Language of document : ECLI:EU:T:2004:215

Ordonnance du Tribunal

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL
7 juillet 2004 (1)

« Procédure de référé – Pêche – Règlement (CE) nº 1954/2003 du Conseil – Demande de sursis à exécution partielle et d'autres mesures provisoires – Recevabilité – Urgence – Intervention »

Dans l'affaire T-37/04 R,

Região autónoma dos Açores, représentée par MM. M. Renouf, S. Crosby, C. Bryant, solicitors, et H. Mercer, barrister,

partie requérante,

contre

Conseil de l'Union européenne, représenté par MM. J. Monteiro et F. Florindo Gijón, en qualité d'agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. T. van Rijn et B. Doherty, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

et par

Royaume d'Espagne, représenté par Mme N. Díaz Abad et M. E. Braquehais Conesa, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande de sursis à l'exécution partielle du règlement (CE) nº 1954/2003 du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant la gestion de l'effort de pêche concernant certaines zones et ressources de pêches communautaires, modifiant le règlement (CEE) nº 2847/93 et abrogeant les règlements (CE) no 685/95 et (CE) n° 2027/95 (JO L  289, p. 1), dans la mesure où il affecte les eaux des Açores, et, notamment, de son article 3, de son article 5, paragraphe 1, de son article 11, de son article 13, sous b), et de son article 15 et de son annexe, et/ou toutes autres mesures provisoires jugées appropriées,



LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,



rend la présente



Ordonnance




Cadre juridique

1
Le cadre réglementaire pertinent pour la présente demande de mesures provisoires est celui relatif à la politique commune de la pêche de la Communauté (PCP), en ce qui concerne notamment une zone relevant de la juridiction portugaise qui s’étend jusqu’à 200 milles marins à partir de la ligne de base des Açores (ci-après les « eaux des Açores »), à savoir la zone économique exclusive des Açores. Le cadre réglementaire est complexe et se compose d’un grand nombre d’actes réglementaires de droit dérivé qui régissent les activités de pêche dans cette zone.

A – Règles limitant l’accès aux eaux sous juridiction portugaise, notamment aux eaux des Açores

2
Depuis l’adhésion le 1er janvier 1986 du Royaume d’Espagne et de la République portugaise à la Communauté, les dispositions figurant dans le traité relatif à l’adhésion du Royaume d’Espagne et de la République portugaise à la Communauté économique européenne et à la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 1985 L 302, p. 9, ci-après l’« acte d’adhésion »), d’une part, et la réglementation ultérieure de droit dérivé, d’autre part, régissent l’accès des navires étrangers aux eaux placées sous la juridiction de la République portugaise, dont les eaux des Açores.

3
En particulier, les articles 154 à 166 et 346 à 363 de l’acte d’adhésion contenaient des dispositions transitoires relatives à la pêche en Espagne et au Portugal. En vertu des articles 162 et 350 de l’acte d’adhésion et de l’article 43 du traité CE (devenu, après modification, article 37 CE), le Conseil a adopté un régime transitoire adapté sous la forme du règlement (CE) n° 1275/94 du Conseil, du 30 mai 1994, relatif aux adaptations du régime prévu aux chapitres « Pêche » de l’acte d’adhésion de l’Espagne et du Portugal (JO L 140, p. 1). Ce règlement a fixé le cadre institutionnel permettant au Conseil d’adopter de nouvelles mesures. L’article 353 de l’acte d’adhésion disposait que le régime transitoire adapté devait rester en vigueur jusqu’au 31 décembre 2002.

4
Le Conseil a, en vertu du règlement n° 1275/94, adopté deux règlements : le règlement (CE) n° 685/95 du Conseil, du 27 mars 1995, relatif à la gestion des efforts de pêche concernant certaines zones et ressources de pêche communautaires (JO L 71, p. 5), et le règlement (CE) n° 2027/95 du Conseil, du 15 juin 1995, instituant un régime de gestion de l’effort de pêche concernant certaines zones et ressources de pêche communautaires (JO L 199, p. 1), (ci-après, pris ensemble, les « règlements de 1995 »).

5
Les règlements de 1995 régissent l’accès aux eaux sous juridiction portugaise, dont les eaux des Açores. Ils fixent, notamment, un régime de limitation de l’effort de pêche qui exclut expressément l’accès des navires étrangers aux eaux des Açores.

6
Le règlement nº 685/95 comprend des dispositions qui empêchent les navires espagnols pêchant le thon d’accéder aux eaux des Açores (article 8 et point 3 de l’annexe III).

7
Le règlement nº 2027/95 définit en son annexe I le niveau maximal annuel d’effort de pêche par pêcherie, pour chaque État membre. D’après les limites prévues par cette annexe, le Portugal est l’unique État membre habilité à pêcher des espèces évoluant en eau profonde dans les eaux des Açores. De plus, l’annexe n’alloue aucun quota pour la pêche avec engins traînants d’espèces démersales et d’espèces évoluant en eau profonde dans les eaux des Açores, ce qui, en substance, interdit l’utilisation dans ces eaux d’engins traînants.

B –  Autres règlements pertinents applicables aux eaux des Açores

8
Un certain nombre d’autres règlements applicables, notamment, aux eaux des Açores régissent des questions pertinentes, dont les totaux admissibles de captures (ci-après les « TAC »), l’effort de pêche pour les espèces en eau profonde et l’utilisation d’engins autorisés.

1.  Le règlement de base

9
Le règlement (CE) n° 2371/2002 du Conseil, du 20 décembre 2002, relatif à la conservation et à l’exploitation durable des ressources halieutiques dans le cadre de la politique commune de la pêche (JO L 358, p. 59), est le « règlement de base » actuel applicable à la présente procédure.

10
Les articles 1er et 2 du règlement de base disposent respectivement que le champ d’application de la PCP est de « couvrir la conservation, la gestion et l’exploitation des ressources aquatiques vivantes […] » et que la PCP « garantit une exploitation des ressources aquatiques vivantes qui crée les conditions de durabilité nécessaires tant sur le plan économique, environnemental qu’en matière sociale ». Aux fins de ces objectifs, l’article 4 du règlement de base dispose que « le Conseil arrête les mesures communautaires régissant l’accès aux zones et aux ressources et l’exercice durable des activités de pêche […] » et que pareilles mesures « sont établies en tenant compte des avis scientifiques, techniques et économiques disponibles […] ». Les mesures adoptées peuvent viser des espèces ou groupes particuliers et peuvent inclure des mesures telles que la « fixation d’objectifs », la « limitation des captures », la « limitation de l’effort de pêche » et des « mesures techniques » (par exemple, sur la structure des engins de pêche) ou des mesures spécifiques destinées à « atténuer les incidences des activités de pêche sur les écosystèmes marins et les espèces non ciblées ».

11
Les articles 7 et 8 du règlement de base habilitent respectivement la Commission et les États membres à adopter des mesures d’urgence en cas de menace grave pour l’écosystème marin ou le stock halieutique. Aux termes des articles 7 et 8 :

« Article 7

Mesures d’urgence adoptées par la Commission

1. S’il existe des preuves qu’il existe une menace grave pour la conservation des ressources aquatiques vivantes ou pour l’écosystème marin résultant des activités de la pêche et nécessitant une intervention immédiate, la Commission peut, sur demande dûment justifiée d’un État membre ou d’office, arrêter les mesures d’urgence pour une période maximale de six mois. La Commission peut prendre une nouvelle décision pour proroger les mesures d’urgence d’une durée maximale de six mois.

[…]

Article 8

Mesures d’urgence adoptées par les États membres

1. S’il existe des preuves qu’une menace grave et imprévue, résultant des activités de la pêche, pèse sur la conservation des ressources aquatiques vivantes ou sur l’écosystème marin, dans les eaux relevant de la souveraineté ou de la juridiction d’un État membre, et que tout retard risque de causer des dommages difficiles à réparer, ledit État membre peut adopter des mesures d’urgence, pour une durée maximale de trois mois.

[…] »

2. Règlements de 2002 sur les stocks de poissons d’eau profonde

12
Un certain nombre de règlements prévoient des TAC et la limitation de l’effort de pêche pour les espèces évoluant en eau profonde.

13
Le règlement (CE) n° 2340/2002 du Conseil, du 16 décembre 2002, établissant pour 2003 et 2004 les possibilités de pêche concernant les stocks de poissons d’eau profonde (JO L 356, p. 1), indique les TAC et quotas pour les stocks de poissons d’eau profonde. S’agissant des eaux des Açores, l’annexe I dudit règlement fixe des limitations particulières pour deux espèces évoluant en eau profonde : le sabre noir et la dorade rose.

14
Le règlement (CE) n° 2347/2002 du Conseil, du 16 décembre 2002, établissant des conditions spécifiques d’accès aux pêcheries des stocks d’eau profonde et fixant les exigences y afférentes (JO L 351, p. 6, ci‑après, avec le règlement n° 2340/2002, les « règlements de 2002 »), fixe des règles limitant l’effort de pêche pour un certain nombre d’espèces évoluant en eau profonde qui sont énumérées à l’annexe I de ce règlement (dont d’importantes espèces des Açores telles que l’hoplostète orange et le béryx). L’effort de pêche est limité par rapport à ces espèces de manière à ne pas excéder les puissance et volume globaux des années 1998, 1999 et 2000. L’annexe II du règlement s’applique à une liste différente d’espèces évoluant en eau profonde (dont le cernier, le sébaste chèvre, le moro et le congre) pour lesquelles les navires doivent conserver les informations détaillées consignées afin de permettre la surveillance de la situation de ces espèces.

3. Règlement nº 850/98 régissant l’utilisation des engins de pêche

15
La PCP comprend des mesures prescrivant des exigences pour et/ou interdisant l’utilisation d’engins de pêche particuliers. Le règlement (CE) nº 850/98 du Conseil, du 30 mars 1998, visant à la conservation des ressources de pêche par le biais de mesures techniques de protection des juvéniles d’organismes marins (JO L 125, p. 1), prescrit des maillages minimaux pour les filets remorqués et s’applique, notamment, aux eaux des Açores.

16
La Commission a soumis au Conseil pour adoption une proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement n° 850/98 en ce qui concerne la protection des récifs coralliens en eau profonde contre les effets du chalutage dans certaines zones de l’océan Atlantique [COM(2004) 58, ci-après la « proposition sur le chalutage »].

17
La proposition sur le chalutage propose d’imposer une interdiction d’utiliser dans les eaux des Açores des chaluts de fond ou des engins traînants similaires. L’article 30 modifié du règlement n° 850/98 disposerait :

« Il est interdit aux bateaux d’utiliser tout chalut de fond ou engin traînant similaire opérant en contact avec le fond de la mer dans [les eaux des Açores notamment]. »

4.  Règlement n° 2847/93 sur les régimes de contrôle (VMS et système de signalisation)

18
Le règlement (CEE) n° 2847/93 du Conseil, du 12 octobre 1993, instituant un régime de contrôle applicable à la politique commune de la pêche (JO L 261, p. 1), tel que modifié en dernier lieu par le règlement (CE) n° 806/2003 du Conseil, du 14 avril 2003, portant adaptation à la décision 1999/468/CE des dispositions relatives aux comités assistant la Commission dans l’exercice de ses compétences d’exécution prévues dans des actes du Conseil adoptés selon la procédure de consultation (majorité qualifiée) (JO L 122, p. 1, ci-après le « règlement n° 2847/93 »), instaure un régime d’utilisation de ce qu’il convient d’appeler le système de surveillance des navires (Vessel Monitoring System, ci-après le « VMS ») qui oblige les navires à transporter à bord un dispositif en état de marche permettant la détection et l’identification des navires par des systèmes de contrôle à distance.

19
Le titre II bis du règlement nº 2847/93 a été inséré par le règlement (CE) nº 2870/95 du Conseil, du 8 décembre 1995, modifiant le règlement nº 2847/93 (JO L 301, p. 1). Le titre II bis du règlement nº 2847/93 impose aux navires pêchant des espèces démersales des obligations supplémentaires de déclaration (titre II bis, article 19 bis, paragraphe 3, article 19 ter, article 19 quater, article 19 quinquies et article 19 sexies, paragraphe 3) qui sont connues sous le nom de « système de signalisation » (hailing system).

20
Un certain nombre d’autres règlements fixent des règles complémentaires relatives à l’utilisation du VMS. Le règlement n° 2347/2002 édicte des règles particulières d’utilisation des VMS par les navires exerçant des activités de pêche en eau profonde. Le règlement n° 2371/2002 impose également le VMS aux navires de plus de 18 mètres de longueur ou, à partir de 2005, de plus de 15 mètres de longueur. Le règlement (CE) n° 2244/2003 de la Commission, du 18 décembre 2003, établissant les modalités d’application du système de surveillance des navires par satellite (JO L 333, p. 17), développe d’autres règles techniques sur l’utilisation du VMS.

C –  Règlement n° 1954/2003 — Règlement attaqué

21
Ainsi qu’il ressort déjà clairement de l’évocation succincte des actes susmentionnés, le règlement (CE) n° 1954/2003 du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant la gestion de l’effort de pêche concernant certaines zones et ressources de pêche communautaires, modifiant le règlement n° 2847/93 et abrogeant les règlements n° 685/95 et n° 2027/95 (JO L 289, p. 1, ci-après le « règlement attaqué »), n’est pas l’unique acte communautaire pertinent régissant les activités de pêche, notamment la pêche en eau profonde, dans les eaux des Açores. En effet, le règlement attaqué fait partie d’un grand nombre d’actes réglementaires dans le contexte plus large de la PCP.

22
Le règlement attaqué a été adopté sur le fondement de l’article 37 CE et de l’article 299, paragraphe 2, CE. Il établit un régime d’effort de pêche dans une grande zone de l’Atlantique Nord (zones CIEM V, VI, VII, VIII, IX et X et zones Copace 34.1.1, 34.1.2 et 34.2.0), appelée les « eaux occidentales ». Comme l’indique l’article 2 du règlement attaqué, les zones CIEM et Copace sont définies dans le règlement (CEE) n° 3880/91 du Conseil, du 17 décembre 1991, relatif à la communication de statistiques sur les captures nominales des États membres se livrant à la pêche dans l’Atlantique du Nord-Est (JO L 365, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 1637/2001 de la Commission, du 23 juillet 2001 (JO L 222, p. 20). Il convient de noter que les eaux des Açores relèvent des zones CIEM X et Copace 34.2.0.

23
Selon le considérant 2 du règlement attaqué, à la suite de l’expiration le 31 décembre 2002 du régime d’accès transitoire prévu par l’acte d’adhésion, il importe d’adapter au nouveau cadre législatif certaines dispositions sur cet accès, figurant dans les règlements de 1995.

