Language of document : ECLI:EU:T:2013:371

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

11 juillet 2013 (*)

« Fonds de cohésion – Règlement (CE) no 1164/94 – Projet d’assainissement de Saragosse – Suppression partielle du concours financier – Marchés publics – Notion d’ouvrage – Article 14, paragraphes 10 et 13, de la directive 93/38/CEE – Scission des marchés – Confiance légitime – Obligation de motivation – Délai d’adoption d’une décision – Détermination des corrections financières – Article H, paragraphe 2, de l’annexe II du règlement no 1164/94 – Proportionnalité – Prescription »

Dans l’affaire T‑358/08,

Royaume d’Espagne, représenté initialement par M. J. Rodríguez Cárcamo, puis par M. A. Rubio González, abogados del Estado,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. G. Valero Jordana et Mme A. Steiblytė, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2008) 3249 de la Commission, du 25 juin 2008, relative à la réduction de l’aide accordée au titre du Fonds de cohésion au Royaume d’Espagne au projet no 96/11/61/018 – « Saneamiento de Zaragoza » par la décision C (96) 2095 de la Commission, du 26 juillet 1996,

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de M. L. Truchot, président, Mme M. E. Martins Ribeiro et M. A. Popescu (rapporteur), juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 novembre 2012,

rend le présent

Arrêt (1)

 Antécédents du litige

1        Par décision C (96) 2095, du 26 juillet 1996 (ci-après la « décision de 1996 »), la Commission des Communautés européennes a approuvé, au titre du Fonds de cohésion, l’octroi d’un concours financier de 8 850 689 euros au projet nº 96/11/61/018 – « Saneamiento de Zaragoza » (ci-après le « projet d’assainissement de Saragosse »). Ce projet, ayant pour objet d’améliorer et de compléter les installations d’assainissement et d’épuration des eaux usées de la ville de Saragosse (Espagne), comportait deux groupes d’opérations. Le premier groupe d’opérations, dénommé « Plan de remplacement des égouts » (ci-après la « phase FIMMA 96 »), prévoyait le remplacement d’égouts dans certains quartiers de la ville. Le second groupe d’opérations, dénommé « Programme d’assainissement de la zone ouest de l’agglomération (bassin de la station d’épuration de la Almozara) » (ci‑après la « phase SPWS »), comprenait, notamment, la construction de collecteurs, d’un réseau secondaire de collecteurs et d’un déversoir d’eaux de pluie. La municipalité de Saragosse était le bénéficiaire final du concours financier et était chargée de la direction du projet dont la mise en œuvre était prévue pendant la période comprise entre le 1er mai 1996 et le 31 décembre 1998.

2        À la demande du Royaume d’Espagne, la décision de 1996 a été modifiée par la décision C (97) 2601 de la Commission, du 29 juillet 1997 (ci-après la « décision de 1997 »), afin d’y inclure huit opérations supplémentaires (ci-après la « phase FIMMA 97 »). Sept opérations étaient relatives au remplacement, à la transformation ainsi qu’à la construction de collecteurs et une opération consistait à construire une usine de traitement de boues. Le délai d’achèvement des travaux a été prolongé jusqu’au 31 décembre 1999.

[omissis]

 Décision attaquée

13      Dans la décision attaquée, la Commission a constaté des irrégularités affectant huit marchés de la phase SPWS et, notamment, quatre marchés de la phase FIMMA 97.

14      Les huit marchés de la phase SPWS étaient les suivants :

–        collecteur déversoir dans le fleuve Èbre ;

–        collecteur du quartier de Los Palos ;

–        collecteur de la zone Martín Arpal ;

–        collecteur Valles Verdes ;

–        collecteur de San Lamberto – Vistabella ;

–        collecteur route de Madrid ;

–        réseau secondaire de collecteurs ;

–        collecteur zone limite du territoire municipal.

15      Les quatre marchés de la phase FIMMA 97 étaient les suivants :

–        collecteur de la rive droite de la rivière Huerva ;

–        usine de traitement de boues ;

–        collecteurs de la rivière Gállego ;

–        collecteur de connexion de la station d’épuration de la Almozara.

16      La Commission a estimé, au considérant 20 de la décision attaquée, que, en vertu de l’article 4, paragraphe 2, et de l’article 14, paragraphes 1, 10 et 13, de la directive 93/38, les marchés litigieux constituaient des lots d’un seul ouvrage, dont l’initiative incombait à une seule entité adjudicatrice, et qu’ils auraient dû être soumis aux dispositions de ladite directive. Elle a considéré que lesdits marchés avaient été divisés, cela constituant une violation des dispositions de cette directive, en particulier de celles relatives au seuil, à la publication et à l’égalité de traitement entre les soumissionnaires.

[omissis]

18      En premier lieu, afin d’établir l’existence d’irrégularités au sens de l’article H de l’annexe II du règlement no 1164/94, la Commission a tout d’abord rappelé les dispositions de l’article 1, paragraphe 4, sous b), de l’article 4, paragraphe 2, et de l’article 14, paragraphes 1, 10 et 13, de la directive 93/38 (considérants 19, 21 à 23 de la décision attaquée).

19      La Commission a ensuite relevé, au considérant 24 de la décision attaquée, que, dans tous les avis de marchés publiés au Boletín Oficial de Aragón et dans les médias locaux, le conseil municipal de Saragosse était l’organisme adjudicateur auquel il fallait adresser les offres. Elle a également relevé la similitude de la description des travaux à exécuter dans le réseau d’égouts et de traitement des eaux usées et a estimé que les travaux devaient remplir une même fonction économique et technique. Elle a considéré qu’il s’agissait, en l’espèce, d’une série de travaux spécifiques de maintenance, d’agrandissement et de réhabilitation du réseau d’égouts et de traitement des eaux usées existant, dont le résultat, une fois terminé, devait être l’amélioration globale du réseau pour les utilisateurs finaux. La Commission a précisé que les travaux étaient liés à des collecteurs d’eaux usées, à des collecteurs déversoirs d’eaux de pluie, à une usine de traitement de boues et à un collecteur d’eaux usées entre les deux stations d’épuration de la Almozara et la Cartuja. Elle a estimé que la différence entre les différents types de travaux était fonctionnelle, et non technique ou économique, et que, par conséquent, des connaissances techniques spécifiques pour les réaliser n’étaient pas requises. Enfin, elle a relevé que, d’un point de vue économique, les utilisateurs finaux devaient payer le prestataire de services selon leur utilisation.

20      Premièrement, en ce qui concerne les huit projets de la phase SPWS, la Commission a estimé, au considérant 24, sous a), de la décision attaquée, que les travaux répondaient à un objectif semblable, la seule différence étant qu’ils avaient été réalisés dans des secteurs géographiquement différenciés. Elle a considéré que l’objectif principal des travaux était de fournir ou de renouveler le système d’égouts pour différents secteurs, y compris l’installation de collecteurs d’eaux usées et de déversoirs.

