Language of document : ECLI:EU:T:2008:502

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

14 novembre 2008 (*)

« Référé – Décision de la Commission ordonnant la cessation d’une pratique concertée en matière de gestion collective de droits d’auteur – Demande de sursis à exécution – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑410/08 R,

Gesellschaft für musikalische Aufführungs- und mechanische Vervielfältigungsrechte (GEMA), établie à Berlin (Allemagne), représentée par Mes R. Bechtold et I. Brinker, avocats, assistés de M. J. Schwarze, professeur,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. F. Castillo de la Torre, O. Weber et Mme A. Antoniadis, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution des dispositions combinées de l’article 3 et de l’article 4, paragraphes 2 et 3, de la décision C (2008) 3435 final de la Commission, du 16 juillet 2008, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/C2/38.698 – CISAC), dans la mesure où la requérante est concernée,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents et objet du litige

1        Par la présente demande en référé, la requérante, la Gesellschaft für musikalische Aufführungs- und mechanische Vervielfältigungsrechte (GEMA), une société allemande de gestion collective de droits d’auteur, cherche à obtenir le sursis à l’exécution partielle de la décision C (2008) 3435 final de la Commission, du 16 juillet 2008, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/C2/38.698 – CISAC) (ci-après la « décision attaquée »).

2        La décision attaquée concerne les conditions de gestion des droits d’exécution publique des œuvres musicales ainsi que d’octroi des licences correspondantes. Elle est adressée aux 24 sociétés de gestion collective établies dans l’Espace économique européen (EEE) qui sont membres de la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (CISAC), parmi lesquelles figure la requérante.

3        Les sociétés de gestion collective membres de la CISAC et établies dans l’EEE (ci-après les « sociétés de gestion ») gèrent les droits que détiennent les auteurs (paroliers et compositeurs) sur les œuvres musicales qu’ils ont créées. Ces droits comportent généralement le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire l’exploitation des œuvres protégées. C’est notamment le cas en ce qui concerne les droits d’exécution publique. Une société de gestion acquiert ces droits soit par cession directe des ayants droit originaux, soit par transmission de la part d’une autre société de gestion gérant les mêmes catégories de droits dans un autre pays de l’EEE, et concède au nom de ses membres (auteurs et éditeurs) des licences d’exploitation aux utilisateurs commerciaux, tels que les entreprises de radiodiffusion ou les organisateurs de spectacles.

4        La gestion des droits d’auteur implique pour chaque société de gestion de s’assurer que chaque ayant droit reçoive la rémunération qui lui est due pour chaque exploitation faite de l’une de ses œuvres, quel que soit le territoire sur lequel cette exploitation a lieu, et de surveiller qu’aucune exploitation non autorisée d’œuvres protégées n’ait lieu. Le coût d’une telle surveillance est tel que les sociétés de gestion ont conclu entre elles des accords de représentation par lesquels elles se confient, sur une base réciproque, la gestion de leur répertoire sur leurs territoires d’exercice respectifs, afin d’éviter la multiplication des moyens de contrôle mis en place sur chaque territoire.

5        Dans ce contexte, la CISAC a élaboré un contrat type non contraignant dont la version initiale remonte à 1936 et qui doit être complété par les sociétés de gestion contractantes, notamment en ce qui concerne la définition du territoire d’exercice. Sur la base de ce contrat type, les sociétés de gestion ont constitué un réseau d’accords de représentation réciproque par lesquels elles s’accordent mutuellement le droit de concéder des licences. Ces accords couvrent non seulement l’exercice des droits pour les applications traditionnelles dites « off-line » (concerts, radio, discothèques, etc.), mais également l’exploitation par Internet, le satellite ou la retransmission par câble.

6        Du fait de ce réseau d’accords de représentation réciproque, chaque société de gestion est en mesure de concéder, sur son territoire d’exercice, les licences d’exécution publique d’œuvres musicales non seulement sur le répertoire de ses propres membres, mais également sur le répertoire de toutes les autres sociétés de gestion faisant partie du réseau (licences dites « multirépertoires monoterritoriales »). Grâce au réseau créé par la conclusion de l’ensemble des accords de représentation réciproque, chaque société de gestion peut donc offrir un portefeuille global d’œuvres musicales aux utilisateurs commerciaux. Cela permet auxdits utilisateurs de bénéficier d’un accès à tous les répertoires auprès de la même société de gestion, à savoir la société établie dans le pays où les répertoires sont destinés à être exploités, sans avoir à solliciter une autorisation auprès de chaque société de gestion dont le répertoire est concerné par l’utilisation envisagée (« guichet unique »).

7        Lorsque les sociétés de gestion se font concéder par leurs auteurs membres le droit de gestion mondiale des droits d’utilisation et à condition qu’elles ne se cèdent pas leur répertoire de façon exclusive dans le cadre de leurs accords de représentation réciproque, elles sont habilitées, en dépit du réseau d’accords de représentation réciproque, à gérer elles-mêmes le répertoire de leurs propres membres également en dehors de leur propre territoire d’exercice (licences dites « monorépertoires multiterritoriales »).

8        À cet égard, il ressort de la décision attaquée (considérant 193) que les sociétés de gestion du Royaume-Uni et allemande, la Performing Right Society (PRS) et la requérante, ont créé une entreprise commune destinée à servir de « guichet unique » à l’échelle paneuropéenne pour concéder aux utilisateurs commerciaux établis dans tout pays de l’EEE des licences multiterritoriales sur les droits dits « on-line » et « mobiles » en ce qui concerne le répertoire anglo-américain de la société Electric & Musical Industries (EMI).

9        En 2000, RTL Group SA, un groupe de radio- et télédiffusion, a déposé auprès de la Commission une plainte contre une société de gestion membre de la CISAC pour dénoncer le refus par celle-ci de lui accorder, pour ses activités de radiodiffusion musicale, une licence à l’échelle communautaire. En 2003, Music Choice Europe Ltd, qui fournit des services de radiodiffusion et de télévision sur Internet, a déposé une seconde plainte, dirigée contre la CISAC et visant le contrat type de cette dernière. Ces plaintes ont amené la Commission à ouvrir une procédure d’application des règles communautaires de concurrence, qui a été close par l’adoption de la décision attaquée.

