Language of document : ECLI:EU:T:2013:594

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

14 novembre 2013 (*)

« REACH – Mesures transitoires concernant les restrictions applicables à la fabrication, à la mise sur le marché et à l’utilisation de cadmium et de ses composés – Annexe XVII du règlement (CE) nº 1907/2006 – Restrictions à l’utilisation de pigments de cadmium dans des matières plastiques – Erreur manifeste d’appréciation – Analyse des risques »

Dans l’affaire T‑456/11,

International Cadmium Association (ICdA), établie à Bruxelles (Belgique),

Rockwood Pigments (UK) Ltd, établie à Stoke-on-Trent (Royaume-Uni),

James M Brown Ltd, établie à Stoke-on-Trent,

représentées initialement par Mes K. Van Maldegem et R. Cana, avocats, puis par Me Cana,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée initialement par MM. P. Oliver et E. Manhaeve, en qualité d’agents, assistés de Mme K. Sawyer, barrister, puis par MM. Oliver et Manhaeve,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation partielle du règlement (UE) no 494/2011 de la Commission, du 20 mai 2011, modifiant le règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), en ce qui concerne l’annexe XVII (cadmium) (JO L 134, p. 2), pour autant qu’il restreint l’utilisation des pigments de cadmium dans des matières plastiques autres que celles pour lesquelles cette utilisation était limitée avant l’adoption du règlement no 494/2011,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé, lors du délibéré, de M. A. Dittrich (rapporteur), président, Mme I. Wiszniewska-Białecka et M. M. Prek, juges,

greffier : Mme S. Spyropoulos, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 27 juin 2013,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La première requérante, International Cadmium Association (ICdA), est une association internationale sans but lucratif qui est établie en Belgique. Ses membres sont des producteurs, des consommateurs, des transformateurs et des recycleurs de cadmium et de ses composés. Selon ses statuts, sa mission est de promouvoir les intérêts de l’industrie du cadmium, en ce compris la représentation de ses membres devant tout organisme privé ou public et devant toute autorité nationale ou internationale. Les deuxième et troisième requérantes, Rockwood Pigments (UK) Ltd et James M Brown Ltd, sont des sociétés membres de l’ICdA. Leur principale activité est la fabrication au sein de l’Union européenne et la vente à travers l’Union et le monde de pigments de cadmium, à savoir d’orange de sulfoséléniure de cadmium (no CAS 1256‑57‑4), de rouge de sulfoséléniure de cadmium (no CAS 58339‑34‑7) et de sulfure de zinc de cadmium (no CAS 8048‑07‑5).

2        Le cadmium (no CAS 7440‑43‑9) est un élément métallique minoritaire présent dans l’environnement au travers des ressources naturelles, de processus tels que l’érosion et l’abrasion des roches et des sols ou d’événements spécifiques, comme les feux de forêts ou les éruptions volcaniques. Cette substance est produite à des fins commerciales, principalement comme un sous-produit de la production du zinc et, dans une moindre mesure, du cuivre et du plomb. Pour certaines de ses utilisations intentionnelles, le cadmium métallique est transformé ou modifié en composés de cadmium. Les pigments de cadmium sont des agents colorants inorganiques stables qui peuvent être produits dans une gamme de tons brillants d’orange, de rouge, de jaune et de marron. Ces pigments sont utilisés dans des produits en plastique.

3        Le cadmium a été classifié parmi les substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction par la directive 2004/73/CE de la Commission, du 29 avril 2004, portant vingt-neuvième adaptation au progrès technique de la directive 67/548/CEE du Conseil concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à la classification, l’emballage et l’étiquetage des substances dangereuses (JO L 152, p. 1). Cette classification a été reprise par le règlement (CE) no 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges, modifiant et abrogeant les directives 67/548/CEE et 1999/45/CE et modifiant le règlement (CE) no 1907/2006 (JO L 353, p. 1).

4        Le 27 juillet 1976, le Conseil des Communautés européennes a adopté la directive 76/769/CEE concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la limitation de la mise sur le marché et de l’emploi de certaines substances et préparations dangereuses (JO L 262, p. 201). Par la directive 91/338/CEE du 18 juin 1991, portant dixième modification de la directive 76/769 (JO L 186, p. 59), le Conseil a limité la mise sur le marché et l’emploi du cadmium et de ses composés, de sorte qu’ils n’étaient pas admis notamment pour colorer les produits finis fabriqués au départ des substances et préparations énumérées dans la directive 91/338 et pour stabiliser les produits finis exhaustivement cités, fabriqués au départ des polymères et des copolymères du chlorure de vinyle (PVC).

5        Le 23 mars 1993, le Conseil a adopté le règlement (CEE) no 793/93 concernant l’évaluation et le contrôle des risques présentés par les substances existantes (JO L 84, p. 1). Conformément à l’article 8 dudit règlement, la Commission des Communautés européennes, en consultation avec les États membres, devait régulièrement dresser des listes de substances ou de groupes de substances prioritaires nécessitant une attention immédiate du fait des effets potentiels qu’elles pourraient avoir sur l’homme et l’environnement. En vertu de l’article 10 de ce règlement, pour chaque substance figurant sur les listes prioritaires, un État membre devait être désigné comme responsable de l’évaluation des risques que présentait ladite substance pour l’homme et pour l’environnement ainsi que, le cas échéant, pour proposer une stratégie pour limiter ces risques, y compris des mesures de contrôle et/ou des programmes de surveillance.

6        Par le règlement (CE) no 143/97 de la Commission, du 27 janvier 1997, concernant la troisième liste de substances prioritaires, conformément au règlement no 793/93 (JO L 25, p. 13), le cadmium et l’oxyde de cadmium (no CAS 1306‑19‑0) ont été inclus sur cette liste et le Royaume de Belgique a été désigné responsable de l’évaluation de ces substances.

7        En septembre 1998, le rapport intitulé « Évaluation des risques pour la santé et l’environnement liés au cadmium contenu dans certains produits et des effets des restrictions supplémentaires à son utilisation et à sa commercialisation », préparé pour la Commission par un cabinet de conseil établi au Royaume-Uni (ci-après le « rapport de 1998 »), a été achevé.

