Language of document : ECLI:EU:C:2018:1002

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 12 décembre 2018 (1)

Affaire C476/17

Pelham GmbH,

Moses Pelham,

Martin Haas

contre

Ralf Hütter,

Florian Schneider-Esleben

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Droit d’auteur et droits voisins – Droit de reproduction – Reproduction de parties minimes d’un phonogramme (sampling) – Utilisation libre d’une œuvre – Prise en compte des droits fondamentaux de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne »






 Introduction

1.        Le sampling (échantillonnage) est une technique consistant à prélever, à l’aide d’équipements électroniques, des extraits (samples ou échantillons, d’où le nom de la technique) d’un phonogramme afin de les utiliser comme éléments d’une nouvelle composition dans un autre phonogramme. Lors de leur réutilisation, ces extraits sont souvent mixés, modifiés et répétés en boucle, de manière à être plus ou moins reconnaissables dans la nouvelle œuvre. Il est également à noter qu’il peut s’agir d’extraits de différentes longueurs, d’une durée comprise entre moins d’une seconde et plusieurs dizaines de secondes. Le sampling est donc un phénomène à plusieurs facettes, ce qui ne facilite bien entendu pas sa qualification juridique (2).

2.        Si la réutilisation, par les compositeurs, de motifs d’œuvres antérieures est probablement aussi vieille que la musique elle-même, le sampling est un phénomène nouveau, rendu possible par les procédés modernes d’enregistrement et de modification des sons, tout d’abord analogiques puis, actuellement, numériques. En effet, contrairement à la reprise d’un fragment d’une autre œuvre musicale dans la composition d’une œuvre nouvelle, l’idée du sampling est de prélever directement les sons d’un phonogramme, c’est-à-dire d’une œuvre exécutée et enregistrée, pour les incorporer dans le phonogramme contenant la nouvelle œuvre. Ainsi, le sampling est un phénomène propre à la réalité de la musique enregistrée sous forme de phonogrammes. Autrement dit, le fait de copier des fragments de la notation d’une œuvre musicale pour l’incorporer dans la notation d’une œuvre nouvelle et d’exécuter par la suite cette notation n’est pas du sampling.

3.        Si le sampling peut être utilisé dans n’importe quel genre musical, il est particulièrement important pour les musiques hip-hop et rap, apparues dans les années 1970 dans les quartiers populaires de New York (États-Unis) (3). Cette musique trouve sa source dans la pratique des disc jockeys (les « cavaliers du disque ») qui enchaînaient, modifiaient et mixaient des sons tirés de titres musicaux enregistrés sur des disques vinyle. De cette pratique résultaient de véritables compositions propres dérivées. Ainsi, le sampling constitue la base de ces genres de musique. Certaines œuvres peuvent même consister seulement en un mélange de samples.

4.        Nonobstant l’importance de son rôle dans cette nouvelle création musicale, le sampling constitue un véritable enjeu juridique, notamment à partir du moment où le hip-hop a quitté les rues du Bronx pour entrer dans le mainstream et devenir une source de revenus non négligeables pour ses auteurs, ses exécutants et ses producteurs. La difficulté dans l’appréciation juridique de ce phénomène résulte du fait qu’il s’agit ici non pas d’une relation d’œuvre à œuvre, classique en droit d’auteur, mais de phonogramme, produit commercial, à œuvre, création artistique. En recourant au sampling, l’artiste non seulement s’inspire de la création d’autrui, mais s’approprie également le fruit de l’effort et de l’investissement éditorial que représente le phonogramme. Cette configuration, tout à fait nouvelle pour le droit d’auteur (4), fait entrer en jeu des facteurs tels que les droits voisins des producteurs des phonogrammes, d’une part, et la liberté créatrice des « sampleurs », d’autre part.

5.        La présente demande de décision préjudicielle, qui fait entrer la problématique du sampling dans le sillon du droit de l’Union, est l’aboutissement d’une longue saga judiciaire nationale (5), dans laquelle se sont déjà prononcées deux des plus hautes juridictions allemandes. Maintenant, c’est la Cour qui est appelée à prendre la parole dans ce débat qui oppose la liberté artistique « façon postmodernisme » au bon vieux droit de propriété.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

6.        L’article 2, sous c), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (6) dispose :

« Les États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie :

[…]

c)      pour les producteurs de phonogrammes, de leurs phonogrammes ;

[…] ».

7.        En vertu de l’article 5, paragraphe 3, sous d), k) et o), et paragraphe 5, de cette directive :

« 3.      Les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations aux droits prévus aux articles 2 et 3 dans les cas suivants :

[…]

d)      lorsqu’il s’agit de citations faites, par exemple, à des fins de critique ou de revue, pour autant qu’elles concernent une œuvre ou un autre objet protégé ayant déjà été licitement mis à la disposition du public, que, à moins que cela ne s’avère impossible, la source, y compris le nom de l’auteur, soit indiquée et qu’elles soient faites conformément aux bons usages et dans la mesure justifiée par le but poursuivi ;

[…]

k)      lorsqu’il s’agit d’une utilisation à des fins de caricature, de parodie ou de pastiche ;

[…]

o)      lorsqu’il s’agit d’une utilisation dans certains autres cas de moindre importance pour lesquels des exceptions ou limitations existent déjà dans la législation nationale, pour autant que cela ne concerne que des utilisations analogiques et n’affecte pas la libre circulation des marchandises et des services dans la Communauté, sans préjudice des autres exceptions et limitations prévues au présent article.

[…]

5.      Les exceptions et limitations prévues aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit. »

8.        L’article 9, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle (7) dispose :

« 1.      Les États membres prévoient un droit exclusif de mise à la disposition du public des objets visés aux points a) à d), y compris de copies, par la vente ou autrement, ci-après dénommé “droit de distribution” :

[…]

b)      pour les producteurs de phonogrammes, en ce qui concerne leurs phonogrammes ;

[…] ».

9.        En vertu de l’article 10, paragraphe 2, premier alinéa, de cette directive :

« 2.      Sans préjudice du paragraphe 1, tout État membre a la faculté de prévoir, en ce qui concerne la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes, des organismes de radiodiffusion et des producteurs des premières fixations de films, des limitations de même nature que celles qui sont prévues par la législation concernant la protection du droit d’auteur sur les œuvres littéraires et artistiques. »

 Le droit allemand

10.      Les directives 2001/29 et 2006/115 ont été transposées en droit allemand dans le Gesetz über Urheberrecht und verwandte Schutzrechte – Urheberrechtsgesetz (loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins), du 9 septembre 1965 (ci-après l’« UrhG »). Les droits des producteurs des phonogrammes sont protégés en vertu de l’article 85, paragraphe 1, de cette loi.

11.      L’article 24 de l’UrhG contient une exception générale au droit d’auteur ainsi libellée :

« 1.      Une œuvre indépendante qui a été créée en utilisant librement l’œuvre d’autrui peut être publiée et exploitée sans l’autorisation de l’auteur de l’œuvre utilisée.

2.      Le paragraphe 1 ne s’applique pas à l’utilisation d’une œuvre musicale par laquelle une mélodie est tirée de manière reconnaissable d’une œuvre pour servir de base à une œuvre nouvelle. »

 Les faits, la procédure et les questions préjudicielles

12.      MM. Ralf Hütter et Florian Schneider-Esleben, requérants en première instance et défendeurs en Revision dans la procédure au principal (ci-après les « défendeurs »), sont membres du groupe de musique Kraftwerk. Celui-ci a publié en 1977 un phonogramme contenant l’œuvre intitulée Metall auf Metall. Les défendeurs sont producteurs dudit phonogramme, mais également artistes interprètes de l’œuvre en question et M. Hütter en est aussi l’auteur (compositeur).

13.      Pelham GmbH, société de droit allemand, défendeur en première instance et requérante en Revision dans la procédure au principal, est producteur d’un phonogramme contenant l’œuvre intitulée Nur mir, interprétée, notamment, par la chanteuse Sabrina Setlur. MM. Moses Pelham et Martin Haas, également défendeurs en première instance et requérants en Revision dans la procédure au principal, sont auteurs de ladite œuvre.

14.      Les défendeurs soutiennent que Pelham ainsi que MM. Pelham et Haas (ci-après, ensemble, les « requérants ») ont copié, à l’aide de la technique du sampling, environ deux secondes d’une séquence rythmique du titre Metall auf Metall et les ont intégrées, par répétitions successives, au titre Nur mir. Ils estiment que les requérants ont ainsi violé le droit voisin dont ils sont titulaires en qualité de producteurs du phonogramme en question. À titre subsidiaire, les défendeurs invoquent le droit de propriété intellectuelle dont ils sont titulaires en qualité d’artistes interprètes ainsi que la violation du droit d’auteur de M. Hütter sur l’œuvre musicale. À titre plus subsidiaire encore, les défendeurs invoquent une violation de la législation en matière de concurrence. La procédure devant la juridiction de renvoi concerne toutefois uniquement les droits des défendeurs en tant que producteurs du phonogramme.

15.      Les défendeurs ont demandé la cessation de l’infraction, l’octroi de dommages et intérêts, la transmission de renseignements et la remise des phonogrammes aux fins de leur destruction. La juridiction de première instance a fait droit au recours et l’appel interjeté par les requérants a été rejeté. À la suite d’un pourvoi en Revision des requérants, l’arrêt rendu par la juridiction d’appel a été infirmé par la juridiction de renvoi, par arrêt du 20 novembre 2008, et l’affaire a été renvoyée devant la juridiction d’appel pour un nouvel examen. La juridiction d’appel a, une nouvelle fois, rejeté l’appel interjeté par les requérants. À la suite d’un nouveau pourvoi en Revision des requérants, la juridiction de renvoi a, cette fois, rejeté ce pourvoi par un arrêt du 13 décembre 2012. Cet arrêt a été annulé par le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale, Allemagne) (8), qui a renvoyé l’affaire devant la juridiction de renvoi.

