Language of document : ECLI:EU:C:2016:160

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 10 mars 2016 (1)

Affaire C‑6/15

TNS Dimarso NV

contre

Vlaams Gewest

[demande de décision préjudicielle
formée par le Raad van State van België (Conseil d’État de Belgique)]

« Renvoi préjudiciel – Directive 2004/18/CE – Article 53 – Critères d’attribution des marchés – Soumissionnaires – Égalité de traitement – Offre économiquement la plus avantageuse – Évaluation des offres »





I –    Introduction

1.        Par le présent renvoi à titre préjudiciel, le Raad van State van België (Conseil d’État de Belgique) souhaite, en substance, savoir si l’article 53, paragraphe 2, de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (2), lu à la lumière des principes d’égalité de traitement et de transparence, requiert qu’un pouvoir adjudicateur soit toujours, sinon dans certaines circonstances, tenu de faire connaître au préalable, dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges, la méthode d’évaluation ou les règles de pondération utilisées pour apprécier les offres des soumissionnaires.

2.        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant TNS Dimarso NV (ci‑après « Dimarso ») au Vlaams Gewest (agence publique flamande du logement, ci‑après l’« Agence du logement ») au sujet de la régularité de la méthode d’évaluation des offres des soumissionnaires dans le cadre d’un marché public de services organisé par cette dernière entité.

3.        En résumé, il ressort de la décision de renvoi que, par un appel d’offres publié au Journal officiel de l’Union européenne du 31 janvier 2012, l’Agence du logement a lancé un marché de services dont l’objectif était la réalisation d’une étude à grande échelle sur le logement et les consommateurs de logements en Flandre. Le montant estimé de ce marché s’élevait à 1 400 000 euros, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) comprise.

4.        Le cahier des charges de ce marché mentionnait les deux critères d’attribution suivants :

« 1   Qualité de l’offre (50/100)

Qualité de la préparation, de l’organisation et de l’exécution du travail sur le terrain, de l’encodage et du premier traitement des données. Les prestations proposées doivent être décrites de la façon la plus détaillée possible. Il doit ressortir clairement de l’offre que le soumissionnaire est en mesure d’assumer la totalité du marché (minimum 7 000 unités d’échantillonnage/maximum 10 000 unités d’échantillonnage) dans le délai d’exécution prévu de 12 mois.

2       Prix (50/100)

Coût d’exécution du marché pour l’échantillon de base (7 000 unités d’échantillonnage) et coût par tranche de 500 adresses supplémentaires mises à disposition (montants TVA comprise). »

5.        Quatre soumissionnaires ont présenté des offres qui, selon le rapport du comité d’évaluation portant sur la sélection qualitative, satisfaisaient aux exigences minimales en matière de compétence technique. Le mode d’évaluation des offres était exposé comme suit dans le rapport d’attribution du comité d’évaluation du 23 mars 2012 :

« Le comité a ensuite procédé à l’évaluation des offres.

Les quatre offres ont été évaluées et comparées entre elles sur la base des critères précités. Les offres ont tout d’abord été examinées et évaluées sur la base du critère de la ‘qualité’. Chacune des offres s’est à cet égard vu attribuer à l’unanimité un score déterminé (très bon – satisfaisant – faible). C’est ensuite le critère du prix qui a été appliqué.

Sur la base de ces scores, un classement final a enfin été établi. »

6.        Il ressort du rapport d’attribution que, en ce qui concerne le premier critère, à savoir la qualité des offres, Dimarso et deux autres soumissionnaires ont obtenu la mention « très bon » et le quatrième soumissionnaire a obtenu l’appréciation « faible ». En ce qui concerne le second critère, à savoir le prix, tandis que le quatrième soumissionnaire a présenté l’offre la moins-disante, Dimarso a soumis l’offre la plus élevée.

7.        Le 11 avril 2012, le marché a finalement été attribué à l’un des soumissionnaires qui avait obtenu la mention « très bon » et dont l’offre était d’un prix inférieur à celle de Dimarso.

8.        Au soutien de son recours en annulation contre la décision d’attribution du marché, Dimarso fait valoir devant la juridiction de renvoi que le comité d’évaluation apparaît avoir examiné les offres sur la base de l’échelle « très bon – satisfaisant – faible », non mentionnée dans le cahier des charges, en ce qui concerne le critère de la qualité des offres, alors que, d’après Dimarso, il résulterait du cahier des charges qu’un score de 0 à 50 points aurait dû être attribué pour chacune des offres. Concernant le critère du prix, le comité d’évaluation n’aurait pas non plus procédé à un examen, à une comparaison et à une appréciation finale adéquats des offres en tenant compte des critères d’attribution tels qu’ils figuraient dans le cahier des charges, y compris la pondération de « 50/100 » pour chacun des critères d’attribution telle que précisée dans l’appel d’offres.

9.        La juridiction de renvoi relève tout d’abord, en rejetant la première branche du recours introduit par Dimarso devant elle, que ne va pas au-delà d’une appréciation raisonnable le fait d’interpréter la mention « 50/100 », inscrite dans le cahier des charges à propos de chacun des critères d’attribution, en ce sens qu’elle ne vise qu’à indiquer que chacun des deux critères doit être considéré comme ayant la même valeur et que chacun est donc déterminant, pour moitié, pour le classement des offres.

10.      Elle note ensuite que tant au considérant 46 qu’à l’article 53, paragraphe 2, de la directive 2004/18, il n’est question que des « critères » et de leur « pondération relative », la méthode d’évaluation et les règles de pondération n’étant nulle part expressément mentionnées. La juridiction de renvoi souligne que la méthode d’évaluation n’est pas neutre, mais peut au contraire être déterminante pour l’issue de l’évaluation des offres sur la base des critères d’attribution. Elle fournit comme exemple le critère d’attribution du prix, dans le cadre duquel le pouvoir adjudicateur peut notamment opter pour l’application de la règle de proportionnalité, pour l’octroi du score maximal à l’offre la plus basse ou du score nul pour l’offre la plus élevée et pour l’application d’une interpolation linéaire pour les offres intermédiaires, ou pour favoriser au maximum l’offre correspondant au prix médian.

