Language of document : ECLI:EU:T:2022:843

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

21 décembre 2022 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure d’opposition – Enregistrement international désignant l’Union européenne – Marque figurative représentant un paquet de cigarettes – Marque internationale figurative antérieure Marlboro SELECTED PREMIUM TOBACCOS – Motif relatif de refus – Atteinte à la renommée – Article 8, paragraphe 5, du règlement (UE) 2017/1001 »

Dans l’affaire T‑44/22,

International Masis Tabak LLC, établie à Masis (Arménie), représentée par Mes C. Bercial Arias et K. Dimidjian-Lecompte, avocates,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par Mme J. Schäfer et M. D. Gája, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Philip Morris Brands Sàrl, établie à Neuchâtel (Suisse), représentée par Me L. Alonso Domingo, avocate,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de M. D. Spielmann, président, Mme M. Brkan et M. I. Gâlea (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, International Masis Tabak LLC, demande l’annulation de la décision de la cinquième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 15 novembre 2021 (affaire R 261/2021-5) (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Le 7 février 2018, la requérante a obtenu auprès du bureau international de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) l’enregistrement international désignant l’Union européenne portant le numéro 1434506. La marque qui a fait l’objet de l’enregistrement international désignant l’Union européenne est la marque figurative suivante :

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3        Le 15 novembre 2017, l’EUIPO a reçu notification de l’enregistrement international désignant l’Union européenne, en vertu du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).

4        Les produits pour lesquels la protection dans l’Union européenne a été demandée relèvent de la classe 34 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondant à la description suivante : « Tabac, articles pour fumeurs, allumettes, récipients à gaz pour allume-cigares ; papier absorbant pour la pipe ; papiers à cigarettes ; boîtes à cigares pourvues d’un humidificateur ; briquets pour fumeurs ; blagues à tabac ; cahiers de papier à cigarettes ; pipes ; porte-allumettes ; pierres à feu ; coupe-cigares ; bouts d’ambre jaune pour fume-cigares et fume-cigarettes ; cendriers pour fumeurs ; pots à tabac ; fume-cigares ; fume-cigarettes ; crachoirs pour consommateurs de tabac ; pipes ; embouts pour fume-cigarettes ; filtres de cigarettes ; cure-pipes ; cigarettes ; bouts de cigarettes ; cigarillos ; cigares ; râteliers à pipes ; boîtes à allumettes ; tabac à chiquer ; tabac à priser ; rouleuses à cigarettes de poche ; étuis à tabac et à cigarettes ; étuis à cigares ».

5        La demande de marque a été publiée au Bulletin des marques de l’Union européenne no 218/2018, du 16 novembre 2018.

6        Le 1er mars 2019, l’intervenante, Philip Morris Brands Sàrl, a formé opposition à l’enregistrement de la marque demandée pour les produits visés au point 4 ci-dessus.

7        L’opposition était notamment fondée sur l’enregistrement international désignant l’Union européenne pour la marque figurative Marlboro SELECTED PREMIUM TOBACCOS reproduite ci-après, enregistrée le 3 février 2014 sous le numéro 1204795 et désignant les produits relevant de la classe 34 et correspondant à la description suivante : « Tabac, brut ou manufacturé ; produits du tabac, y compris cigares, cigarettes, cigarillos, tabac pour cigarettes à rouler soi-même, tabac pour pipe, tabac à chiquer, tabac à priser, kretek ; snus ; succédanés du tabac (à usage non médical) ; articles pour fumeurs, y compris papier à cigarettes et tubes, filtres pour cigarettes, boîtes pour tabac, étuis à cigarettes et cendriers, pipes, appareils de poche à rouler les cigarettes, briquets ; allumettes » :

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8        Le motif invoqué à l’appui de l’opposition était notamment celui visé à l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001.

9        Le 5 janvier 2021, la division d’opposition a fait droit à l’opposition, sur le fondement de l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001.

10      Le 8 février 2021, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO contre la décision de la division d’opposition.

11      Par la décision attaquée, la chambre de recours a rejeté le recours. Elle a considéré que, en l’espèce, toutes les conditions prévues à l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001 étaient remplies en ce qui concerne la marque antérieure, compte tenu de la grande renommée de celle-ci pour les « cigarettes » relevant de la classe 34, d’un certain degré de similitude visuelle entre les signes en conflit, de l’existence d’un lien entre les marques en conflit compte tenu de l’identité ou du degré élevé de similitude entre les produits en cause et du risque que l’usage de la marque demandée, en l’absence de juste motif, tire indûment profit de la renommée de la marque antérieure. L’opposition étant fondée au regard de ce motif et sur la base de la seule marque antérieure, la chambre de recours a estimé qu’il n’était pas nécessaire d’examiner les autres motifs et droits antérieurs invoqués.

 Conclusions des parties

12      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        accueillir le recours et annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO et, le cas échéant, l’intervenante aux dépens.

13      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

14      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        confirmer la décision attaquée ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

15      À titre liminaire, s’agissant du premier chef de conclusions de l’intervenante, étant donné que confirmer la décision attaquée équivaut à rejeter le recours, il y a lieu d’interpréter ce chef de conclusions comme tendant, en substance, au rejet du recours [voir, en ce sens, arrêts du 5 février 2016, Kicktipp/OHMI – Italiana Calzature (kicktipp), T‑135/14, EU:T:2016:69, point 19 (non publié), et du 24 septembre 2019, Roxtec/EUIPO – Wallmax (Représentation d’un carré noir contenant sept cercles bleus concentriques), T‑261/18, EU:T:2019:674, point 16].