8        Dans un avis de 1999, le comité scientifique de la toxicité, de l’écotoxicité et de l’environnement, établi conformément à la décision 97/579/CE de la Commission, du 23 juillet 1997, instituant des comités scientifiques dans le domaine de la santé des consommateurs et de la sûreté alimentaire (JO L 237, p. 18), a formulé des critiques à l’encontre du rapport de 1998. Pour répondre à ces critiques, la Commission a commandé le rapport intitulé « Les risques pour la santé et l’environnement liés à l’utilisation du cadmium comme colorant ou stabilisant dans les polymères et le revêtement des surfaces métalliques », préparé par un autre cabinet de conseil établi au Royaume-Uni le 19 décembre 2000 (ci-après le « rapport de 2000 »). Le rapport de 2000 a fait l’objet d’un avis du comité scientifique de la toxicité, de l’écotoxicité et de l’environnement rendu le 30 octobre 2001.

9        Le rapport d’évaluation des risques de l’Union relatif au cadmium et à l’oxyde de cadmium, élaboré par le Royaume de Belgique et dont la partie I, relative à l’environnement, avait fait l’objet d’un avis du comité scientifique de la toxicité, de l’écotoxicité et de l’environnement du 28 mars 2004, a été publié en 2007. Ce rapport contenait des conclusions relatives à la nécessité de limiter les risques concernant l’exposition de l’environnement et de la santé humaine au cadmium et à l’oxyde de cadmium.

10      À la suite de la publication du rapport d’évaluation des risques de l’Union, la Commission a adopté, conformément à l’article 11, paragraphe 2, du règlement no 793/93, la recommandation du 29 mai 2008 concernant des mesures de réduction des risques présentés par le cadmium et l’oxyde de cadmium (JO L 156, p. 22) ainsi que la communication relative aux résultats de l’évaluation des risques et aux stratégies de réduction des risques pour les substances : cadmium et oxyde de cadmium (JO 2008, C 149, p. 6). En ce qui concerne les risques pour les travailleurs liés au cadmium et à l’oxyde de cadmium, la Commission a recommandé, dans ladite communication, de fixer notamment des valeurs limites d’exposition professionnelle. Pour ce qui est des risques que présente le cadmium pour les consommateurs, la Commission y a recommandé d’envisager, au titre de la directive 76/769, une limitation de la mise sur le marché et de l’emploi des baguettes de brasage et des bijoux contenant du cadmium. En ce qui concerne les risques pour l’homme exposé via l’environnement, liés au cadmium et à l’oxyde de cadmium, la Commission y a recommandé d’envisager une révision des valeurs limites de concentration du cadmium et de l’oxyde de cadmium dans les denrées alimentaires, la fixation d’une valeur limite de concentration du cadmium dans les mélanges et les feuilles de tabac et la fixation de valeurs maximales de concentration du cadmium et de l’oxyde de cadmium dans les engrais.

11      Avec effet respectivement au 1er juin 2008 et au 1er juin 2009, le règlement no 793/93 et la directive 76/769 ont été abrogés, en vertu de l’article 139 du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45 et abrogeant le règlement nº 793/93 et le règlement (CE) nº 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769 et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO L 396, p. 1).

12      En vertu du règlement (CE) no 552/2009 de la Commission, du 22 juin 2009, modifiant le règlement no 1907/2006, en ce qui concerne l’annexe XVII (JO L 164, p. 7), les limitations de la mise sur le marché et de l’emploi du cadmium et de ses composés, établies initialement par la directive 91/338, ont été transférées à l’annexe XVII du règlement no 1907/2006 qui contient les restrictions applicables à la fabrication, à la mise sur le marché et à l’utilisation de certaines substances dangereuses et de certains mélanges et articles dangereux.

13      L’article 137, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1907/2006 contient des mesures transitoires. Cette disposition prévoit que, au plus tard le 1er juin 2010, la Commission élabore, au besoin, un projet de modification de l’annexe XVII de ce règlement, conformément à toute évaluation des risques et à toute stratégie recommandée pour limiter les risques qui a été adoptée au niveau communautaire conformément à l’article 11 du règlement no 793/93, dans la mesure où elle comprend des propositions de restriction conformément au titre VIII du règlement no 1907/2006, tout en n’ayant pas encore donné lieu à une décision au titre de la directive 76/769.

14      En mai 2010, la Commission a élaboré un projet de modification de l’annexe XVII du règlement no 1907/2006 en ce qui concerne le cadmium, qui a été présenté aux autorités compétentes pour les règlements nos 1907/2006 et 1272/2008 en juin 2010 et notifié à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), conformément à l’accord relatif aux obstacles techniques au commerce de l’OMC, qui figure à l’annexe 1A de l’accord instituant l’OMC, approuvé par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) (JO L 336, p. 1). Ce projet de modification contenait une liste exhaustive de matières plastiques dans lesquelles l’utilisation du cadmium et de ses composés était limitée.

15      Le 21 octobre 2010, ce projet de modification a fait l’objet d’un avis du forum d’échange d’informations sur la mise en œuvre du règlement no 1907/2006, visé à l’article 76, paragraphe 1, sous f), de ce règlement, qui coordonne un réseau d’autorités des États membres chargées de la mise en œuvre dudit règlement.

16      Le 5 novembre 2010, la Commission a soumis au comité établi, en vertu de l’article 133, paragraphe 1, du règlement no 1907/2006, une version modifiée du projet de modification de l’annexe XVII dudit règlement en ce qui concerne le cadmium. Selon cette version, qui a été discutée par ce comité lors de sa réunion du 25 novembre 2010, les restrictions proposées ne se limitaient plus à l’utilisation du cadmium et de ses composés dans certaines matières plastiques mais étaient applicables à toutes les matières plastiques.

17      Le 20 mai 2011, la Commission a adopté le règlement (UE) no 494/2011 modifiant le règlement no 1907/2006, en ce qui concerne l’annexe XVII (cadmium) (JO L 134, p. 2, ci-après le « règlement attaqué »), qui était accompagné d’une analyse d’impact datant du même jour. Le règlement attaqué a été applicable, selon son article 2, deuxième alinéa, à compter du 10 décembre 2011. Par l’article 1er du règlement attaqué, l’entrée no 23 de l’annexe XVII du règlement no 1907/2006 a été modifiée. À la suite de cette modification, le cadmium et ses composés ne pouvaient plus être utilisés dans les mélanges et les articles à base de l’ensemble de polymères organiques synthétiques (ci-après les « matières plastiques »), à l’exception des articles qui, pour des raisons de sécurité, sont colorés à l’aide de mélanges contenant du cadmium.