11.      La juridiction de renvoi souligne enfin que ni l’arrêt Lianakis e.a. (C‑532/06, EU :C :2008 :40, points 38, 44 et 45), qui avait trait à l’interprétation de l’article 36, paragraphe 2, de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (3), disposition ayant en substance le même contenu que l’article 53, paragraphe 2, de la directive 2004/18, ni l’arrêt Evropaïki Dynamiki/EMSA (C‑252/10 P, EU:C:2011:512) n’apportent de réponse, ou à tout le moins de réponse décisive, à la question qui se pose dans l’affaire au principal, qui est celle de savoir si la méthode d’évaluation, à savoir la méthode concrète que le pouvoir adjudicateur utilisera pour noter les offres, doit être préalablement portée à la connaissance des soumissionnaires, à l’instar des critères et des sous-critères d’attribution ainsi que des « coefficients de pondération ».

12.      Eu égard à ces considérations, le Raad van State van België (Conseil d’État de Belgique) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 53, paragraphe 2, de la directive 2004/18[…], pris isolément et lu conjointement avec la portée des principes de droit européen d’égalité et de transparence en matière de marchés publics, doit-il être interprété en ce sens que le pouvoir adjudicateur, si le marché est attribué au soumissionnaire dont l’offre est, du point de vue du pouvoir adjudicateur, économiquement la plus avantageuse, est toujours tenu de fixer préalablement et de faire figurer dans l’avis de marché ou le cahier des charges la méthode d’évaluation ou les règles de pondération, quels que soient leur prévisibilité, leur caractère habituel ou leur portée, sur la base desquelles les offres seront évaluées selon les critères et les sous-critères d’attribution,

ou,

s’il n’existe pas pareille obligation générale, en ce sens qu’il existe des circonstances, telles que notamment la portée, le défaut de prévisibilité ou le caractère inhabituel de ces règles de pondération, dans lesquelles une telle obligation trouve à s’appliquer ? »

13.      Cette question a fait l’objet d’observations écrites présentées par Dimarso, les gouvernements belge et italien ainsi que par la Commission européenne. Ces parties ont aussi été entendues lors de l’audience de plaidoiries qui s’est tenue le 13 janvier 2016, à l’exception du gouvernement italien qui ne s’y est pas fait représenter.

II – Analyse

14.      Par la question qui lui est posée dans la présente affaire, la Cour est invitée à préciser la portée de l’article 53, paragraphe 2, de la directive 2004/18. Plus précisément, la Cour est saisie de la question de savoir si cette disposition, à la lumière des principes d’égalité de traitement et de transparence, exige que, dans le cadre de l’attribution d’un marché de services sur la base de l’offre économiquement la plus avantageuse, le pouvoir adjudicateur informe les soumissionnaires, dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges, de la méthode d’évaluation utilisée pour apprécier les offres des soumissionnaires.

15.      À titre liminaire, il importe de relever qu’il est constant que le marché de services en cause dans l’affaire au principal relève bien du champ d’application de la directive 2004/18 et que, en particulier, l’article 53 de celle-ci lui est pleinement applicable.

16.      En effet, d’une part, en vertu de l’article 20 de la directive 2004/18, les marchés ayant pour objet des services figurant à son annexe II A, parmi lesquels figurent, dans la catégorie 10, les marchés portant sur les « Services d’étude de marché et de sondages », sont passés conformément aux dispositions des articles 23 à 55 de cette directive. D’autre part, le marché de services concerné dans l’affaire au principal excédait sensiblement le seuil de 200 000 euros, indiqué à l’article 7, sous b), de la directive 2004/18, applicable au moment de la publication de l’avis de marché par l’Agence du logement.

17.      Conformément à l’article 53 de la directive 2004/18, intitulé « Critères d’attribution des marchés », les marchés publics sont attribués soit à l’offre ayant proposé « le prix le plus bas », soit à « l’offre économiquement la plus avantageuse du point de vue du pouvoir adjudicateur », c’est-à-dire, comme l’indique le considérant 46, troisième alinéa, de cette directive et comme l’a rappelé la Cour, l’offre qui « présente le meilleur rapport qualité/prix » du point de vue du pouvoir adjudicateur (4).

18.      Dans cette dernière hypothèse, qui correspond au cas de figure du marché de services en cause dans l’affaire au principal, l’article 53, paragraphe 1, sous a), de la directive 2004/18 établit une liste non exhaustive de critères liés à l’objet du marché public en question que le pouvoir adjudicateur est habilité à prendre en considération (5). Parmi ces critères figurent la qualité et le prix, qui sont, comme l’indique le cahier des charges dans l’affaire au principal, les deux seuls critères dont il a été tenu compte par l’Agence du logement lors de l’attribution du marché litigieux au principal.

19.      Toujours dans le cas de figure de l’attribution d’un marché à l’offre économiquement la plus avantageuse, l’article 53, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 2004/18 prévoit que le pouvoir adjudicateur précise dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges « la pondération relative qu’il confère à chacun des critères choisis pour déterminer [cette] offre ». Cette pondération, aux termes du deuxième alinéa de la même disposition, peut être exprimée en prévoyant une fourchette dont l’écart maximal doit être approprié. Selon le troisième alinéa de cette disposition, lorsque, d’après l’avis du pouvoir adjudicateur, la pondération n’est pas possible pour des raisons démontrables, ce dernier indique dans l’avis de marché ou le cahier des charges l’ordre décroissant d’importance des critères.

20.      Il convient d’ores et déjà d’observer que l’obligation d’indiquer tant les critères d’attribution que, depuis l’adoption de la directive 2004/18, sauf impossibilité dûment justifiée, la pondération relative pour chacun de ces critères au stade de la publication de l’avis de marché ou du cahier des charges, qui figure à l’article 53, paragraphe 2, de cette directive, répond à l’exigence de garantir le respect du principe d’égalité de traitement et de l’obligation de transparence qui en découle (6).

