DOCUMENT DE TRAVAIL
ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)
6 juin 2019 (*)
« Clause compromissoire – Accord de prêt “Aleppo – Tall Kojak Road Project” no 60136 – Inexécution de l’accord – Remboursement des sommes avancées – Intérêts de retard – Procédure par défaut »
Dans l’affaire T‑589/17,
Banque européenne d’investissement (BEI), représentée initialement par MM. P. Chamberlain, T. Gilliams, F. Oxangoiti Briones et Mme J. Shirran, puis par MM. Oxangoiti Briones, J. Klein et Mme Shirran, en qualité d’agents, assistés de Me D. Arts, avocat, et M. T. Cusworth, solicitor,
partie requérante,
contre
République arabe syrienne,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande fondée sur l’article 272 TFUE et tendant à obtenir la condamnation de la République arabe syrienne à rembourser des sommes dues dans le cadre de l’accord de prêt « Aleppo – Tall Kojak Road Project » no 60136, majorées d’intérêts de retard,
LE TRIBUNAL (sixième chambre),
composé de MM. G. Berardis, président, D. Spielmann et Z. Csehi (rapporteur), juges,
greffier : M. E. Coulon,
rend le présent
Arrêt
Antécédents du litige
Dispositions contractuelles pertinentes
1 Faisant suite à l’accord de coopération entre la Communauté économique européenne et la République arabe syrienne du 18 janvier 1977 (JO 1978, L 269, p. 2) et à ses protocoles, le 15 mai 1979, la Banque européenne d’investissement (BEI) a conclu avec la République arabe syrienne l’accord de prêt « Aleppo – Tall Kojak Road Project » no 60136 (ci-après l’« accord de prêt »), portant sur la réalisation d’une route de haute qualité entre Alep (Syrie) et Tall Kochak (Irak). L’accord de prêt, en vertu de son article 11, paragraphe 1, est régi par le droit belge. En outre, en vertu de l’article 12, paragraphe 1, du même accord, la République arabe syrienne a désigné l’ambassadeur de la République arabe syrienne auprès de l’Union européenne à Bruxelles (Belgique) pour toute notification ou communication concernant un litige.
2 En vertu de l’article 1er, paragraphes 1 et 2, de l’accord de prêt, la BEI a accordé à la République arabe syrienne un prêt de 3 500 000 unités de compte européennes à décaisser sur demande. En vertu de l’article 4, paragraphe 1, de cet accord, la République arabe syrienne devait rembourser le prêt en échéances semi-annuelles.
3 Conformément à l’article 3, paragraphe 1, de l’accord de prêt, des intérêts sur le solde de l’avance sont dus, sur une base semestrielle à terme échu, au taux annuel bonifié de 1 %.
4 Selon l’article 3, paragraphe 2, de cet accord, des intérêts sont dus sur tous les montants échus à un taux annuel de 3,5 % et, en cas de retard de remboursement de tout montant du principal, ils seront payables en lieu et place, et non en sus, des intérêts dus au titre de l’article 3, paragraphe 1, dudit accord.
5 En vertu de l’article 9, paragraphes 1 et 2, de l’accord de prêt, la République arabe syrienne est tenue de payer toutes les taxes et tous les honoraires, droits ou frais professionnels liés à l’exécution ou à la mise en œuvre dudit accord.
Manquement de la République arabe syrienne
6 Depuis le mois d’avril 2012 et jusqu’au mois de mars 2017, onze tranches visées par l’accord de prêt sont venues à échéance, ainsi qu’il ressort du tableau ci-après :
Tranches | Échéances |
67 565,86 EUR | 2 avril 2012 |
67 600,86 EUR | 1er octobre 2012 |
67 634,11 EUR | 2 avril 2013 |
67 665,61 EUR | 30 septembre 2013 |
67 695,36 EUR | 31 mars 2014 |
67 723,35 EUR | 30 septembre 2014 |
67 749,60 EUR | 31 mars 2015 |
67 774,10 EUR | 30 septembre 2015 |
67 796,85 EUR | 31 mars 2016 |
67 817,85 EUR | 30 septembre 2016 |
67 837,10 EUR | 31 mars 2017 |
7 Par rappels de paiement des 12 avril et 11 octobre 2012, 12 avril et 10 octobre 2013, 10 avril et 14 octobre 2014, 10 avril et 12 octobre 2015, 11 avril et 10 octobre 2016 et 10 avril 2017, relatifs respectivement aux échéances visées au point 5 ci-dessus, la BEI a adressé des notifications à la République arabe syrienne pour réclamer le paiement des montants dus.
Procédure et conclusions des parties
8 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 août 2017, la BEI a introduit le présent recours.
9 La requête a été signifiée à la République arabe syrienne, en la personne de l’ambassadeur de la République arabe syrienne auprès de l’Union européenne à Bruxelles, le 6 avril 2018, par envoi postal recommandé avec accusé de réception.
10 La République arabe syrienne n’ayant pas produit de mémoire en défense dans le délai imparti, par acte déposé au greffe du Tribunal le 4 juillet 2018, la BEI a demandé au Tribunal de lui adjuger ses conclusions, conformément à l’article 123, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.
11 Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, le Tribunal a posé à la BEI des questions pour réponse écrite, auxquelles cette dernière a répondu le 5 décembre 2018.
