Language of document : ECLI:EU:T:2005:455

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

14 décembre 2005 (*)

« Recours en annulation – Concurrence – Décision de la Commission déclarant une concentration incompatible avec le marché commun – Règlement (CEE) n° 4064/89 – Caractère inopérant de la critique partielle de la décision – Marchés aéronautiques – Recours ne pouvant aboutir à l’annulation de la décision »

Dans l’affaire T-209/01,

Honeywell International, Inc., établie à Morristown, New Jersey (États-Unis), représentée par M. K. Lasok, QC, et Me F. Depoortere, avocat,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. R. Lyal, P. Hellström et Mme F. Siredey-Garnier, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

soutenue par

Rolls-Royce plc, établie à Londres (Royaume-Uni), représentée par M. A. Renshaw, solicitor,

et par

Rockwell Collins, Inc., établie à Cedar Rapids, Iowa (États-Unis), représentée par MM. T. Soames, J. Davies, A. Ryan, solicitors, et Me P. Camesasca, avocat,

parties intervenantes,

ayant pour objet l’annulation de la décision 2004/134/CE de la Commission, du 3 juillet 2001, déclarant une concentration incompatible avec le marché commun et avec l’accord EEE (affaire COMP/M.2220 – General Electric/Honeywell) (JO 2004, L 48, p. 1),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre élargie),

composé de M. J. Pirrung, président, Mme V. Tiili, MM. A. W. H. Meij, M. Vilaras et N. J. Forwood, juges,

greffier : M. H. Jung,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 mai 2004,

rend le présent

Arrêt

  Cadre juridique

1        Le règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO L 395, p. 1, rectificatifs au JO 1990, L 257, p. 13), modifié en dernier lieu par le règlement (CE) n° 1310/97 du Conseil, du 30 juin 1997 (JO L 180, p. 1) (ci‑après, tel que rectifié et modifié, le « règlement n° 4064/89 »), dispose, en son article 2, paragraphes 2 et 3 :

« 2.      Les opérations de concentration qui ne créent pas ou ne renforcent pas une position dominante ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun ou une partie substantielle de celui‑ci doivent être déclarées compatibles avec le marché commun.

3.      Les opérations de concentration qui créent ou renforcent une position dominante ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun ou une partie substantielle de celui‑ci doivent être déclarées incompatibles avec le marché commun. »

 Antécédents du litige

2        Honeywell International, Inc. (ci‑après la « requérante ») est une entreprise active, notamment, sur les marchés des produits et services aéronautiques, des produits automobiles, du matériel électronique, des spécialités chimiques, des polymères à haute performance, des systèmes de transport et d’énergie et de la surveillance d’immeubles domestiques ou industriels.

3        General Electric Company (ci‑après « GE ») est une entreprise industrielle diversifiée, active, notamment, dans les domaines des moteurs d’avions, des appareils ménagers, des services informatiques, des systèmes énergétiques, de l’éclairage, des systèmes industriels, des systèmes médicaux, des plastiques, de la télédiffusion, des services financiers et des services de transport.

4        Le 22 octobre 2000, GE et la requérante ont conclu un accord prévoyant que GE acquerrait l’entièreté du capital de la requérante (ci‑après la « concentration »), celle‑ci devant devenir une filiale à 100 % de GE.

5        Le 5 février 2001, la Commission a formellement reçu notification de la concentration, conformément à l’article 4 du règlement n° 4064/89.

6        Le 1er mars 2001, considérant que la concentration était susceptible d’être couverte par le règlement n° 4064/89, la Commission a décidé d’ouvrir la procédure d’examen prévue à l’article 6, paragraphe 1, sous c), dudit règlement et à l’article 57 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) (ci‑après la « décision d’ouverture »).

7        Le 15 mars 2001, GE et la requérante ont soumis conjointement à la Commission leurs observations sur la décision d’ouverture.

8        Le 8 mai 2001, la Commission a envoyé une communication des griefs à GE à laquelle cette dernière a répondu le 24 mai 2001.

9        Les 29 et 30 mai 2001, GE et la requérante ont assisté à une audition devant la Commission.

10      Les 14 et 28 juin 2001, GE et la requérante ont proposé, respectivement, deux séries successives d’engagements destinés à rendre la concentration acceptable par la Commission.

11      Le 3 juillet 2001, la Commission a adopté la décision 2004/134/CE (affaire COMP/M.2220 – General Electric/Honeywell) (JO 2004, L 48, p. 1), déclarant la concentration incompatible avec le marché commun et avec l’accord EEE (ci‑après la « décision attaquée »).

 Décision attaquée

12      Le dispositif de la décision attaquée est rédigé comme suit :

« Article premier

[La] concentration par laquelle [GE] acquiert le contrôle de [la requérante] est déclarée incompatible avec le marché commun et avec l’accord EEE.

Article 2

[GE …] est destinataire de la [décision attaquée].

[...] »

13      Les motifs de la décision attaquée peuvent être résumés de la manière suivante.

14      Selon la Commission, GE occupait déjà à elle seule, avant l’opération de concentration, une position dominante sur les marchés des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille et pour avions régionaux de grande taille. La solidité de sa position sur le marché, conjuguée à sa puissance financière et à l’intégration verticale dans l’exploitation en crédit-bail d’aéronefs, figure parmi les éléments qui ont permis de conclure à l’existence d’une position dominante de GE sur ces marchés. L’enquête aurait également montré que la requérante est le principal fournisseur de produits avioniques et non avioniques ainsi que de moteurs pour avions d’affaires et de dispositifs de démarrage de moteur, ce dernier élément étant central dans la fabrication des moteurs.

15      Le regroupement des activités des deux sociétés aurait entraîné la création de positions dominantes sur les marchés de la fourniture de produits avioniques, de produits non avioniques et de réacteurs pour avions d’affaires ainsi que le renforcement des positions dominantes existantes de GE en matière de réacteurs pour avions commerciaux de grande taille et avions régionaux de grande taille. La conjonction de plusieurs facteurs aurait entraîné cette création ou ce renforcement de positions dominantes : les chevauchements horizontaux sur certains marchés ainsi que l’extension de la puissance financière de GE et son intégration verticale aux activités de la requérante et, enfin, le regroupement de leurs produits complémentaires respectifs.

16      Selon la Commission, une telle intégration permettrait, en effet, à l’entité issue de l’opération de concentration de démultiplier la puissance de marché des deux sociétés concernant leurs produits respectifs. Ceci aurait pour effet d’exclure les concurrents, éliminant ainsi la concurrence sur ces marchés, et ayant au bout du compte une incidence négative sur la qualité des produits, sur le service et sur les prix appliqués aux consommateurs.

 Procédure

17      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 septembre 2001, la requérante a introduit le présent recours. Le même jour, GE a également introduit un recours contre la décision attaquée (affaire T‑210/01).

18      Par actes déposés au greffe du Tribunal respectivement les 11, 15 et 16 janvier 2002, Rolls-Royce Plc, Rockwell Collins Inc. (ci‑après « Rockwell ») et Thales SA ont demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien de la Commission.

19      La requérante a demandé le traitement confidentiel à l’égard des parties intervenantes de certaines informations contenues dans ses écrits et dans ceux de la Commission.

20      Par ordonnance du 26 juin 2002, le président de la première chambre du Tribunal a admis les interventions de Rolls-Royce et de Rockwell. Par la même ordonnance, il a accordé le traitement confidentiel demandé par la requérante, sous réserve des observations des intervenantes. Conformément à l’article 116, paragraphe 6, du règlement de procédure du Tribunal, Thales a été admise à intervenir sur la base du rapport d’audience lors de la procédure orale.

21      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée par décision du Tribunal du 13 septembre 2004 (JO C 251, p. 12), le juge rapporteur a été affecté à la deuxième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

22      À la suite d’une objection de Rolls-Royce sur la confidentialité d’une annexe de la requête, à savoir le « rapport Nalebuff », une réunion informelle a eu lieu, le 15 octobre 2002, devant le président de la deuxième chambre du Tribunal, au titre de mesures d’organisation de la procédure, à la suite de laquelle la requérante a fourni une nouvelle version non confidentielle de ce document. Interrogée sur le maintien de son objection en considération de cette nouvelle version, Rolls-Royce n’a pas répondu dans les délais fixés.

23      Ayant vu la demande de traitement confidentiel de son mémoire rejetée, au motif qu’un tel traitement n’était pas prévu par le règlement de procédure, Rolls-Royce a déposé une version non confidentielle de celui‑ci et Rockwell a déposé le sien. La requérante et la Commission ont déposé leurs observations sur ces mémoires dans les délais impartis.