21      Deuxièmement, s’agissant des quatre projets de la phase FIMMA 97, cités au point 15 ci-dessus, pour lesquels la dérogation de l’article 14, paragraphe 10, de la directive 93/38 ne pouvait pas être invoquée, la Commission a estimé, au considérant 24, sous b), de la décision attaquée, que les travaux répondaient à un objectif semblable, la seule différence tenant à leur réalisation dans des secteurs géographiquement différenciés. Elle a considéré que l’objectif principal des travaux était d’installer des collecteurs le long des rivières Huerva et Gállego afin de desservir les zones envoyant encore l’effluent directement dans les rivières et de remettre en état les deux installations de traitement des eaux usées vers lesquelles les eaux usées étaient acheminées.

22      Au considérant 25 de la décision attaquée, la Commission a précisé que, concernant la violation de l’article 4, paragraphe 2, et à l’article 14, paragraphe 10, de la directive 93/38, les contrats devaient être considérés comme étant destinés à l’exécution d’un ouvrage unique quand ils sont liés de telle sorte que, comme en l’espèce, une entreprise communautaire puisse les considérer comme une seule opération économique et qu’elle présente une offre pour toute l’opération. La Commission a indiqué que cette interprétation correspondait à l’objectif de la directive 93/38, lequel est de veiller à ce que les entreprises d’autres États membres puissent répondre aux appels d’offres, lorsqu’elles y ont un intérêt, pour des raisons objectives tenant à la valeur des marchés. Une telle entreprise pourrait avoir souhaité être informée de la valeur de tous les lots composant les travaux, même si elle n’avait pas été en mesure de tous les exécuter. La Commission a ajouté qu’il s’agissait de la seule possibilité d’évaluer la portée exacte du marché et d’ajuster les prix selon le nombre de lots pour lequel il était envisagé de présenter des offres.

23      La Commission a conclu, au considérant 26 de la décision attaquée, que les huit projets de la phase SPWS, pris ensemble, et les quatre projets de la phase FIMMA 97, pris ensemble, remplissaient une fonction économique et technique et que, dès lors, les autorités espagnoles avaient artificiellement divisé les travaux concernant la maintenance, l’agrandissement et la réhabilitation du réseau d’égouts et de traitement des eaux usées existant. Elle a précisé que cette conclusion se fondait sur le caractère similaire des descriptions des travaux et des similitudes des avis de marchés, la mise en œuvre de la procédure et la coordination globale par la même entité contractante ainsi que le fait que les travaux avaient été réalisés dans une seule zone géographique.

[omissis]

 Procédure et conclusions des parties

28      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 3 septembre 2008, le Royaume d’Espagne a introduit le présent recours.

29      Le 30 novembre 2010, la présente affaire a été attribuée à un nouveau juge rapporteur siégeant dans la deuxième chambre. La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a ensuite été affecté à la huitième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

30      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (huitième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 28 novembre 2012.

31      Le Royaume d’Espagne conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

32      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours dans son intégralité ;

–        condamner le Royaume d’Espagne aux dépens.

 En droit

[omissis]

 1.1.1. Sur le premier moyen, tiré d’erreurs de droit et d’erreurs manifestes d’appréciation dans le cadre de l’application de l’article H de l’annexe II relative aux corrections financières du règlement no 1164/94, en combinaison avec l’article 14, paragraphe 13, de la directive 93/38

[omissis]

35      À titre liminaire, il y a lieu de relever que, lors de l’audience, en réponse à une question du Tribunal, le Royaume d’Espagne a précisé que, par le premier moyen, il invoquait la violation de l’article 14, paragraphe 13, de la directive 93/38, cette disposition devant être lue en combinaison avec l’article 14, paragraphe 10, de la directive 93/38. Il en a été pris acte dans le procès-verbal d’audience.

36      Par ailleurs, le Royaume d’Espagne soutient que la Commission a commis une erreur de droit ainsi qu’une grave erreur d’appréciation dans la décision attaquée en affirmant l’existence d’une infraction aux dispositions de la directive 93/38. Il fait valoir que, bien que la charge de la preuve incombe à la Commission, il est utile de réaliser une brève analyse des marchés faisant l’objet du présent litige selon les critères définis par la Cour, afin de démontrer qu’aucune des conditions permettant de conclure à l’existence d’un seul ouvrage n’était remplie. Force est de constater que, par le présent recours, le Royaume d’Espagne conteste tant la définition par la Commission des conditions d’application de l’article 14, paragraphe 10, premier alinéa, et de l’article 14, paragraphe 13, de la directive 93/38 que leur application aux marchés en cause dans la décision attaquée. Partant, il conviendra d’examiner si la Commission a conclu de manière erronée à la violation des dispositions précitées dans la décision attaquée, ce qu’il appartient au Royaume d’Espagne de démontrer devant le Tribunal.

[omissis]

 Sur la première branche, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation de la Commission en ce qui concerne la notion d’ouvrage

38      Selon le Royaume d’Espagne, la Commission a conclu de manière erronée que la municipalité de Saragosse avait violé les dispositions de la directive 93/38 en scindant les marchés en cause et en ne publiant pas d’avis au Journal officiel. Il estime non fondées les affirmations de la Commission figurant au considérant 8, deuxième alinéa, au considérant 9, au considérant 23, sous b), et au considérant 24 de la décision attaquée.

39      En premier lieu, le Royaume d’Espagne fait valoir que, afin d’apprécier si un projet est susceptible de contenir plusieurs ouvrages distincts, il y a lieu, à la lumière du libellé des dispositions de la directive 93/38 et de la jurisprudence de la Cour, d’effectuer une analyse selon une triple perspective : technico-économique, géographique et temporelle.

40      En second lieu, le Royaume d’Espagne invoque le caractère erroné de l’application de ces critères en l’espèce. La Commission n’aurait pas réalisé la moindre analyse objective des ouvrages selon cette « triple perspective », mais elle semblerait avoir utilisé des critères quelque peu particuliers pour déterminer l’infraction des autorités espagnoles, tels que la capacité des soumissionnaires potentiels ou l’utilité pour ceux-ci d’effectuer certains ou tous les marchés à la fois (considérant 9 de la décision attaquée). En outre, l’examen technico-économique serait dépourvu de rigueur technique.

41      Dans la décision attaquée, la Commission a considéré que les autorités espagnoles avaient commis une violation de l’article 14, paragraphe 13, de la directive 93/38, lu en combinaison avec les paragraphes 1 et 10 de cet article, en scindant, d’une part, huit marchés de la phase SPWS et, d’autre part, notamment, quatre marchés de la phase FIMMA 97. Après avoir rappelé, au considérant 23, sous b), de la décision attaquée, la définition d’un ouvrage au sens de l’article 14, paragraphe 10, premier alinéa, de la directive 93/38, elle l’a appliquée aux marchés litigieux aux considérants 24 à 26 de la décision attaquée.