16.      Dans ces conditions, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Existe-t-il une atteinte au droit exclusif du producteur de phonogrammes à la reproduction de son phonogramme au titre de l’article 2, sous c), de la directive [2001/29], lorsque d’infimes bribes de sons sont extraites de son phonogramme pour être transférées sur un autre phonogramme ?

2)      Un phonogramme, qui contient d’infimes bribes de sons transférées depuis un autre phonogramme, constitue-t-il une copie d’un autre phonogramme au sens de l’article 9, paragraphe 1, sous b), de la directive [2006/115] ?

3)      Les États membres peuvent-ils prévoir une disposition qui, à l’instar de l’article 24, paragraphe 1, de [l’UrhG], précise que le domaine de protection du droit exclusif du producteur de phonogrammes à la reproduction [article 2, sous c), de la directive 2001/29] et à la distribution [article 9, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/115] de son phonogramme est limité, de manière immanente, en ce qu’une œuvre distincte, créée par la libre utilisation de son phonogramme, peut être exploitée sans son accord ?

4)      Une œuvre ou un autre objet protégé, au sens de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive [2001/29], sont-ils utilisés à des fins de citation si rien ne permet d’identifier l’utilisation de l’œuvre ou d’un autre objet protégé d’autrui ?

5)      Les dispositions du droit de l’Union relatives au droit de reproduction et de distribution du producteur de phonogrammes [article 2, sous c), de la directive 2001/29 et article 9, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/115], ainsi qu’aux exceptions ou limitations à ces droits (article 5, paragraphes 2 et 3, de la directive 2001/29 et article 10, paragraphe 2, première phrase, de la directive 2006/115) laissent-elles des marges d’appréciation pour leur transposition en droit national ?

6)      De quelle manière convient-il de tenir compte des droits fondamentaux consacrés dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [ci-après « la Charte »] dans la détermination de l’étendue de la protection du droit exclusif du producteur de phonogrammes à la reproduction [article 2, sous c), de la directive 2001/29] et à la distribution [article 9, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/115], de son phonogramme et de la portée des exceptions ou limitations à ces droits (article 5, paragraphes 2 et 3, de la directive 2001/29 et article 10, paragraphe 2, première phrase, de la directive 2006/115) ? »

17.      La demande de décision préjudicielle est parvenue à la Cour le 4 août 2017. Des observations écrites ont été déposées par les parties au principal, les gouvernements allemand, français et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission européenne. Les mêmes intéressés ont été représentés lors de l’audience qui s’est tenue le 3 juillet 2018.

 Analyse

18.      Dans la présente affaire, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) adresse à la Cour une série de questions préjudicielles portant sur l’interprétation du droit de l’Union en matière de droit d’auteur et de droits voisins, ainsi qu’en matière de droits fondamentaux, en présence de circonstances telles que celles du litige au principal. Je vais analyser ces questions dans l’ordre dans lequel elles ont été posées.

 Sur la première question préjudicielle

19.      Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, sous c), de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens que le prélèvement d’un extrait d’un phonogramme afin de l’utiliser dans un autre phonogramme (sampling) constitue une atteinte au droit exclusif du producteur du premier phonogramme d’autoriser ou d’interdire une reproduction de son phonogramme au sens de cette disposition lorsqu’il est accompli sans l’autorisation de ce dernier.

20.      Les intéressés ayant déposé des observations dans la présente affaire expriment à ce sujet des positions divergentes. Si les défendeurs, ainsi que le gouvernement français, proposent de répondre par l’affirmative à cette question, les requérants, les autres gouvernements ainsi que la Commission proposent cependant d’y répondre par la négative. Avant d’analyser les différents arguments avancés, il me semble utile d’examiner une question préliminaire.

 Remarque liminaire – Champ d’application temporel de la directive 2001/29

21.      La juridiction de renvoi fait observer que la directive 2001/29, en son article 10, limite son champ d’application dans le temps aux actes accomplis après le 22 décembre 2002, tandis que le phonogramme litigieux au principal, contenant l’œuvre intitulée Nur mir, est paru en 1997.

22.      Il est cependant à noter que, selon l’article 10, paragraphe 1, de la directive 2001/29, celle-ci s’applique à toutes les œuvres et aux autres objets qui étaient protégés par le droit des États membres à la date du 22 décembre 2002, ce qui est le cas du phonogramme appartenant aux défendeurs.

23.      Il est vrai que, selon l’article 10, paragraphe 2, de la directive 2001/29, celle-ci s’applique sans préjudice des actes conclus et des droits acquis avant cette date. Il est également vrai que la Cour a jugé, sur le fondement de cette disposition, que les actes d’utilisation des œuvres et d’autres objets protégés accomplis avant ladite date ne sont pas affectés par cette directive (9). Cependant, selon la juridiction de renvoi, le phonogramme en cause au principal a fait objet d’actes d’exploitation également après le 22 décembre 2002. La directive 2001/29 est donc applicable à ces actes.

24.      Ayant clarifié ce point, je passe maintenant à l’analyse au fond de la première question préjudicielle.

 Analyse au fond

25.      Il est constant entre les parties au principal que les requérants ont reproduit un extrait d’environ deux secondes de la séquence rythmique du phonogramme de l’œuvre Metall auf Metall et l’ont intégré, répété en boucle, avec des modifications minimales et de manière reconnaissable, comme séquence rythmique dans le phonogramme de l’œuvre Nur mir (10).

26.      Il va à mon avis sans dire qu’un tel acte constitue une reproduction au sens de l’article 2 de la directive 2001/29, cette disposition concernant, je le rappelle, toute reproduction « directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie » de l’objet protégé. Dans le cas du sampling, il s’agit d’une reproduction (le plus souvent) directe, permanente, par les moyens et sous forme numériques d’une partie d’un phonogramme. Il semblerait dès lors assez clair que cet acte constitue une atteinte au droit des producteurs du phonogramme en question d’autoriser ou d’interdire une telle reproduction effectuée sans leur autorisation.

27.      Cependant, les requérants au principal, certains gouvernements ayant présenté des observations ainsi que la Commission soulèvent toute une série d’arguments afin de démontrer que ledit droit des producteurs doit être limité de telle sorte que les actes de reproduction tels que celui en cause au principal ne relèvent pas de ce droit exclusif.

–       Le seuil de minimis

28.      Ces intéressés établissent, premièrement, une analogie avec la jurisprudence de la Cour relative à la protection d’extraits d’œuvres par le droit d’auteur. La Cour a en effet jugé que la protection par le droit d’auteur concerne les œuvres en tant qu’expression de la création intellectuelle de leurs auteurs. Ainsi, les extraits d’une œuvre sont susceptibles d’être protégés par le droit d’auteur à condition qu’ils contiennent certains des éléments qui sont l’expression de la création intellectuelle propre à l’auteur de cette œuvre (11). Le droit des producteurs des phonogrammes protégeant non pas la création intellectuelle, mais l’investissement financier, certains intéressés soutiennent dans la présente affaire que ce droit n’est susceptible de protéger que les extraits des phonogrammes d’une durée suffisamment longue pour représenter cet investissement. Par conséquent, le prélèvement de très courts extraits dans le cas du sampling ne menacerait pas les intérêts financiers des producteurs de phonogrammes et ne relèverait donc pas de leur droit exclusif. Ainsi, selon certains d’entre eux, la protection des droits des producteurs de phonogrammes serait soumise à un seuil de minimis, comme le serait la protection des droits des auteurs.

29.      Il me semble que ce raisonnement est fondé sur une lecture erronée de la jurisprudence susmentionnée de la Cour. S’agissant de l’arrêt Infopaq International, la Cour a constaté que les œuvres littéraires en cause dans cette affaire étaient composées de mots qui, pris isolément, ne relevaient pas de la protection par le droit d’auteur. Seul leur agencement original était protégé en tant que création intellectuelle de l’auteur de l’œuvre (12). Cette constatation est évidente : l’auteur d’une œuvre littéraire ne saurait s’approprier des mots ou des expressions courantes, tout comme le compositeur ne peut pas prétendre au droit exclusif sur les notes ou le peintre à un droit sur les couleurs. Cependant, cela ne constitue en aucune manière l’expression de la reconnaissance d’un seuil de minimis dans la protection des œuvres par le droit d’auteur, mais correspond simplement au résultat de la définition de l’œuvre, au sens du droit d’auteur, comme création intellectuelle de son auteur. Si la Cour a jugé dans cet arrêt que la reproduction d’un extrait limité à seulement onze mots d’un article de presse peut potentiellement relever du droit exclusif énoncé à l’article 2 de la directive 2001/29 (13), il est dès lors difficile d’y voir la reconnaissance d’un quelconque seuil de minimis.

30.      Le raisonnement suivi par la Cour concernant les extraits d’une œuvre ne peut cependant pas être appliqué en ce qui concerne les phonogrammes. En effet, un phonogramme n’est pas une création intellectuelle consistant en une composition d’éléments tels que les mots, les sons, les couleurs, etc. Le phonogramme est une fixation de sons qui est protégée non pas du fait de l’agencement de ces sons, mais du fait de cette fixation. Par conséquent, si, dans le cas d’une œuvre, il est possible de distinguer les éléments qui ne sont pas protégeables, tels que les mots, les sons, les couleurs, etc., et l’objet protégeable sous forme de l’agencement original de ces éléments, une telle distinction n’est toutefois pas possible dans le cas d’un phonogramme. Le phonogramme ne se compose pas de petites particules non protégeables : il est protégé comme un tout indivisible. Par ailleurs, il n’existe, dans le cas du phonogramme, aucune exigence d’originalité, car le phonogramme, contrairement à l’œuvre, est protégé non pas du fait de son caractère créatif mais du fait de l’investissement financier et organisationnel. Autrement dit, un son ou un mot ne peut pas être monopolisé par un auteur du fait de son inclusion dans une œuvre. En revanche, à partir du moment où ceux-ci sont enregistrés, le même son exécuté par un musicien ou le même mot lu à haute voix constituent un phonogramme qui relève de la protection par le droit voisin au droit d’auteur. La reproduction d’un tel enregistrement relève donc du droit exclusif du producteur de ce phonogramme. Chacun est cependant libre de reproduire le même son soi-même.