24
Selon l’article 3 du règlement attaqué, les États membres doivent évaluer et allouer les niveaux de l’effort de pêche exercé par des navires d’une longueur égale ou supérieure à 15 mètres (des dispositions particulières s’appliquent aux navires de moins de 15 mètres, énoncées à l’article 4 du règlement attaqué), en moyenne annuelle de la période allant de 1998 à 2002 pour chacune des zones CIEM ou Copace, pour les pêcheries démersales notamment, à l’exclusion des pêcheries en eau profonde visées par le règlement n° 2347/2002.

25
En vertu des articles 7 et 8 du règlement attaqué, les États membres doivent établir une liste des navires de pêche battant leur pavillon qui sont autorisés à exercer leurs activités de pêche dans les pêcheries concernées et doivent prendre les mesures qui s’imposent en vue de limiter l’effort de pêche en surveillant l’activité de leur flotte. Selon l’article 10 du règlement attaqué, les États membres ont une obligation de notifier à la Commission les évaluations de l’effort de pêche entrepris en application de l’article 3 et les listes de navires ainsi que les mesures prévues par les articles 7 et 8.

26
L’article 11 du règlement attaqué instaure une procédure en vertu de laquelle le Conseil ou, subsidiairement, la Commission peut adopter un règlement fixant les niveaux maximaux d’effort de pêche annuel pour chaque État membre, ainsi que pour chacune des zones et chacune des pêcheries concernées (ci-après le « règlement d’application »). Aux termes de l’article 11 :

« Processus décisionnel

1. Sur la base des informations visées à l’article 10 et après une étroite consultation avec les États membres concernés, la Commission présente au Conseil, au plus tard le 29 février 2004, une proposition de règlement fixant les niveaux maximaux d’effort de pêche annuel pour chaque État membre, ainsi que pour chacune des zones et chacune des pêcheries définies aux articles 3 et 6.

2. Au plus tard le 31 mai 2004, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, décide des niveaux maximaux d’effort de pêche annuel visés au paragraphe 1.

[…]

3. Si le Conseil n’a pas statué le 31 mai 2004 au plus tard, la Commission adopte, pour le 31 juillet 2004 au plus tard, un règlement fixant les niveaux maximaux d’effort de pêche annuel pour chaque État membre, ainsi que pour chacune des zones et chacune des pêcheries définies aux articles 3 et 6, sur la base de la proposition visée au paragraphe 1, conformément à la procédure prévue à l’article 30, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 2371/2002. »

27
L’article 14 du règlement attaqué modifie un certain nombre de dispositions du règlement n° 2847/93 relatives à l’utilisation du VMS et du système de signalisation. L’article 13 s’applique en substance au VMS et au système de signalisation prévus par le règlement n° 2847/93 dans une zone biologiquement sensible autour de l’Irlande, définie à l’article 6 du règlement attaqué. L’article 13, sous b), qui vise toutes les autres zones, y compris les eaux des Açores, s’applique toutefois au seul VMS et supprime le système de signalisation dans ces zones.

28
L’article 15 du règlement attaqué prévoit l’abrogation des règlements de 1995 à compter de la date d’entrée en vigueur du règlement d’application ou du 1er août 2004, la date retenue étant la plus proche.

29
L’article 5 du règlement attaqué fixe une règle de restriction d’accès propre aux Açores, à Madère et aux îles Canaries. Il dispose :

« 1. Dans les eaux qui s’étendent jusqu’à 100 milles marins des lignes de base des Açores, de Madère et des îles Canaries, les États membres concernés peuvent limiter la pêche aux navires immatriculés dans les ports de ces îles, à l’exception des navires communautaires pêchant traditionnellement dans ces eaux pour autant que cela n’entraîne pas un dépassement de l’effort de pêche qui y est traditionnellement exercé.

[…] »


Faits à l’origine du litige

A – La requérante

30
La requérante, la Região autónoma dos Açores (Région autonome des Açores), constitue une région autonome de la République portugaise. Le droit portugais lui confère la personnalité juridique et, en vertu de la Constitution portugaise, elle dispose d’importants pouvoirs autonomes dont le pouvoir de légiférer sur les questions relatives à la pêche (articles 227 et 228 de la Constitution portugaise).

B – Genèse du règlement attaqué et propositions ultérieures de modalités d’application

31
Le 16 décembre 2002, la Commission a adopté une proposition qui a conduit à l’adoption du règlement attaqué [proposition de règlement du Conseil relatif à la gestion de l’effort de pêche concernant certaines zones et ressources de pêche communautaires et portant modification du règlement n° 2847/93 – COM(2002) 739 final].

32
Le 19 mai 2003, puis le 28 mai 2003, la présidence du Conseil a publié respectivement un document de réflexion et un document de travail qui traitent de la proposition de la Commission et qui proposent d’y apporter des modifications. En particulier, la présidence a proposé que soit établie autour des Açores, outre une zone de restriction de 200 milles marins pour les thonidés qui figure dans la proposition de la Commission, une zone de restriction de 50 milles marins pour les espèces en eau profonde sur le fondement de l’article 299, paragraphe 2, CE.

33
Le 4 juin 2003, le Parlement européen a adopté une résolution législative [P5_TA(2003)0250] sur la proposition de la Commission, qui a approuvé ladite proposition sous réserve de certaines modifications, notamment le maintien du régime prévu dans le règlement nº 685/95 pour une période supplémentaire de dix ans.

34
Le 5 septembre 2003, la présidence du Conseil a, en accord avec la Commission, présenté un projet de compromis de la présidence dans lequel figurent comme base juridique du règlement attaqué non seulement l’article 37 CE, mais également l’article 299, paragraphe 2, CE. L’article 6, paragraphe 1, du projet de compromis de la présidence prévoyait une zone de restriction de 100 milles marins autour des Açores, de Madère et des îles Canaries pour toutes les espèces, c’est‑à‑dire pas uniquement pour les thonidés comme le prévoyait la proposition initiale de la Commission.

35
Le 13 octobre 2003, le Conseil est parvenu à un accord politique sur la base du projet de compromis de la présidence du 5 septembre 2003. Le même jour, la Commission a fait une déclaration, jointe au compte rendu du Conseil, selon laquelle :

« Afin de compléter les restrictions d’accès aux Açores et d’éviter les dommages causés aux écosystèmes sensibles dans les eaux jusqu’à au moins 200 milles marins autour des Açores, de Madère et des îles Canaries, la Commission proposera bientôt un règlement modifiant le règlement nº 850/98 visant à interdire la pêche avec des engins traînants. »

36
Le 4 novembre 2003, le Conseil a adopté le règlement attaqué.

37
Le 3 février 2004, la Commission a fait une proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement n° 850/98 en ce qui concerne la protection des récifs coralliens en eau profonde contre les effets du chalutage dans certaines zones de l’océan Atlantique [COM(2004) 58 final].

38
Le 12 mars 2004, la Commission a adopté une proposition concernant un règlement d’application en vertu de l’article 11 du règlement attaqué, fixant le niveau maximal annuel d’effort de pêche pour certaines zones de pêche et pêcheries [COM(2004) 166 final].


Procédure

39
Le 12 décembre 2003, la requérante a, par courriers adressés par ses conseillers juridiques au secrétaire général du Conseil et au directeur général de la direction générale (DG) « Pêche » de la Commission, déposé en vertu du règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43), une première demande d’accès à un certain nombre de documents concernant l’adoption du règlement attaqué.

40
Par courrier du 7 janvier 2004, le secrétariat général du Conseil a informé la requérante qu’il avait identifié 24 documents qu’il a décidé de communiquer dans leur intégralité. Le 13 janvier 2004, la requérante a présenté une demande confirmative en alléguant que la réponse du secrétariat général ne couvrait pas suffisamment tous les aspects de sa demande initiale. Le 15 janvier 2004, l’unité « Communication et Information » de la DG « Pêche » de la Commission a adressé un courrier électronique au conseiller juridique de la requérante en réponse à sa demande d’accès initiale à des documents. Le 10 février 2004, le Conseil a adopté une réponse à la demande confirmative et divulgué un certain nombre de documents supplémentaires, énumérés au point 4 de sa réponse.

41
Par requête déposée le 2 février 2004 au greffe du Tribunal de première instance, la requérante a introduit un recours en application des articles 230 CE et 231 CE tendant à obtenir, notamment, l’annulation partielle du règlement attaqué dans la mesure où il affecte les eaux des Açores, notamment de l’article 3, de l’article 5, paragraphe 1, de l’article 11, de l’article 13, sous b), et de l’article 15 du règlement attaqué et de l’annexe dudit règlement.

42
Par acte séparé déposé le 9 mars 2004 au greffe du Tribunal de première instance, la requérante a introduit le présent recours en application des articles 242 CE et 243 CE, et de l’article 104 du règlement de procédure du Tribunal, tendant à obtenir le sursis à l’exécution partielle du règlement attaqué et/ou toutes autres mesures provisoires jugées appropriées. En particulier, la requérante conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

« suspendre la mise en œuvre des articles 3 et 11, et de l’annexe du [règlement attaqué], dans l’attente de l’arrêt du Tribunal dans l’action principale ou jusqu’à nouvel ordre, dans la mesure où ils :

prévoient que l’effort de pêche au titre du règlement ne sera déterminé que par référence à l’espèce cible et à la zone CIEM/Copace, mais non également par référence au type d’engins de pêche utilisés, qu’ils soient fixes ou traînants ;

excluent du champ d’application des articles 3 et 11 les espèces démersales couvertes par le règlement [nº] 2347/2002 ;

suspendre la mise en œuvre de l’article 15 du [règlement attaqué], dans l’attente de l’arrêt du Tribunal dans l’action principale ou jusqu’à nouvel ordre, dans la mesure où l’abrogation des [règlements de 1995] :

supprime la compétence de la Communauté pour déterminer l’effort de pêche par référence non seulement aux espèces cibles et à la zone CIEM/Copace, mais également par référence au type d’engins de pêche utilisés (article 3, paragraphe 1, article 6 et annexe 1 du règlement [nº] 685/95, et article 2 et annexe du règlement [nº] 2027/95) et supprime la détermination des mêmes, qui avait été effectuée par le règlement [nº] 2027/95,

supprime le pouvoir de déterminer un effort de pêche annuel maximal par zone en ce qui concerne les espèces démersales couvertes par le règlement [nº] 2347/2002 et supprime la détermination de cet effort, qui avait été effectué par le règlement [nº] 2027/95,

supprime l’interdiction d’accès des navires espagnols aux eaux insulaires relevant de la souveraineté ou de la juridiction du Portugal dans la zone CIEM X et [dans la division] Copace [34.2.0] pour la pêche du thon et des thonidés (annexe III, point 3, du règlement [nº] 685/95),

est susceptible d’entrer en vigueur le 1er août 2004, que le règlement au titre de l’article 11, paragraphe 2 ou paragraphe 3, du [règlement attaqué] soit entré en vigueur, ou non ;

suspendre la mise en œuvre de l’article 5, paragraphe 1, du règlement attaqué, dans l’attente de l’arrêt du Tribunal dans l’action principale ou jusqu’à nouvel ordre, dans la mesure où il ne maintient pas l’interdiction d’accès des navires espagnols aux eaux des îles insulaires relevant de la souveraineté ou de la juridiction du Portugal dans la zone CIEM X et [dans la division] Copace [34.2.0] pour la pêche du thon et des thonidés ;

suspendre la mise en œuvre de l’article 13, sous b), du [règlement attaqué], dans l’attente de l’arrêt du Tribunal dans l’action principale ou jusqu’à nouvel ordre, dans la mesure où il supprime l’application de l’article 19 bis, paragraphe 3, de l’article 19 ter, de l’article 19 quater, de l’article 19 quinquies et de l’article 19 sexies du règlement [n°] 2847/93 dans les eaux relevant de la souveraineté ou de la juridiction du Portugal autour des Açores ;

subsidiairement, prendre une ordonnance provisoire ayant effet jusqu’à l’arrêt dans l’affaire T-37/04 ou jusqu’à nouvel ordre, visant à interdire la pêche dans les eaux des Açores des thons ou thonidés par les navires espagnols, et des espèces démersales et des espèces en eau profonde par des navires provenant d’autres États membres que du Portugal ;

prendre toute ordonnance ou autre mesure semblant justes et appropriées dans les conditions de l’espèce ;

condamner le Conseil aux dépens. »

43
Le 31 mars 2004, le Conseil a présenté ses observations sur la demande en référé. Dans ses observations, le Conseil conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

rejeter la demande comme étant irrecevable ;

à titre subsidiaire, rejeter la demande comme étant non fondée ;

condamner la requérante aux dépens.

44
Par requêtes déposées respectivement les 30 mars et 1er avril 2004 au greffe du Tribunal, la Commission et le Royaume d’Espagne ont demandé à intervenir dans la présente procédure de référé au soutien des conclusions du Conseil.

45
Les demandes d’intervention ont été signifiées aux parties en application de l’article 116, paragraphe 1, du règlement de procédure.

46
Par courriers du 6 avril 2004, la requérante et le Conseil ont tous deux confirmé qu’ils ne soulevaient aucune objection quant aux demandes en intervention déposées dans la présente procédure par la Commission et le Royaume d’Espagne.

47
Par ordonnance du 20 avril 2004, le président du Tribunal a admis la Commission et le Royaume d’Espagne à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions du Conseil.

48
Le 21 avril 2004, la Commission et le Royaume d’Espagne ont présenté leurs observations sur la demande en référé. Dans leurs observations, la Commission et le Royaume d’Espagne concluent à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

rejeter la demande comme étant irrecevable ;

subsidiairement, rejeter la demande comme étant non fondée ;

condamner la requérante aux dépens.

49
Par acte séparé déposé le 22 avril 2004 au greffe du Tribunal, le Conseil a, en vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, soulevé une exception d’irrecevabilité du recours au principal, par laquelle il conclut à ce qu’il plaise au Tribunal rejeter le recours en annulation partielle du règlement attaqué comme étant manifestement irrecevable, et condamner la requérante aux dépens.

50
Le 27 avril 2004, la requérante et la Commission ont été invitées à produire, d’ici au 28 avril 2004, respectivement, d’une part, tous les documents reçus en réponse à la demande d’accès à des documents, déposée le 12 décembre 2003 par la requérante, et aux demandes confirmatives ultérieures et, d’autre part, des photocopies de la proposition de la Commission de règlement d’application en vertu de l’article 11 du règlement attaqué. La Commission a produit les documents demandés le 27 avril 2004. La requérante a produit les documents demandés le 29 avril 2004 et ceux-ci ont été admis comme pièces versées au dossier par décision du 30 avril 2004.