[omissis]

 Sur la notion d’ouvrage au sens de l’article 14, paragraphe 10, premier alinéa, de la directive 93/38 dans la décision attaquée

43      Selon l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 93/38, ladite directive s’applique aux marchés dont la valeur estimée hors TVA égale ou dépasse 5 millions d’euros en ce qui concerne les marchés de travaux. Aux termes de l’article 14, paragraphe 13, de la directive 93/38, « [l]es entités adjudicatrices ne peuvent pas contourner l’application de la présente directive en scindant les marchés ou en utilisant des modalités particulières de calcul de la valeur des marchés ».

44      En outre, en vertu de l’article 14, paragraphe 10, de la directive 93/38, « [l]e calcul de la valeur d’un marché de travaux aux fins de l’application du paragraphe 1 doit être fondé sur la valeur totale de l’ouvrage », un ouvrage étant défini, au premier alinéa, de cette disposition, comme « [l]e résultat d’un ensemble de travaux de bâtiment ou de génie civil destiné à remplir par lui-même une fonction économique et technique ».

45      En premier lieu, il convient de relever, à l’instar du Royaume d’Espagne et de la Commission, que la Cour a interprété l’article 14, paragraphes 10 et 13, de la directive 93/38 dans l’arrêt du 5 octobre 2000, Commission/France (C‑16/98, Rec. p. I‑8315). Dans cet arrêt, la Cour a considéré que l’article 14, paragraphe 13, de la directive 93/38 « exprime de manière concrète les obligations qui découlent pour les entités adjudicatrices de l’article 14, paragraphe 10, premier alinéa, de la directive [93/38] et doit, dès lors, être [pris] en considération conjointement avec ce dernier en vue de statuer sur l’existence d’une scission d’ouvrage » (point 31). Par ailleurs, selon la Cour, il « résulte de la définition de l’ouvrage figurant à l’article 14, paragraphe 10, premier alinéa, seconde phrase, de la directive [93/38] que l’existence d’un ouvrage doit être appréciée par rapport à la fonction économique et technique du résultat des travaux concernés » (point 36).

46      Il ressort de cet arrêt que la Cour, afin d’apprécier si ces travaux étaient liés entre eux d’une manière telle qu’ils devaient être regardés comme un ouvrage unique au sens de l’article 14, paragraphe 10, premier alinéa, de la directive 93/38, a adopté une approche fonctionnelle (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 15 mars 2012, Commission/Allemagne, C‑574/10, point 37). La Cour a retenu deux critères, lesquels sont le critère de la fonction économique et celui de la fonction technique du résultat des travaux.

47      Il convient de constater que, conformément à l’arrêt Commission/France, précité, la Commission a indiqué dans la décision attaquée qu’il convenait d’appliquer les critères de la fonction économique et de la fonction technique du résultat des travaux aux fins de définir un ouvrage au sens de l’article 14, paragraphe 10, premier alinéa, de la directive 93/38 (considérants 23 et 24). Après un rappel des termes de cette disposition au considérant 23 de la décision attaquée, la Commission a ainsi considéré, au considérant 24, que « [l]a description du travail à exécuter dans le réseau d’égouts et de traitement des eaux usées était similaire et les travaux devaient remplir une même fonction économique et technique », que « [l]e présent cas se réfère à une série de travaux spécifiques de maintenance, d’agrandissement et de réhabilitation du réseau d’égouts et de traitement des eaux usées existant, dont le résultat, une fois terminé, devrait être l’amélioration globale du réseau pour les utilisateurs finaux » et que « [l]a différence entre les différents types de travaux [n’est pas] technique ou économique ».

48      Dès lors, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la question, soulevée par la Commission, de savoir si les critères de la fonction économique et de la fonction technique du résultat des travaux aux fins de définir un ouvrage au sens de l’article 14, paragraphe 10, premier alinéa, de la directive 93/38 sont cumulatifs, il convient de relever que, contrairement aux allégations du Royaume d’Espagne, la Commission n’a pas commis d’erreur dans la décision attaquée en identifiant les critères de la fonction économique et de la fonction technique du résultat des travaux devant être appliqués aux fins de définir un ouvrage au sens de l’article 14, paragraphe 10, premier alinéa, de la directive 93/38.

49      En deuxième lieu, le Royaume d’Espagne soutient que l’analyse des marchés litigieux devait être menée en utilisant également des critères géographique et temporel.

50      À cet égard, il y a lieu de relever que, dans l’arrêt Commission/France, précité, la Cour a utilisé les critères de la fonction technique et économique du résultat des travaux pour définir un ouvrage unique (points 49 à 56). Elle a ensuite précisé, au point 65, que « chaque cas de passation d’un marché devait être apprécié en fonction de son contexte et de ses propres particularités ». La Cour a ajouté que, dans la situation ayant donné lieu à cet arrêt, il « [existait] des éléments importants, tels que la simultanéité de lancement des marchés litigieux, la similitude des avis de marché, l’unité du cadre géographique à l’intérieur duquel ces marchés ont été lancés et la coordination assurée par [l’]organisme regroupant les syndicats intercommunaux d’électrification au niveau départemental, qui plaidait pour le regroupement desdits marchés à ce niveau ».

51      La Cour a ainsi pris en compte, dans l’arrêt Commission/France, précité, un élément géographique pour vérifier si le caractère unitaire de la fonction technique et économique des travaux subsistait pour les différents réseaux locaux soit de distribution d’électricité (points 64 et 65), soit d’éclairage public (points 69 et 70), dans une zone géographique plus étendue et que ces réseaux locaux pouvaient dès lors être regroupés en un réseau unique, en se fondant sur la possibilité d’interconnexion entre ces réseaux locaux.

52      S’agissant de l’aspect temporel, la Cour a mentionné, dans l’arrêt Commission/France, précité, « la simultanéité de lancement des marchés litigieux » (point 65).

53      Il convient de considérer que les aspects géographique et temporel ne constituent pas des critères destinés à définir un ouvrage au sens de l’article 14, paragraphe 10, premier alinéa, de la directive 93/38, mais constituent des éléments nécessaires afin de corroborer l’existence d’un tel ouvrage, car seuls des travaux se situant dans un cadre géographique et temporel déterminé peuvent être considérés comme un ouvrage unique.

54      Il y a lieu de relever que, dans la décision attaquée, la Commission a fait référence à l’élément géographique (considérants 24 et 26 de la décision attaquée) et à l’élément temporel du fait du regroupement de marchés relatifs à des projets relevant d’une même phase, soit la phase SPWS, soit la phase FIMMA 97. Partant, la Commission n’a pas commis d’erreur en procédant à une analyse des marchés litigieux en appliquant des éléments géographique et temporel, sans les considérer comme des critères fonctionnels afin de définir les ouvrages en cause.