21.      Quant à la publicité de la pondération des critères d’attribution, il importe de souligner que l’article 53, paragraphe 2, de la directive 2004/18 marque une évolution notable par rapport au régime juridique antérieur applicable à la passation des marchés publics de services.

22.      En effet, dans le cadre du régime juridique prévalant avant l’entrée en vigueur de cet acte, l’article 36, paragraphe 2, de la directive 92/50 exigeait uniquement des pouvoirs adjudicateurs qu’ils indiquent, dans le cahier des charges ou l’avis de marché, les critères d’attribution dont ils prévoyaient l’application « si possible dans l’ordre décroissant de l’importance qui leur est attribuée ».

23.      Désormais, au contraire, les pouvoirs adjudicateurs sont dans l’obligation d’indiquer la pondération des critères d’attribution dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges. Ce n’est que dans le cas où cela s’avère impossible, pour des raisons démontrables, que ces entités peuvent opter pour une hiérarchisation des critères, laquelle doit en tout état de cause faire l’objet d’une publicité adéquate dans l’avis de marché ou le cahier des charges.

24.      Comme j’y reviendrai par la suite, cette évolution revêt une certaine importance pour la résolution de l’affaire au principal.

25.      À ce stade, il y a lieu de faire observer que, dans l’affaire au principal, il est constant que le cahier des charges mentionnait « 50/100 » face à chacun des deux critères retenus par le pouvoir adjudicateur. À l’égard de cette mention, la juridiction de renvoi a jugé qu’elle pouvait raisonnablement être interprétée en ce sens que chacun des deux critères devait être considéré comme ayant la même valeur et que chacun était donc déterminant, pour moitié, pour le classement des offres.

26.      Il importe de relever que cette appréciation est définitive. Il ressort en effet sans ambiguïtés de la demande de décision préjudicielle, et comme l’a confirmé Dimarso à l’audience devant la Cour, que la juridiction de renvoi a rejeté la première branche du recours introduit devant elle par Dimarso selon laquelle, en substance, la mention « 50/100 » aurait dû être interprétée comme signifiant que le critère « qualité » aurait dû être évalué par l’attribution à chaque offre d’un score allant de 0 à 50 points. La juridiction de renvoi a donc, en substance, retenu que la valeur pondérée de chacun des deux critères d’attribution du marché, indiquée dans le cahier des charges, était identique, à savoir 50 %, ce que des soumissionnaires raisonnablement informés et normalement diligents étaient en mesure d’interpréter de la même manière (7).

27.      Il est donc constant que les critères d’attribution du marché public en question ainsi que la pondération relative conférée à chacun d’entre eux ont été communiqués aux soumissionnaires dans le cahier des charges et donc préalablement à l’attribution du marché, dans le respect, à première vue, de l’article 53, paragraphe 2, de la directive 2004/18.

28.      La juridiction de renvoi souhaite cependant savoir si cette dernière disposition, lu à la lumière du principe d’égalité de traitement et de l’obligation de transparence, requiert du pouvoir adjudicateur qu’il communique préalablement aux soumissionnaires soit systématiquement, soit, à tout le moins, dans certaines circonstances la méthode d’évaluation des offres au regard des critères d’attribution, en particulier, s’agissant de l’affaire au principal, la méthode retenue, à savoir une échelle ordinale de trois mentions ou scores (« faible – satisfaisant – très bon »), pour apprécier le degré de satisfaction du critère « qualité » publié par l’Agence du logement.

29.      Cette interrogation se comprend à l’aune de l’argumentation de Dimarso selon laquelle, en substance, la méthode d’évaluation retenue (« faible – satisfaisant – très bon ») aurait été tellement vague qu’elle a conduit le pouvoir adjudicateur à niveler l’appréciation du critère « qualité » au profit de celle du critère « prix », puisque c’est uniquement ce second critère qui a pu, en réalité, départager trois des quatre offres soumises. Le critère « prix » aurait donc bénéficié, de fait, selon Dimarso, d’une pondération relative plus élevée que celle précédemment annoncée de 50 % dans le cahier des charges. En d’autres termes, Dimarso soutient que si la méthode d’évaluation avait préalablement été communiquée aux soumissionnaires au stade du cahier des charges, celle-ci aurait immanquablement eu une influence sur la préparation des offres.

30.      Je suis loin d’être insensible à cette argumentation. Il convient cependant de raisonner par étapes.

31.      Tout d’abord, comme je l’ai déjà relevé, l’article 53, paragraphe 2, de la directive 2004/18 exige du pouvoir adjudicateur qu’il fasse connaître aux soumissionnaires soit dans l’avis de marché, soit dans le cahier des charges les critères d’attribution qu’il entend retenir ainsi que leur pondération relative.

32.      En revanche, il serait vain de rechercher dans le libellé de l’article 53, paragraphe 2, de la directive 2004/18 une obligation générale dans le chef du pouvoir adjudicateur de mentionner, dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges, la méthode d’évaluation des offres au regard des critères d’attribution et de leur pondération relative, c’est-à-dire l’ensemble des règles et des modalités selon lesquelles un pouvoir adjudicateur ou un démembrement de ce dernier, tel qu’un comité d’évaluation, attribuera un score ou une notation déterminés aux différentes offres en fonction du degré de satisfaction d’un des critères (et/ou, le cas échéant, des sous-critères) d’attribution d’un marché public.

33.      L’article 53, paragraphe 2, de la directive 2004/18 n’exige donc pas qu’une telle méthode d’analyse des offres, utilisée par un comité d’évaluation, au regard des critères d’attribution d’un marché public et de leur pondération relative, soit, en principe, communiquée préalablement aux soumissionnaires dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges.