31.      Il est vrai qu’une idée semblable du seuil de minimis a été développée dans la jurisprudence des juridictions des États-Unis d’Amérique concernant le sampling (14). Il s’agit cependant d’un environnement juridique radicalement différent de celui du droit de l’Europe continentale et du droit de l’Union. En effet, en droit américain, les phonogrammes sont protégés par le copyright au même titre que les œuvres et d’autres objets. Il est donc exigé qu’ils présentent un degré minimal d’originalité. L’existence d’un seuil de minimis est largement reconnue pour tous ces objets protégés depuis le XIXe siècle et ce seuil constitue un des critères d’appréciation pour l’application de l’exception générale du fair use (15). Le raisonnement adopté par les juridictions américaines n’est donc pas, à mon avis, transposable au droit de l’Union.

32.      Par ailleurs, un seuil de minimis me semble présenter de sérieuses difficultés pratiques d’application. Tout d’abord, il faudrait établir un seuil. Devrait-il être uniquement quantitatif (durée de l’extrait reproduit) ou bien également qualitatif (importance de l’extrait pour l’œuvre en question) ? Par ailleurs, ce seuil devrait-il être mesuré par rapport au phonogramme source, à l’œuvre cible, ou aux deux ? Pour prendre l’exemple des phonogrammes en cause au principal, l’extrait prélevé par les requérants est d’une durée d’environ deux secondes. Il semblerait donc a priori qu’il pourrait tomber sous un seuil de minimis, ainsi que le prétendent certains intéressés dans la présente affaire. Cependant, il convient d’observer que les phonogrammes en question contiennent des œuvres appartenant à deux genres de musique – la musique électronique pour Metall auf Metall et le rap pour Nur mir – dans lesquels le rythme joue un rôle primordial pour la composition des œuvres. Or, en copiant une séquence rythmique du titre Metall auf Metall et en l’introduisant, répétée en boucle, dans le titre Nur mir, les requérants ont de facto recopié une partie substantielle du premier phonogramme pour en faire la totalité de la section rythmique de leur œuvre (16). Selon une approche qualitative, cela dépasserait sans doute un quelconque seuil de minimis. Pour s’en convaincre, il suffirait de supprimer des deux phonogrammes la séquence rythmique en cause et d’écouter la partie restante. L’application d’un seuil de minimis conduirait donc inévitablement à des disparités entre les jurisprudences nationales et mettrait à mal le principal objectif de la directive 2001/29, qui est l’harmonisation du droit d’auteur des États membres.

33.      Enfin, il est à mon avis erroné de limiter les intérêts financiers légitimes des producteurs de phonogrammes à la protection contre le piratage, c’est-à-dire contre la distribution ou la communication au public de leurs phonogrammes en tant que tels. Ces producteurs peuvent en effet exploiter les phonogrammes d’autres manières que par la vente d’exemplaires, notamment en autorisant le sampling, et en tirer des revenus. Le fait que le droit de ces producteurs sur leurs phonogrammes a vocation à protéger leurs investissements financiers ne s’oppose donc pas à ce que ce droit couvre aussi les utilisations telles que le sampling. En outre, si le législateur a choisi de donner aux producteurs, comme instrument de la protection de leurs intérêts financiers, le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute reproduction de leurs phonogrammes, y compris en partie, il ne me semble pas logique de remettre ce choix en cause sous prétexte qu’un tel droit ne répond pas à l’objectif poursuivi.

–       Le niveau de protection égal à celui des œuvres

34.      Deuxièmement, certains intéressés ayant présenté des observations dans la présente affaire font valoir, de nouveau en se référant à l’arrêt Infopaq International (17), que les producteurs des phonogrammes ne sauraient bénéficier d’une plus large protection que celle accordée aux auteurs. Je ne suis cependant pas convaincu par cet argument, pour deux raisons.

35.      D’une part, à l’instar de l’argument relatif au seuil de minimis, cet argument est à mon avis fondé sur une compréhension erronée de la portée de l’arrêt susmentionné. Dans cet arrêt, la Cour a défini la notion d’« œuvre » au sens du droit d’auteur de l’Union, en considérant que celle-ci constituait une création intellectuelle propre à son auteur. Le même critère de protection doit être appliqué aux extraits d’une œuvre, en excluant de la protection les éléments de celle-ci qui doivent, de manière évidente, rester dans le domaine public, tels que les mots pris isolément ou les expressions courantes. Il ne s’agit donc en aucun cas d’une limitation de la protection mais d’une définition de l’objet de celle-ci. En ce qui concerne les phonogrammes, le fait que l’objet de la protection est différent ne signifie pas que la protection va au-delà de celle prévue pour les œuvres. Tant les œuvres que les phonogrammes sont protégés dans leur ensemble.

36.      D’autre part, le droit à la protection du phonogramme est un droit qui existe et s’exerce tout à fait indépendamment de la protection de l’œuvre éventuellement contenue dans ce phonogramme. En effet, si la majorité des phonogrammes contient des fixations des exécutions d’œuvres protégées par le droit d’auteur, il existe toutefois d’autres situations. Le phonogramme peut par exemple contenir la fixation de l’exécution d’une œuvre dont la protection a expiré ou bien de sons qui ne sont pas du tout une œuvre, tels que les sons de la nature. Un tel phonogramme constitue l’objet de la protection à part entière. Cela est d’ailleurs confirmé par la définition du phonogramme contenue dans le traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) sur les interprétations et exécutions et sur les phonogrammes (18), dont l’article 2, sous b), stipule qu’un phonogramme est « la fixation des sons provenant d’une interprétation ou exécution ou d’autres sons ». Si les droits des producteurs de phonogrammes sont des droits voisins du droit d’auteur, ils n’en sont pourtant pas des droits dérivés. Le champ de la protection du phonogramme n’est donc en rien conditionné par le champ de la protection de l’œuvre qu’il peut éventuellement contenir.

–       L’analogie avec la protection des droits des fabricants de bases de données

37.      Troisièmement, certains intéressés font une analogie entre la protection des phonogrammes et celle des bases des données. En effet, l’article 7, paragraphe 1, de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de données (19), prévoit pour le fabricant d’une base de données le droit sui generis d’interdire « l’extraction et/ou la réutilisation de la totalité ou d’une partie substantielle » de cette base de données. Or, selon ces intéressés, la situation d’un producteur de phonogramme serait analogue à celle d’un fabricant de base de données, dans la mesure où, dans les deux cas, le droit qui leur est accordé a pour vocation la protection de leurs investissements financiers. La protection du producteur de phonogramme devrait par conséquent elle aussi être limitée à la reproduction d’une partie substantielle du phonogramme.

38.      Je suis cependant plus sensible à l’argument développé à ce sujet par les défendeurs, selon lequel il y a lieu d’adopter en l’espèce une lecture a contrario de la directive 2001/29. Cette directive ne contient en effet aucune référence à la protection d’une partie substantielle du phonogramme. Tout au contraire, le producteur du phonogramme est protégé contre la reproduction non autorisée « en tout ou en partie » de celui-ci, tout comme l’auteur d’une œuvre [et comme, d’ailleurs, l’auteur d’une base de données selon l’article 5, sous a), de la directive 96/9]. Ainsi, l’interprétation littérale des directives 96/9 et 2001/29 exclut déjà, à mon avis, toute possibilité de faire une analogie entre l’étendue de la protection d’un fabricant de base de données et celle d’un producteur de phonogramme.

–       La protection de l’intégralité du phonogramme

39.      Quatrièmement, je ne peux pas non plus souscrire à l’argument avancé par la Commission selon lequel l’article 11 du traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et sur les phonogrammes n’envisagerait que la protection contre la reproduction non autorisée de l’intégralité d’un phonogramme (20). En effet, l’article 11 de ce traité reprend le libellé de l’article 10 de la convention de Rome (21). Or, selon le guide d’interprétation de cette convention, élaboré par l’OMPI (22), lors de la conférence diplomatique en ayant adopté le texte, il a été considéré que « la protection contre la reproduction ne faisant l’objet d’aucune restriction, doit être interprétée comme comprenant la protection contre la reproduction partielle du phonogramme » (23). Dès lors, l’article 11 du traité de l’OMPI susmentionné doit être interprété de la même manière. L’article 2 de la directive 2001/29 mentionne d’ailleurs expressément la reproduction « en partie » du phonogramme.

40.      Je propose donc de répondre à la première question préjudicielle que l’article 2, sous c), de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens que le prélèvement d’un extrait d’un phonogramme afin de l’utiliser dans un autre phonogramme (sampling) constitue une atteinte au droit exclusif du producteur du premier phonogramme d’autoriser ou d’interdire une reproduction de son phonogramme au sens de cette disposition lorsqu’il est accompli sans l’autorisation de ce dernier.

 Sur la deuxième question préjudicielle

41.      Par sa deuxième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande si l’article 9, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/115, doit être interprété en ce sens qu’un phonogramme qui contient des extraits transférés depuis un autre phonogramme (des samples) constitue une copie de cet autre phonogramme au sens de cette disposition.

42.      Les intéressés ayant présenté des observations dans la présente affaire, à l’exception du gouvernement français, semblent analyser les première et deuxième questions préjudicielles conjointement et ont tendance à leur donner des réponses concordantes (bien que ces réponses diffèrent d’un intéressé à l’autre). Cependant, je suis plutôt d’avis, à l’instar du gouvernement français, qu’il y a lieu d’interpréter l’article 9, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/115, à la lumière de son objectif et indépendamment de la directive 2001/29.

43.      L’article 9 de la directive 2006/115 instaure, au profit notamment des producteurs de phonogrammes, un droit de distribution. Ce droit concerne la mise à la disposition du public, par la vente ou autrement, d’exemplaires (copies) d’objets protégés, entre autres des phonogrammes.