51
Par document séparé déposé le 30 avril 2004 au greffe du Tribunal, le Conseil a demandé à ce que soient retirés du dossier de la présente affaire deux documents annexés aux observations présentées le 21 avril 2003 par le Royaume d’Espagne, lesquels se composaient d’avis du service juridique du Conseil, et à ce qu’ils ne soient pas pris en considération. Le Royaume d’Espagne a été invité à présenter, à l’audience prévue pour le 5 mai 2004, ses observations sur la demande du Conseil.

52
Par requêtes déposées au greffe du Tribunal les 29 et 30 avril 2004, quatre organisations, Seas at Risk, WWF – World Wide for Nature (ci‑après « WWF »), représentées par R. Buxton, solicitor, et D. Owen, barrister, Porto de Abrigo – Organização de Produtores da Pesca CRL (ci-après « Porto de Abrigo ») et GÊ-Questa – Associação de Defesa do Ambiente (ci-après « GÊ-Questa »), représentées par P. Linhares Dias, avocat, ont demandé à intervenir dans la présente procédure de référé au soutien des conclusions de la requérante.

53
Les quatre demandeurs en intervention ont été invités à assister à l’audience prévue pour le 5 mai 2004 et à y présenter leurs arguments, sans préjudice de l’issue de leurs demandes respectives.

54
Le 5 mai 2004, la requérante, le Conseil, la Commission, le Royaume d’Espagne et les demandeurs en intervention (WWF, Seas at Risk, Porto de Abrigo et GÊ-Questa) ont présenté leurs arguments à l’audience et ont répondu à des questions posées par le président du Tribunal. S’agissant des demandeurs en intervention, si le président les a tous les quatre autorisés à présenter des arguments sur leur demande ainsi que sur le bien‑fondé de la présente demande en référé, il a néanmoins réservé sa décision finale sur leur demande en intervention.

55
Étant donné qu’à l’audience le Royaume d’Espagne n’a pas soulevé d’objection quant à la demande du Conseil tendant au retrait du dossier et à la non-prise en considération des deux documents annexés aux observations du Royaume d’Espagne du 21 avril 2004, le président a décidé à l’audience d’ordonner le retrait de ces deux documents du dossier.

56
Le 18 juin 2004, la requérante a déposé une demande tendant à ce que le Tribunal rouvre la procédure écrite et à ce qu’il admette la partie pertinente du rapport de juin 2004 du comité consultatif pour la gestion des pêcheries (CCGP) du Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM). Le président a décidé d’admettre ledit rapport, et, le 30 juin 2004, le greffier du Tribunal a transmis un exemplaire de ce rapport aux autres parties pour leur permettre de présenter toutes observations qu’elles pourraient avoir. Le 6 juillet 2004, le Conseil, la Commission et le Royaume d’Espagne ont présenté leurs observations.


En droit

A – Sur les demandes en intervention de WWF, de Seas at Risk, de Porto de Abrigo et de GÊ-Questa

57
Ainsi qu’il est indiqué ci-dessus, WWF, Seas at Risk, Porto de Abrigo et GÊ-Questa ont demandé à intervenir en application de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour. À l’audience, les autres parties n’ont présenté aucune observation quant au fait que ces demandeurs en intervention demandent à être admis à intervenir dans la présente procédure.

58
Selon l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour, qui s’applique au Tribunal de première instance en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, une personne peut intervenir dans un litige soumis au Tribunal à condition de prouver un intérêt à la solution du litige.

59
Sur ce point, il est de jurisprudence constante que la notion d’intérêt à la solution du litige doit s’entendre comme un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions. Il est nécessaire de vérifier, notamment, que le demandeur en intervention est touché directement par l’acte attaqué et que son intérêt à la solution du litige est certain (voir ordonnance du président de la première chambre du Tribunal du 3 juin 1999, ACAV e.a./Conseil, T‑138/98, Rec. p. II‑1797, point 14, et ordonnance du président du Tribunal du 10 juillet 2000, Federación de Cofradías de Pescadores de Guipúzcoa e.a./Conseil, T‑54/00 R, Rec. p. II-2875, point 15, et la jurisprudence citée). Les associations peuvent être admises à intervenir pour protéger les intérêts de leurs membres dans des affaires soulevant des questions de principe susceptibles d’affecter ces intérêts (voir ordonnance du président de la Cour du 28 septembre 1998, Pharos/Commission, C‑151/98 P, Rec. p. I-5441, point 6, et la jurisprudence citée).

60
Porto de Abrigo est une société coopérative à responsabilité limitée, formant une organisation de producteurs. Selon ses statuts, son objectif principal est la défense des intérêts de ses membres qui sont principalement des pêcheurs exerçant leur activité dans les Açores.

61
Il est évident que le règlement attaqué, qui régit les activités de pêche dans les eaux des Açores notamment, et que toute ordonnance suspendant son application ou d’autres mesures provisoires auraient une incidence substantielle et directe pour les membres de Porto de Abrigo dont les moyens d’existence dépendent de ces activités de pêche. Il faut donc considérer que Porto de Abrigo a un intérêt direct et certain à l’issue de la présente procédure.

62
Porto de Abrigo doit par conséquent être admise, ainsi qu’elle l’a demandé, à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la requérante.

63
GÊ-Questa est une association à but non lucratif prônant la protection de l’environnement, dont l’objectif principal est la protection de l’environnement et la promotion de celui-ci, ainsi que l’étude et la défense du patrimoine national et culturel de l’archipel des Açores. Ses statuts la chargent expressément de protéger le patrimoine naturel de l’archipel des Açores qui inclut la population piscicole et les écosystèmes marins dudit archipel.

64
Le sursis à l’exécution du règlement attaqué aurait un effet direct sur les activités de pêche dans les eaux des Açores, y compris sur l’utilisation d’engins de pêche qui sont susceptibles d’avoir une incidence considérable sur l’écosystème des eaux des Açores, zone qui constitue la principale zone d’activité de GÊ-Questa. Il y a donc lieu d’estimer que GÊ-Questa a un intérêt direct et certain à l’issue de la présente procédure.

65
GÊ-Questa doit par conséquent être admise, ainsi qu’elle l’a demandé, à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la requérante.

66
Seas at Risk affirme être une organisation de défense de l’environnement internationale, indépendante et à but non lucratif ; son siège se trouve aux Pays-Bas. Elle a pour but de protéger et de réhabiliter le milieu marin. Avec seize organisations membres situées dans huit États membres et en Norvège, Seas At Risk est la plus grande fédération européenne regroupant en son sein des organisations non gouvernementales écologiques, qu’elle représente à l’échelle européenne auprès de la Commission OSPAR (Convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est), de la Commission des pêches de l’Atlantique du Nord-Est (CPANE), de l’Organisation maritime internationale et dans le cadre des procédures relatives à la Conférence sur la protection de la mer du Nord. Elle travaille uniquement sur des questions relatives au milieu marin, et le champ géographique de ses activités s’étend à l’ensemble de l’Atlantique du Nord-Est.

67
Les objectifs de WWF sont encore plus vastes que ceux de Seas at Risk. D’après sa demande, WWF est l’une des plus grandes organisations au monde de protection de l’environnement qui compte presque cinq millions de sympathisants : son champ géographique couvre plus de 100 pays. Sa mission est de mettre fin à la dégradation de l’environnement naturel de la planète. Elle participe à un programme de « mers en danger » qui couvre les eaux océaniques dans le monde entier. WWF est également engagée dans un programme sur l’Atlantique du Nord-Est centré sur la promotion des pêcheries durables et sur l’établissement de réseaux de zones maritimes protégées, au sein de la Commission OSPAR et de ses États membres.

68
Dans leur demande commune en intervention, Seas at Risk et WWF allèguent avoir un intérêt direct et spécifique à l’issue de la présente procédure. Elles soutiennent que leurs activités sont centrées sur les pêcheries en eau profonde, sur la protection du milieu marin ainsi que sur la protection de l’habitat marin, y compris les monts sous‑marins, et qu’elles ont consacré, au cours des dernières années, des ressources considérables en vue de promouvoir la protection des stocks de poissons et d’habitats relevant du régime instauré par le règlement attaqué. Seas at Risk et WWF soutiennent en outre avoir pris part à des activités de lobbying et à avoir entretenu des contacts avec des gouvernements et les institutions communautaires avant et pendant la procédure législative ayant abouti à l’adoption du règlement attaqué. Enfin, Seas at Risk et WWF soutiennent qu’elles doivent être admises à intervenir au motif que la demande en référé soulève d’importantes questions qui présentent pour elles un intérêt direct et spécifique en ce qui concerne l’interaction entre la politique de la Communauté européenne en matière d’environnement et la PCP. Les membres des deux organisations sont en droit d’attendre, selon elles, qu’elles fassent entendre leurs voix devant les juridictions communautaires dans des circonstances comme celles de l’espèce.

69
Ces arguments ne sauraient être acceptés. Contrairement aux deux organisations des Açores, la portée des intérêts de Seas at Risk et de WWF est trop large et trop générale pour être substantiellement affectée par l’issue de la présente procédure et, partant, n’est pas de nature à permettre au juge des référés d’admettre WWF et Seas at Risk à intervenir dans la présente procédure.

70
En effet, malgré leur expertise et leur engagement dans les questions d’environnement, les objectifs et activités des deux organisations couvrent des zones géographiques étendues et ne sont pas exclusivement ou principalement centrés sur les eaux des Açores. Or, ce n’est qu’au regard de ces eaux que la requérante sollicite le sursis à l’exécution partielle du règlement attaqué. De plus, il convient d’observer que le règlement attaqué régit les activités de pêche dans les eaux des Açores et que son application n’affectera pas sensiblement les activités de WWF ou de Seas at Risk, qui consistent à effectuer des recherches scientifiques sur l’environnement et à pratiquer le lobbying en matière d’environnement dans un contexte plus large. Les membres et sympathisants de Seas at Risk et de WWF se trouvent dans le monde entier, et leurs intérêts, qui consistent à protéger l’environnement en général, sont encore plus éloignés.

71
Il s’ensuit que Seas at Risk et WWF n’ont pas démontré l’existence d’un intérêt direct et actuel à la décision à intervenir sur les conclusions de la requérante dans la procédure de référé de sorte que leur demande en intervention doit être rejetée.

B –  Sur la demande en référé

1. Arguments des parties

a)     Arguments présentés par la requérante

Sur la recevabilité

72
La requérante soutient qu’elle a qualité pour agir en vertu de l’article 230, quatrième alinéa, CE au motif qu’elle est concernée directement et individuellement bien que l’acte attaqué soit un règlement du Conseil.

73
En ce qui concerne le critère de l’intérêt direct, la requérante soutient que le règlement attaqué empiète directement sur ses pouvoirs de légiférer et de réglementer les questions de pêche dans les eaux relevant de sa juridiction. Les effets du règlement attaqué en découleront directement, puisque les États membres, et en particulier le Portugal, n’ont aucune latitude pour mettre en œuvre la mesure.

74
S’agissant de l’intérêt individuel, la requérante fait valoir deux arguments principaux. En premier lieu, elle soutient qu’elle bénéficie d’une protection spécifique conférée par le traité en vertu de l’article 299, paragraphe 2, CE et que, de plus, le règlement attaqué reconnaît expressément sa situation particulière et inclut des dispositions spécifiques (article 5 du règlement attaqué) en ce qui la concerne. En second lieu, le règlement attaqué la prive de son pouvoir de réglementer la pêche dans les eaux des Açores.

Sur le fumus boni juris

75
La requérante soutient que son recours contre le règlement attaqué, fondé sur six moyens distincts, est effectivement bien fondé.

76
La requérante fait valoir en premier lieu que le règlement attaqué viole le droit de l’environnement, en particulier l’article 6 CE et l’article 174, paragraphes 1 à 3, CE, et le règlement de base en ne respectant pas d’importants principes environnementaux qui sont obligatoires dans le cadre de la réglementation dans le domaine de la PCP, à savoir les principes de développement durable, de précaution, d’action préventive, de correction à la source et du pollueur payeur. Selon la requérante, tous les principes précités sont violés parce que le règlement attaqué entraînera une intensification de l’effort de pêche, un dommage au milieu marin et l’épuisement des stocks de poissons.

77
En particulier, la requérante soutient que le règlement attaqué emportera les conséquences suivantes. En abrogeant les règlements de 1995 qui limitaient l’accès des navires étrangers aux eaux des Açores et qui, en substance, y interdisaient l’utilisation d’engins traînants, le règlement attaqué mènera à un accroissement sensible de l’effort de pêche par la flotte industrielle d’autres États membres. C’est pourquoi les articles 3 et 11 du règlement attaqué excluent de la définition des pêcheries concernées toute référence aux engins traînants, autorisant ainsi indirectement l’utilisation desdits engins. De plus, ces dispositions excluent les espèces concernées figurant à l’annexe I du règlement nº 2347/2002 qui limitait l’effort de pêche pour un certain nombre d’espèces de poissons évoluant en eau profonde. En outre, la requérante soutient que l’article 15 du règlement attaqué abroge les règlements de 1995 avant même que le règlement d’application limitant l’effort de pêche n’entre en vigueur. L’article 5 établit une zone de protection de 100 milles marins ; il ne réglemente donc pas la zone comprise entre 100 milles et 200 milles marins et permet aux navires étrangers d’y pêcher toutes sortes d’espèces, dont les stocks de poissons évoluant en eau profonde et le thon. Enfin, l’article 13 du règlement attaqué supprime le système de signalisation, ce qui prive ainsi la requérante d’informations essentielles qui lui permettraient de contrôler plus efficacement les activités de pêche exercées dans les eaux relevant de sa juridiction.

78
À la lumière de ces effets allégués, la requérante soutient qu’il y a violation du principe de développement durable inscrit à l’article 6 CE, et à l’article 2, paragraphe 1, du règlement de base. Le principe de précaution (inscrit à l’article 6 CE et à l’article 174, paragraphe 2, CE ainsi qu’à l’article 2 du règlement de base) est également violé parce que le Conseil n’a pas tenu compte de preuves scientifiques et que le règlement attaqué entraînera une pêche intensive dans les zones concernées et qu’il privera la requérante d’informations scientifiques indispensables dont elle pourrait se servir pour de prochaines actions préventives. Le principe d’action préventive (article 174, paragraphe 2, CE et articles 7, 8 et 26 du règlement de base) est violé parce que, en adoptant le règlement attaqué, le Conseil n’a pas tenu compte de la menace grave pour l’environnement. Le principe de correction à la source est violé parce que le règlement attaqué prive les autorités locales, qui connaissent le mieux les eaux des Açores, de leurs pouvoirs de traiter les questions écologiques relatives aux eaux des Açores. Enfin, le principe du pollueur payeur est violé parce que le règlement attaqué permet à la flotte industrielle de causer des préjudices à l’environnement sans les réparer.