34.      La jurisprudence de la Cour confirme aussi ce principe.

35.      D’une part, il y a lieu de rappeler que la Cour a reconnu à plusieurs reprises la légalité du comportement d’un pouvoir adjudicateur qui avait pondéré les sous-éléments d’un critère d’attribution après la présentation des offres, mais avant leur ouverture, ce qui implique nécessairement que le pouvoir adjudicateur ne soit pas systématiquement tenu d’assurer la publicité préalable d’une telle pondération des sous-critères d’attribution dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges (8).

36.      Cette appréciation peut, à plus forte raison, être étendue à l’adoption d’une méthode d’évaluation des offres au regard des critères d’attribution et de leur pondération relative.

37.      D’autre part, dans l’arrêt Evropaïki Dynamiki/EMSA (C‑252/10 P, EU:C:2011:512, point 35), la Cour a admis – dans le contexte de l’application des règles de passation des marchés publics par les institutions de l’Union européenne (9), substantiellement analogue à celui de l’application des dispositions de la directive 2004/18, et dans des considérations relatives aux éléments ne nécessitant pas d’être préalablement communiqués par le pouvoir adjudicateur aux soumissionnaires – qu’un comité d’évaluation doit pouvoir disposer d’une certaine liberté dans l’accomplissement de sa tâche et structurer son propre travail d’examen et d’analyse des offres présentées (10).

38.      Dans l’ensemble de ces affaires, la Cour a toutefois indiqué que la liberté dont jouit le pouvoir adjudicateur est subordonnée au respect de certaines conditions.

39.      Ces conditions n’apparaissent cependant pas entièrement uniformes.

40.      Ainsi, d’une part, s’agissant de la fixation par un pouvoir adjudicateur de coefficients de pondération de sous-critères d’attribution après la présentation des offres, la Cour a précisé, comme l’a relevé à juste titre la juridiction de renvoi, que cette détermination ex post était légale sous réserve du respect de trois conditions, à savoir :

–        qu’elle ne modifie pas les critères d’attribution du marché définis dans le cahier des charges ou dans l’avis de marché,

–        qu’elle ne contienne pas d’éléments qui, s’ils avaient été connus lors de la préparation des offres, auraient pu influencer cette préparation et

–        qu’elle n’ait pas été adoptée en prenant en compte des éléments susceptibles d’avoir un effet discriminatoire envers l’un des soumissionnaires (11).

41.      Si l’une de ces conditions n’est pas satisfaite, il est possible de déduire de cette jurisprudence que la fixation de la pondération des sous-critères postérieurement à l’avis de marché ou au cahier des charges entache d’illégalité la procédure d’adjudication du marché. En d’autres termes, le pouvoir adjudicateur aurait dû préalablement déterminer la pondération des sous-critères se rapportant aux critères d’attribution du marché et s’assurer que cette pondération avait été communiquée aux soumissionnaires dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges.

42.      D’autre part, quant à la liberté d’un comité d’évaluation de structurer son propre travail d’analyse et d’examen des offres présentées, la Cour a précisé, au point 35 de l’arrêt Evropaïki Dynamiki/EMSA (C‑252/10 P, EU:C:2011:512), qu’une telle liberté ne devait pas conduire le pouvoir adjudicateur à « modifier les critères d’attribution du marché établis dans le cahier des charges ou dans l’avis de marché ».

43.      En se bornant à mentionner seulement le respect de l’une (la première) des trois conditions énumérées au point 40 des présentes conclusions, la Cour paraît vouloir accorder une marge d’appréciation plus étendue au pouvoir adjudicateur lorsque celui-ci détermine ex post une méthode d’analyse ou d’évaluation des offres que lorsqu’il décide de fixer des coefficients de pondération des sous‑critères correspondant aux critères d’attribution préalablement portés à la connaissance des soumissionnaires.

44.      Si, dans l’affaire au principal, il fallait strictement appliquer la précision effectuée au point 35 de l’arrêt Evropaïki Dynamiki/EMSA (C‑252/10 P, EU:C:2011:512), aucun élément fourni à ce stade par la juridiction de renvoi ne permettrait de laisser penser que la méthode d’évaluation adoptée par le comité d’évaluation pour apprécier le critère « qualité » ait pu modifier ce critère et, a fortiori, ait pu altérer le second critère d’attribution, tous deux préalablement portés à la connaissance des soumissionnaires dans le cahier des charges.

45.      Je doute cependant que la précision effectuée par la Cour au point 35 de l’arrêt Evropaïki Dynamiki/EMSA (C‑252/10 P, EU:C:2011:512), sous la forme, qui plus est, d’un obiter dictum, ait eu pour but de poser cette seule limite à la liberté du pouvoir adjudicateur de fixer une méthode d’évaluation des offres soumises. En effet, exception faite, le cas échéant, des erreurs particulièrement grossières, il est difficile d’imaginer comment une telle méthode d’évaluation serait susceptible de modifier les critères d’attribution d’un marché public eux‑mêmes et comment un soumissionnaire évincé serait en mesure de rapporter la preuve, ne serait-ce que par faisceau d’indices, d’un tel effet sur les critères d’attribution.

46.      C’est notamment pourquoi je tends davantage à partager la thèse des parties intéressées qui ont soutenu, en particulier à l’audience, qu’il ne saurait être exclu qu’une méthode d’évaluation puisse avoir des effets non pas tant sur les critères d’attribution eux-mêmes que sur la pondération de ces critères et, ainsi, puisse comporter des éléments qui auraient été susceptibles d’influencer la préparation des offres si cette méthode avait été préalablement portée à la connaissance des soumissionnaires, au sens de la deuxième condition posée par la jurisprudence de la Cour reproduite au point 40 des présentes conclusions. Dans cette hypothèse, la détermination ex post d’une telle méthode d’évaluation des offres par un pouvoir adjudicateur serait illégale et aurait dû, partant, faire l’objet d’une publicité préalable dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges.