10      Dans la décision attaquée, la Commission conteste la légalité de certaines clauses contenues dans les accords de représentation réciproque, à savoir la clause d’affiliation des auteurs membres et la clause d’exclusivité, ainsi que celle de la pratique concertée des sociétés de gestion en ce qui concerne la délimitation territoriale du mandat d’octroi des licences, ayant comme résultat une exclusivité territoriale. Selon la Commission, ces clauses et cette pratique concertée sont contraires à l’article 81 CE.

11      S’agissant de la clause d’affiliation, l’article 11, paragraphe 2, du contrat type de la CISAC prévoit que les sociétés de gestion ne peuvent accepter comme membre un auteur déjà affilié à une autre société de gestion ou ayant la nationalité de l’un des pays dans lesquels une autre société de gestion exerce son activité que sous certaines conditions. Selon la décision attaquée, un certain nombre de contrats bilatéraux contiennent toujours une telle clause, qui restreint la possibilité pour un auteur de devenir membre de la société de gestion de son choix ou d’être simultanément membre de plusieurs sociétés de gestion opérant au sein de l’EEE pour la gestion de ses droits sur différents territoires.

12      En ce qui concerne la clause d’exclusivité, l’article 1er, paragraphe 1, du contrat type de la CISAC prévoit que l’une des sociétés de gestion confère à l’autre le droit exclusif, sur les territoires où cette dernière opère, d’octroyer les autorisations nécessaires pour toute exécution publique. Selon la décision attaquée, cette clause – par laquelle les sociétés de gestion se garantiraient réciproquement un monopole sur leurs marchés nationaux pour l’octroi de licences « multirépertoires » aux exploitants commerciaux – est encore présente dans les accords bilatéraux signés par 17 sociétés de gestion.

13      Il ressort de la décision attaquée que la CISAC et l’ensemble des sociétés de gestion auraient reconnu, lors de la procédure administrative devant la Commission, que ces deux clauses étaient anticoncurrentielles et injustifiées.

14      Quant à la prétendue pratique concertée relative à la délimitation territoriale, il ressort de la décision attaquée que chaque société de gestion limiterait, dans ses accords bilatéraux, le droit de délivrer des licences couvrant son répertoire au seul territoire national de l’autre société de gestion contractante. Dans la mesure où toutes les sociétés de gestion ont conclu des accords réciproques entre elles, chaque société de gestion aurait un portefeuille global d’œuvres et octroierait des licences couvrant l’utilisation de ce portefeuille global uniquement dans son propre pays.

15      Dans la décision attaquée, la Commission conteste la légalité de cette pratique concertée uniquement en ce qui concerne les modes d’exploitation par Internet, le satellite et la retransmission par câble, tandis que les modes d’exploitation dits « off-line » (concerts, radio, discothèques, bars, etc.) ne font pas l’objet de la décision attaquée. La Commission estime que, en raison de cette pratique concertée, la concurrence est restreinte à deux niveaux : sur le marché des services d’administration que les sociétés de gestion s’offrent mutuellement et sur le marché de l’octroi des licences.

16      Selon la décision attaquée, ladite pratique concertée entraîne une délimitation systématique du territoire au niveau national, qui aurait été précédée de contacts et ne pourrait être expliquée par un prétendu besoin de proximité géographique entre la société de gestion qui délivre la licence et l’utilisateur commercial, car une présence locale ne serait pas nécessaire pour vérifier l’utilisation qui est faite de la licence dans le cadre d’une exploitation par Internet, le satellite ou la retransmission par câble. La pratique concertée ne serait pas davantage objectivement nécessaire pour assurer que les sociétés de gestion se donnent des mandats réciproques.

17      La Commission se limite à constater, dans le dispositif de la décision attaquée, les infractions décrites ci-dessus, sans infliger des amendes. Ce dispositif se lit comme suit :

« Article premier

Les [24] entreprises suivantes ont enfreint l’article 81 [CE] et l’article 53 de l’accord EEE en utilisant, dans leurs accords de représentation réciproque, les restrictions d’affiliation contenues à l’article 11 (II) du contrat type de la [CISAC] (‘le contrat type de la CISAC’) ou en appliquant de facto ces restrictions d’affiliation :

[…]

[la] GEMA

[…]

Article 2

Les dix-sept entreprises suivantes ont enfreint l’article 81 [CE] et l’article 53 de l’accord EEE en conférant, dans leurs contrats de représentation réciproque, des droits exclusifs comme prévu à l’article 1er (I) et (II) du contrat type de la CISAC :

[la GEMA n’est pas mentionnée]

Article 3

Les [24] entreprises suivantes ont enfreint l’article 81 [CE] et l’article 53 de l’accord EEE en coordonnant les délimitations territoriales de manière à restreindre la portée d’une licence au territoire national de chaque société de gestion collective :

[…]

[la] GEMA

[…]

Article 4

1.      Les entreprises visées aux articles 1er et 2 mettent immédiatement fin, si elles ne l’ont pas déjà fait, aux infractions visées auxdits articles et informent la Commission de toutes les mesures qu’elles ont prises à cette fin.

2.      Les entreprises visées à l’article 3 mettent fin, dans un délai de cent vingt jours à compter de la date de notification de la présente décision, à l’infraction visée audit article et informent la Commission, dans le même délai, de toutes les mesures qu’elles ont prises à cette fin.

En particulier, les entreprises visées à l’article 3 devront revoir de manière bilatérale avec les autres entreprises visées à l’article 3 la portée territoriale de leurs mandats en ce qui concerne la retransmission par satellite et par câble et l’utilisation sur Internet dans chacun de leurs accords de représentation réciproque, et fournir à la Commission des copies des accords réexaminés.

