trimestre de l’exercice fiscal 2003, 2 295 913 unités ; premier trimestre de l’exercice fiscal 2004, 2 090 214 unités ; deuxième trimestre de l’exercice fiscal 2004, 2 339 287 unités) ;

–        le « PVM des microprocesseurs d’Intel » identifié dans le tableau no 35 pour la période couverte par l’accord HPA1, à savoir 165,15, correspond à la moyenne arithmétique, sans pondération, des PVM identifiés, pour la période s’étendant du quatrième trimestre de l’année fiscale 2003 au deuxième trimestre de l’année fiscale 2004, dans le tableau no 34 (quatrième trimestre de l’exercice fiscal 2003, 176,19 ; premier trimestre de l’exercice fiscal 2004, 159,45 ; deuxième trimestre de l’exercice fiscal 2004, 159,82).

306    À cet égard, il convient de relever que la Commission ne soutient pas que la démonstration qui précède résulterait d’une coïncidence et que les différentes valeurs identifiées au point 305 ci-dessus seraient, pour les trois trimestres manquants ainsi que pour les trois trimestres suivants, identiques.

307    Partant, ce qui précède suffit pour démontrer que les mois de novembre et de décembre 2002 ainsi que les trois premiers trimestres de l’exercice fiscal 2003 n’étaient effectivement pas pris en compte par la Commission dans les calculs menant aux chiffres figurant dans le tableau no 35. Le calcul de la part requise pendant la durée de l’accord HPA1 ayant mené aux résultats figurant dans les tableaux nos 34 et 35 ne couvre donc pas l’ensemble de la période comprise entre novembre 2002 et mai 2005 pour laquelle la Commission a estimé pouvoir démontrer l’existence d’un effet d’éviction produit par les rabais qu’Intel a accordés à HP.

308    En troisième lieu, les arguments avancés par la Commission ne sont pas de nature à remettre en cause la conclusion qui précède.

309    Tout d’abord, dans la duplique, la Commission soutient que le résultat d’un calcul sur une base trimestrielle ne diffère pas fondamentalement du résultat du calcul global prétendument effectué.

310    Toutefois, cet argument intervient en réponse à la réplique, pour faire valoir que l’approche retenue dans la décision attaquée, reposant sur une moyenne des parts disputables trimestrielles dans laquelle la part disputable est calculée pour une période maximale d’un an, n’était pas incompatible avec le fait d’effectuer ce calcul pour toute la durée de validité de l’accord HPA1. Or, si les calculs effectués par la Commission dans la décision attaquée ne prennent pas en compte les données relatives aux mois de novembre et décembre 2002 ainsi qu’aux trois premiers trimestres de l’exercice fiscal 2003 pour la durée de l’accord HPA1, il importe peu que ces calculs soient faits trimestre par trimestre ou globalement, dès lors que les mois de novembre et de décembre 2002 ainsi que les trois premiers trimestres de l’exercice fiscal 2003 ne seront, quoi qu’il en soit, jamais pris en compte.

311    Ensuite, dans le mémoire en défense et dans la duplique, la Commission, au soutien de ses arguments, fait un renvoi aux annexes B.31. et D.17 correspondantes.

312    En ce qui concerne le renvoi, dans le mémoire en défense, à l’annexe B.31, il convient de rappeler que, si le corps de la requête peut être étayé et complété sur des points spécifiques par des renvois à des passages déterminés de pièces qui y sont annexées, un renvoi global à d’autres écrits, même annexés à la requête, ne saurait pallier l’absence des éléments essentiels de l’argumentation en droit, qui, en vertu de l’article 21 du statut de la Cour de justice et de l’article 76 du règlement de procédure du Tribunal, doivent figurer dans la requête (arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission, T‑201/04, EU:T:2007:289, point 94).

313    En outre, il n’appartient pas au Tribunal de rechercher et d’identifier, dans les annexes, les moyens et les arguments qu’il pourrait considérer comme constituant le fondement du recours, les annexes ayant une fonction purement probatoire et instrumentale (arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission, T‑201/04, EU:T:2007:289, point 94).

314    Ainsi, une annexe à la requête ne peut être prise en considération que dans la mesure où elle étaye ou complète des arguments expressément invoqués par la partie requérante dans le corps de la requête et où il est possible pour le Tribunal de déterminer avec précision quels sont les éléments que l’annexe contient qui étayent ou complètent lesdits arguments (voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission, T‑201/04, EU:T:2007:289, point 99).

315    En l’espèce, dans le mémoire en défense, la Commission se contente d’indiquer que la période analysée dans la décision attaquée, à savoir la période complète couverte par l’accord HPA1, est pertinente aux fins du test AEC, sans développer cet argument, et renvoie, sans autres indications, aux explications figurant à l’annexe B.31, sans qu’il soit possible pour le Tribunal de déterminer avec précision quels sont les éléments contenus dans ladite annexe qui pourraient étayer cet argument non développé. Il s’ensuit que ledit argument est irrecevable, en application, par analogie, de la jurisprudence mentionnée aux points 312 à 314 ci-dessus.

316    S’agissant de la duplique, la Commission renvoie aux points 77 à 82 de l’annexe D.17 pour soutenir que des calculs trimestriels prenant pour base un chiffre fourni par HP aboutissent à des résultats moins favorables à Intel que les résultats moyens sur lesquels la décision est fondée.

317    Dans la mesure où la Commission présente, dans l’annexe D.17 de la duplique, un calcul pour deux des trois trimestres manquants, à savoir les deuxième et troisième trimestres de l’exercice fiscal 2003, il convient de relever que lesdits calculs ne ressortent pas de la décision attaquée et sont présentés pour la première fois au cours de la procédure judiciaire. Le Tribunal ne peut donc tenir compte de ces calculs complémentaires pour étayer le test AEC contenu dans la décision attaquée sans substituer sa propre motivation à celle de la Commission figurant dans ladite décision. Or, la jurisprudence citée au point 150 ci-dessus interdit au Tribunal de procéder à une telle substitution de motifs.

318    Quoi qu’il en soit, il y a lieu de constater que rien ne démontre l’exactitude de l’hypothèse avancée par la Commission selon laquelle, en raison de la stabilité des rabais au cours de la période couverte par l’accord HPA1, les résultats de la part requise seraient les mêmes pour les deux mois et les trois trimestres manquants. De plus, il convient de rappeler que la part requise est calculée au moyen de trois paramètres, à savoir le montant des rabais, le volume des achats de HP et le PVM. Or, il n’a pas été démontré, dans la décision attaquée, que ces deux derniers paramètres présentaient, pour les deux mois et les trois trimestres manquants, des valeurs identiques à celles identifiées dans le cadre de l’examen des trimestres pris en compte. Aussi, rien ne garantit que les données pour les mois et les trimestres non pris en compte aux fins du test AEC ne diffèrent de celles identifiées pour les trimestres analysés.

319    Partant, il découle de ce qui précède que la Commission a commis une erreur en considérant que son calcul de la part requise lui permettait de tirer des conclusions relatives à l’effet d’éviction produit par les rabais qu’Intel accordait à HP pour l’ensemble de la période comprise entre novembre 2002 et mai 2005. En effet, la Commission n’a pas démontré l’existence dudit effet pour la période comprise entre novembre 2002 et septembre 2003.

320    La circonstance que la Commission ait procédé à un calcul alternatif de la part requise au considérant 1389 de la décision attaquée en se référant aux chiffres exposés au considérant 1338 de ladite décision ne saurait pallier cette erreur. En effet, il ressort des tableaux nos 36 et 37 que les données concernant la part requise dans les deux scénarios alternatifs envisagés par la Commission couvrent, respectivement, la période allant du quatrième trimestre de l’année 2004 au troisième trimestre de l’année 2005 et la période allant du deuxième trimestre au troisième trimestre de l’année 2005. Ainsi, ledit calcul alternatif ne couvre pas non plus l’ensemble de la période comprise entre novembre 2002 et mai 2005.

2)      Sur les prétendus facteurs de renforcement

321    Aux considérants 1390 à 1395 de la décision attaquée, la Commission a indiqué, en substance, que le test AEC ne tenait pas compte de deux considérations supplémentaires, à savoir, premièrement, que la Commission avait utilisé les chiffres les plus favorables à la requérante, et, deuxièmement, que, en cas de transfert par HP de ses achats de CPU x86 vers AMD, la requérante pourrait à son tour transférer les rabais initialement destinés à HP vers un autre concurrent utilisant ses CPU x86 , tel que Dell. Cela, selon la Commission, renforcerait encore les inconvénients pour HP découlant d’un transfert de ses achats en CPU x86 vers AMD.

322    La requérante fait valoir, premièrement, que la Commission n’explique pas les raisons pour lesquelles une augmentation des rabais accordés aux concurrents de HP, et ce afin de s’aligner sur la concurrence, serait anticoncurrentielle. Deuxièmement, il ressortirait du document de HP intitulé « Managing Intel and AMD to maximise value to BPC » que HP elle-même avait conclu qu’une telle mesure ne constituait pas un risque réel et qu’un tel phénomène n’avait pas été observé dans d’autres unités commerciales mondiales ayant une plus forte proportion de produits AMD. Troisièmement, si HP avait reçu un million de CPU x86 gratuits de la part d’AMD, elle aurait évité de payer 163,86 millions d’USD à la requérante (soit le PVM hors rabais pour un million de CPU x86 ). Les rabais totaux de la requérante prévus dans l’accord HPA1 s’élèveraient à seulement 130 millions d’USD, de sorte que HP aurait dû payer près de 34 millions d’USD pour acheter la quantité équivalente de CPU x86 à la requérante. HP aurait donc nécessairement rejeté l’offre d’AMD pour la simple raison que la demande en systèmes équipés de CPU x86 d’AMD aurait été insuffisante et n’aurait pas pris en considération la perte potentielle des rabais octroyés par la requérante. Quatrièmement, il ressortirait également du document de HP intitulé « Managing Intel and AMD to maximise value to BPC » que l’acceptation d’AMD sur le marché des professionnels était incertaine.

323    La Commission affirme, premièrement, que la possibilité d’un transfert de rabais vers les concurrents de HP viendrait renforcer les incitations économiques afin d’amener HP à ne pas enfreindre les conditions des accords HPA. Deuxièmement, le document de HP intitulé « Managing Intel and AMD to maximise value to BPC » ne traiterait pas de transferts de rabais vers les concurrents. Troisièmement, la décision de HP de ne pas accepter l’offre d’un million de CPU x86 gratuits faite par AMD ne résulterait pas uniquement d’une comparaison comptable. Contrairement au test AEC, qui serait purement théorique, les vraies décisions commerciales seraient influencées par une multitude de facteurs. Par ailleurs, les calculs de la requérante ne seraient pas corrects, dès lors que, HP pouvant s’approvisionner, selon les accords HPA, en petites quantités auprès d’AMD, elle aurait finalement acquis 160 000 CPU x86. Partant, HP n’aurait pas refusé un million de CPU x86, mais seulement 840 000 CPU x86. Or, avec un PVM de 163,86 USD par unité, le montant épargné ne représenterait que 137,6 millions d’USD, ce qui ne différerait pas d’une manière significative des 130 millions d’USD de rabais HPA.

324    À cet égard, avant de s’interroger sur le caractère prétendument erroné de l’appréciation portée par la Commission dans la décision attaquée quant au facteur de renforcement qui y est identifié et qui consiste en un transfert des rabais initialement octroyés à HP vers ses concurrents, il y a lieu de constater que la décision attaquée ne contient aucune analyse de l’incidence dudit facteur sur les éléments pris en considération dans le test AEC.

325    Or, il est de jurisprudence constante qu’un défaut ou une insuffisance de motivation relève de la violation des formes substantielles, au sens de l’article 263 TFUE, et constitue un moyen d’ordre public pouvant, voire devant, être soulevé d’office par le juge de l’Union (voir arrêt du 2 décembre 2009, Commission/Irlande e.a., C‑89/08 P, EU:C:2009:742, point 34 et jurisprudence citée).

326    Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal est tenu de statuer sur l’existence d’un manquement éventuel à l’obligation de motivation et d’entendre à cette fin les parties, ainsi qu’il l’a fait à l’occasion de l’audience de 2020.

327    Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la portée de l’obligation de motivation dépend de la nature de l’acte en cause et du contexte dans lequel il a été adopté. La motivation doit faire apparaître de manière claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, de façon, d’une part, à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de pouvoir défendre leurs droits et de vérifier si la décision est ou non bien fondée et, d’autre part, à permettre au juge de l’Union d’exercer son contrôle de légalité. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 18 janvier 2012, Djebel – SGPS/Commission, T‑422/07, non publié, EU:T:2012:11, point 52 et jurisprudence citée).

328    En l’espèce, force est de constater que si la Commission considérait que le transfert des rabais initialement destinés à HP vers ses concurrents constituait un facteur de renforcement soutenant les conclusions qu’elle tirait du test AEC, elle n’a cependant pas précisé lequel des éléments pris en compte dans ce test serait influencé et de quelle manière. Or, dès lors que la Commission considérait que ce facteur de renforcement jouait un rôle dans le cadre de l’évaluation de la capacité d’éviction des rabais litigieux, elle se devait d’en apprécier plus précisément l’incidence sur cette dernière. Il en est d’autant plus ainsi qu’elle a retenu, au considérant 1395 de la décision attaquée, que ledit facteur était de nature à l’emporter sur tous les arguments de la requérante formulés durant la procédure administrative au sujet des facteurs utilisés par la Commission pour appliquer le test AEC s’agissant de HP.

329    Lors de l’audience de 2020, en réponse à une question du Tribunal sur son raisonnement selon lequel le facteur de renforcement consistant en un transfert des rabais initialement octroyés à HP vers un de ses concurrents l’emporterait sur toutes les erreurs que contiendrait la décision attaquée et sur la motivation de la décision attaquée à cet égard, la Commission s’est contentée d’indiquer qu’aucun partenaire commercial raisonnable n’aurait refusé l’offre que lui aurait faite AMD de lui offrir un million de CPU x86 gratuitement. Aussi, HP n’aurait refusé l’offre d’AMD qu’en raison des conséquences qu’une acceptation aurait eues sur sa relation avec la requérante. La Commission a considéré ne rien avoir à ajouter à ce qui figurait dans la décision attaquée.

330    Dès lors, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur sa recevabilité, il y a lieu de considérer que l’argument présenté par la Commission lors de l’audience de 2020 est une simple supposition non étayée qui ne saurait combler l’absence de motivation de la décision attaquée quant à l’influence qu’aurait le facteur de renforcement consistant en un transfert des rabais initialement octroyés à HP vers un de ses concurrents sur ses conclusions découlant du test AEC.

331    Au regard de ce qui précède, il convient de retenir que la décision attaquée, s’agissant du facteur de renforcement consistant en un transfert des rabais initialement octroyés à HP vers un de ses concurrents, est affectée d’un défaut de motivation.

332    Au regard de ce qui précède, il convient de relever que, au considérant 1406 de la décision attaquée, pour affirmer qu’elle a démontré la capacité des rabais accordés à HP de produire un effet d’éviction, la Commission s’est fondée sur la comparaison de la part disputable et de la part requise, les facteurs de renforcement et l’absence de pertinence des allégations d’Intel concernant une « nouvelle théorie » de la Commission.

333    Tout d’abord, il ressort des considérants 1396 à 1405 de la décision attaquée que l’examen de l’absence de pertinence des allégations d’Intel concernant une « nouvelle théorie » de la Commission ne consiste pas en un test AEC alternatif, mais en une contestation de nouveaux calculs présentés par Intel dans ses observations du 28 mars 2008, de sorte qu’il ne saurait être considéré comme un examen de la Commission visant à établir la capacité des rabais litigieux de produire un effet d’éviction.

334    Ensuite, il ressort de tout ce qui précède que, en ce qui concerne le test AEC appliqué à HP, la Commission, d’une part, lors de la comparaison de la part disputable et de la part requise, n’a pas démontré l’existence des effets d’éviction pour la période comprise entre le 1er novembre 2002 et le 30 septembre 2003 et, d’autre part, n’a pas motivé à suffisance de droit l’examen des facteurs de renforcement.

335    Partant, la Commission n’a pas établi à suffisance de droit le bien-fondé de la conclusion, formulée au considérant 1406 de la décision attaquée, selon laquelle, au cours de la période allant de novembre 2002 à mai 2005, le rabais d’Intel accordé à HP était capable de produire un effet d’éviction anticoncurrentiel ou susceptible de produire un tel effet, dans la mesure où elle n’a pas démontré l’existence d’effets d’éviction pour la période comprise entre le 1er novembre 2002 et le 30 septembre 2003.

c)       Sur les prétendues erreurs relatives au test AEC appliqué à NEC

336    Aux considérants 451 à 453 de la décision attaquée, la Commission a relevé que NEC était l’un des dix plus grands vendeurs d’ordinateurs et de serveurs au monde. Jusqu’au mois d’avril 2005, les activités de NEC en tant qu’OEM étaient gérées par deux filiales détenues à 100 %, à savoir NEC Japan et NEC Computer International (ci-après « NECCI »). NEC Japan gérait les activités de NEC au Japon et sur le continent américain, tandis que les activités de NEC dans le reste du monde étaient gérées par NECCI. NECCI était établie en Europe, mais elle gérait également les activités de NEC en Asie (à l’exception du Japon) par le biais de sa branche des pays Asie-Pacifique. En avril 2005, la structure de l’entreprise a été modifiée et la branche des pays Asie-Pacifique a été détachée de NECCI et transférée à NEC Corporation.

