Language of document : ECLI:EU:C:2011:580

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

15 septembre 2011 (*)

«Manquement d’État – Énergie – Marché intérieur de l’électricité – Directive 2003/54/CE – Contrat d’investissement – Accord bilatéral sur la protection des investissements conclu antérieurement à l’adhésion à l’Union européenne – Article 307 CE»

Dans l’affaire C‑264/09,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 14 juillet 2009,

Commission européenne, représentée par Mme O. Beynet ainsi que par MM. F. Hoffmeister et J. Javorský, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République slovaque, représentée par Mme B. Ricziová, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. J.-J. Kasel, A. Borg Barthet (rapporteur), E. Levits et Mme M. Berger, juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 15 mars 2011,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, n’ayant pas garanti un accès non discriminatoire au réseau de transport, la République slovaque a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 20, paragraphe 1, et de l’article 9, sous e), de la directive 2003/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2003, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 96/92/CE (JO L 176, p. 37).

 Le cadre juridique

 L’accord entre la Confédération suisse et la République fédérative tchèque et slovaque concernant la promotion et la protection réciproques des investissements

2        Selon l’article 1er, paragraphe 1, de l’accord conclu, le 5 octobre 1990, entre la Confédération suisse et la République fédérative tchèque et slovaque concernant la promotion et la protection réciproques des investissements (ci-après l’«accord concernant la promotion et la protection réciproques des investissements»), le terme «investisseur» désigne:

«[...]

(b)      les entités juridiques, y compris les sociétés, les sociétés enregistrées, les sociétés de personnes ou autres organisations, qui sont constituées ou organisées de toute autre manière conformément à la législation de cette Partie Contractante, et qui ont leur siège, en même temps que des activités économiques réelles, sur le territoire de cette même Partie Contractante;

[...]»

3        Aux termes de l’article 1er, paragraphe 2, de cet accord, le terme «investissement» englobe toutes les catégories d’avoirs et en particulier:

«[...];

(c)      les créances monétaires et droits à toute prestation ayant une valeur économique;

[...]»

4        L’article 4 dudit accord, intitulé «Protection, traitement», stipule:

«[...]

(2)      Chaque Partie Contractante assurera sur son territoire un traitement juste et équitable aux investissements des investisseurs de l’autre Partie Contractante. [...]

[...]»

5        Aux termes de l’article 6 du même accord, intitulé «Dépossession, indemnisation»:

«(1)      Aucune des Parties Contractantes ne prendra, directement ou indirectement, des mesures d’expropriation, de nationalisation ou toute autre mesure ayant le même caractère ou le même effet, à l’encontre des investissements d’investisseurs de l’autre Partie Contractante, si ce n’est pour des raisons d’intérêt public et à condition que ces mesures ne soient pas discriminatoires, qu’elles soient conformes aux prescriptions légales et qu’elles donnent lieu au paiement d’une indemnité effective et adéquate. [...]

[...]»

 Le traité sur la charte de l’énergie

6        Selon l’article 10, paragraphe 1, du traité sur la charte de l’énergie, signé à Lisbonne le 17 décembre 1994 (ci-après le «TCE»), approuvé au nom des Communautés européennes par la décision 98/181/CE, CECA, Euratom du Conseil et de la Commission, du 23 septembre 1997, concernant la conclusion par les Communautés européennes du traité sur la charte de l’énergie et du protocole de la charte de l’énergie sur l’efficacité énergétique et les aspects environnementaux connexes (JO 1998, L 69, p. 1):

«Chaque partie contractante encourage et crée, conformément aux dispositions du présent traité, des conditions stables, équitables, favorables et transparentes pour la réalisation d’investissements dans sa zone par les investisseurs des autres parties contractantes. Ces conditions comprennent l’engagement d’accorder, à tout instant, un traitement loyal et équitable aux investissements des investisseurs des autres parties contractantes. Ces investissements bénéficient également d’une protection et d’une sécurité les plus constantes possible, et aucune partie contractante n’entrave, en aucune manière, par des mesures déraisonnables ou discriminatoires, leur gestion, maintien, utilisation, jouissance ou disposition. En aucun cas, ces investissements ne peuvent être traités d’une manière moins favorable que celle requise par le droit international, y compris les obligations conventionnelles. Chaque partie contractante respecte les obligations qu’elle a contractées vis-à-vis d’un investisseur ou à l’égard des investissements d’un investisseur d’une autre partie contractante.»