24      En application de l’article 14 du règlement de procédure et sur proposition de la deuxième chambre, le Tribunal a décidé, les parties entendues conformément à l’article 51 dudit règlement, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.

25      Dans sa requête, la requérante a demandé la jonction de la présente affaire à l’affaire T-210/01. Le président de la deuxième chambre élargie a déféré la décision sur une éventuelle jonction à cette formation, conformément à l’article 50 du règlement de procédure.

26      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la procédure orale et a posé des questions aux parties, au titre de mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure. Il a également été demandé à la Commission de produire certains documents avant l’audience. Les parties ont déféré à ces demandes.

27      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 2 février 2004, Thales a renoncé à son intervention. Par ordonnance du 23 mars 2004, le président de la deuxième chambre élargie du Tribunal a pris acte de cette renonciation, les autres parties entendues.

28      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience du 25 mai 2004. Au terme de cette audience, la procédure orale a été close.

29      Par lettre du 3 juin 2004, la requérante a déposé au greffe du Tribunal un nouveau document ainsi que ses observations sur la pertinence de celui‑ci, en demandant que ces éléments soient versés au dossier dans la présente affaire. Par ordonnance du 8 juillet 2004, le Tribunal a décidé de rouvrir la procédure orale, conformément à l’article 62 du règlement de procédure, aux fins de permettre aux parties de faire des observations sur cette demande.

30      Les parties entendues, le Tribunal a adopté une mesure d’organisation de la procédure, conformément à l’article 64 du règlement de procédure, consistant à verser au dossier le document et les observations déposées par la requérante le 4 juin 2004. Les observations de la Commission et des parties intervenantes sur la pertinence desdits éléments ont également été versées au dossier.

31      La procédure orale a ensuite été close de nouveau le 23 novembre 2004.

 Conclusions des parties

32      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        joindre la présente affaire à l’affaire T‑210/01, General Electric/Commission ;

–        ordonner toute mesure d’instruction nécessaire ;

–        annuler la décision attaquée ;

–        prendre toute autre mesure alternative ou supplémentaire requise pour l’administration d’une bonne justice ;

–        condamner la Commission et les intervenantes aux dépens.

33      La Commission, soutenue par Rolls-Royce et Rockwell, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

1.     Sur la portée du recours et l’objet du litige

 Arguments des parties

34      La Commission, soutenue à cet égard par Rolls-Royce, fait valoir que le renvoi opéré par la requérante dans sa requête aux arguments invoqués par GE dans l’affaire T‑210/01 est contraire à l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, selon lequel la requête doit contenir un exposé sommaire des moyens. Un tel renvoi serait d’autant plus inacceptable que la requérante n’avait eu connaissance que d’un simple projet de la requête de GE et non d’une version définitive. Le recours devrait donc être déclaré irrecevable en ce qui concerne les questions non expressément abordées dans la requête.

35      La Commission estime, à la lumière du contenu des moyens expressément invoqués par la requérante dans sa requête, qui concernent essentiellement la partie de la décision attaquée consacrée aux ventes groupées, que la requérante méconnaît la partie substantielle et essentielle de cet acte qui est consacrée aux questions de chevauchements horizontaux et d’intégration verticale. La décision attaquée serait fondée sur des éléments de fait et de droit qui, pris ensemble, démontrent que la combinaison de la puissance financière et de l’intégration verticale en matière d’achat, de financement et de crédit-bail d’avions de GE et les positions de force de la requérante sur divers marchés de produits aéronautiques conduisent à la création et au renforcement de positions dominantes.

36      Dans son mémoire en défense, la Commission a déclaré que « la motivation de la décision est fondée sur une combinaison d’éléments de fait et de droit qui pris ensemble (et uniquement pris ensemble) ont conduit la Commission à interdire la concentration envisagée ». Toutefois, elle a précisé, dans son mémoire en duplique ainsi qu’à l’audience, que chacun des éléments de raisonnement distincts retenus dans la décision attaquée aurait suffi à justifier l’interdiction de la concentration, qualifiant de « malencontreuse » sa propre affirmation dans son mémoire en défense dans la mesure où celle‑ci pourrait éventuellement être interprétée comme indiquant le contraire. Ainsi, à supposer même que tous les griefs que la requérante avance, notamment en ce qui concerne les ventes groupées, soient fondés, il n’y aurait pas lieu d’annuler la décision attaquée, dès lors que les motifs restants suffisent à en établir le bien-fondé en ce que la Commission y constate l’incompatibilité de la concentration avec le marché commun.

37      Rolls-Royce souligne que la requérante n’a soulevé aucun argument à l’encontre de la plupart des motifs justifiant l’interdiction de la concentration, notamment le renforcement des positions dominantes de GE sur le marché des moteurs des avions commerciaux de grande taille ou des avions régionaux de grande taille et la création de positions dominantes pour les moteurs des avions d’affaires et les petites turbines à gaz marines. En particulier, la requérante n’aurait pas sérieusement contesté, parmi les trois facteurs indépendants expliquant le renforcement de la position dominante de GE sur le marché des moteurs des avions commerciaux de grande taille, les effets d’exclusion résultant de l’intégration verticale en ce qui concerne les démarreurs de la requérante. En conséquence, le recours serait dépourvu de pertinence et dénué d’objet.

38      Rockwell fait remarquer que la requérante n’a pas abordé les questions de chevauchements horizontaux ou d’intégration verticale dans sa requête, les éléments qui y sont relatifs, figurant dans la requête sous le titre « Résumé de la décision », ne devant être pris que comme une description de ladite décision.

39      La requérante répond à ces objections en trois points.

40      Premièrement, elle relève avoir affirmé, dans sa requête, qu’elle adopte tous les arguments supplémentaires, par rapport aux siens, avancés par GE dans l’affaire T‑210/01. Selon la requérante, un tel renvoi aux écrits déposés dans une autre affaire connexe est permis par la jurisprudence et a pour effet d’incorporer le contenu de ces écrits dans sa requête. Dans sa réplique, elle a invoqué à cet égard l’arrêt du Tribunal du 5 décembre 1990, Marcato/Commission (T‑82/89, Rec. p. II‑735, points 22 à 24). À l’audience, elle a fait référence à un « résumé » de la jurisprudence pertinente figurant dans les conclusions de l’avocat général M. Alber sous l’arrêt de la Cour du 20 septembre 2001, Belgique/Commission (C‑263/98, Rec. p. I‑6063, I‑6064), citant un seul arrêt, celui du Tribunal du 29 juin 1995, ICI/Commission (T‑37/91, Rec. p. II‑1901, points 43 et suivants), dans lequel un renvoi a été admis par le Tribunal à la requête dans l’affaire T‑36/91, qui opposait les mêmes parties, représentées par les mêmes avocats.

41      Par ailleurs, la Commission et Rolls-Royce ne prétendraient pas que leur capacité à se défendre aurait été affectée par ce renvoi et Rockwell aurait été parfaitement en mesure de comprendre et de répondre à l’ensemble des arguments présentés.

42      En outre, la requérante rappelle qu’elle demande la jonction des affaires T‑209/01 et T‑210/01 et fait valoir que, à supposer même que sa requête présente des lacunes comme le prétend la Commission, la jonction des deux affaires permettrait de pallier celles-ci. À l’audience, elle a invoqué, en particulier, l’arrêt de la Cour du 18 mars 1980, Forges de Thy‑Marcinelle et Monceau/Commission (26/79 et 86/79, Rec. p. 1083), à l’appui de sa thèse concernant les effets juridiques de la jonction.

43      Deuxièmement, la requérante prétend que les motifs de la décision attaquée qu’elle remet en cause de manière détaillée dans sa requête, à savoir ceux relatifs aux ventes groupées, constituent l’élément clé de la décision attaquée, de sorte que le fait pour le Tribunal de constater le bien-fondé de ses griefs entraînerait inéluctablement l’annulation de la décision attaquée. Elle relève, à cet égard, que, dans son mémoire en défense, la Commission a elle-même signalé que la décision attaquée est fondée sur un faisceau d’éléments qui, pris ensemble, justifient sa conclusion quant à l’incompatibilité de l’opération notifiée avec le marché commun. Dès lors, la décision attaquée devrait être annulée s’il est démontré que l’aspect essentiel de la motivation de celle-ci relatif aux effets de conglomérat est entaché d’erreurs.