16      À l’appui de son recours, la requérante soulève un moyen unique, tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001.

17      Aux termes de l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001, sur opposition du titulaire d’une marque antérieure enregistrée au sens du paragraphe 2 de cet article, la marque demandée est refusée à l’enregistrement si elle est identique ou similaire à une marque antérieure, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels elle est demandée sont identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est enregistrée, lorsque cette marque antérieure est une marque de l’Union européenne qui jouit d’une renommée dans l’Union ou une marque nationale qui jouit d’une renommée dans l’État membre concerné, et que l’usage sans juste motif de la marque demandée tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de cette marque antérieure ou leur porterait préjudice.

18      Il ressort du libellé de l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001 que son application est soumise aux conditions cumulatives tenant, premièrement, à l’identité ou à la similitude des marques en conflit, deuxièmement, à l’existence d’une renommée de la marque antérieure invoquée à l’appui de l’opposition et, troisièmement, à l’existence d’un risque de voir l’usage sans juste motif de la marque demandée tirer indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou leur porter préjudice (voir arrêt du 28 juin 2018, EUIPO/Puma, C‑564/16 P, EU:C:2018:509, point 54 et jurisprudence citée).

19      En l’espèce, la requérante ne conteste pas devant le Tribunal que la marque antérieure a acquis une grande renommée dans l’Union à l’égard des cigarettes, tant en ce qui concerne l’élément verbal « marlboro » que l’élément figuratif en forme de toit, ainsi qu’un caractère distinctif élevé en raison de l’usage de longue date.

20      En outre, la requérante ne conteste pas que le public pertinent est constitué du grand public de l’Union, à savoir les consommateurs des produits du tabac, faisant preuve d’un niveau d’attention élevé en raison de leur fidélité à la marque desdits produits.

21      Il convient également d’ajouter à cet égard que la chambre de recours a considéré que ce degré de fidélité à la marque ne pouvait pas s’appliquer aux produits, tels que les briquets et les allumettes, pour lesquels une attention générale au moins normale leur sera accordée par le public pertinent. Cette considération n’est au demeurant pas non plus contestée par la requérante.

22      Enfin, la requérante ne conteste pas davantage la conclusion de la chambre de recours selon laquelle les produits désignés par la marque antérieure, pour lesquels cette dernière s’est vu reconnaître une renommée, sont soit identiques, soit, s’agissant des articles pour fumeurs, étroitement liés aux « cigarettes ».

23      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner si, comme le soutient la requérante, la chambre de recours a commis des erreurs d’appréciation et ainsi violé l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001.

24      À l’appui de ce moyen unique, la requérante invoque quatre griefs, tirés, le premier, de l’absence de similitude entre les marques en conflit, le deuxième, de l’absence de lien entre ces marques, le troisième, de l’absence de profit indu et, le quatrième, de l’existence d’un juste motif.

 Sur le premier grief, tiré de l’absence de similitude entre les signes en conflit

25      La chambre de recours a estimé que les marques en conflit étaient similaires dans une certaine mesure sur le plan visuel, notamment en ce qui concerne l’élément polygonal dominant, placé dans la même position. Malgré la présence de certaines différences au niveau de cet élément, celui-ci produisait néanmoins une impression visuelle similaire en raison de sa forme presque identique dans les deux marques. Par conséquent, et compte tenu de tous les éléments des marques en conflit, celles-ci devant être prises dans leur ensemble, la chambre de recours a considéré qu’elles présentaient un faible degré de similitude visuelle. Elle a ajouté que les signes ne pouvaient être comparés ni sur le plan phonétique ni sur le plan conceptuel, étant donné que le signe demandé était purement figuratif et qu’il ne véhiculait aucun concept particulier. Les signes ayant été jugés similaires pour l’un des aspects de la comparaison, la chambre de recours a conclu qu’il existait au moins un certain degré de similitude entre les signes.

26      La requérante soutient que la chambre de recours a commis une erreur d’appréciation en estimant que les marques en conflit étaient similaires. Elle aurait erronément réduit le signe demandé à une simple forme polygonale, alors qu’il s’agirait en réalité de la représentation du mont Ararat, ou à tout le moins de deux montagnes. Elle a également ignoré les autres éléments dudit signe, à savoir la lettre « a » inversée correspondant à Ararat et l’écusson contenant les lettres « IMT » renvoyant à la dénomination sociale de la requérante, alors qu’ils ne seraient pas difficilement perceptibles. À cet égard, la requérante se réfère à la description qu’elle a fournie lors de sa demande de marque. Ainsi, elle estime que les marques en conflit n’auraient pas été appréciées dans leur ensemble en tenant compte de leurs différents composants. En outre, elle considère que le signe demandé, d’une part, ne serait pas purement figuratif, étant donné que les éléments verbaux ne seraient pas difficilement perceptibles, et, d’autre part, serait différent conceptuellement de l’élément verbal « marlboro » de la marque antérieure.