 Procédure et conclusions des parties

18      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 août 2011, les requérantes ont introduit le présent recours.

19      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 16 mai 2012, la Commission a transmis un projet de règlement modifiant l’entrée no 23 de l’annexe XVII du règlement no 1907/2006 qu’elle avait adopté et a indiqué que, à partir de la date de l’entrée en vigueur de ce projet, les requérantes n’auraient plus d’intérêt à agir. Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 4 juillet 2012, les requérantes ont soumis leurs observations sur cette lettre.

20      Le 18 septembre 2012, la Commission a, sur la base de ce projet de règlement, adopté le règlement (UE) no 835/2012 modifiant le règlement no 1907/2006, en ce qui concerne l’annexe XVII (cadmium) (JO L 252, p. 1).

21      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 12 octobre 2012, les requérantes ont confirmé l’existence de leur intérêt à agir après l’adoption du règlement no 835/2012.

22      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 11 février 2013, les requérantes ont demandé que soient versées au dossier deux nouvelles offres de preuve concernant leur intérêt à agir après l’adoption du règlement no 835/2012, à savoir deux documents de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), relatifs au lancement d’une procédure de restriction, en vertu de l’article 69 du règlement no 1907/2006, relative au cadmium et à ses composés dans des matières plastiques. Par décision du président de la septième chambre du Tribunal du 18 février 2013, cette demande a été accueillie. Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 6 mars 2013, la Commission a soumis ses observations sur la lettre du 11 février 2013.

23      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (septième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

24      Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 de son règlement de procédure, le Tribunal a invité la Commission à produire des documents et lui a adressé une question écrite. La Commission a déféré à cette demande dans le délai imparti.

25      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l’audience du 27 juin 2013.

26      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours recevable et fondé ;

–        annuler le règlement attaqué dans la mesure où il restreint l’utilisation de pigments de cadmium dans des matières plastiques autres que celles pour lesquelles cette utilisation était limitée avant l’adoption dudit règlement ;

–        condamner la Commission aux dépens.

27      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours non fondé ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

 Sur l’intérêt à agir des requérantes

28      La Commission conteste l’existence d’un intérêt à agir des requérantes. Selon elle, les requérantes ont perdu tout intérêt à agir en raison de l’entrée en vigueur du règlement no 835/2012. En effet, ce règlement réintroduirait les restrictions sur les composés de cadmium employés comme pigments telles qu’elles existaient avant l’adoption du règlement attaqué avec effet rétroactif à compter de la date d’application du règlement attaqué. Lors de l’audience, la Commission a également fait valoir que les requérantes n’ont pas d’intérêt à agir pour autant que leur demande d’annulation concernerait d’autres pigments de cadmium que l’orange de sulfoséléniure de cadmium, le rouge de sulfoséléniure de cadmium et le sulfure de zinc de cadmium. En effet, ces pigments de cadmium seraient les seuls fabriqués par les deuxième et troisième requérantes.

29      Il convient de rappeler que, les conditions de recevabilité d’un recours et, notamment, le défaut d’intérêt à agir relevant des fins de non-recevoir d’ordre public, il appartient au Tribunal de vérifier d’office si une partie requérante a un intérêt à obtenir l’annulation de l’acte qu’elle attaque (voir arrêt du Tribunal du 18 mars 2009, Shanghai Excell M&E Enterprise et Shanghai Adeptech Precision/Conseil, T‑299/05, Rec. p. II‑565, point 42, et la jurisprudence citée).

30      Selon une jurisprudence constante, l’intérêt à agir d’un requérant doit, au vu de l’objet du recours, exister au stade de l’introduction de celui-ci sous peine d’irrecevabilité. L’intérêt à agir doit perdurer jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle sous peine de non-lieu à statuer, ce qui suppose que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir arrêt de la Cour du 17 avril 2008, Flaherty e.a./Commission, C‑373/06 P, C‑379/06 P et C‑382/06 P, Rec. p. I‑2649, point 25, et la jurisprudence citée) et que celle-ci justifie d’un intérêt né et actuel à l’annulation de l’acte attaqué (voir arrêt du Tribunal du 19 juin 2009, Socratec/Commission, T‑269/03, non publié au Recueil, point 36, et la jurisprudence citée).

31      Il ressort également de la jurisprudence que c’est au requérant qu’il appartient d’apporter la preuve de son intérêt à agir, qui constitue la condition essentielle et première de tout recours en justice (ordonnance du président de la deuxième chambre de la Cour du 31 juillet 1989, S./Commission, 206/89 R, Rec. p. 2841, point 8, et arrêt du Tribunal du 14 avril 2005, Sniace/Commission, T‑141/03, Rec. p. II‑1197, point 31).

32      En premier lieu, s’agissant de l’intérêt des requérantes, au stade de l’introduction du présent recours, à obtenir l’annulation du règlement attaqué pour autant qu’il concerne d’autres pigments de cadmium que les trois fabriqués par les deuxième et troisième requérantes, il convient de relever que les requérantes n’ont fourni aucun élément permettant de conclure qu’une telle annulation leur procurerait un bénéfice. En effet, concernant ces autres pigments, les requérantes ont fait valoir un intérêt à agir, en substance, parce qu’il ne pourrait pas être exclu que les deuxième et troisième requérantes fabriquent dans le futur également d’autres pigments de cadmium que l’orange de sulfoséléniure de cadmium, le rouge de sulfoséléniure de cadmium et le sulfure de zinc de cadmium. Or, la fabrication par ces requérantes de pigments de cadmium autres que les trois mentionnés ci-dessus étant purement hypothétique et les requérantes n’ayant étayé leur affirmation par aucun élément de preuve, ces dernières n’ont pas d’intérêt né et actuel à l’annulation du règlement attaqué pour autant qu’il concerne des pigments de cadmium autres que les trois fabriqués par les deuxième et troisième requérantes. Le présent recours ne peut donc, à ce stade, être regardé comme recevable que dans la mesure où il concerne seulement l’orange de sulfoséléniure de cadmium, le rouge de sulfoséléniure de cadmium et le sulfure de zinc de cadmium (ci-après les « pigments de cadmium en cause »).