44.      À l’échelle internationale, ce même droit est reconnu en vertu de la convention de Genève (24). L’Union n’est pas partie à cette convention, mais 22 États membres le sont. Ladite convention est aussi probablement mentionnée au considérant 7 de la directive 2006/115 comme l’une des « conventions internationales sur lesquelles sont fondées les législations relatives au droit d’auteur et aux droits voisins de nombreux États membres » dont le respect doit être assuré dans le cadre de l’harmonisation opérée par cette directive.

45.      Or, le droit de distribution a pour principal objectif la protection contre ce qui est communément appelé le « piratage », c’est-à-dire la production et la distribution au public de copies contrefaites des phonogrammes (et d’autres objets, comme les films). Ces copies contrefaites, en se substituant aux copies légales, diminuent fortement les revenus des producteurs de phonogrammes et, en conséquence, les revenus que les auteurs et les interprètes peuvent légitimement escompter obtenir de la vente des copies légales. La menace découlant du piratage est notamment mentionnée expressément au considérant 2 de la directive 2006/115 parmi les motifs de l’adoption de cette directive.

46.      Le piratage se caractérise par la production et la distribution de copies contrefaites de phonogrammes, qui ont vocation à se substituer aux copies légales. C’est pour cette raison que l’article 1er de la convention de Genève définit la copie comme « un support contenant des sons repris directement ou indirectement d’un phonogramme et qui incorpore la totalité ou une partie substantielle des sons fixés dans ce phonogramme ». En effet, seule une telle copie permet à l’auditeur de prendre connaissance du phonogramme tout en le dispensant d’en acquérir une copie légale.

47.      L’article 9 de la directive 2006/115 instaurant le même droit de distribution que la convention de Genève et les deux actes ayant le même objectif, à savoir la protection contre le piratage, je suis d’avis que la notion de « copie » contenue à cette disposition doit être interprétée de manière semblable à ladite convention et à la lumière de cet objectif, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une copie qui incorpore la totalité ou une partie substantielle des sons d’un phonogramme protégé et qui a vocation à se substituer aux exemplaires licites de celui-ci. La portée de cette disposition est donc, à mon avis, bien plus étroite que celle de l’article 2 de la directive 2001/29.

48.      Le sampling sert non pas à produire un phonogramme qui se substitue au phonogramme original, mais à créer une œuvre nouvelle et indépendante de ce phonogramme. Pareillement, un phonogramme issu du sampling n’incorpore pas la totalité ni une partie substantielle des sons du phonogramme original. Un tel phonogramme ne devrait donc pas être qualifié de copie au sens de l’article 9, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/115.

49.      Ainsi, je propose de répondre à la deuxième question préjudicielle que l’article 9, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/115, doit être interprété en ce sens qu’un phonogramme qui contient des extraits transférés depuis un autre phonogramme (des samples) ne constitue pas une copie de cet autre phonogramme au sens de cette disposition.

 Sur la troisième question préjudicielle

50.      Par sa troisième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, sous c), de la directive 2001/29 et l’article 9, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/115, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’application aux phonogrammes d’une disposition du droit interne d’un État membre, telle que l’article 24, paragraphe 1, de l’UrhG, selon laquelle une œuvre indépendante peut être créée en utilisant librement une autre œuvre sans autorisation de l’auteur de celle-ci (25).

51.      Comme je l’ai expliqué dans le cadre de la réponse à la deuxième question préjudicielle, l’article 9 de la directive 2006/115 ne s’applique pas aux reproductions d’objets protégés qui n’ont pas vocation à se substituer aux copies légales de ces objets. Tel est notamment le cas d’œuvres indépendantes créées en utilisant des éléments d’autres œuvres. L’article susmentionné, ne s’appliquant pas aux situations réglementées à l’article 24 de l’UrhG, ne s’y oppose pas. L’analyse de la troisième question doit donc être limitée à l’interprétation des dispositions de la directive 2001/29.

52.      La directive 2001/29 instaure, en ses articles 2 à 4, les droits exclusifs dont bénéficient certaines catégories de personnes, notamment le droit des producteurs de phonogrammes d’autoriser ou d’interdire la reproduction de leurs phonogrammes, prévu à l’article 2, sous c), de cette directive. Ces droits sont formulés de manière inconditionnelle. Cependant, l’article 5 de la directive 2001/29 prévoit toute une série d’exceptions et de limitations de ces droits exclusifs que les États membres sont autorisés à prévoir dans leur droit interne. Cette liste d’exceptions et de limitations est formulée de manière exhaustive, comme le confirment tant le considérant 32 de la directive 2001/29 que la jurisprudence constante de la Cour (26).

53.      Cette liste contient certaines exceptions et limitations des droits exclusifs devant faciliter le dialogue et la confrontation artistique par l’utilisation d’œuvres préexistantes. Il s’agit notamment de l’exception de citation, prévue à l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29 et de l’exception de caricature, de parodie ou de pastiche, prévue au même paragraphe, sous k).

54.      En revanche, la liste des exceptions et des limitations aux droits exclusifs figurant à l’article 5 de la directive 2001/29 ne contient pas d’exception générale, permettant l’utilisation d’une œuvre d’autrui aux fins de la création d’une œuvre nouvelle. Il s’ensuit que les États membres ne sont pas en droit de prévoir dans leur droit interne une telle exception si celle-ci va au-delà des exceptions prévues par la directive 2001/29, notamment celles mentionnées au point précédent.

55.      Cette considération n’est pas remise en cause par le fait que, comme le souligne la juridiction de renvoi, en droit allemand, la norme de l’article 24, paragraphe 1, de l’UrhG est considérée non pas comme une exception au droit d’auteur, mais comme une limitation inhérente de celui-ci. En effet, la directive 2001/29, à son article 5, ne distingue pas les exceptions et les limitations du droit d’auteur (ou des droits voisins). Certains cas prévus à cette disposition concernent des limitations qui sont aussi inhérentes au droit d’auteur que la possibilité de libre utilisation d’une œuvre pour en créer une autre. On pourra citer comme exemple l’exception de copie privée, prévue à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29 (27). Le législateur de l’Union a néanmoins jugé nécessaire d’inclure cette limitation dans la liste des exceptions et des limitations possibles.

56.      Par ailleurs, comme le soulèvent à juste titre les défendeurs, autoriser chaque État membre à introduire, en dehors de la liste prévue à l’article 5 de la directive 2001/29, des limitations qu’il juge inhérentes au droit d’auteur menacerait l’effectivité de l’harmonisation des exceptions au droit d’auteur entreprise par le législateur de l’Union. Or, comme cela est souligné au considérant 31 de cette directive, l’élimination des disparités dans l’application des exceptions au droit d’auteur et aux droits voisins par les États membres est l’un des objectifs visés par cette directive.

57.      Il est vrai que l’article 5, paragraphe 3, sous o), de la directive 2001/29 contient une sorte de clause de stand still en ce qui concerne l’application, par les États membres, des exceptions et des limitations qui existaient déjà dans leur droit interne au moment de l’entrée en vigueur de cette directive. Cependant, il s’agit d’utilisation d’objets protégés dans « certains […] cas de moindre importance ». Or, à mon avis, une exception aussi large que celle prévue à l’article 24, paragraphe 1, de l’UrhG ne saurait être considérée comme limitée à certains cas de moindre importance. Par ailleurs, les utilisations relevant de l’article 5, paragraphe 3, sous o), de la directive 2001/29 doivent être limitées aux utilisations analogiques. Cette disposition ne pourrait donc, de toute façon, couvrir la communication au public sous forme électronique de phonogrammes contenant des extraits provenant d’autres phonogrammes.

58.      Enfin, selon l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2001/29, les exceptions et les limitations prévues audit article ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit. Cette disposition, communément appelée le « test des trois étapes », reflète les stipulations analogues des conventions internationales en matière de droit d’auteur et de droits voisins. Elle constitue une restriction des exceptions et des limitations applicables aux droits exclusifs. En revanche, elle ne saurait être comprise comme une autorisation pour introduire des exceptions ou des limitations non prévues, ou pour élargir la portée des exceptions existantes, sous prétexte qu’elles ne porteraient pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé, ni aux intérêts légitimes des titulaires des droits exclusifs (28).

59.      Ainsi, je propose de répondre à la troisième question préjudicielle que l’article 2, sous c), de la directive 2001/29, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’application aux phonogrammes d’une disposition du droit interne d’un État membre, telle que l’article 24, paragraphe 1, de l’UrhG, selon laquelle une œuvre indépendante peut être créée en utilisant librement une autre œuvre sans autorisation de l’auteur de celle-ci, dans la mesure où elle dépasse le cadre des exceptions et des limitations des droits exclusifs prévues à l’article 5, paragraphes 2 et 3, de cette directive.

 Sur la quatrième question préjudicielle

60.      Par sa quatrième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’exception de citation prévue à l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29 est d’application dans la situation où un extrait d’un phonogramme a été inséré dans un autre phonogramme de manière non distinguable du reste de ce second phonogramme.

61.      Cette question touche au fond du problème de l’application de l’exception de citation dans des situations telles que celle en cause au principal.

62.      L’exception de citation trouve son origine et est essentiellement utilisée dans les œuvres littéraires. Cependant, rien n’indique à mon avis qu’en droit d’auteur de l’Union l’exception de citation ne puisse concerner d’autres catégories d’œuvres, notamment les œuvres musicales (29). Il convient également de supposer qu’une telle citation peut s’effectuer au moyen de la reproduction d’un extrait d’un phonogramme, car les exceptions et les limitations prévues à l’article 5 de la directive 2001/29 concernent les droits des producteurs de phonogrammes au même titre que les droits des auteurs.

63.      Cependant, une citation doit remplir une série de conditions afin d’être licite. Trois de ces conditions sont notamment pertinentes en ce qui concerne l’utilisation telle que celle en cause au principal.