337    Il ressort en outre notamment des considérants 483, 501 à 502 et 981 de 1a décision attaquée que, premièrement, entre octobre 2002 et novembre 2005, Intel avait accordé des rabais à NEC au titre d’un arrangement appelé « accord de Santa Clara » adopté en mai 2002 (ci-après l’« accord de Santa Clara »), deuxièmement, les rabais accordés au titre de cet accord étaient de facto liés à la condition que NEC accepte d’acheter à Intel 80 % de ses besoins en CPU x86 dans le monde, cette part globale se traduisant en un pourcentage de 70 % pour NECCI et de 90 % pour NEC Japan, et, troisièmement, afin de prouver qu’elles avaient atteint la part de marché requise, NEC et NECCI étaient obligées de notifier leurs parts du marché à Intel tous les trimestres.

338    En application de l’accord de Santa Clara, Intel indique avoir fourni à NEC à la fois des rabais dits « exception à la tarification proposée aux clients » (exception to customer authorized pricing, ci-après les « ECAP ») et des fonds de développement du marché (market development funds, ci-après les « MDF »). La Commission a relevé, au considérant 466 de la décision attaquée, que, à partir du 1er juillet 2003, la structure des paiements d’Intel avait changé et que les MDF avaient été intégrés dans les ECAP et avaient été renommés « super ECAP ».

339    La Commission a examiné les rabais accordés par Intel à NEC à l’aide de la méthode du prix effectif du test AEC. Selon cette méthode, la Commission a calculé le ratio entre la valeur totale des paiements accordés en vertu de l’accord de Santa Clara et la valeur des activités en jeu pour Intel au quatrième trimestre de 2002 afin d’obtenir une mesure du prix effectif. La Commission a ensuite comparé ce ratio au ratio existant entre le PVM et le CEM d’Intel et en a conclu qu’Intel avait appliqué des prix inférieurs à ses coûts, parce que le premier ratio était inférieur au ratio entre le PVM et le CEM.

340    La requérante soutient que les calculs de la Commission sont entachés de cinq erreurs, chacune suffisant à renverser ses conclusions. Intel affirme, premièrement, que les propres données de la Commission montrent que les rabais octroyés à NEC ne sont pas en mesure d’évincer un concurrent aussi efficace, deuxièmement, que la Commission s’est fourvoyée en calculant la part conditionnelle des rabais accordés à NEC, troisièmement, que la Commission a mal calculé la valeur des transactions en cause pour Intel, quatrièmement, que la Commission s’est appuyée sur une valeur erronée pour déterminer les CEM d’Intel et, cinquièmement, que la Commission a commis une erreur en supposant que le quatrième trimestre de 2002 était représentatif de l’ensemble de la période au cours de laquelle l’abus avait été constaté.

341    Le Tribunal estime opportun d’examiner d’abord le bien-fondé de l’argumentation tendant à démontrer que la Commission aurait commis des erreurs dans son calcul de la part conditionnelle des rabais.

1)      Sur le calcul de la part conditionnelle des rabais

342    La requérante expose que, selon les considérants 1408, 1443 et 1444 de la décision attaquée, tous les rabais accordés à NEC au quatrième trimestre de 2002 étaient conditionnels. Or, premièrement, cette thèse ne serait pas corroborée par les preuves avancées dans la décision attaquée et serait d’ailleurs contredite par les réponses dépourvues d’ambiguïté formulées par NECCI au titre de l’article 18 du règlement no 1/2003 et par d’autres éléments de preuve, selon lesquelles les 6 millions d’USD de MDF fournis pour le quatrième trimestre de 2002 étaient le seul avantage accordé à NEC en vertu de l’engagement de parts de marché prévu par l’accord de Santa Clara. Selon Intel, la Commission aurait donc eu tort de considérer que les ECAP étaient conditionnels. Deuxièmement, NEC aurait reçu des rabais significatifs de la part d’Intel au cours des périodes qui ont précédé l’accord, lorsque la part de marché d’Intel pour les achats de NEC était nettement inférieure à 80 %. La Commission n’expliquerait pas la raison pour laquelle NEC aurait perdu 100 % de ses rabais si elle avait acheté moins de 80 % de ses CPU x86 à Intel alors qu’elle l’aurait déjà fait sans subir une telle perte. Troisièmement, il ne serait pas contesté qu’Intel aurait accordé des rabais à NEC alors même que celui-ci n’atteignait pas le niveau de 80 %, qui, selon les conclusions de la décision attaquée, était une condition préalable à l’obtention de tout rabais.

343    La Commission réfute les arguments d’Intel. Premièrement, elle souligne que la décision attaquée ne considère pas que tous les rabais octroyés à NEC étaient conditionnels. La décision attaquée se contenterait d’affirmer que le volet conditionnel des rabais d’Intel incluait non seulement les versements au titre des MDF, mais aussi certaines catégories – pas forcément toutes – de rabais de type ECAP. Cette constatation se fonderait sur un faisceau de preuves cohérent, précis et solide, exposé aux considérants 1412 à 1444 de la décision attaquée ainsi que dans l’annexe B.31 du mémoire en défense.

344    La Commission considère que l’argument d’Intel tiré de l’octroi de rabais significatifs au cours des périodes qui ont précédé l’accord de Santa Clara ne convainc pas, notamment au motif, d’une part, que les conditions applicables aux rabais octroyés antérieurement ne seraient pas connues et, d’autre part, que des données soumises par NECCI montreraient une hausse de quelque 500 % des rabais octroyés par Intel à NECCI à la suite de ce même accord.

345    Enfin, dans la mesure où la requérante affirme qu’elle a accordé des rabais à NEC alors même que celle-ci ne parvenait pas à remplir la condition de 80 % de parts de marché, la Commission ajoute, dans le contexte de l’analyse AEC, que, à supposer que les allégations d’Intel selon lesquelles la part de marché d’AMD chez NEC aurait « de manière routinière » été supérieure au seuil de 20 % soient vraies, la part d’AMD chez NEC ne s’est jamais rapprochée de la part disputable (soit 41 %).

346    S’agissant du premier argument de la requérante selon lequel la Commission aurait eu tort de considérer que les ECAP étaient conditionnels, il y a lieu de vérifier si la Commission a démontré dans la décision attaquée que les rabais qui ont été pris en considération dans le calcul du prix effectif des CPU x86 d’Intel vendus à NEC autres que les MDF, à savoir les ECAP, ont été conditionnés par le fait que NEC respecte son obligation d’approvisionnement auprès d’Intel à une certaine hauteur de pourcentage de ses achats de CPU x86.

347    Aux considérants 1415 à 1444 de la décision attaquée, la Commission a évalué la valeur totale des rabais conditionnels dans une fourchette se situant entre 13 088 100 et 16 583 100 USD, dont 6 millions d’USD étaient constitués de MDF et le reste d’ECAP.

348    Partant, une conclusion selon laquelle les ECAP ne sont pas conditionnés par une part de marché spécifique remettrait nécessairement en cause les calculs de la Commission, tels qu’ils figurent dans la décision attaquée.

349    Il y a donc lieu d’apprécier, sur le fondement des éléments de preuve se rapportant au quatrième trimestre de 2002 sur lequel la Commission a fondé le test AEC relatif à NEC, si, pendant ce trimestre, des paiements autres que les MDF ont été conditionnés par le fait que NEC s’approvisionne auprès d’Intel à concurrence d’un certain pourcentage des seuils de parts de segments de marché (ci-après le « MSS »). D’emblée, il y a lieu de souligner que la requérante ne nie pas que, en application de l’accord de Santa Clara, elle a fourni à NEC à la fois des rabais de type MDF et des ECAP. Cependant, elle soutient que, contrairement aux premiers de ces rabais, les seconds n’étaient pas conditionnés par l’obligation d’atteindre un certain niveau de MSS.

350    La requérante allègue, en substance, que les éléments de preuve présentés dans la décision attaquée ne corroborent pas la conclusion selon laquelle les ECAP seraient conditionnels au quatrième trimestre de 2002 et met en avant d’autres documents, dont il résulterait que les seuls rabais qui étaient conditionnés par l’obligation impartie à NEC d’atteindre un certain niveau de MSS étaient les MDF. La Commission réfute les arguments de la requérante et soutient que les éléments de preuve avancés par Intel ne démontrent pas que les MDF étaient les seuls rabais conditionnés par l’obligation que NEC s’approvisionne auprès d’Intel à concurrence d’un certain pourcentage de MSS.

i)      Sur les éléments de preuve pris en compte dans la décision attaquée

351    En premier lieu, il y a lieu de souligner que la Commission s’est appuyée notamment aux considérants 461 et 464 de la décision attaquée sur une présentation de NEC du 27 janvier 2003 intitulée « NEC/Intel réunion monde (session sur les achats) » et, plus particulièrement, sur la quatrième page de cette présentation, intitulée « Monde : réalisations quatrième trimestre/année 2002 ». Le contenu de cette page confirme, sous l’intitulé « Plan initial », que l’intention de NEC était de se fournir auprès d’Intel pour seulement 59 % de ses besoins, à savoir 68 % pour NEC Japan, la branche de NEC active notamment sur le marché japonais, et 48 % pour NECCI. En outre, cette page indique, sous l’intitulé « Plan de réalignement », d’une part, les parts de marché d’Intel qui étaient prévues, à savoir 70 % pour NECCI, 90 % pour NEC Japan et 80 % au niveau mondial et, d’autre part, certains rabais et d’autres avantages à accorder à NEC par Intel. Il s’agit notamment des MDF, des prix réduits (rabais) pour des CPU x86, du « statut d’entreprise multinationale » et d’un accord sur une ligne d’approvisionnement.

352    Toutefois, il convient de constater que si ce document postérieur tant à la conclusion de l’accord de Santa Clara qu’au trimestre concerné mentionne des prix réduits, donc des ECAP, comme étant l’un des avantages dont bénéficiait NEC dans le cadre de ce même accord et confirme que ces ECAP faisaient partie dudit accord, ce qui n’est pas contesté par Intel, il n’en ressort pas que les ECAP étaient conditionnés par un certain niveau de MSS. Ce document n’est donc tout au plus qu’un indice qui devrait être confirmé par d’autres éléments de preuve.

353    En deuxième lieu, les considérants 462 et 464 de la décision attaquée s’appuient sur un courriel du 15 mai 2002 dans lequel un haut cadre de NEC a informé un cadre de NECCI qu’il résultait d’une téléconférence tenue le même jour avec les responsables d’Intel que NEC aurait le statut d’entreprise multinationale, qu’elle augmenterait sa part d’achats de CPU x86 auprès d’Intel à un certain pourcentage au niveau mondial de ses ventes totales et qu’Intel donnerait à NEC des MDF et des « prix agressifs », donc réduits, pour les CPU x86 dénommés « Celeron ».

354    Cependant, tout comme le document du 27 janvier 2003, ce document contemporain à la conclusion de l’accord de Santa Clara ne fait pas apparaître de lien entre les parts de marché et l’existence, voire l’ampleur, des ECAP. À supposer même que l’on puisse considérer que la référence à des « prix agressifs » désigne des ECAP, il en ressort uniquement qu’ils font partie de l’accord de Santa Clara et qu’ils sont mentionnés dans le contexte des objectifs d’augmentation des parts de marché d’Intel dans les achats de CPU x86 par NEC. Il n’est pas expressément indiqué que les ECAP sont conditionnés à la réalisation par NEC desdits objectifs.

355    En troisième lieu, au considérant 462 de la décision attaquée, la Commission fait référence à un échange de courriels entre des cadres de NEC daté du 10 mai 2002 (ci-après l’« échange de courriels de NEC du 10 mai 2002 »). Il décrit comment NECCI et NEC Japan pourraient atteindre les niveaux de MSS demandés par Intel et mentionne les sommes qui seraient perçues au titre des MDF.

356    Toutefois, force est de constater que cet élément de preuve, qui est antérieur à la conclusion de l’accord de Santa Clara et qui s’inscrit dans les négociations relatives à cet accord ne mentionne aucunement les ECAP, comme le relève à juste titre Intel, si bien qu’il ne saurait corroborer la conclusion de la Commission en ce qui concerne la conditionnalité des ECAP. Au contraire, il apparaît que cet échange de courriels corrobore la thèse d’Intel selon laquelle les seuls rabais qui dépendent des parts de marché d’Intel dans les achats par NEC sont les MDF. En effet, son libellé révèle que NECCI et NEC réduiront les parts de marché d’AMD dans leurs achats et recevront une certaine somme au titre des MDF. Il apparaît donc que les MDF seraient la conséquence des réductions de parts de marché d’AMD et le seul bénéfice directement dépendant des niveaux respectifs à la fois des parts de marché d’AMD et d’Intel dans les achats de NEC.

357    En quatrième lieu, au considérant 464 de la décision attaquée, la Commission mentionne la réponse de NECCI à la question no 14 de la demande de 2005 formulée au titre de l’article 18 du règlement no 1/2003 (ci-après la « demande de 2005 »). Elle soutient qu’il en découle que les ECAP dépendent des niveaux de MSS. Intel allègue cependant, en substance, qu’il s’agit d’une référence aux ECAP en vigueur postérieurement au quatrième trimestre de 2002.

358    À cet égard, il y a lieu de souligner que cette réponse prévoit effectivement, au début de son deuxième paragraphe, que les prix des ECAP dépendent d’un accord sur les niveaux de MSS et non sur les volumes.

359    Ainsi qu’il a été déjà constaté au point 967 de l’arrêt initial, il convient de considérer que les réponses de NECCI au titre de l’article 18 du règlement no 1/2003 sont des éléments de preuve particulièrement fiables, dans la mesure où, d’une part, il n’apparaît pas que NECCI ait eu un quelconque intérêt à fournir des informations inexactes qui pouvaient être utilisées par la Commission afin d’établir une infraction à l’article 102 TFUE commise par Intel, son partenaire commercial incontournable, et que, d’autre part, les renseignements inexacts sont passibles d’amendes en vertu de l’article 23, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1/2003.

360    Néanmoins, replacée dans son contexte, le Tribunal ne considère pas que cette réponse puisse servir de preuve ou d’indice pour corroborer les conclusions de la Commission.

361    En effet, premièrement, il y a lieu de constater que la demande de 2005 a été organisée de telle manière que chaque mention d’un document soit suivie d’une ou de plusieurs questions s’y rapportant. Ainsi que la Commission l’a confirmé lors de l’audience de 2020 à la suite d’une question du Tribunal, la réponse à la question no 14 est en rapport avec le document intitulé « JH 210 ». Ce dernier se réfère à une déclaration faite par un vendeur de NECCI le 22 février 2005. Ainsi, le document intitulé « JH 210 » est postérieur à cette date et, par voie de conséquence, au quatrième trimestre de 2002 et à la date de modification du système des rabais octroyés par Intel à NEC, à savoir le 1er juillet 2003. Partant, la réponse de NECCI à la question no 14 est relative à un document et à une déclaration dont il n’est pas certain qu’ils soient directement pertinents pour ce que la Commission souhaitait démontrer, dès lors qu’il apparaît qu’ils portent sur une période postérieure au 1er juillet 2003, à savoir une période pendant laquelle la structure des paiements d’Intel avait changé et les MDF avaient été intégrés dans les rabais classiques de type ECAP et avaient été renommés « super ECAP ».

362    Deuxièmement, au regard de ces précisions temporelle et contextuelle, il n’est pas certain que, en mentionnant les ECAP, la réponse s’y soit référée, en tant que catégorie générale de rabais octroyés par Intel, aux « super-ECAP » (désignés également « ECAP spéciaux »), qui ont existé à partir du 1er juillet 2003 et ont remplacé les MDF, tout en étant intégrés dans la catégorie générale des ECAP, ou aux ECAP classiques, mais désignés tout simplement « ECAP » et qui ont existé tant au quatrième trimestre de 2002 qu’après la modification du système de rabais. Or, comme il ressort notamment de la réponse de NECCI à la question no 20 de la demande de 2005, les « super-ECAP », tout comme les MDF qu’ils ont remplacés, étaient conditionnés par un certain niveau de MSS, tandis que les ECAP  ne l’étaient pas.

363    En cinquième lieu, au considérant 464 de la décision attaquée, la Commission traite d’une présentation interne de NEC du 15 mai 2002, qui serait contemporaine aux négociations de l’accord de Santa Clara. Elle démontrerait que, en échange d’un certain niveau de MSS, Intel aurait consenti une douzaine de paiements à NEC, dont seulement deux seraient des MDF.

364    Ce document de deux pages présente deux paiements au titre des MDF consentis par Intel à NEC et d’autres niveaux de prix pour différents types de CPU x86. Cependant, aucune information quant aux obligations en termes de niveau de MSS pour NEC n’apparaît. La seconde page montre un graphique présentant le passage du plan original au plan révisé, donc au plan de réalignement qui débouchera sur l’accord de Santa Clara, et indique les objectifs respectifs en parts de marché d’Intel dans les achats des CPU x86 par NEC. Le passage du plan original au plan de réalignement est graphiquement présenté par une flèche entre les deux plans, au milieu de laquelle figure la mention « $6M MDF », c’est-à-dire le paiement de 6 millions d’USD au titre des MDF. Seul ce paiement apparaît clairement dans ce document comme contrepartie de l’augmentation du niveau de MSS. Il s’ensuit que si le document confirme, à l’instar des deux premiers documents analysés, que les ECAP ont été discutés dans le cadre des négociations ayant abouti à l’accord de Santa Clara, ce sont uniquement les MDF qui dépendaient du niveau de MSS.