33      En second lieu, s’agissant de la prétendue perte d’intérêt à agir du fait de l’entrée en vigueur du règlement no 835/2012, les requérantes font valoir que ce règlement ne prévoit pas l’abrogation du règlement attaqué. Selon les requérantes, elles conservent un intérêt à agir parce que, d’une part, l’annulation du règlement attaqué aurait un impact sur une éventuelle future restriction à l’utilisation du cadmium adoptée par la Commission et, d’autre part, la constatation de l’illégalité du règlement attaqué servirait de base à un recours en indemnité.

34      Il résulte de la jurisprudence qu’un requérant peut conserver un intérêt à demander l’annulation d’un acte d’une institution, d’une part, pour permettre d’éviter que l’illégalité dont celui-ci est prétendument entaché ne se reproduise à l’avenir (voir arrêt de la Cour du 7 juin 2007, Wunenburger/Commission, C‑362/05 P, Rec. p. I‑4333, point 50, et la jurisprudence citée) et, d’autre part, pour obtenir la constatation, par le juge de l’Union, d’une illégalité commise à son égard, de sorte qu’une telle constatation puisse servir de base à un éventuel recours en indemnité destiné à réparer de façon adéquate le dommage causé par l’acte attaqué (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 5 mars 1980, Könecke Fleischwarenfabrik/Commission, 76/79, Rec. p. 665, points 8 et 9 ; du 31 mars 1998, France e.a./Commission, C‑68/94 et C‑30/95, Rec. p. I‑1375, point 74, et arrêt Shanghai Excell M&E Enterprise et Shanghai Adeptech Precision/Conseil, point 29 supra, point 53).

35      Sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur le maintien d’un intérêt à agir en vue d’éviter qu’une prétendue illégalité ne se reproduise à l’avenir, force est de constater que les requérantes conservent à tout le moins un intérêt en tant que base d’un recours éventuel en responsabilité.

36      En effet, premièrement, il convient de relever que le litige a conservé son objet, car le règlement attaqué n’a pas été formellement abrogé par la Commission (voir, en ce sens, arrêt Wunenburger/Commission, point 34 supra, point 48, et arrêt Shanghai Excell M&E Enterprise et Shanghai Adeptech Precision/Conseil, point 29 supra, point 47).

37      Deuxièmement, il y a lieu de préciser que le retrait par le règlement no 835/2012, avec effet rétroactif à compter de la date d’application du règlement attaqué, des restrictions relatives aux pigments de cadmium en cause qui ont été introduites par ce dernier règlement n’entraîne pas, à lui seul, l’obligation pour le juge de l’Union de prononcer un non-lieu à statuer pour défaut d’objet ou pour défaut d’intérêt à agir à la date du prononcé de l’arrêt (voir, en ce sens, arrêt Wunenburger/Commission, point 34 supra, point 47). L’annulation du règlement attaqué qui a déjà été exécuté est toujours susceptible de procurer un bénéfice aux requérantes, même si les restrictions en cause, introduites par ce règlement, ont été retirées entre-temps avec effet rétroactif à compter de la date d’application dudit règlement. En effet, le règlement attaqué a pu produire des effets juridiques pendant la période au cours de laquelle il a régi les restrictions applicables aux pigments de cadmium en cause, à savoir à partir du moment de son application le 10 décembre 2011 jusqu’au moment de l’entrée en vigueur du règlement no 835/2012, le 19 septembre 2012 (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 6 juin 2013, Ayadi/Commission, C‑183/12 P, point 79, et arrêt du Tribunal du 25 mars 1999, Gencor/Commission, T‑102/96, Rec. p. II‑753, point 41).

38      Troisièmement, il y a lieu de constater que, pendant cette période, le règlement attaqué interdisait l’utilisation des pigments de cadmium en cause dans les mélanges et les articles à la base de l’ensemble des matières plastiques, à l’exception des articles qui, pour des raisons de sécurité, sont colorés à l’aide de mélanges contenant du cadmium. Dans ce contexte, les requérantes conservent un intérêt à faire constater le caractère partiellement illégal du règlement attaqué, car, d’une part, cette constatation liera le juge de l’Union en vue d’un recours en indemnité et, d’autre part, elle pourra constituer la base d’une éventuelle négociation extrajudiciaire entre la Commission et les requérantes visant à réparer le dommage prétendument subi par ces dernières (voir, en ce sens, arrêt Shanghai Excell M&E Enterprise et Shanghai Adeptech Precision/Conseil, point 29 supra, points 54 et 55).

39      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de conclure que les requérantes ont, à la suite de l’adoption du règlement no 835/2012, conservé un intérêt à demander l’annulation du règlement attaqué dans la mesure où il a restreint l’utilisation des pigments de cadmium en cause dans des matières plastiques autres que celles pour lesquelles cette utilisation était limitée avant l’adoption du règlement attaqué.

 Sur le fond

40      À l’appui de leur recours, les requérantes soulèvent huit moyens, tirés, le premier, d’une violation de l’article 137, paragraphe 1, sous a) et des articles 68 à 73 du règlement no 1907/2006, le deuxième, d’une erreur manifeste d’appréciation, le troisième, d’une violation des principes de sécurité juridique et de confiance légitime, le quatrième, d’une violation du règlement no 1907/2006, dans la mesure où le règlement attaqué imposerait des restrictions à un groupe de substances, à savoir les composés du cadmium, sans les évaluer individuellement, le cinquième, d’une violation de l’accord relatif aux obstacles techniques au commerce de l’OMC, le sixième, d’une violation des droits procéduraux des requérantes, le septième, d’une violation de l’obligation de motivation, et le huitième, d’une violation du principe de proportionnalité.

41      Il paraît adéquat d’examiner d’abord le deuxième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation.

42      Ce moyen comporte deux branches. Tandis que la première branche est tirée de l’absence d’analyse des risques, la seconde branche traite de l’absence d’analyse d’impact relative aux restrictions à l’utilisation des pigments de cadmium imposées par le règlement attaqué.