44      À l’audience, la requérante a ajouté que l’attitude de la Commission au cours de la procédure administrative a amené les parties notifiantes à croire que leur opération serait approuvée au cas où une solution permettant d’écarter les réserves de la Commission par rapport aux ventes groupées futures serait trouvée. Ce serait pour cette raison que la requérante s’est principalement focalisée, devant le Tribunal, sur cet aspect de l’affaire.

45      Troisièmement, la requérante relève que, en toute hypothèse, dans le cadre de sa description de la décision attaquée, les questions de chevauchements horizontaux et d’intégration verticale ont été abordées dans sa requête sous le titre « Résumé de la décision ». Sous ledit titre, la requérante offrirait une description commentée de la décision attaquée dans laquelle elle expose que cette décision repose, pour les marchés en cause, sur plusieurs ou tous les éléments suivants : premièrement, les chevauchements horizontaux et les effets anticoncurrentiels verticaux ; deuxièmement, la puissance financière de GE et l’intégration verticale de la requérante avec les filiales de GE, GE Capital Aviation Services (ci‑après « GECAS ») et GE Capital Corporate Aviation Group (ci‑après « GECCAG »), au sein de la nouvelle entité et, troisièmement, la pratique par celle-ci de ventes groupées. La requérante fait observer que, sur les marchés sur lesquels les chevauchements horizontaux jouent un rôle, l’analyse qui en est faite dans la décision attaquée est, pour chaque produit, soit peu crédible, soit insuffisamment motivée. La décision attaquée reposerait donc essentiellement sur les deux autres éléments. Selon la requérante, le deuxième élément est tellement peu vraisemblable qu’il n’est pas nécessaire de s’étendre sur celui‑ci. Ainsi, le troisième élément, à savoir la question des ventes groupées, jouerait un rôle déterminant. D’ailleurs, l’essentiel des désinvestissements considérés comme nécessaires par la Commission concernait cet aspect de la décision attaquée.

46      La requérante insiste sur le fait que les vices de la décision attaquée dénoncés par elle sont suffisamment graves pour que celle-ci soit annulée dans son intégralité. En effet, comme la Commission le reconnaîtrait, seule la combinaison des éléments de fait et de droit considérés dans leur ensemble justifierait l’interdiction de la concentration. En réponse à Rolls-Royce, la requérante précise que la question des démarreurs, résolue d’ailleurs par les engagements, ne saurait suffire à justifier la décision attaquée.

47      Pour l’ensemble de ces raisons, les objections soulevées par la Commission et les intervenantes, tenant à la prétendue irrecevabilité du renvoi à la requête de GE et au caractère inopérant des moyens avancés dans la requête déposée dans la présente affaire, seraient contraires au principe de bonne administration de la justice et ne reposeraient sur aucun élément établi.

 Appréciation du Tribunal

 Introduction

48      Il convient de relever tout d’abord que, dans la mesure où certains des motifs dont une décision fait état sont, à eux seuls, de nature à justifier celle-ci à suffisance de droit, les erreurs qui pourraient entacher d’autres motifs de l’acte, sont, en tout état de cause, sans influence sur son dispositif (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 12 juillet 2001, Commission et France/TF1, C‑302/99 P et C‑308/99 P, Rec. p. I‑5603, points 26 à 29).

49      En outre, dès lors que le dispositif d’une décision de la Commission repose sur plusieurs piliers de raisonnement dont chacun suffirait à lui seul à fonder ce dispositif, il n’y a lieu d’annuler cet acte, en principe, que si chacun de ces piliers est entaché d’illégalité. Dans cette hypothèse, une erreur ou une autre illégalité qui n’affecterait qu’un seul des piliers du raisonnement ne saurait suffire à justifier l’annulation de la décision litigieuse parce qu’elle n’aurait pu avoir une influence déterminante quant au dispositif retenu par l’institution (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 14 mai 2002, Graphischer Maschinenbau/Commission, T‑126/99, Rec. p. II‑2427, points 49 à 51, et la jurisprudence citée). Cette règle s’applique notamment dans le contexte des décisions en matière de contrôle des concentrations (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 22 octobre 2002, Schneider Electric/Commission, T‑310/01, Rec. p. II‑4071, points 404 à 420, ainsi que les points 80 et 81 ci-après).

50      Il convient de rappeler également à cet égard que, dans la mesure où un pilier du raisonnement suffisant à fonder le dispositif d’un acte n’est pas remis en cause par une requérante dans son recours en annulation, il y a lieu de considérer ce pilier, ainsi que, partant, l’acte qui repose sur celui-ci comme licite et établi à son égard (voir, en ce sens et par analogie, arrêt de la Cour du 14 septembre 1999, Commission/AssiDomän Kraft Products e.a., C‑310/97 P, Rec. p. I‑5363, points 57 à 63).

51      Compte tenu des considérations qui précèdent, il y a lieu d’examiner si, en l’espèce, les moyens avancés par la requérante suffisent, à les supposer fondés, à infirmer le dispositif de la décision attaquée et pourraient soutenir, dès lors, un recours susceptible d’aboutir, le cas échéant, à l’annulation de celle‑ci. Dans l’hypothèse où les moyens dûment soulevés ne seraient pas aptes, même pris ensemble, à justifier l’annulation de la décision attaquée, ils seraient inopérants et, en conséquence, le recours dans son ensemble serait non fondé (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 17 décembre 1997, EFMA/Conseil, T‑121/95, Rec. p. II‑2391, points 115 à 122).

52      À cet égard, il importe d’établir d’abord quelle est la portée effective du présent recours, en examinant à cet égard l’éventuelle irrecevabilité de certains des moyens que la requérante prétend avoir avancés.

 Sur le renvoi aux moyens soulevés dans l’affaire T‑210/01

53      Sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité, la Commission a excipé de l’irrecevabilité de certains aspects spécifiques du recours. Il convient, en tout état de cause, de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les conditions de recevabilité des recours sont des fins de non-recevoir d’ordre public que le juge communautaire peut et doit soulever d’office le cas échéant (ordonnances du Tribunal du 15 septembre 1998, Michailidis e.a./Commission, T‑100/94, Rec. p. II‑3115, point 49, et du 25 octobre 2001, Métropole Télévision – M 6/Commission, T-354/00, Rec. p. II-3177, point 27 ; voir également, en ce sens, ordonnance de la Cour du 5 juillet 2001, Conseil national des professions de l’automobile e.a./Commission, C‑341/00 P, Rec. p. I‑5263, point 32).

54      Selon l’article 21 du statut de la Cour de justice et l’article 44, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, la requête doit contenir, notamment l’« objet du litige » et l’« exposé sommaire des moyens invoqués ». De plus, selon l’article 48, paragraphe 2, dudit règlement « [l]a production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure ». Il résulte de ces dispositions que tout moyen qui n’est pas suffisamment articulé dans la requête introductive d’instance doit être considéré comme irrecevable. La jurisprudence confirme explicitement que, s’agissant d’une fin de non-recevoir d’ordre public, cette irrecevabilité peut être soulevée d’office par le Tribunal, au besoin (arrêt du Tribunal du 21 mars 2002, Joynson/Commission, T‑231/99, Rec. p. II‑2085, point 154).

55      Il résulte en outre de la jurisprudence que l’exposé sommaire des moyens de la partie requérante doit être suffisamment clair et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autre information à l’appui (arrêts du Tribunal du 24 février 2000, ADT Projekt/Commission, T‑145/98, Rec. p. II‑387, point 66, et du 16 mars 2004, Danske Busvognmænd/Commission, T‑157/01, non encore publié au Recueil, point 45). Des exigences analogues sont requises lorsqu’un grief est invoqué au soutien d’un moyen (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Mo Och Domsjö/Commission, T‑352/94, Rec. p. II‑1989, point 333).

56      Par ailleurs, selon une jurisprudence bien établie, afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit, sur lesquels celui‑ci se fonde, ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (voir arrêt de la Cour du 9 janvier 2003, Italie/Commission, C‑178/00, Rec. p. I‑303, point 6 ; arrêts du Tribunal du 6 mai 1997, Guérin automobiles/Commission, T‑195/95, Rec. p. II‑679, points 20 et 21 ; ADT Projekt/Commission, point 55 supra, point 66 ; ordonnance du Tribunal du 25 juillet 2000, RJB Mining/Commission, T‑110/98, Rec. p. II‑2971, point 23, et la jurisprudence citée ; arrêts du Tribunal du 10 avril 2003, Travelex Global and Financial Services et Interpayment Services/Commission, T‑195/00, Rec. p. II‑1677, point 26, et Danske Busvognmænd/Commission, point 55 supra, point 45 ; voir également, en ce sens, arrêts de la Cour du 15 décembre 1961, Fives Lille Cail e.a./Haute Autorité, 19/60, 21/60, 2/61 et 3/61, Rec. p. 561, 588, et du 5 mars 1991, Grifoni/CEEA, C‑330/88, Rec. p. I‑1045, points 17 et 18).