365    En sixième lieu, dans le cadre de sa défense, la Commission se réfère à la page 4 d’une présentation interne de NEC du 15 avril 2002, dont il ressortirait que, en contrepartie de l’augmentation de la part de marché d’Intel dans les achats de NEC, cette dernière aurait souhaité recevoir notamment des ECAP.

366    Il ressortirait de cette même présentation que NEC a identifié trois demandes à présenter à Intel pour augmenter ses niveaux de MSS dans les achats de NEC. Il s’agissait de demandes visant un « Marketing & Engineering Fund » (ce qui désigne probablement les MDF), mais également des ECAP, et l’amélioration du cadre contractuel avec Intel.

367    Toutefois, le Tribunal considère que cette présentation ne saurait constituer un fondement solide pour la conclusion à laquelle est parvenue la Commission.

368    En effet, si le document examiné présente les ECAP comme l’une des contreparties pour adopter le plan de réalignement, il s’agit là d’un souhait de NEC préalable à la négociation avec Intel et non d’une présentation des rabais tels qu’ils ont été définis dans le cadre de l’accord de Santa Clara à l’issue de ladite négociation.

369    En septième lieu, la Commission renvoie, dans le cadre de sa défense, à une présentation de NEC datée du 6 mai 2002 dans laquelle figure une autre représentation graphique du passage possible de NEC du plan original au plan de réalignement. Le passage est graphiquement illustré par une flèche et un commentaire qui s’y rapporte indiquant qu’il « dépendra de plus que de 6 millions [d’] USD de MDF ». En outre, une autre page de ladite présentation indique un « besoin d’ECAP pour réaliser le [plan de réalignement] ».

370    Toutefois, à l’instar de la présentation de NEC du 15 avril 2002, bien qu’il s’agisse d’un document contemporain aux négociations de l’accord de Santa Clara (réunions des 6 et 7 mai 2002), il ne présente pas les résultats desdites négociations, mais uniquement les souhaits de NEC. Partant, il doit être écarté pour les mêmes raisons que celles figurant au point 368 ci-dessus.

371    Il découle des considérations qui précèdent qu’il ressort des documents pris en compte par la Commission dans leur ensemble que les rabais sur les prix des CPU x86, dont les ECAP, ont été discutés et convenus dans le cadre des négociations de l’accord de Santa Clara et que NEC a souhaité obtenir des concessions au niveau des ECAP comme contrepartie à son engagement en matière de niveau de MSS. Toutefois, seule la présentation de NEC du 27 janvier 2003 peut constituer un indice étayant la position de la Commission selon laquelle les ECAP finalement convenus dans le cadre de l’accord de Santa Clara étaient versés, au moins partiellement, en contrepartie du respect de l’obligation portant sur un niveau de MSS découlant du plan de réalignement. En revanche, l’échange de courriels de NEC du 10 mai 2002, la réponse de NECCI à la question no 20 de la demande de 2005 ainsi que la présentation interne de NEC du 15 mai 2002 tendent plutôt à démontrer que seuls les MDF convenus dans le cadre de l’accord de Santa Clara étaient conditionnels.

372    Partant, le Tribunal considère que ces documents ne contiennent pas une preuve suffisante ou un faisceau d’indices suffisant pour confirmer la thèse de la conditionnalité des ECAP au quatrième trimestre de 2002.

ii)    Sur les éléments de preuve avancés par Intel

373    Il convient désormais d’apprécier la valeur probante des documents avancés par Intel aux fins de remettre en cause la conclusion de la Commission selon laquelle tant les MDF que les ECAP étaient conditionnels.

374    En premier lieu, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel, en substance, aucune relation de conditionnalité entre les ECAP et un niveau de MSS ne ressortirait de la réponse à la question no 32 de la demande de 2005, il y a lieu de relever que la Commission a spécifiquement demandé à NECCI de clarifier quel type de bénéfice, s’il y en avait, avait été octroyé à NECCI en échange du respect de l’obligation portant sur un niveau de MSS découlant du plan de réalignement. Or, dans sa réponse, NECCI a uniquement énuméré les MDF. Les MDF sont donc présentés dans ce document, donnant le résultat de l’accord de Santa Clara, comme l’unique contrepartie pour le respect des niveaux de MSS, si bien qu’ils seraient les seuls à être conditionnels.

375    La Commission met en doute la valeur probante de ce document en indiquant que la conditionnalité des ECAP ressort des documents qui ont été annexés à cette réponse. La Commission se borne à mentionner les annexes confidentielles nos 32.1 à 32.4. Toutefois, s’il est possible d’identifier les deux premières annexes, tel n’est pas les cas des deux dernières. S’agissant de l’annexe 32.1, elle correspond à l’échange de courriels de NEC du 10 mai 2002, mentionné au considérant 462 de la décision attaquée, qui a été analysé aux points 355 à 356 ci-dessus et dont il a été jugé qu’il corrobore la thèse d’Intel. Quant à l’annexe 32.2, elle correspond au document qui a été analysé aux points 353 et 354 ci-dessus et à propos duquel il a été conclu qu’il ne prouve pas que les ECAP étaient conditionnels.

376    Il convient donc de considérer que, en se bornant à renvoyer aux annexes susmentionnées sans autres précisions, la Commission n’a pas réussi à contester la valeur probante de la réponse de NECCI visée au point 371 ci-dessus, à laquelle il y a lieu d’attacher une grande valeur probante dès lors qu’il s’agit d’une réponse exhaustive à une question directe, apportée au titre de l’article 18 du règlement no 1/2003. La réponse de NECCI à la question no 32 de la demande de 2005 tend donc à accréditer la thèse selon laquelle les MDF convenus dans le cadre de l’accord de Santa Clara étaient les seuls à être conditionnels et que les ECAP ne l’étaient pas.

377    En deuxième lieu, par la question no 21 de la demande de 2005, la Commission a notamment invité NECCI à expliquer, d’une part, si les rabais ECAP qui lui avaient été offerts dépendaient du respect par NECCI, par NEC Japan et par NEC au niveau mondial de certains niveaux de MSS prévus par l’accord de Santa Clara et, d’autre part, quelles seraient les conséquences du non-respect de ces obligations pour un trimestre déterminé.

378    Dans sa réponse, NECCI a expliqué, d’une part, que les « ECAP spéciaux », les « super-ECAP » ou les MDF qui lui étaient accordés dépendaient en effet du respect de niveaux spécifiques de MSS tant par elle que par NEC Japan et NEC au niveau mondial. En revanche, contrairement aux « ECAP spéciaux » ou aux « super-ECAP », les ECAP ne dépendraient pas d’une condition relative à un certain niveau de MSS, mais résulteraient simplement des négociations commerciales. D’autre part, à l’époque de l’application des MDF globaux, si NECCI n’avait pas satisfait à son obligation concernant un certain niveau de MSS pour un trimestre particulier, elle n’aurait obtenu aucun paiement de MDF. À l’époque où a été apportée la réponse à la demande de 2005, si NECCI n’avait pas satisfait à son obligation concernant le MSS pour un trimestre spécifique, cela aurait aussi compromis les négociations des « super-ECAP » pour les trimestres suivants.

379    Force est de constater que cette réponse est claire. S’agissant d’une réponse exhaustive à une question directe, apportée au titre de l’article 18 du règlement no 1/2003, il y a lieu d’y attacher une grande valeur probante.

380    En outre, contrairement à ce qu’allègue la Commission dans le cadre de sa défense, NEC confirme, sans aucune ambiguïté, que les seuls rabais qui étaient conditionnés par un certain objectif de MSS sont les MDF et les « ECAP spéciaux » ou les « super-ECAP ». En revanche, les ECAP ne sont pas conditionnés par cet objectif et sont déterminés dans le cadre des relations commerciales. L’éventuelle sanction d’un non-respect de l’obligation portant sur un niveau de MSS concernerait les MDF, les « ECAP » spéciaux ou le « super-ECAP », et non les ECAP classiques. Or, dès lors que, à partir du 1er juillet 2003, les MDF sont devenus des « ECAP spéciaux » ou des « super-ECAP », les seuls ECAP qui ont existé pendant le quatrième trimestre de 2002 sont les ECAP classiques. Partant la réponse de NECCI à la question no 21 de la demande de 2005 tend à accréditer la thèse selon laquelle les ECAP classiques n’étaient pas conditionnés par un certain niveau de MSS.

381    En troisième lieu, par la question no 6 de sa demande de 2007 formulée au titre de l’article 18 du règlement no 1/2003 (ci-après la « demande de 2007 »), la Commission a, en substance, sollicité NECCI afin qu’elle lui précise quels étaient les fonds qu’elle avait reçus, au cours d’une période qui couvrait également le quatrième trimestre de 2002, en échange du respect de l’obligation portant sur un niveau de MSS.

382    Dans sa réponse, NECCI mentionne, s’agissant de la période comprise entre le troisième trimestre de 2002 et le deuxième trimestre de 2003, comme étant conditionnels uniquement les MDF et souligne que le pourcentage des parts de marché s’est traduit en nombre de CPU x86 à acheter. Contrairement à ce qu’allègue la Commission, cette réponse confirme donc le fait que, pendant la période concernée, seuls les MDF dépendaient de la condition portant sur des niveaux de MSS. Or, en tant que réponse de NECCI apportée au titre de l’article 18 du règlement no 1/2003, il convient d’attacher une grande valeur probante à cet élément de preuve.

383    En quatrième lieu, Intel s’est référée à un compte rendu de NEC, daté du 8 mai 2002, relatif à la réunion avec Intel des 6 et 7 mai 2002, afin de démontrer ses prétentions. Ainsi que le fait valoir la Commission, il ressort de la deuxième page de ce document que, en échange de l’acceptation du plan de réalignement, NEC a souhaité obtenir non seulement des MDF, mais également des ECAP, et un nouveau cadre contractuel. Cela correspond d’ailleurs aux documents examinés au point 365 ci-dessus. Il ressort cependant de la troisième page de ce compte rendu que la condition pour atteindre le niveau de MSS discuté le second jour des négociations consisterait en l’allocation d’une certaine somme au titre des MDF. Par ailleurs, si Intel semble avoir accepté au cours du second jour des discussions une partie de la demande de NEC relative aux « MDF/ECAP », dès lors qu’est mentionnée à la troisième page de ce compte rendu l’expression « Intel responded with 50 % acceptance for total 12 items of Nec’s ECAP/MDF request » (Intel a répondu favorablement à hauteur de 50 % du total des douze rubriques constituant les prétentions de NEC en ce qui concerne les ECAP et les MDF), une telle mention ne permet pas de déterminer quelle partie de la demande aurait été acceptée, à savoir celle portant sur les MDF ou celle relative aux ECAP. Cela vaut d’autant plus que, à la quatrième page de ce même compte rendu, est mentionnée sous le point intitulé « Étape suivante » l’expression « Intel reviews with [M and P] for MDF request/ECAP request » (Intel réexamine avec [M et P] les prétentions concernant les MDF et les ECAP), si bien qu’il n’est pas possible d’identifier si une partie de la demande de NEC a finalement été acceptée et, si tel est le cas, laquelle. Force est donc de constater que ce compte rendu est rédigé de manière sommaire et qu’il existe une incertitude quant à sa bonne compréhension.

384    Il y a donc lieu de considérer que la force probante de ce document est relativement faible, dans la mesure où il ne représente pas l’aboutissement des négociations et que son caractère sommaire rend incertaine sa bonne compréhension.

385    En cinquième lieu, dans le cadre de la réplique, Intel produit les annexes C.37 et C.38, en faisant valoir qu’il s’agit de documents préparatoires aux accords de Santa Clara établis par NEC dont il résulte que, indépendamment du niveau de MSS atteint, NEC se serait attendue à recevoir le même niveau d’ECAP.

386    Toutefois, indépendamment de la recevabilité de ces preuves produites au stade de la réplique par la requérante, d’une part, l’annexe C.37, en ses pages 5 et 6, contient des tableaux, des données chiffrées ainsi qu’une mention « demande d’ECAP », sans qu’il soit possible d’en déduire clairement un rapport entre l’évolution des parts de marché d’Intel et les attentes de NEC s’agissant des ECAP. D’autre part, Intel se réfère, dans la réplique, à l’« annexe C.38 en page 10 ». Or, l’annexe C.38 consiste en un document comportant huit pages et comprenant de nombreuses informations, de telle sorte qu’il n’est pas possible pour le Tribunal de déterminer avec précision quels sont les éléments que l’annexe contient qui étayent l’argument de la requérante. Partant, l’annexe C.38 ne peut pas être prise en considération, conformément à la jurisprudence citée au point 314 ci-dessus.

387    Il ressort donc de l’ensemble des considérations qui précèdent que les éléments de preuve pris en compte dans la décision attaquée ne constituent pas des preuves suffisantes ou un faisceau d’indices suffisant démontrant que les rabais de type ECAP, ou d’autres rabais que les MDF, étaient conditionnés par l’obligation impartie à NEC d’atteindre un certain niveau de MSS au cours du quatrième trimestre de 2002. En outre, les autres éléments de preuve dont Intel se prévaut tendent plutôt à accréditer la thèse selon laquelle seuls les MDF étaient conditionnels.

388    Il en découle que les éléments de preuve invoqués dans la décision attaquée ne sont pas fiables, si bien qu’ils ne sont pas de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées.

389    Partant, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres arguments d’Intel, il convient de constater que la Commission a commis une erreur dans son évaluation de la valeur des rabais conditionnels accordés par Intel à NEC.

2)      Sur l’utilisation du quatrième trimestre de 2002 comme référence

390    La requérante fait grief à la Commission d’avoir commis une erreur en n’effectuant le test AEC que pour le quatrième trimestre de 2002 et en constatant sur ce seul fondement, au considérant 1456 de la décision attaquée, que les paiements octroyés par Intel à NEC en vertu de l’accord de Santa Clara étaient capables ou susceptibles d’évincer un concurrent aussi efficace pendant toute la période allant d’octobre 2002 à novembre 2005. En d’autres termes, la Commission aurait eu tort de considérer que le quatrième trimestre de 2002 était représentatif de toutes les périodes ultérieures.

391    De manière générale, la Commission aurait la charge de démontrer que les pratiques d’Intel étaient capables d’évincer un concurrent aussi efficace tout au long de la période de référence, mais elle ne disposerait d’aucune base pour affirmer que l’ensemble des chiffres pertinents pour un tel test, comme les prix bruts, les rabais ou les quantités, seraient demeurés inchangés de 2002 à 2005. Il en serait notamment ainsi en ce qui concerne la part disputable, au sujet de laquelle la Commission a elle-même indiqué au considérant 1243 de la décision attaquée, qu’elle pourrait s’accroître au fil du temps en raison de la prise de conscience de plus en plus forte par les consommateurs de la viabilité de l’alternative que constituerait AMD.

392    En particulier, premièrement, les 6 millions d’USD de MDF qui étaient liés aux attentes en termes de part de marché n’auraient pas continué à s’appliquer après le premier trimestre de 2003.

393    Deuxièmement, dans ses observations principales, Intel précise, en substance, que, contrairement à ce qui ressortirait du considérant 1410 de la décision attaquée, l’application du test AEC ne devrait pas reposer sur une appréciation consistant à vérifier si les niveaux des rabais relevés pour le trimestre en question ont été modifiés dans les périodes ultérieures de manière significative ou non, mais sur leurs niveaux effectifs. En effet, des modifications comparativement mineures des niveaux de remise peuvent modifier le résultat de l’analyse. La Commission aurait déclaré au sujet des rabais accordés à NECCI qu’un nouveau programme de rabais avait commencé en juillet 2003, mais elle n’aurait jamais examiné si les modifications instaurées par ce programme avaient eu une incidence sur l’un quelconque des paramètres du test AEC.

394    Troisièmement, Intel précise, dans le cadre de ces mêmes observations, que l’imprécision de l’analyse prospective de la Commission repose également sur le fait que le considérant 1410 de la décision attaquée n’examine que les rabais octroyés à NECCI, alors que l’infraction a été constatée à l’égard de la société mère toute entière, donc à l’égard de NEC.

395    La Commission fait valoir, dans le cadre de ses observations complémentaires, que les arguments présentés par Intel dans ses observations principales sont irrecevables au motif que la requérante contesterait pour la première fois le motif par lequel la Commission a justifié dans la décision attaquée l’extrapolation en question.

396    Quant au fond, elle soutient, premièrement, que le considérant 1410 de la décision attaquée répertorie les raisons pour lesquelles ce trimestre est représentatif ainsi que les preuves documentaires sur lesquelles se fonde cette même décision.

397    Deuxièmement, l’argument selon lequel les paiements au titre des MDF n’auraient pas été maintenus au-delà du premier trimestre de 2003 ne tiendrait pas compte du fait que des documents figurant dans le dossier prouveraient que ces paiements n’auraient pas disparu, mais qu’ils auraient été simplement reclassés dans d’autres catégories de rabais. NECCI aurait également expliqué que l’accord de Santa Clara et les conditions afférentes seraient restés en vigueur jusqu’en novembre 2005 au moins.