79
En deuxième lieu, la requérante allègue que le règlement attaqué est incompatible avec les dispositions de droit primaire et de droit dérivé destinées à protéger les Açores. En particulier, la requérante soutient que le règlement attaqué viole l’article 158 CE et l’article 299, paragraphe 2, CE au motif qu’il ne protège pas les Açores, contrairement à la finalité de ces dispositions. En portant préjudice à l’environnement des Açores et en épuisant les stocks halieutiques des Açores, le règlement attaqué nuira au secteur local de la pêche et accroîtra les écarts entre les Açores et l’Europe continentale.

80
En troisième lieu, la requérante allègue que, en ne protégeant pas les pêcheurs locaux, le règlement attaqué viole le principe de stabilité relative inscrit dans le règlement nº 2371/2002 (considérants 16, 17 et 18, et article 20 du règlement de base).

81
En quatrième lieu, la requérante soutient que, en adoptant le règlement attaqué, le Conseil a violé une forme substantielle en omettant de consulter à nouveau le Parlement européen malgré une demande expresse en ce sens formulée dans la résolution du Parlement et malgré d’importantes modifications apparaissant dans la version définitive du règlement attaqué, notamment l’insertion de l’article 299, paragraphe 2, CE comme base juridique, la réduction à 100 milles marins de la zone de protection autour des Açores, la suppression du système de signalisation et l’exclusion des espèces en eau profonde du champ d’application du régime de gestion de l’effort de pêche maximal.

82
En cinquième lieu, la requérante prétend que le Conseil a violé l’article 4, paragraphe 2, du règlement de base en ne tenant pas compte des avis scientifiques, techniques et économiques disponibles, et notamment des rapports du comité scientifique, technique et économique de la pêche (« CSTEP »), et en ne procédant pas à une étude d’impact. Selon la requérante, cela ressort à l’évidence des réponses fournies par la Commission et le Conseil aux demandes d’accès à des documents que la requérante a déposées.

83
En sixième lieu, la requérante soutient que le Conseil a violé l’article 253 CE en ne fournissant pas de motivation adéquate dans le règlement attaqué. En particulier, le règlement attaqué entraînera les résultats contraires à ceux exposés aux considérants 3 et 6, à savoir la protection des eaux des Açores. Ni la modification par rapport au régime précédent ni l’abrogation des règlements de 1995 ne sont motivées.

84
Enfin, la requérante se réfère à un certain nombre d’arguments supplémentaires invoqués dans le recours au principal selon lesquels le règlement attaqué viole le règlement nº 1275/94, des principes fondamentaux de droit communautaire et le droit international de la mer. Il convient toutefois de relever que, à part cette référence au recours au principal, la requérante ne fournit dans la demande en référé aucune information relative à ces moyens.

Sur l’urgence

85
La requérante soutient que des mesures provisoires sont nécessaires parce que, à défaut des mesures provisoires sollicitées, l’environnement marin, les stocks halieutiques et l’économie locale subiront un préjudice grave et irréparable. À défaut de telles mesures, la requérante serait donc privée d’une protection juridictionnelle pleine et effective.

86
En ce qui concerne l’environnement marin, la requérante allègue que les effets préjudiciables du règlement attaqué débuteront le 1er août 2004 au plus tard, date à laquelle les règlements de 1995 seront formellement abrogés en application de l’article 15 du règlement attaqué. La requérante soutient que l’autorisation donnée aux navires étrangers de pêcher des espèces en eau profonde dans les eaux des Açores annoncera pour la première fois l’utilisation d’engins et de méthodes générateurs de dommages tels que le chalutage de fond, le chalutage sans contact avec le fond, la pêche au filet maillant de fond et la pêche intensive à la palangre, qui retiennent beaucoup trop de poissons, qui capturent toutes les espèces sans discrimination et qui engendrent le problème de ce que l’on appelle la « pêche fantôme » (dont les effets sont accentués dans les zones profondes) par laquelle des engins perdus continuent de causer des dommages pendant longtemps. Toutes ces méthodes infligeraient des dommages collatéraux importants en détruisant les fonds marins, les récifs et les coraux. Selon la requérante, il se peut que la proposition de la Commission sur le chalutage ne soit pas adoptée à temps, et, quand bien même le serait-elle, elle serait insuffisante parce qu’elle n’interdirait pas le recours à d’autres méthodes de pêche industrielle intensive, génératrices de dommages.

87
S’agissant des stocks halieutiques, la requérante prétend également que les effets préjudiciables du règlement attaqué débuteront le 1er août 2004 au plus tard. Elle soutient que de nombreux navires étrangers (espagnols) ont déjà commencé à pêcher de manière intensive dans les eaux des Açores en raison de déclarations faites par la Commission et par le ministère de l’Agriculture espagnol, selon lesquelles le règlement attaqué est déjà en vigueur. En premier lieu, la requérante soutient que le règlement d’application prévu à l’article 11 du règlement attaqué fixant les niveaux maximaux d’effort de pêche ne sera pas adopté à temps et qu’il y aura donc un vide juridique pendant une longue période. En deuxième lieu, les méthodes de pêche intensive annoncées par le règlement attaqué entraîneront l’épuisement des stocks halieutiques. La requérante soutient par exemple que les navires espagnols utilisent des palangres qui ont jusqu’à douze fois plus de hameçons (24 000 hameçons) que celles utilisées par les navires des Açores (2 000 hameçons). En outre, les navires espagnols ont une autonomie et une capacité de stockage plus importantes et peuvent donc pêcher intensivement pendant beaucoup plus longtemps que les navires des Açores. En raison de la rentabilité rapide de pêcheries en eaux profondes auparavant inexploitées, un grand nombre de navires devraient pêcher dans les eaux des Açores. Cela modifierait l’équilibre écologique fragile, qui est déjà proche de niveaux non durables, entraînant un effet d’effondrement « boom and bust » et l’épuisement rapide et irréversible des stocks halieutiques. À cet égard, la requérante souligne le fait que la nature particulière des poissons évoluant en eau profonde (faible taux de fécondité, maturité tardive et longévité) rend leur renouvellement extrêmement lent.

88
En ce qui concerne l’industrie de la pêche dans les Açores, la requérante soutient que la raréfaction des stocks halieutiques provoquera l’effondrement de l’activité locale qui est particulièrement tributaire de la pêche, notamment de la pêche en eau profonde (qui représente 59 % des prises dans les Açores). Selon la requérante, 31 % des prises dans les Açores proviennent de bancs de pêche situés dans la zone « libéralisée » située entre 100 milles et 200 milles marins. Presque 12 % de la population active des Açores exerce des activités connexes à la pêche.

89
La partie requérante concède qu’elle ne peut prédire quand les dommages deviendront irréparables mais s’attend à ce que les effets s’en ressentent en l’espace d’une seule saison de pêche. En tout état de cause, la requérante prie le Tribunal de bien vouloir appliquer le principe de précaution et de faire droit aux mesures provisoires sollicitées afin d’éviter de tels effets malgré l’absence de certitude mathématique quant à la date des dommages qui en résulteront.

Sur la mise en balance des intérêts

90
La requérante fait valoir que la balance des intérêts penche clairement en faveur de l’octroi de mesures provisoires étant donné que, si lesdites mesures étaient octroyées, les stocks halieutiques et l’écosystème marin seraient protégés dans l’attente de l’arrêt sur le recours au principal tout en ne désavantageant nulle autre personne et tout en ne portant pas atteinte à l’issue du recours au principal. Si le Conseil obtient gain de cause, les intérêts des flottes de pêche d’autres États membres, en particulier du Royaume d’Espagne, auront été préservés ; si la requérante obtient gain de cause, ses intérêts auront été préservés.

b)     Arguments présentés par Porto de Abrigo et GÊ-Questa

91
Porto de Abrigo et GÊ-Questa soutiennent les arguments de la requérante selon lesquels le règlement attaqué permettra, notamment aux navires espagnols, de pratiquer une pêche intensive dans les eaux des Açores, navires qui ont une bien plus grande capacité par rapport aux navires des Açores, qui ont des engins de pêche réutilisables, qui utilisent des palangres mouillant sur des zones plus étendues (50/60 milles marins au lieu de 30 milles marins) et qui demeurent en mer pendant des périodes beaucoup plus longues (60 jours au lieu de la semaine habituelle du navire des Açores). Déjà une moyenne mensuelle de 58 navires espagnols pêchent dans les eaux des Açores, alors que leur nombre total habituel était auparavant de quatre. Cette pêche intensive décimera complètement les stocks halieutiques dans la zone comprise entre 100 milles et 200 milles marins et même dans celle située entre 0 mille et 100 milles marins en raison d’un effet dit d’« aspiration » (les poissons sont retirés des bancs de pêche qui franchissent la ligne des 100 milles marins). La décimation des stocks halieutiques causerait d’importants dommages à l’environnement et provoquerait l’effondrement de l’activité de pêche locale.

c)     Arguments présentés par le Conseil, la Commission et le Royaume d’Espagne

92
Tout d’abord, le Conseil, soutenu par la Commission et le Royaume d’Espagne, soutient que la présente demande est manifestement irrecevable en raison de l’irrecevabilité manifeste du recours au principal.

93
À cet égard, le Conseil fait valoir, en premier lieu, que le règlement attaqué est une mesure de portée générale et non une décision déguisée, et qu’il ne saurait par conséquent être attaqué par la requérante. En deuxième lieu, la requérante n’est, en tout état de cause, pas concernée individuellement. Son intérêt général à la prospérité économique de l’activité de pêche de la région ne suffit pas pour satisfaire au critère type permettant à des personnes physiques ou morales de former un recours en application de l’article 230, quatrième alinéa, CE, critère selon lequel l’acte attaqué doit les atteindre dans leur position juridique en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise comme le serait le destinataire d’une décision. À cet égard, le Conseil relève que la requérante ne démontre pas comment le règlement attaqué affecte son économie d’une manière différente de celle d’autres régions, y compris d’autres régions « ultrapériphériques ». En troisième lieu, le fait que les Açores sont mentionnées à l’article 299, paragraphe 2, CE ne suffit pas à conférer qualité pour agir à la requérante ; une interprétation contraire offrirait aux régions ultrapériphériques un accès privilégié au Tribunal, contraire au système de protection juridictionnelle institué par le traité CE. Enfin, l’atteinte aux pouvoirs législatifs et réglementaires de la requérante n’entraîne pas d’intérêt individuel ou direct ; il s’agit d’un effet inévitable de tous les règlements de portée générale.

94
Le Conseil, soutenu par la Commission et le Royaume d’Espagne, fait valoir en outre que le recours n’est, en tout état de cause, pas fondé, puisque la requérante n’a pas établi un fumus boni juris.

95
En premier lieu, le Conseil, relevant le large pouvoir discrétionnaire dont bénéficie le législateur communautaire dans ce domaine, soutient que les dispositions en matière d’environnement ne sont pas applicables parce que les bases juridiques du règlement attaqué étaient l’article 37 CE et l’article 299, paragraphe 2, CE.

96
En deuxième lieu, le Conseil soutient que, en tout état de cause, le règlement attaqué n’enfreint pas les dispositions du droit de l’environnement (articles 6 CE et 174 CE ainsi que les principes du droit de l’environnement), puisque le régime instauré par ledit règlement ne causera aucun dommage à l’environnement ou aux stocks halieutiques. En effet, de l’avis du Conseil, le règlement attaqué concilie divers intérêts dont la protection de l’environnement, l’exploitation durable des stocks halieutiques et la protection du secteur de la pêche dans les Açores tout en respectant, en même temps, le principe, inscrit à l’article 12 CE, de non-discrimination exercée en fonction de la nationalité.

97
Le Conseil, soutenu par la Commission et le Royaume d’Espagne, fait valoir en outre que le règlement attaqué prend en compte les préoccupations environnementales en restreignant l’effort de pêche sur la base des moyennes historiques et qu’il doit être considéré dans le cadre d’autres mesures relevant de la PCP (telles que les règlements nos 2340/2002 et 2347/2002 ainsi que le règlement d’application qui doit être bientôt adopté en vertu de l’article 11 du règlement attaqué) qui, dans leur ensemble, offrent en matière d’environnement une protection adéquate à toutes les espèces évoluant en eau profonde. Il n’est pas établi que la suppression du système dit « de signalisation » ait causé de quelconques problèmes d’ordre environnemental ou autre. Il n’est pas non plus établi que de quelconques problèmes soient causés aux thonidés qui, en tant qu’espèce migratoire, sont dûment protégés par la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (CICTA) ainsi que par les TAC et les quotas définis par la réglementation communautaire dérivée.

98
En troisième lieu, le Conseil et la Commission, relevant que le Conseil bénéficie d’un large pouvoir discrétionnaire dans le cadre de ces questions économiquement complexes, soutiennent que le règlement attaqué n’enfreint pas l’article 299, paragraphe 2, CE et l’article 158 CE, puisqu’il fournit à l’industrie des Açores une protection adéquate et proportionnée en instaurant une zone de protection de 100 milles marins.

99
En quatrième lieu, la stabilité relative est également préservée étant donné que le règlement attaqué restreint l’effort de pêche sur la base de moyennes historiques. À cet égard, la Commission allègue en outre que le principe de stabilité relative n’est, en tout état de cause, pertinent que pour fixer les TAC et non dans le cadre d’une limitation de l’effort de pêche tel que celui exposé dans le règlement attaqué.

100
Enfin, le Conseil, soutenu par la Commission et le Royaume d’Espagne, soutient qu’il n’a violé aucune formalité substantielle. Il n’a pas eu besoin de consulter à nouveau le Parlement étant donné que les modifications introduites ne changeaient pas l’économie du règlement dans son ensemble. Le règlement attaqué est dûment motivé ainsi qu’il ressort de ses considérants. En outre, des preuves scientifiques, notamment les rapports établis par le CSTEP et par le CIEM, ont été prises en compte.

101
Quant à l’urgence, le Conseil, la Commission et le Royaume d’Espagne soutiennent que l’absence de mesures provisoires ne causera pas de dommage grave et irréparable et que le critère de l’urgence n’est donc pas rempli.