57      À cet égard, si le corps de la requête peut être étayé et complété, sur des points spécifiques, par des renvois à des extraits de pièces qui y sont annexées, un renvoi global à d’autres écrits, même annexés à la requête, ne saurait pallier l’absence des éléments essentiels de l’argumentation en droit, qui, en vertu des dispositions ci-dessus rappelées, doivent figurer dans la requête (ordonnance du Tribunal du 21 mai 1999, Asia Motor France e.a./Commission, T‑154/98, Rec. p. II‑1703, point 49). En outre, il n’appartient pas au Tribunal de rechercher et d’identifier, dans les annexes, les moyens et arguments qu’il pourrait considérer comme constituant le fondement du recours, les annexes ayant une fonction purement probatoire et instrumentale (arrêt Joynson/Commission, point 54 supra, point 154 ; arrêts du Tribunal du 7 novembre 1997, Cipeke/Commission, T‑84/96, Rec. p. II‑2081, point 34, et du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, T‑305/94 à T‑307/94, T‑313/94 à T‑316/94, T‑318/94, T‑325/94, T‑328/94, T‑329/94 et T‑335/94, Rec. p. II‑931, point 39, non annulé sur ce point par la Cour, sur pourvoi, dans son arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C-238/99 P, C-244/99 P, C‑245/99 P, C-247/99 P, C-250/99 P à C-252/99 P et C-254/99 P, Rec. p. I-8375).

58      Cependant, la requérante invoque plusieurs arrêts dans lesquels le juge communautaire a permis le renvoi aux écrits présentés devant la même juridiction dans d’autres affaires (voir point 40 ci‑dessus). Selon la requérante, un renvoi aux écrits soumis au même juge dans une autre affaire ne doit pas être considéré comme irrecevable.

59      La jurisprudence invoquée par la requérante, au point 40 ci-dessus, pour justifier un tel renvoi ne saurait toutefois amener le Tribunal à écarter, en l’espèce, l’application de la règle énoncée ci‑dessus selon laquelle les moyens soulevés par une partie requérante doivent être exposés de manière sommaire dans la requête même. Le Tribunal a relevé dans son arrêt ICI/Commission, point 40 supra (point 45), que la jurisprudence de la Cour tient compte à cet égard des particularités de chaque cas d’espèce, en citant à l’appui de cette affirmation les arrêts du 29 novembre 1956, Charbonnages de Beeringen e.a./Haute Autorité (9/55, Rec. p. 325, 352), du 8 juillet 1965, Prakash/Commission (19/63 et 65/63, Rec. p. 677, 693), du 13 juillet 1965, Lemmerz-Werke/Haute Autorité (111/63, Rec. p. 835, 858), du 28 avril 1971, Lütticke/Commission (4/69, Rec. p. 325, point 2), et Forges de Thy‑Marcinelle et Monceau/Commission, point 42 supra (point 4).

60      À cet égard, il y a lieu d’observer, tout d’abord, qu’une approche consistant à admettre un tel renvoi à une requête introduite dans une autre affaire serait en principe incompatible avec la jurisprudence citée aux points 55 à 57 ci-dessus, selon laquelle la requête elle-même doit contenir un exposé sommaire des moyens avancés permettant, notamment, au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autre information à l’appui.

61      Si le juge communautaire a parfois admis la possibilité que des moyens soient soulevés par le biais d’un renvoi à une autre affaire (arrêt Forges de Thy‑Marcinelle et Monceau/Commission, point 42 supra, et arrêt Marcato/Commission, point 40 supra), il a refusé cette possibilité dans d’autres affaires (voir arrêt Charbonnages de Beeringen e.a./Haute Autorité, point 59 supra, et arrêt Prakash/Commission, point 59 supra), sans pour autant indiquer, du moins explicitement, un critère déterminant par rapport à ce choix.

62      Il convient de relever que, dans toutes les affaires ayant donné lieu aux arrêts invoqués par la requérante ou cités au point 45 de l’arrêt ICI/Commission, point 40 supra, dans lesquelles le juge communautaire a accepté que des moyens non exposés expressément dans la requête puissent être considérés comme validement soulevés du fait d’un tel renvoi, la partie requérante avait renvoyé à ses propres écrits dans une autre affaire.

63      En l’espèce, comme cela a été relevé ci-dessus, le renvoi effectué par la requérante dans sa requête se rapporte à la requête introduite le même jour par une autre requérante, GE.

64      Or, ce serait permettre le contournement des exigences impératives de l’article 44, paragraphe 1, du règlement de procédure, rappelées au point 54 ci-dessus, que d’admettre la recevabilité de moyens non exposés de manière expresse dans la requête au motif qu’ils ont été soulevés par un tiers dans une autre affaire, à laquelle il serait renvoyé dans la requête.

65      Il convient de relever, de plus, que GE est représentée dans l’affaire T‑210/01 par d’autres conseils que ceux qui représentent la requérante en l’espèce. En outre, la requête de GE n’est pas annexée à celle déposée par la requérante dans la présente affaire. Ces circonstances ne peuvent que renforcer la conclusion reprise au point précédent dans la mesure où elles confirment le caractère distinct et autonome du présent recours par rapport à celui enregistré sous le numéro T-210/01.

66      Il convient de rappeler également que chaque partie est seule responsable du contenu des actes de procédure qu’elle dépose, principe consacré, notamment, à l’article 43, paragraphe 1, du règlement de procédure (voir, en ce sens, arrêt ICI/Commission, point 40 supra, point 46). Or, si la requérante affirme avoir pris connaissance de la version provisoire de la requête de GE, elle ne prétend pas qu’elle savait, au moment de déposer sa propre requête, quel était le contenu exact de la requête définitive de GE à laquelle elle renvoyait. Contrairement aux exigences d’une bonne administration de la justice, le renvoi à la requête de GE ne permettait donc pas au Tribunal d’identifier avec suffisamment de précision les moyens dont il était saisi lors de l’introduction du recours dans la présente affaire.

67      Compte tenu de ce qui précède et sans qu’il soit besoin de trancher dans la présente affaire la question de savoir dans quelles conditions une requérante pourrait éventuellement être en droit de soulever des moyens par le biais d’un renvoi à ses propres écrits dans une autre affaire, il y a lieu de considérer que l’identité des parties, et en particulier de la requérante, dans les deux affaires est une condition essentielle de la recevabilité de moyens prétendument soulevés par le biais d’un renvoi aux écrits dans une autre affaire.

68      Il résulte de ce qui précède que le renvoi fait par la requérante à la requête déposée par GE dans l’affaire T-210/01 n’a pas pour effet d’incorporer, dans la requête déposée par la requérante en l’espèce, les moyens soulevés par GE dans ladite affaire.

 Sur la demande de jonction

69      Au soutien de sa demande de jonction de la présente affaire à l’affaire T-210/01, la requérante avance que, à supposer même que le renvoi effectué dans sa requête à celle de GE ne permette pas de considérer comme recevables les moyens qu’elle aurait souhaité soulever par rapport aux aspects de l’affaire autres que les ventes groupées, cette jonction permettrait de couvrir les éventuelles lacunes entachant la recevabilité de sa propre requête. À l’audience, la requérante a invoqué l’arrêt Forges de Thy-Marcinelle et Monceau/Commission, point 42 supra (point 4), ainsi qu’une jurisprudence qu’elle a décrite comme remontant au début de l’histoire juridictionnelle communautaire.

70      En ce qui concerne les conséquences d’une éventuelle jonction des affaires T‑209/01 et T‑210/01, il convient de rappeler, d’abord, que selon l’article 50 du règlement de procédure :

« Le président, les parties et l’avocat général entendus, peut, à tout moment pour cause de connexité ordonner la jonction de plusieurs affaires portant sur le même objet aux fins de la procédure écrite ou orale ou de l’arrêt qui met fin à l’instance. Il peut les disjoindre à nouveau. Le président peut déférer ces questions au Tribunal. »

71      Comme la Cour l’a relevé dans son arrêt du 21 juin 2001, Moccia Irme e.a./Commission (C‑280/99 P à C‑282/99 P, Rec. p. I‑4717, point 66), il résulte de cette disposition qu’une ordonnance de jonction n’affecte pas l’indépendance et la nature autonome des affaires qui y sont visées, une décision de les disjoindre étant toujours possible. Ainsi, dans cet arrêt, la Cour a considéré que deux requérantes étaient irrecevables à s’appuyer devant la Cour sur des moyens qu’elles n’avaient pas soulevés en première instance, malgré la jonction devant le Tribunal de leurs affaires avec d’autres affaires dans lesquelles ces moyens avaient effectivement été soulevés par d’autres requérantes (points 61 à 68 de l’arrêt).