43      S’agissant de la première branche, tirée de l’absence d’analyse des risques, les requérantes font valoir que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en n’analysant pas les risques posés par l’utilisation des pigments de cadmium en cause, qui seraient des substances différentes du cadmium, dans les matières plastiques autres que celles pour lesquelles cette utilisation était limitée avant l’adoption du règlement attaqué. Ces pigments de cadmium seraient explicitement exclus de la classification harmonisée du danger des composés du cadmium, aux termes de l’annexe VI du règlement no 1272/2008.

44      Il convient de relever que le règlement attaqué a été adopté sur la base de l’article 131 du règlement no 1907/2006. Ainsi qu’il ressort de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1907/2006, ce dernier vise à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, y compris la promotion de méthodes alternatives pour l’évaluation des dangers liés aux substances, ainsi que la libre circulation des substances dans le marché intérieur tout en améliorant la compétitivité et l’innovation. Eu égard aux considérants 87, 89 et 91 du règlement no 1907/2006, il convient de constater que le législateur a fixé comme objectif principal à l’instauration de nouvelles restrictions et à la modification des restrictions existantes prévues au titre VIII dudit règlement le premier de ces trois objectifs, à savoir celui d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 7 juillet 2009, S.P.C.M. e.a., C‑558/07, Rec. p. I‑5783, point 45).

45      Afin de pouvoir poursuivre efficacement ces objectifs, il y a lieu de souligner que, dans un cadre technique complexe à caractère évolutif tel que celui de la présente affaire, les autorités de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation, notamment quant à l’appréciation des éléments factuels d’ordre scientifique et technique hautement complexes, pour déterminer la nature et l’étendue des mesures qu’elles adoptent, tandis que le contrôle du juge de l’Union doit se limiter à examiner si l’exercice d’un tel pouvoir n’est pas entaché d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir ou encore si ces autorités n’ont pas manifestement dépassé les limites de leur pouvoir d’appréciation. Dans un tel contexte, le juge de l’Union ne peut en effet substituer son appréciation des éléments factuels d’ordre scientifique et technique à celle des institutions, seules à qui le traité FUE a conféré cette tâche (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 8 juillet 2010, Afton Chemical, C‑343/09, Rec. p. I‑7027, point 28, et du 21 juillet 2011, Etimine, C‑15/10, Rec. p. I‑6681, points 59 et 60).

46      Néanmoins, il convient de préciser que le large pouvoir d’appréciation des autorités de l’Union, impliquant un contrôle juridictionnel limité de son exercice, s’applique non pas exclusivement à la nature et à la portée des dispositions à prendre, mais aussi, dans une certaine mesure, à la constatation des données de base. Toutefois, un tel contrôle juridictionnel, même s’il a une portée limitée, requiert que ces autorités, auteurs de l’acte en cause, soient en mesure d’établir devant le juge de l’Union que l’acte a été adopté moyennant un exercice effectif de leur pouvoir d’appréciation, lequel suppose la prise en considération de tous les éléments et circonstances pertinents de la situation que cet acte a entendu régir (voir, en ce sens, arrêt Afton Chemical, point 45 supra, points 33 et 34).

47      En l’espèce, il convient de relever que, bien que le règlement attaqué ait été adopté en recourant aux mesures transitoires visées à l’article 137, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1907/2006, il n’en demeure pas moins que, afin de modifier l’annexe XVII dudit règlement, les conditions prévues à l’article 68 de ce règlement doivent être remplies. En effet, les mesures transitoires visées à l’article 137, paragraphe 1, sous a), dudit règlement constituent des dispositions procédurales et peuvent, en tant que telles, seulement remplacer les règles procédurales prévues aux articles 69 à 73 de ce règlement et non les conditions au fond pour instaurer de nouvelles restrictions ou modifier des restrictions existantes, visées à l’article 68 du règlement no 1907/2006. En outre, il ressort de l’article 137, paragraphe 1, sous a), de ce règlement que les propositions de restriction doivent être conformes au titre VIII du même règlement, à savoir à ses articles 68 à 73.

48      L’instauration par le règlement attaqué de nouvelles restrictions relatives aux pigments de cadmium en cause présupposait donc que les conditions prévues à l’article 68, paragraphe 1, du règlement no 1907/2006 étaient remplies. Cette disposition énonce que, quand la fabrication, l’utilisation ou la mise sur le marché de substances entraînent pour la santé humaine ou l’environnement un risque inacceptable qui nécessite une action au niveau de l’Union, l’annexe XVII de ce règlement est modifiée par l’adoption de nouvelles restrictions applicables à la fabrication, à l’utilisation ou à la mise sur le marché de substances telles quelles ou contenues dans des mélanges ou des articles. Toute décision de ce type doit prendre en compte l’impact socio-économique, y compris l’existence de solutions de remplacement.

49      Par conséquent, l’adoption du règlement attaqué présupposait que la Commission devait, à juste titre, considérer que l’utilisation des pigments de cadmium en cause dans les matières plastiques, autres que celles pour lesquelles cette utilisation était limitée avant l’adoption du règlement attaqué, entraînait pour la santé humaine ou l’environnement un risque inacceptable qui nécessitait une action au niveau de l’Union.

50      À supposer même que, ainsi que l’a fait valoir la Commission lors de l’audience, les mesures prises en application de l’article 137, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1907/2006 ne doivent pas satisfaire aux conditions de fond prévues à l’article 68 de ce règlement, mais aux règles en vigueur avant ledit règlement, à savoir à l’article 11 du règlement no 793/93, il y a lieu de constater que cette dernière disposition prévoyait également que des mesures de restriction pouvaient seulement être adoptées sur la base d’une évaluation des risques.

51      Au vu de l’argumentation avancée par les requérantes, il convient donc d’examiner si le règlement attaqué repose sur une erreur manifeste d’appréciation de la Commission du fait de l’absence d’une évaluation des risques posés par les pigments de cadmium en cause dans les matières plastiques autres que celles pour lesquelles l’utilisation de ces pigments était limitée avant l’adoption du règlement attaqué.