102
En premier lieu, le Conseil soutient que le règlement attaqué n’annoncera pas d’effort de pêche illimité, mais qu’il limitera au contraire ledit effort sur la base de moyennes historiques. Le règlement attaqué ainsi que les règlements de 2002 offrent une protection suffisante aux stocks halieutiques et à l’environnement. En second lieu, des mesures provisoires ne sont pas nécessaires parce qu’il existe d’autres possibilités plus appropriées susceptibles d’être exploitées, le cas échéant, pour protéger l’environnement et les stocks halieutiques telles que les mesures prévues par les articles 7 et 8 du règlement de base que la requérante n’a pas exploitées. La demande en référé est prématurée étant donné que, pour les deux questions pour lesquelles la requérante allègue des dommages irréparables (dommages à l’environnement en raison du chalutage de fond et de l’appauvrissement des stocks halieutiques), la Commission a présenté des propositions pour prendre en charge tous les problèmes identifiés. En tout état de cause, le règlement attaqué ainsi que les règlements de 2002 protègent dûment les stocks halieutiques en raison de la restriction de l’effort de pêche. Enfin, le Conseil fait observer que la requérante ne fournit aucune preuve de l’urgence en ce qui concerne les thonidés. Le Royaume d’Espagne approuve cette conclusion et fait remarquer que, étant donné le caractère hautement migratoire du thon, la restriction d’accès dans certaines zones n’emporte aucune conséquence et qu’elle est constitutive d’une discrimination fondée sur la nationalité.

103
Enfin, le Conseil, la Commission et le Royaume d’Espagne soutiennent que la balance des intérêts penche en faveur du rejet de la demande. En premier lieu, les mesures sollicitées par la requérante entraîneraient une protection moindre, et non plus grande, de l’environnement. En second lieu, un sursis à exécution prolongerait une période d’incertitude juridique quant à l’application des règlements de 1995. Enfin, un sursis à exécution léserait des milliers de pêcheurs et des centaines de navires dans une grande zone de l’Atlantique du Nord-Est. En conséquence, seules des raisons impérieuses pourraient, dans ces circonstances, justifier l’octroi de mesures provisoires.

2. Appréciation du juge des référés

104
Selon l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure, une demande de mesures provisoires doit spécifier les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30]. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du président de la Cour du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C‑445/00 R, Rec. p. I‑1461, point 73). La mesure sollicitée doit, en outre, être provisoire en ce sens qu’elle ne préjuge pas les points de droit ou de fait en litige ni ne neutralise par avance les conséquences de la décision à rendre ultérieurement au principal [ordonnance du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 22].

105
Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose en outre d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit communautaire ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement (ordonnance Commission/Atlantic Container Line e.a., précitée, point 23).

106
C’est à la lumière des principes précités que la demande de mesures provisoires doit être examinée.

a)     Sur la recevabilité

107
Il est nécessaire en premier lieu d’examiner si, comme le soutiennent le Conseil, la Commission et le Royaume d’Espagne, la demande de mesures provisoires doit être déclarée irrecevable pour cause d’irrecevabilité manifeste du recours au principal.

108
À cet égard, il convient de faire remarquer que, sur le fondement d’une jurisprudence constante, s’il est vrai que le problème de la recevabilité du recours au principal ne doit pas, en principe, être examiné dans le cadre d’une procédure en référé sous peine de préjuger le fond de l’affaire, il n’en demeure pas moins que, pour que la demande de sursis à l’exécution d’un acte soit déclarée recevable, le requérant doit établir l’existence de certains éléments permettant de conclure, à première vue, à la recevabilité du recours au fond sur lequel se greffe sa demande en référé, afin d’éviter qu’il puisse, par la voie du référé, obtenir le sursis à l’exécution d’un acte dont il se verrait par la suite refuser l’annulation par la Cour, son recours ayant été déclaré irrecevable lors de son examen au fond [ordonnance du président de la Cour du 18 novembre 1999, Pfizer Animal Health/Conseil, C‑329/99 P(R), Rec. p. I‑8343, point 89].

109
Un tel examen de la recevabilité du recours au principal est nécessairement sommaire, compte tenu du caractère urgent de la procédure en référé [ordonnance du président de la Cour du 12 octobre 2000, Federación de Cofradías de Pescadores de Guipúzcoa e.a./Conseil, C‑300/00 P(R), Rec. p. I-8797, point 35].

110
En effet, dans le cadre d’une demande en référé, la recevabilité du recours au principal ne peut être appréciée que de prime abord, la finalité étant d’examiner si la requérante produit des éléments suffisants qui justifient a priori de conclure que la recevabilité du recours au principal ne saurait être exclue. Le juge des référés ne doit déclarer ce recours irrecevable que si la recevabilité du recours au principal peut être totalement exclue. À défaut, statuer sur la recevabilité au stade du référé lorsque celle-ci n’est pas, prima facie, totalement exclue reviendrait à préjuger la décision du Tribunal statuant au principal (ordonnances du président du Tribunal du 17 janvier 2001, Petrolessence et SG2R/Commission, T‑342/00 R, Rec. p. II-67, point 17, et du 19 décembre 2001, Government of Gibraltar/Commission, T‑195/01 R et T‑207/01 R, Rec. p. II‑3915, point 47).

111
Il convient par conséquent d’examiner si la requérante démontre, au moins de prime abord, qu’elle a qualité pour agir en justice aux fins d’obtenir l’annulation partielle du règlement attaqué en application de l’article 230, quatrième alinéa, CE.

112
Il convient de faire observer que, dans la mesure où elle jouit de la personnalité juridique en vertu du droit portugais, la Région autonome des Açores peut, en principe, introduire un recours en annulation en vertu de l’article 230, quatrième alinéa, CE, aux termes duquel toute personne physique ou morale peut former un recours contre les décisions dont elle est destinataire et contre les décisions qui, bien que prises sous l’apparence d’un règlement ou d’une décision adressée à une autre personne, la concernent directement et individuellement (arrêt de la Cour du 22 novembre 2001, Nederlandse Antillen/Conseil, C‑452/98, Rec. p. I-8973, point 51, ci-après l’« arrêt Antilles néerlandaises I »).

113
Ainsi que le Conseil le relève à juste titre, le règlement attaqué est une mesure de portée générale et non une décision déguisée. Il régit les activités de pêche pour les stocks de poissons évoluant en eau profonde dans une grande zone de l’Atlantique du Nord-Est, connue sous le nom d’eaux occidentales, et s’applique sans distinction à tous les pêcheurs souhaitant exercer lesdites activités dans cette zone. De plus, bien que les Açores soient expressément mentionnées au considérant 6 et à l’article 5, le règlement attaqué s’applique sans distinction à toutes les régions ultrapériphériques visées à l’article 299, paragraphe 2, CE, à savoir les Açores, Madère et les îles Canaries.

114
Néanmoins, le fait que l’acte attaqué est une mesure de portée générale ne constitue pas une fin de non-recevoir à sa contestation par une personne physique ou morale en application de l’article 230, quatrième alinéa, CE. Selon une jurisprudence constante, le fait qu’une mesure soit de portée générale ne signifie pas qu’elle ne peut pas concerner directement et individuellement certaines personnes physiques ou morales (arrêt Antilles néerlandaises I, point 51, et arrêt de la Cour du 18 mai 1994, Codorniu/Conseil, C‑309/89, Rec. p. I‑1853, point 19).

115
Il importe par conséquent d’apprécier si, dans le cadre d’un examen sommaire, la Région autonome des Açores peut être considérée comme étant concernée directement et individuellement par le règlement attaqué.

116
S’agissant du critère de l’intérêt direct, il est de jurisprudence constante que, pour concerner directement un requérant, au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE, l’acte communautaire entrepris doit produire directement des effets sur la situation juridique du requérant et sa mise en oeuvre doit revêtir un caractère purement automatique et découler de la seule réglementation communautaire, sans application d’autres règles intermédiaires (arrêt du Tribunal du 12 juillet 2001, Comafrica et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, T‑198/95, T‑171/96, T‑230/97, T‑174/98 et T‑225/99, Rec. p. II-1975, point 96). À cet égard, il y a lieu de faire remarquer que le règlement attaqué est directement applicable dans tous les États membres et qu’il produira des effets immédiats sans qu’il soit nécessaire que tous les États membres adoptent des règles supplémentaires. Le règlement attaqué produira des effets substantiels et immédiats sur la situation juridique de la requérante dans la mesure où cette dernière sera privée des pouvoirs de légiférer en matière de pêche dans la zone située entre 100 milles et 200 milles marins, et dans la mesure où les activités de pêche, qui constituent, selon la requérante, une part substantielle de son économie, seront affectées par le règlement attaqué. On peut donc en conclure que, du moins à première vue, la requérante démontre que le règlement attaqué la concerne directement.

117
S’agissant de l’intérêt individuel, il y a lieu de relever qu’un acte de portée générale tel qu’un règlement ne peut concerner individuellement des personnes physiques ou morales que s’il les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle d’un destinataire (arrêts de la Cour du 22 novembre 2001, Antillean Rice Mills/Conseil, C‑451/98, Rec. p. I‑8949, point 49 ; du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, C-50/00 P, Rec. p. I-6677, point 36, et du 10 avril 2003, Commission/Nederlandse Antillen, C‑142/00 P, Rec. p. I-3483, ci-après l’«arrêt Antilles néerlandaises II», point 65 ; arrêts Antilles néerlandaises I, point 60).

118
À cet égard, il convient de faire observer que, selon une jurisprudence constante, l’intérêt général qu’une région comme la Région autonome des Açores, en tant qu’entité compétente pour les questions d’ordre économique sur son territoire, notamment pour la pêche, peut avoir à obtenir un résultat favorable pour la prospérité économique de cette dernière ne saurait, à lui seul, suffire pour la considérer comme étant concernée au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE (arrêt Antilles néerlandaises II, point 69).

119
En outre, il ne suffit pas, pour démontrer l’intérêt individuel, que la requérante bénéficie d’une protection particulière conférée par le traité (article 299, paragraphe 2, CE), ou que le règlement attaqué la mentionne expressément et précisément dans son considérant 6 et à l’article 5, ou que le Conseil dût prendre en compte la situation de la requérante en adoptant le règlement attaqué (voir, en ce sens, arrêt Antilles néerlandaises II, points 74 à 76). À défaut, ainsi que le Conseil le souligne à juste titre, les régions ultrapériphériques mentionnées à l’article 299, paragraphe 2, CE acquerraient des droits d’agir en justice analogues aux droits des États membres. Pareil résultat serait contraire à l’article 230 CE qui n’habilite pas, par analogie, les entités régionales à intenter des recours dans les mêmes conditions que les États membres (voir, par analogie, arrêt Antilles néerlandaises I, point 50, et la jurisprudence citée).

120
Il s’ensuit que la requérante doit, au moins de prime abord, démontrer sur la base des faits que le règlement attaqué l’atteint en raison d’une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne, y compris, dans les circonstances de l’espèce, par rapport aux autres régions ultrapériphériques (voir, par analogie, arrêt Antilles néerlandaises I, point 72).

121
Quand bien même la requérante ne s’efforce-t-elle pas de prouver clairement la manière dont le règlement attaqué l’atteint d’une manière différente des autres régions ultrapériphériques, qui la caractériserait suffisamment pour la rendre individuellement concernée, elle rapporte certaines preuves sur le fondement desquelles on ne saurait totalement exclure qu’elle se trouve dans une situation de fait susceptible de la caractériser de la sorte.

122
En premier lieu, les compétences de la requérante seront directement atteintes, dans une mesure considérable, par le règlement attaqué étant donné qu’il la privera du pouvoir de réglementer les activités de pêche dans la zone comprise entre 100 milles et 200 milles marins. Un tel effet sur les compétences d’une région peut amener à considérer que la région en cause est concernée individuellement au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 décembre 1999, Freistaat Sachsen e.a./Commission, T‑132/96 et T‑143/96, Rec. p. II‑3663, point 84, et la jurisprudence citée, en particulier arrêt du Tribunal du 15 juin 1999, Regione autonoma Friuli‑Venezia Giulia/Commission, T‑288/97, Rec. p. II-1871, points 31 et 32).

123
En second lieu, la situation des Açores est particulière en ce sens que son écosystème marin se caractérise par une présence importante de fonds sous-marins qui entraînent des marées localisées et des remontées d’eaux froides profondes (upwellings), par l’existence de champs de cheminées hydrothermales et de sources naturelles d’eau chaude, par l’absence de plateau continental et par une forte dépendance par rapport à la pêche en eau profonde. Selon la requérante, près de 12 % de la population active des Açores est tributaire d’activités connexes à la pêche, et la pêche en eau profonde dans les Açores représente presque 60 % en valeur de toutes les prises qui y sont effectuées. À l’audience, la requérante a exposé que les activités connexes à la pêche représentaient 5 % de son produit national brut, pourcentage qui ne saurait être considéré comme négligeable (conclusions de l’avocat général M. Léger sous les arrêts de la Cour du 22 novembre 2001, Pays‑Bas/Conseil, C‑301/97, Rec. p. I-8853, I-8858, et Antilles néerlandaises I, Rec. p. I‑8975, point 95), dans lesquelles il conclut qu’un secteur ne représentant que 0,9 % du produit national brut des Antilles néerlandaises n’était pas suffisant pour prouver l’existence de qualités particulières propres à cette région, mais qu’il aurait pu parvenir à une conclusion différente « si le secteur économique concerné par l’acte litigieux avait représenté une part beaucoup plus conséquente du produit national brut du (pays et territoire d’outre-mer) en cause »].

124
Sur la base de ces éléments de preuve factuels produits par la requérante, le juge des référés estime que, s’il existe des doutes sérieux quant à savoir si la requérante démontre que le règlement attaqué l’atteint différemment d’autres régions ultrapériphériques, il ne saurait être totalement exclu que la requérante soit en mesure de prouver, dans le cadre du recours au principal, que le règlement attaqué la concerne individuellement.

125
À la lumière des considérations qui précèdent, étant donné que la recevabilité du recours au principal ne saurait être totalement exclue à ce stade, la demande de mesures provisoires ne saurait être écartée uniquement pour des motifs d’irrecevabilité.

b)     Sur le fumus boni juris, l’urgence et la mise en balance des intérêts

126
Pour apprécier si la requérante prouve qu’elle satisfait aux conditions cumulatives nécessaires à l’octroi de mesures provisoires, à savoir les conditions du fumus boni juris et de l’urgence, il est important d’examiner au préalable la nature des mesures provisoires sollicitées et la balance des intérêts en mettant en balance les effets qu’une ordonnance de référé accordant de telles mesures aurait sur la requérante, sur le défendeur, les parties intervenantes, l’ordre juridique communautaire et les tiers.