55      En troisième lieu, selon le Royaume d’Espagne, la Commission semble avoir utilisé des critères quelque peu particuliers pour déterminer l’infraction des autorités espagnoles, tels que la capacité des soumissionnaires potentiels ou l’utilité pour ceux-ci d’effectuer certains ou tous les marchés à la fois (considérant 9 de la décision attaquée).

56      Dans la décision attaquée, la Commission a effectivement mentionné certains éléments concernant les soumissionnaires potentiels dans la partie relative à l’évaluation initiale (considérant 9).

57      À cet égard, dans l’arrêt Commission/France, précité, la Cour a considéré que la définition d’un ouvrage que comporte l’article 14, paragraphe 10, premier alinéa, de la directive 93/38 ne subordonne pas l’existence d’un ouvrage au concours d’éléments tels que le nombre d’entités adjudicatrices ou la possibilité de réalisation de l’ensemble des travaux par une seule entreprise (point 43). Elle a relevé que, si l’existence d’une seule et même entité adjudicatrice et la possibilité pour une entreprise de l’Union de réaliser l’ensemble des travaux qui étaient visés par les marchés concernés peuvent, selon les circonstances, constituer des indices corroborant l’existence d’un ouvrage au sens de la directive, elles ne sauraient, en revanche, constituer des critères déterminants à cet égard. Elle a ajouté que « la pluralité d’entités adjudicatrices et l’impossibilité de réalisation de l’ensemble des travaux concernés par une seule entreprise [n’étaient] pas de nature à remettre en cause l’existence d’un ouvrage lorsque cette conclusion s’imposait en application des critères fonctionnels définis à l’article 14, paragraphe 10, premier alinéa, seconde phrase, de la directive » (point 42).

58      Dès lors, il ressort de l’arrêt Commission/France, précité, que l’utilisation de certains éléments, relatifs notamment aux soumissionnaires potentiels, est possible, mais qu’ils ne peuvent ni être déterminants, ni remettre en cause la conclusion de l’existence d’un ouvrage fondée sur la réunion des critères de la fonction technique et de la fonction économique du résultat des travaux.

59      Par conséquent, il convient d’examiner l’application de ces critères aux marchés en cause dans la décision attaquée et d’apprécier si la Commission les a considérés à juste titre comme étant remplis afin de conclure à l’existence de deux ouvrages. Il conviendra ensuite d’examiner à quel titre d’autres éléments ont été pris en considération.

 Sur l’application de la notion d’ouvrage au sens de l’article 14, paragraphe 10, premier alinéa, de la directive 93/38 aux marchés litigieux dans la décision attaquée

60      Le Royaume d’Espagne invoque une absence d’analyse objective des ouvrages dans la perspective technico-économique, géographique et temporelle, le caractère erroné de l’application de ces critères en l’espèce ainsi que l’application de critères singuliers.

61      La Commission a estimé, dans la décision attaquée, qu’il existait deux groupes d’ouvrages constitués, d’une part, de huit projets de la phase SPWS [(considérant 24, sous a)] et, d’autre part, de quatre projets de la phase FIMMA 97 [(considérant 24, sous b)]. Par conséquent, il convient d’examiner successivement chacun de ces deux groupes.

 – Sur les huit marchés litigieux de la phase SPWS

62      Le Royaume d’Espagne invoque une absence de rigueur de la part de la Commission dans l’examen technico-économique et procède à une analyse, sur les plans technique et économique, des huit marchés litigieux de la phase SPWS, mentionnés au point 14 ci-dessus, concernant six collecteurs d’eaux usées, un déversoir d’eaux de pluie et un réseau secondaire de collecteurs, lesquels constitueraient des projets indépendants.

63      En premier lieu, concernant la fonction technique de ces travaux, le Royaume d’Espagne fait valoir qu’elle est différente pour chacun des projets en cause.

64      Toutefois, l’analyse de la Commission n’a pas consisté à examiner les différents travaux, visés par les marchés litigieux, de manière indépendante et à apprécier leur fonction technique propre, comme le Royaume d’Espagne le préconise, mais elle a examiné, conformément à la jurisprudence citée au point 45 ci-dessus, si le résultat des travaux présentait une même fonction technique.

65      De cette manière, la Commission a considéré qu’il s’agissait de travaux dont le résultat était l’amélioration globale du réseau d’assainissement et qu’ils devaient remplir la même fonction technique (considérant 24 de la décision attaquée).

66      D’une part, il convient de relever que, s’agissant des six collecteurs et du réseau secondaire de collecteurs, ils recueillent tous des eaux usées pour leur gestion dans le cadre du réseau d’assainissement.

67      D’autre part, concernant le déversoir d’eaux de pluie, le Royaume d’Espagne soutient que celui-ci présente une fonction technique différente, laquelle ne consiste pas à gérer ou à traiter des eaux usées, mais à éviter que des inondations ne se produisent en cas de pluies excessives. Toutefois, il ne soutient pas que, en l’espèce, ledit déversoir ne participe pas, avec les collecteurs et le réseau secondaire de collecteurs, à la fonction technique du réseau d’assainissement. Comme la Commission le soutient à juste titre, ce déversoir sert à éviter l’augmentation inutile du volume d’eau à traiter par une station d’épuration et à limiter la pollution des eaux réceptrices par les surcharges résultant de pluies abondantes, contribuant de cette façon à une meilleure gestion des eaux usées. En outre, le Royaume d’Espagne fait valoir que le déversoir en cause ne traite pas d’eaux usées, mais n’affirme pas que celui-ci ne déverse pas d’eaux usées. Il précise qu’il n’est pas possible d’opérer une séparation stricte entre les eaux de pluie, qui passeraient par le déversoir en question, et les eaux usées, qui passeraient par les collecteurs. Il convient de constater que le déversoir concerné déverse des eaux de pluie et des eaux usées afin de soulager les collecteurs d’eaux usées et de permettre un meilleur fonctionnement au réseau d’assainissement.

68      À cet égard, il y a lieu de relever que les autorités espagnoles ont indiqué, en réponse au questionnaire de la demande de concours présentée en 1996, que l’objectif du projet d’assainissement consistait dans la construction d’une série de collecteurs destinés à compléter la zone qui conduisait les eaux usées à la station d’épuration de la Almozara. Il est également mentionné qu’il était prévu la construction d’un déversoir des crues, lequel déverserait dans le fleuve Èbre les eaux de pluie qu’un collecteur ne pouvait pas transporter, uniquement dans les moments de forte pluie et avec un degré de dilution des eaux usées adéquat. Enfin, il est précisé que l’objet principal de l’ensemble des projets était « d’assainir les structures obsolètes existantes et de remédier aux déficiences du système en dotant la commune d’un réseau d’égouts capable d’acheminer les eaux usées vers les collecteurs principaux, évitant ainsi les inondations, les fuites vers la nappe phréatique et les écoulements incontrôlés d’eaux usées ». La même description de cet objet principal est reprise dans la décision de 1996, dans la fiche synoptique en annexe, résumant le projet. Il en découle que, selon le Royaume d’Espagne lui-même, il existe un lien, dans le cadre du réseau d’assainissement, entre le transport des eaux usées et le fait d’éviter les inondations par le biais du déversoir.