27      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

28      L’existence d’une similitude entre une marque antérieure et une marque demandée constitue une condition d’application commune à l’article 8, paragraphe 1, sous b), et à l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001. Cette condition présuppose, tant dans le cadre du paragraphe 1, sous b), que dans celui du paragraphe 5 dudit article, l’existence, notamment, d’éléments de ressemblance visuelle, phonétique ou conceptuelle [voir, en ce sens, arrêts du 24 mars 2011, Ferrero/OHMI, C‑552/09 P, EU:C:2011:177, point 52, et du 4 octobre 2017, Gappol Marzena Porczyńska/EUIPO – Gap (ITM) (GAPPOL), T‑411/15, non publié, EU:T:2017:689, point 148].

29      Toutefois, le degré de similitude requis dans le cadre de l’une et de l’autre desdites dispositions est différent. En effet, tandis que la mise en œuvre de la protection instaurée par l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 est subordonnée à la constatation d’un degré tel de similitude entre les marques en conflit qu’il existe, dans l’esprit du public concerné, un risque de confusion entre celles-ci, l’existence d’un tel risque n’est pas requise pour la protection conférée par le paragraphe 5 de ce même article. Ainsi, les atteintes visées à l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001 peuvent être la conséquence d’un degré moindre de similitude entre les marques antérieure et demandée, pour autant que celui-ci soit suffisant pour que le public pertinent effectue un rapprochement entre lesdites marques, c’est-à-dire établisse un lien entre celles-ci. En revanche, il ne ressort ni du libellé desdites dispositions ni de la jurisprudence que la similitude entre les marques en conflit devrait être appréciée de manière différente selon qu’elle est effectuée au regard de l’une ou de l’autre de ces dispositions (arrêt du 24 mars 2011, Ferrero/OHMI, C‑552/09 P, EU:C:2011:177, points 53 et 54).

30      Il convient également de rappeler que la comparaison des signes doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, phonétique et conceptuelle des signes en conflit, être fondée sur l’impression d’ensemble produite par ceux-ci, en tenant compte, notamment, de leurs éléments distinctifs et dominants [arrêt du 25 janvier 2012, Viaguara/OHMI – Pfizer (VIAGUARA), T‑332/10, non publié, EU:T:2012:26, point 32].

31      En l’espèce, les signes à comparer se présentent comme suit :

Marque antérieure

Marque demandée

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32      Sur le plan visuel, le signe antérieur se présente sous la forme rectangulaire d’un paquet de cigarettes. Il est composé d’une partie inférieure blanche et d’une partie supérieure d’une forme polygonale rouge de cinq côtés, dont les deux côtés inférieurs pointent vers le bas, représentant les deux côtés d’un triangle blanc ou la forme d’un toit. En outre, ledit signe contient un écusson et les éléments verbaux « marlboro » et « selected premium tobaccos », imprimés en arrière-plan en gris très clair, les rendant ainsi peu visibles. Dès lors, l’élément visuellement dominant est la forme polygonale produisant l’impression d’un triangle blanc ou d’un toit pointant vers le haut.

33      S’agissant du signe demandé, celui-ci se présente également sous la forme rectangulaire d’un paquet de cigarettes, composé d’une partie inférieure blanche. La partie supérieure est, quant à elle, composée d’une forme polygonale grise foncée de sept côtés, dont les côtés inférieurs pointent vers le bas, formant deux triangles irréguliers qui se chevauchent. Le triangle présent au premier plan est blanc, légèrement décalé vers la droite et contient un écusson noir contenant le groupe de lettres « IMT » peu visible. Derrière celui-ci se trouve un autre triangle gris clair, au-dessus duquel figure un carré blanc contenant également une forme triangulaire gris foncé. Dès lors, la forme polygonale produisant l’impression de deux triangles constitue l’élément visuellement dominant, les autres éléments ne jouant qu’un rôle secondaire en raison de leur petite taille.

34      Concernant, premièrement, l’argument de la requérante selon lequel la chambre de recours aurait à tort réduit le signe demandé à une simple forme polygonale, il y a lieu de considérer que celle-ci n’a pas mal défini la forme polygonale dudit signe. En effet, la majorité du public pertinent ne percevra pas les formes triangulaires qui se chevauchent comme une représentation particulière du mont Ararat, mais comme une forme géométrique triangulaire abstraite. Comme l’indique la chambre de recours aux points 32 et 65 de la décision attaquée, une partie limitée du public pertinent pourrait aussi, tout au plus, percevoir ces deux triangles irréguliers comme la représentation de deux montagnes superposées.

35      Deuxièmement, la requérante affirme au point 34 de la requête que les consommateurs connaissent le mont Ararat, car l’Union compte plusieurs millions de chrétiens et de musulmans, ce mont biblique étant célèbre en raison de son rapport avec l’arche de Noé, mentionnée dans la Bible et le Coran. Or, cet argument ne saurait constituer une preuve effective de la connaissance et de la perception de la forme triangulaire du signe demandé par le public pertinent comme étant précisément constitutive d’une représentation du mont Ararat. En effet, comme précisé au point 34 ci-dessus, seule une partie limitée du public pertinent pourrait être amenée à voir dans ces deux triangles une représentation de deux montagnes superposées tout au plus.

36      Troisièmement, c’est également à tort que la requérante fait valoir que la chambre de recours a ignoré les autres éléments du signe demandé et n’a pas comparé les signes dans leur ensemble. En effet, il ressort des points 31 à 33 de la décision attaquée que ladite chambre a explicitement examiné, d’une part, l’écusson et le carré blanc du signe demandé et, d’autre part, l’écusson et les éléments verbaux du signe antérieur, pour conclure qu’ils étaient de plus petite taille, voire difficilement perceptibles et donc d’une incidence réduite sur l’impression d’ensemble produite par les signes.