64.      La première d’entre elles est expressément prévue à l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29 et concerne le but de la citation. Selon cette disposition, la citation doit être faite « par exemple, à des fins de critique ou de revue ». L’emploi des termes « par exemple » indique qu’il ne s’agit pas d’une liste énumérative des buts de la citation, mais plutôt d’une illustration. De nombreuses citations, notamment les citations artistiques, par exemple musicales, ne sont pas faites à des fins de critique ou de revue, mais poursuivent d’autres objectifs. Néanmoins, la formulation de la disposition en question indique à mon avis clairement que la citation doit servir à entrer dans une sorte de dialogue avec l’œuvre citée. Que ce soit en confrontation ou en hommage, ou encore d’une autre manière, une interaction entre l’œuvre citante et l’œuvre citée est nécessaire.

65.      La deuxième condition de la licéité d’une citation, qui découle en quelque sorte de la première, est celle du caractère non altéré et distinguable de la citation. Ainsi, en premier lieu, l’extrait cité doit être incorporé dans l’œuvre citante tel quel ou en tout cas sans dénaturation (certaines adaptations étant traditionnellement admises, en particulier la traduction). En deuxième lieu – c’est l’aspect soulevé directement par la question préjudicielle – la citation doit être incorporée dans l’œuvre citante de manière à ce qu’il soit aisément possible de la distinguer comme un élément étranger. Cette exigence peut être déduite de la première condition : comment, en effet, l’œuvre citante pourrait-elle entrer en dialogue ou se confronter avec l’œuvre citée si celle-ci se confondait complètement avec celle-là ?

66.      Les deux conditions susmentionnées permettent de distinguer une citation d’un plagiat.

67.      Le sampling en général et l’utilisation du phonogramme en cause au principal en particulier ne semblent pas remplir ces conditions. L’objectif du sampling n’est pas d’entrer en dialogue, ni de se confronter, ni de rendre hommage aux œuvres utilisées. Dans la technique de sampling, les extraits prélevés d’autres phonogrammes servent de matières premières et sont fondus dans les nouvelles œuvres pour en former des parties intégrantes et non reconnaissables. Qui plus est, ces extraits sont souvent altérés et mixés de telle sorte qu’ils perdent toute leur intégrité originale. C’est donc non pas une forme d’interaction mais une forme d’appropriation. Le cas d’espèce, où un extrait d’un phonogramme, trop court pour permettre une quelconque interaction, a été repris en boucle sur la longueur du nouveau phonogramme pour en former la partie rythmique, en est une parfaite illustration.

68.      À ces conditions de fond de la licéité de la citation s’ajoute une troisième exigence, formelle, également mentionnée à l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29, à savoir celle d’indiquer la source de la citation, y compris le nom de l’auteur, à moins que cela ne s’avère impossible. Bien entendu, dans le cas d’une œuvre musicale, il est difficile (même si ce n’est pas impossible) d’indiquer la source de la citation dans l’œuvre elle-même. Cependant, cela peut être fait, par exemple, dans la description de l’œuvre citante, voire dans son titre. Or, il ne me paraît pas qu’il soit de coutume dans la culture hip-hop ou rap d’indiquer les sources des samples qui composent les œuvres appartenant à ces genres de musique. En tout état de cause, il ne ressort pas du dossier de la présente affaire que les requérants aient essayé d’indiquer la source de l’extrait utilisé dans le titre Nur mir ou les noms des défendeurs.

69.      Je propose donc de répondre à la quatrième question préjudicielle que l’exception de citation prévue à l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29, n’est pas d’application dans la situation où un extrait d’un phonogramme a été inséré dans un autre phonogramme sans volonté apparente d’entrer en interaction avec ce premier phonogramme et de manière non distinguable du reste de ce second phonogramme.

70.      Parmi les exceptions et les limitations prévues à l’article 5, paragraphe 3, de la directive 2001/29, figure encore l’exception, déjà mentionnée, de caricature, de parodie ou de pastiche [article 5, paragraphe 3, sous k), de la directive 2001/29]. Cette exception pourrait éventuellement entrer en ligne de compte s’agissant de l’utilisation des extraits d’un phonogramme dans un autre phonogramme. Cette exception n’est pas transposée en tant que telle en droit d’auteur allemand, mais pourrait être déduite, selon la juridiction de renvoi, de l’article 24, paragraphe 1, de l’UrhG. Cette juridiction rejette cependant elle-même, à juste titre selon moi, l’idée d’appliquer ladite exception au cas d’espèce. En effet, cette exception, tout comme celle de citation, présuppose une interaction avec l’œuvre utilisée, ou à tout le moins avec son auteur, élément qui fait défaut dans le cas du sampling, tel que celui en cause au principal (30).

 Sur la cinquième question préjudicielle

71.      Par sa cinquième question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche à déterminer la marge de manœuvre dont disposent les États membres en transposant dans leur droit interne les dispositions relatives aux droits exclusifs prévus aux articles 2 et 3 de la directive 2001/29 ainsi qu’à l’article 9 de la directive 2006/115 et aux exceptions à ces droits exclusifs prévues à l’article 5 de la directive 2001/29 et à l’article 10 de la directive 2006/115. Je signale d’emblée que, le droit de distribution prévu à l’article 9, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/115 ne trouvant pas, à mon avis, à s’appliquer dans une situation telle que celle au principal (31), j’analyserai cette question uniquement sous l’angle de la directive 2001/29.

72.      Comme l’indique la juridiction de renvoi, cette question résulte de la jurisprudence du Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale) selon laquelle, dans la mesure où une directive ne laisse aux États membres aucune marge de manœuvre dans sa transposition, les dispositions de transposition de cette directive en droit allemand doivent être appréciées, en principe, non pas au regard des droits fondamentaux garantis par le Grundgesetz für die Bundesrepublik Deutschland (loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne, ci-après la « loi fondamentale »), du 23 mai 1949, mais uniquement au regard des droits fondamentaux tels que garantis dans l’ordre juridique de l’Union (32).

73.      En ce qui concerne le contrôle, au regard de droits fondamentaux, des mesures nationales qui assurent la transposition des dispositions du droit de l’Union, la Cour a considéré, en se référant à l’article 53 de la Charte, que, lorsqu’un acte du droit de l’Union appelle des mesures nationales de mise en œuvre, il reste loisible aux autorités et aux juridictions nationales d’appliquer des standards nationaux de protection des droits fondamentaux, pourvu que cette application ne compromette pas le niveau de protection prévu par la Charte, telle qu’interprétée par la Cour, ni la primauté, l’unité et l’effectivité du droit de l’Union (33). Ainsi, un État membre ne saurait faire échec à l’effectivité d’une disposition du droit de l’Union qui n’est pas contraire à la Charte en appliquant ses propres standards nationaux de protection des droits fondamentaux (34).

74.      En ce qui concerne la marge d’appréciation dont disposent les États membres dans la transposition de la directive 2001/29, celle-ci est limitée de plusieurs manières.

75.      Premièrement, les droits énoncés aux articles 2 et 3 de la directive 2001/29, notamment le droit de reproduction dont bénéficient les producteurs de phonogrammes sur leurs phonogrammes, prévu à l’article 2, sous c), de cette directive, sont formulés de manière inconditionnelle et leur protection en droit interne des États membres est obligatoire.

76.      Deuxièmement, les notions employées dans les dispositions de la directive 2001/29 ne renvoyant pas à la législation des États membres, sont des notions autonomes du droit de l’Union (35). Tel est notamment le cas de la notion de « reproduction » au sens de l’article 2 de cette directive (36). Tel est le cas également des notions qui définissent les différentes exceptions et les limitations aux droits exclusifs régis par la directive 2001/29, notamment la notion de « parodie » utilisée à l’article 5, paragraphe 3, sous k), de cette directive (37). Il doit en être de même en ce qui concerne la notion de « citation » au sens de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de ladite directive.

77.      Enfin, troisièmement, les droits exclusifs prévus de manière inconditionnelle et obligatoire pour les États membres aux articles 2 à 4 de la directive 2001/29 ne peuvent faire l’objet que des exceptions et des limitations exhaustivement énumérées à l’article 5, paragraphes 1 à 3, de cette directive. Ces exceptions étant, sauf une, facultatives, les États membres disposent d’une marge de manœuvre dans le choix et dans la formulation des exceptions qu’ils jugent opportun de transposer dans leur droit interne. En revanche, ils ne peuvent pas introduire d’exceptions non prévues ni élargir la portée de celles existantes (38). Il est cependant à noter que cette marge de manœuvre est elle aussi limitée, car certaines de ces exceptions reflètent la mise en balance effectuée par le législateur de l’Union du droit d’auteur avec différents droits fondamentaux, notamment la liberté d’expression. Dès lors, le fait de ne pas prévoir certaines exceptions en droit interne pourrait s’avérer incompatible avec la Charte (39).

78.      Ainsi, les États membres sont dans l’obligation de garantir dans leur droit interne la protection des droits exclusifs énoncés aux articles 2 à 4 de la directive 2001/29, dont la portée est définie le cas échéant par la jurisprudence de la Cour, ces droits ne pouvant être restreints que dans le cadre de l’application des exceptions et des limitations prévues de manière exhaustive à l’article 5 de cette directive. Les États membres ne sauraient opposer à cette obligation aucune disposition de leur droit interne, serait-elle d’ordre constitutionnel ou revêtirait-elle le caractère d’un droit fondamental (40). Les États membres restent en revanche libres, comme c’est le cas pour chaque directive, conformément à l’article 288, troisième alinéa, TFUE, en ce qui concerne le choix des moyens qu’ils jugent opportun de mettre en œuvre afin de se conformer à cette obligation. Dans le cadre de ce choix, ils peuvent bien entendu se laisser guider, entre autres, par les considérations tenant à leurs principes constitutionnels et par les droits fondamentaux, à condition de ne pas porter atteinte à l’effet utile du droit de l’Union.