52      À cet égard, il convient de rappeler que l’évaluation scientifique des risques, réalisée par des experts scientifiques, doit donner à la Commission une information suffisamment fiable et solide pour lui permettre de saisir toute la portée de la question scientifique posée et pour déterminer sa politique en connaissance de cause. Par conséquent, sauf à adopter des mesures arbitraires qui ne sauraient en aucun cas être légitimées par le principe de précaution, la Commission doit veiller à ce que les mesures qu’elle prend, même s’il s’agit de mesures préventives, soient fondées sur une évaluation scientifique des risques aussi exhaustive que possible compte tenu des circonstances particulières du cas d’espèce (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 11 septembre 2002, Pfizer Animal Health/Conseil, T‑13/99, Rec. p. II‑3305, point 162).

53      Il convient de constater que la Commission admet que le rapport d’évaluation des risques de l’Union ne traite qu’indirectement des pigments de cadmium, c’est-à-dire dans la mesure où les sites de production de ces pigments sont concernés. Ceci est confirmé par les considérants 1 et 2 du règlement no 835/2012, dont il résulte que l’extension de la restriction en ce qui concerne l’utilisation du cadmium et de ses composés à toutes les matières plastiques n’était pas fondée sur ce rapport. Cependant, la Commission fait valoir que sa décision d’étendre la restriction relative à l’utilisation de tous les composés du cadmium comme colorants pour les matières plastiques autres que celles pour lesquelles cette utilisation était limitée avant l’adoption du règlement attaqué reposait sur la prise en compte d’autres sources d’information.

54      À cet égard, premièrement, la Commission se réfère à la résolution du Conseil du 25 janvier 1988 concernant un programme d’action communautaire contre la pollution de l’environnement par le cadmium (JO C 30, p. 1). Dans cette résolution, le Conseil a reconnu que l’exposition de l’homme et de l’environnement au cadmium provenait de multiples sources et notamment d’émissions émanant de l’élimination des déchets. Il convient, certes, de rejeter l’argument des requérantes selon lequel la Commission ne pouvait s’appuyer sur cette résolution en raison du fait qu’elle avait été adoptée avant l’introduction des restrictions en vertu de la directive 91/338. En effet, cette résolution préconise une approche par étape et rien n’indique que cette approche ait été complètement mise en œuvre par la directive 91/338. Toutefois, ladite résolution ne contient pas, en tant que telle, d’évaluation des risques posés par les pigments de cadmium dans les matières plastiques.

55      Deuxièmement, la Commission se réfère au rapport de 2000, lequel s’est appuyé sur le rapport de 1998 et a estimé à 0,005 % le pourcentage de cadmium dégagé des plastiques pigmentés pendant la durée de vie du produit. Le rapport de 2000, qui a fait l’objet d’un avis du comité scientifique de la toxicité, de l’écotoxicité et de l’environnement datant du 30 octobre 2001, a identifié l’incinération des plastiques contenant des pigments de cadmium ainsi que la mise en décharge et les écoulements correspondants des déchets plastiques et des cendres des incinérateurs comme source de cadmium dans l’environnement. Toutefois, aucune conclusion n’a pu être formulée sur les sources précises du cadmium détecté dans les lixiviats de décharge.

56      À cet égard, les requérantes font valoir que la Commission ne pouvait s’appuyer sur le rapport de 2000, étant donné qu’il avait été finalisé avant le rapport d’évaluation des risques de l’Union. Eu égard au large pouvoir d’appréciation dont elle dispose, qui s’applique également à la constatation des données de base (voir point 46 ci-dessus), rien n’empêchait, certes, la Commission de prendre en considération des données scientifiques provenant de ressources autres que le rapport d’évaluation des risques de l’Union, telles que le rapport de 2000. En outre, le rapport d’évaluation des risques de l’Union indique, dans sa partie I, au point 0.1.1, qu’il ne traite ni tous les domaines concernés par le cadmium et l’oxyde de cadmium ni tous les composés de ces substances. De plus, il fait référence à plusieurs autres études sans les mentionner de manière exhaustive. Toutefois, il convient de relever que le fait que le rapport d’évaluation des risques de l’Union, qui date de 2007, n’inclut pas les résultats du rapport de 2000 démontre que la pertinence de ce dernier est limitée. Ceci est confirmé par l’avis du comité scientifique de la toxicité, de l’écotoxicité et de l’environnement sur ledit rapport, selon lequel ses résultats ne pouvaient être utilisés isolément et l’importance des risques possibles liés aux utilisations du cadmium mentionnées dans ce rapport devait être évaluée dans un contexte plus large.

57      Troisièmement, la Commission se réfère à l’étude intitulée « Le comportement du PVC dans les décharges », élaborée par une société allemande pour la Commission en 2000, qui indiquerait que le stade acidogénique du développement précoce des décharges montre la grande efficacité du lessivage. Selon cette étude, en raison de l’acidité des produits de fermentation survenant dans la phase aqueuse, le potentiel hydrogène (pH) du lixiviat serait faible et des métaux lourds pourraient être dissous durant cette phase. Selon la Commission, ceci était important en termes de dégagement d’ions de cadmium, même émanant de composés définis comme insolubles tels que les pigments de cadmium.

58      À cet égard, il y a lieu de rejeter l’argumentation des requérantes selon laquelle le fait que la Commission n’a pas transmis cette étude à la troisième requérante à la suite de sa demande d’accès du 24 mai 2011 à tous les documents relatifs à l’élaboration du projet de modification de l’annexe XVII du règlement no 1907/2006, en vertu du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43), démontre que la Commission n’a pas fondé son évaluation des risques sur ce document.

59      La Commission indique ne pas avoir transmis ledit document du fait que, selon elle, celui-ci ne constituait pas un document relatif à l’élaboration dudit projet, en ce sens qu’il ne s’agissait pas d’un document requis par les dispositions législatives applicables ou par la procédure administrative pertinente pour l’élaboration de ce projet. Ainsi qu’il ressort du dossier, la Commission a transmis à la troisième requérante 47 documents à la suite de sa demande. À supposer même que la Commission n’ait pas satisfait à ses obligations résultant du règlement no 1049/2001 en ce qu’elle n’aurait pas transmis tous les documents pertinents, ce fait ne serait pas susceptible de démontrer que la Commission n’a pas tenu compte desdits documents dans le cadre de son évaluation des risques. En effet, la procédure aboutissant à la modification de l’annexe XVII du règlement no 1907/2006 et celle relative à la demande d’accès aux documents de la Commission en vertu du règlement no 1049/2001 constituent des procédures autonomes qui ne dépendent pas l’une de l’autre.