3.      Les destinataires de la présente décision s’abstiennent dorénavant de tout acte ou comportement décrit aux articles 1er, 2 et 3, ainsi que de tout acte ou comportement ayant un objet ou un effet identique ou similaire.

Article 5

La Commission peut, à sa seule discrétion sur la base d’une demande raisonnée faite dans les temps par une ou plusieurs entreprises mentionnées à l’article 3, accorder une extension du délai prévu à l’article 4, paragraphe 2.

[…] »

 Procédure et conclusions des parties

18      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 septembre 2008, la requérante a introduit un recours visant à l’annulation partielle de la décision attaquée.

19      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal de surseoir à l’exécution de l’article 3 et de l’article 4, paragraphes 2 et 3, de la décision attaquée, en ce qui concerne les actes de la requérante visés audit article 3, et de réserver la décision sur les dépens.

20      Dans ses observations écrites sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 23 octobre 2008, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

21      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 29 octobre 2008, RTL Group, CLT‑UFA SA et Music Choice Europe ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission. Par mémoires des 6 et 7 novembre 2008, la requérante et la Commission ont pris position sur cette demande.

 En droit

22      En vertu des dispositions combinées des articles 242 CE et 243 CE, d’une part, et de l’article 225, paragraphe 1, CE, d’autre part, le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

23      L’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les demandes de mesures provisoires doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à l’exécution et les mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts du requérant, qu’ils soient édictés et sortent leurs effets dès avant la décision au principal [ordonnance du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 22]. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30].

24      En outre, dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit communautaire ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour Commission/Atlantic Container Line e.a., point 23 supra, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25].

25      Enfin, il importe de souligner que l’article 242 CE pose le principe du caractère non suspensif des recours (ordonnance du président de la Cour du 25 juillet 2000, Pays-Bas/Parlement et Conseil, C‑377/98R, Rec. p. I‑6229, point 44, et ordonnance du président du Tribunal du 28 juin 2000, Cho Yang Shipping/Commission, T‑191/98 R II, Rec. p. II‑2551, point 42). Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires.

26      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

27      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition de l’urgence est remplie.

 Arguments des parties

28      La requérante fait valoir que la condition de l’urgence est remplie. Elle ne saurait attendre l’issue de la procédure au principal dès lors qu’une exécution immédiate de la décision attaquée entraînerait à son égard un préjudice grave et irréparable. Selon la jurisprudence, l’existence d’un tel préjudice serait admise, notamment lorsqu’une décision d’une institution communautaire implique pour le requérant des modifications importantes du cadre dans lequel il exerce son activité et lorsque ces modifications sont susceptibles de créer sur le marché une évolution qu’il serait très difficile de renverser ultérieurement, au cas où il serait fait droit au recours au principal (ordonnance du président du Tribunal du 10 mars 1995, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑395/94 R, Rec. p. II‑595, point 55).

29      La requérante affirme craindre une « destruction » des fondements de son activité de gestion collective, en l’occurrence du réseau d’accords de représentation réciproque qu’elle aurait construit sur une base bilatérale avec d’autres sociétés de gestion collective. La Commission contesterait, par la décision attaquée, la légalité du système de gestion collective de droits dans les États membres de l’EEE, tel qu’il se serait développé au fil des années, en ayant fait ses preuves et en ayant été approuvé dans son principe par les plus hautes juridictions, alors que ce système assurerait l’efficacité de la concession de licences, de la mise en œuvre et du contrôle des droits d’auteur sur les œuvres musicales et qu’il garantirait, dans l’intérêt de tous les intéressés, la bonne fin des opérations de collecte, de liquidation et de répartition des rémunérations dues, et ce tant dans le domaine des activités dites « off-line » que dans celui des activités dites « on-line ».

30      La requérante fait valoir que la décision attaquée génèrerait une « insécurité juridique notable » en ce qui concerne la validité et le contenu futur des accords de représentation réciproque et rendrait ainsi non seulement le respect de l’article 4, paragraphes 2 et 3, de ladite décision de fait impossible, mais exposerait de surcroît la requérante à un risque de sanctions en violation des principes de l’État de droit. Dans le cadre d’une décision d’interdiction ou d’une injonction de mettre fin à l’infraction, la Commission serait tenue de déterminer avec précision l’infraction reprochée (arrêt du Tribunal du 11 juillet 2007, Alrosa/Commission (T‑170/06, Rec. p. II‑2601, point 100), de façon à ce que le destinataire de la décision soit en mesure de connaître sans ambiguïté ses droits et obligations et de prendre ses dispositions en conséquence, tout spécialement lorsque, comme en l’espèce, des obligations de comportement sont mises à la charge du destinataire dont la violation est susceptible d’être sanctionnée.

31      Dans la décision attaquée, la Commission laisserait la requérante dans l’incertitude quant à la validité de ses accords de représentation réciproque actuels et quant aux comportements qui seraient autorisés à l’avenir. Ainsi, la requérante ne parviendrait pas à déterminer à quel moment la délimitation territoriale prévue dans des accords de représentation réciproques bilatéraux et licite en tant que telle, se transforme selon la Commission en une mesure ayant un effet similaire, au sens de l’article 4, paragraphe 3, de la décision attaquée. En outre, l’article 4 de la décision attaquée renfermerait une contradiction dans la mesure où, en application de son paragraphe 2, la révision doit être effectuée dans les 120 jours tandis que, aux termes de son paragraphe 3, il convient de s’abstenir « dorénavant », c’est-à-dire tout de suite, d’adopter des mesures ayant un effet similaire.

32      Dans la décision attaquée, la Commission ne ferait pas apparaître clairement ce qu’elle entend par « coord[ination d]es délimitations territoriales » au sens de l’article 3 de ladite décision. La Commission se contredirait, de surcroît, en soulignant à plusieurs reprises que la limitation du mandat bilatéral au territoire d’un État continuerait à être licite, tout en annonçant qu’elle conclut à l’existence d’un système illicite de délimitation territoriale, compte tenu de la multiplication objective de ce type de « délimitations monoterritoriales ».