79.      Au vu de ce qui précède, je propose de répondre à la cinquième question préjudicielle que les États membres se trouvent dans l’obligation de garantir dans leur droit interne la protection des droits exclusifs énoncés aux articles 2 à 4 de la directive 2001/29, ces droits ne pouvant être restreints que dans le cadre de l’application des exceptions et des limitations prévues de manière exhaustive à l’article 5 de cette directive. Les États membres restent en revanche libres en ce qui concerne le choix des moyens qu’ils jugent opportun de mettre en œuvre afin de se conformer à cette obligation.

 Sur la sixième question préjudicielle

 Remarques liminaires

80.      Par sa sixième question préjudicielle, la juridiction de renvoi s’interroge sur la manière dont il convient de tenir compte des droits fondamentaux consacrés par la Charte dans l’interprétation de la portée des droits exclusifs conférés aux producteurs de phonogrammes par les directives 2001/29 et 2006/115, ainsi que des limitations et des exceptions auxdits droits prévues par les mêmes directives.

81.      Au vu de la formulation, dans des termes très généraux, de cette question, je doute de son utilité pour la juridiction de renvoi s’il devait y être répondu de manière aussi générale. Cependant, il paraît clair que cette question a été posée en relation avec l’arrêt du Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale) (41) qui a, d’une part, censuré la décision de la juridiction de renvoi confirmant l’arrêt d’appel favorable aux défendeurs, sur le fondement de la liberté de création artistique consacrée à l’article 5 de la loi fondamentale et, d’autre part, renvoyé l’affaire devant la juridiction de renvoi pour réexamen, le cas échéant au regard des droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union, en introduisant une demande de décision préjudicielle devant la Cour en cas de besoin.

82.      Il convient dès lors d’entendre la sixième question préjudicielle en ce sens que la juridiction de renvoi demande, en substance, si la liberté des arts, consacrée à l’article 13 de la Charte, constitue une limitation ou justifie une atteinte au droit exclusif du producteur d’un phonogramme d’autoriser ou d’interdire la reproduction en partie de son phonogramme dans le cas de son utilisation dans un autre phonogramme. Autrement dit, cette question soulève le problème d’une primauté éventuelle de la liberté des arts sur ledit droit exclusif des producteurs de phonogrammes.

83.      Opposer ainsi la liberté des arts au droit voisin du droit d’auteur semble, à première vue, paradoxal. En effet, l’objectif principal du droit d’auteur et des droits voisins est de promouvoir le développement des arts, en assurant aux artistes des revenus provenant de leurs œuvres, ce qui les libère de la dépendance envers différents mécènes et leur permet de poursuivre librement leur activité créative (42).

84.      Il est vrai que la présente affaire concerne directement non pas le droit exclusif des auteurs, mais celui des producteurs qui en bénéficient du fait de leur effort financier et organisationnel. Cependant, d’une part, si le législateur a accordé des droits exclusifs aux producteurs, c’est parce qu’ils contribuent, en tant qu’auxiliaires, à la création et à la diffusion des œuvres. Le droit qu’ils détiennent sur les phonogrammes est une garantie de la rémunération de leur investissement. D’autre part, si tout phonogramme ne doit pas nécessairement constituer la fixation de l’exécution d’une œuvre, c’est toutefois généralement le cas des phonogrammes musicaux dont il est question dans la présente affaire. Parmi les personnes impliquées dans la réalisation d’un tel phonogramme figurent normalement, outre le producteur, des auteurs et des interprètes, dont les droits sont également atteints par une utilisation non autorisée du phonogramme. La procédure au principal concerne donc peut-être uniquement les droits des producteurs du phonogramme, mais, lorsqu’on entame la discussion sous l’angle des droits fondamentaux, les autres intéressés ne sauraient, à mon avis, être oubliés.

85.      Le cas d’espèce en est une parfaite illustration. En effet, les défendeurs, qui agissent dans la procédure en leur qualité de producteurs du phonogramme en cause, sont également artistes exécutants et l’un d’entre eux est l’auteur de l’œuvre contenue sur ledit phonogramme (43). La configuration est semblable de l’autre côté du litige : les requérants sont non seulement compositeurs de l’œuvre contenue sur le phonogramme litigieux mais également producteurs de celui-ci. Le litige au principal n’oppose donc pas simplement un artiste à un producteur de phonogramme, car les deux qualités se retrouvent des deux côtés. L’ensemble de ces différents intérêts doit dès lors être pris en compte dans la pondération des droits fondamentaux respectifs.

 L’arrêt du Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale)

86.      L’arrêt susmentionné du Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale) (44) est principalement fondé sur l’interprétation de l’article 24, paragraphe 1, de l’UrhG, lu à la lumière de la liberté de la création artistique consacrée à l’article 5, paragraphe 3, première phrase, de la loi fondamentale. Cette juridiction a fait grief à la juridiction de renvoi de ne pas avoir suffisamment pris en compte la liberté artistique des requérants dans l’interprétation de l’article 24, paragraphe 1, de l’UrhG, notamment en jugeant que cette disposition ne s’appliquait pas lorsque l’artiste était en mesure de recréer lui-même la séquence sonore qu’il avait prélevé d’un phonogramme d’autrui. Une telle interprétation restreindrait de manière disproportionnée la liberté créative et, en conséquence, les possibilités de dialogue artistique. Les facultés qui sont ainsi laissées aux artistes, à savoir celles d’obtenir une licence, de recréer les sons eux-mêmes ou de se limiter à des sons disponibles dans des bases de samples existantes, seraient insuffisantes, notamment dans le cas des genres musicaux qui dépendent largement du sampling, tel le hip-hop.

87.      Inversement, selon le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale), l’application de l’article 24, paragraphe 1, de l’UrhG au sampling ne limiterait que de manière mineure le droit de propriété, garanti à l’article 14, paragraphe 1, de la loi fondamentale, des producteurs de phonogrammes, dans la mesure où les nouvelles œuvres n’entreraient pas en concurrence avec leurs phonogrammes. En effet, l’article 85, paragraphe 1, de l’UrhG, qui concerne les droits des producteurs de phonogrammes, protégerait ceux-ci uniquement contre des utilisations commerciales et contre le piratage de leurs phonogrammes, ce qui n’est pas le cas du sampling qui est une pratique artistique. Si, de l’avis du Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale), le législateur aurait pu prévoir pour les titulaires des droits exclusifs une compensation pour la libre utilisation (freie Benutzung) en vertu de l’article 24, paragraphe 1, de l’UrhG, l’absence d’une telle compensation n’enfreint pas le droit constitutionnel de propriété.

88.      Enfin, le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale) ajoute que, outre l’interprétation conforme à la liberté des arts de l’article 24, paragraphe 1, de l’UrhG, la juridiction de renvoi peut parvenir à la pondération correcte des droits en cause par une interprétation restrictive des droits des producteurs de phonogrammes contenus à l’article 85, paragraphe 1, de cette loi. Le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale) observe néanmoins que l’affaire pourrait alors relever du droit de l’Union au regard de l’harmonisation des droits des producteurs de phonogrammes opérée par la directive 2001/29. Dans le cas où cette directive ne laisserait pas de marge de manœuvre aux États membres pour sa transposition, la juridiction de renvoi devrait assurer la protection des droits fondamentaux en accord avec la Charte (45), au besoin en opérant un renvoi préjudiciel à la Cour. La juridiction de renvoi devra également s’assurer du maintien du niveau minimal inaliénable de la protection des droits fondamentaux, tel que défini dans la loi fondamentale.

 L’appréciation à la lumière du droit de l’Union

89.      Le droit d’auteur de l’Union ne connaît pas de limitation aux droits exclusifs énoncés dans la directive 2001/29, analogue à celle prévue à l’article 24, paragraphe 1, de l’UrhG. Comme je l’ai développé dans le cadre de la réponse à la troisième question préjudicielle, cette disposition est à mon avis incompatible avec la directive 2001/29 dans la mesure où elle permet des dérogations aux droits exclusifs allant au-delà des exceptions prévues à l’article 5 de cette directive, notamment les exceptions de citation et de caricature, de parodie ou de pastiche. Ces exceptions ne trouvent cependant pas, à mon avis, à s’appliquer dans une situation telle que celle au principal (46). Un raisonnement analogue à celui suivi par le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale) n’est donc pas possible en droit de l’Union. Comment doit-on alors apprécier le droit exclusif de reproduction dont bénéficient les producteurs de phonogrammes en vertu de l’article 2, sous c), de la directive 2001/29 au regard des droits fondamentaux garantis par la Charte ?

90.      Le droit d’auteur et les droits voisins, en ce qu’ils instaurent un monopole de leurs titulaires sur des biens à caractère intellectuel ou artistique, tels que les œuvres, les phonogrammes, etc., sont susceptibles de restreindre l’exercice de certains droits fondamentaux, notamment la liberté d’expression et la liberté des arts. Par ailleurs, la propriété intellectuelle est elle-même protégée en tant que droit fondamental de propriété. Il y a donc lieu de pondérer ces droits, parmi lesquels aucun n’est, en principe, supérieur aux autres (47). En ce qui concerne le droit d’auteur, celui-ci procède déjà lui-même à cette pondération en prévoyant un certain nombre de limitations et d’exceptions. Celles-ci sont destinées à assurer un juste équilibre entre, d’une part, les droits et les intérêts des titulaires des droits d’auteur et des droits voisins, et, d’autre part, les différents autres intérêts publics et privés, y compris celui à la protection des droits fondamentaux.

91.      La liberté des arts, mentionnée à l’article 13, première phrase, de la Charte, est une forme de la liberté d’expression, qui est énoncée à l’article 11 de la Charte. Le système de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), ne connaît pas une telle liberté en tant que droit autonome, la liberté des arts étant déduite de la liberté d’expression, consacrée à l’article 10 de cette convention.