69      Il y a lieu de conclure que les huit projets ne sont pas indépendants, comme le soutient le Royaume d’Espagne, mais qu’ils appartiennent tous au même projet relatif au réseau d’assainissement, lequel est, selon le questionnaire de la demande de concours présentée en 1996 et la fiche synoptique en annexe de la décision de 1996, la constitution d’un réseau d’égouts capable d’acheminer les eaux usées vers les collecteurs principaux, évitant ainsi les inondations, les fuites vers la nappe phréatique et les écoulements incontrôlés d’eaux usées. Comme la Commission l’a estimé à juste titre, les travaux en cause de la phase SPWS ont poursuivi un objectif semblable, lequel est de fournir ou de renouveler le système d’égouts pour différents secteurs, y compris l’installation de collecteurs d’eaux usées et de déversoirs [considérant 24, sous a), de la décision attaquée]. Ils constituent ainsi effectivement une série de travaux, dont le résultat est l’amélioration globale du réseau d’assainissement pour les utilisateurs finaux (considérant 24 de la décision attaquée). Conformément à l’article 14, paragraphe 10, premier alinéa, de la directive 93/38 et à l’arrêt Commission/France, précité, le résultat de cette série de travaux est destiné à remplir par lui-même une fonction technique, qui est l’assainissement des eaux usées.

70      Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argumentation du Royaume d’Espagne selon laquelle la directive 93/38 n’est pas applicable aux déversoirs dans la mesure où ils ne sont pas destinés à l’évacuation des eaux usées. D’une part, ainsi qu’il a déjà été relevé (voir point 67 ci-dessus), il est erroné de soutenir que le déversoir en cause n’évacue que des eaux de pluie. D’autre part, comme le fait valoir à juste titre la Commission, il convient de considérer que le champ d’application de l’article 6, paragraphe 2, sous b), de la directive 93/38 ne se limite pas aux installations qui évacuent ou traitent directement des eaux usées, mais que cette disposition s’applique aux marchés qui « sont liés à l’évacuation ou au traitement des eaux usées », ce qui comprend les déversoirs.

71      Par ailleurs, il convient d’écarter l’argumentation avancée par le Royaume d’Espagne afin de contester l’argumentation de la Commission selon laquelle l’assimilation à un ouvrage unique d’une série d’actions relatives à différents types de collecteurs d’eaux usées urbaines est corroborée par la directive 91/271/CEE du Conseil, du 21 mai 1991, relative au traitement des eaux urbaines résiduaires (JO L 135, p. 40). En effet, la directive concerne notamment la collecte, le traitement et le rejet des eaux urbaines résiduaires, qu’elle définit en son article 2, paragraphe 1, comme incluant les eaux de ruissellement. Par ailleurs, à supposer même que la directive individualise le régime applicable aux stations d’épuration des eaux, le Royaume d’Espagne n’explique pas la conséquence qu’il convient d’en tirer quant aux projets en cause, dont aucun ne porte sur une station d’épuration des eaux.

72      En second lieu, le Royaume d’Espagne conteste l’identité des fonctions économiques des projets en cause. Les eaux de pluie ne seraient pas soumises à la taxe spécifique sur les services d’assainissement des eaux usées, prélevée par la municipalité de Saragosse. Dès lors, une taxe ou un impôt individualisé ne pourrait pas être prélevé pour le déversoir d’eaux de pluie. En outre, en réponse à la Commission, le Royaume d’Espagne soutient que, même si cette taxe spécifique est destinée à financer les frais d’exploitation du réseau, elle reste insuffisante et requiert des apports des budgets de la commune. Cela impliquerait que, si la gestion des eaux résiduaires est effectivement partiellement couverte par les revenus provenant de la taxe, les infrastructures du réseau destinées à la collecte et au traitement des eaux de pluie devraient être financées au moyen de fonds publics. Il existerait une différence essentielle entre la taxe pour le traitement des eaux résiduaires et le paiement d’un service public fourni par les déversoirs d’eaux de pluie, ce qui démontrerait l’absence de toute identité sur le plan économique. La taxe pour le traitement des eaux résiduaires serait, en effet, fixée en fonction des rejets effectifs de déchets de chaque ménage, c’est-à-dire une taxe individualisée en fonction de la consommation propre de chaque assujetti, alors que le paiement du service public fourni par les déversoirs d’eaux de pluie pourrait éventuellement être répercuté sur la population, mais sans moduler les montants exigés en fonction de l’utilité retirée par les personnes concernées.

73      Dans la décision attaquée, la Commission a considéré que, sur le plan économique, « les utilisateurs finaux [devaient] payer le prestataire de services pour ce qu’ils utilisent » (considérant 24).

[omissis]

75      Premièrement, lors de l’audience, en réponse à une question du Tribunal, le Royaume d’Espagne a confirmé que la taxe d’assainissement spécifique sur les services d’assainissement des eaux usées, prélevée par la municipalité de Saragosse, à laquelle il se réfère dans la requête, était prévue par l’article 2 du chapitre 2, intitulé « Service d’assainissement des eaux résiduaires », de l’ordonnance fiscale no 24.25 de la municipalité de Saragosse relative à la taxe sur les services d’approvisionnement en eau potable et d’assainissement des eaux résiduaires, cet article étant cité par la Commission dans ses écritures. En vertu de cette disposition, « [l]e fait imposable pour cette taxe correspond à la prestation du service d’assainissement des eaux résiduaires lorsqu’il s’agit d’eaux de pluies et/ou résiduaires recueillies dans les collecteurs et canalisations de propriété ou d’entretien municipal, puisque c’est alors la municipalité de Saragosse qui assume la gestion de ces eaux, y compris les coûts inhérents à leur transport, à leur traitement et à leur rejet dans les cours d’eau naturels aux conditions prévues par les autorisations de déversement délivrées par la Confédération hydrographique de l’Èbre ». Il ressort de cette disposition qu’elle ne procède pas à une distinction entre les eaux usées et les eaux de pluie.

76      Deuxièmement, force est de constater que l’argumentation du Royaume d’Espagne relative au financement des infrastructures du réseau destinées à la collecte et au traitement des eaux de pluie n’est pas étayée, le Royaume d’Espagne se bornant à soutenir que lesdites infrastructures doivent être financées au moyen de fonds publics. Par ailleurs, le Royaume d’Espagne n’a pas apporté d’éléments susceptibles de démontrer que ces infrastructures ne sont pas financées, même partiellement, par la taxe spéciale d’assainissement.