37      Quatrièmement, s’agissant de l’arrêt du 21 avril 2021, Chanel/EUIPO – Huawei Technologies (Représentation d’un cercle contenant deux courbes entrelacées) (T‑44/20, non publié, EU:T:2021:207), invoquée par la requérante, le Tribunal avait, dans l’affaire en cause, à titre liminaire, indiqué que les signes en conflit devaient être comparés dans la forme dans laquelle ils avaient été enregistrés ou demandés, indépendamment de leur usage réel ou potentiel sous une autre forme. Compte tenu du fait que les signes se présentaient comme deux courbes entrelacées, mais dans une position différente, ainsi que de nombreuses différences visibles, le Tribunal a considéré que, appréciées globalement, les marques en conflit étaient différentes sur le plan visuel, en dépit de la présence commune de deux courbes entrelacées au sein d’un cercle de couleur noire, ce dernier étant par ailleurs un élément géométrique banal (arrêt du 21 avril 2021, Représentation d’un cercle contenant deux courbes entrelacées, T‑44/20, non publié, EU:T:2021:207, points 25, 32, 35 à 37 et 51).

38      Cette conclusion ne saurait être appliquée par analogie aux signes en cause en l’espèce, car, comme le souligne l’intervenante, les formes polygonales ne sont pas banales, mais irrégulières et placées dans une position comparable et sont d’une taille également comparable, ce qui permet de justifier une impression d’ensemble faiblement similaire sur le plan visuel.

39      Cinquièmement, en ce qui concerne la constatation de la chambre de recours selon laquelle le signe demandé est purement figuratif étant donné que ses éléments verbaux sont illisibles, il y a lieu de rappeler, à l’instar de l’EUIPO, que, selon la jurisprudence, il convient de considérer comme illisible non seulement le signe qui est effectivement impossible à lire ou à déchiffrer, mais aussi le signe qui est si difficile à déchiffrer, à comprendre ou à lire que le consommateur raisonnablement attentif et avisé ne pourra y parvenir qu’en se livrant à une analyse dépassant ce qui peut être raisonnablement attendu de lui dans une situation d’achat [arrêt du 2 juillet 2008, Stradivarius España/OHMI – Ricci (Stradivari 1715), T‑340/06, non publié, EU:T:2008:241, point 34].

40      En l’espèce, ainsi qu’il a été établi au point 33 ci-dessus, les lettres figurant dans l’écusson sont à peine perceptibles en raison de leur très petite taille. Par ailleurs, le public pertinent aura d’autant plus de difficultés à les lire que celui-ci ne se livre pas à un examen des différents détails d’une marque lors de son achat [voir, en ce sens, arrêt du 19 juin 2019, Marriott Worldwide/EUIPO – AC Milan (AC MILAN), T‑28/18, non publié, EU:T:2019:436, point 41 et jurisprudence citée]. Même si le public pertinent arrivait à lire ces lettres comme représentant le groupe de lettres « IMT », il n’est pas évident, en l’absence de preuves produites en ce sens, que ledit public le percevra comme étant les initiales du nom de la requérante, tel que cette dernière le fait valoir.

41      Il en est de même de la prétendue lettre « a » contenue dans le carré blanc qui, en raison de sa petite taille et de l’élément polygonal dominant formé des deux triangles qui se chevauchent, sera susceptible d’être perçue par le public pertinent comme une autre forme triangulaire au lieu de la première lettre du mot « Ararat ».

42      Par conséquent, compte tenu de l’absence d’éléments verbaux visibles dans le signe demandé ainsi que du caractère peu perceptible par le public pertinent des éléments verbaux « marlboro » et « selected premium tobaccos » du signe antérieur (voir point 32 ci-dessus), la chambre de recours a correctement considéré que le signe demandé était purement figuratif.

43      Au regard de ces appréciations, il convient de constater que la chambre de recours a correctement considéré que les signes en conflit présentaient un élément dominant commun sous la forme d’un polygone coloré placé dans la partie supérieure, produisant, malgré leurs différences, une impression visuelle similaire, à savoir celle d’un triangle blanc. Partant, c’est à juste titre qu’il a été conclu que les signes en conflit, pris dans leur ensemble, présentaient un faible de degré de similitude visuelle.

44      Sur le plan phonétique, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, une comparaison phonétique n’est pas pertinente dans le cadre de l’examen de la similitude d’une marque figurative dépourvue d’éléments verbaux avec une autre marque [voir arrêt du 30 septembre 2015, Mocek et Wenta KAJMAN Firma Handlowo-Usługowo-Produkcyjna/OHMI – Lacoste (KAJMAN), T‑364/13, non publié, EU:T:2015:738, point 45 et jurisprudence citée], tel que c’est le cas du signe demandé ayant été considéré comme purement figuratif (voir point 42 ci-dessus). Ainsi, la chambre de recours n’a pas commis d’erreur d’appréciation en estimant qu’une comparaison phonétique n’était pas possible.

45      Sur le plan conceptuel, dans la mesure où le signe demandé ne représente qu’une forme géométrique triangulaire abstraite et que seule une partie limitée, donc non significative, du public pertinent pourrait le percevoir tout au plus comme deux montagnes, la chambre de recours a correctement considéré que ledit signe ne véhiculait aucun concept en particulier et, dès lors, qu’une comparaison conceptuelle n’était pas possible entre les signes en conflit.