47.      Je suis donc substantiellement d’accord avec l’argumentation développée notamment par la Commission, selon laquelle la légalité d’une méthode d’évaluation des offres déterminée ex post par un pouvoir adjudicateur dépend de la satisfaction des trois conditions dégagées par la jurisprudence de la Cour reproduites au point 40 ci‑dessus. Il suffirait alors à la juridiction de renvoi de vérifier la satisfaction de ces conditions dans l’affaire au principal.

48.      Il me semble toutefois que la présente affaire offre aussi l’occasion à la Cour d’affiner cette jurisprudence, particulièrement quant à la portée de la première condition.

49.      En effet, comme je l’ai mis en exergue précédemment, depuis l’entrée en vigueur de l’article 53, paragraphe 2, de la directive 2004/18 tant les critères d’attribution que leur pondération relative (ou, dans l’impossible, leur hiérarchisation) doivent faire l’objet d’une publicité adéquate dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges.

50.      La modification ex post des uns ou de l’autre, quelles que soient les modalités selon lesquelles cette modification intervient, doit donc, à mon sens, être sanctionnée de la même manière.

51.      Pas plus qu’il n’est justifié d’admettre qu’une méthode d’évaluation des offres puisse modifier, a posteriori, les critères d’attribution préalablement communiqués aux soumissionnaires, il n’est acceptable de tolérer qu’une telle méthode altère la pondération de ces mêmes critères. Si telle est la conséquence de la fixation ex post d’une méthode d’évaluation des offres, celle-ci aurait dû être préalablement communiquée aux soumissionnaires et la procédure d’adjudication litigieuse est entachée d’illégalité.

52.      Par conséquent, je suggère que la première condition énumérée au point 40 des présentes conclusions, issue de la jurisprudence de la Cour relative au régime juridique de la passation des marchés publics antérieur à l’adoption de la directive 2004/18, soit formulée de sorte à y inclure également la pondération des critères d’attribution, afin de prendre en compte l’évolution de ce régime, à la suite de l’entrée en vigueur de l’article 53, paragraphe 2, de la directive 2004/18.

53.      Il incombera alors à la juridiction de renvoi d’examiner, dans l’affaire au principal, si la méthode d’évaluation des offres au regard du critère « qualité », indiqué dans le cahier des charges du marché litigieux, a modifié ex post la pondération des critères d’attribution dudit marché, auquel cas celle-ci aurait donc dû être portée à la connaissance des soumissionnaires potentiels dans l’avis de marché ou le cahier des charges.

54.      Je suspecte cependant que, au vu des circonstances et des éléments qui ont été communiqués par la juridiction de renvoi, tel a pu être le cas.

55.      En effet, trois des quatre offres, dont celle de Dimarso, s’étant vu attribuer la mention « très bon » quant à la satisfaction du critère « qualité », sans attribution de scores permettant de différencier et de classer les offres selon leurs qualités intrinsèques, le critère « prix » a donc été décisif dans l’attribution du marché litigieux, ainsi que toutes les parties intéressées l’ont admis lors de l’audience. Dans la mesure où la méthode choisie par le comité d’évaluation revenait à niveler l’appréciation du critère « qualité » au profit du critère « prix », ce dernier critère paraît donc avoir bénéficié d’un poids relatif plus élevé dans le choix de l’attributaire que ce que la pondération de 50 % annoncée dans le cahier des charges pouvait laisser raisonnablement penser. Il est donc plausible que si les soumissionnaires avaient été préalablement informés du choix de cette méthode d’évaluation des offres quant à la satisfaction du critère « qualité », ils auraient concentré davantage d’efforts sur le prix de leurs prestations.

56.      Pour illustrer plus concrètement mon propos, imaginons que parmi les offres soumises, l’une ait été, en termes de qualité, très supérieure aux trois autres, y compris celles qui se sont vu attribuer la mention « très bon ». En d’autres termes, l’une de ces offres aurait pu être classée « excellente » dans l’appréciation du critère « qualité ». Le prix proposé par ce soumissionnaire aurait alors reflété l’excellence de la qualité des services proposés par ce soumissionnaire et aurait donc vraisemblablement été plus élevé que les prix offerts par les autres soumissionnaires. Toutefois, dans la mesure où la mention « excellente » ne figurait pas dans l’échelle des scores (« faible – satisfaisant – très bon ») choisie par le comité d’évaluation, cette offre de qualité excellente devait nécessairement, tout au plus, recevoir la mention « très bon » en rapport avec le critère « qualité ». Le prix proposé par le soumissionnaire de cette offre étant plus élevé que ceux des autres, même éventuellement de quelques dizaines ou centaines d’euros, cette offre devait donc être écartée.

57.      En définitive, dans ce cas de figure, qui n’est pas nécessairement celui de Dimarso mais qui, tout aussi bien, aurait été susceptible de l’être, le pouvoir adjudicateur se serait éventuellement privé de l’offre représentant le meilleur rapport qualité/prix, contrairement à l’esprit qui préside au recours à la sélection d’adjudicataires selon l’offre économiquement la plus avantageuse (12).

58.      Ainsi, la méthode d’évaluation choisie ex post par le pouvoir adjudicateur est, selon moi, susceptible d’avoir modifié la pondération des critères d’attribution, en privilégiant le poids d’un critère sur un autre, tandis que l’information dont disposaient les soumissionnaires lors de la présentation de leurs offres laissait clairement entendre que ces critères devaient être appréciés selon la même pondération relative, à savoir 50 % chacun.

59.      Partant, je considère que si une méthode d’évaluation adoptée après la présentation des offres est susceptible de parvenir à un tel résultat, cette méthode aurait dû être portée à la connaissance des soumissionnaires au moment de la publication de l’avis de marché ou de la communication du cahier des charges par le pouvoir adjudicateur.