33      Il ne ressortirait pas davantage de la décision attaquée ce qu’il convient d’entendre par « révision de la portée territoriale des mandats » au sens de son article 4, paragraphe 2, deuxième alinéa. Ainsi, le point de savoir si les accords de représentation réciproque existants doivent être résiliés ou simplement modifiés, s’ils sont à considérer comme nuls ou comme pouvant être maintenus tels quels d’un commun accord demeurerait obscur. La portée de l’article 4, paragraphe 3, de la décision attaquée serait également juridiquement incertaine : il interdirait globalement tout acte ou comportement ayant un « effet identique ou similaire », sans qu’il soit possible de savoir à quoi cette similitude fait référence dans le cas des délimitations territoriales. Dès lors que les actes dont il conviendrait de s’abstenir ne seraient pas suffisamment définis, la notion de comportement ayant un effet identique ou similaire demeurerait elle aussi nécessairement indéterminée. Les injonctions de mettre fin à l’infraction, énoncées à l’article 4, paragraphes 2 et 3, de la décision attaquée, seraient, de plus, objectivement impossibles à mettre en œuvre, car on ne verrait pas comment la requérante pourrait individuellement mettre fin au système de coordination des délimitations territoriales, dont l’existence est alléguée par la Commission.

34      Pour autant que l’article 4, paragraphe 2, de la décision attaquée imposerait à la requérante de « revoir » tous les accords de représentation réciproque avec les autres sociétés de gestion, la signification précise de cette disposition demeurerait incertaine. Plusieurs possibilités d’interprétation s’offriraient à la requérante. La requérante partirait certes du principe que les accords de représentation réciproque seraient, même sous leur forme actuelle, pleinement valables, en tant que contrats consécutifs conformes aux règles de la concurrence, et pourraient être maintenus tels quels après avoir été confirmés d’un commun accord. Eu égard au risque de sanction, il semblerait cependant opportun d’adopter l’interprétation la plus large possible, la plus défavorable à la requérante, à savoir la disparition immédiate du réseau d’accords de représentation réciproque actuel dans l’EEE.

35      Il s’ensuivrait que la requérante, qui représenterait en Allemagne plus de 1,4 millions d’ayants droits, dont environ 62 000 ayants droits allemands, ne pourrait plus, comme c’était le cas jusqu’à présent, concéder en Allemagne des licences sur les droits des membres de sociétés de gestion collective étrangères. La possibilité de conclure de nouveaux accords de représentation réciproque n’y changerait rien. En raison de l’imprécision des prescriptions de la Commission, il serait impossible de savoir si les sociétés de gestion collective iront jusqu’à conclure de nouveaux accords de représentation réciproque pour l’exploitation de droits d’auteurs par Internet, le satellite et la retransmission par câble, et, dans l’affirmative, dans quels délais et sur quels territoires.

36      Même si la requérante ne retenait pas cette interprétation la plus défavorable, une modification importante du cadre dans lequel elle exerce son activité se produirait néanmoins. D’une part, l’article 4, paragraphe 3, de la décision attaquée s’opposerait peut-être au rétablissement complet du système actuel, et ce même sur une base purement bilatérale. D’autre part, certaines sociétés de gestion collective seraient, contrairement à la requérante, manifestement d’avis que les accords de représentation réciproque seraient nuls, à tout le moins partiellement, ou qu’ils devraient être résiliés ou modifiés. La requérante se réfère à cet égard à un courrier de la société de gestion collective française (la Sacem), en date du 6 août 2008, fondé sur l’hypothèse que les accords de représentation réciproque seraient nuls dans leur intégralité et qu’ils devraient être entièrement renégociés. D’autres sociétés de gestion collective estimeraient en revanche que les accords de représentation réciproque devraient être résiliés et partiellement renégociés. En cas d’exécution de la décision attaquée, le réseau d’accords de représentation réciproque ne survivrait en aucun cas sous sa forme actuelle.

37      La requérante considère que de telles modifications du cadre dans lequel elle exerce son activité entraîneraient sur le marché, « avec une probabilité confinant la certitude », une évolution sur laquelle il serait très difficile, voire impossible, de revenir ultérieurement, au cas où il serait fait droit au recours au principal.

38      Ainsi, la requérante serait obligée, eu égard aux sanctions auxquelles elle s’exposerait le cas échéant, de restructurer dans un premier temps son activité à grands frais, et ce en déployant de grands efforts. La modification du cadre juridique entraînerait, selon elle, notamment une « baisse générale des tarifs » et un « nivellement par le bas » des rémunérations des ayants droits, dès lors que la Commission chercherait à établir un modèle revenant à engendrer une « guerre des prix entre répertoires ». Une société de gestion collective possédant un répertoire attractif que les utilisateurs ne peuvent contourner pourrait ainsi imposer un « prix de gros » plus élevé pour son répertoire qu’une société de gestion collective dont les membres composent une musique moins demandée sur le marché. Ainsi, quelques utilisateurs commerciaux n’acquerraient plus que le répertoire anglo-américain, lequel connaîtrait un grand succès commercial, et laisseraient de côté les ayants droits plus petits, pour lesquels il n’existerait qu’une demande locale ou régionale. Il en résulterait donc à moyen terme une « perte sensible de diversité culturelle ». Il serait impossible dans les faits de revenir sur ces modifications considérables du cadre juridique de la gestion collective.