46      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par le renvoi de la requérante à la description de la marque demandée fournie dans la demande d’enregistrement et qui indique que les lignes triangulaires ressemblent presque aux sommets d’une chaîne de montagnes. En effet, selon une jurisprudence constante, la possibilité pour un demandeur de marque de l’Union européenne d’adjoindre à sa demande une description du signe demandé donne une information sur la perception du signe par le demandeur de celui-ci, mais nullement sur sa perception par le public pertinent. La description du signe est, en tant que telle, sans influence sur l’appréciation de la similitude conceptuelle de deux signes en conflit [voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 19 septembre 2018, Volkswagen/EUIPO – Paalupaikka (MAIN AUTO WHEELS), T‑623/16, non publié, EU:T:2018:561, point 40 et jurisprudence citée, et du 8 juillet 2020, Essential Export/EUIPO – Shenzhen Liouyi International Trading (TOTU), T‑633/19, non publié, EU:T:2020:312, point 38 et jurisprudence citée]. L’argument de la requérante à cet égard est donc inopérant.

47      Il résulte des considérations qui précèdent que c’est à juste titre que la chambre de recours a conclu que, en raison du faible degré de similitude visuelle entre les signes en conflit, il existait au moins un certain degré de similitude entre lesdits signes, justifiant l’examen des autres conditions prévues à l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001.

48      Partant, il convient de rejeter le premier grief comme étant non fondé.

 Sur le deuxième grief, tiré de l’absence de lien entre les marques en conflit

49      La chambre de recours a considéré que la marque antérieure jouissait d’une renommée élevée dans l’Union et avait acquis un caractère distinctif élevé en raison de l’usage intensif et de longue date qui en avait été fait. Par ailleurs, elle a estimé que les signes présentaient un faible degré de similitude sur le plan visuel et, dès lors que les produits n’étaient pas seulement achetés par voie orale, mais faisaient aussi l’objet d’un examen visuel, que les aspects visuels de la comparaison étaient pertinents. Partant, elle a conclu que le public pertinent établirait un lien entre les marques en cause.

50      La requérante soutient que, compte tenu des différences importantes entre les signes en conflit, il n’existe aucun risque de confusion ou de lien entre ces signes, malgré l’identité des produits en cause et la renommée de la marque antérieure. Selon elle, le seul lien existant entre les marques en conflit concerne leur concurrence dans le domaine du tabac, ce qui ne signifierait pas que le public pertinent fera nécessairement un lien entre ces marques, compte tenu du niveau d’attention élevé des consommateurs concernés qui peut résulter d’une fidélité à la marque.

51      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

52      Selon la jurisprudence, les atteintes aux marques renommées visées à l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001, lorsqu’elles se produisent, sont la conséquence d’un certain degré de similitude entre les marques antérieure et postérieure, en raison duquel le public concerné effectue un rapprochement entre ces marques, c’est-à-dire établit un lien entre celles-ci, alors même qu’il ne les confond pas. À défaut d’un tel lien dans l’esprit du public, l’usage de la marque demandée n’est pas susceptible de tirer indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, ou de leur porter préjudice [voir arrêts du 4 mars 2020, Tulliallan Burlington/EUIPO, C‑155/18 P à C‑158/18 P, EU:C:2020:151, points 63 et 64 et jurisprudence citée, et du 8 mai 2018, Luxottica Group/EUIPO – Chen (BeyBeni), T‑721/16, non publié, EU:T:2018:264, point 35 et jurisprudence citée].

53      L’existence d’un lien entre les marques en conflit dans l’esprit du public pertinent doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce, parmi lesquels figurent le degré de similitude entre les marques en conflit, la nature des produits ou des services concernés par lesdites marques, y compris le degré de proximité ou de dissemblance de ces produits ou services, ainsi que le public concerné, l’intensité de la renommée de la marque antérieure, son degré de caractère distinctif, intrinsèque ou acquis par l’usage et l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public pertinent [ordonnance du 30 avril 2009, Japan Tobacco/OHMI, C‑136/08 P, non publiée, EU:C:2009:282, point 26, et arrêt du 6 juillet 2012, Jackson International/OHMI – Royal Shakespeare (ROYAL SHAKESPEARE), T‑60/10, non publié, EU:T:2012:348, point 21 ; voir également, par analogie, arrêt du 27 novembre 2008, Intel Corporation, C‑252/07, EU:C:2008:655, points 41 et 42].

54      En l’espèce, ainsi qu’il résulte des points 19 à 22 ci-dessus, la requérante ne conteste pas la grande renommée et le caractère distinctif élevé acquis par l’usage de la marque antérieure, ni l’identité ou la similitude des produits en cause, ni l’identité des publics concernés par les produits désignés par les marques en conflit.

55      Il convient également de relever que les signes en conflit présentent un faible degré de similitude visuelle (voir point 43 ci-dessus). À cet égard, la chambre de recours a considéré que les aspects visuels sont importants, dès lors que les produits en cause ne sont pas seulement achetés oralement, mais nécessitent également un examen visuel, ce que ne conteste pas la requérante.

56      Par conséquent, la chambre de recours n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant, tous ces éléments pris dans leur ensemble, que le public pertinent établirait un lien entre les marques en conflit.