60.      En tout état de cause, si la Cour considérait qu’il n’y a pas lieu d’étendre la première condition prétorienne visée au point 40 des présentes conclusions à la pondération des critères d’attribution, il est vraisemblable, à mon avis, que, si la méthode d’évaluation des offres au regard du critère « qualité », fixée par le pouvoir adjudicateur, avait été connue à l’avance par les soumissionnaires potentiels, elle aurait été susceptible d’influencer la préparation de leurs offres, au sens de la deuxième condition énumérée au point 40 des présentes conclusions.

61.      En effet, comme déjà indiqué, si les soumissionnaires avaient compris, avant de soumettre leurs offres, que le second critère d’attribution, à savoir le critère « prix », pouvait revêtir un caractère décisif, comme l’ont admis toutes les parties intéressées à l’audience, dans le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse, leurs offres auraient certainement été préparées de manière différente, afin de mieux répondre à cette orientation du pouvoir adjudicateur.

62.      De manière générale, il est vrai qu’une telle limite posée à la liberté du pouvoir adjudicateur de fixer une méthode d’évaluation après la présentation des offres paraît finalement le contraindre, dans tous les cas, à identifier très tôt la ou les méthodes d’évaluation des critères d’attribution qu’il entend choisir, afin de s’assurer, de manière préventive, qu’elles ne seront pas susceptibles d’avoir un impact sur la préparation des offres des soumissionnaires potentiels, à défaut de quoi il devra en conclure que ces méthodes nécessitent d’être publiées soit dans l’avis de marché, soit dans le cahier des charges.

63.      Partant, cette exigence semble, en définitive, entraîner le pouvoir adjudicateur (qui aura le souci de garantir la plus grande sécurité juridique de la procédure d’adjudication et de se prémunir contre des recours visant à l’annulation de cette procédure) à déterminer au plus tôt la ou les méthodes d’évaluation des offres au regard des critères d’attribution. On pourrait alors suggérer que, si tel est le cas, aucune raison impérieuse ne semble justifier que le pouvoir adjudicateur refuse de porter à la connaissance des soumissionnaires potentiels les méthodes d’évaluation en question qu’il aura, de toute manière, déjà dû déterminer avant l’appel d’offres.

64.      Une telle orientation paraît, en pratique, renverser la règle théorique « principe-exception » qui résulte de l’application de la jurisprudence de la Cour, selon laquelle le pouvoir adjudicateur n’est en principe pas obligé de communiquer préalablement la méthode d’évaluation des offres aux soumissionnaires potentiels, sauf si cette méthode contient des éléments qui, s’ils avaient été connus à l’avance, auraient été susceptibles d’influencer la préparation des offres.

65.      Il me semble cependant que ce risque peut, dans une large mesure, être écarté si les pouvoirs adjudicateurs optent pour la publicité non seulement des critères d’attribution et de leur pondération relative, comme l’exige la directive 2004/18, mais aussi des sous-critères se rapportant à ces critères ainsi que la pondération relative de ces sous-critères, comme tend à fortement le favoriser la jurisprudence de la Cour.

66.      En d’autres termes, plus les soumissionnaires disposeront d’informations claires, compréhensibles et détaillées dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges se rapportant à l’ensemble de ces éléments, moins le risque existe, à mon sens, que la méthode d’analyse des offres choisie par le comité d’évaluation puisse être susceptible d’altérer les critères ou les sous-critères d’attribution ainsi que leur pondération ou d’introduire une inégalité de traitement entre les soumissionnaires. Éviter ce risque participe, à mon sens, du « rôle actif » qu’attribue la directive 2004/18, telle qu’interprétée par la Cour, aux pouvoirs adjudicateurs dans l’application des principes essentiels qui régissent la passation des marchés publics que sont le respect de la transparence de la procédure et celui de l’égalité de traitement entre les soumissionnaires (13).

67.      Dans un tel cas également, les soumissionnaires auront tous été en mesure de connaître à l’avance le poids relatif de l’ensemble des éléments pris en considération par le pouvoir adjudicateur, ce qui permet, en règle générale, d’exclure que la méthode précise d’analyse des offres retenue par le pouvoir adjudicateur puisse contenir des éléments qui, s’ils avaient été connus lors de la préparation des offres, auraient pu influencer cette préparation.

68.      En revanche, lorsque, comme dans l’affaire au principal, les critères d’attribution sont pondérés de manière égale dans le cahier des charges, les éventuels sous-critères énumérés dans ce dernier document ne font pas l’objet d’une telle pondération et la méthode d’évaluation adoptée, après la présentation des offres, pour apprécier le degré de satisfaction d’un des deux critères d’attribution est particulièrement générale, sans permettre une différenciation suffisamment précise de la qualité des offres déposées, le risque est sensiblement plus élevé que la méthode d’évaluation contienne des éléments qui, s’ils avaient été portés à la connaissance des soumissionnaires dans l’avis de marché ou le cahier des charges, auraient été susceptibles d’influencer la préparation de leurs offres.

69.      Il est vrai que la deuxième condition mentionnée au point 40 des présentes conclusions paraît particulièrement souple ou aisée à satisfaire, puisqu’il semble toujours envisageable d’argumenter que chaque élément pris en compte par le pouvoir adjudicateur aurait été susceptible d’avoir une influence ou un impact sur la préparation des offres, s’il avait été préalablement communiqué aux soumissionnaires.

70.      C’est, peut-être, consciente de cette souplesse que la Cour a, dans l’arrêt Commission/Irlande (C‑226/09, EU:C:2010:697, point 48), subordonné une telle influence sur la préparation des offres à son caractère « significatif », lui permettant de rejeter partiellement le recours en constatation de manquement introduit par la Commission.