77      Par conséquent, il convient de conclure que les travaux en cause de la phase SPWS constituent des éléments d’un ensemble dont le résultat est destiné à remplir par lui-même une fonction économique.

78      Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de considérer que le Royaume d’Espagne n’a pas démontré que la Commission a commis une erreur en concluant, au considérant 26 de la décision attaquée, que les travaux en cause de la phase SPWS devaient remplir une même fonction technique et économique au sens de l’article 14, paragraphe 10, premier alinéa, de la directive 93/38.

 – Sur les quatre marchés litigieux de la phase FIMMA 97

79      Le Royaume d’Espagne invoque une absence de rigueur de la part de la Commission dans l’examen technico-économique et procède à une analyse, sur les plans technique et économique, des quatre marchés litigieux de la phase FIMMA 97, mentionnés au point 15 ci-dessus, concernant une usine de traitement de boues, un collecteur de connexion et des collecteurs, dont ceux de la rivière Gállego. Il procède ensuite à une analyse des marchés de ladite phase et conclut que chaque projet doit être considéré comme étant indépendant des autres et qu’une publication des avis de marchés au Journal officiel n’était pas requise.

80      En premier lieu, concernant la fonction technique des projets de la phase FIMMA 97, la Commission a considéré dans la décision attaquée que les quatre projets ne constituaient qu’un seul ouvrage, ce que conteste le Royaume d’Espagne.

81      Selon le questionnaire de la demande de concours présentée en 1997, les projets de la phase FIMMA 97 répondaient à trois objectifs distincts. Or, il y a lieu de relever, à l’instar de la Commission, que les quatre projets litigieux de ladite phase appartenaient à un même groupe, répondant au même objectif qui était l’« élimination des rejets d’eaux usées non épurées ».

82      Concernant le collecteur de connexion, le Royaume d’Espagne soutient que « sa fonction n’est pas, comme celle des autres collecteurs, de recueillir et de transporter les eaux usées ou de pluie respectivement vers les stations d’épuration ou les déversoirs », mais il indique que ce collecteur de connexion « tente de pallier des déséquilibres en matière de structures d’assainissement dus à la croissance asymétrique de la ville de Saragosse ». Contrairement aux allégations du Royaume d’Espagne, il est dès lors erroné de soutenir que le collecteur de connexion entre les deux stations d’épuration est une « infrastructure totalement indépendante des autres collecteurs », dans la mesure où ledit collecteur est intégré au réseau d’assainissement de la ville de Saragosse. Le Royaume d’Espagne distingue ainsi la fonction technique de chacun des projets, sans prendre en considération le fait qu’il s’agit d’un ensemble de travaux, dont le résultat est l’amélioration globale du réseau d’assainissement pour les utilisateurs finaux (considérant 24 de la décision attaquée) et est destiné à remplir par lui-même une fonction technique, qui est l’assainissement des eaux usées.

83      En effet, s’agissant de l’usine de traitement de boues, le Royaume d’Espagne soutient que, à la différence des collecteurs, elle n’a pas pour fonction de transporter des eaux de pluie ou usées, mais d’éviter le déversement des boues issues du processus de potabilisation de l’eau à des fins de consommation personnelle, commerciale ou industrielle de toute la ville dans la rivière Huerva. Toutefois, il ne s’agit pas de déterminer si l’usine de traitement de boues a en elle-même une fonction technique différente de celle d’un collecteur, mais d’apprécier si, au regard de l’article 14, paragraphe 10, premier alinéa, de la directive 93/38, les collecteurs et l’usine de traitement de boues appartiennent à une série de travaux, dont le résultat a une fonction technique commune, laquelle est l’assainissement des eaux usées. Or, le Royaume d’Espagne ne nie pas que les usines de traitement des boues contribuent à l’assainissement des eaux usées de la ville de Saragosse.

84      En outre, l’argument du Royaume d’Espagne selon lequel le profil du soumissionnaire pour le marché relatif à un collecteur est complètement différent de celui pour un marché relatif à l’usine de traitement de boues doit être écarté, dans la mesure où il ne s’agit pas de l’un des critères permettant de qualifier un ouvrage au sens de l’article 14, paragraphe 10, premier alinéa, de la directive 93/38.

85      Enfin, le Royaume d’Espagne conteste l’argument de la Commission selon lequel il existe une équivalence, sur le plan technique, entre les collecteurs et les stations de traitement de boues, lesquelles présenteraient un caractère accessoire par rapport au traitement des eaux usées. Il fait valoir à cet égard qu’il s’agit en l’espèce d’une usine de traitement de boues en provenance d’une unité de potabilisation de l’eau, et non d’une station d’épuration. Toutefois, force est de constater que le Royaume d’Espagne n’explique pas la raison pour laquelle le fait qu’il s’agisse d’une telle usine de traitement de boues implique qu’elle ne participe pas, de manière accessoire, au traitement des eaux usées, dans la mesure où cette usine répond à l’objectif d’élimination des rejets d’eaux usées non épurées, ainsi que le questionnaire de la demande de financement présentée en 1997 le précise.

[omissis]

87      Il y a lieu de conclure que les quatre projets ne sont pas indépendants, comme le soutient le Royaume d’Espagne, mais qu’ils appartiennent tous au même projet relatif au réseau d’assainissement. Comme la Commission l’a estimé, à juste titre, les travaux en cause de la phase FIMMA 97 ont poursuivi un objectif semblable, lequel est d’installer des collecteurs le long des rivières Huerva et Gállego, afin de desservir les zones qui envoyaient encore l’effluent directement dans les rivières, et de remettre en état les deux installations de traitement des eaux usées vers lesquelles ces dernières sont acheminées [considérant 24, sous b), de la décision attaquée]. Ils constituent ainsi une série de travaux, dont le résultat est l’amélioration globale du réseau d’assainissement pour les utilisateurs finaux (considérant 24 de la décision attaquée). Conformément à l’article 14, paragraphe 10, premier alinéa, de la directive 93/38 et à l’arrêt Commission/France, précité, le résultat de cette série de travaux est destiné à remplir par lui-même une fonction technique, qui est l’assainissement des eaux usées.

[omissis]

89      Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de considérer que le Royaume d’Espagne n’a pas démontré que la Commission avait commis une erreur en considérant, au considérant 26 de la décision attaquée, que les travaux en cause de la phase FIMMA 97 devaient remplir une même fonction technique et économique au sens de l’article 14, paragraphe 10, premier alinéa, de la directive 93/38.

 – Conclusions

90      Partant, concernant les projets en cause des phases SPWS et FIMMA 97, le Royaume d’Espagne n’a pas démontré que la Commission avait conclu de manière erronée, au considérant 26 de la décision attaquée, que lesdits projets formaient, pour chacune des deux phases, un ouvrage scindé artificiellement au sens de l’article 14, paragraphe 10, premier alinéa, et paragraphe 13, de la directive 93/38. Par analogie avec la situation ayant donné lieu à l’arrêt Commission/France, précité, les projets en cause consistent, en effet, en deux séries de travaux ponctuels relatifs au réseau d’assainissement existant et dont le résultat, une fois les travaux achevés, fait partie intégrante de la fonction remplie par ledit réseau.