57      Par ailleurs, les arrêts du 15 septembre 2009, Parfums Christian Dior/OHMI – Consolidated Artists (MANGO adorably) (T‑308/08, non publié, EU:T:2009:329), et du 21 janvier 2010, G-Star Raw Denim/OHMI – ESGW (G Stor) (T‑309/08, non publié, EU:T:2010:22), invoqués par la requérante au soutien de son argument selon lequel les fortes différences existant entre les signes ne permettraient pas au public pertinent d’établir un lien entre les marques en conflit ne sauraient remettre en cause la conclusion de la chambre de recours. En effet, ces arrêts concernent des marques pour lesquelles les différences constatées empêchaient tout lien entre elles. Or, en l’espèce, il a été établi au point 47 ci-dessus que les marques en conflit présentaient un certain degré de similitude entre elles.

58      Partant, il convient de rejeter le deuxième grief comme étant non fondé.

 Sur le troisième grief, tiré de l’absence de profit indu

59      Selon la chambre de recours, la marque demandée, évocatrice de l’élément polygonal en forme de toit, pourra tirer profit de l’image de la marque antérieure et obtenir un avantage commercial qui serait indu en raison de l’absence d’efforts de marketing et de promotion de la requérante. En effet, elle a estimé que le public pertinent connaissait déjà la marque antérieure par l’élément polygonal, qui était largement utilisé dans des couleurs et pour des gammes de cigarettes différentes, et que ce public pouvait donc être amené à croire que les produits désignés par la marque demandée étaient liés à l’intervenante. Ainsi, elle a conclu que ce parasitisme dans le sillage de la marque antérieure reviendrait à tirer indûment profit tant du caractère distinctif que de la renommée de cette marque.

60      La requérante estime que le fait que la marque antérieure soit connue des consommateurs n’aura aucune incidence sur la commercialisation dans l’Union de produits portant une marque aussi différente. Selon elle, les efforts de marketing de l’intervenante ne lui procureront aucun avantage. Elle précise que, compte tenu de leur fidélité à la marque, les consommateurs ne seront pas enclins à acheter les produits désignés par la marque demandée en raison d’une lointaine similitude des éléments polygonaux des signes en conflit, dont celui de la marque demandée représente clairement deux montagnes. Partant, compte tenu des différences importantes entre les signes et de l’absence de lien dans l’esprit des consommateurs, la marque demandée ne bénéficiera pas de la renommée de la marque antérieure entraînant un profit indu.

61      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

62      Il ressort de la jurisprudence que la notion de profit que l’usage sans juste motif de la marque demandée tirerait indûment du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure englobe les cas où il y a exploitation et parasitisme manifestes d’une marque célèbre ou une tentative de tirer profit de sa réputation. En d’autres termes, il s’agit du risque que l’image de la marque renommée ou les caractéristiques projetées par cette dernière soient transférées aux produits désignés par la marque demandée, de sorte que leur commercialisation serait facilitée par cette association avec la marque antérieure renommée [arrêts du 22 mars 2007, Sigla/OHMI – Elleni Holding (VIPS), T‑215/03, EU:T:2007:93, point 40, et du 17 octobre 2018, Golden Balls/EUIPO – Les Éditions P. Amaury (GOLDEN BALLS), T‑8/17, non publié, EU:T:2018:692, point 106].

63      Le profit résultant de l’usage par un tiers d’un signe semblable à une marque renommée est tiré indûment par ce tiers du caractère distinctif ou de la renommée de cette marque lorsque celui-ci tente par cet usage de se placer dans le sillage de la marque renommée afin de bénéficier du pouvoir d’attraction, de la réputation et du prestige de cette dernière, et d’exploiter, sans compensation financière, l’effort commercial déployé par le titulaire de la marque pour créer et entretenir l’image de celle-ci (arrêt du 18 juin 2009, L’Oréal e.a., C‑487/07, EU:C:2009:378, point 50).

64      Néanmoins, le titulaire de la marque antérieure n’était pas tenu de démontrer l’existence d’une atteinte effective et actuelle à sa marque. Il doit uniquement apporter des éléments permettant de conclure prima facie à un risque futur non hypothétique de profit indu ou de préjudice. Une telle conclusion peut être établie notamment sur la base de déductions logiques résultant d’une analyse des probabilités et en prenant en compte les pratiques habituelles dans le secteur commercial pertinent ainsi que toute autre circonstance de l’espèce. En effet, lorsqu’il est prévisible qu’une telle atteinte découlera de l’usage que le titulaire de la marque postérieure peut être amené à faire de sa marque, le titulaire de la marque antérieure ne saurait être obligé d’en attendre la réalisation effective pour pouvoir faire interdire ledit usage. Le titulaire de la marque antérieure doit toutefois établir l’existence d’éléments permettant de conclure à un risque sérieux qu’une telle atteinte se produise dans le futur (voir arrêt du 17 octobre 2018, GOLDEN BALLS, T‑8/17, non publié, EU:T:2018:692, point 140 et jurisprudence citée ; voir également, par analogie, arrêt du 27 novembre 2008, Intel Corporation, C‑252/07, EU:C:2008:655, point 38).