39      Au demeurant, la requérante juge qu’il est de fait impossible de parvenir, dans un délai de 120 jours, à une refonte complète du cadre juridique dans lequel elle exerce son activité de gestion. Il serait impossible de procéder en 120 jours à la révision de tous les accords de représentation réciproque existant dans l’EEE, d’opérer les choix stratégiques qu’implique, le cas échéant, la renégociation de ces accords et d’apprécier la situation juridique. La possibilité d’une extension du délai par voie administrative, prévue à l’article 5 de la décision attaquée, serait sans incidence à cet égard. Le libellé de cet article, en ce qu’il prévoit le pouvoir discrétionnaire de la Commission d’accorder une telle extension, fournirait une protection insuffisante. La seule possibilité d’une extension du délai ne serait, en tout état de cause et de façon générale, pas susceptible de faciliter la mise en œuvre d’une injonction vague et contradictoire.

40      Enfin, il y aurait lieu de redouter que la décision attaquée incite les autres sociétés de gestion collective à concéder, sans y être autorisées, des « licences paneuropéennes » au détriment de la requérante, laquelle est respectueuse de la législation. Ainsi, la société de gestion collective néerlandaise buma stemra considèrerait d’ores et déjà cette décision comme un encouragement à concéder, sans y avoir été autorisée, des « licences paneuropéennes » englobant également le répertoire de la requérante.

41      La décision attaquée contribuerait ainsi, à tout le moins en pratique, à la création, au développement et au maintien d’une situation illégale. Le système complexe et finement équilibré de gestion collective des droits d’auteur en Europe subirait ainsi un préjudice considérable qui entraînerait des répercussions négatives sur l’activité de gestion de la requérante. Ce préjudice ne pourrait être réparé. La perte de confiance dans la fiabilité, le bon fonctionnement et la légalité du modèle européen de gestion serait en effet irréparable. Une fois le système actuel ébranlé dans ses fondements, il ne pourrait être rétabli ultérieurement avec la même efficacité et la même fiabilité, si la requérante devait obtenir gain de cause dans le cadre de la procédure au principal.

42      La Commission rétorque que la requérante se fonde sur une compréhension fondamentalement erronée du dispositif de la décision attaquée. Il ne saurait être question d’un préjudice grave et irréparable en cas d’exécution immédiate de cette décision. En tout état de cause, le préjudice allégué serait de nature purement hypothétique et n’aurait pas été établi à suffisance de droit par la requérante. Ce préjudice ne saurait pas non plus être considéré comme irréparable. En effet, rien n’empêcherait la requérante de prévoir le retour au système actuel de gestion des droits d’auteur en Europe dans le cadre de ses relations bilatérales avec les autres sociétés de gestion, si elle obtenait gain de cause dans l’affaire au principal. Une initiative en ce sens de la requérante ne devrait guère se heurter à une résistance des autres sociétés de gestion, dès lors que celles-ci considèreraient, comme la requérante, que seul le système actuel de gestion collective serait économiquement viable.

 Appréciation du juge des référés

43      Selon une jurisprudence constante, le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire. C’est à cette dernière qu’il appartient d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure au principal, sans avoir à subir un préjudice de cette nature (voir ordonnance du président du Tribunal du 15 novembre 2001, Duales System Deutschland/Commission, T‑151/01 R, Rec. p. II‑3295, point 187, et la jurisprudence citée).

44      En outre, le préjudice allégué doit être certain ou, à tout le moins, établi avec une probabilité suffisante, étant précisé que la partie requérante demeure tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective de ce préjudice. Un préjudice de nature purement hypothétique, en ce qu’il est basé sur la survenance d’événements futurs et incertains, ne saurait justifier l’octroi des mesures provisoires [voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission, C‑335/99 P(R), Rec. p. I‑8705, point 67 ; ordonnances du président du Tribunal du 15 janvier 2001, Le Canne/Commission, T‑241/00 R, Rec. p. II‑37, point 37, et du 19 décembre 2001, Government of Gibraltar/Commission, T‑195/01 R et T‑207/01 R, Rec. p. II‑3915, point 101].

45      En l’espèce, la requérante affirme tout d’abord craindre, en cas d’exécution immédiate de la décision attaquée, un effondrement du système global des accords de représentation réciproque, lequel ayant été établi sur plusieurs décennies.

46      À cet égard, force est de constater que la requérante se borne à demander le sursis à l’exécution de l’article 3 et de l’article 4, paragraphes 2 et 3, de cette décision, dans la mesure où ces dispositions imposent aux destinataires, d’une part, de mettre fin à la pratique concertée relative aux délimitations territoriales, mise en place de manière à restreindre la portée d’une licence au territoire national de chaque société de gestion collective, d’autre part, de revoir de manière bilatérale la portée territoriale de leurs mandats dans chacun de leurs accords de représentation réciproque et, enfin, de s’abstenir dorénavant de tout acte ou comportement décrit à l’article 3, ainsi que de tout acte ou comportement ayant un objet ou un effet identique ou similaire. En revanche, la requérante n’a pas demandé le sursis à l’exécution de l’article 1er de la décision attaquée, alors que, dans cette disposition, la Commission lui reproche une infraction anticoncurrentielle, commise sous la forme de restrictions d’affiliation dans ses accords de représentation réciproque et à laquelle elle doit mettre fin sans délai en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée.

47      À cela s’ajoute que l’article 3 et l’article 4, paragraphe 2 et 3, de la décision attaquée ne concernent les accords de représentation réciproque de la requérante que dans la mesure où ces accords couvrent l’exécution publique en vue d’une exploitation d’œuvres musicales par Internet, le satellite ou la retransmission par câble. Ce domaine des activités dites « on-line » concerne des modes d’exploitation relativement récents qui peuvent difficilement être considérés comme constituant la clé de voûte d’un système global de gestion collective établi sur plusieurs décennies. À cet égard, la Commission a exposé que la requérante aurait indiqué au cours de la procédure administrative que les revenus tirés de droits d’utilisation sur l’Internet constitueraient moins de [confidentiel](1) % du total des droits qu’elle perçoit directement ; le pourcentage serait de [confidentiel] % pour la retransmission par câble et de [confidentiel] % pour la télévision et la radio, dont seule une fraction réduite concernerait le satellite. Compte tenu de ces ordres de grandeur, il apparaît difficile d’admettre que la décision attaquée ébranlerait dans ses fondements même l’intégralité du réseau d’accords de représentation réciproque établi par la requérante.