91      Cette conclusion n’est pas remise en cause par les arguments du Royaume d’Espagne relatifs aux autres critères qu’il invoque, à savoir les éléments géographique et temporel, ou à ceux qui auraient été utilisés de manière erronée par la Commission dans la décision attaquée.

92      En premier lieu, s’agissant des aspects géographique et temporel, il convient de rappeler que, selon l’article 14, paragraphe 10, premier alinéa, de la directive 93/38 et son interprétation par la Cour dans l’arrêt Commission/France, précité, il ne s’agit pas en soi de critères ressortant du texte, voire de la jurisprudence (voir point 53 ci-dessus).

93      Premièrement, s’agissant de l’aspect géographique, la Commission a indiqué, dans la décision attaquée, au considérant 24, que, « en ce qui concernait les huit projets de [la phase] SPWS, […], la seule différence [était] le fait que [les travaux avaient] été effectués dans des secteurs géographiquement différenciés » et que, « en ce qui concernait les quatre projets de [la phase FIMMA 97], la seule différence [était] le fait que [les travaux avaient] été effectués dans des secteurs géographiquement différenciés ». La Commission a ajouté, au considérant 26, que « les travaux [avaient] été réalisés dans une seule zone géographique ».

94      À cet égard, le Royaume d’Espagne invoque l’existence d’une contradiction dans la décision attaquée, tenant à ce que la Commission a affirmé de manière paradoxale à la fois l’existence d’une dispersion géographique et d’une seule zone géographique. Force est de constater toutefois que le Royaume d’Espagne procède à la même affirmation en soutenant que, « malgré le fait [que les ouvrages en cause] se rapportaient à un seul et unique territoire, [ils] étaient considérablement éloignés les uns des autres et déconnectés du point de vue géographique ».

95      Le Royaume d’Espagne invoque en fait une absence de connexion physique entre les travaux prévus dans le cadre des projets en cause, laquelle aurait dû prohiber la Commission de conclure à l’existence de deux ouvrages. Toutefois, à supposer cette absence de connexion physique établie, il n’en demeure pas moins que les divers travaux font partie intégrante de la fonction remplie par le réseau d’assainissement de la ville de Saragosse, ce qui permet de considérer qu’ils relèvent du même ouvrage. Partant, il importe peu que les lesdits travaux soient dispersés sur le réseau, et non directement connectés physiquement, dans la mesure où comme la Commission le fait valoir, sans être contredite par le Royaume d’Espagne, ils se situent à l’intérieur de la zone couverte par le réseau d’égouts et de collecteurs géré par la municipalité de Saragosse. Par conséquent, comme la Commission l’a mentionné dans la décision attaquée, même s’ils sont « effectués dans des secteurs géographiquement différenciés », ils le sont « dans une seule zone géographique ». L’argumentation du Royaume d’Espagne relative à une prétendue contradiction à cet égard dans la décision attaquée ne saurait dès lors prospérer.

96      L’argument du Royaume d’Espagne établissant un parallèle avec la situation examinée dans l’arrêt Commission/France, précité, doit donc être rejeté. Le Royaume d’Espagne n’a apporté aucun élément de nature à établir que les marchés litigieux concernaient des réseaux d’assainissement différents et pour lesquels il conviendrait d’examiner s’ils pouvaient être regroupés.

97      Enfin, en réponse à l’argument de la Commission selon lequel la directive 91/271 utilise l’agglomération comme cadre géographique de référence, le Royaume d’Espagne soutient que cette référence est dépourvue de toute pertinence afin de définir un ouvrage au sens de la réglementation afférente aux marchés publics. Le fait que cette directive utilise l’agglomération comme cadre géographique de référence aurait un sens dans le cadre du traitement des eaux résiduaires et de la protection de la santé publique. À cet égard, il y a lieu de considérer que, dans la mesure où le résultat des divers travaux fait partie intégrante de la fonction remplie par le réseau d’assainissement de la ville de Saragosse, c’est la couverture de ce réseau qui constitue la zone géographique pertinente, que celui-ci soit lié à l’agglomération urbaine ou au territoire municipal.

98      Il convient, dès lors, de conclure que l’argumentation du Royaume d’Espagne ne saurait prospérer quant à l’application d’un prétendu critère géographique, laquelle aurait dû conduire la Commission à considérer, dans la décision attaquée, que les projets en cause ne formaient pas deux ouvrages au sens de l’article 14, paragraphe 10, premier alinéa, de la directive 93/38.

99      Deuxièmement, s’agissant de l’aspect temporel, la Commission a retenu, dans la décision attaquée, deux groupes de projets, l’un pour la phase SPWS et l’autre pour la phase FIMMA 97.

100    À cet égard, à supposer que le Royaume d’Espagne ait un intérêt à contester cette division en deux décisions, son argumentation selon laquelle il n’était pas possible de définir deux groupes simplement eu égard au fait que les projets avaient été approuvés dans deux décisions différentes doit être écartée. En effet, comme la Commission le fait valoir, le fait qu’elle a retenu deux groupes de projets découle d’une application de l’élément temporel, puisque le regroupement des travaux était lié à leur appartenance à deux phases, temporellement distinctes, du plan d’assainissement de Saragosse.

101    Par ailleurs, le Royaume d’Espagne remet en cause le fait que les projets litigieux puissent être considérés comme relevant d’une même unité de temps, au sein de chacune des deux phases. Il conteste l’analyse a posteriori de la Commission, qui n’aurait pas réfuté, pendant la procédure administrative, l’argument du Royaume d’Espagne selon lequel les contrats ont été conclus au cours d’une période de quatorze mois pour la phase SPWS et de vingt mois pour la phase FIMMA 97.

102    Comme il a déjà été précisé (voir points 50, 52 et 53 ci-dessus), la Cour, dans l’arrêt Commission/France, précité, n’a pas défini un critère temporel, mais a pris en considération l’aspect temporel comme un élément d’appréciation. Il convient de relever que la Cour ne mentionne pas l’existence d’une unité temporelle, mais la « simultanéité de lancement des marchés litigieux », tandis que, comme la Commission le soutient, l’avocat général M. Jacobs dans ses conclusions sous l’arrêt Commission/France, précité (Rec. p. I‑8341, I‑8318), s’est référé à une « période déterminée » (point 72).