72      Force est de constater également que la jonction est une mesure que le président, ou le cas échéant le Tribunal, peut ordonner, selon les termes de l’article 50 du règlement de procédure, mais qu’il n’y est pas tenu même si les parties le lui demandent, cette décision relevant de sa libre appréciation quant à la manière la plus appropriée d’organiser la procédure. Il s’ensuit que la thèse de la requérante aurait pour conséquence, si elle devait être admise, qu’une décision procédurale du président relevant de la libre appréciation de celui-ci pourrait élargir la portée d’une requête et, par conséquent, être déterminante pour l’issue de la procédure judiciaire, ce qui introduirait un élément arbitraire dans cette dernière.

73      En ce qui concerne l’arrêt Charbonnages de Beeringen e.a./Haute Autorité, point 59 supra, il y a lieu de relever que la Cour, en affirmant qu’une référence générale à ce qui est dit dans une autre affaire ne suffit pas pour que la requête soit recevable et cela d’autant moins que la référence a été faite sans demander en même temps la jonction des affaires, n’a pas jugé qu’en présence d’une demande de jonction formulée en temps utile la requête aurait été recevable. En revanche, elle s’est bornée à constater que, dans l’affaire qui l’occupait, l’absence d’une telle demande invitant la Cour à considérer les deux affaires ensemble renforçait le caractère insuffisant du renvoi global effectué dans la requête au recours intenté par une tierce personne.

74      En outre, dans la mesure où la Cour, dans son arrêt Forges de Thy‑Marcinelle et Monceau/Commission, point 42 supra, a considéré que « la recevabilité de la seconde requête couvre l’irrecevabilité de la première », il convient de relever que, dans cette affaire, les requêtes en cause avaient été déposées par la même personne, tandis qu’en l’espèce la requérante demande à s’appuyer sur des moyens soulevés par un tiers.

75      Ainsi, sans qu’il soit besoin de se prononcer dans la présente affaire sur les éventuels effets de la jonction de deux recours introduits par la même requérante, il suffit de constater que le fait de joindre deux affaires dans lesquelles les requérantes sont différentes ne peut changer la portée de la requête déposée séparément par chacune d’elles, sous peine de violer l’indépendance et l’autonomie de leurs recours distincts (voir, par analogie, arrêt Moccia Irme e.a./Commission, point 71 supra, point 66).

76      Dès lors, dans la présente affaire, seuls les moyens autres que ceux qui sont prétendument soulevés par le seul biais du renvoi global à la requête de GE peuvent être pris en considération.

77      Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de joindre la présente affaire à l’affaire T‑210/01. La demande en ce sens formulée par la requérante dans sa requête est donc rejetée.

 Sur le caractère opérant des moyens soulevés dans la présente affaire

78      Le second argument de la requérante, à cet égard, consiste à faire valoir que les motifs relatifs aux ventes groupées constituent l’élément clé de la décision attaquée sans lequel cet acte ne saurait être maintenu.

79      Il convient de rappeler qu’il résulte de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 que, en matière de concentrations, si une opération notifiée crée ou renforce une position dominante sur un seul marché ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun, la Commission doit, en principe, l’interdire, à supposer même que l’opération ne donne lieu à aucune autre entrave à la concurrence. Lorsque la Commission examine successivement plusieurs marchés et conclut qu’une position dominante sera créée ou renforcée sur plusieurs d’entre eux ayant comme conséquence qu’une concurrence effective sera entravée de manière substantielle, il y a lieu de constater que, sauf indication expresse du contraire dans la décision, elle considère que la situation sur chacun de ces marchés résultant de la concentration aurait justifié, à elle seule, l’interdiction de l’opération notifiée.

80      À cet égard, il convient de rappeler que, dans son arrêt Schneider Electric/Commission, point 49 supra (points 404 à 420), le Tribunal a relevé que les erreurs constatées dans cette affaire concernant l’analyse des différents marchés nationaux ne pouvaient en elles-mêmes suffire à remettre en cause les griefs que la Commission avait émis à l’égard des marchés sectoriels français différents. Ainsi, l’analyse sous-tendant la décision de la Commission aboutissant à l’interdiction de la concentration en cause ne pouvait être tenue pour insuffisante pour ces derniers marchés du seul fait des erreurs constatées sur d’autres marchés.

81      De même, lorsque la Commission constate qu’une position dominante sera créée ou renforcée sur un seul marché pour plusieurs raisons distinctes et autonomes, il convient de considérer en principe, et en l’absence d’une indication contraire dans les motifs pertinents de la décision adoptée par la Commission, que chacune des raisons avancées aurait, à elle seule, amené la Commission à cette constatation. Cela est d’autant plus vrai lorsqu’il ressort de la description autonome d’un tel élément de raisonnement qu’il suffit à lui seul à établir que les conditions de concurrence sur le marché en cause seraient changées qualitativement ou de manière substantielle.

82      En l’espèce, la Commission a précisé au considérant 567 de la décision attaquée qu’il y avait lieu de conclure que « la concentration envisagée conduirait à la création ou au renforcement d’une position dominante sur les marchés des moteurs [d’avions commerciaux de grande taille], des réacteurs de [grands] avions à réaction régionaux, des moteurs d’avions à réaction d’affaires, des produits avioniques et non avioniques, ainsi que des petites turbines à gaz marines, ayant comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière substantielle dans le marché commun. »

83      Comme elle le relève dans son mémoire en défense, la Commission n’a pas créé de hiérarchie, dans la décision attaquée, entre les problèmes concurrentiels constatés sur chacun des marchés qu’elle a examinés et qu’elle a énumérés ensuite, dans le cadre de sa conclusion exposée au point précédent. Dès lors, il convient de déduire de la décision attaquée que chaque volet distinct de son raisonnement et, surtout, son analyse de chacun des marchés énumérés audit point constituent effectivement un pilier autonome de la décision attaquée.

84      Cette conclusion est confortée par un examen détaillé de ces différents volets du raisonnement de la Commission.

85      À cet égard, il convient de constater que les considérations relatives aux chevauchements horizontaux résultant de l’opération notifiée sur, respectivement, le marché des réacteurs pour avions régionaux de grande taille, le marché des réacteurs pour avions d’affaires et le marché des petites turbines à gaz, ne sont pas susceptibles de se renforcer mutuellement compte tenu de l’absence de liens économiques entre ces marchés. En particulier, la création d’une position dominante sur le marché des petites turbines à gaz marines ne saurait affecter ni être affectée par la création ou le renforcement de positions dominantes sur les différents marchés des réacteurs et autres composants aéronautiques, dès lors qu’il s’agit, dans les deux cas, de produits relevant de secteurs commerciaux distincts.

86      Par ailleurs, il convient de relever à cet égard que, aux considérants 428 à 431, sous l’intitulé « a) Chevauchement horizontal sur les plates-formes existantes », la Commission a décrit les effets immédiats de la concentration sur le marché des réacteurs pour avions régionaux de grande taille résultant dudit chevauchement. Cette description contient une référence à l’influence de GE Capital et de GECAS, facteur renforçant la position dominante préexistante de GE sur le marché en cause, opérée par la Commission pour rejeter l’argument des parties à la concentration selon lequel le monopole créé par leur fusion serait un phénomène purement statique. En revanche, la Commission n’a pas, dans ce contexte, invoqué sa thèse relative aux ventes groupées. Cette dernière thèse n’a été évoquée, en ce qui concerne le marché des réacteurs pour avions régionaux de grande taille, que sous l’intitulé « b) Effets de l’opération sur les futurs appels d’offres relatifs aux plates-formes », qui contient un exposé distinct consacré aux effets à moyen et à long terme de la fusion sur ledit marché. Il résulte de ce qui précède que la Commission a constaté dans la décision attaquée que le chevauchement horizontal sur le marché des réacteurs pour avions régionaux de grande taille résultant de la concentration aurait renforcé la position dominante préexistante de GE dans l’immédiat indépendamment de tout autre facteur pouvant renforcer encore cette position à l’avenir.