Mise en balance des intérêts – Effets des mesures provisoires demandées

127
Il convient en premier lieu d’observer que la nature même de certaines mesures provisoires sollicitées apparaît inappropriée et disproportionnée à la lumière de l’objectif principal qu’elles visent à atteindre, à savoir la protection de l’écosystème marin des Açores et des stocks halieutiques. À cet égard, les effets qu’aurait chacune des mesures provisoires sollicitées méritent d’être examinés.

128
Le sursis à l’exécution de l’article 3 du règlement attaqué aurait des effets d’une ampleur considérable en dispensant les États membres de l’obligation d’évaluer et d’allouer les niveaux de l’effort de pêche sur la base des moyennes historiques. Par sa nature même, un tel sursis à exécution ne semble pas propre à, et encore moins proportionné pour, atteindre l’objectif visé par la requérante, c’est-à-dire la protection de l’environnement marin et la préservation des stocks halieutiques. Le sursis à l’exécution de cette disposition en ce qu’elle retire les engins de pêche de la définition des pêcheries concernées n’équivaudrait pas à une obligation faite aux institutions communautaires de définir les pêcheries selon les engins de pêche ni n’entraînerait l’interdiction d’utiliser des engins de pêche particuliers. De même, le sursis à l’exécution de cette disposition, dans la mesure où elle exclut de son champ d’application des espèces visées par le règlement nº 2347/2002 auxquelles s’applique ce règlement antérieur qui ne fait pas l’objet du recours, aboutirait à un cumul des régimes et n’aurait pas nécessairement pour effet de mieux protéger ces espèces.

129
Le sursis à l’exécution de l’article 5 du règlement attaqué supprimerait en substance la protection dont bénéficie la zone s’étendant jusqu’à 100 milles marins autour des Açores, effet qui semble contraire à ce que la requérante cherche à atteindre. Il convient de relever que l’article 5 instaure une zone de protection de 100 milles marins pour toutes les espèces, y compris le thon et les espèces en eau profonde. Dans la mesure où il est réclamé que les navires espagnols pêchant le thon et les thonidés soient exclus de la zone comprise entre 0 mille et 200 milles marins, un sursis à l’exécution de l’article 5 du règlement attaqué ne produirait donc pas cet effet.

130
Le sursis à l’exécution de l’article 11 du règlement attaqué empêcherait le Conseil et la Commission d’adopter le règlement d’application fixant les niveaux maximaux d’effort de pêche annuel pour chaque État membre ainsi que pour chacune des zones et chacune des pêcheries définies aux articles 3 et 6. Une telle mesure ne contribuerait pas à protéger l’environnement ou à préserver les stocks halieutiques dans les eaux des Açores. La requérante elle-même estime que, une fois adopté, le règlement d’application protégera, au moins partiellement, les eaux des Açores.

131
Le sursis à l’exécution de l’article 13, sous b), du règlement attaqué entraînerait de nouveau l’application du système dit « de signalisation » et aurait ainsi des effets considérables pour un grand nombre de navires de pêche qui devraient se conformer à ce système. Cependant, une réinstauration du système de signalisation permettrait à la requérante, tout au plus, de recueillir des informations supplémentaires relatives aux activités de navires opérant dans les eaux des Açores, et la requérante ne prouve pas que, même si le VMS lui fournit moins d’informations, il l’empêche de mettre en œuvre le régime instauré par le règlement attaqué ou de surveiller suffisamment les activités des navires opérant dans les eaux des Açores. En effet, même si cette disposition restreint, comme le soutient la requérante, la quantité d’informations que les autorités des Açores peuvent exiger de navires opérant au sein de leur juridiction, il n’est pas rapporté de preuve faisant apparaître en quoi cela peut avoir des effets concrets sur l’écosystème marin et sur les stocks halieutiques.

132
Le sursis à l’exécution de l’article 15 du règlement attaqué, qui abroge les règlements de 1995 à compter du 1er août 2004 au plus tard, toucherait tous les pêcheurs souhaitant pêcher dans les eaux des Açores et engendrerait une grande insécurité juridique quant au régime qui serait applicable dans les eaux des Açores. En substance, un sursis à l’exécution de cette disposition rétablirait tout un régime juridique antérieur que le législateur communautaire a décidé de remplacer par le régime institué dans le règlement attaqué. Il faut reconnaître qu’il existe une grande incertitude quant à la question de savoir si certaines dispositions des règlements de 1995 sont si étroitement liées au régime transitoire de l’acte d’adhésion et au règlement nº 1275/94 qu’elles devraient être considérées comme inapplicables après l’expiration, le 1er janvier 2003, du régime transitoire d’adhésion. Il est vrai que le sursis à l’exécution de l’article 15 est susceptible d’avoir pour effet d’autoriser la reprise de l’ancien régime qui, du moins selon la requérante, offrirait une protection adéquate des eaux des Açores. Toutefois, il convient de relever que le régime de 1995 prévoyait une telle protection non pas directement en instituant des règles en matière d’environnement telles que l’interdiction d’utiliser des engins de pêche, mais indirectement par des règles limitant l’accès des navires étrangers aux eaux des Açores. Le sursis à l’exécution de l’article 15 perpétuerait ces dispositions des règlements de 1995 qui limitent l’accès des navires étrangers aux eaux des Açores, alors que le régime d’accès transitoire institué par l’acte d’adhésion aurait dû prendre fin le 31 décembre 2002 au plus tard. Il y a lieu d’observer que de telles dispositions sont directement discriminatoires en raison de la nationalité et qu’elles violent ainsi un principe inscrit à l’article 12 CE et à l’article 17, paragraphe 1, du règlement de base.

133
Enfin, il convient d’observer que les mesures subsidiaires sollicitées par la requérante – l’interdiction faite aux navires espagnols de pêcher dans les eaux des Açores le thon et les thonidés et l’interdiction faite aux navires non portugais d’y pêcher des espèces démersales et en eau profonde – ne sont, en substance, pas des règles relatives à la protection de l’environnement mais des règles d’accès qui seraient directement discriminatoires en raison de la nationalité et qui nuiraient aux intérêts des navires étrangers. Une ordonnance de référé ordonnant de telles mesures ne viserait pas à protéger directement l’environnement marin et les stocks halieutiques, n’interdirait pas l’utilisation d’engins générateurs de dommages et n’imposerait pas de limitation particulière de l’effort de pêche ou d’autres mesures écologiquement rationnelles, mais exclurait simplement les navires étrangers des eaux des Açores. Elle semble donc, par sa nature même, disproportionnée.

134
Il résulte de cet examen de la nature des mesures provisoires sollicitées que, contrairement aux allégations de la requérante, le sursis à l’exécution partielle du règlement attaqué ou les mesures provisoires subsidiaires sollicitées auraient des incidences négatives notables sur les tiers et perturberaient le fonctionnement de la PCP.

135
En effet, le règlement attaqué est une mesure de portée générale qui régira de manière abstraite un large champ d’activités de pêche concernant un très grand nombre de navires de pêche et de pêcheurs. Un sursis à l’exécution partielle du règlement attaqué affecterait les intérêts de ceux qui, parmi ces pêcheurs, proviennent d’autres États membres, et en particulier les pêcheurs espagnols, en suspendant les droits que leur confère le législateur communautaire d’exercer des activités de pêche, notamment, dans les eaux des Açores sans discrimination fondée sur la nationalité.

136
Ces conséquences, d’une portée potentiellement considérable, d’un sursis à l’exécution partielle du règlement attaqué pour de très nombreux intéressés doivent être évaluées par rapport à la nécessité des mesures provisoires sollicitées pour empêcher le dommage grave et irréparable allégué dans l’attente de la résolution du recours au principal. Dans ce contexte, il est nécessaire de tenir compte de la nature grave du dommage allégué qui porte sur des questions d’environnement.

137
Enfin, il convient d’observer qu’une telle appréciation devrait tenir également compte du fait que, dans le cadre de la PCP, le Conseil, en qualité de législateur, jouit d’une marge d’appréciation considérable qui correspond aux responsabilités politiques que les articles 34 CE à 37 CE confient à cette institution. En contrôlant l’exercice du pouvoir du Conseil dans ce cadre, le juge doit se limiter à examiner s’il n’est pas entaché d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir ou si l’autorité en question n’a pas manifestement dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation (voir arrêt de la Cour du 19 février 1998, NIFPO et Northern Ireland Fishermen’s Federation/Department of Agriculture for Northern Ireland, C‑4/96, Rec. p. I-681, point 42, et la jurisprudence citée).

138
À la lumière de ces développements, le juge des référés ne saurait substituer, sauf dans une situation d’urgence manifeste, son appréciation à celle émise par le Conseil, sans risquer de porter atteinte au pouvoir discrétionnaire de cette institution (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 2 mars 1998, Antilles néerlandaises/Conseil, T‑310/97 R, Rec. p. II‑455, points 64 et 65). La mise en balance des intérêts en présence impose, ainsi que nous l’avons souligné ci-dessus, que le juge des référés ne puisse substituer son appréciation à celle du Conseil que dans des circonstances exceptionnelles caractérisées par un fumus boni juris particulièrement sérieux et une urgence manifeste (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 1er février 2001, Free Trade Foods/Commission, T‑350/00 R, Rec. p. II­493, point 48, et la jurisprudence citée).

139
C’est dans ce cadre que les conditions cumulatives du fumus boni juris et de l’urgence doivent être examinées. Il est opportun d’examiner au préalable si la requérante prouve que les mesures provisoires sont nécessaires étant donné que, si cette condition n’était pas remplie d’une manière particulièrement claire, il serait superflu d’apprécier dans son intégralité l’existence d’un fumus boni juris.

Sur l’urgence

140
À titre d’observation préliminaire, il convient de noter que le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un dommage grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure (ordonnance Pfizer Animal Health/Conseil, précitée, point 94).

141
En particulier, lorsque le préjudice dépend de la survenance d’un certain nombre de facteurs, il suffit que ce préjudice soit prévisible, avec un degré de probabilité suffisant [voir, en ce sens, ordonnance de la Cour du 29 juin 1993, Allemagne/Conseil, C‑280/93 R, Rec. p. I-3667, point 34, et ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission, C‑335/99 P(R), Rec. p. I-8705, point 67]. Toutefois, la requérante demeure tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un dommage grave et irréparable (ordonnance HFB e.a./Commission, précitée, point 67, et ordonnance du président de la Cour du 12 octobre 2000, Grèce/Commission, C‑278/00 R, Rec. p. I‑8787, point 15).

142
Il s’ensuit que l’examen doit se concentrer sur la question de savoir si la requérante a démontré qu’il était nécessaire d’ordonner les mesures provisoires sollicitées afin d’éviter les trois types de dommages qui, selon elle, découleront de l’application du règlement attaqué : premièrement, les dommages à l’écosystème marin (coraux, fonds marins, etc.) en raison de l’autorisation d’utiliser des engins traînants et d’autres types d’engins industriels comme les filets maillants et les palangres, deuxièmement, l’appauvrissement des stocks de poissons évoluant en eau profonde à des niveaux non renouvelables en raison de l’intensification de l’effort de pêche et, troisièmement, l’effondrement du secteur de la pêche aux Açores.

143
Avant de procéder à l’appréciation de chaque type de dommage, il est important de relever qu’il existe d’importants désaccords entre les parties quant à la date précise d’abrogation des règlements de 1995, date à laquelle le règlement attaqué commencera à produire ses effets allégués dans les eaux des Açores sans les avantages du régime de protection de 1995. Aux fins de la présente procédure, il convient d’apprécier les effets du règlement attaqué en considérant que, en tout état de cause, les règlements de 1995 seront abrogés le 1er août 2004 au plus tard. Cela apparaît être l’interprétation la plus raisonnable étant donné que l’article 15 du règlement attaqué est une disposition particulière régissant l’abrogation des règlements de 1995. Il est incontestable que, en vertu dudit article 15, les règlements de 1995 cesseront d’être applicables après le 1er août 2004 et que cela constitue le fondement de l’argumentation de la requérante quant aux effets du règlement attaqué sur l’environnement marin, sur les stocks halieutiques et sur le secteur de la pêche aux Açores.

–     Dommage grave et irréparable à l’écosystème marin

144
La requérante allègue que le règlement attaqué autorisera un effort de pêche à une échelle industrielle et permettra l’utilisation d’engins traînants et d’autres types d’engins industriels tels que le chalut de fond et le chalut opérant sans contact avec le fond, les filets maillants de fond et les palangres de type industriel qui causeront des dommages graves et irréparables à l’écosystème marin en détruisant les fonds marins, les récifs et les coraux.

145
La requérante allègue que, sous le régime précédent institué par les règlements de 1995, notamment en vertu des articles 3 et 6 et de l’annexe I du règlement nº 685/95, chaque pêcherie était définie par référence au type d’engin de pêche (par exemple les engins traînants ou fixes) et que le Conseil pouvait par conséquent limiter indirectement l’utilisation d’engins traînants en prévoyant, par exemple, une limite nulle de l’effort de pêche dans une zone particulière pour un type donné d’engin de pêche. Pour les eaux des Açores, cela a été réalisé au moyen de l’article 2 et de l’annexe du règlement nº 2027/95. Le règlement attaqué (article 3 et son annexe) ne définit pas les pêcheries par engin de pêche et, donc, il ne sera à l’avenir pas possible de fixer un niveau maximal nul de l’effort de pêche pour les engins traînants. En outre, toutes les interdictions locales d’utiliser de tels engins sont inapplicables aux navires étrangers en dehors d’une zone de 12 milles marins en vertu de l’article 10 du règlement nº 2371/2002 ; il n’y a donc aucun autre moyen de mettre en œuvre pareille interdiction. Étant donné que l’article 15 du règlement attaqué abroge également les règlements de 1995 à compter du 1er août 2004 au plus tard, il s’ensuit que l’utilisation d’engins traînants sera autorisée dans les eaux des Açores.

146
Toutes les parties reconnaissent que, après l’abrogation, au plus tard le 1er août 2004, des règlements de 1995 en vertu de l’article 15 du règlement attaqué, les navires seront autorisés à utiliser des chalutiers de fond pour pêcher dans les eaux des Açores alors que pareilles activités étaient exclues sous le régime précédent.