7        Aux termes de l’article 13 de ce traité, intitulé «Expropriation»:

«1.      Les investissements d’un investisseur d’une partie contractante réalisés dans la zone d’une autre partie contractante ne sont pas nationalisés, expropriés ou soumis à une ou plusieurs mesures ayant des effets équivalents à une nationalisation ou à une expropriation, dénommées ci-après «expropriation», sauf lorsque cette expropriation:

a)      est effectuée pour des motifs d’intérêt public;

b)      n’est pas discriminatoire;

c)      est effectuée avec les garanties prévues par la loi,

et

d)      est accompagnée du prompt versement d’une compensation adéquate et effective.

Cette compensation équivaut à la valeur marchande équitable de l’investissement exproprié au moment qui précède immédiatement celui où l’expropriation ou l’annonce de l’expropriation a été officiellement connue et a affecté la valeur de l’investissement, ci-après dénommé «date d’estimation».

Cette valeur marchande équitable est exprimée, selon le choix de l’investisseur, dans une devise librement convertible, sur la base du taux de change prévalant sur le marché pour cette devise à la date d’estimation. La compensation inclut également un intérêt à un taux commercial établi sur la base du marché à partir de la date d’expropriation jusqu’à la date de paiement.

[...]»

 La réglementation de l’Union

8        Aux termes de l’article 2 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République tchèque, de la République d’Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République slovaque, et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 2003, L 236, p. 33), «les dispositions des traités originaires et les actes pris, avant l’adhésion, par les institutions [...] lient les nouveaux États membres et sont applicables dans ces États dans les conditions prévues par ces traités et par le présent acte».

9        L’article 9, sous e), de la directive 2003/54 dispose:

«Chaque gestionnaire de réseau de transport est tenu de:

[...]e) garantir la non-discrimination entre utilisateurs ou catégories d’utilisateurs du réseau, notamment en faveur de ses entreprises liées;

[...]»

10      L’article 20, paragraphe 1, de cette directive prévoit:

«Les États membres veillent à ce que soit mis en place, pour tous les clients éligibles, un système d’accès des tiers aux réseaux de transport et de distribution. Ce système, fondé sur des tarifs publiés, doit être appliqué objectivement et sans discrimination entre les utilisateurs du réseau. Les États membres veillent à ce que ces tarifs, ou les méthodes de calcul de ceux-ci, soient approuvés avant leur entrée en vigueur conformément à l’article 23, et que ces tarifs et les méthodes de calcul, lorsque seules les méthodes de calcul sont approuvées, soient publiés avant leur entrée en vigueur.»

 Les antécédents du litige et la procédure précontentieuse

11      Le 27 octobre 1997, Aare-Tessin AG für Elektrizität (ci‑après «ATEL»), entreprise ayant son siège à Olten (Suisse), et Slovenské elektrárne a.s., entreprise ayant son siège à Bratislava (Slovaquie) et à laquelle a succédé Slovenská elektrizačná prenosová sústava a.s. (ci-après «SEPS»), agissant en tant que gestionnaire du réseau de transport slovaque, ont conclu un contrat de reconnaissance d’un droit de transit sur le réseau à haute tension de Slovenské elektrárne a.s. en Slovaquie (ci-après le «contrat en cause»). Aux termes de l’article 3 de ce contrat, SEPS a concédé à ATEL un droit de transit garanti pour une capacité de 300 MW entre la Pologne et la Hongrie, du 1er octobre 1998 au 30 septembre 2014. ATEL peut disposer librement de ce droit.

12      Le droit de transit réservé à ATEL représente la contrepartie de sa participation financière à la construction de la ligne de transport sur laquelle elle bénéficie de ce droit, participation dépassant 50 % des frais de construction engagés.