103    En l’espèce, comme la Commission le relève à juste titre, les appels d’offres ont été publiés au cours d’une même période de temps pour chacun des groupes de projets en cause. Ainsi, sur les huit marchés de la phase SPWS, sept ont été publiés en moins de cinq mois, entre le 29 juillet 1997 et le 17 décembre 1997, cinq l’ayant été en deux dates, et un a été publié le 24 juillet 1998, mais avec un délai d’exécution de quatre mois. Concernant les quatre marchés de la phase FIMMA 97, les appels d’offres ont été publiés en moins de sept mois, entre le 13 novembre 1998 et le 9 juin 1999.

[omissis]

107    En conclusion, l’argumentation du Royaume d’Espagne quant à l’existence d’un prétendu critère temporel, dont l’application en l’espèce permettrait de considérer que la Commission a conclu de manière erronée, dans la décision attaquée, à l’existence de deux ouvrages ne saurait prospérer.

108    En second lieu, le Royaume d’Espagne prétend que la Commission s’est appuyée dans la décision attaquée sur des critères quelque peu particuliers pour déterminer l’infraction des autorités espagnoles, tels que la capacité des soumissionnaires potentiels ou l’utilité pour ceux-ci d’effectuer certains ou tous les marchés à la fois (considérant 9 de la décision attaquée).

109    Dans la décision attaquée, la Commission a effectivement mentionné certains éléments tenant aux soumissionnaires potentiels dans la partie relative à l’évaluation initiale (considérant 9). Elle les a également mentionnés dans l’évaluation finale (considérant 25), tout en utilisant une formulation différente.

110    Il ressort toutefois des considérants 24 et 26 de la décision attaquée que la Commission a conclu à l’existence de deux ouvrages au sens de l’article 14, paragraphe 10, premier alinéa, de la directive 93/38 en raison de la réunion des critères fonctionnels technique et économique. Partant, les éléments mentionnés au considérant 25 de la décision attaquée sont seulement venus confirmer une conclusion fondée sur ces critères fonctionnels. Par conséquent, la mention de tels éléments n’est pas de nature à remettre en cause la légalité de la décision attaquée.

111    À titre surabondant, il convient de relever que, concernant les références aux soumissionnaires potentiels, au considérant 25 de la décision attaquée, la Cour a précisé, dans l’arrêt Commission/France, précité, point 42, que « la possibilité pour une entreprise de la Communauté de réaliser l’ensemble des travaux qui sont visés par les marchés concernés » peut constituer un indice corroborant l’existence d’un ouvrage au sens de la directive 93/38.

112    Par ailleurs, au considérant 25 de la décision attaquée, la Commission a mentionné l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/38. Or, cette disposition interdit toute discrimination entre les soumissionnaires, en protégeant également ceux qui ont été dissuadés de soumissionner, parce qu’ils ont été désavantagés par la procédure suivie par l’entité adjudicatrice (arrêt Commission/France, précité, point 109). Les éléments relatifs aux soumissionnaires potentiels, au considérant 25 de la décision attaquée, sont dès lors mentionnés également eu égard à l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/38.

113    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de conclure que le Royaume d’Espagne n’a pas démontré que la Commission avait commis une erreur dans la décision attaquée tant en ce qui concerne la définition des critères permettant de qualifier un ouvrage au sens de l’article 14, paragraphe 10, premier alinéa, de la directive 93/38 qu’en ce qui concerne l’application de ceux-ci au cas d’espèce. En effet, les travaux en cause constituent deux séries de travaux ponctuels portant sur le réseau d’assainissement de Saragosse et dont le résultat, après l’achèvement de ces travaux, fait partie intégrante de la fonction remplie par ce réseau. Partant, le Royaume d’Espagne n’a pas démontré que la Commission avait erronément conclu à l’existence de deux ouvrages, l’un pour la phase SPWS et l’autre pour la phase FIMMA 97.

114    Par conséquent, il convient de rejeter la première branche du premier moyen.

 Sur la seconde branche, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation de la Commission quant à l’existence d’un caractère intentionnel

115    Le Royaume d’Espagne soutient, en substance, que la violation de l’article 14, paragraphe 13, de la directive 93/38 suppose une intention qui doit être prouvée par la Commission. À cet égard, il y aurait lieu de prendre en considération uniquement la réglementation relative aux marchés publics, et non le règlement no 1164/94. La Commission n’aurait cependant pas apporté la preuve d’une telle intention. En tout état de cause, le Royaume d’Espagne affirme avoir agi avec transparence ainsi qu’en toute bonne foi et en pleine coopération avec la Commission tout au long de la procédure.

116    En l’espèce, par la décision attaquée, la Commission a considéré que les autorités espagnoles avaient enfreint l’article 14, paragraphe 13, de la directive 93/38 et a imposé une correction financière au Royaume d’Espagne, conformément à l’article H de l’annexe II du règlement no 1164/94.

117    Comme le Royaume d’Espagne le fait valoir à juste titre, l’avocat général M. Jacobs dans ses conclusions sous l’arrêt Commission/France, précitées, avait soutenu que la rédaction de l’article 14, paragraphe 13, de la directive 93/38 impliquait un degré d’intention dans la conduite suivie (points 37 à 39).

118    La Cour a toutefois considéré, dans son arrêt Commission/France, précité (point 31), que l’article 14, paragraphe 13, de la directive 93/38 exprimait de manière concrète les obligations qui découlaient pour les entités adjudicatrices de l’article 14, paragraphe 10, premier alinéa, de la directive 93/38 et devait, dès lors, être pris en considération conjointement avec ce dernier en vue de statuer sur l’existence d’une scission d’ouvrage. La Cour n’a pas recherché si les entités adjudicatrices avaient intentionnellement scindé un ouvrage unique au sens de l’article 14, paragraphe 10, premier alinéa, de la directive 93/38.

119    Dès lors, il convient de considérer que, en l’espèce, la Commission n’était pas tenue de démontrer, au regard de l’article 14, paragraphe 13, de la directive 93/38, l’existence d’une intention des autorités espagnoles de scinder, en différents marchés, un ouvrage unique au sens de l’article 14, paragraphe 10, premier alinéa, de la directive 93/38. Par conséquent, aucune charge de la preuve ne pesait sur elle à cet égard et il ne peut pas lui être reproché, le cas échéant, de ne pas avoir démontré une telle intention.

120    Cette conclusion n’est pas remise en cause par les arguments du Royaume d’Espagne selon lesquels les autorités espagnoles ont coopéré loyalement avec la Commission et ont agi avec transparence et bonne foi. En effet, aucun élément intentionnel de la part des autorités concernées n’étant requis afin de constater une violation de l’article 14, paragraphe 13, de la directive 93/38, les considérations relatives au comportement des autorités espagnoles en l’espèce sont dépourvues de pertinence aux fins de démontrer que la Commission a erronément conclu à l’existence d’une violation de cette disposition.

[omissis]

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Le Royaume d’Espagne est condamné aux dépens.

Truchot

Martins Ribeiro

Popescu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 juillet 2013.

Signatures


* Langue de procédure : l’espagnol.


1 Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.