398    Troisièmement, le document qu’avance Intel à l’appui de ses assertions ne contiendrait aucun calcul dont seraient exclus les paiements au titre du MDF.

399    Quatrièmement, s’il était vrai que les paiements d’Intel à NEC avaient connu des variations sensibles pendant cette période, Intel aurait pu facilement fournir des éléments de preuve en ce sens au cours de la procédure administrative.

400    Cinquièmement, l’analyse figurant au considérant 1243 de la décision attaquée concerne Dell. Or, la Commission fait valoir, en substance, qu’elle ne saurait être transposée à NEC, dans la mesure où NEC ne s’approvisionnait pas exclusivement auprès d’Intel, contrairement à Dell, de sorte que les clients de NEC étaient déjà conscients de la valeur des produits à processeur d’AMD et que la part disputable de NEC au cours du trimestre où la Commission a effectué sa comparaison était déjà substantielle, dans la mesure où le plan initial de NEC était de réaliser 41,6 % de ses achats auprès d’AMD.

401    S’agissant de la recevabilité des arguments présentés par Intel dans le cadre de ses observations principales, il y a lieu de relever qu’Intel a soutenu, aux points 473 à 475 de la requête, que l’allégation de la Commission quant à la possibilité d’extrapoler les résultats de son analyse du quatrième trimestre de 2002 jusqu’en 2005 ne reposait sur aucun fondement. Rien ne démontrerait une stabilité des prix bruts, des rabais et des quantités. À cet égard, Intel renvoie expressément aux points 454 à 473 de l’annexe A.8 de la requête, qui reproduit sa réponse aux arguments relatifs à cette extrapolation, figurant dans la communication des griefs de 2007. Au point 467 de l’annexe A.8 de la requête, Intel fait valoir que la Commission ne donne aucune précision quant aux niveaux des « super-ECAP ». Au point 468 de cette même annexe, Intel fait une différence entre les rabais reçus par la maison mère NEC et ceux reçus par NECCI, en précisant que certains types de rabais ne sont octroyés qu’à NECCI. En particulier, Intel conteste que la nomenclature « super-ECAP » ait été utilisée au-delà du troisième trimestre de 2003. Aux points 470 et 471 de ladite annexe, Intel précise que les quantités de CPU x86 achetés ont été constamment renégociées, si bien que rien n’aurait été figé dans les données du quatrième trimestre de 2002.

402    Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient la Commission, la requérante a contesté dans le cadre de la requête de nombreux éléments relatifs à l’extrapolation des données concernant le trimestre de référence à l’ensemble de la période couverte par la décision attaquée. Elle a souligné que la différence entre les rabais octroyés à NEC et à NECCI réside dans des contraintes concurrentielles différentes, d’où découle l’impossibilité de toute présomption quant à la stabilité réciproque des rabais accordés. Elle précise également que la Commission ne dispose d’aucune donnée relative aux niveaux de paiement des ECAP pour NEC et que les quantités de CPU x86 achetés étaient tout sauf stables pendant ladite période.

403    Partant, il y a lieu de considérer que les arguments présentés par Intel dans ses observations principales sont recevables dès lors qu’ils se rattachent à des arguments présentés dans le cadre de la requête.

404    S’agissant de l’appréciation du bien-fondé de ces arguments, il convient d’observer que les données économiques utilisées par la Commission aux considérants 1410 à 1455 de la décision attaquée pour effectuer l’analyse AEC des rabais octroyés par Intel à NEC comprennent notamment la quantité totale de CPU x86 achetés, les prix nets et bruts des différents types de CPU x86, les types et les montants des rabais octroyés ainsi que les coûts d’Intel.

405    Premièrement, force est de constater que les paramètres de la prétendue stabilité sur lesquels la Commission fonde la possibilité d’extrapolation, qui sont exposés au considérant 1410, sous a) à c), de la décision attaquée, ne concernent que les niveaux des rabais (de type MDF, de type ECAP et rabais totaux), la prolongation de ceux-ci durant les trimestres suivants et les CEM d’Intel, mais que la Commission n’analyse nullement, ainsi que le fait valoir, en substance, Intel, les quantités et les types de CPU x86 vendus ou leurs prix nets et bruts.

406    Deuxièmement, le tableau mentionné au considérant 1410, sous a), de la décision attaquée et tiré de la réponse de NECCI à la question no 9 de la demande de 2007 formulée au titre de l’article 18 du règlement no 1/2003 ne concerne que les rabais octroyés à NECCI, alors que l’infraction à l’article 102 TFUE a été constatée à l’égard de sa maison mère, à savoir NEC. Or, il n’y a rien qui permet de supposer que les rabais octroyés à NEC Japan ou globalement à NEC aient été stables pendant toute la période concernée par le constat d’infraction.

407    Troisièmement, un examen du tableau susmentionné démontre que, contrairement à ce qui ressort du considérant 1410, sous a), de la décision attaquée, les rabais perçus par NECCI n’étaient pas stables pendant toute la période concernée. En effet, entre le paiement le moins important, au deuxième trimestre de 2003, soit 3,3 millions d’USD, et le paiement le plus élevé au troisième trimestre de 2005, soit 15,224 millions d’USD, il y a une différence de 461,3 %. Il existe également une différence significative entre le quatrième trimestre de 2002, soit 7,945 millions d’USD, et le deuxième trimestre de 2003, soit 3,3 millions d’USD, c’est-à-dire une diminution de 58,4 %.

408    Quatrièmement, ainsi que NECCI l’a indiqué dans la réponse à la question no 9 de la demande de 2007, le système d’octroi des rabais a changé à partir du troisième trimestre de 2003. Au lieu d’une somme unique, les « super-ECAP » ont été inclus dans les fixations trimestrielles des prix. Ainsi que le fait valoir Intel, rien n’indique que ce nouveau système ne présentait pas de différences quantitatives par rapport au système précédent.

409    Cinquièmement, si la Commission fait valoir que l’accord de Santa Clara est resté en vigueur jusqu’en 2005, il n’en découle pas pour autant que la situation prévalant au quatrième trimestre de 2002 au titre dudit accord a perduré tout au long de la période prétendument infractionnelle. Il découle notamment du point 2 de la réponse de NECCI à la question no 9 de la demande de 2007 que NECCI a, après le 1er juillet 2003, fait mensuellement une demande de rabais fondée sur les quantités achetées et la différence des prix entre la tarification proposée aux clients et les ECAP ou les « super-ECAP ». Toutefois, rien ne permet de considérer que la Commission a examiné si les modifications instaurées par ce nouveau programme avaient eu une incidence sur un des paramètres du test AEC.

410    Il découle de tout ce qui précède que, d’une part, les paramètres exposés au considérant 1410, sous a) à c), de la décision attaquée n’incluent pas l’ensemble des données économiques utilisées par la Commission pour effectuer l’analyse AEC des rabais octroyés par Intel à NEC et, d’autre part, que, contrairement à ce qui ressort du considérant 1410, sous a) et b), de la décision attaquée, les éléments de preuve versés au dossier montrent que les paiements d’Intel en faveur de NECCI ont connu des variations significatives après le quatrième trimestre de 2002 et que le système d’octroi des rabais a changé à partir du troisième trimestre de 2003. Il s’ensuit que c’est à juste titre qu’Intel soutient que la Commission a commis une erreur en estimant que, compte tenu des paramètres exposés au considérant 1410, sous a) à c), de la décision attaquée, elle pouvait s’appuyer sur des données relatives au quatrième trimestre de l’année 2002 pour tirer des conclusions quant à la capacité des pratiques d’Intel d’évincer un concurrent aussi efficace entre le quatrième trimestre de 2002 et le mois de novembre 2005.

411    Partant, sans qu’il y ait lieu d’examiner les arguments de la requérante visés au point 340 ci-dessus, selon lesquels, d’une part, les propres données de la Commission montrent que les rabais octroyés à NEC ne sont pas en mesure d’évincer un concurrent aussi efficace et, d’autre part, la Commission a mal calculé la valeur des transactions en cause pour Intel, il convient de conclure que, s’agissant du test AEC effectué pour NEC, la Commission a commis deux erreurs d’appréciation, premièrement, en retenant une valeur exagérée des rabais conditionnels et, deuxièmement, en extrapolant les résultats auxquels elle est parvenue pour le quatrième trimestre de 2002 pour toute la période prétendument infractionnelle. Or, force est de constater que, eu égard à ces deux erreurs, l’examen du test AEC de la Commission est erroné dans ses paramètres de base. Dès lors que ces erreurs s’attachent au quatrième trimestre de 2002, qui a été pris comme référence pour toute la période considérée en ce qui concerne les rabais accordés à NEC, elles affectent l’ensemble de la période examinée dans la décision attaquée en ce qui concerne NEC. Il s’ensuit que la Commission n’a pas établi à suffisance de droit le bien-fondé de la conclusion, formulée au considérant 1456 de la décision attaquée, selon laquelle les paiements accordés par Intel à NEC dans le cadre de l’accord de Santa Clara étaient capables ou susceptibles d’évincer un concurrent aussi efficace.

d)      Sur les prétendues erreurs relatives au test AEC appliqué à Lenovo

1)      Aperçu général de la partie de la décision attaquée consacrée à Lenovo

412    La Commission a effectué le test AEC pour Lenovo aux considérants 1457 à 1508 de la décision attaquée. Elle a analysé, tout d’abord, l’ampleur et la nature des rabais, sur la base du MoU 2007.

413    Ensuite, la Commission a procédé à un calcul du PVM, des coûts et du nombre requis d’unités de CPU x86.

414    Enfin, la Commission a évalué le nombre disputable d’unités de CPU x86. Dans son calcul principal, elle a limité son évaluation au segment des ordinateurs portables (voir considérants 1473 à 1478 de la décision attaquée), alors que, dans ses calculs alternatifs, elle a répondu aux allégations d’Intel selon lesquelles le nombre disputable d’unités de CPU x86 devait inclure également le segment des ordinateurs de bureau (voir considérants 1479 à 1508 de la décision attaquée). Ces calculs alternatifs sont subdivisés, d’une part, en une réponse de la Commission aux allégations d’Intel portant sur le nombre disputable global d’unités de CPU x86 et, d’autre part, en un calcul confirmatif, effectué sur la base d’une comparaison avec des données ressortant d’un document intitulé « Énoncé des travaux d’avril 2006 », adopté en vertu d’un accord entre AMD et Lenovo.

2)      Sur la part conditionnelle des rabais

415    Au considérant 1461 de la décision attaquée, la Commission a affirmé que le montant des rabais en question était indiqué dans le MoU 2007, qui prévoyait un support financier de 180 millions d’USD pour l’année 2007, sous forme de paiements trimestriels.

416    Au considérant 1462 de la décision attaquée, il a été indiqué que les paiements au titre du MoU 2007 se sont ajoutés aux paiements qu’Intel a continué de verser en vertu d’autres programmes de support financier convenus auparavant, séparément du MoU 2007. La Commission a donc considéré qu’ils devaient être entièrement attribués au résultat de l’accord sur le MoU 2007. Tous les paiements et les conditions commerciales favorables prévues dans le MoU 2007 étaient conditionnés par l’abandon par Lenovo de tous ses projets d’ordinateurs portables équipés de CPU x86 d’AMD.

417    Au considérant 1463 de la décision attaquée, il a été indiqué que, dans le mémoire du 5 février 2009, Intel avait avancé l’argument selon lequel seul le montant de 138 millions d’USD était pertinent pour la taille des rabais. Cela s’expliquerait par le fait que, sur un support financier de Lenovo de 180 millions d’USD prévu dans le MoU 2007, seulement 135 millions d’USD auraient été attribués en espèces. Le reste du support financier aurait été accordé sous forme d’avantages en nature, à savoir l’extension de la garantie standard d’Intel d’un an et la proposition d’une meilleure utilisation d’une plateforme d’Intel en Chine. La Commission a souligné qu’Intel avait fait valoir que si la valeur de ces deux contributions non monétaires à Lenovo était respectivement de 20 et de 24 millions d’USD, leur coût pour Intel était nettement inférieur, à savoir respectivement de 1,7 et de 1,3 million d’USD. Intel avait fait valoir que, aux fins de l’analyse du concurrent aussi efficace, il convenait d’évaluer ces éléments non pas en fonction de leur valeur pour Lenovo, mais de leur coût économique pour elle. Intel est parvenue au montant de 138 millions d’USD en ajoutant au support financier en espèces de 135 millions d’USD ces coûts de 1,7 et de 1,3 million d’USD.

418    Au considérant 1464 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que, avant d’examiner la validité de l’argument d’Intel quant au mode d’évaluation devant être utilisé dans l’analyse du concurrent aussi efficace, elle avait relevé l’écart entre le coût économique allégué des contributions pour Intel et leur valeur pour Lenovo. Le ratio entre la valeur pour Lenovo et le coût économique allégué pour Intel était de 1176 % (20 contre 1,7) pour l’extension de garantie et de 1846 % (24 contre 1,3) pour la plateforme. La Commission a indiqué qu’Intel avait fourni certains calculs effectués dans le cadre des observations du 5 février 2009 sur la communication des griefs complémentaire de 2008 à l’appui de son affirmation quant au coût économique des contributions, mais qu’elle avait omis d’expliquer la raison de l’écart important entre ce coût et sa valeur pour Lenovo.

419    Au considérant 1465 de la décision attaquée, la Commission a noté que, sans préjudice de l’observation susmentionnée, l’argument d’Intel selon lequel le mode d’évaluation devant être utilisé dans l’analyse du concurrent aussi efficace n’aurait pas été la valeur de ces éléments pour Lenovo, mais leur coût économique pour elle reposait sur une mauvaise compréhension des principes de ladite analyse.

420    À cet égard, au considérant 1466 de la décision attaquée, la Commission a fait valoir que l’« analyse du concurrent aussi efficace [supposait que soit examiné] le prix auquel un concurrent aussi efficace que l’entreprise dominante – mais qui n’[était] pas dominant – [aurait dû] proposer ses produits [au client] afin de compenser […] la perte des avantages conditionnels accordés par l’entreprise dominante, perte résultant du transfert par ledit client de la part disputable de ses besoins d’approvisionnement de l’entreprise dominante vers cet hypothétique concurrent aussi efficace ».

421    Enfin, au considérant 1467 de la décision attaquée, la Commission a indiqué qu’il ressortait clairement de ce qui précède qu’il y avait lieu d’évaluer la perte pour le client, dès lors que c’est cette perte que le concurrent aussi efficace devrait compenser, et non le coût économique pour l’entreprise dominante, dans le cas où les deux chiffres divergeaient. Cette différence était illustrée, selon la Commission, par l’exemple de la plateforme de distribution. En tant qu’entreprise dominante, Intel disposait déjà d’une plateforme de distribution en Chine, dont elle affirmait qu’il lui suffisait d’y procéder à de légères améliorations, avec un coût économique de 1,3 million d’USD, pour être ensuite en mesure d’offrir à Lenovo un avantage d’une valeur totale de 24 millions d’USD. Toutefois, la Commission a indiqué qu’un concurrent aussi efficace que l’entreprise dominante, mais qui n’aurait pas été dominant n’aurait normalement pas encore mis en place une telle installation. Afin de compenser pour Lenovo la perte de l’avantage lié à une meilleure utilisation de la plateforme d’approvisionnement d’Intel, le concurrent aussi efficace aurait donc dû accorder à Lenovo un paiement monétaire d’un montant équivalent à la valeur économique pour Lenovo de la plateforme d’approvisionnement améliorée.

422    La requérante affirme, de manière générale, que le MoU 2007 ne permettait pas de conclure que ses rabais l’auraient conduite à évincer un concurrent aussi efficace. L’analyse réalisée par la Commission, premièrement, exagérerait la partie prétendument conditionnelle de la remise, deuxièmement, minimiserait la part disputable et, troisièmement, exagérerait ses coûts. S’agissant, plus particulièrement, de la part conditionnelle, la requérante expose que, en ce qui concerne les remises au titre du MoU 2007, la décision attaquée conclut, aux considérants 1461 et 1474 à 1477, que des remises conditionnelles de 180 millions d’USD ont été accordées pour une part disputable de 0,9 à 1,1 million  d’ordinateurs portables seulement. Toutefois, selon la requérante, le montant des remises conditionnelles ne s’élève qu’à 138 millions d’USD.

423    Selon la requérante, la méthodologie de la Commission pour tenir compte de ces avantages en nature est erronée, au motif que, aux fins de l’analyse AEC, la remise conditionnelle devrait tenir compte du coût encouru par elle pour les fournir, et non de la valeur qu’ils représentent pour Lenovo. Le rapport supplémentaire Shapiro-Hayes du 28 janvier 2009 (ci-après le « rapport supplémentaire Shapiro-Hayes ») aurait chiffré le coût pour Intel des deux avantages en nature à approximativement 3 millions d’USD. Sur ce montant, un montant de 1 680 073 USD (1,7 million d’USD par approximation) correspondrait à l’extension de garantie et un autre de 1 256 948 USD (1,3 million d’USD par approximation) au coût d’Intel correspondant au fait de proposer à Lenovo une plateforme de distribution.