87      Quant au marché des petites turbines à gaz, la Commission a décrit le chevauchement horizontal sous un intitulé séparé, aux considérants 476 et 477 de la décision attaquée, avant d’examiner, dans des sections distinctes, l’« éviction des concurrents » du marché par l’intégration verticale de la requérante à GE et l’« éviction des concurrents » du marché par l’intégration verticale, d’une part, des petites turbines à gaz marines et, d’autre part, des produits électroniques et des commandes de la requérante. La Commission a exposé, au considérant 476 de la décision, que la concentration créerait une entité détenant entre 65 et 80 % du marché en cause, étant quatre à cinq fois plus grande que son concurrent immédiat. Au considérant 477, elle en tire la conclusion que cette entité serait de loin l’acteur le plus important sur le marché des petites turbines à gaz marines et expose les raisons pour lesquelles la concurrence livrée par les autres acteurs actuels et potentiels sur ce marché ne serait pas effective. Il découle ainsi de la structure et du libellé de cette partie de la décision attaquée que, selon la Commission, les effets de la concentration décrits dans la première section consacrée au chevauchement horizontal dans le domaine des turbines suffisaient pour créer la position dominante sur ce marché, indépendamment des autres facteurs servant à verrouiller le marché et, partant, renforcer encore cette position.

88      En tout état de cause, il convient de relever que, en l’espèce, la requérante n’a pas contesté non plus la thèse de la Commission relative à l’éviction des concurrents du marché des petites turbines à gaz marines du fait de l’intégration verticale des activités de fabrication de ces produits de GE et de l’activité de fabrication de commandes et d’autres composants utilisés dans lesdites turbines de la requérante, ni sa thèse relative à l’exclusion des concurrents du marché des petites turbines à gaz marines résultant de l’intégration verticale de la requérante à GE en raison de la puissance financière de cette dernière (voir les considérants 478 à 484 de la décision attaquée ainsi que les points 113 et 114 ci-après).

89      En ce qui concerne l’exclusion des concurrents du marché par l’intégration verticale de l’activité de fabrication de réacteurs pour avions commerciaux de grande taille et de celle des démarreurs de la requérante, la Commission a exposé explicitement, au considérant 419 de la décision attaquée, que, indépendamment des conséquences des offres groupées de produits, l’opération de concentration envisagée renforcerait la position dominante de GE sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille du fait de l’exclusion verticale des motoristes concurrents.

90      Toutefois, la requérante a relevé, dans sa réplique, que la Commission a affirmé, au point 51 de son mémoire en défense, que, « [e]n outre et avant tout, la motivation de la décision [était] fondée sur une combinaison d’éléments de fait et de droit qui, pris ensemble (et uniquement pris ensemble), [avaient] conduit la Commission à interdire la concentration envisagée ». Selon la requérante, il découle de cette affirmation que la décision attaquée ne saurait échapper à l’annulation que si tous les principaux éléments sur lesquels elle repose sont fondés, et notamment l’analyse des ventes groupées qu’elle remet en cause de manière détaillée dans sa requête.

91      La Commission a toutefois affirmé, au point 18 de son mémoire en duplique, et réitéré à l’audience, que chacun des piliers qu’elle a retenus dans la décision attaquée aurait suffi à justifier l’interdiction de l’opération notifiée. À l’audience, elle a qualifié sa propre affirmation, citée au point précédent, de « malencontreuse » et a relevé que cette affirmation s’inscrit dans une analyse formulée pour répondre aux arguments de la requérante suivant lesquels la décision repose « en grande partie » sur deux théories, à savoir, premièrement, la prétendue puissance financière de GE et son intégration verticale dans les services financiers, l’achat d’aéronefs, le crédit-bail et les activités d’après-vente et, deuxièmement, la pratique future de ventes groupées.

92      Or, cette explication de la Commission doit être acceptée.

93      En effet, il ressort d’une lecture d’ensemble des points 48 à 51 du mémoire en défense que la Commission a cherché à remettre en cause la thèse de la requérante selon laquelle ces deux « théories » constituaient à elles seules le véritable fondement de la décision attaquée, à l’exclusion des autres aspects anticoncurrentiels de l’opération notifiée analysés dans cet acte.

94      En outre, comme la Commission l’a relevé à juste titre à l’audience, il appartient au Tribunal de contrôler la légalité de la décision elle-même en tenant compte des motifs avancés dans cet acte et non pas au vu de ce qui a été affirmé à son égard dans le mémoire en défense. Certes, la Commission s’est exprimée dans son mémoire en défense d’une manière ambiguë, une telle expression pouvant être interprétée en ce sens qu’elle renonce à faire valoir que chaque élément de son analyse pouvait suffire à fonder la décision attaquée. Mais, étant donné qu’elle a précisé dans son mémoire en duplique et à l’audience que tel n’était pas sa position, il n’y a pas lieu d’interpréter la décision attaquée de cette manière, à savoir de manière contraire à ce qui ressort de son libellé, de sa structure et de son économie générale (voir les points 79 à 85 ci-dessus).

95      À l’audience, la requérante a aussi fait valoir que le Tribunal devait se borner à examiner si la situation concurrentielle telle que la Commission l’avait constatée était différente de celle qui résulterait réellement de la concentration. Au cas où il y aurait des différences significatives à cet égard, la décision attaquée devrait être annulée. Par cette argumentation, la requérante prétend, en substance, qu’il appartient à la Commission de décider s’il convient d’interdire une concentration à la suite d’un arrêt du Tribunal rejetant son analyse par rapport à certains marchés. Il n’appartiendrait donc pas au Tribunal, selon cette argumentation, de maintenir une décision d’interdiction en substituant sa propre conclusion globale à celle de la Commission.

96      Cependant, comme cela a été relevé au point 79 ci-dessus, la Commission doit interdire une concentration remplissant les critères de l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89. Ainsi, il n’y a pas lieu d’annuler une décision d’interdiction au motif que la requérante a démontré l’existence d’une ou de plusieurs erreurs entachant l’analyse retenue par rapport à un ou à plusieurs marchés, dès lors qu’il ressort néanmoins de la décision d’interdiction que la concentration notifiée remplissait lesdits critères par rapport à un ou à plusieurs autres marchés (voir les points 48 à 50 et 79 à 81 ci‑dessus). En particulier, si les motifs concernant ces autres marchés ne sont pas remis en cause dans la requête, il convient de considérer, aux fins du recours en question, qu’ils sont fondés. En tirant ainsi les conséquences de la portée matérielle d’une requête, le Tribunal ne substitue pas ses appréciations à celles de la Commission parce que ce sont celles de l’institution elle-même, qui n’ont pas été mises en cause, qui continuent à constituer le fondement de cet acte.

97      Dans le cadre de son argumentation reprise au point 78 ci‑dessus, la requérante a également relevé, à l’audience, que la Commission a donné l’impression, en particulier au cours de la procédure administrative, que le risque de ventes groupées après la concentration était l’aspect déterminant de l’affaire. Cette impression aurait faussé toute la procédure administrative et privé les parties à la concentration de la possibilité de proposer des engagements susceptibles de résoudre les autres problèmes. Ce serait également pour cette raison que la requérante a focalisé sa requête sur les effets de conglomérat qui résulteraient prétendument de la concentration.

98      Cette argumentation avancée par la requérante pour la première fois à l’audience constitue un moyen nouveau. Étant donné que ce moyen a trait à l’attitude prétendument adoptée par la Commission au cours de la procédure administrative, il va de soi que la requérante était en mesure de le soulever dès sa requête introductive d’instance. En conséquence, il est irrecevable conformément à l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure.

99      En toute hypothèse, la Commission a clairement énoncé, dans sa communication des griefs du 8 mai 2001, les griefs concernant toutes les conséquences anticoncurrentielles de la fusion, notamment ceux concernant les effets horizontaux et verticaux découlant de celle-ci, retenus ultérieurement dans la décision attaquée (voir, en particulier, les points 118 à 122, 124 à 126, 459 à 471, 473, 474, 578 à 586 et 612 à 633 de cette communication). Or, il convient de considérer que, en matière de contrôle des concentrations, la Commission ne peut pas être obligée, au-delà de l’obligation d’exposer les griefs qu’elle retient dans une communication et de compléter celle-ci au cas où elle déciderait ensuite de retenir de nouvelles objections, d’indiquer l’état de sa réflexion sur l’éventuelle résolution des problèmes précédemment constatés entre l’envoi de cette communication et l’adoption de la décision finale (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 14 juillet 1972, Sandoz/Commission, 53/69, Rec. p. 845, point 14, et du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, points 192 et 193 ; arrêt du Tribunal du 4 mars 1999, Assicurazioni Generali et Unicredito/Commission, T‑87/96, Rec. p. II‑203).