48      La requérante n’a, pour sa part, présenté aucune donnée chiffrée en vue de rectifier ou d’actualiser les données citées, que la Commission tire de la procédure administrative, ou d’établir de toute autre manière la gravité du préjudice allégué, par exemple en faisant valoir que les revenus tirés de l’exploitation dite « on-line » des droits d’auteurs représenteraient (désormais) la majeure partie de ses revenus totaux. De telles données, qui relèvent clairement de son propre domaine d’activité, auraient déjà dû figurer dans la demande de sursis à l’exécution. En effet, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels la demande en référé se fonde doivent ressortir d’une façon cohérente et compréhensible du texte même de la demande afin de permettre à la partie défenderesse de préparer ses observations et au juge des référés de statuer sur la demande, le cas échéant, sans autres informations à l’appui (ordonnances du président du Tribunal du 15 janvier 2001, Stauner e.a./Parlement et Commission, T‑236/00 R, Rec. p. II‑15, point 34 ; du 7 mai 2002, Aden e.a./Conseil et Commission, T‑306/01 R, Rec. p. II‑2387, point 52, et du 23 mai 2005, Dimos Ano Liosion e.a./Commission, T‑85/05, Rec. p. II‑1721, point 37).

49      La requérante a d’ailleurs souligné que la délimitation territoriale figurant dans les accords de représentation réciproque ne se fondait nullement sur la pratique concertée qui lui est reprochée, mais sur des « considérations légitimes alternatives » d’ordre économique. À supposer une telle affirmation exacte, il est logiquement exclu que l’exécution immédiate de l’interdiction d’une telle concertation ordonnée à l’article 4 de la décision attaquée puisse emporter les effets catastrophiques redoutés par la requérante.

50      En l’absence d’éléments concrets apportés par la requérante, la simple affirmation selon laquelle la décision attaquée entraînerait l’effondrement du système des accords de représentation réciproque, ainsi que la perte de confiance dans la fiabilité et le bon fonctionnement de ce système ne suffit pas à justifier qu’il soit sursis à l’exécution de l’article 3 et de l’article 4, paragraphes 2 et 3 de ladite décision.

51      Il convient de relever, à titre surabondant, que la majorité des 24 destinataires de la décision attaquée n’avait pas introduit de demande en référé au 14 novembre 2008, c’est-à-dire une semaine avant l’expiration du délai de 120 jours fixé à l’article 4, paragraphe 2, de ladite décision, ce qui semble également remettre en cause les prévisions catastrophistes de la requérante annonçant l’effondrement du système en cas d’exécution immédiate de la décision attaquée.

52      La requérante invoque encore le défaut de clarté et le caractère contradictoire de la décision attaquée, l’incertitude qui en découlerait et qui serait contraire aux principes de l’État de droit, eu égard au risque de sanction, ainsi que l’impossibilité de fait de se conformer à l’article 4, paragraphes 2 et 3, de ladite décision. La requérante ignorerait totalement comment respecter les injonctions de la Commission.

53      À cet égard, il convient de relever que la Commission a certes le pouvoir de constater des infractions à l’article 81, paragraphe 1, CE, et d’ordonner aux entreprises concernées d’y mettre fin, mais il ne lui appartient pas, dans le cadre des pouvoirs d’injonction dont elle dispose à cet effet, d’imposer aux entreprises une voie particulière pour mettre fin à une infraction lorsqu’il existe plusieurs voies légales à cet effet. La Commission ne peut notamment pas imposer aux entreprises de résilier un accord, lorsqu’il peut être mis fin à l’infraction par une simple modification de cet accord, et elle ne peut pas non plus leur imposer d’y insérer un contenu spécifique (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 18 septembre 1992, Automec/Commission, T‑24/90, Rec. p. II‑2223, points 51 à 53). En l’espèce, la Commission ne pouvait donc pas imposer à la requérante des obligations de fond quant aux mesures à prendre après avoir revu ses accords de représentation réciproque.

54      En conséquence, dans la décision attaquée, c’est à juste titre que la Commission a laissé à la requérante, tout comme à chaque autre société de gestion, une liberté non négligeable quant aux mesures à prendre en application de l’article 4, paragraphe 2 à l’issue de la révision des accords en question.

55      À cet égard, la Commission a indiqué dans la décision attaquée, dont le dispositif doit être interprété en tenant compte des motifs qui ont conduit à son adoption (arrêt de la Cour du 29 avril 2004, Italie/Commission, C‑91/01, Rec. p. I‑4355, point 49), que cette décision offrait aux sociétés de gestion collective la possibilité d’adapter le système de représentation réciproque aux besoins de l’environnement dit « on-line » et, ce faisant, de le rendre plus attractif pour les ayants droits et les utilisateurs. La Commission a souligné que la décision attaquée n’interdisait pas le système de représentation réciproque en tant que tel, ni n’empêchait les sociétés de gestion collective d’introduire une certaine délimitation territoriale dans leurs contrats de représentation ; elle a précisé que la décision attaquée s’attaquait uniquement à la légalité de la pratique concertée aboutissant à une délimitation géographique systématique par territoire national et que, à elle seule, la concession d’une licence limitée à un territoire donné ne restreignait pas automatiquement la concurrence. En résumé, selon la décision attaquée, un donneur de licence peut normalement limiter celle-ci à un territoire bien précis sans violer l’article 81, paragraphe 1, CE (voir, notamment, les considérants 95, 201 et 215 de la décision attaquée).

56      On ne saurait donc reprocher à la Commission d’interdire dans la décision attaquée également des comportements conformes au droit de la concurrence. La Commission considère à bon droit que, si la révision des accords de représentation réciproque est certes susceptible d’impliquer des modifications importantes dans la délimitation territoriale des différents mandats, sans que cela ne constitue pour autant une obligation, celle-ci ne doit cependant pas nécessairement conduire à la modification de tous les accords en question et il ne lui incombe pas de déterminer avec précision ces modifications, parce que c’est en définitive aux entreprises et non à elle de choisir comment mettre fin à l’infraction.