71.      Bien que le point 48 de l’arrêt Commission/Irlande (C‑226/09, EU:C:2010:697) se revendique de la jurisprudence antérieure de la Cour, mentionnant explicitement le point 32 de l’arrêt ATI EAC e Viaggi di Maio e.a. (C‑331/04, EU:C:2005:718), celui-ci, pas plus que les autres arrêts postérieurs déjà cités, ne comportent la précision selon laquelle l’influence sur la préparation des offres aurait dû présenter un caractère « significatif ». Cela étant, le critère introduit par la Cour au point 48 de l’arrêt Commission/Irlande (C‑226/09, EU:C:2010:697) peut toutefois trouver son origine, me semble-t-il, dans la circonstance que le marché public de services en question n’était pas pleinement régi par les dispositions de la directive 2004/18, en particulier par celles de son article 53, paragraphe 2.

72.      Si telle est bien la signification à donner au point 48 de l’arrêt Commission/Irlande (C‑226/09, EU:C:2010:697), il n’existe, à mes yeux, aucun motif particulier, dans la présente affaire, pour adopter le critère du caractère « significatif » de l’influence sur la préparation des offres figurant dans ce point dudit arrêt et, partant, pour altérer la portée de la deuxième condition de la jurisprudence de la Cour mentionnée au point 40 des présentes conclusions.

73.      En tout état de cause, j’estime que la souplesse qui caractérise cette deuxième condition peut fortement être atténuée par l’obligation pour le soumissionnaire évincé, sur qui pèse la charge de la preuve, de démontrer, in concreto, dans son recours juridictionnel, les différences, de nature substantielle et non purement formelle, que son offre aurait comporté si les éléments de la méthode d’évaluation en question ou cette méthode elle-même, dont la communication préalable a été omise par le pouvoir adjudicateur, avaient fait l’objet d’une publicité adéquate avant la préparation des offres.

74.      Avant de conclure, j’ajoute que l’ensemble des considérations qui précèdent se fondent sur le postulat, qui ressort implicitement de la décision de renvoi, selon lequel la méthode d’évaluation des offres se rapportant au critère « qualité », retenue par le comité d’évaluation dans l’affaire au principal, a été déterminée après l’expiration du délai de présentation des offres, mais avant l’ouverture de ces dernières.

75.      Dans la jurisprudence précitée relative à la fixation de la pondération de sous-critères se rapportant aux critères d’attribution, la Cour a considéré, en substance, qu’une telle fixation après l’ouverture des offres ou des manifestations d’intérêt, selon le cas, était contraire notamment au principe d’égalité de traitement et à l’obligation de transparence (14). De même, la Cour a condamné la modification effectuée par un comité d’évaluation de la valeur pondérée des critères d’attribution à la suite d’un premier examen des offres, dans un cas où l’article 53, paragraphe 2, de la directive 2004/18 ne s’appliquait pas au marché public de services en question, sans exiger, de surcroît, que l’effet discriminatoire de cette pratique envers l’un des soumissionnaires soit démontré, la Cour ajoutant, à cet égard, qu’il suffit que, au moment où ladite modification a été effectuée, il ne saurait être exclu qu’elle puisse avoir eu un tel effet (15).

76.      En effet, si le pouvoir adjudicateur a pris connaissance de l’identité des soumissionnaires et du contenu des offres lorsqu’il modifie la pondération des critères d’attribution et/ou des sous-critères, le risque est bien réel de donner l’impression que cette modification vise à favoriser un des soumissionnaires et donc à rompre l’égalité de traitement entre eux.

77.      Dans une telle situation, la modification ainsi opérée s’avère purement et simplement illégale, notamment par présomption de favoritisme. Il paraît évident que la pondération réellement appliquée et qui a engendré l’illégalité de la procédure d’adjudication aurait dû être portée à la connaissance des soumissionnaires dans la documentation du marché. Un tel constat n’est toutefois pas nécessaire pour trancher le litige.

78.      Dans ses observations, le gouvernement belge a mentionné qu’il existe des situations, sans cependant en préciser la nature, dans lesquelles la méthode d’évaluation des offres ne pourrait être fixée que postérieurement à l’ouverture de celles-ci. Partant, ce gouvernement soutient, en substance, que la jurisprudence de la Cour condamnant la fixation ex post de la pondération des critères d’attribution et celle des sous-critères se rapportant aux critères d’attribution après l’ouverture des offres ne devrait pas être étendue à l’hypothèse de l’adoption d’une méthode d’évaluation des offres par un comité d’évaluation après ladite ouverture.

79.      La question déférée par la juridiction de renvoi ne porte pas stricto sensu sur ce cas de figure.

80.      Toutefois, les éléments fournis par la juridiction de renvoi ne permettent pas totalement d’écarter l’hypothèse selon laquelle la méthode d’évaluation en cause dans l’affaire au principal aurait été entérinée postérieurement à l’ouverture des offres.

81.      Or, dans cette hypothèse, se pose, selon moi, la question additionnelle de savoir s’il est toujours nécessaire pour la juridiction de renvoi de vérifier la satisfaction des trois conditions dégagées par la jurisprudence et énumérées au point 40 des présentes conclusions afin de lui permettre de conclure que le pouvoir adjudicateur aurait dû porter à la connaissance des soumissionnaires cette méthode d’évaluation des offres ou si elle pourrait se borner à constater qu’une telle pratique implique, en quelque sorte, une présomption de favoritisme au profit d’un ou de plusieurs soumissionnaires, entraînant l’illégalité de la procédure d’adjudication.

82.      Sans prendre position de manière générale sur les situations évoquées mais non précisées par le gouvernement belge, je doute que, dans l’affaire au principal, la méthode d’évaluation du critère « qualité », au regard de son caractère très basique et particulièrement général, voire imprécis, ne pouvait être fixée que postérieurement à l’ouverture des offres qui ont été déposées.

83.      En effet, je ne perçois aucun obstacle, notamment de nature technique ou financière, à ce qu’un pouvoir adjudicateur puisse soit porter à la connaissance des soumissionnaires une méthode se bornant à indiquer que la « qualité » des offres sera appréciée en fonction d’une échelle ordinale « faible – satisfaisant – très bon », soit entériner cette méthode, au plus tard, avant l’ouverture des offres, sous réserve du respect des conditions que j’ai déjà examinées, c’est-à-dire, en particulier, sans altérer les critères d’attribution du marché ni leur pondération.