424    La Commission conteste l’ensemble des arguments de la requérante. La Commission fait valoir que, pour apprécier la part conditionnelle des rabais, la décision attaquée a évalué l’accroissement du financement octroyé par Intel à Lenovo en 2007 au titre du MoU 2007. Cette approche ne serait pas contestée. Selon la Commission, la décision établit que ce financement accru s’élevait à 180 millions d’USD, en se fondant sur l’examen des documents préparés par Intel au cours de la négociation du MoU 2007. La Commission estime qu’elle s’est, à juste titre, fondée sur la valeur des avantages en nature accordés à Lenovo, au lieu de prendre pour base leur coût pour Intel. En effet, selon elle, l’analyse du concurrent aussi efficace suppose d’évaluer, en substance, la compensation que devrait offrir un éventuel concurrent aussi efficace à Lenovo pour la perte des rabais d’Intel. Pour être encouragée à choisir le concurrent aussi efficace, Lenovo s’attendrait à recevoir une compensation pour ses propres pertes, et non pour celles d’Intel.

425     Par ailleurs, la Commission fait valoir, en s’appuyant sur l’annexe B.31 du mémoire en défense, qu’Intel n’avance aucune preuve tangible qu’il y ait eu divergence de vues entre Lenovo et elle quant à la valeur des avantages en nature octroyés à Lenovo, ni, a fortiori, que Lenovo ait calculé une autre valeur pour ces avantages en nature. Elle indique aussi que des documents contemporains des faits figurant au dossier prouvent que Lenovo considérait ces avantages en nature comme lui étant très utiles et qu’elle les avait demandés à Intel dès le début des négociations.

426    Selon la Commission, il est erroné d’affirmer, comme le fait la requérante, que la valeur de l’avantage en nature aux fins de l’analyse du concurrent aussi efficace est le coût que représentent ces avantages pour l’entreprise dominante. La réplique tente, selon la Commission, de contourner l’erreur qui entache le raisonnement de la requête en affirmant que, « par définition, un concurrent aussi efficace pourrait proposer les mêmes avantages en nature à Lenovo au même coût qu’Intel ». Cela méconnaîtrait le fait que le concurrent aussi efficace est de taille moins importante qu’Intel. La Commission renvoie au considérant 1467 de la décision attaquée, qui a expliqué que le concurrent aussi efficace ne disposerait normalement pas encore d’une plateforme d’approvisionnement en Chine. Il devrait ainsi, selon la Commission, compenser en espèces la perte des avantages accordés par Intel à Lenovo.

427    Sur ce point, la Commission soutient que la réplique se borne à répondre, premièrement, en affirmant qu’un concurrent aussi efficace aurait nécessairement une plateforme d’approvisionnement en Chine et, deuxièmement, en alléguant qu’AMD en avait une. À cet égard, la Commission estime que la première réponse apportée par la réplique est une simple affirmation. Il n’y a, selon elle, pas de raison qu’un concurrent, même aussi efficace, dispose nécessairement d’une plateforme d’approvisionnement en Chine. Quant à la seconde réponse apportée par la réplique, l’analyse du concurrent aussi efficace porte selon la Commission sur un concurrent hypothétique et non sur AMD. En tout état de cause, le document auquel Intel fait référence déclarerait simplement qu’AMD avait des « installations » en Chine, ce qui ne démontrerait pas l’existence d’une plateforme d’approvisionnement, et encore moins d’une plateforme équivalente à celle d’Intel.

428    Selon la Commission, les points 22 à 37 de l’annexe D.39 de la duplique montrent que, même en admettant que le concurrent aussi efficace dispose d’une plateforme d’approvisionnement en Chine, le coût que supposerait pour lui la mise à disposition de cette plateforme en faveur de Lenovo serait sensiblement plus élevé que le coût de la fourniture de cet avantage pour Intel. Il en va de même de l’extension de garantie. Si, comme le prétend Intel, le coût des deux avantages en nature s’élève à 3 millions d’USD pour elle, alors offrir les mêmes bénéfices à Lenovo coûterait au moins 38 millions d’USD à un concurrent aussi efficace. Ce montant est calculé sur la base des deux hypothèses d’Intel que la Commission réfute, à savoir, premièrement, que le concurrent aussi efficace disposerait d’une plateforme d’approvisionnement en Chine et, deuxièmement, que le coût supporté par Intel pour l’octroi des avantages en nature s’élèverait à 3 millions d’USD.

429    Selon la Commission, en tout état de cause, l’argument clé de la requête et de la réplique affirmant que le coût des deux avantages en nature s’élève pour Intel à 3 millions d’USD contredit les propres preuves d’Intel. Les points 38 à 44 de l’annexe D.39 de la duplique établissent, selon la Commission, que des documents internes d’Intel datant de l’époque des faits montrent que la requérante a calculé que, en réalité, le coût des deux avantages en nature serait égal, voire supérieur, à leur valeur pour Lenovo. Leur coût cumulé pour Intel se serait établi à 47 millions d’USD et non à 3 millions d’USD comme le prétend Intel.

430    Avant de procéder à l’examen des arguments des parties quant aux deux avantages en nature, il convient de relever que la requérante ne conteste pas avoir mentionné respectivement des valeurs de 20 millions d’USD pour l’extension des garanties et de 24 millions d’USD pour la plateforme de distribution, dans une présentation qu’elle a préparée pour Lenovo. La requérante prétend, cependant, que ces valeurs devraient être remplacées, aux fins du test AEC, par 1,7 et 1,3 million d’USD pour chacune d’elles, afin de refléter ses coûts et non le bénéfice pour Lenovo. La Commission a imputé 44 millions d’USD sur les 180 millions d’USD de remises conditionnelles aux avantages en nature sur la base de la valeur que représentaient ces services pour Lenovo. Il découle de la lecture du considérant 1465 de la décision attaquée qu’il est exclu que la Commission ait pris en considération, dans cette décision, les calculs d’Intel estimant ses coûts pour proposer les avantages en nature à 3 millions d’USD ou qu’elle ait analysé ce chiffre.

431    L’approche de la Commission consiste, en substance, à estimer que, même si l’on accepte qu’un concurrent aussi efficace puisse en principe offrir des avantages en nature, il n’en demeure pas moins que la mise à disposition d’une plateforme de distribution ou d’une extension de garantie coûte plus cher au concurrent qu’à l’entreprise dominante, notamment lorsque la valeur des avantages en nature est mise en relation avec la part disputable. La Commission soutient également qu’Intel n’avançait aucune preuve tangible qu’il y ait eu divergence de vue entre Lenovo et elle quant à la valeur des avantages en nature octroyés.

432    La requérante critique cette analyse de la Commission. Selon la requérante, le rapport supplémentaire Shapiro-Hayes et le rapport Salop-Hayes démontrent que ce procédé n’est pas correct et qu’une analyse appropriée du concurrent aussi efficace prend en considération le coût pour Intel de la fourniture de ces avantages en nature. Elle renvoie au rapport Salop-Hayes selon lequel il est indiqué ce qui suit : 

« Aux fins du critère du concurrent aussi efficace, la remise conditionnelle doit inclure le coût encouru par Intel pour fournir ces services, et non leur valeur pour Lenovo. Le critère du concurrent aussi efficace a pour but de déterminer si les recettes marginales d’Intel liées à la part disputable dépassent ses coûts marginaux pour livrer cette quantité, en tenant compte de la diminution des bénéfices d’Intel due aux remises conditionnelles. La baisse des bénéfices d’Intel représente le coût pour Intel des avantages [en nature]. »

433    À cet égard, il convient de relever que les fondements du test AEC appliqué en l’espèce par la Commission sont exposés, en particulier, aux considérants 1003 et 1004 de la décision attaquée.

434    Au considérant 1003 de la décision attaquée, la Commission expose la logique inhérente au test AEC en retenant que, « en substance, il s’agit d’examiner si, compte tenu de ses propres coûts et de l’effet du rabais, Intel serait elle-même en mesure d’entrer sur le marché sur une base plus restreinte sans subir de pertes ».

435    Au considérant 1004 de la décision attaquée, la Commission indique que l’analyse du concurrent aussi efficace est un exercice purement hypothétique, en ce sens qu’il s’agit de déterminer si l’accès au marché d’un concurrent aussi efficace qu’Intel, quant à la production et la fourniture de CPU x86 d’une valeur équivalente à celle que procure Intel à ses clients, mais qui n’aurait pas une base de vente aussi large qu’Intel, serait verrouillé. En principe, cette analyse est indépendante de la capacité effective d’AMD d’entrer ou non sur le marché.

436    Il découle de ce qui précède que le concurrent hypothétique dont il s’agit d’évaluer la capacité d’entrer sur le marché nonobstant les pratiques tarifaires d’Intel est un concurrent aussi efficace entendu comme un opérateur apte à fournir des CPU x86 dans les mêmes conditions que celles pratiquées par Intel. Ainsi que cela résulte du considérant 1003 de la décision attaquée, le test AEC revient, en substance, à examiner si Intel elle-même aurait pu pénétrer sur le marché nonobstant le système de rabais litigieux. Il ressort du considérant 1004 de ladite décision que, en principe, la seule différence entre la situation du concurrent hypothétique et la situation effective d’Intel sur le marché est que ledit concurrent hypothétique ne dispose pas d’une base de vente équivalente. Compte tenu des précisions apportées au considérant 1005 de la décision attaquée, cette référence à l’absence de base de vente équivalente doit être interprétée en ce sens que, en raison du statut de partenaire commercial incontournable d’Intel, le concurrent hypothétique aussi efficace n’est susceptible de ravir à Intel que la part disputable de la demande des clients en CPU x86.

437    Or, comme le relève à juste titre la requérante, lorsque la Commission a évalué, dans la décision attaquée, la valeur des avantages en nature offerts par elle dans le cadre de l’examen de l’ampleur des rabais octroyés à Lenovo, elle n’a pas raisonné comme si le concurrent hypothétique était capable de vendre des CPU x86 à Lenovo tout en lui offrant des avantages en nature dans les mêmes conditions qu’elle.

438    En effet, au considérant 1466 de la décision attaquée, la Commission a estimé qu’il s’agissait d’examiner le prix qu’un concurrent aussi efficace qui n’est pas l’entreprise dominante elle-même aurait dû verser pour compenser la perte des avantages en nature offerts par Intel à Lenovo tels qu’une extension de plateforme ou une extension de garantie. Au considérant 1467 de ladite décision, pour justifier cette solution, la Commission s’est appuyée sur l’exemple de la plateforme de distribution. Elle a retenu que, contrairement à Intel, qui disposait d’une plateforme de distribution en Chine nécessitant certaines adaptations pour offrir un avantage en nature à Lenovo, un concurrent aussi efficace que l’entreprise dominante, mais qui n’était pas dominant, et qui était donc de plus petite taille, n’aurait normalement pas encore disposé d’une telle installation.

439    Ainsi, la Commission est partie d’un postulat contraire aux fondements du test AEC exposés aux considérants 1003 et 1004 de la décision attaquée, qui reposent sur le principe selon lequel le concurrent hypothétique est aussi efficace qu’Intel, notamment du point de vue des coûts d’extension d’une plateforme ou d’une garantie. La Commission a raisonné en réalité par rapport à un concurrent moins efficace, qui ne constitue cependant pas l’acteur économique pertinent pour évaluer la capacité de la pratique de rabais en cause de produire un effet d’éviction.

440    Aucun argument avancé par la Commission n’est de nature à infirmer ce constat.

441    La Commission qui, certes, renvoie au fait qu’Intel avait chiffré la somme au profit de Lenovo de manière élevée (respectivement à 20 et 24 millions d’USD) n’apporte pas, dans la décision attaquée, de réponse à la question de savoir quel aurait été le coût pour un concurrent aussi efficace s’il avait dû fournir l’accès à une plateforme de distribution ou procéder par le biais d’une simple transformation de sa propre plateforme déjà existante de sorte à l’étendre au profit d’un OEM, à l’instar de ce qu’a proposé Intel à Lenovo. Cette même logique s’applique aux coûts liés à une extension de garantie.

442    À cet égard, les parties ont indiqué, en réponse aux questions du Tribunal à l’audience de 2020, que les économies d’échelles ne devaient pas être prises en considération comme constituant un élément de différenciation, mais que les coûts d’un concurrent aussi efficace devaient être considérés comme étant les mêmes que pour Intel. Or, de telles explications de la part de la Commission sont en contradiction par rapport à l’approche adoptée aux considérants 1466 et 1467 de la décision attaquée, qui tiennent compte de la taille du concurrent aussi efficace pour souligner, notamment, qu’une plateforme comparable à celle d’Intel ne serait pas encore en place.

443    En outre, dans la mesure où la Commission a fait référence, devant le Tribunal, à la taille concrète d’une plateforme d’un concurrent aussi efficace (voir point 426 ci-dessus, in fine), il y a lieu de relever, ainsi que l’a soutenu Intel à l’audience de 2020, que cet élément n’a pas été analysé dans la décision attaquée. Il en est de même s’agissant des appréciations chiffrées, présentées par la Commission pour la première fois dans l’annexe D.39 de la duplique, visant à évaluer les coûts réels pour Intel, concernant les avantages en nature (voir points 429 et 430 ci-dessus).

444    Or, le Tribunal ne peut tenir compte de ces analyses complémentaires, produites durant la procédure devant lui, pour étayer le test AEC contenu dans la décision attaquée sans substituer sa propre motivation à celle de la Commission figurant dans ladite décision. En effet, la jurisprudence citée au point 150 ci-dessus interdit au Tribunal de procéder à une telle substitution de motifs.

445    S’agissant des affirmations de la Commission figurant au considérant 1464 de la décision attaquée, sur le prétendu écart important entre les coûts économiques présentés par Intel pour l’octroi des avantages en nature et leur valeur pour Lenovo, il convient de relever que, indépendamment du fait que la valeur pour Lenovo n’est pas un élément décisif pour l’analyse du test AEC, comme il ressort du compte rendu d’une déclaration du 2 juin 2009 de L10, [confidentiel], Lenovo n’a pas admis que les négociations avec Intel aient porté sur une valeur exacte des avantages en nature. L10 a considéré, en substance, que l’approche chiffrée en USD concernant lesdits avantages pouvait être radicalement différente de la somme présentée par Intel. Selon lui, en substance, cette entreprise a essayé de s’attribuer le mérite d’éléments dont il ne calculait pas la valeur en termes monétaires, comme la distribution par le biais d’une plateforme. Intel aurait tenté de le persuader que ces éléments présentaient un intérêt économique, alors même qu’ils relevaient plutôt d’un avantage opérationnel. L10 a souligné ne pas avoir accordé le moindre crédit quant à l’avantage en terme monétaire de ces éléments attribués en nature.  Enfin, s’agissant de la référence effectuée par la Commission au courriel du 12 janvier 2006 de L10, qui admettait l’importance des avantages en nature, il convient de relever que ceux-ci ne sont pas chiffrés en dollars dans ledit courriel.

446    Il ressort également d’une série de courriels datés du 26 novembre 2006 au 28 novembre 2008 et intitulés « RE : Intel Meet Comp Response Nov 27 06.ppt » qu’Intel utilisait différentes références à des avantages exagérés en tant que tactique de négociation, notamment en désignant comme étant un avantage des éléments qu’elle envisageait de fournir au partenaire commercial en tout état de cause. Dans ces circonstances, la Commission ne saurait déduire ne serait-ce qu’implicitement, comme cela est le cas au considérant 1464 de la décision attaquée, de ces seules données portant sur les négociations des avantages en nature que les coûts réels, tels qu’indiqués par Intel, étaient minimisés. Dans le même sens, il convient de rejeter comme inopérante l’allégation de la Commission, mentionnée au point 614 du mémoire en défense et faisant référence à l’annexe B.31 de celui-ci, selon laquelle Intel n’avait pas démontré qu’il existait des divergences de vues entre Lenovo et elle-même quant à la valeur des avantages en nature octroyés. En effet, la question est celle de savoir quels étaient les coûts nécessaires pour les proposer et non la perception de leur valeur par Lenovo.

447    En outre, il n’est pas suffisant de s’appuyer, comme l’a fait la Commission au considérant 1464 de la décision attaquée et, ensuite, au point 614 du mémoire en défense, renvoyant au point 416 de l’annexe B.31 de celui-ci, sur l’argument selon lequel Intel n’a pas réussi à expliquer le fort décalage entre ses prétendus coûts d’un montant de 3 millions d’USD et le montant de 44 millions d’USD pour Lenovo.  En effet, c’est à la Commission qu’il appartenait d’évaluer, directement dans la décision attaquée et non dans des éléments de calcul présentés pour la première fois devant le Tribunal, quels auraient été les coûts qu’aurait eu un concurrent aussi efficace, s’il avait dû offrir à un OEM tel que Lenovo des avantages en nature équivalents à ceux proposés par Intel (voir, également, point 444 ci-dessus).

448    Par ailleurs, dans la mesure où la Commission effectue, pour la première fois devant le Tribunal, au point 326 de la duplique, renvoyant, à titre illustratif, à l’annexe D.39 de celle-ci, des calculs des coûts qui concernent l’hypothèse où il conviendrait de tenir compte du fait qu’un concurrent aussi efficace avait une plateforme de distribution en Chine, il y a lieu de relever, indépendamment du fait qu’il s’agit de calculs tardifs ne relevant pas des motifs de la décision attaquée, qui avait adopté un autre test, que le résultat auquel parvient la Commission quant aux coûts diffère, en tout état de cause, de celui indiqué dans la décision attaquée. En effet, d’une part, ainsi qu’il ressort du point 36 de l’annexe D.39 de la duplique, le coût pour un concurrent aussi efficace est de 20 690 000 USD, et non de 24 millions d’USD comme cela est indiqué au considérant 1463 de la décision attaquée s’agissant de la plateforme de distribution. D’autre part, en ce qui concerne l’extension de la garantie, dont le coût pour un concurrent aussi efficace est également chiffré pour la première fois à 17 473 664 USD au point 30 de l’annexe D.39 de la duplique, il diffère des 20 millions d’USD retenus dans la décision attaquée.