57      Dans la mesure où la requérante invoque l’arrêt Alrosa/Commission, point 30 supra (point 100), son argumentation doit être écartée. Cet arrêt porte sur le cas particulier d’une décision rendant obligatoire les engagements proposés par une entreprise en position dominante. Dans ce cadre précis, le Tribunal a imposé à la Commission d’établir la réalité des préoccupations concurrentielles permettant d’imposer à l’entreprise concernée « de respecter certains engagements ».

58      En outre, l’article 5 de la décision attaquée permet à la Commission d’accorder aux sociétés de gestion collective mentionnées à l’article 3 une extension du délai de 120 jours prévu à l’article 4, paragraphe 2, pour procéder à la révision des accords. À cet égard, la requérante reconnaît expressément qu’aucune mesure provisoire n’est nécessaire tant qu’elle peut obtenir une protection tout aussi efficace dans le cadre d’une procédure administrative préalable, mais estime que le libellé de l’article 5 de la décision attaquée, en ce qu’il prévoit le pouvoir discrétionnaire de la Commission d’accorder une telle extension, fournit une protection insuffisante. À cet égard, il suffit de constater que la requérante n’a pas fait valoir que la Commission avait rejeté une demande d’extension qu’elle aurait introduite, ou que celle-ci avait refusé de dialoguer avec elle en vue de trouver une solution à d’éventuels problèmes tenant à l’exécution de son obligation de révision.

59      La requérante n’a pas non plus fait valoir qu’elle se trouvait, du fait des différentes possibilités d’interprétation qu’elle évoque au sujet des obligations résultant de l’article 4, paragraphes 2 et 3, de la décision attaquée, dans l’impossibilité de revoir, de modifier ou de conclure à nouveau, sur une base bilatérale, ses accords de représentation réciproque en raison de désaccords insurmontables. La requérante aurait donc dû établir concrètement que le préjudice grave et irréparable qu’elle redoute à cet égard était suffisamment prévisible. Il ne suffisait pas pour cela de s’adonner de manière abstraite à l’ « interprétation la plus défavorable » pour elle desdites dispositions de la décision attaquée au soutien de prévisions catastrophistes.

60      En ce qui concerne la nullité éventuelle des accords de représentation réciproque fondés sur la prétendue pratique concertée, il ressort de l’article 81, paragraphe 2, CE que seuls les « accords [entre entreprises] » ou les « décisions [d’associations d’entreprises] » interdits en vertu du paragraphe 1 sont nuls, alors que cette sanction civile n’est pas prévue à l’égard des « pratiques concertées » interdites.

61      En l’espèce, aucun élément de la décision attaquée ne permet de conclure que les accords de représentation réciproque de la requérante pourraient relever de l’article 81, paragraphe 2, CE en raison des délimitations territoriales visées à l’article 3 de cette décision. Dans cette disposition de la décision attaquée, la Commission reproche aux sociétés de gestion collective citées d’avoir enfreint l’article 81 CE uniquement en « coordonnant » les délimitations territoriales de manière à restreindre la portée des licences. L’illégalité de la pratique concertée visée dans la décision attaquée n’est donc pas susceptible d’entraîner la nullité du prétendu résultat de cette concertation, à savoir des accords de représentation réciproque.

62      Une telle nullité ne saurait notamment être fondée sur l’article 4, paragraphe 2, de la décision attaquée, dans lequel la Commission impose aux entreprises visées à l’article 3 de cette décision de « revoir », de manière bilatérale, avec les autres entreprises visées, la portée territoriale de leurs mandats dans le cadre de chacun de leurs accords de représentation réciproque, et de lui fournir des copies des accords réexaminés.

63      En outre, la requérante semble elle-même partir de l’hypothèse que ses accords de représentation réciproque, même dans leur forme actuelle, demeurent valables, en tant qu’actes consécutifs conformes aux règles de la concurrence, et qu’ils peuvent être poursuivis après avoir fait l’objet d’une confirmation bilatérale. Pour cette raison également, le préjudice financier invoqué (frais de restructuration, « baisse générale des tarifs » et « guerre des prix » apparaît peu plausible et ne pourrait, en tout état de cause, guère être regardé comme irréparable ou même difficilement réparable, dès lors qu’un tel préjudice peut généralement faire l’objet d’une compensation financière ultérieure [ordonnance du président de la Cour du 11 avril 2001, Commission/Cambridge Healthcare Supplies, C‑471/00 P(R), Rec. p. I‑2865, point 113 ; ordonnance du président du Tribunal du 15 juin 2001, Bactria/Commission, T‑339/00 R, Rec. p. II‑1721, point 94].

64      En tout état de cause, toute référence à une éventuelle nullité d’accords de représentation réciproque en vertu de l’article 81, paragraphe 2, CE est dépourvue de pertinence dans le présent contexte. En effet, même si le sursis à l’exécution sollicité était ordonné, il ne rendrait pas provisoirement valable une entente dont la nullité a été prononcée en vertu de l’article 81, paragraphe 1, CE avec les effets prévus à l’article 81, paragraphe 2, CE, dès lors que le juge des référés ne peut pas substituer son appréciation à celle de la Commission (ordonnances du président de la Cour du 15 octobre 1974, Nederlandse Vereniging voor de Fruit- en Groentenimporthandel et Nederlandse Bond van Grossiers in Zuidvruchten en ander Geimporteerd Fruit/Commission, 71/74 R et RR, Rec. p. 1031, point 5, et du 30 octobre 1978, van Landewyck e.a./Commission, 209/78 R à 215/78 R et 218/78 R, Rec. p. 2111, point 5).