65      Afin de déterminer si l’usage de la marque demandée tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, il convient de procéder à une appréciation globale qui tient compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce, au nombre desquels figurent, notamment, l’importance de la renommée et le degré de caractère distinctif de la marque antérieure, le degré de similitude entre les marques en conflit ainsi que la nature et le degré de proximité des produits ou des services concernés. S’agissant de l’intensité de la renommée et du degré de caractère distinctif de la marque antérieure, la Cour a déjà jugé que, plus le caractère distinctif et la renommée de cette marque seront importants, plus l’existence d’une atteinte sera aisément admise. Il résulte également de la jurisprudence que, plus l’évocation de la marque par le signe est immédiate et forte, plus est important le risque que l’utilisation actuelle ou future du signe tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure [voir arrêts du 18 juin 2009, L’Oréal e.a., C‑487/07, EU:C:2009:378, point 44 et jurisprudence citée, et du 14 décembre 2012, Bimbo/OHMI – Grupo Bimbo (GRUPO BIMBO), T‑357/11, non publié, EU:T:2012:696, point 38 et jurisprudence citée].

66      En l’espèce, il convient d’observer que, en substance, la requérante se borne à rappeler que les marques en conflit sont si différentes que cela empêcherait la marque demandée de tirer profit de la renommée de la marque antérieure, étant donné la fidélité à la marque des consommateurs pour les produits du tabac. Or, ainsi qu’il résulte des points 54 à 56 ci-dessus, les marques en conflit présentent une certaine similitude qui, prise avec la renommée et le caractère distinctif élevé de la marque antérieure ainsi que l’identité ou la similitude des produits, permet au public pertinent d’établir un lien entre lesdites marques.

67      En outre, compte tenu des éléments de preuve produits par l’intervenante devant la chambre de recours, cette dernière a considéré à juste titre, au point 59 de la décision attaquée, que l’élément polygonal en forme de toit de la marque antérieure avait été largement utilisé, et ce, dans différentes couleurs et pour différentes gammes de cigarettes, de sorte que le consommateur pouvait être amené à croire que l’élément polygonal de la marque demandée n’était qu’une variante de celui de la marque antérieure. Dès lors, les produits commercialisés sous la marque demandée pourraient être perçus comme étant liés à l’intervenante, facilitant ainsi leur promotion et leur commercialisation, sans compensation financière de l’effort commercial déployé par l’intervenante pour créer et entretenir l’image de sa marque, tel qu’il ressort de la jurisprudence citée aux points 62 et 63 ci-dessus.

68      Ainsi, en considérant tous les facteurs cités par la jurisprudence mentionnée au point 65 ci-dessus et rappelés au point 66 ci-dessus, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que la chambre de recours a estimé qu’il existait un risque que la marque demandée tire indûment profit du caractère distinctif élevé et de la renommée de la marque antérieure.

69      Partant, il convient de rejeter le troisième grief comme étant non fondé.

 Sur le quatrième grief, tiré de l’existence d’un juste motif

70      La chambre de recours a considéré que les arguments de la requérante, selon lesquels la marque demandée représentait le mont Ararat, qu’elle était enregistrée dans de nombreux pays depuis 2010 et que ses cigarettes portant l’image dudit mont étaient notoirement connues en Arménie, étaient dénués de pertinence, car tant les faits qui se sont produits avant le dépôt de la marque demandée que les éléments de preuve concernant des territoires situés hors de l’Union ne pouvaient pas être pris en considération. Elle a ajouté que le public pertinent percevrait l’élément figuratif avant tout comme une forme géométrique ou tout au plus comme des montagnes quelconques, mais pas comme une montagne particulière située en dehors de l’Union. Considérant que, en optant pour une forme similaire, la requérante tentait clairement de s’aligner sur l’intervenante, la chambre de recours a conclu qu’il n’existait pas de juste motif.

71      La requérante fait valoir l’existence d’un juste motif pour l’utilisation du signe demandé, car celui-ci représente le mont Ararat et constitue l’évolution du dessin antérieur de cette marque datant de 1975. Elle ajoute que, même si les consommateurs de l’Union n’identifiaient pas l’élément figuratif comme le mont Ararat, celui-ci serait de toute façon perçu comme une montagne visuellement différente de l’élément graphique de la marque antérieure. Elle précise également avoir créé son logo de bonne foi et simplement voulu étendre à l’Union la protection de ses marques déjà enregistrées dans d’autres pays, sans qu’aucun élément de preuve ne démontre une intention de tirer un profit indu de la marque antérieure.

72      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

73      Lorsque le titulaire de la marque antérieure est parvenu à démontrer l’existence soit d’une atteinte effective et actuelle à sa marque, soit, à défaut, d’un risque sérieux qu’une telle atteinte se produise à l’avenir, il appartient au titulaire de la marque postérieure d’établir que l’usage de cette marque a un juste motif [voir arrêts du 7 décembre 2010, Nute Partecipazioni et La Perla/OHMI – Worldgem Brands (NIMEI LA PERLA MODERN CLASSIC), T‑59/08, EU:T:2010:500, point 34 et jurisprudence citée, et du 13 mai 2020, Divaro/EUIPO – Grendene (IPANEMA), T‑288/19, non publié, EU:T:2020:201, point 73 et jurisprudence citée].

74      En outre, il découle de l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001 que le titulaire d’une marque renommée peut se voir contraint, en vertu d’un « juste motif » au sens de cette disposition, de tolérer l’usage par un tiers d’un signe semblable à ladite marque pour un produit identique à celui pour lequel cette marque a été enregistrée, dès lors qu’il est avéré que ce signe a été utilisé antérieurement au dépôt de la marque renommée et que l’usage fait pour le produit identique l’est de bonne foi (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 6 février 2014, Leidseplein Beheer et de Vries, C‑65/12, EU:C:2014:49, point 60).