147
Il n’est pas non plus contesté que le chalutage de fond puisse avoir des conséquences négatives notables sur l’écosystème marin si pareilles activités demeurent incontrôlées. Le Conseil et la Commission ont tous deux admis à l’audience que les effets du chalutage de fond pouvaient avoir des conséquences graves et irréparables par la destruction d’éléments sensibles de l’écosystème marin tels que les récifs coralliens. À cet égard, l’exposé des motifs de la proposition de la Commission sur le chalutage énonce qu’« il ressort de rapports scientifiques récents que certains habitats en eau profonde [dont ceux des Açores] doivent être protégés contre l’érosion mécanique due aux engins de pêche ». Le quatrième considérant de ladite proposition énonce que, « selon les données scientifiques disponibles, la réparation des dommages causés aux coraux par les engins de chalutage traînés sur le fond est impossible ou très difficile et prend du temps ».

148
Contrairement aux effets du chalutage de fond pour lesquels les preuves présentées devant le juge des référés sont suffisantes pour conclure que le dommage qui pourrait s’ensuivre est de nature grave et irréparable si pareilles activités demeurent incontrôlées, il n’est pas démontré à suffisance que pareil dommage pourrait résulter de l’utilisation d’autres engins tels que les chaluts n’opérant pas en contact avec le fond, les filets maillants et en particulier les palangres.

149
La requérante allègue que ces autres méthodes intensives de pêche causent des dommages collatéraux aux stocks halieutiques (auxquels un régime d’effort de pêche est toutefois applicable), mais le dommage grave et irréparable causé à l’environnement marin en tant que tel n’est pas établi. Le rapport d’expert déposé par la requérante (annexe 2 de la demande) montre que, même si tous les types de pêche industrielle ont des effets collatéraux, les filets ne touchant pas le fond et les palangres sont considérés comme causant nettement moins de dommages que le chalutage de fond avec palangres considéré comme « causant des dommages limités aux habitats ». Les allégations relatives à ce que l’on appelle la pêche fantôme se rapportent principalement à la préservation des stocks halieutiques et non au dommage causé à l’environnement en tant que tel et sont, de plus, exprimées en termes généraux sans que soient mentionnées des données sur le degré de gravité du dommage ou sur le délai probable dans lequel un tel dommage deviendrait grave et irréparable.

150
Les allusions de la requérante aux déclarations faites par la Commission dans des communiqués de presse joints à sa proposition sur le chalutage sont relatives aux activités de chalutage de fond ou à des engins similaires et ne sauraient être considérées comme une reconnaissance par cette institution des effets préjudiciables de l’utilisation d’autres types d’engins de pêche.

151
Les allégations de la requérante sur l’urgence en ce qui concerne les engins autres que les chaluts de fond et les filets remorqués similaires doivent par conséquent être rejetées.

152
S’agissant du chalutage de fond, le Conseil et la Commission admettent toutefois que, s’il demeure incontrôlé, ce type d’engin de pêche causera probablement des dommages graves à l’écosystème marin des Açores. Pareils dommages sont irréparables en ce sens que, de l’aveu général, ils sont impossibles ou très difficiles à corriger.

153
Il est par conséquent nécessaire d’apprécier si, en l’absence des mesures provisoires sollicitées, le règlement attaqué occasionnera les dommages de manière certaine et imminente. Il appartient à la requérante de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un dommage grave et irréparable (ordonnances HFB e.a./Commission, précitée, point 67, et Grèce/Commission, précitée, point 15).

154
Il convient de remarquer que, contrairement à ce que la requérante semble suggérer, rien dans le règlement attaqué n’autorise expressément les activités de chalutage ni n’empêche le Conseil ou la Commission d’adopter des mesures supplémentaires pour lutter contre pareilles activités. En effet, la proposition de la Commission sur le chalutage vise à compléter le règlement attaqué en instaurant une interdiction spécifique du chalutage, notamment, dans les eaux des Açores. La proposition modifiera le règlement nº 850/98 en ajoutant la disposition suivante à l’article 30 dudit règlement :

« Il est interdit aux bateaux d’utiliser tout chalut de fond ou engin traînant similaire opérant en contact avec le fond de la mer [notamment] dans [les Açores]. »

155
Il s’ensuit qu’un sursis à l’exécution de l’article 3, de l’article 5, paragraphe 1, des articles 11 ou 13 du règlement attaqué, demandé par la requérante, n’entraînera pas d’interdiction du chalutage de fond dans les eaux des Açores et ne sera donc d’aucune utilité à la requérante. Il n’est pas établi que ces dispositions produisent de quelconques effets sur les activités de chalutage. En conséquence, le sursis à l’exécution de ces dispositions n’est manifestement pas nécessaire.

156
Néanmoins, ainsi que la requérante elle-même le relève, l’autorisation de chalutage se fera indirectement par l’abrogation des règlements de 1995 qui, quant à eux, ne traitaient la question que d’une façon détournée plutôt que directe en rattachant les engins à la définition des pêcheries. C’est donc seulement le sursis à l’exécution de l’article 15 du règlement attaqué (qui abroge les règlements de 1995) qui pourrait avoir un effet sur les activités de chalutage de fond en permettant au régime prévu par les règlements de 1995 et, partant, à l’interdiction indirecte du chalutage de fond dans les Açores, de continuer à s’appliquer.

157
Il est toutefois difficile de conclure à la nécessité d’une telle mesure provisoire ou d’une autre mesure pour éviter que le dommage à l’écosystème marin ne se réalise dans la période en cause étant donné qu’il existe plusieurs autres possibilités plus proportionnées et plus appropriées dans le cadre de la PCP, qui peuvent être mises en œuvre avec célérité et efficacité pour empêcher un tel dommage.

158
Ces possibilités incluent notamment des mesures d’urgence adoptées par la Commission ou par les États membres, en particulier par la République portugaise, sur le fondement des articles 7 et 8 du règlement de base qui autorisent l’adoption de ces mesures précisément dans des situations où « il existe des preuves qu’il existe une menace grave pour la conservation des ressources aquatiques vivantes ou pour l’écosystème marin résultant des activités de la pêche et nécessitant une intervention immédiate ». Selon l’article 8, la durée de ces mesures est de trois mois tout au plus et de six mois en vertu de l’article 7 du règlement de base, avec la possibilité de les proroger de six mois. La durée de ces mesures apparaît donc suffisante pour éviter un dommage dans l’attente de l’adoption de la proposition de la Commission sur le chalutage dont il est probable qu’elle sera elle-même adoptée dans un bref délai. De plus, l’article 45, paragraphes 1 et 2, du règlement nº 850/98 autorise l’adoption de mesures d’urgence par la Commission ou par les États membres en ce qui concerne les eaux placées sous leur juridiction « dans les cas où la conservation de stocks d’organismes marins exige une action immédiate » ou « en cas de menace grave pesant sur la conservation de certaines espèces ou de certains lieux de pêche et lorsque tout retard entraînerait un préjudice difficilement réparable ».

159
Il est apparu à l’audience que la requérante n’avait pas agi pour garantir de telles mesures.

160
De plus, la Commission a indiqué à l’audience qu’elle surveillait constamment la situation et qu’elle était prête à adopter ces mesures d’urgence, si nécessaire.

161
Des mesures analogues ont été adoptées dans le cas des Darwin Mounds au Royaume-Uni [règlement (CE) n° 1475/2003 de la Commission, du 20 août 2003, concernant la protection des récifs coralliens en eau profonde contre les effets du chalutage dans une zone située au nord‑ouest de l’Écosse (JO L 211, p. 14)]. La proposition de la Commission sur le chalutage montre que la Commission est consciente de la situation et qu’elle l’examine en permanence. L’exposé des motifs de ladite proposition énonce que « la zone de pêche communautaire entourant les Açores, Madère et les îles Canaries contient plusieurs habitats en eau profonde connus ou potentiels qui ont été jusqu’à présent préservés des opérations de chalutage grâce au régime d’accès spécial défini dans le règlement (CE) n° 2027/95 du Conseil, et que, [c]omme ce régime cesse de s’appliquer en 2004, il est désormais important d’assurer la continuité de la protection de ces zones dans le cadre de la législation communautaire ». La Commission étant consciente des questions soulevées, il est très improbable qu’elle s’oppose à l’adoption de pareilles mesures ou qu’elle n’intervienne pas pour empêcher un dommage quelconque.

162
En pareilles circonstances, dès lors que le requérant dispose d’autres possibilités plus appropriées, les mesures provisoires sollicitées n’apparaissent pas nécessaires (voir, par analogie, ordonnance du président de la Cour du 22 avril 1994, Commission/Belgique, C‑87/94 R, Rec. p. I-1395, points 40 à 42 ; ordonnance Free Trade Foods/Commission, précitée, point 59 ; ordonnances du président du Tribunal du 7 mai 2002, Aden e.a./Conseil et Commission, T‑306/01 R, Rec. p. II‑2387, point 109, et du 3 décembre 2002, Neue Erba Lautex/Commission, T‑181/02 R, Rec. p. II‑5081, points 105 à 110).

163
À la lumière de ce qui précède, le juge des référés estime que la requérante ne prouve pas que les mesures provisoires sollicitées sont nécessaires pour prévenir un dommage grave et irréparable à l’écosystème marin.

–     Dommage aux stocks halieutiques

164
S’agissant du dommage grave et irréparable causé aux stocks halieutiques, la requérante allègue que, à compter du 1er août 2004 au plus tard, l’effet de l’abrogation des règlements de 1995 et l’entrée en vigueur du règlement attaqué entraîneront une intensification considérable de l’effort de pêche qui provoquera l’appauvrissement rapide des stocks de poissons évoluant en eau profonde à des niveaux non renouvelables.

165
Il est important de distinguer deux types de stocks halieutiques : le stock de thon et le stock de poissons évoluant en eau profonde.

166
S’agissant du thon et des thonidés, la requérante ne fournit manifestement pas d’éléments de preuve suffisants attestant que les mesures provisoires sollicitées sont nécessaires pour empêcher un dommage grave et irréparable.

167
Les thonidés sont de grands migrateurs qui se répartissent sur des zones très vastes et qui ne sont pas spécifiquement liés aux eaux des Açores. Les mesures de conservation doivent couvrir l’ensemble de l’aire de répartition pour refléter la zone de grande migration des espèces. Une mesure fermant ou libéralisant une zone particulière de 100 milles marins n’est pas pertinente pour éviter la raréfaction de ces espèces, puisque ce sont de grands migrateurs. Étant de grands migrateurs, le thon et les thonidés sont protégés par diverses mesures telles que les TAC et les quotas fixés pour une grande zone de l’Atlantique du Nord‑Est, en vertu du règlement (CE) n° 2287/2003 du Conseil, du 19 décembre 2003 (JO L 344, p. 1). De plus, le thon et les thonidés sont protégés par la CICTA à laquelle la Communauté est partie, et des mesures de limitation de captures ou de l’effort de pêche ont été adoptées pour la plupart des espèces de thons. Enfin, l’allégation faite par la requérante à l’audience, selon laquelle les navires pêchant le thon se déploient sur une vaste zone et empêchent d’autres pêcheurs de pêcher les stocks de poissons évoluant en eau profonde, n’étaye manifestement pas sa thèse selon laquelle les stocks de thon ou les stocks de poissons évoluant en eau profonde seront appauvris.

168
S’agissant des stocks de poissons évoluant en eau profonde, les questions soulevées par la requérante sont d’une plus grande complexité factuelle. On ne saurait toutefois conclure que la requérante prouve que, en l’absence de mesures provisoires dans l’attente de la résolution du recours au principal, le règlement attaqué permettra une intensification de l’effort de pêche telle que les stocks halieutiques seront épuisés au point de constituer un dommage grave et irréparable, ou qu’un tel dommage est certain et imminent.

169
Il convient de faire remarquer que la requérante ne prouve pas que le règlement attaqué entraînera une situation autorisant un effort de pêche illimité pour ces espèces dans les eaux des Açores. Au contraire, ainsi que le Conseil, la Commission et le Royaume d’Espagne le relèvent, le règlement attaqué ainsi que les règlements de 2002 prévoient un certain nombre de mesures limitant l’effort de pêche ou imposant des TAC et des quotas en ce qui concerne les espèces en eau profonde.

170
Ainsi, comme l’admet la requérante, deux espèces en eau profonde (le sabre noir et la dorade rose) seront soumises à des TAC et à des quotas spécifiques en vertu du règlement nº 2340/2002. Un certain nombre d’espèces en eau profonde énumérées à l’annexe I du règlement nº 2347/2002 seront soumises à un régime strict de limitation de l’effort de pêche à l’échelle communautaire. Ce régime comprend des dispositions de mise en œuvre et de contrôle stricts, et autorise la Commission à observer attentivement la situation de manière à pouvoir adopter d’autres mesures pour toutes espèces qui, selon elle, risquent d’être surexploitées. Il convient de rappeler que le règlement nº 2347/2002 n’est pas attaqué dans le cadre du présent recours.

171
Enfin, le règlement attaqué institue lui-même un régime de limitation de l’effort de pêche pour toutes les espèces démersales, y compris toutes les espèces en eau profonde, qui ne relèvent pas déjà du régime de protection prévu par le règlement nº 2347/2002. Selon l’article 3 du règlement attaqué, cette limitation de l’effort de pêche est fondée sur les moyennes historiques des années 1998 à 2002. En substance, le règlement attaqué plafonnera donc l’effort de pêche sur cette base.

172
Il convient de faire remarquer que, contrairement à ce que la requérante présume, il apparaît improbable que le règlement d’application prévu par l’article 11 du règlement attaqué ne soit pas adopté d’ici au 1er août 2004, date indiquée pour l’abrogation des règlements de 1995. La requérante exprime la crainte que puisse survenir une telle situation qui entraînerait une période caractérisée par un vide juridique autorisant un effort de pêche illimité dans la zone en cause. Or, ainsi que nous l’avons relevé ci-dessus, la Commission a maintenant adopté une proposition de règlement d’application. Ladite proposition définit des niveaux maximaux précis et détaillés de l’effort de pêche pour chaque État membre et pour chaque pêcherie dans les eaux occidentales, fondés sur les sous-zones CIEM et Copace, sur la base des données communiquées par les États membres qui permettent de calculer l’effort annuel moyen déployé entre 1998 et 2002. La proposition a été adoptée le 12 mai 2004. L’article 11 du règlement attaqué prévoit un mécanisme selon lequel, si le Conseil n’a pas adopté le règlement d’application le 31 mai 2004 au plus tard, la Commission peut l’adopter le 31 juillet 2004 au plus tard. À l’audience, la Commission a confirmé que ce mécanisme lui permettrait d’adopter le règlement d’application d’ici au 31 juillet 2004. En tout état de cause, l’article 3 du règlement attaqué impose aux États membres des obligations en matière de limitation de l’effort de pêche même en l’absence d’un règlement d’application. Le risque d’un vide juridique n’est par conséquent pas fondé.