92.      La liberté d’expression, dont émane la liberté des arts, concerne avant tout l’obtention et la diffusion des idées et des informations, et, par conséquent, en ce qui concerne l’art, le contenu des œuvres (48). C’est la censure de ce contenu qui est particulièrement susceptible d’engendrer une violation de la liberté des arts (49). Je pense, en revanche, que la liberté des artistes est beaucoup moins étendue en ce qui concerne l’acquisition des moyens de leur création. Chaque artiste doit s’accommoder des conditions de la vie en société et du marché sur lequel il évolue. La liberté des arts ne libère pas les artistes des contraintes de la vie courante. Serait-il concevable qu’un peintre puisse se prévaloir de sa liberté de création pour ne pas payer ses peintures et ses pinceaux (50)? (51)

93.      Il est vrai que, dans des genres musicaux tels que le hip-hop ou le rap, le sampling joue un rôle particulier, constituant non seulement le moyen de la création, mais également une démarche artistique en soi. Toutefois, cela ne saurait être un argument décisif dans le cadre du débat juridique, car l’interprétation des règles de droit doit être la même pour tous. Si l’on devait considérer comme licite le sampling d’extraits des phonogrammes accompli sans l’autorisation des ayants droit, cela vaudrait tant pour les musiciens appartenant à la culture hip-hop que pour tous les autres.

94.      Les artistes doivent d’autant plus compter avec les limites et les restrictions que la vie pose à la liberté créatrice dans la situation où celles-ci ont trait aux droits et aux libertés fondamentales d’autrui, notamment à leur droit de propriété, y compris de propriété intellectuelle. Dans de tels cas, la pondération des différents droits et intérêts est un exercice particulièrement complexe et il existe rarement une solution unique, pouvant obtenir le soutien de tous. Cette pondération, dans une société démocratique, doit être faite en premier lieu par le législateur, qui incarne la volonté générale. Le législateur dispose ici d’une large marge d’appréciation (52). L’application des solutions législatives est ensuite soumise au contrôle des juridictions qui doivent à leur tour veiller au respect des droits fondamentaux dans le cadre de cette application aux cas concrets. Cependant, hormis des cas exceptionnels (53), ce contrôle doit normalement être effectué dans les limites des dispositions applicables qui jouissent d’une présomption de validité, y compris au regard des droits fondamentaux. Si l’on n’admettait qu’une solution unique compatible avec les droits fondamentaux, la marge d’appréciation du législateur serait nulle.

95.      Comme je l’ai déjà mentionné, le droit d’auteur de l’Union prend en compte différents droits et intérêts qui pourraient entrer en conflit avec les droits exclusifs des auteurs et autres ayants droit, notamment la liberté des arts. Les exceptions aux droits exclusifs telles les exceptions de citation ou de caricature, de parodie ou de pastiche permettent le dialogue et la confrontation artistique par des références à des œuvres préexistantes. Dans le cadre des règles en vigueur, cette confrontation peut se faire, notamment, des trois manières suivantes. Premièrement, par la création d’œuvres qui, tout en s’inspirant des œuvres préexistantes, n’en reprennent pas directement des éléments protégés ; deuxièmement, dans le cadre des limitations et des exceptions existantes aux droits exclusifs, et, enfin, troisièmement, par l’obtention des autorisations nécessaires.

96.      En revanche, je ne pense pas que la liberté des arts, telle qu’énoncée à l’article 13 de la Charte, exige l’introduction ou la reconnaissance d’une exception ou d’une limitation semblable à celle prévue à l’article 24 de l’UrhG, qui couvrirait les utilisations telles que celles en cause au principal, dans lesquelles les œuvres ou les autres objets protégés sont utilisés non pas pour entrer en interaction avec elles, mais simplement comme matières pour la création d’œuvres nouvelles n’ayant aucune relation avec les œuvres précédentes. Le fait de devoir obtenir une licence pour une telle utilisation ne restreint pas, à mon avis, la liberté des arts dans une mesure qui dépasserait les contraintes normales du marché, d’autant plus que ces œuvres nouvelles apportent souvent à leurs auteurs et à leurs producteurs des revenus non négligeables. En ce qui concerne l’argument selon lequel, dans certains cas, l’obtention d’une licence pourrait s’avérer impossible, par exemple du fait d’un refus de la part des ayants droit, je suis d’avis que la liberté des arts ne saurait garantir à chacun la possibilité d’utiliser librement tout ce qu’il veut aux fins de sa démarche créative.

97.      Je ne pense pas non plus que les intérêts financiers des producteurs de phonogrammes, qui sont la justification de leurs droits exclusifs, soient limités à la protection contre les utilisations commerciales et le piratage. En droit de l’Union, c’est bien le cas du droit de distribution (54). En revanche, le droit de reproduction est conçu de manière large et couvre toutes les formes possibles d’exploitation du phonogramme. Par ailleurs, il semblerait juste que le producteur d’un phonogramme participe aux revenus provenant de l’exploitation d’œuvres créées en utilisant son phonogramme. Qui plus est, dans la mise en balance des droits fondamentaux, il y a lieu de tenir compte non seulement des droits et des intérêts matériels des producteurs de phonogrammes, mais également des droits des interprètes et des auteurs, y compris de leurs droits moraux. Or, ceux-ci, et notamment le droit à l’intégrité de l’œuvre, peuvent s’opposer légitimement à une utilisation de cette œuvre, même lorsque cette utilisation est couverte par une exception (55).

98.      La protection accordée aux producteurs de phonogrammes, tant en droit de l’Union qu’en droit international, peut être jugée démesurée, en ce qu’elle égale celle des auteurs (en ce qui concerne les droits matériels). Je n’exclus pas que la pondération des différents droits et intérêts effectuée par le législateur de l’Union puisse aboutir à l’avenir à l’introduction d’une exception aux droits exclusifs des auteurs et autres ayants droit pour des utilisations comme le sampling. Cela n’est cependant pas la tâche du juge. Dans le contrôle juridictionnel de l’application des dispositions en vigueur, les droits fondamentaux jouent un rôle différent : c’est une sorte d’ultima ratio, qui ne saurait justifier de se départir du texte des dispositions pertinentes qu’en cas de violation flagrante du contenu essentiel d’un droit fondamental (56). Or, tel n’est pas le cas, à mon avis, en ce qui concerne la situation du sampling en droit d’auteur de l’Union.

99.      Je propose donc de répondre à la sixième question préjudicielle que le droit exclusif des producteurs de phonogrammes d’autoriser ou d’interdire, en vertu de l’article 2, sous c), de la directive 2001/29, la reproduction en partie de leurs phonogrammes dans les cas de son utilisation à des fins de sampling n’est pas contraire à la liberté des arts telle que consacrée à l’article 13 de la Charte.

 Conclusion

100. Au vu de tout ce qui précède, je propose de donner la réponse suivante aux questions préjudicielles déférées par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) :

1)      L’article 2, sous c), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, doit être interprété en ce sens que le prélèvement d’un extrait d’un phonogramme afin de l’utiliser dans un autre phonogramme (sampling) constitue une atteinte au droit exclusif du producteur du premier phonogramme d’autoriser ou d’interdire une reproduction de son phonogramme au sens de cette disposition lors qu’il est accompli sans l’autorisation de ce dernier.

2)      L’article 9, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle, doit être interprété en ce sens qu’un phonogramme qui contient des extraits transférés depuis un autre phonogramme (des samples) ne constitue pas une copie de cet autre phonogramme au sens de cette disposition.

3)      L’article 2, sous c), de la directive 2001/29, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’application aux phonogrammes d’une disposition du droit interne d’un État membre, telle que l’article 24, paragraphe 1, du Gesetz über Urheberrecht und verwandte Schutzrechte – Urheberrechtsgesetz (loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins), du 9 septembre 1965, selon laquelle une œuvre indépendante peut être créée en utilisant librement une autre œuvre sans autorisation de l’auteur de celle-ci, dans la mesure où elle dépasse le cadre des exceptions et des limitations des droits exclusifs prévues à l’article 5, paragraphes 2 et 3, de cette directive.

4)      L’exception de citation prévue à l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29, n’est pas d’application dans la situation où un extrait d’un phonogramme a été inséré dans un autre phonogramme sans volonté apparente d’entrer en interaction avec ce premier phonogramme et de manière non distinguable du reste de ce second phonogramme.

5)      Les États membres se trouvent dans l’obligation de garantir dans leur droit interne la protection des droits exclusifs énoncés aux articles 2 à 4 de la directive 2001/29, ces droits ne pouvant être restreints que dans le cadre de l’application des exceptions et des limitations prévues de manière exhaustive à l’article 5 de cette directive. Les États membres restent en revanche libres en ce qui concerne le choix des moyens qu’ils jugent opportun de mettre en œuvre afin de se conformer à cette obligation.

6)      Le droit exclusif des producteurs de phonogrammes d’autoriser ou d’interdire, en vertu de l’article 2, sous c), de la directive 2001/29, la reproduction en partie de leurs phonogrammes dans les cas de leur utilisation à des fins de sampling n’est pas contraire à la liberté des arts telle que consacrée à l’article 13 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.


1      Langue originale : le français.


2      Voir, notamment, Piesiewicz, P., « Dzieło muzyczne i nowe technologie (aspekty prawne “samplingu”) », Państwo i prawo, no 3/2006.


3      Pour l’histoire du hip-hop et du rap, voir Evans, T. M., « Sampling, Looping, and Mashing… Oh My ! : How Hip Hop Music is Scratching More Than the Surface of Copyright Law », Fordham Intellectual Property, Media and Entertainment Law Journal, 2011, vol. 21, n° 4, p. 843.


4      Bien que l’une des premières affaires concernant le sampling, Grand Upright Music, Ltd v. Warner Bros. Records Inc., jugée par l’United States District Court for the Southern District of New York (tribunal fédéral des États-Unis pour le district Sud de New York, États-Unis), remonte à l’année 1991.


5      Le recours introductif de première instance dans la procédure au principal a été déposé le 8 mars 1999.


6      JO 2001, L 167, p. 10.


7      JO 2006, L 376, p. 28.


8      Arrêt du 31 mai 2016, 1 BvR 1585/13.


9      Voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 2013, VG Wort e.a. (C‑457/11 à C‑460/11, EU:C:2013:426, point 1 du dispositif).