60      Toutefois, il convient de relever, ainsi que les requérantes l’allèguent, que l’étude intitulée « Le comportement du PVC dans les décharges » ne traite que du PVC. Or, s’il est vrai que cette étude contient des données relatives à l’évaluation des risques émanant des pigments de cadmium, sa valeur est néanmoins limitée en ce qui concerne les matières plastiques autres que le PVC.

61      Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que les considérants du règlement attaqué ne traitent que de l’interdiction de l’utilisation du cadmium dans tous les articles en PVC (considérants 9 à 12 du règlement attaqué), sans se référer à d’autres matières plastiques, et que, en vertu du paragraphe 4 de l’entrée no 23 de l’annexe XVII du règlement no 1907/2006, tel que modifié par le règlement attaqué, le PVC est la seule matière plastique pour laquelle une dérogation spécifique aux restrictions en cause a été prévue, à savoir pour les mélanges à base de déchets de PVC, dénommés « PVC valorisé ». En outre, il convient de relever que le projet de modification de l’annexe XVII du règlement no 1907/2006, présenté par la Commission aux autorités compétentes pour les règlements nos 1907/2006 et 1272/2008 pour leur réunion du 15 au 17 juin 2010 au cours de la phase d’élaboration du règlement attaqué, a formulé une proposition intitulée « L’interdiction de l’utilisation du cadmium dans tous les plastiques contenant du PVC » et que cette proposition pourrait être comprise comme ne s’appliquant pas à « toutes les matières plastiques, y compris le PVC ». Au vu de ce qui précède, le Tribunal estime qu’il ne ressort de l’étude intitulée « Le comportement du PVC dans les décharges » ni que la Commission a également examiné la question de savoir si le comportement d’autres matières plastiques que le PVC se distinguait de celui du PVC en ce qui concernait les pigments de cadmium ni, le cas échéant, dans quelle mesure toutes les autres matières plastiques concernées par les restrictions en cause étaient comparables au PVC à cet égard.

62      Quatrièmement, la Commission se réfère à la communication relative aux résultats de l’évaluation des risques et aux stratégies de réduction des risques pour les substances : cadmium et oxyde de cadmium, selon laquelle l’exposition au cadmium dans l’environnement est calculée en tenant compte de toutes les sources d’émissions anthropiques de cadmium connues, à savoir notamment le cadmium émis par les producteurs et les secteurs de transformation de cadmium/d’oxyde de cadmium et le cadmium provenant de sources diffuses telles que les engrais, la production d’acier, la combustion de pétrole et de charbon, la circulation, l’incinération des déchets et les décharges. S’agissant de l’évaluation des risques pour la santé humaine, cette communication fait référence, pour justifier la conclusion selon laquelle il est nécessaire de prendre des mesures spécifiques de réduction des risques, aux risques de génotoxicité et de cancérogénicité en raison de l’exposition au cadmium dans l’environnement, quelle que soit la situation d’exposition, puisque cette substance serait considérée comme cancérigène sans valeur seuil. En ce qui concerne l’évaluation des risques pour l’environnement, cette communication fait notamment référence aux risques pour un site de décharge s’écoulant directement dans les eaux de surfaces, pour les eaux au Royaume-Uni et dans la région wallonne de la Belgique dont la concentration de cadmium serait élevée et pour les sols au Royaume-Uni à l’échelle régionale.

63      À cet égard, il convient de constater que cette communication présente les résultats de l’évaluation des risques contenus dans le rapport d’évaluation des risques de l’Union et les stratégies recommandées pour limiter les risques présentés par le cadmium et l’oxyde de cadmium. Or, ainsi qu’il a déjà été constaté (voir point 53 ci-dessus), le rapport d’évaluation des risques de l’Union ne traite qu’indirectement des pigments de cadmium, c’est-à-dire dans la mesure où les sites de production de ces pigments sont concernés.

64      En outre, il convient de relever que l’utilisation des pigments de cadmium était, certes, restreinte dans un grand nombre de matières plastiques avant l’entrée en vigueur du règlement attaqué, en vertu de la directive 91/338 (voir point 4 ci-dessus) et que, en vertu du règlement no 552/2009, ces restrictions ont été transférées à l’annexe XVII du règlement no 1907/2006 (voir point 12 ci-dessus). Toutefois, il y a également lieu de constater, ainsi que l’allèguent les requérantes, que les pigments de cadmium en cause étaient explicitement exclus de la classification harmonisée du danger des composés du cadmium, aux termes de l’annexe VI du règlement no 1272/2008.

65      Cinquièmement, la Commission se réfère à l’étude intitulée « Analyse de la demande de dérogation à l’utilisation de métaux lourds dans les caisses et palettes en plastique », en date du 29 septembre 2008, qui concerne le comportement du cadmium et des pigments de métaux lourds dans les décharges. Cette étude contient un extrait d’un rapport du conseil des ministres nordiques de 2003, selon lequel la mobilité du cadmium à l’intérieur des décharges est faible et selon lequel un lavage complet du cadmium par la pluie peut prendre de plusieurs centaines à plusieurs milliers d’années, voire, dans certains cas, encore plus, mais selon lequel il n’existerait aucune preuve que les décharges puissent être considérées comme une enceinte de confinement permanent du cadmium. Ensuite, l’étude indique que la stabilité des métaux lourds semble dépendre de l’intégrité de la caisse/palette. Cette étude se réfère à un cas documenté expliquant que le stockage de granulés de polyéthylène haute densité (PEHD) colorés avec des pigments de cadmium en extérieur à l’air libre durant 5-6 années a donné lieu à des concentrations élevées de cadmium dans le sol et dans les cours d’eau avoisinants. En outre, cette étude se réfère à deux autres études. Selon la première, les pigments jaunes de sulfure de cadmium ont une résistance excellente – sauf en présence d’humidité – et ne sont donc que peu sensibles aux altérations extérieures. Selon la seconde, les pigments de cadmium sont solides à la lumière, mais peuvent être oxydés lentement en sulfates solubles par la lumière (rayons ultraviolets), l’air et l’eau. Cette photo-oxydation serait plus prononcée pour le jaune de cadmium que pour le rouge de cadmium. Toutefois, selon cette seconde étude, la capacité de résistance à la lumière et au temps dépend du pigment et également du medium dans lequel ce pigment est utilisé, à savoir du fait que les caisses ou palettes soient entières ou granulées.