100    De plus, la requérante n’ayant pas même prétendu avoir reçu des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables de la part de la Commission par rapport à la renonciation de celle-ci à certains griefs, le principe de la confiance légitime ne saurait s’appliquer en l’espèce (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 6 juillet 1999, Forvass/Commission, T‑203/97, RecFP p. I‑A‑129 et II‑705, point 70, et la jurisprudence citée, et du 18 janvier 2000, Mehibas Dordtselaan/Commission, T‑290/97, Rec. p. II‑15, point 59).

101    Enfin, il convient de relever, à toutes fins utiles, en ce qui concerne le marché des réacteurs pour avions régionaux de grande taille, que la Commission a constaté au considérant 20 de la décision attaquée l’importance particulière de ces avions dans le contexte communautaire, étant donné qu’ils constituaient 14 % de l’ensemble de la flotte européenne en 1992 et 33 % de celle-ci en 1998. Elle a relevé, au considérant 431 de la décision attaquée, que l’importance de ce marché sur lequel l’entité fusionnée aurait un monopole à la suite de la fusion aurait pour conséquence que les compagnies aériennes deviendraient de plus en plus dépendantes de cette entité.

102    En tenant compte de ce qui précède, il y a lieu de rejeter l’argumentation de la requérante selon laquelle les griefs qu’elle a avancés sur le fond concernant les effets de conglomérat, essentiellement les ventes groupées, suffisent à justifier l’annulation de la décision attaquée.

103    Force est de constater que les effets anticoncurrentiels horizontaux et verticaux de l’opération de concentration relevés dans la décision attaquée ne sont pas des motifs subsidiaires dans l’économie générale de la décision attaquée et suffisent à appuyer l’interdiction de l’opération notifiée.

104    Par conséquent, la requête ne saurait aboutir à l’annulation de la décision attaquée que si les moyens expressément soulevés dans la requête elle-même remettent en cause la conclusion de la Commission sur chacun des aspects autonomes examinés dans la décision attaquée, et notamment les effets anticoncurrentiels horizontaux et verticaux qui y sont constatés.

 Sur la portée de la requête

105    Enfin, il y a lieu d’examiner à cet égard l’argumentation de la requérante, selon laquelle celle-ci a avancé des griefs, dans sa requête sous l’intitulé « Résumé de la décision », relatifs aux effets anticoncurrentiels horizontaux et verticaux de la concentration constatés dans la décision attaquée. Il y a lieu d’examiner si ces observations de la requérante peuvent être qualifiées de moyens.

106    À cet égard, il convient de constater, tout d’abord, que des éléments figurant dans une requête en annulation sous l’intitulé « Résumé de la décision » n’ont pas, à première vue, pour vocation de constituer des moyens autonomes susceptibles d’aboutir à l’annulation de la décision attaquée, mais plutôt de décrire l’acte mis en cause. Toutefois, il n’est pas possible d’exclure a priori la possibilité que cette partie de la requête puisse contenir l’exposé d’un ou de plusieurs moyens d’annulation. Néanmoins, ce n’est que dans la mesure où il ressort d’un passage figurant sous cet intitulé de manière claire et univoque que, outre sa fonction descriptive, ce passage remet en cause la validité des constatations retenues dans la décision attaquée que celui-ci peut, le cas échéant, être considéré comme constituant un moyen, nonobstant la structure de la requête et sa place dans l’économie générale de celle-ci.

107    Sont examinées successivement ci-après les affirmations exposées dans la requête sous l’intitulé « Résumé de la décision » relatives à chacun des principaux piliers sur lesquels repose la décision attaquée.

–       Chevauchement horizontal sur le marché des réacteurs pour avions régionaux de grande taille

108    À cet égard, la requérante se borne à affirmer ce qui suit, au point 30 de sa requête :

« […] la Commission concède que l’augmentation de part de marché résultant de la fusion est ‘plutôt réduite’ et se ferait dans le contexte de la domination soi-disant préexistante de GE. Par conséquent, les assertions selon lesquelles l’intégration de GE et Honeywell empêcherait les clients ‘de bénéficier d’une concurrence sur les prix’ (ce qui semble en contradiction avec la conclusion selon laquelle GE domine déjà le marché) et leur donnerait ‘un avantage de titularisation exceptionnel pour [...] de futures plates-formes’, ont peu ou pas de poids. »

109    Il découle de ces affirmations que la requérante considère que les motifs de la décision attaquée relatifs à ce marché décrivent un changement de l’environnement concurrentiel qui est peu important. Toutefois, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels le recours se fonde à cet égard ne ressortent pas d’une façon cohérente et compréhensible, même sommairement, du passage cité au point précédent. En effet, la requérante se borne à mettre en exergue le peu d’importance des effets anticoncurrentiels horizontaux constatés par la Commission concernant les effets horizontaux sur le marché des réacteurs pour avions régionaux de grande taille sans expliquer quelles seraient, selon elle, les conséquences juridiques de cette argumentation.

110    En particulier, il n’est pas possible de déduire du passage en cause si la position de la requérante consiste à faire valoir que la « soi-disant » position dominante préexistante de GE sur ce marché ne serait aucunement renforcée par l’opération de concentration ou si elle serait renforcée dans une mesure non significative couverte par la notion de « de minimis » ou, enfin, si le renforcement de cette position dominante n’aurait pas comme conséquence qu’une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci. Dans ces conditions, il n’appartient pas au Tribunal de compléter cette partie de la requête en choisissant lui‑même la qualification juridique qu’il convient de donner aux critiques excessivement floues formulées par la requérante.

111    Ainsi, le passage du point 30 de la requête figurant sous l’intitulé « Résumé de la décision » n’est pas suffisamment clair et précis pour constituer l’exposé d’un moyen au sens de l’article 44, paragraphe 1, du règlement de procédure et de la jurisprudence qui l’a interprété (voir, en particulier, point 55 ci-dessus).

112    Dès lors, quelle que soit la situation en ce qui concerne les autres marchés examinés dans la décision attaquée, il convient de constater que l’analyse de la Commission quant au chevauchement horizontal sur le marché des réacteurs pour avions régionaux de grande taille n’a pas été mise en cause dans la requête et doit, en conséquence, être réputée fondée aux fins de la présente procédure.

–       Chevauchement horizontal sur le marché des petites turbines à gaz marines

113    À cet égard, la requérante s’est bornée à exposer ce qui suit, au point 39 de sa requête :

« En ce qui concerne les petites turbines à gaz marines, la Commission a estimé que la fusion conduirait à la création d’une position dominante parce que : (i) l’entité résultant de la fusion détiendrait entre 65 % et 80 % du marché ; (ii) la place prépondérante d’Honeywell sur le marché serait renforcée par son association avec la capacité financière de GE et l’intégration verticale ; et (iii) GE pourrait exercer une influence significative sur ses concurrents au moyen de l’activité d’Honeywell consistant à fournir des organes essentiels à des concurrents. »

114    Force est de constater que ce passage est purement et simplement descriptif des constatations de la décision attaquée à l’égard de ce marché et ne contient pas le moindre élément qui puisse être interprété comme un moyen d’annulation conformément aux exigences de l’article 44, paragraphe 1, du règlement de procédure. Ainsi, de nouveau, quelle que soit la situation en ce qui concerne les autres marchés examinés dans la décision attaquée, il convient de constater que l’analyse de la Commission quant au chevauchement horizontal sur celui des petites turbines à gaz marines n’a pas été mise en cause dans la requête et doit, en conséquence, être réputée fondée aux fins de la présente procédure.