13      Après avoir mis en demeure la République slovaque, la Commission a adressé à cette dernière, le 15 décembre 2006, un avis motivé dans lequel elle estimait que, en réservant une capacité au niveau de l’«interconnexion SEPS» sur les lignes connectant le réseau slovaque aux réseaux polonais et hongrois, la République slovaque manquait à ses obligations résultant de la directive 2003/54.

14      Par lettre du 9 février 2007, la République slovaque a répondu à cet avis motivé en faisant valoir que le contrat en cause était non pas un contrat d’accès préférentiel mais un contrat d’investissement. La République slovaque a également indiqué que, en dépit des négociations conduites en vue de la résiliation ou de la modification de ce contrat, ATEL tenait à ce que ce dernier soit exécuté et à ce que l’accord concernant la promotion et la protection réciproques des investissements soit respecté.

15      Estimant que la République slovaque n’avait pas remédié au manquement reproché, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

 Argumentation des parties

16      La Commission fait valoir, en premier lieu, que la République slovaque a manqué à ses obligations découlant des articles 9, sous e), et 20, paragraphe 1, de la directive 2003/54, qui exigent qu’un accès non discriminatoire au réseau de transport soit garanti.

17      En effet, selon la Commission, le droit de transit préférentiel que SEPS a reconnu à ATEL jusqu’au 30 septembre 2014 place cette dernière dans une position privilégiée par rapport aux autres utilisateurs du réseau.

18      La Commission fait valoir, en deuxième lieu, que, contrairement à ce que soutient la République slovaque, la violation de ladite directive ne peut être justifiée par l’article 307, premier alinéa, CE. En effet, cette disposition n’aurait vocation à s’appliquer que s’il existe une incompatibilité entre les obligations résultant, pour les États adhérents, des conventions conclues antérieurement à la date de leur adhésion à l’Union européenne et le droit communautaire. Or, selon la Commission, il n’existe aucune incompatibilité entre l’accord concernant la promotion et la protection réciproques des investissements et ce droit. En outre, cet accord n’obligerait en aucune manière la République slovaque à maintenir applicable le contrat en cause. Au contraire, elle aurait toute latitude pour mettre un terme à ce contrat, aux fins de satisfaire à ses obligations résultant de la directive 2003/54.

19      En troisième lieu, la Commission fait valoir que, étant donné que les articles 4, paragraphe 2, et 6 dudit accord n’exigent pas que le contrat en cause soit exécuté jusqu’à son échéance, le 30 septembre 2014, il n’existerait aucune obligation, au sens de l’article 307, premier alinéa, CE, qui empêcherait la République slovaque de résilier ce contrat et d’établir ainsi un accès non discriminatoire au réseau de transport, conformément à la directive 2003/54.

20      Dans son mémoire en défense, la République slovaque considère, en premier lieu, que le contrat en cause n’est pas discriminatoire à l’égard des autres opérateurs du marché slovaque de l’électricité.

21      En deuxième lieu, la République slovaque estime qu’il est nécessaire de considérer que le contrat en cause constitue non pas un contrat d’accès préférentiel mais un contrat d’investissement. Elle précise que le droit de transit n’est qu’une forme spécifique de rétribution de l’investissement effectué contractuellement par ATEL et que le retrait même de la garantie du droit de transit conduirait à introduire, à l’encontre de cette société, une discrimination par rapport aux autres opérateurs du marché. En effet, ce retrait soumettrait ATEL aux mêmes conditions que les opérateurs du marché, alors que ceux-ci n’auraient effectué aucun investissement dans le réseau de transport slovaque. Cela équivaudrait à une privation des droits de cette société, sans compensation appropriée, et serait en contradiction non seulement avec le contrat en cause mais également avec le TCE, qui ferait partie intégrante du droit communautaire.