66      À cet égard, il convient de rejeter, pour les mêmes raisons que celles énoncées aux points 58 et 59 ci-dessus, l’argumentation des requérantes selon laquelle le fait que la Commission n’a pas transmis cette étude ainsi que le rapport du conseil des ministres nordiques à la troisième requérante, à la suite de sa demande d’accès du 24 mai 2011, démontre que la Commission n’a pas fondé son évaluation des risques sur ces documents.

67      Toutefois, ainsi que l’allèguent les requérantes, la pertinence de cette étude et du rapport du conseil des ministres nordiques mentionné dans celle-ci pour déterminer les risques posés par les pigments de cadmium en cause dans les matières plastiques autres que celles pour lesquelles l’utilisation de ces pigments était limitée avant l’adoption du règlement attaqué est limitée.

68      En effet, d’une part, s’agissant du rapport du conseil des ministres nordiques, celui-ci ne traite pas de l’utilisation de pigments de cadmium, mais du comportement du cadmium dans les décharges en général. En outre, alors qu’il indique que la mobilité du cadmium à l’intérieur des décharges est faible et qu’un lavage complet du cadmium par la pluie peut prendre de plusieurs centaines à plusieurs milliers d’années, voire, dans certains cas, encore plus, même s’il n’existe aucune preuve que les décharges puissent être considérées comme une enceinte de confinement permanent du cadmium, ce rapport ne constitue manifestement pas une base suffisante pour l’évaluation des risques posés par l’utilisation des pigments de cadmium en cause dans les matières plastiques.

69      D’autre part, s’agissant du contenu de cette étude, il est vrai que celle-ci traite également du comportement des pigments de cadmium dans les décharges. À cet égard, il convient de rejeter l’argumentation des requérantes selon laquelle la Commission n’a pas démontré l’existence d’un lien entre l’utilisation de pigments de cadmium et la lixiviation dans les décharges et selon laquelle la principale source de cadmium dans les décharges, constatée dans le rapport d’évaluation des risques de l’Union, s’avère être l’oxyde de cadmium. En effet, cette étude fait expressément référence à un cas dans lequel le stockage de granulés de PEHD colorés avec des pigments de cadmium a entraîné une pollution du sol et de l’eau causée par le cadmium à la suite d’une exposition prolongée aux intempéries. En outre, à supposer même que l’oxyde de cadmium constitue la principale source de cadmium dans les décharges, il convient de relever, ainsi que l’allègue la Commission, que l’impact global sur l’environnement dépend des quantités absolues se retrouvant dans l’environnement et des changements de solubilité résultant des conditions environnementales et de la dégradation des pigments de cadmium.

70      Toutefois, alors que cette étude indique que la capacité de résistance à la lumière et aux intempéries dépend notamment du medium dans lequel le pigment de cadmium est utilisé, à savoir du fait que les caisses ou palettes soient entières ou granulées, elle ne contient aucun développement relatif à la présence et au comportement des pigments de cadmium dans les différentes matières plastiques. Or, ce qui est en cause dans la présente affaire, c’est précisément l’évaluation des risques posés par les pigments de cadmium en cause dans les matières plastiques autres que celles pour lesquelles l’utilisation de ces pigments était limitée avant l’adoption du règlement attaqué. Par ailleurs, il convient de constater que cette étude concernait seulement les matières plastiques utilisées précisément pour la fabrication des caisses ou des palettes.

71      Au vu de ce qui précède, il ne ressort pas du dossier que la Commission ait évalué tous les éléments et circonstances pertinents de la situation que le règlement attaqué entendait régir. En concluant, sur la base des éléments scientifiques mentionnés aux points 54 à 70 ci-dessus, à un risque pour la santé humaine ou l’environnement qui nécessitait une action au niveau de l’Union, la Commission a donc commis une erreur manifeste d’appréciation.

72      Par conséquent, la première branche du présent moyen doit être accueillie.

73      Eu égard aux considérations qui précèdent, et sans qu’il soit nécessaire de se prononcer ni sur la seconde branche du présent moyen ni sur les autres moyens soulevés par les requérantes, il y a lieu d’accueillir le recours et d’annuler partiellement le règlement attaqué dans la mesure où il restreint l’utilisation de pigments de cadmium en cause dans les mélanges et les articles à base de matières plastiques autres que celles pour lesquelles cette utilisation était limitée avant l’adoption dudit règlement. En revanche, il y a lieu de rejeter le recours comme irrecevable pour le surplus.

 Sur les dépens

74      Aux termes de l’article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. En l’espèce, la Commission ayant succombé en l’essentiel de ses chefs de conclusions, il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant qu’elle supportera 90 % de ses propres dépens et 90 % des dépens exposés par les requérantes, ces dernières supportant 10 % de leurs propres dépens et 10 % des dépens exposés par la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le règlement (UE) no 494/2011 de la Commission, du 20 mai 2011, modifiant le règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), en ce qui concerne l’annexe XVII (cadmium), est annulé dans la mesure où il restreint l’utilisation de l’orange de sulfoséléniure de cadmium (no CAS 1256‑57‑4), du rouge de sulfoséléniure de cadmium (no CAS 58339‑34‑7) et du sulfure de zinc de cadmium (no CAS 8048‑07‑5) dans les mélanges et les articles à base de polymères organiques synthétiques autres que ceux pour lesquels cette utilisation était limitée avant l’adoption du règlement no 494/2011.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      La Commission européenne supportera 90 % de ses propres dépens et 90 % des dépens exposés par International Cadmium Association (ICdA), Rockwood Pigments (UK) Ltd et James M Brown Ltd.

4)      L’ICdA, Rockwood Pigments (UK) et James M Brown supporteront 10 % de leurs propres dépens et 10 % des dépens exposés par la Commission.

Dittrich

Wiszniewska-Białecka

Prek

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 novembre 2013.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.