65      En ce qui concerne les prétendues contradictions et incohérences affectant, selon la requérante, l’article 4, paragraphes 2 et 3, de la décision attaquée, il suffit de constater qu’il n’existe aucune contradiction logique entre le fait d’ordonner que soit mis fin à l’infraction visée à l’article 3 « dans un délai de [120] jours » (paragraphe 2) et celui de prévoir l’obligation de s’abstenir « dorénavant » de toute réitération de ladite infraction (paragraphe 3). Ainsi que cela ressort des motifs de la décision attaquée, le délai de 120 jours vise à permettre l’élimination de manière bilatérale des effets de la pratique concertée relative aux délimitations territoriales critiquée par la Commission (révision et, le cas échéant, modification ou nouvelle conclusion de certains accords de représentation réciproque), tandis que l’obligation de s’abstenir à l’avenir de toute nouvelle infraction a pour objet d’interdire toute (nouvelle) pratique concertée relative aux délimitations territoriales à partir de l’adoption de la décision attaquée.

66      En outre, l’interdiction de tout acte ou comportement ayant un objet ou un effet identique ou semblable à celui des actes ou comportement décrits à l’article 3 de la décision attaquée est purement déclarative. L’article 81, paragraphe 1, CE énonce une interdiction de principe à l’égard de tous les accords, de toutes les décisions et de toutes les pratiques concertées qui présentent un caractère anticoncurrentiel, de sorte que cette disposition d’ordre public s’impose à la requérante indépendamment de toute injonction de la Commission sur ce point (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 27 octobre 1994, Fiatagri et New Holland Ford/Commission, T‑34/92, Rec. p. II‑905, point 39). L’obligation de s’abstenir à l’avenir de tout comportement ayant un effet identique ou semblable à l’infraction constatée n’est en conséquence pas contraire au principe de sécurité juridique.

67      Dans la mesure où la requérante affirme à cet égard craindre de s’exposer à un risque de sanction inacceptable en raison de l’insécurité juridique qui résulterait de la décision attaquée, il suffit de constater que le préjudice encouru est de nature purement hypothétique. La Commission n’a condamné la requérante à aucune amende dans la décision attaquée. Si elle entendait un jour sanctionner par une amende un comportement futur de la requérante constitutif d’un manquement à cette décision et d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE, il lui faudrait suivre la procédure administrative prévue à cet effet, dans le cadre de laquelle elle supporterait en tout état de cause la charge de la preuve. Il serait alors loisible à la requérante d’introduire un recours et de faire valoir, le cas échéant, qu’il lui était impossible de percevoir l’illégalité de son comportement en raison de l’indétermination des obligations lui incombant en vertu de la décision attaquée. Par ailleurs, la requérante peut sensiblement réduire le risque d’une sanction future en se rapprochant suffisamment tôt des services de la Commission, ainsi que cette dernière l’a relevé à juste titre.

68      La requérante prétend en outre que les modifications des accords de représentation réciproque exigées par la Commission provoqueraient, en cas d’exécution immédiate de la décision attaquée, une évolution irréversible sur le marché, et ce même si cette décision devait être annulée dans le cadre de la procédure au principal. Il s’agit toutefois d’une simple affirmation que rien ne vient étayer.

69      La requérante n’a notamment pas fait valoir, et encore moins établi, qu’il lui serait impossible de revenir au système antérieur si elle obtenait gain de cause dans le cadre de la procédure au principal, et de supprimer les éventuelles modifications apportées à ses accords de représentation réciproque, au demeurant limitées à ses activités dites « on-line », ou même de prévoir d’ores et déjà dans les accords renégociés un éventuel retour à la situation antérieure. En effet, elle ne s’est pas expliquée sur les raisons pour lesquelles les autres sociétés de gestion collective pourraient décliner son éventuelle demande de retour au système actuel. La requérante se prévaut en revanche d’une réaction future et hypothétique de ses cocontractants. Le préjudice invoqué reste ainsi de nature purement hypothétique et ne saurait donc ne saurait justifier l’octroi des mesures provisoires demandées (voir, en ce sens, ordonnance Government of Gibraltar/Commission, point 44 supra, point 101).

70      Il en va de même de l’argument de la requérante selon lequel la décision attaquée inciterait à l’octroi non autorisé de « licences paneuropéennes ». À cet égard, il n’apparaît pas nécessaire de déterminer si les violations redoutées par la requérante du fait de tiers résultent directement de la décision attaquée et si les mesures provisoires demandées peuvent effectivement permettre de les éviter. En tout état de cause, la survenance du préjudice allégué n’apparaît pas suffisamment certaine. En effet, la requérante n’a pas fait valoir qu’il lui serait impossible de saisir avec succès les juridictions nationales compétentes de telles violations des droits d’auteur.

71      Enfin, en ce qui concerne le prétendu risque d’une perte de diversité culturelle, il n’y a pas lieu de se prononcer sur le point de savoir si cette question peut être prise en compte par le juge des référés dans le cadre de son examen de la condition relative à l’urgence (voir, en ce sens et par analogie, ordonnance du président du Tribunal du 30 juin 1999, Pfizer Animal Health/Conseil, T‑13/99 R, Rec. p. II‑1961, point 136). L’argumentation de la requérante apparaît en tout état de cause trop générale pour justifier l’octroi des mesures provisoires demandées, et ce d’autant plus que la décision attaquée ne porte que sur les modes d’exploitation dits « on-line » du répertoire global de la requérante, qu’un retour à l’état antérieur n’apparaît pas exclu, si la requérante obtenait gain de cause dans le cadre de la procédure au principal, et que la question du succès ou de l’échec commercial des paroliers et des compositeurs semble dépendre avant tout de l’accueil que leur réservent les consommateurs.

72      Il s’ensuit que la demande en référé doit être rejetée pour défaut d’urgence, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si la condition relative à l’existence d’un fumus boni juris est remplie.

73      Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de statuer sur la demande en intervention introduite respectivement par RTL Group, CLT‑UFA et Music Choice Europe.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 14 novembre 2008.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’allemand.


1 Données confidentielles occultées.