10      Il est à noter qu’il existe plusieurs versions de ce dernier titre. Je me réfère ici à la version de base, intitulée simplement Nur mir.


11      Arrêt du 16 juillet 2009, Infopaq International (C‑5/08, EU:C:2009:465, point 39 et point 1 du dispositif).


12      Arrêt du 16 juillet 2009, Infopaq International (C‑5/08, EU:C:2009:465, points 44 à 46).


13      Arrêt du 16 juillet 2009, Infopaq International (C‑5/08, EU:C:2009:465, point 1 du dispositif).


14      Voir, notamment, arrêt de l’United States Court of Appeals, 9th Circuit (Cour d’appel des États-Unis pour le 9ème circuit, États-Unis), du 2 juin 2016, VMG Salsoul, LLC v. Ciccone.


15      Voir article 107 de la Copyright Law of the United States (loi sur le droit d’auteur des États-Unis).


16      Le même constat a été fait, d’après les informations contenues dans la demande de décision préjudicielle, par la juridiction d’appel dans la procédure au principal, selon laquelle l’extrait litigieux constitue « la partie dominante » du titre Metall auf Metall et apparaît dans le titre Nur mir de manière continue.


17      Arrêt du 16 juillet 2009, Infopaq International (C‑5/08, EU:C:2009:465).


18      Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et sur les phonogrammes, adopté à Genève le 20 décembre 1996 et entré en vigueur le 20 mai 2002, dont l’Union européenne fait partie en vertu de la décision 2000/278/CE du Conseil, du 16 mars 2000, relative à l’approbation, au nom de la Communauté européenne, du traité de l’OMPI sur le droit d’auteur et du traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et sur les phonogrammes (JO 2000, L 89, p. 6). Selon le considérant 15 de la directive 2001/29, celle-ci a en outre pour objectif de mettre en œuvre ce traité.


19      JO 1996, L 77, p. 20.


20      Cette disposition stipule que « [l]es producteurs de phonogrammes jouissent du droit exclusif d’autoriser la reproduction directe ou indirecte de leurs phonogrammes, de quelque manière et sous quelque forme que ce soit ».


21      Convention pour la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion, signée à Rome le 26 octobre 1961.


22      Guide des traités sur le droit d’auteur et les droits connexes administrés par l’OMPI, OMPI, Genève, 2003.


23      Ibid., p. 154.


24      Convention pour la protection des producteurs de phonogrammes contre la reproduction non autorisée de leurs phonogrammes, du 29 octobre 1971, entrée en vigueur le 18 avril 1973.


25      L’article 24 de l’UrhG mentionne expressément la seule utilisation d’œuvres. Cependant, selon la juridiction de renvoi, cette disposition a vocation à s’appliquer, par analogie, également à l’utilisation d’autres objets protégés, notamment les phonogrammes.


26      Voir, en dernier lieu, arrêt du 7 août 2018, Renckhoff (C‑161/17, EU:C:2018:634, point 16).


27      Voir, au regard du caractère inhérent de cette limitation, mes conclusions dans l’affaire EGEDA e.a. (C‑470/14, EU:C:2016:24, points 15 et 16).


28      Voir, en ce sens, arrêt du 10 avril 2014, ACI Adam e.a. (C‑435/12, EU:C:2014:254, points 26 et 27).


29      Voir, notamment, Mania, G., « Cytat w muzyce – o potrzebie reinterpretacji przesłanek », Zeszyty Naukowe Uniwersytetu Jagiellońskiego, nº 1/2017, p. 63 à 88. Voir, également, Vivant, M., Bruguière, J.-M., Droit d’auteur et droits voisins, Dalloz, Paris, 2015, p. 571. La Cour semble avoir admis tacitement l’exception de citation en ce qui concerne une œuvre photographique (voir arrêt du 1er décembre 2011, Painer, C‑145/10, EU:C:2011:798, points 122 et 123).


30      Certes, dans son arrêt du 3 septembre 2014, Deckmyn et Vrijheidsfonds (C‑201/13, EU:C:2014:2132), la Cour n’a pas posé d’exigences trop strictes à la notion de parodie. Elle a jugé néanmoins que celle-ci « évoque » une autre œuvre (voir point 2 du dispositif de l’arrêt). Il est par ailleurs clair à mon avis que, dans les circonstances de la présente affaire, l’œuvre intitulée Nur mir ne constitue ni une parodie ni une caricature de l’œuvre Metall auf Metall. Quant à la notion de pastiche, celle-ci consiste en une imitation du style d’une œuvre ou d’un auteur, sans nécessairement reprendre les éléments de cette œuvre. Or, dans le cas d’espèce, nous sommes en présence d’une situation inverse, celle de reprise d’un phonogramme pour créer une œuvre dans un style tout à fait différent.


31      Voir partie des présentes conclusions consacrée à la réponse à la deuxième question.


32      Cette jurisprudence a été rappelée par le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale) dans son arrêt du 31 mai 2016, 1 BvR 1585/13, qui est à l’origine du présent renvoi préjudiciel (voir point 81 des présentes conclusions).


33      Arrêt du 26 février 2013, Melloni (C‑399/11, EU:C:2013:107, point 60).


34      Voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2013, Melloni (C‑399/11, EU:C:2013:107, point 63).


35      Voir, notamment, arrêt du 16 juillet 2009, Infopaq International (C‑5/08, EU:C:2009:465, point 27).


36      Voir arrêt du 16 juillet 2009, Infopaq International (C‑5/08, EU:C:2009:465, point 32).


37      Arrêt du 3 septembre 2014, Deckmyn et Vrijheidsfonds (C‑201/13, EU:C:2014:2132, point 15).


38      Arrêt du 10 avril 2014, ACI Adam e.a. (C‑435/12, EU:C:2014:254, points 26 et 27).


39      Voir, également, mes conclusions dans l’affaire Funke Medien NRW (C‑469/17, EU:C:2018:870, points 38 et 39).


40      Voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2013, Melloni (C‑399/11, EU:C:2013:107, point 59 et jurisprudence citée).


41      Arrêt du 31 mai 2016, 1 BvR 1585/13.


42      Cette fonction du droit d’auteur et des droits voisins est d’ailleurs expressément confirmée par les considérants 9 à 11 de la directive 2001/29.


43      Leurs droits d’auteur et d’exécutants ont d’ailleurs été soulevés dans la procédure en première instance à titre subsidiaire (voir point 14 des présentes conclusions).


44      Dans la présente analyse, je me base sur la version en langue anglaise de l’arrêt du Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale), accessible sur le site Internet de celui-ci, ainsi que, pour la partie descriptive, sur les commentaires de cet arrêt, notamment, Duhanic, I., « Copy this sound ! The cultural importance of sampling for hip hop music in copyright law – a copyright law analysis of the sampling decision of the German Federal Constitutional Court », Journal of Intellectual Property Law and Practice, 2016, vol. 11, nº 12, p. 932 à 945 ; Mezei, P., « De Minimis and Artistic Freedom : Sampling on the Right Track ? », Zeszyty Naukowe Uniwersytetu Jagiellońskiego, 2018, vol. 139, nº 1, p. 56 à 67 ; et Mimler, M. D., Metall auf Metall – German Federal Constitutional Court discusses the permissibility of sampling of music tracks, Queen Mary Journal of Intellectual Property, 2017, vol. 7, nº 1, p. 119 à 127.


45      Conformément à la jurisprudence du Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale) mentionnée au point 72 des présentes conclusions.


46      Voir la partie des présentes conclusions consacrée à la réponse à la quatrième question.


47      Voir, en ce sens, dernièrement, arrêt du 18 octobre 2018, Bastei Lübbe (C‑149/17, EU:C:2018:841, point 44).


48      Selon la formule consacrée par la Cour européenne des droits de l’homme, « la liberté d’expression, consacrée par le paragraphe 1 de l’article 10 [de la CEDH], constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2, elle vaut non seulement pour les “informations” ou “idées” accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population » (Cour EDH, 25 janvier 2007, Vereinigung Bildender Künstler c. Autriche, CE:ECHR:2007:0125JUD006835401, § 26).


49      Voir Cour EDH, 25 janvier 2007, Vereinigung Bildender Künstler c. Autriche, CE:ECHR:2007:0125JUD006835401).


50      Certes, une appréciation différente pourrait être portée dans le cas où de telles difficultés seraient faites à un artiste dans le but de l’empêcher de créer, précisément pour la raison du contenu de son œuvre [voir le film de A. Wajda, Powidoki (Les Fleurs bleues), sur le harcèlement du peintre polonais Władysław Strzemiński à l’époque stalinienne]. Ce sont là, cependant, des situations extrêmes.


51      À cet égard, la Cour européenne des droits de l’homme a affirmé que « l’artiste et ceux qui promeuvent ses œuvres n’échappent pas aux possibilités de limitation que ménage le paragraphe 2 de l’article 10 [de la CEDH]. Quiconque se prévaut de sa liberté d’expression assume en effet, selon les propres termes de ce paragraphe, des “devoirs et responsabilités” ; leur étendue dépend de sa situation et du procédé utilisé » (Cour EDH, 25 janvier 2007, Vereinigung Bildender Künstler c. Autriche, CE:ECHR:2007:0125JUD006835401, § 26).


52      Voir, en ce sens, Cour EDH, 10 janvier 2013, Ashby Donald et autres c. France (CE:ECHR:2013:0110JUD003676908, § 40).


53      Voir, par exemple, affaire C-469/17 Funke Medien NRW, dans laquelle j’ai présenté des conclusions le 25 octobre 2018 (EU:C:2018:870).


54      Voir partie des présentes conclusions consacrée à la réponse à la deuxième question.


55      Voir, en ce sens, arrêt du 3 septembre 2014, Deckmyn et Vrijheidsfonds (C‑201/13, EU:C:2014:2132, points 27 à 31).


56      Voir, en ce sens, dernièrement, arrêt du 18 octobre 2018, Bastei Lübbe (C‑149/17, EU:C:2018:841, point 46).