449    Enfin, s’agissant de l’allégation de la Commission avancée au point 327 de la duplique, renvoyant aux points 38 à 44 de l’annexe D.39 de celle-ci, selon laquelle l’argument clé de la requérante affirmant que le coût des deux avantages en nature s’élevant pour Intel à 3 millions d’USD contredit les propres preuves de cette dernière, elle ne saurait prospérer.

450    S’agissant des documents internes d’Intel portant les références D.41 et D.42 annexés à la duplique, dont il découlerait, selon la Commission, qu’Intel aurait estimé les coûts des avantages en nature à 47 millions d’USD au lieu de 3 millions d’USD, ils n’ont pas été mentionnés dans la décision attaquée et ne relèvent, ainsi, pas des motifs de celle-ci. À la lecture du considérant 1465 de la décision attaquée, il semble être exclu que la Commission les ait pris en considération dans son analyse principale telle qu’elle résulte de ladite décision, dans la mesure où elle y affirme que « l’argument d’Intel selon lequel le mode d’évaluation devant être utilisé dans l’analyse du concurrent aussi efficace n’est pas la valeur de ces éléments pour Lenovo, mais leur coût économique pour [elle] repose sur une mauvaise compréhension des principes de ladite analyse ».

451    En tout état de cause, même si la référence de la Commission aux documents mentionnés au point 450 ci-dessus avait été recevable, il n’aurait pu être déduit de ceux-ci qu’Intel avait erronément minimisé ses coûts en indiquant que les deux avantages en nature correspondaient respectivement à 1,7 et à 1,3 million d’USD. En effet, les documents auxquels la Commission fait référence relèvent d’un contexte où des négociations avec Lenovo étaient engagées et dans lequel Intel visait à prouver l’importance de ses propositions commerciales, en les présentant de manière favorable à Lenovo (voir également points 445 et 446 ci-dessus). S’agissant de l’analyse concrète de ces documents, effectuée sous réserve de ce qui a été constaté, à titre purement conservatoire, il convient de relever qu’ils manquent de clarté et ne permettent pas ainsi de confirmer la position de la Commission.

452    Ainsi, premièrement, dans le document intitulé « Intel Chart entitled 2006 v. 2007 Trend », l’avantage lié à l’élargissement de la plateforme de distribution relève, certes, du titre « Incremental 07 Spending » et une référence comportant les termes « billing impact » est faite dans le tableau en cause. Cependant, le chiffre de 24 millions d’USD, concernant la plateforme, est inclus dans la colonne intitulée « Contra » et non dans la colonne intitulée « Expense ». Cela indique qu’il s’agissait de l’estimation de la contre-valeur considérée par Intel comme correspondant à l’utilisation de la plateforme, comme expliqué au point 71 du rapport supplémentaire Shapiro-Hayes et illustré à l’annexe 10 de celui-ci, mais non de coûts d’une telle plateforme ou de sa modification pour Intel. Dans le même sens, le coût de l’extension de garantie est calculé au point 70 du rapport supplémentaire Shapiro-Hayes ainsi qu’à l’annexe 9 de celui-ci à 1,7 million d’USD. Dans ces circonstances, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur les allégations du Dr Hayes à l’audience de 2020 selon lesquelles, en raison du nombre limité de défaillances de CPU x86, le fait d’augmenter la garantie d’un à trois ans ne signifie pas des coûts incrémentaux importants.

453    Deuxièmement, en ce qui concerne les tableaux présentés à l’annexe D.42 de la duplique, s’ils permettent de mettre en lien les coûts pour Intel et les avantages pour Lenovo, le coût d’ensemble de la modification d’une plateforme de distribution, chiffré dans la décision attaquée à 24 millions d’USD, n’en ressort pas. En tout état de cause, il ne peut être exclu que ce document pouvait avoir pour but de présenter la proposition de façon favorable durant les négociations avec Lenovo.

454    Dans ces circonstances, eu égard aux erreurs d’appréciation commises par la Commission, il n’est pas nécessaire d’évaluer certains arguments additionnels d’Intel portant sur la question de savoir si AMD avait réellement une plateforme en Chine, la situation de l’entreprise AMD n’étant, en tout état de cause, pas décisive pour le test AEC.

455    Partant, il convient de conclure que la Commission a commis une erreur dans l’appréciation chiffrée des avantages en nature proposés par Intel à Lenovo, en utilisant respectivement les montants de 20 et de 24 millions d’USD, à partir desquels elle a estimé le montant des rabais à 180 millions d’USD. Ledit montant de 180 millions d’USD est donc lui-même entaché d’une erreur.

456    Compte tenu de ce qui précède, il convient de relever que, au considérant 1507 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que les conclusions auxquelles elle était parvenue s’agissant de la capacité des rabais accordés à Lenovo de produire un effet d’éviction avaient pour fondement la comparaison entre le nombre requis d’unités et le nombre disputable d’unités établie au considérant 1478 de ladite décision ainsi que les considérations figurant aux considérants 1479 à 1506, qui exposent un test alternatif de la part requise sur les segments combinés des ordinateurs de bureau et des ordinateurs portables. Or, comme cela ressort des considérants 1472, 1478 et 1503 à 1506 de la décision attaquée, dans le cadre tant de la comparaison susmentionnée que du test alternatif, la Commission a tenu compte d’une part conditionnelle des 180 millions d’USD pour ses analyses portant sur la définition de la part requise, aux fins de comparer celle-ci à la part disputable des unités de CPU x86. L’erreur dans l’appréciation chiffrée des avantages en nature proposés par Intel à Lenovo a donc affecté toutes les composantes de l’examen des rabais accordés à cet OEM.

457    Partant, sans qu’il soit nécessaire de procéder à l’évaluation du bien-fondé des arguments d’Intel portant sur le nombre disputable d’unités à prendre en considération, il convient de constater que la Commission n’a pas établi à suffisance de droit le bien-fondé de la conclusion formulée au considérant 1507 de la décision attaquée, selon laquelle, en 2007, le rabais d’Intel était capable ou susceptible de produire un effet d’éviction anticoncurrentiel, car même un concurrent aussi efficace se serait vu empêcher d’approvisionner Lenovo pour ses besoins dans le domaine des CPU x86 pour ordinateurs portables.

e)      Sur les prétendues erreurs relatives au test AEC appliqué à MSH

458    La requérante fait valoir que l’analyse AEC concernant MSH contenue dans la décision attaquée, outre le fait qu’elle surévalue les CEM d’Intel, contient deux erreurs relatives, d’une part, à la méthode du « double rabais conditionnel » (ci-après la « méthode du double rabais ») et, d’autre part, à la part conditionnelle des paiements. Or, la correction de l’une de ces erreurs démontrerait que MSH a satisfait au test AEC.

459    Le Tribunal estime opportun d’examiner tout d’abord le bien-fondé de l’argumentation tendant à démontrer que la Commission aurait commis une erreur en appliquant la méthode du double rabais.

460    La requérante conteste, en substance, la pertinence des chiffres utilisés pour appliquer cette même méthode et les conséquences qui en ont été tirées par la Commission.

461    La Commission, quant à elle, estime que l’ensemble des arguments doivent être rejetés dès lors que l’application de la méthode du double rabais ne serait entachée d’aucune erreur.

462    La Commission affirme, premièrement, que pour pouvoir vendre des ordinateurs d’une certaine marque à MSH, un concurrent aussi efficace devrait s’assurer non seulement que MSH était prête à acheter des ordinateurs équipés de ses CPU, mais aussi et surtout, que des OEM étaient prêts à fabriquer ces ordinateurs. Dès lors, les pratiques d’Intel à différents niveaux de la chaîne d’approvisionnement pourraient avoir un effet cumulatif.

463    Deuxièmement, la Commission maintient que pour démontrer que les paiements d’Intel à MSH pouvaient avoir un effet d’éviction anticoncurrentiel lorsqu’ils étaient assortis d’une pratique d’Intel à l’égard d’un OEM, il suffit d’illustrer cet effet potentiel à l’aune d’un exemple représentatif d’un paiement conditionnel octroyé par Intel à un OEM sans devoir répéter cet exercice pour chaque OEM.

464    Troisièmement, la décision attaquée examinerait le cumul des paiements d’Intel à MSH et des restrictions non déguisées d’Intel, notamment à l’égard des ordinateurs portables Lenovo équipés de CPU x86 d’AMD pour la période allant de juin à décembre 2006.

465    Par ailleurs, la Commission soutient que l’annexe B.31 du mémoire en défense analyse en détail les autres arguments d’Intel. En substance, elle établirait que la décision attaquée justifie d’une manière appropriée le fait que les rabais octroyés à NEC pour le trimestre concerné sont représentatifs de la période considérée dans son ensemble ; qu’il est invraisemblable que NECCI ait pu fournir l’intégralité de la part disputable de MSH et que la décision attaquée n’est pas fondée sur l’hypothèse que 100 % des rabais octroyés à NEC par Intel étaient conditionnels.

466    À cet égard, à l’instar de la requérante, il y a lieu de relever que la Commission a, dans un premier temps, constaté, au considérant 1565 de la décision attaquée, qu’il ressortait du tableau no 58 figurant au considérant 1564 de ladite décision que, selon la méthode de calcul normale, Intel n’aurait pas passé le test AEC pour les années 1997, 1998 et 2000. Ainsi que le fait valoir, en substance, la requérante, la Commission a donc, à tout le moins implicitement, reconnu que, selon la méthode de calcul normale, le prix effectif résultant des paiements conditionnels d’Intel à MSH était nettement supérieur au CEM pendant toute la période de l’infraction présumée, à savoir de 2002 à 2007.

467    Dans un second temps, ainsi que cela ressort des considérants 1561 et 1566 de la décision attaquée, la Commission a toutefois adapté le test AEC en estimant que, lorsqu’Intel accordait un rabais conditionnel à un OEM, un concurrent aussi efficace aurait dû accorder deux paiements : l’un pour s’assurer d’obtenir la part disputable de l’OEM et l’autre pour s’assurer d’obtenir la part disputable de MSH. En tenant compte de ce double rabais, la Commission est arrivée à la conclusion, au considérant 1568 de la décision attaquée, qu’Intel n’aurait pas passé le test AEC pendant toute la période incriminée, sauf en 2004.

468    Il découle donc des considérants susmentionnés de la décision attaquée qu’il convient de partir de l’hypothèse qu’Intel aurait passé le test AEC selon la méthode de calcul normale et que c’est seulement en considérant l’existence d’un double rabais que la Commission aurait, d’après ses propres chiffres, réussi à prouver que les paiements d’Intel à MSH étaient susceptibles d’entraîner une éviction anticoncurrentielle pendant toute la période incriminée, sauf en 2004.

469    Quant à l’appréciation de ces faits, il convient de relever, à titre liminaire, que la requérante ne conteste pas la méthode du double rabais en tant que telle. Elle reconnaît, en substance, que, pour pouvoir vendre des ordinateurs d’une certaine marque à MSH, un concurrent aussi efficace devait s’assurer non seulement que MSH était prête à acheter des ordinateurs équipés de ses CPU, mais aussi et surtout que des OEM étaient prêts à fabriquer ces ordinateurs. Dès lors, les pratiques d’Intel à différents niveaux de la chaîne d’approvisionnement ont pu avoir un effet cumulatif.

470    En revanche, la requérante conteste les chiffres utilisés par la Commission pour effectuer ses calculs. Comme le relève la requérante, la décision attaquée calcule le montant du double rabais en présumant que chaque OEM fournisseur de MSH bénéficiait d’un rabais conditionnel équivalant au rabais total accordé à NEC au quatrième trimestre de 2002 et qu’il aurait entièrement perdu ce rabais si MSH s’était mise à vendre des ordinateurs équipés de CPU x86 d’AMD. En supposant que 100 % des rabais accordés à MSH étaient conditionnels, la Commission en a conclu que, pour toute la période incriminée, hormis 2004, les rabais d’Intel auraient alors exclu un concurrent aussi efficace.

471    Or, le Tribunal considère que cette analyse contient deux vices, dont chacun est susceptible d’invalider les résultats du test AEC relatif à MSH fondé sur les rabais accordés par Intel à NEC au quatrième trimestre de 2002.

472    En effet, premièrement, ainsi que le fait valoir la requérante, la Commission présume, aux considérants 1566 et 1567 de la décision attaquée, que les rabais accordés à NEC reflètent de manière appropriée les rabais conditionnels sur tous les ordinateurs équipés de processeurs Intel achetés par MSH à tous les OEM. Or, cette présomption n’est aucunement étayée.

473    En effet, Intel souligne, sans être contredite par la Commission, que MSH aurait acheté seulement 4 % de ses besoins en ordinateurs à NEC au cours de la période 2002-2007 et que, hormis NEC, les principaux OEM fournisseurs d’ordinateurs de MSH entre 2002 et 2007 auraient été Fujitsu, Acer, HP, Compaq, Toshiba et Medion. À tout le moins, la position de la Commission repose nécessairement sur la prémisse selon laquelle MSH achetait des ordinateurs auprès d’autres OEM que NEC.

474    Or, la Commission ne prétend, ni ne démontre qu’Intel aurait accordé à l’un des autres OEM auprès desquels MSH réalisait ses achats des rabais conditionnels sur le segment des ordinateurs destinés aux particuliers, dans des conditions comparables aux rabais relatifs aux ordinateurs achetés auprès de NEC.

475    Il apparaît donc que la décision attaquée a fondé son analyse de la méthode du double rabais sur les rabais accordés par Intel à NEC au cours d’un seul trimestre qui ne représentait qu’une part des achats de MSH. Dès lors, à l’instar de ce que soutient la requérante, il convient de considérer que la présomption de la Commission selon laquelle tous les fournisseurs de MSH bénéficiaient de rabais conditionnels substantiels identiques à ceux dont bénéficiait NEC est dépourvue de fondement et, en tout état de cause, nullement étayée.

476    Cette conclusion est au demeurant corroborée par le libellé du considérant 1566 de la décision attaquée, dans lequel la Commission se borne à affirmer, pour illustrer la méthode du double rabais, que la « communication des griefs complémentaire [de] 2008 a pris l’exemple de NEC en tant qu’équipementier informatique représentatif de cette situation », ainsi que par le libellé du considérant 1567 de la même décision, dans lequel la Commission indique que « [l]a section 4.2.3.4 a évalué les rabais conditionnels d’Intel à NEC au quatrième trimestre de 2002 (dès lors qu’il s’agit du seul trimestre pour lequel la Commission dispose de données suffisantes pour effectuer une analyse de la capacité des rabais d’évincer un concurrent aussi efficace) ». Il découle donc de ces considérants de la décision attaquée que la Commission semble s’être fondée sur l’exemple de NEC et sur un seul trimestre non uniquement en raison de sa pertinence, mais en raison du fait qu’il s’agissait du seul trimestre pour lequel elle avait pu obtenir des informations afin de procéder à l’analyse AEC relative à MSH.

477    La Commission prétend, à cet égard, qu’il suffit de faire référence à un seul exemple représentatif, étant donné que le test AEC servirait seulement à démontrer la capacité anticoncurrentielle – et non les effets actuels – d’une pratique commerciale.  Toutefois, le Tribunal considère que lorsque la Commission choisit une approche quantitative pour démontrer cette capacité, elle doit s’assurer que les données utilisées sont fiables et expliquer, à tout le moins, en quoi de telles données peuvent être extrapolées. Or, la Commission n’a nullement prouvé que les chiffres de NEC étaient « représentatifs » pour tous les OEM.

478    Deuxièmement, et en tout état de cause, ainsi que le soutient la requérante, l’analyse de la Commission suppose que NEC et tous les autres OEM fournisseurs de MSH ont bénéficié, entre 1997 et 2007, de rabais conditionnels identiques à celui reçu par NEC pour un seul trimestre. Cela implique donc que, à les supposer représentatifs pour tous les OEM, les rabais accordés à NEC pour le quatrième trimestre de 2002 ont été stables sur une période de dix ans. Or, d’une part, la Commission n’a nullement prouvé que tel était le cas. La seule justification que semble invoquer la Commission est celle figurant au considérant 1567 de la décision attaquée, selon laquelle, les données relatives aux rabais de NEC au quatrième trimestre de 2002 étaient les seules à sa disposition. Toutefois, comme le souligne la requérante, le fait de ne pouvoir obtenir de preuves supplémentaires ne permet pas à la Commission de fonder ses conclusions sur des faits présumés. D’autre part, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il ressort des points 404 à 411 ci-dessus, il a été démontré que, s’agissant de NEC, la Commission avait commis une erreur d’appréciation en extrapolant les résultats auxquels elle était parvenue pour le quatrième trimestre de 2002 pour toute la période prétendument infractionnelle.