12 La BEI conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :
– déclarer le recours comme étant recevable ;
– constater que la République arabe syrienne a manqué à son obligation contractuelle en vertu de l’accord de prêt en ce qui concerne le paiement des montants et des intérêts de retard à réaliser sur chaque échéance due et impayée et, par conséquent, condamner la République arabe syrienne à payer à la BEI, premièrement, la somme de 820 451,25 euros, due à la BEI au 25 août 2017 à titre de montant principal, d’intérêts et d’intérêts de retard accumulés depuis la date d’échéance jusqu’au 25 août 2017, et, deuxièmement, les intérêts de retard jusqu’à la réalisation du paiement ;
– constater que la République arabe syrienne a manqué à son obligation contractuelle en vertu de l’accord de prêt en ce qui concerne le paiement des frais et, par conséquent, condamner la République arabe syrienne à payer à la BEI les taxes et les droits, honoraires et frais professionnels accumulés depuis la date d’échéance jusqu’à la réalisation du paiement ;
– constater que la République arabe syrienne sera déclarée en défaut pour toutes les tranches qui arriveront à échéance et resteront impayées après la date de la requête ainsi que les intérêts de retard dus à compter de l’échéance de chaque tranche jusqu’à la date du paiement effectif et, par conséquent, condamner la République arabe syrienne à payer les sommes dues à la BEI pour lesdites tranches, à titre de montant principal, d’intérêts et d’intérêts de retard depuis la date d’échéance de chaque tranche jusqu’au paiement ;
– condamner la République arabe syrienne aux dépens.
En droit
13 Conformément à l’article 123, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal adjuge à la partie requérante ses conclusions, à moins qu’il ne soit manifestement incompétent pour connaître du recours ou que ce recours ne soit manifestement irrecevable ou manifestement dépourvu de tout fondement en droit.
Sur la compétence du Tribunal
14 Conformément à l’article 272 TFUE, la Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer en vertu d’une clause compromissoire contenue dans un contrat de droit public ou de droit privé passé par l’Union ou pour son compte. Conformément à l’article 256, paragraphe 1, TFUE, le Tribunal est compétent pour connaître en première instance des recours visés à l’article 272 TFUE.
15 En l’espèce, il convient de relever que l’article 11, paragraphe 3, de l’accord de prêt contient une clause compromissoire en vertu de laquelle tous les litiges concernant cet accord seront soumis à la Cour de justice de l’Union européenne.
16 Le Tribunal est donc compétent pour connaître du présent recours.
Sur la recevabilité des troisième et quatrième chefs de conclusions
17 Par le troisième chef de conclusions, la BEI vise à obtenir la condamnation de la République arabe syrienne au paiement des taxes et des droits, honoraires et frais professionnels accumulés depuis la date d’échéance jusqu’à la réalisation du paiement.
18 À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 76, sous d) et f), du règlement de procédure, il incombe à la partie requérante de fournir un exposé des moyens et de présenter, s’il y a lieu, les preuves et les offres de preuve dès le dépôt de la requête.
19 Or, la BEI ne fournit aucun élément pour permettre au Tribunal d’apprécier l’existence et l’étendue des charges en cause. Le troisième chef de conclusions est donc irrecevable.
20 Par le quatrième chef de conclusions, la BEI vise à faire constater que la République arabe syrienne sera déclarée en défaut pour toutes les tranches qui arriveront à échéance et resteront impayées après la date de la requête ainsi que les intérêts de retard correspondants et, par conséquent, à faire condamner la République arabe syrienne à payer les sommes dues à la BEI pour ces tranches, à titre de montant principal, d’intérêts et d’intérêts de retard contractuels depuis la date d’échéance de chaque tranche jusqu’au paiement.
21 À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, la partie requérante a l’obligation de définir l’objet du litige dans l’acte introductif d’instance. Dès lors, le juge de l’Union ne saurait procéder à un contrôle spéculatif des circonstances hypothétiques qui ne se sont pas encore vérifiées (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 26 février 2015, Sabbagh/Conseil, T‑652/11, non publié, EU:T:2015:112, point 27).
22 En l’espèce, force est de constater que le chef de conclusions en question, ne concernant que des circonstances hypothétiques, est manifestement irrecevable.
Sur le bien-fondé du recours
23 Il convient de constater que le recours, pour autant qu’il vise à obtenir la condamnation de la République arabe syrienne à payer à la BEI les sommes des tranches impayées, les intérêts contractuels et les intérêts de retard, n’est pas manifestement dépourvu de tout fondement en droit.
24 En effet, d’une part, il ressort du dossier de l’affaire que, sur la base de l’accord de prêt, la BEI a accordé à la République arabe syrienne un prêt en plusieurs tranches et, d’autre part, il ne ressort pas de ce dossier que cette dernière ait effectué des paiements portant sur le principal, les intérêts contractuels et les intérêts de retard en ce qui concerne les onze tranches contestées, en dépit des mises en demeure qui lui ont été adressées par la BEI.
25 Partant, il y a lieu de faire droit aux conclusions de la BEI et de condamner la République arabe syrienne à payer à la BEI la somme de 820 451,25 euros, due au 25 août 2017 à titre de montants principaux, d’intérêts contractuels et d’intérêts de retard.
26 En vertu de l’article 3, paragraphe 2, de l’accord de prêt, lesdites sommes portent intérêts de retard, au taux annuel de 3,5 %, sur les montants principaux, du 25 août 2017 jusqu’à la date du paiement.
Sur les dépens
27 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La République arabe syrienne ayant succombé pour l’essentiel, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la BEI.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (sixième chambre)
déclare et arrête :
1) La République arabe syrienne est condamnée à rembourser à la Banque européenne d’investissement (BEI) la somme de 820 451,25 euros.
2) Ladite somme porte intérêts de retard, sur les montants principaux, au taux annuel de 3,5 %, du 25 août 2017 jusqu’à la date du paiement.
3) Le recours est rejeté pour le surplus.
4) La République arabe syrienne est condamnée aux dépens.
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 juin 2019.
Signatures