22      En ce qui concerne, en troisième lieu, la protection de l’investissement effectué par ATEL, sur le fondement du TCE, la République slovaque fait valoir que ce traité exclut une interprétation de la directive 2003/54 en ce sens qu’elle imposerait le retrait de la garantie du droit de transit dont bénéficie ATEL, dès lors que cette directive ne peut porter préjudice à la protection des investisseurs garantie par le TCE. Or, l’interprétation de la directive 2003/54 dont se prévaut la Commission aurait pour conséquence de permettre à ATEL de soutenir, lors d’un éventuel arbitrage, que le retrait de la garantie du droit de transit, sans l’octroi d’une compensation convenable, constitue une violation des dispositions en matière d’expropriation (article 13 du TCE), une violation du droit à un traitement loyal et équitable (article 10 du TCE) ou une violation de la clause du contrat en cause (article 10, paragraphe 1, dernière phrase, du TCE).

23      En quatrième lieu, la République slovaque fait valoir que, même si le retrait de la garantie du droit de transit ne remplissait pas les conditions d’une expropriation directe et même si cette mesure était prise dans l’intérêt général, ATEL pourrait démontrer l’existence d’une expropriation indirecte réglementaire ne pouvant être réalisée que moyennant le respect de toutes les conditions prévues en matière d’expropriation, y compris celle imposant le versement d’une compensation à l’investisseur concerné.

24      En cinquième lieu, cet État membre considère comme non fondées les affirmations de la Commission selon lesquelles, d’une part, la résiliation du contrat en cause ne serait pas contraire aux dispositions de l’article 4, paragraphe 2, de l’accord concernant la promotion et la protection réciproques des investissements, exigeant un traitement juste et équitable des investissements, dès lors qu’ATEL était en mesure d’anticiper l’entrée de la République slovaque dans l’Union et la libéralisation du marché de l’énergie et, d’autre part, la République slovaque ne s’était pas engagée à l’égard de la Confédération suisse à ne pas introduire de modifications réglementaires qui entraîneraient une résiliation du contrat en cause avant l’échéance du 30 septembre 2014.

25      Dans son mémoire en réplique, la Commission fait valoir que sont dénués de fondement les arguments de la République slovaque selon lesquels, d’une part, l’infraction a cessé puisque les pratiques en vigueur ont changé à partir du 1er janvier 2008 de sorte que, depuis lors, ATEL n’a plus bénéficié d’un accès préférentiel et, d’autre part, la modification du contrat en cause appellerait l’octroi d’une compensation au regard du droit international, laquelle aurait un caractère onéreux.

26      La Commission soutient, à cet égard, que, d’une part, selon une jurisprudence constante, une simple pratique ne peut mettre fin à une infraction, dès lors que des dispositions contraignantes contraires au droit communautaire demeurent en vigueur, et que, en l’espèce, l’infraction perdure tant que le contrat en cause n’est pas modifié ou résilié. D’autre part, il serait loisible à des entreprises de bénéficier d’une compensation, en vertu des dispositions du droit international ou du droit national, en raison de la perte des droits contractuels sur lesquels repose le traitement préférentiel résultant des investissements qu’elles ont effectués.

27      La Commission en déduit que, étant donné que la République slovaque ne parvient pas à démontrer que la directive 2003/54 serait contraire au TCE, son argumentation, tirée de l’article 307 CE, relatif aux engagements internationaux de la Communauté européenne, est mal fondée.

28      S’agissant de l’argument invoqué par la République slovaque selon lequel la résiliation du contrat en cause serait contraire à l’article 4, paragraphe 2, de l’accord concernant la promotion et la protection réciproques des investissements, en ce qu’elle ne constituerait pas un traitement juste et équitable, la Commission rétorque qu’aucun investisseur ne peut légitimement s’attendre à ce que le cadre réglementaire soit immuable et que les investisseurs avisés savaient, ou auraient dû savoir, que les répercussions de l’adhésion à l’Union sur la situation juridique de la République slovaque seraient considérables. Ainsi, l’article 4, paragraphe 2, de cet accord n’obligerait nullement la République slovaque à conserver un système d’accès discriminatoire au réseau de transport tel que celui qui résulte du contrat en cause.

 Appréciation de la Cour

29      La défense de la République slovaque repose tant sur le TCE que sur l’accord concernant la promotion et la protection réciproques des investissements.

30      Étant donné que ce dernier accord vise directement la protection des investissements, il y a lieu d’examiner la défense de la République slovaque fondée sur cet accord.