479    Dès lors, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les autres arguments avancés par les parties tels que mentionnés aux points 458 à 465 ci-dessus, il convient de constater que la Commission a commis une erreur en estimant que les rabais conditionnels d’Intel à NEC au quatrième trimestre de 2002 constituaient des données suffisantes pour effectuer le test AEC pour MSH sur toute la période infractionnelle.

480    La Commission n’ayant pas démontré que les conditions pour une extrapolation étaient remplies, il y a donc lieu de considérer, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur le second argument relatif à la part conditionnelle des paiements (voir point 458 ci-dessus), que la requérante est fondée à soutenir que l’application du test AEC en ce qui concerne MSH est entachée d’une erreur d’appréciation qui s’applique à l’intégralité de la période examinée.

481    Compte tenu de ce qui précède, la Commission n’a pas établi à suffisance de droit le bien-fondé de la conclusion, formulée au considérant 1573 de la décision attaquée, selon laquelle, sur la base des considérations figurant aux considérants 1559 à 1572 de la même décision, au cours de la période allant du dernier trimestre de l’année 1997 au 12 février 2008, les paiements d’Intel à MSH étaient capables ou susceptibles d’avoir des effets d’éviction anticoncurrentiels, soit en eux-mêmes, soit en tant que facteur de renforcement du comportement d’Intel vis-à-vis d’autres acteurs du marché, car même un concurrent aussi efficace se serait vu empêcher d’entrer dans la partie du marché concernée.

f)      Conclusions sur le test AEC

482    Eu égard à l’ensemble des considérations figurant aux points 179 à 480 ci-dessus, sans même qu’il soit nécessaire de procéder à l’appréciation des différentes allégations de la requérante portant sur l’analyse des coûts, il y a lieu d’accueillir l’argument de la requérante selon lequel l’analyse AEC effectuée par la Commission dans la décision attaquée est entachée d’erreurs.

C.      Sur l’argument selon lequel la décision attaquée n’aurait pas dûment analysé et tenu compte des critères mentionnés au point 139 de l’arrêt sur pourvoi

483    Selon la requérante et ACT, les constatations de la Commission figurant dans la décision attaquée quant à la capacité d’éviction des rabais d’Intel ne tiennent pas dûment compte de tous les critères fixés par la Cour au point 139 de l’arrêt sur pourvoi. Or, le fait de ne pas avoir pris en compte, ne serait-ce que l’un d’entre eux, devrait conduire le Tribunal à annuler la décision attaquée.

484    La requérante et ACT soutiennent que, parmi ces cinq critères, au moins trois n’ont pas été examinés de façon appropriée. En effet, selon elles, si la décision attaquée contient une analyse des premier et troisième critères visés au point 139 de l’arrêt sur pourvoi, à savoir l’importance de la position dominante d’Intel sur le marché pertinent et les conditions et les modalités d’octroi des rabais d’Intel, tel n’est, en tout état de cause, pas le cas s’agissant des critères relatifs au taux de couverture du marché, à la durée et au montant des rabais ainsi qu’à l’existence d’une stratégie visant à évincer les concurrents au moins aussi efficaces.

1.      Sur le taux de couverture

485    Au considérant 1577 de la décision attaquée, figurant dans la section 4.2.4 relative à l’importance stratégique des équipementiers qui ont bénéficié des rabais d’Intel, la Commission a souligné, en substance, que, en raison de leur part de marché, de leur présence forte dans le segment le plus profitable du marché ainsi que de leur pouvoir de légitimer un nouveau processeur sur le marché, certains OEM, en l’occurrence Dell et HP, étaient stratégiquement plus importants que d’autres pour fournir aux fabricants de CPU x86 un accès au marché. La Commission a en outre considéré, au considérant 1597 de la décision attaquée, que les OEM ciblés par le comportement d’Intel détenaient une part de marché significative et que de surcroît ils étaient stratégiquement plus importants que les autres, ce qui avait eu un impact sur le marché dans son ensemble plus important que celui qui aurait correspondu à leurs seules parts de marché cumulées. Elle en a conclu que la couverture des pratiques abusives devait être considérée comme étant significative.

486    La requérante et ACT soutiennent, en substance, que, en se bornant à affirmer au considérant 1597 de la décision attaquée que les OEM ciblés par le comportement d’Intel détenaient une part significative du marché et qu’ils étaient stratégiquement les plus importants, ce qui aurait eu un impact sur le marché dans son ensemble plus important que celui qui aurait correspondu à leurs seules parts de marché cumulées, la décision attaquée n’a pas dûment tenu compte du critère du taux de couverture aux fins d’analyser si les rabais et les paiements d’Intel avaient une capacité d’éviction.

487    Par ailleurs, la requérante relève que ce constat a été formulé dans la décision attaquée après avoir conclu, au considérant 1001 de celle-ci, que les rabais et les paiements d’Intel remplissaient les critères de l’abus, alors que l’arrêt sur pourvoi exige de la Commission une analyse de la couverture du marché avant tout constat d’abus. En outre, la requérante et ACT considèrent que les éléments de preuve sur lesquels se serait appuyée la Commission n’étaient pas suffisants pour estimer que la part de marché couverte par le comportement d’Intel était significative.

488    La Commission conteste le bien-fondé des arguments avancés par la requérante.

489    Premièrement, elle observe que la couverture du marché a été examinée à la section 4.2.4 de la décision attaquée, dans le cadre de l’importance stratégique des OEM qui ont bénéficié des rabais d’Intel. La Commission insiste en particulier sur le fait que, bien que le point 139 de l’arrêt sur pourvoi identifie simplement la couverture du marché comme un facteur, celui-ci doit être appliqué dans le cadre de chaque affaire et, en l’espèce, l’importance stratégique de la partie du marché couverte doit être prise en considération aux fins de l’appréciation de ce facteur comme démontrant la capacité des rabais de fidélité d’Intel d’évincer la concurrence. De même, il conviendrait de prendre en considération la circonstance qu’Intel était un partenaire commercial incontournable pour les équipementiers, de sorte qu’elle avait une influence importante sur ses clients, dans la mesure où il aurait été irréaliste pour eux de se tourner totalement ou majoritairement vers la ligne de produits d’AMD.

490    Deuxièmement, elle soutient que, en ce qui concerne le taux de couverture du marché, la requérante ne se fonde plus sur l’affirmation, formulée au point 115 de la requête, selon laquelle la couverture du marché par ses pratiques n’a pas dépassé 2 % au cours d’une année, mais semble accepter le fait que le Tribunal ait constaté, au point 194 de l’arrêt initial, que la couverture du marché était en moyenne d’environ 14 % pendant la période de commission de l’infraction et fait valoir qu’il pourrait être déduit de certains éléments de preuve que les parts de marché des OEM concernés par les pratiques de rabais litigieuses étaient de plus de 25 %.

491    Troisièmement, s’agissant du grief soulevé par Intel dans ses observations selon lequel le constat figurant au considérant 1597 de la décision attaquée a été formulé après qu’il avait été conclu, au considérant 1001 de cette décision, que ses rabais et ses paiements remplissaient les critères de l’abus (voir point 487 ci-dessus), la Commission estime que la requérante dénature la décision attaquée. En effet, le considérant 1001 de cette décision repose sur l’arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission (85/76, EU:C:1979:36), selon lequel des rabais de fidélité enfreignent l’article 102 TFUE. Cependant, comme il est exposé au considérant 1597 de la décision attaquée, la Commission souligne que l’analyse subséquente révèle que cibler des OEM aussi importants sur le plan stratégique a une incidence plus importante sur l’ensemble du marché que celle qui est uniquement attribuable à leurs parts de marché cumulées. Il en ressort que la portée des pratiques abusives doit être considérée comme « significative » et le considérant 1616 de la décision attaquée parvient à la conclusion générale que les fidélisations induites par les rabais ont eu des effets complémentaires qui ont sensiblement diminué la possibilité d’autres acteurs de faire jouer la concurrence et de vendre leurs produits en mettant en avant la qualité de leurs CPU x86.

492    Il importe de rappeler qu’il ressort du point 139 de l’arrêt sur pourvoi que le taux de couverture du marché par la pratique contestée est un des critères devant être pris en compte par la Commission aux fins d’apprécier la capacité d’éviction des rabais et des paiements conditionnels (voir points 119 et 125 ci-dessus).

493    En premier lieu, dans les circonstances de l’espèce, il ne saurait être exclu que la section 4.2.4 de la décision attaquée, relative à l’importance stratégique des OEM qui ont bénéficié des rabais d’Intel, puisse être pertinente dans le cadre de l’examen du taux de couverture. En effet, elle aborde certains facteurs a priori pertinents dans le cadre de l’examen de la capacité d’éviction d’un système de rabais, tels que le ciblage de certaines pratiques tarifaires sur les segments les plus profitables du marché ou l’utilisation, au détriment d’un concurrent, du pouvoir de légitimation d’un produit par les opérateurs les plus importants du marché.

494    Il n’en reste pas moins que, contrairement à ce que prétend la Commission, et indépendamment de la question de savoir si le constat figurant au considérant 1597 de la décision attaquée a été formulé après qu’il avait été conclu, au considérant 1001 de cette décision, que les rabais et les paiements d’Intel remplissaient les critères de l’abus, il y a lieu de constater que le contenu de la section 4.2.4 de la décision attaquée, relative à l’importance stratégique des équipementiers qui ont bénéficié des rabais d’Intel, et en particulier le considérant 1597 de celle-ci, sur lequel s’appuie la Commission pour considérer que le taux de couverture du marché a été examiné, ne sauraient être interprétés comme constituant en eux-mêmes un examen suffisant, dans les circonstances de l’espèce, du taux de couverture du marché par la pratique contestée, au sens du point 139 de l’arrêt sur pourvoi.

495    En effet, indépendamment du fait que la Commission s’est fondée sur les parts de marché détenues par certains OEM et à supposer que la Commission puisse valablement se limiter à se fonder sur les parts de marché détenues par certains OEM plutôt que d’examiner le taux de couverture du marché par la pratique contestée, comme cela est mentionné au point 139 de l’arrêt sur pourvoi, les considérants 1578 à 1580 de la décision attaquée ne prennent en compte que les parts de marché de Dell et de HP, en excluant les autres OEM concernés par la pratique contestée, ainsi que le relèvent la requérante et ACT. Il y a lieu d’ajouter que les parts de marché prises en compte ne couvrent que la période allant du premier trimestre de 2003 au dernier trimestre de 2005. Dès lors, non seulement il ne s’agit là que d’une seule partie de la totalité de la période couverte par ladite décision, c’est-à-dire d’octobre 2002 à décembre 2007, mais cela fait également abstraction de la période 2006-2007, au cours de laquelle Lenovo et MSH étaient concernés. Enfin, ainsi que le soulèvent la requérante et ACT, il ressort des considérants 1578 à 1580 de la décision attaquée que les chiffres des parts de marché sur lesquels la Commission s’est fondée tiennent compte des parts de marché mondial de Dell et de HP dans tous les segments, malgré le fait que la seule pratique contestée, en ce qui concerne HP, porte sur des ordinateurs de bureau pour entreprises, comme cela est indiqué à l’article 1er, sous b), de la décision attaquée.

496    En second lieu, dans ses observations principales, la Commission se prévaut de ce que le Tribunal a constaté, au point 194 de l’arrêt initial, que la couverture du marché était en moyenne d’environ 14 % pendant la période de l’infraction et fait valoir qu’il pourrait être déduit de certains éléments de preuve que les parts de marché des OEM concernés par les pratiques de rabais litigieuses étaient de plus de 25 %. Elle indique également que « [l]a plainte d’Intel […] selon laquelle la Commission s’est appuyée sur la part de marché de HP dans tous les segments du marché est dénuée de fondement ; [que] la décision [attaquée] ne se réfère à aucun chiffre précis en ce qui concerne HP et [que] la couverture moyenne de 14 % invoquée par l’arrêt [initial], contrairement à ce qu’Intel affirme, […] ne tient pas compte des rabais de fidélité spécifiques au segment accordés à HP ».

497    Toutefois, l’argument de la Commission fondé sur le fait que le Tribunal a constaté, au point 194 de l’arrêt initial, que la couverture du marché était en moyenne d’environ 14 % pendant la période de commission de l’infraction, ce que la requérante n’aurait pas contesté, ou que les parts de marché des OEM concernés par les pratiques de rabais litigieuses étaient de plus de 25 % ne peut qu’être rejeté.

498    En effet, force est de constater que les taux de 14 % ou de 25 % n’apparaissent aucunement dans la décision attaquée au terme d’un examen du taux de couverture. Partant, aux fins du contrôle de la légalité de la décision attaquée, en ce qui concerne le taux de couverture du marché par la pratique contestée, le Tribunal n’est pas en mesure de se fonder sur lesdits taux, quand bien même ils seraient tirés d’éléments de preuve versés au dossier, dès lors qu’ils ne figuraient pas dans la décision attaquée et que, par définition, la Commission n’a pas pu se fonder sur ces éléments.

499    Partant, sans qu’il soit besoin de se prononcer au sujet des arguments de la Commission relatifs à la part de marché de HP, force est de constater que la Commission s’est abstenue de déterminer le taux de couverture du marché de la pratique contestée, contrairement à ce qu’elle était tenue de faire en vertu du point 139 de l’arrêt sur pourvoi. Il y a lieu d’ajouter que cela est au demeurant contraire à ses propres lignes directrices concernant l’analyse des affaires relevant de l’article 102 TFUE, et en particulier au paragraphe 20 des orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l’application de l’article [102 TFUE] aux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes (JO 2009, C 45, p. 7).

500    Eu égard aux éléments qui précèdent, il y a donc lieu de conclure que la requérante et ACT soutiennent à juste titre que la décision attaquée est entachée d’erreurs en ce qu’elle n’a pas dûment examiné le critère relatif au taux de couverture du marché par la pratique contestée.

2.      Sur la durée et le montant des rabais

501    Intel critique, dans la requête, ainsi que dans ses observations principales, l’absence d’analyse, dans la décision attaquée, de l’importance, d’une part, de la durée des rabais et des paiements conditionnels proposés et, d’autre part, des montants de ceux-ci. Elle soutient, notamment, qu’il n’est pas possible, pour apprécier les effets d’éviction qu’auraient les rabais en cause sur un concurrent aussi efficace, d’opérer un cumul des accords de courte durée conclus avec les OEM et MSH. Selon elle, il conviendrait, pour ce faire, de prendre en considération la durée de chacun de ces accords.

502    La Commission avance que les conditions d’octroi des rabais et des différents paiements accordés par Intel ont été analysées, pour chaque OEM, dans la section VII.4.2.2 de la décision attaquée. Ces analyses auraient porté sur la nature et le mode opératoire des conditions d’exclusivité ou de quasi-exclusivité auxquelles étaient soumis les paiements et les rabais, sur les montants des rabais et, enfin, sur le caractère décisif de la conditionnalité des paiements et des rabais pour chacun des OEM, ainsi que pour MSH, lorsqu’ils évaluaient l’hypothèse de s’approvisionner partiellement en CPU x86 auprès d’AMD. En particulier, la Commission souligne dans le mémoire en défense qu’une courte durée de préavis de résiliation de certains accords, notamment avec HP, ne modifiait pas les effets néfastes sur la concurrence. Ainsi, si Intel avait résilié les accords HPA à la suite d’une violation, par HP, de son obligation de quasi-exclusivité, HP aurait perdu les rabais sur toute la durée restante de l’accord et, tout au moins potentiellement, sur la durée de la prolongation de celui-ci.

503    Dans ses observations principales, la Commission soutient, en substance, que la requérante n’a pas contesté le passage de l’arrêt initial qui serait pertinent à la lumière de l’arrêt sur pourvoi, à savoir les conclusions formulées au point 195 dudit arrêt, où le Tribunal a examiné les implications de la durée des accords de rabais pour leur capacité d’éviction.  La Commission estime donc que les conclusions du point 195 de l’arrêt initial, selon lesquelles la durée des accords d’Intel ne portait pas atteinte à leur capacité d’évincer la concurrence, doivent être considérées comme définitives.

504    La Commission, dans ses observations principales, visant le point 195 de l’arrêt initial, soutient également que, même s’il était permis à Intel de renouveler sa contestation de la décision attaquée concernant l’évaluation de l’importance de la durée de ses accords, il n’y a pas lieu de s’écarter de l’arrêt initial. Premièrement, selon la Commission, si, ainsi qu’il est constaté dans la décision attaquée, Intel échoue au test AEC, l’insistance de cette dernière sur la capacité des OEM de se retirer des accords relatifs aux rabais de fidélité serait illogique. Un concurrent aussi efficace ne pourrait tout simplement pas livrer concurrence. Deuxièmement, même si Intel réussissait le test AEC, il serait inhérent à l’offre d’un concurrent aussi efficace pour les activités des OEM dans de telles circonstances qu’il aurait à accepter un niveau de rentabilité beaucoup plus faible sur ces ventes qu’Intel. Troisièmement, la Commission réitère l’allégation selon laquelle la durée d’ensemble d’un système de rabais de fidélité d’Intel serait un facteur de durée pendant laquelle un concurrent aussi efficace devrait accepter une baisse de rentabilité en « s’emparant de la clientèle d’un OEM provenant d’Intel » sur ces ventes. Ainsi, pour HP, tout concurrent désireux de supplanter Intel devrait être prêt à offrir des conditions qui compenseraient la perte des rabais d’Intel sur au moins la durée complète de l’accord HPA1. De surcroît, la Commission soutient que chaque série d’accords avec les OEM avait lieu pendant une période suffisante pour que les actions d’Intel puissent évincer la concurrence, ces accords visant les périodes les plus rentables pour les ventes de processeurs CPU x86, au début du cycle de vie d’un nouveau modèle. Elle fait également valoir que la durée des pratiques d’Intel ne peut être dissociée de leur calendrier, car elles visaient à surmonter son incapacité à produire une réponse technique en temps opportun aux CPU x86 à 64 bits commercialisés par AMD.