84.      J’estime donc que, si la méthode d’évaluation litigieuse dans l’affaire au principal a été adoptée après l’ouverture des offres, ce que la juridiction de renvoi devrait vérifier, il y aurait lieu de présumer qu’elle a été fixée en prenant en considération des éléments susceptibles d’avoir un effet discriminatoire à l’encontre d’un ou de plusieurs soumissionnaires évincés, présomption qu’il appartiendrait, le cas échéant, au pouvoir adjudicateur de renverser.

III – Conclusion

85.      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit à la question déférée par le Raad van State van België (Conseil d’État de Belgique) :

L’article 53, paragraphe 2, de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fourniture et de services, telle que modifiée par le règlement (UE) no 1251/2011 de la Commission, du 30 novembre 2011, lu à la lumière du principe d’égalité de traitement et de l’obligation de transparence, doit être interprété en ce sens que le pouvoir adjudicateur n’est pas tenu de porter à la connaissance des soumissionnaires potentiels, dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges, la méthode d’évaluation des offres pour apprécier le degré de satisfaction des critères d’attribution préalablement publiés dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges, à condition qu’une telle méthode, adoptée postérieurement à l’expiration du délai de présentation des offres, mais préalablement à l’ouverture de celles-ci, a) ne modifie pas les critères d’attribution du marché et la pondération relative de ces critères, tels qu’ils ont été exposés dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges, b) ne contienne pas d’éléments qui, s’ils avaient été connus lors de la préparation des offres, auraient pu influencer cette préparation et c) n’ait pas été adoptée en prenant en compte des éléments susceptibles d’avoir un effet discriminatoire envers l’un des soumissionnaires. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si ces conditions sont satisfaites dans l’affaire au principal.


1 – Langue originale : le français.


2 – JO L 134, p. 114. Directive telle que modifiée par le règlement (UE) no 1251/2011 de la Commission, du 30 novembre 2011, modifiant les directives 2004/17/CE, 2004/18/CE et 2009/81/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne leurs seuils d’application pour les procédures de passation des marchés (JO L 319, p. 43, ci-après la “directive 2004/18”) »


3 – JO L 209, p. 1.


4 – Voir arrêt Ambisig (C‑601/13, EU:C:2015:204, point 29).


5 – Le caractère non limitatif de ces critères a été régulièrement rappelé par la Cour : voir, récemment, arrêts eVigilo (C‑538/13, EU:C:2015:166, point 61) et Ambisig (C‑601/13, EU:C:2015:204, point 30).


6 – Voir, en ce sens, arrêt Commission/Irlande (C‑226/09, EU:C:2010:697, point 43). Je rappelle, à toutes fins utiles, que, selon une jurisprudence constante, le principe d’égalité de traitement entre les soumissionnaires, qui a pour objectif de favoriser le développement d’une concurrence saine et effective entre les entreprises participant à un marché public, impose que tous les soumissionnaires disposent des mêmes chances dans la formulation des termes de leurs offres et implique donc que celles‑ci soient soumises aux mêmes conditions pour tous les compétiteurs [voir en ce sens, notamment, arrêts Cartiera dell’Adda (C‑42/13, EU:C:2014:2345, point 44) et eVigilo (C‑538/13, EU:C:2015:166, point 33)]. La Cour a également précisé que l’obligation de transparence a essentiellement pour but de garantir l’absence de risque de favoritisme et d’arbitraire de la part du pouvoir adjudicateur à l’égard de certains soumissionnaires ou de certaines offres [voir, en ce sens, arrêts Cartiera dell’Adda (C‑42/13, EU:C:2014:2345, point 44) et eVigilo (C‑538/13, EU:C:2015:166, point 34)].


7 – Le standard du soumissionnaire raisonnablement informé et normalement diligent résulte de la jurisprudence de la Cour, voir, à cet égard, arrêts SIAC Construction (C‑19/00, EU:C:2001:553, point 42) et eVigilo (C‑538/13, EU:C:2015:166, point 54).


8 – Voir arrêts ATI EAC e Viaggi di Maio e.a. (C‑331/04, EU:C:2005:718, point 32) ; Lianakis e.a. (C‑532/06, EU:C:2008:40, point 43), ainsi que Evropaïki Dynamiki/EMSA (C‑252/10 P, EU:C:2011:512, points 32 et 33).


9 – Il s’agissait, en l’occurrence, de l’interprétation de l’article 97 du règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 248, p. 1), et de l’article 138 du règlement (CE, Euratom) no 2342/2002 de la Commission, du 23 décembre 2002, établissant les modalités d’exécution du règlement no 1605/2002 (JO L 357, p. 1).


10 – Voir également, dans le même contexte juridique, arrêt bpost/Commission (T‑514/09, EU:T:2011:689, point 86).


11 – Voir arrêts ATI EAC e Viaggi di Maio e.a. (C‑331/04, EU:C:2005:718, point 32) ; Lianakis e.a. (C‑532/06, EU:C:2008:40, point 43), et Evropaïki Dynamiki/EMSA (C‑252/10 P, EU:C:2011:512, point 33).


12 – Dans l’arrêt Ambisig (C‑601/13, EU:C:2015:204, point 29), la Cour a rappelé, en substance, que l’attribution d’un marché en fonction de l’offre économiquement la plus avantageuse, qui favorise la recherche par le pouvoir adjudicateur du meilleur rapport qualité/prix, est de nature à renforcer le poids de la qualité dans les critères d’attribution des marchés publics.


13 – Voir en ce sens, dans un autre contexte, arrêt eVigilo (C‑538/13, EU:C:2015:166, point 42).


14 – Voir, en particulier, arrêt Lianakis e.a. (C‑532/06, EU:C:2008:40, point 44).


15 – Arrêt Commission/Irlande (C‑226/09, EU:C:2010:697, points 57 à 63).