31      L’accord concernant la promotion et la protection réciproques des investissements a été conclu le 5 octobre 1990, soit avant l’adhésion de la République slovaque à l’Union, qui n’est intervenue que le 1er mai 2004. Cet accord, qui lie la République slovaque en ce qui concerne les investissements réalisés sur son territoire, contient des stipulations qui assurent la protection des investissements effectués par les investisseurs suisses en Slovaquie.

32      Par conséquent, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 77 de ses conclusions, si la République slovaque était tenue, conformément à cet accord, de satisfaire aux obligations découlant du contrat en cause, la discrimination éventuelle liée au traitement préférentiel accordé à ATEL serait justifiée, même si elle devait être considérée comme étant non conforme à la directive 2003/54.

33      Afin de vérifier si tel est le cas, il convient d’examiner si l’accès préférentiel accordé à ATEL doit être considéré comme un investissement couvert, à l’époque, par ledit accord. Ce n’est que dans une telle hypothèse qu’il y aura également lieu d’examiner si la République slovaque aurait pu résilier le contrat en cause sans violer cet accord.

34      Selon son article 1er, paragraphe 2, sous c), l’accord concernant la promotion et la protection réciproques des investissements s’applique aux investissements, définis comme «toutes les catégories d’avoirs», et, notamment, aux «créances monétaires et droits à toute prestation ayant une valeur économique».

35      En l’espèce, en réglant plus de 50 % des coûts de construction de la ligne de transport de Krosno (Pologne) à Lemesany (Slovaquie), ATEL a pu acquérir un droit de transit sur cette ligne pour une capacité spécifique. En d’autres termes, l’obligation de SEPS d’accorder à ATEL une capacité de transport, sur simple demande de celle-ci, fait partie de la rémunération contractuellement prévue comme contrepartie de la participation financière consentie par ATEL pour la construction de la ligne de transport en cause.

36      Dans ces circonstances, le droit de transit acquis par ATEL a manifestement une valeur économique, dans la mesure où il garantit à celle-ci, pour une capacité spécifique, l’accès au réseau de transport slovaque nécessaire pour qu’elle puisse vendre de l’électricité en Pologne via la Hongrie.

37      Par conséquent, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 71 de ses conclusions, l’investissement effectué par ATEL doit être considéré comme un investissement au sens de l’article 1er, sous c), de l’accord concernant la promotion et la protection réciproques des investissements, qu’il appartient à la République slovaque de protéger en vertu de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de ce même accord.

38      Il y a lieu, dès lors, d’examiner si une éventuelle résiliation du contrat en cause par SEPS engendrerait, au regard des obligations internationales de la République slovaque, une violation dudit accord de la part de cet État membre.

39      En l’occurrence et contrairement à ce que fait valoir la République slovaque, la Commission estime que la résiliation de ce contrat n’est contraire ni à l’article 4, paragraphe 2, de cet accord, prévoyant un traitement juste et équitable des investissements, ni à l’article 6 du même accord, dans la mesure où il ne constitue pas une expropriation au sens de cette stipulation.

40      À cet égard, il convient de rappeler que, même s’il n’appartient pas à la Cour d’interpréter l’accord concernant la promotion et la protection réciproques des investissements, il convient toutefois d’examiner les éléments permettant de déterminer si cet accord prévoit, pour la République slovaque, une obligation qui, au sens de l’article 307, premier alinéa, CE, ne saurait être affectée par les dispositions du traité CE.

41      Or, selon une jurisprudence constante, l’article 307, premier alinéa, CE a pour objet de préciser, conformément aux principes de droit international, tels qu’ils résultent notamment de l’article 30, paragraphe 4, sous b), de la convention de Vienne sur le droit des traités, du 23 mai 1969, que l’application du traité CE n’affecte pas l’engagement par l’État membre concerné de respecter les droits des pays tiers résultant d’une convention antérieure et d’observer ses obligations correspondantes (voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 1980, Burgoa, 812/79, Rec. p. 2787, point 8).