505    Durant l’audience de 2020, la Commission a présenté au Tribunal un document portant sur les considérants de la décision attaquée qui évaluaient, selon elle, les différents critères tels que prévus au point 139 de l’arrêt sur pourvoi, incluant la durée.

506    En premier lieu, il convient d’écarter l’irrecevabilité des griefs tirés de la durée et du montant des rabais et des paiements conditionnels, soulevée par la Commission dans ses observations principales. En effet, il suffit de relever que les arguments de la requérante présentés dans ses observations principales et complémentaires à cet égard se rattachent clairement à ceux présentés aux points 102 et 111 à 114 de la requête. Partant, en application de la jurisprudence citée au point 106 ci-dessus, ces griefs sont recevables.

507    En second lieu, il convient de constater qu’il ressort du point 139 de l’arrêt sur pourvoi que l’analyse de la durée et du montant des rabais et des paiements conditionnels, faisant l’objet de la pratique contestée, fait partie des critères devant être pris en compte aux fins d’apprécier la capacité d’éviction desdites pratiques.

508    Premièrement, il est vrai que, dans la décision attaquée, la Commission a examiné à plusieurs reprises des éléments en rapport avec la durée des rabais.

509    Tout d’abord, les considérants 1013 à 1035 de la décision attaquée portent sur le facteur temporel dans le cadre du test AEC. La Commission a notamment retenu, aux considérants 1015 et 1017 de la décision attaquée, que, dans certaines circonstances, les pratiques de rabais pouvaient relever de modifications trimestrielles et a affirmé, aux considérants 1017 à 1028 de la décision attaquée, que, en raison du fait que le marché en cause était très dynamique, l’innovation dans le secteur pertinent rendait difficile ou même impossible d’effectuer des prédictions à long terme. De même, les considérants 1025 à 1027 de la décision attaquée contiennent une référence à la durée des contrats et au fait qu’il convenait régulièrement de « rafraîchir » les cycles de production.

510    Ensuite, les considérants 201 et 202 de la décision attaquée indiquent que la Commission estimait que certaines des négociations pertinentes entre Intel et les OEM étaient effectuées trimestriellement. Aussi ces négociations concernaient une période relativement courte, ce qui pouvait permettre à un concurrent aussi efficace de proposer plus facilement ses propres CPU x86 auxdits OEM. De même, aux considérants 965 à 968 de la décision attaquée, la Commission a examiné l’argument d’Intel tiré de ce que le préavis de résiliation de 30 jours des accords HPA donnait à HP une plus grande liberté pour comparer ses offres avec celles d’AMD, en répondant que le statut de partenaire commercial incontournable d’Intel et les effets produits par ses rabais conduisaient à écarter ledit argument. À l’audience de 2020, la Commission a souligné que, dans certains cas, concernant HP, il y avait eu, à plusieurs reprises, renouvellement des accords avec Intel mensuellement. S’agissant de Dell, la Commission a souligné, au considérant 1227 de la décision attaquée, que, en raison de l’absence de tout contrat écrit avec Intel, en ce qui concerne les rabais consentis en vertu d’un programme d’alignement sur la concurrence (Meet Competition Programme), ceux-ci faisaient l’objet d’une renégociation « constante », menée à l’oral, de telle sorte qu’Intel disposait d’une grande flexibilité pour modifier les rabais.

511    Il n’en reste pas moins que, d’une part, l’objet des considérants 1013 à 1035 de la décision attaquée était uniquement de définir l’horizon temporel dans lequel s’inscrivaient les choix des OEM s’agissant de leurs besoins de fournitures en CPU x86 en tant qu’hypothèse fondant le calcul de la part disputable des rabais pour chacun des OEM concernés. La Commission en a conclu que, dans le cadre du test AEC, elle retiendrait l’hypothèse que l’horizon temporel pertinent était d’une année.

512    Partant, le facteur temporel a été ici utilisé pour déterminer la méthodologie de calcul de la part disputable d’un OEM, laquelle part disputable devait ensuite être mise en rapport avec d’autres facteurs du test AEC afin d’évaluer la capacité des rabais litigieux de produire un effet d’éviction. Un tel examen ne constitue donc pas une analyse de la durée des rabais en tant que facteur susceptible, en soi, de démontrer leur capacité de produire un effet d’éviction.

513    D’autre part, il ressort des considérants 201, 202, 965 à 968 et 1227 de la décision attaquée que la Commission a examiné la durée et la forme des engagements souscrits par les OEM auprès d’Intel donnant droit à des rabais en tant que facteurs susceptibles de favoriser ou de faire obstacle à l’entrée d’un nouveau concurrent sur le marché, compte tenu notamment de la portée temporelle desdits engagements ou de la capacité d’Intel de verser ou d’ajuster ses rabais dans de brefs délais.

514    Toutefois, alors que ces aspects du facteur temporel lui paraissaient pertinents, la Commission ne les a examinés que de façon contingente et circonscrite, aux considérants 201, 202, 965 à 968 et 1227 de la décision attaquée. Elle n’a pas procédé à un examen approfondi et exhaustif, pour tous les OEM, desdits aspects en tant qu’ils étaient susceptibles d’établir ou de renforcer la capacité des pratiques tarifaires litigieuses d’Intel de produire un effet d’éviction.

515    Il ressort de ce qui précède que la Commission n’a pas procédé à un examen de la durée des rabais en tant que facteur en soi pertinent pour établir la capacité des pratiques tarifaires litigieuses d’Intel de produire un effet d’éviction.

516    Deuxièmement, la Commission fait valoir, en substance, que, quand bien même le test AEC ne démontrerait pas la capacité des rabais litigieux de produire un effet d’éviction, il conviendrait de s’attacher à la durée totale pendant laquelle la requérante a appliqué des rabais et des paiements d’exclusivité aux OEM et que, dans la mesure où les rabais ont perduré durant une année pour Lenovo et durant plusieurs années pour les autres OEM et pour MSH, il devrait en être conclu qu’un concurrent d’Intel sur le marché des CPU x86 aurait dû accepter une baisse de la rentabilité et un niveau de rentabilité beaucoup plus faible sur ces ventes qu’Intel. Ces considérations ressortiraient des points 93 et 195 de l’arrêt initial et seraient donc définitives.

517    À cet égard, d’une part, il ressort du point 81 ci-dessus que le dispositif de l’arrêt sur pourvoi procède à l’annulation de l’intégralité de l’arrêt initial. Partant, le Tribunal doit procéder, à la suite du renvoi, à un nouvel examen des arguments des parties relatifs à la durée des rabais, sans être lié par les points 93 et 195 de l’arrêt initial qu’il ne reprend pas à son propre compte.

518    D’autre part, il ressort des points 138 et 139 de l’arrêt sur pourvoi que, dans le cas où l’entreprise concernée soutient, au cours de la procédure administrative, éléments de preuve à l’appui, que son comportement n’a pas eu la capacité de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire les effets d’éviction qui lui sont reprochés, la Commission est tenue d’apprécier l’ensemble des critères mentionnés au point 139 dudit arrêt, et non uniquement le critère tenant à la durée des rabais qui y figure. Ainsi, la seule référence à la durée durant laquelle les rabais ont été accordés aux OEM et à MSH ne suffit pas, en elle-même, nonobstant les conclusions qu’il est possible de tirer du test AEC, à fonder des conclusions définitives quant aux effets d’éviction ainsi produits.

519    Troisièmement, c’est en vain que la Commission soutient que la durée des pratiques d’Intel ne peut être dissociée de leur calendrier, car elles visaient à surmonter son incapacité à produire une réponse technique en temps opportun aux CPU x86 à 64 bits commercialisés par AMD. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 518 ci-dessus, cet argument, à supposer même qu’il figure en tant que tel dans la décision attaquée, ne suffirait pas en lui-même à fonder des conclusions définitives quant aux effets d’éviction ainsi produits.

520    Sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les arguments de la requérante relatifs aux montants des rabais, il ressort de ce qui précède que la Commission a commis une erreur en n’examinant pas, dans la décision attaquée, la durée des rabais en tant qu’élément permettant d’établir la capacité des pratiques tarifaires litigieuses d’Intel de produire un effet d’éviction.

3.      Conclusions sur la prise en compte des critères mentionnés au point 139 de l’arrêt sur pourvoi

521    Eu égard à l’ensemble des considérations figurant aux points 485 à 520 ci-dessus, sans qu’il soit besoin d’analyser les griefs de la requérante concernant les critères relatifs au montant des rabais et à la stratégie visant à exclure du marché des concurrents, il y a lieu de conclure que la requérante est fondée à soutenir que l’analyse effectuée par la Commission dans la décision attaquée des critères mentionnés au point 139 de l’arrêt sur pourvoi est entachée de plusieurs erreurs. En effet, la Commission n’a pas dûment examiné le critère relatif au taux de couverture du marché par la pratique contestée et n’a pas procédé à une analyse correcte de la durée des rabais.

D.      Conclusion sur la demande tendant à l’annulation de la décision attaquée

522    Il ressort des points 124 à 126 ci-dessus que, si un système de rabais instauré par une entreprise en position dominante sur le marché peut être qualifié de restriction de concurrence, dès lors que, compte tenu de sa nature, ses effets restrictifs sur la concurrence peuvent être présumés, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit, à cet égard, d’une présomption simple et non d’une violation per se de l’article 102 TFUE, dispensant la Commission en toute hypothèse d’en examiner les effets anticoncurrentiels. Dans l’hypothèse où une entreprise en position dominante soutient, au cours de la procédure administrative, éléments de preuve à l’appui, que son comportement n’a pas eu la capacité de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire les effets d’éviction qui lui sont reprochés, la Commission doit analyser la capacité d’éviction du système de rabais en appliquant les cinq critères énoncés au point 139 de l’arrêt sur pourvoi. En outre, lorsqu’un test AEC a été effectué par la Commission, il fait partie des éléments dont elle doit tenir compte pour apprécier la capacité du système de rabais de restreindre la concurrence.

523    En l’espèce, la requérante a soutenu, au cours de la procédure administrative, éléments de preuve à l’appui, que les rabais litigieux n’avaient pas eu la capacité de produire les effets d’éviction qui lui étaient reprochés. Aux considérants 1002 à 1573 de la décision attaquée, la Commission a effectué un test AEC et, au regard des résultats de ce test, a conclu, aux considérants 1574 et 1575 de ladite décision, que les rabais et les paiements litigieux d’Intel étaient capables ou susceptibles d’avoir des effets d’éviction anticoncurrentiels, car même un concurrent aussi efficace se serait vu empêcher d’approvisionner Dell, HP, Nec et Lenovo pour leurs besoins en CPU x86 ou d’assurer la vente par MSH d’ordinateurs équipés de ses CPU x86.

524    Toutefois, il ressort de tout ce qui précède que, premièrement, le test AEC effectué dans la décision attaquée est entaché d’erreurs et, deuxièmement, s’agissant des critères mentionnés au point 139 de l’arrêt sur pourvoi, la Commission n’a pas dûment examiné le critère relatif au taux de couverture du marché par la pratique contestée et n’a pas procédé à une analyse correcte de la durée des rabais.

525    Il convient de préciser, s’agissant des rabais accordés à HP, qu’il a été jugé, au point 334 ci-dessus, que la Commission n’a pas établi à suffisance de droit sa conclusion selon laquelle, au cours de la période allant de novembre 2002 à mai 2005, le rabais d’Intel accordé à HP était capable ou susceptible de produire un effet d’éviction anticoncurrentiel, dans la mesure où elle n’a pas démontré l’existence desdits effets pour la période comprise entre le 1er novembre 2002 et le 30 septembre 2003. À supposer même qu’il faille en déduire que le test AEC pourrait être considéré comme probant pour une partie de la période allant de novembre 2002 à mai 2005, cela ne saurait établir à suffisance de droit l’effet d’éviction des rabais accordés à HP, dès lors que la Commission n’a pas dûment examiné le critère relatif au taux de couverture du marché par la pratique contestée et n’a pas procédé à une analyse correcte de la durée des rabais.

526    Par conséquent, la Commission n’est pas en mesure d’établir que les rabais et les paiements litigieux de la requérante étaient capables ou susceptibles d’avoir des effets d’éviction anticoncurrentiels et qu’ils étaient donc constitutifs d’une violation de l’article 102 TFUE.

527    Partant, le Tribunal considère que les motifs de la décision attaquée ne sont pas susceptibles de servir de fondement à l’article 1er, sous a) à e), de ladite décision.

528    Par ailleurs, en réponse à une question du Tribunal du 2 avril 2012, visant à savoir, s’agissant d’une éventuelle modification du montant de l’amende en cas d’une éventuelle annulation partielle de la décision attaquée, quelle était la valeur relative des infractions constituées par les paiements d’exclusivité par rapport aux infractions constituées par les restrictions non déguisées, la Commission, dans une réponse déposée le 8 mai 2012, a répondu uniquement en ce qui concerne la gravité des infractions, en faisant valoir qu’elle avait évalué l’ensemble des comportements en cause et avait estimé que ceux-ci se complétaient et se renforçaient mutuellement.

529    Le Tribunal n’étant pas en mesure d’identifier le montant de l’amende afférent uniquement aux restrictions non déguisées, il y a lieu d’annuler par voie de conséquence également l’article 2 de la décision attaquée.

530    L’article 3 de la décision attaquée doit être annulé pour autant qu’il concerne les rabais d’exclusivité.

531    Le recours est rejeté pour le surplus, compte tenu, notamment, des considérations de l’arrêt initial que le Tribunal reprend à son compte, telles que rappelées aux points 96 à 98 ci-dessus.

 Sur les conclusions tendant à la suppression ou à la réduction du montant de l’amende

532    Eu égard à ce qui précède, il n’est pas nécessaire de statuer sur le deuxième chef de conclusions, invoqué à titre subsidiaire.

 Sur les dépens

533    Dans la mesure où, dans l’arrêt sur pourvoi, la Cour a annulé l’arrêt initial et réservé les dépens, il appartient au Tribunal, conformément à l’article 219 du règlement de procédure, de statuer, dans le présent arrêt, sur l’ensemble des dépens afférents aux procédures engagées devant lui, à savoir les procédures dans les affaires T‑286/09 et T‑286/09 RENV, ainsi que sur les dépens afférents à la procédure de pourvoi, à savoir la procédure dans l’affaire C‑413/14 P.

534    Aux termes de l’article 134 du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Si plusieurs parties succombent, le Tribunal décide du partage des dépens. Si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, le Tribunal peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie.

535    Conformément à l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut décider qu’un intervenant autre que ceux mentionnés aux paragraphes 1 et 2, du même article, supportera ses propres dépens.

536    La Commission ayant partiellement succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens relatifs aux procédures engagées devant le Tribunal dans les affaires T‑286/09 et T‑286/09 RENV et à la procédure de pourvoi devant la Cour dans l’affaire C‑413/14 P, les deux tiers de ceux exposés par la requérante et par ACT dans ces mêmes procédures, tandis que ces dernières supporteront chacune un tiers de leurs propres dépens.

537    UFC supportera ses propres dépens relatifs aux procédures engagées devant le Tribunal dans les affaires T‑286/09 et T‑286/09 RENV et à la procédure de pourvoi devant la Cour dans l’affaire C‑413/14 P.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      L’article 1er, sous a) à e), et l’article 2 de la décision C(2009) 3726 final de la Commission, du 13 mai 2009, relative à une procédure d’application de l’article [102 TFUE] et de l’article 54 de l’accord EEE (affaire COMP/C3/37.990 – Intel), sont annulés.

2)      L’article 3 de la décision C(2009) 3726 final est annulé uniquement en ce qu’il concerne l’article 1er, sous a) à e), de cette décision.

3)      Le recours est rejeté pour le surplus.

4)      La Commission européenne supportera, outre ses propres dépens relatifs aux procédures engagées devant le Tribunal dans les affaires T286/09 et T286/09 RENV et à la procédure de pourvoi devant la Cour dans l’affaire C413/14 P, les deux tiers de ceux exposés par Intel Corporation, Inc. et par Association for Competitive Technology, Inc. dans les mêmes procédures, tandis qu’Intel Corporation et Association for Competitive Technology supporteront chacune un tiers de leurs propres dépens.

5)      L’Union fédérale des consommateurs  Que choisir (UFC  Que choisir) supportera ses propres dépens relatifs aux procédures engagées devant le Tribunal dans les affaires T286/09 et T286/09 RENV et à la procédure de pourvoi devant la Cour dans l’affaire C413/14 P.

Kanninen

Schwarcz

Iliopoulos

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 janvier 2022.

Signatures


Table des matières




i      « Les points 334, 335 et 525 du présent texte ont fait l’objet d’une modification d’ordre linguistique, postérieurement à sa première publication au Recueil. »


*      Langue de procédure : l’anglais.


1      Données confidentielles occultées.