173
La requérante soutient toutefois que le règlement attaqué et le règlement nº 2347/2002 permettraient une intensification de l’effort de pêche dans les eaux des Açores, puisqu’ils fixent les niveaux maximaux de l’effort pour des zones étendues, allant au-delà des eaux des Açores. Selon la requérante, cela pourrait permettre un plus grand effort de pêche exercé dans les eaux des Açores, dans la zone située entre 100 milles et 200 milles marins. Selon elle, la rentabilité rapide escomptée par les pêcheurs en raison du caractère vierge des pêcheries en eau profonde dans les eaux des Açores rend probable cette intensification de l’effort de pêche dans cette zone.

174
La requérante fournit des éléments anecdotiques sur des expéditions de pêche particulières menées par les navires espagnols, montrant que la pêche palangrière intensive aboutissait à des prises de volumes très importants, lors d’une seule sortie en mer, jusqu’à concurrence de 7 % de la prise totale d’espèces particulières telles que le béryx. Porto de Abrigo fournit des éléments anecdotiques similaires selon lesquels 58 navires espagnols (contrairement à la moyenne antérieure de 4) pêchent actuellement dans les eaux des Açores. La requérante a également tenté de montrer à l’audience que les engins industriels permettraient aux navires de couvrir la majorité des eaux des Açores en un très bref délai, de trois mois tout au plus.

175
Or, ni la requérante ni les parties intervenantes n’ont produit de preuves permettant au juge des référés d’avoir une vue d’ensemble précise du degré et de la durée allégués du dommage invoqué. Elles n’ont pas tenté de déterminer comment et dans quelle mesure l’effort de pêche sera accru dans les eaux des Açores à la lumière des restrictions prévues dans les règlements de 2002 et dans le règlement attaqué, et comment une quelconque intensification de l’effort de pêche touchera les différentes espèces concernées de poissons évoluant en eau profonde pendant la durée de l’instance dans le cadre du recours au principal.

176
En effet, la requérante reconnaît qu’elle ne saurait prédire exactement quand le dommage causé par le nouveau régime deviendra irréparable ou quand l’effort de pêche accru sera réduit à des niveaux non renouvelables, mais elle s’attend à ce qu’ils se fassent sentir en l’espace d’une seule saison de pêche et, en tout état de cause, en l’espace de plusieurs saisons dans l’attente de la résolution du recours au principal.

177
Toutefois, les éléments de preuve fournis par la requérante suggèrent que le dommage causé aux pêcheries profondes en Nouvelle‑Zélande est mesuré en années plutôt qu’en mois. Les rapports scientifiques montrent en outre que les zones relevant du système de la dorsale médio‑atlantique (dont les Açores font partie), extérieures aux eaux des Açores, sont ouvertes depuis plusieurs décennies à des activités de pêche profonde non réglementées. Si cela a abouti au déclin d’espèces cibles et d’espèces des captures accessoires, il n’y a apparemment pas d’effondrement irréversible des stocks halieutiques. Le rapport d’expert déposé par la requérante énonce par exemple que, bien que les stocks halieutiques se révèlent vulnérables à la surexploitation, les captures dans presque chaque région exploitée à ce jour subissent une rapide évolution (boom and bust) avec des prises élevées à l’origine qui s’effondrent en une décennie environ à compter du début de la pêche (p. 2 à 3 de l’annexe 2 de la demande).

178
Enfin, tout en craignant un dommage irréversible des habitats et en faisant allusion à la situation à la limite de la durabilité, les rapports scientifiques invoqués (notamment l’annexe 3 de la demande) soulèvent une grande incertitude quant aux effets probables de la surexploitation supposée. Le rapport (annexe 3 de la demande) révèle également que les indicateurs pertinents « ne suggèrent pas l’existence de problèmes manifestes dus à la surexploitation des espèces démersales » même si elles peuvent être considérées comme faisant l’objet d’une exploitation intensive. Le rapport ajoute que, pour certaines espèces, des changements sont constatés d’une année sur l’autre, qui « n’apparaissent pas uniquement comme une conséquence directe de la mortalité causée par la pêche, et dont on ne connaît pas encore bien la cause » (p. 17 de l’annexe 3 de la demande). Le rapport énonce également que « l’on ne connaît pas encore complètement les effets de la surexploitation de certaines de ces zones, à savoir les monts sous‑marins, parce que leur dynamique n’est pas bien explorée » (p. 25 de l’annexe 3 de la demande).

179
Outre les considérations qui précèdent, il est nécessaire d’observer que deux des rapports scientifiques (établis par le CIEM et le CSTEP, joints aux annexes 20 et 21 de la demande), sur lesquels la requérante se fonde pour démontrer la probabilité de l’appauvrissement des stocks de poissons évoluant en eau profonde, sont antérieurs à l’adoption des règlements de 2002 évoqués ci-dessus. Ces règlements ont été adoptés à la lumière des avis scientifiques figurant dans ces rapports afin de prendre en considération les éléments de preuve fournis et d’instaurer un régime limitant l’effort de pêche pour les espèces de poissons évoluant en eau profonde dont on estime qu’elles sont menacées de surexploitation (voir considérants 2 et 4 du règlement n° 2347/2002). De plus, ces rapports ne présentent pas d’éléments prouvant que le règlement attaqué ou qu’un régime similaire entraînerait l’appauvrissement des stocks halieutiques. Les rapports préconisent l’adoption de principes généraux pour la gestion durable des stocks halieutiques. Les rapports ne militent pas pour un régime fondé sur des règles de restriction d’accès ou sur l’utilisation exclusive de TAC et de quotas, mais traduisent plutôt une préférence pour des régimes de gestion de l’effort de pêche, avis que le Conseil a suivi en adoptant les règlements de 2002 et le règlement attaqué, qui visent tous deux à limiter l’effort de pêche.

180
En ce qui concerne le rapport plus récent du CIEM, publié le 11 juin 2004, la requérante relève elle-même, dans sa demande du 21 juin 2004, qu’il ne soulève aucune question nouvelle de fait ou de droit. Le rapport réitère ses conclusions de 2002 et ajoute quelques développements récents. Si le rapport 2004 du CIEM reprend les préoccupations formulées en 2002, à savoir que les espèces en eau profonde sont vulnérables et qu’elles sont considérées comme exploitées de façon non durable, il admet qu’« il n’est actuellement pas possible de fournir des avis pour les pêcheries particulières d’espèces évoluant en eau profonde » (p. 82 du rapport 2004 du CIEM). Le rapport tient toutefois compte, en tant que développement positif, de l’adoption de règlements plus récents (tels que les règlements de 2002) en reconnaissant que, « [d]ans la zone réglementaire de la CPANE, il était recommandé de geler l’effort de pêche en 2003 et en 2004 et [qu’]un régime de gestion de l’effort s’applique dans les pêcheries communautaires en eau profonde ». Il ajoute que les règlements récents visant à stabiliser ou à réduire l’effort de pêche devraient « améliorer l’état des stocks ou au moins ralentir le taux d’appauvrissement [et que] leurs effets actuels sur les stocks ne peuvent toutefois pas être quantifiés pour le moment » (voir p. 83 du rapport 2004 du CIEM). Il s’ensuit que les développements récents traités dans le rapport 2004 du CIEM n’établissent pas une détérioration de la situation antérieure et qu’ils ne modifient pas le tableau d’ensemble. En particulier, ni le rapport de 2004 ni les rapports de 2002 n’apportent de preuves quant aux effets du règlement attaqué dans les eaux des Açores, qui pourraient permettre de conclure que les mesures provisoires sollicitées sont nécessaires pour empêcher un dommage grave et irréparable aux stocks halieutiques dans cette zone.

181
Il convient également de faire observer que l’allégation de la requérante selon laquelle la Commission reconnaît en substance que le règlement attaqué aura des effets nuisibles sur les stocks halieutiques n’est pas correcte. Les passages cités par la requérante, extraits du communiqué de presse de la Commission du 3 février 2004 qui accompagne la proposition sur le chalutage, renvoient exclusivement aux effets préjudiciables des engins de chalutage de fond sur les habitats marins, et non à l’épuisement des stocks halieutiques.

182
Enfin, il est important de souligner que des considérations analogues à celles exposées ci-dessus, relatives à l’existence de possibilités plus appropriées de traiter tous problèmes relatifs à l’écosystème marin, sont tout aussi pertinentes dans le cadre de l’appréciation de l’urgence relative à l’épuisement des stocks halieutiques.

183
Ainsi, les mesures d’urgence prévues par les articles 7 et 8 du règlement de base ou par l’article 45 du règlement nº 850/98 conviennent tout aussi bien à la conservation des stocks halieutiques. La requérante n’a pas cherché à mettre en œuvre pareilles mesures et on peut dès lors estimer que la demande en référé n’est pas nécessaire. De plus, il convient de faire remarquer que le règlement n° 2347/2002 instaure un système de surveillance stricte permettant à la Commission et aux organismes scientifiques concernés de surveiller attentivement la situation des espèces en eau profonde notamment. La Commission est tenue d’établir un rapport sur l’ensemble du programme de gestion des espèces d’eau profonde avant juin 2005 et de proposer au Conseil toute modification nécessaire à apporter audit programme.

184
En pareilles circonstances, dès lors que le requérant dispose d’autres possibilités plus appropriées et que les institutions communautaires surveillent attentivement la situation en cause dans le contexte global de la PCP, les mesures provisoires sollicitées n’apparaissent pas nécessaires (voir, par analogie, ordonnances Commission/Belgique, précitée, points 40 à 42 ; Free Trade Foods/Commission, précitée ; Aden e.a./Conseil et Commission, précitée, point 109, et Neue Erba Lautex/Commission, précitée, points 105 à 110).

–     Préjudice causé à l’industrie des Açores

185
La requérante et Porto de Abrigo soutiennent qu’un épuisement irréversible des stocks halieutiques mettrait en danger l’existence même des pêcheurs des Açores et provoquerait l’effondrement total de l’industrie des Açores. Cet argument est lié à celui relatif à l’épuisement des stocks halieutiques, traité ci-dessus.

186
En tout état de cause, il convient de faire remarquer que ni la requérante ni Porto de Abrigo n’établissent à suffisance que, dans l’attente de la résolution du recours au principal, le règlement attaqué causera un dommage grave et irréparable au secteur de la pêche aux Açores, encore moins à l’économie des Açores dans son ensemble.

187
Outre les arguments relatifs à l’épuisement des stocks halieutiques traités ci-dessus, la requérante n’apporte pas d’éléments de preuve suffisants permettant au juge des référés d’apprécier la manière dont une quelconque intensification de l’effort de pêche par des navires étrangers affectera les intérêts financiers du secteur de la pêche aux Açores et dans quel délai.

188
Au contraire, il est nécessaire de considérer que le règlement attaqué prévoira toujours une zone de 100 milles marins qui sera exclusivement réservée aux pêcheurs des Açores à la fois pour le thon et les espèces de poissons évoluant en eau profonde. Même si, comme la requérante le soutient, 31,4 % des prises aux Açores provenaient de bancs de poissons situés dans la zone comprise entre 100 milles et 200 milles marins, il n’est pas du tout démontré que, même si tout ce volume était maintenant réservé aux navires étrangers, les intérêts des pêcheurs des Açores subiraient un préjudice grave et irréparable dans l’attente de la résolution du recours au principal. A fortiori, la requérante ne démontre pas que les effets sur l’économie des Açores dans son ensemble seraient de nature à constituer un dommage grave et irréparable.

189
Il s’ensuit que le préjudice grave et irréparable prétendument causé au secteur de la pêche aux Açores demeure actuellement non fondé.

190
À la lumière de toutes les considérations qui précèdent, le juge des référés estime que la requérante ne démontre pas à suffisance de droit que le règlement attaqué entraînera un dommage grave et irréparable à l’écosystème marin, aux stocks halieutiques ou au secteur de la pêche aux Açores, ou que le dommage allégué est certain et imminent. En conséquence, il n’est pas établi que les mesures provisoires sollicitées sont nécessaires et, partant, il n’est pas satisfait à la condition requise de l’urgence.

191
La requérante n’étant pas parvenue à démontrer que les mesures provisoires sollicitées étaient nécessaires pour empêcher un dommage grave et irréparable dans l’attente de la résolution du recours au principal, il n’est pas nécessaire d’examiner s’il est satisfait à la condition du fumus boni juris.

192
Enfin, ainsi que nous l’avons relevé au début de la présente analyse, il convient de souligner le fait que, à la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, la balance des intérêts en l’espèce n’incline pas en faveur de la requérante.

193
À l’évidence, un sursis à l’exécution partielle du règlement attaqué aurait des effets d’une portée considérable sur la PCP et sur les tiers ; les mesures provisoires sollicitées sont disproportionnées à la lumière de l’objectif qu’elles poursuivent et l’adoption de ces mesures empiéterait de façon drastique sur le large pouvoir d’appréciation dont le Conseil bénéficie dans le domaine de la PCP. Dans de telles circonstances, le juge des référés ne doit substituer son appréciation à celle du Conseil que dans des circonstances exceptionnelles, caractérisées par un fumus boni juris particulièrement sérieux et une urgence manifeste qui font défaut en l’espèce (voir, en ce sens, ordonnance Free Trade Foods/Commission, précitée, point 48, et la jurisprudence citée).

194
Les mesures provisoires sollicitées ne sont notamment pas nécessaires si l’on considère qu’il existe d’autres voies possibles, plus appropriées et plus proportionnées, telles que les mesures d’urgence adoptées par la Commission ou par les États membres dans le cadre de la PCP, et que la requérante n’a pas agi pour garantir de telles mesures.

195
Dans ces conditions, le juge des référés estime que la balance des intérêts n’incline pas en faveur de la requérante (voir, par analogie, ordonnance Commission/Belgique, précitée, points 40 à 42 ; ordonnances Free Trade Foods/Commission, précitée, point 59 ; Aden e.a./Conseil et Commission, précitée, point 109, et Neue Erba Lautex/Commission, précitée, points 105 à 110).

196
Puisqu’il n’est pas satisfait à la condition relative à l’urgence et que la balance des intérêts penche en faveur du Conseil, la présente demande en référé doit être rejetée.


Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL



ordonne :

1)
Porto de Abrigo – Organização de Produtores da Pesca CRL et GÊ-Questa – Associação de Defesa do Ambiente sont admises à intervenir au soutien des conclusions de la requérante.

2)
La demande d’intervention de WWF – World Wide for Nature et de Seas at Risk est rejetée.

3)
La demande en référé est rejetée.

4)
Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 7 juillet 2004.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1
Langue de procédure : l'anglais.