42      En outre, il importe, pour déterminer si une norme communautaire peut être tenue en échec par une convention internationale antérieure, d’examiner si celle-ci impose à l’État membre concerné des obligations dont l’exécution peut encore être exigée par les États tiers qui sont parties à la convention (arrêt du 2 août 1993, Levy, C‑158/91, Rec. p. I‑4287, point 13).

43      Selon la République slovaque, l’accord concernant la promotion et la protection réciproques des investissements exige qu’elle maintienne en vigueur l’obligation de SEPS de garantir l’accès préférentiel d’ATEL à la ligne de transport visée dans le contrat en cause.

44      Or, il y a lieu de rappeler que, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 4 juillet 2000, Commission/Portugal (C-62/98, Rec. p. I-5171, point 49), la Cour a précisé que, si, dans le cadre de l’article 307 CE, les États membres ont le choix quant aux mesures à adopter afin d’éliminer les incompatibilités existant entre une convention précommunautaire et le traité CE, lorsqu’un État membre rencontre des difficultés rendant la modification d’un accord impossible, il ne saurait être exclu qu’il lui incombe de dénoncer cet accord.

45      Dans cette affaire, la Cour avait notamment considéré que, l’accord concerné comportant une clause qui visait explicitement la possibilité de le dénoncer, sa dénonciation par la République portugaise n’allait pas à l’encontre des droits que, en l’espèce, la République d’Angola tirait de cet accord (arrêt Commission/Portugal, précité, point 46).

46      Force est toutefois de constater que le contrat en cause ne contient aucune clause relative à la possibilité de le dénoncer.

47      Quant à la possibilité pour la République slovaque de résilier ledit contrat dans le respect de l’article 6 de l’accord concernant la promotion et la protection réciproques des investissements, il y a lieu de relever que cette disposition consacre une protection large des investissements, couvrant non seulement les mesures d’expropriation directe et indirecte, mais également les mesures ayant le même effet que l’expropriation.

48      Partant, dans la mesure où une telle résiliation du contrat en cause aurait pour conséquence de priver ATEL de la rémunération que ledit contrat prévoit en contrepartie de sa participation financière dans la construction de la ligne de transport entre Krosno et Lemesany, une telle mesure porterait atteinte aux droits d’ATEL et aurait, dès lors, le même effet qu’une expropriation au sens de l’article 6 de l’accord concernant la promotion et la protection réciproques des investissements.

49      Certes, ledit article 6 consacre également un droit à indemnisation en raison de l’atteinte portée au droit de l’investisseur de ne pas être exproprié. Toutefois, l’obligation d’indemnisation en cas d’expropriation n’a pas pour effet de supprimer l’obligation de la République slovaque de ne pas prendre de mesures d’expropriation à l’encontre des investissements protégés par l’accord concernant la promotion et la protection réciproques des investissements.

50      Il y a lieu d’ajouter, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 105 de ses conclusions, que la République slovaque ne peut modifier les stipulations ou les effets du contrat en cause au moyen de sa législation, ni priver celui-ci d’effets juridiques. Une législation slovaque qui déclarerait invalides et inapplicables les contrats reconnaissant un accès préférentiel au réseau de transport ne changerait rien au fait que SEPS resterait liée par le contrat en cause. Par conséquent, la seule possibilité dont disposerait la République slovaque pour se conformer à son obligation consisterait à adopter une législation qui viserait SEPS et empêcherait cette dernière de mettre en œuvre ledit contrat, ce qui se traduirait par une expropriation indirecte du droit de transit dont bénéficie ATEL.

51      Eu égard à ce qui précède, force est de constater que l’accès préférentiel accordé à ATEL peut être considéré comme un investissement protégé par l’accord concernant la promotion et la protection réciproques des investissements et, selon l’article 307, premier alinéa, CE, il ne peut pas être affecté par les dispositions du traité CE.

52      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, à supposer même que l’accès préférentiel accordé à ATEL ne soit pas conforme à la directive 2003/54, cet accès préférentiel est protégé par l’article 307, premier alinéa, CE.

53      Par conséquent, le recours de la Commission doit être rejeté.

 Sur les dépens

54      En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La République slovaque ayant conclu à la condamnation de la Commission et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:

1)      Le recours est rejeté.

2)      La Commission européenne est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le slovaque.