–       Intégration verticale des activités de fabrication de démarreurs

115    En ce qui concerne l’intégration verticale des activités de fabrication de démarreurs de la requérante à celles de fabrication de réacteurs pour les avions commerciaux de grande taille de GE, la requérante se limite, au point 29 de sa requête, à décrire les motifs pertinents de la décision attaquée :

« En ce qui concerne le marché des réacteurs des avions commerciaux de grande taille, la Commission a estimé que GE était déjà en position dominante sur ce marché sur lequel la présence d’Honeywell est nulle. La Commission a conclu que la fusion renforcerait la position dominante de GE parce que : […] (iii) l’entité résultant de la fusion aurait la motivation et la faculté d’empêcher que d’autres motoristes ne viennent lui faire concurrence du fait qu’Honeywell est un éminent fournisseur de démarreurs. »

116    Force est de constater, de nouveau, que cette description ne contient pas le moindre élément qui puisse être interprété comme un moyen d’annulation conformément aux exigences de l’article 44, paragraphe 1, du règlement de procédure. Dès lors, la conclusion de la Commission quant au renforcement de la position dominante de GE sur le marché des réacteurs des avions commerciaux de grande taille en raison de la position de la requérante dans la production de démarreurs doit être considérée comme fondée également aux fins de la présente procédure.

117    Ainsi, quelle que soit la situation en ce qui concerne les autres marchés examinés dans la décision attaquée, il convient de constater que l’analyse de la Commission en ce qui concerne l’intégration verticale des activités de fabrication de démarreurs n’a pas été mise en cause dans la requête et doit, en conséquence, être réputée fondée aux fins de la présente procédure.

–       Effets de conglomérat résultant de l’intégration verticale

118    Enfin, en ce qui concerne les effets de conglomérat découlant de l’intégration verticale de la requérante aux filiales de GE, à savoir GECAS, GECCAG et GE Capital, la requérante ne traite au fond que de l’aspect relatif à la possibilité de financement croisé du fait de la puissance financière de GE Capital. Quant à la possibilité d’exercer une influence sur les choix faits par les clients dans le but de favoriser les moteurs de GE et les produits avioniques et non avioniques de la requérante, celle‑ci, ayant brièvement décrit cette thèse de la Commission, fait valoir, au point 43 de sa requête : « Cette théorie est tellement peu vraisemblable que nous ne nous étendrons pas davantage à son sujet dans le présent recours. » Étant donné que la requérante n’avance aucune argumentation pour mettre en cause le bien‑fondé des motifs de la décision attaquée relatifs à l’influence que pourraient exercer GECAS et GECCAG en qualité d’acheteurs d’avions, ils doivent être réputés fondés aux fins de la présente procédure.

–       Chevauchement horizontal sur le marché des réacteurs pour avions d’affaires

119    La requérante a fait des commentaires détaillés aux points 31 à 37 de la requête mettant en cause, en particulier, la définition du marché en question ainsi que le fait pour la Commission de s’appuyer sur les chiffres relatifs aux parts de marché. Nonobstant le fait que cette argumentation figure sous l’intitulé « Résumé de la décision », force est de constater que les éléments de fait et de droit avancés à cet égard dans sa requête suffisent à constituer un moyen pouvant, dans l’hypothèse où il serait fondé, infirmer l’analyse de la Commission dans la décision attaquée en ce qui concerne la création d’une position dominante sur ce marché, notamment du fait des effets anticoncurrentiels horizontaux résultant de la concentration.

 Conclusion

120    La requérante n’a pas contesté plusieurs des piliers autonomes qui constituent le fondement de l’interdiction de l’opération de concentration. En particulier, elle n’a pas contesté la constatation relative au renforcement de la position dominante préexistante de GE sur le marché des réacteurs pour avions régionaux de grande taille, ni la création d’une position dominante sur le marché des petites turbines à gaz marines, du fait des chevauchements horizontaux entre les activités des deux entreprises. Elle n’a pas mis en cause non plus la constatation relative au renforcement de la position dominante préexistante de GE sur le marché des réacteurs pour avions commerciaux de grande taille du fait de l’intégration verticale de l’activité de fabrication de démarreurs de la requérante et de celle de fabrication desdits réacteurs.

121    Dès lors, les motifs non contestés de la décision attaquée doivent être considérés comme fondés aux fins de la présente procédure. Compte tenu du caractère lié mais autonome des éléments du raisonnement en question, de sorte que chacun d’eux pourrait en principe justifier l’interdiction de la concentration à lui seul, la Commission aurait nécessairement interdit l’opération de concentration dans l’hypothèse où elle aurait retenu uniquement, dans la décision attaquée, celles des constatations d’effets anticoncurrentiels qui ne sont pas contestées en l’espèce. En particulier, il ne ressort ni de la communication des griefs ni de la décision attaquée que la thèse de la Commission quant à l’incompatibilité de l’opération notifiée avec le marché commun était basée exclusivement ou même essentiellement sur son analyse des ventes groupées.

122    En conséquence, les moyens soulevés par la requérante jugés recevables et affectant, à les supposer fondés, les motifs de la décision attaquée consacrés aux ventes groupées, aux subventions croisées et aux effets horizontaux sur le marché des avions d’affaires, sont inopérants dès lors qu’ils ne sauraient aboutir à l’annulation de la décision attaquée dans le cadre de la présente procédure.

123    Il s’ensuit que, même dans l’hypothèse où tous les moyens de droit et arguments avancés par la requérante en l’espèce seraient fondés, ils ne sauraient suffire à entraîner l’annulation de la décision attaquée dans le cadre de la présente procédure.

2.     Violation des droits procéduraux

 Arguments des parties

124    La requérante a avancé un moyen tiré d’une prétendue violation des droits de la défense. Elle avance, en substance, que, en introduisant pour la première fois, dans la décision attaquée, les notions de subventions croisées entres les différentes activités de la nouvelle entité et de prix prédateurs, la Commission a violé ses droits de la défense.

125    La Commission rétorque, en substance, que ces deux aspects de l’affaire ont été soulevés, brièvement, dans la communication des griefs du 8 mai 2001 et que, en toute hypothèse, ils ne sauraient être qualifiés de griefs autonomes.

 Appréciation du Tribunal

126    Il convient de relever que la prétendue violation des droits de la défense invoquée en l’espèce se rapporte exclusivement aux éléments de la décision attaquée que la requérante a mis en cause par ailleurs dans le cadre de ses autres moyens, à savoir les ventes groupées et les subventions croisées. Ainsi, à supposer même que le présent moyen soit fondé, il ne pourrait ébranler que les piliers du raisonnement de la Commission contre lesquels ces autres moyens sont dirigés également. Dès lors, le présent moyen ne saurait avoir aucune incidence sur les autres piliers constituant le fondement de la décision attaquée.

127    Ainsi, le présent moyen est inopérant au même titre et pour les mêmes raisons que les autres moyens avancés par la requérante.

128    En toute hypothèse, il convient de constater en l’espèce que les deux notions en cause ont été mentionnées brièvement dans la communication des griefs et qu’elles sont étroitement liées à d’autres éléments qui font l’objet d’un exposé détaillé dans celle-ci, de sorte qu’il n’y a pas lieu de les considérer comme des griefs autonomes. Dans ces conditions, la requérante a pu se défendre utilement par rapport à ces considérations.

 Conclusion

129    Dans ces circonstances, dès lors que la requérante n’a pas contesté tous les piliers constituant, chacun, un fondement juridique et factuel suffisant de la décision attaquée, et à supposer même que tous les moyens validement avancés par la requérante soient fondés, son recours ne saurait aboutir à l’annulation de la décision attaquée dans le cadre de la présente procédure.

130    En conséquence, le recours est rejeté.

 Sur les dépens

131    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en ses conclusions et la partie défenderesse, ainsi que les parties intervenantes, Rolls-Royce et Rockwell, ayant conclu à la condamnation de la partie requérante aux dépens, il y a lieu de condamner cette dernière à supporter ses propres dépens ainsi que les dépens exposés par la partie défenderesse et par les parties intervenantes.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      La requérante supportera ses propres dépens, ainsi que ceux exposés par la Commission et par les parties intervenantes.

Pirrung

Tiili

 Meij

Vilaras

 

 Forwood

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 décembre 2005.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       J. Pirrung

Table des matières

Cadre juridique

Antécédents du litige

Décision attaquée

Procédure

Conclusions des parties

En droit

1.  Sur la portée du recours et l’objet du litige

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Introduction

Sur le renvoi aux moyens soulevés dans l’affaire T‑210/01

Sur la demande de jonction

Sur le caractère opérant des moyens soulevés dans la présente affaire

Sur la portée de la requête

–  Chevauchement horizontal sur le marché des réacteurs pour avions régionaux de grande taille

–  Chevauchement horizontal sur le marché des petites turbines à gaz marines

–  Intégration verticale des activités de fabrication de démarreurs

–  Effets de conglomérat résultant de l’intégration verticale

–  Chevauchement horizontal sur le marché des réacteurs pour avions d’affaires

Conclusion

2.  Violation des droits procéduraux

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Conclusion

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’anglais.