75      Il convient également de préciser que l’existence d’un juste motif permettant l’utilisation d’une marque portant atteinte à une marque renommée doit être interprétée de manière restrictive [arrêt du 16 mars 2016, The Body Shop International/OHMI – Spa Monopole (SPA WISDOM), T‑201/14, non publié, EU:T:2016:148, point 65].

76      Il convient tout d’abord de rappeler qu’il a été établi au point 35 ci-dessus que l’affirmation de la requérante selon laquelle la marque demandée représente le mont Ararat n’est pas constitutive d’une preuve de la connaissance et de la perception du public pertinent en tant que telle. D’ailleurs, la requérante évoque elle-même l’hypothèse selon laquelle ledit public n’identifierait pas l’élément figuratif comme étant le mont Ararat, tout en indiquant qu’il serait de toute façon perçu comme une montagne. La requérante n’explique cependant pas en quoi cet argument constituerait un juste motif pour l’usage de la marque demandée.

77      Ensuite, c’est à bon droit que la chambre de recours a rejeté les arguments de la requérante selon lesquels la marque demandée serait enregistrée dans de nombreux pays en dehors de l’Union depuis 2010, ses cigarettes représentant le mont Ararat seraient notoirement connues en Arménie et elle ne souhaiterait qu’étendre à l’Union la protection de ses marques déjà enregistrées.

78      En effet, les éléments de preuve produits par la requérante et qui concernent des territoires situés en dehors de l’Union sont dénués de pertinence en vertu du principe de territorialité, étant donné que la protection de la marque demandée est revendiquée dans l’Union.

79      S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel elle aurait créé ce logo de bonne foi, il y a lieu de rappeler que l’absence d’intention de parasiter la marque contestée de la part du titulaire, à la supposer établie, ne suffit pas en elle-même pour exclure la possibilité qu’un profit indu soit tiré de l’utilisation de cette marque. Il y a lieu de rappeler que des éléments qui sont, par nature, subjectifs, tels que les intentions commerciales, réelles ou supposées, du titulaire de la marque contestée ne doivent pas être pris en compte pour apprécier l’existence du risque que l’usage sans juste motif de la marque demandée tire un profit indu du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, au sens de l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001 [voir arrêt du 28 avril 2021, Asolo/EUIPO – Red Bull (FLÜGEL), T‑509/19, non publié, EU:T:2021:225, point 134 et jurisprudence citée].

80      En outre, ainsi que le relève l’EUIPO, la Cour a déjà jugé que l’examen du juste motif requiert de déterminer quelle est l’implantation de la marque demandée et d’apprécier la réputation dont elle jouit auprès du public pertinent (voir, par analogie, arrêt du 6 février 2014, Leidseplein Beheer et de Vries, C‑65/12, EU:C:2014:49, point 54). Or, la requérante n’a apporté aucun élément de preuve démontrant l’implantation de sa marque auprès des consommateurs de l’Union. En effet, celle-ci s’est notamment limitée à produire des certificats d’enregistrement de sa marque en Suède et en Croatie, sans pour autant démontrer, par des arguments ou des éléments de preuve supplémentaires, comment le public pertinent percevait ladite marque dans ces pays et comment cette dernière y était utilisée, au sens de la jurisprudence citée au point 74 ci-dessus.

81      Enfin, en ce qui concerne l’argument de la requérante relatif à l’évolution du dessin antérieur de la marque datant de 1975 et des renvois qu’elle fait à cet égard, aux points 56 et 57 de sa requête, aux arguments et aux liens qu’elle avait avancés dans ses écritures présentées devant l’EUIPO, il y a lieu de rappeler que, si le corps de la requête peut être étayé et complété, sur des points spécifiques, par des renvois à des extraits de pièces qui y sont annexées, un renvoi global à d’autres écrits ne saurait pallier l’absence des éléments essentiels de l’argumentation en droit qui doivent figurer dans la requête. Il n’appartient pas au Tribunal de rechercher dans le dossier de la procédure devant l’EUIPO les arguments auxquels la requérante pourrait faire référence, ni de les examiner, de tels arguments étant irrecevables [voir, en ce sens, arrêts du 13 mars 2013, Biodes/OHMI – Manasul Internacional (FARMASUL), T‑553/10, non publié, EU:T:2013:126, point 33, et du 23 mai 2019, Holzer y Cia/EUIPO – Annco (ANN TAYLOR et AT ANN TAYLOR), T‑3/18 et T‑4/18, EU:T:2019:357, point 76 et jurisprudence citée].

82      Compte tenu de ces considérations, l’usage de la marque demandée invoquée par la requérante ne saurait être considéré comme un motif de nature à justifier l’enregistrement de la marque demandée, au risque de tirer profit de la renommée de la marque antérieure.

83      Il s’ensuit que la chambre de recours n’a pas commis d’erreur d’appréciation en estimant qu’il n’existait pas de juste motif à l’usage de la marque demandée.

84      Partant, il convient de rejeter le quatrième grief comme étant non fondé.

85      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le moyen unique doit être rejeté et, par voie de conséquence, le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

86      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

87      La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO et de l’intervenante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      International Masis Tabak LLC est condamnée aux dépens.

Spielmann

Brkan

Gâlea

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 décembre 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.