Language of document : ECLI:EU:F:2015:72

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE (deuxième chambre)

30 juin 2015 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Rapport de notation – Établissement tardif du rapport de notation – Recours en annulation – Recours en indemnité »

Dans l’affaire F‑64/13,

ayant pour objet un recours introduit au titre de l’article 270 TFUE, applicable au traité CEEA en vertu de son article 106 bis,

Z, fonctionnaire de la Cour de justice de l’Union européenne, demeurant à Luxembourg (Luxembourg), représentée par Me F. Rollinger, avocat,

partie requérante,

contre

Cour de justice de l’Union européenne, représentée par M. A. V. Placco, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(deuxième chambre),

composé de Mme M. I. Rofes i Pujol, président faisant fonction, MM. K. Bradley (rapporteur) et J. Svenningsen, juges,

greffier : M. P. Cullen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite des audiences des 25 et 30 septembre 2014 et du 29 janvier 2015,

rend le présent

Arrêt

1        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 juin 2013, Z a introduit le présent recours tendant, d’une part, à l’annulation de son rapport de notation pour la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2008, ainsi que de la décision de rejet de la réclamation introduite contre ledit rapport de notation, et, d’autre part, à la condamnation de la Cour de justice de l’Union européenne à la réparation du préjudice moral qu’elle estime avoir subi.

 Cadre juridique

2        Le cadre juridique de la présente affaire est constitué par l’article 43 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne dans sa version applicable au litige (ci‑après le « statut »), par la décision de la Cour de justice du 18 octobre 2000, portant adoption des dispositions générales d’exécution relatives à la notation du personnel (ci‑après les « DGE »), par la décision de la Cour de justice du 4 mai 2004 relative à l’exercice des pouvoirs dévolus par le statut à l’autorité investie du pouvoir de nomination ainsi que par le régime applicable aux autres agents à l’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement (ci‑après la « décision du 4 mai 2004 »), et par le guide de la notation approuvé par le greffier de la Cour de justice le 16 novembre 2000 et modifié le 9 mars 2006, le 26 janvier 2011 et le 17 décembre 2013 (ci‑après le « guide de la notation »).

 Faits à l’origine du litige

3        La partie requérante a été recrutée en tant que fonctionnaire stagiaire le 1er septembre 2005 et a été affectée, à compter de cette date et jusqu’au 31 décembre 2008, à l’une des unités de traduction de la direction générale (DG) « Traduction » de la Cour de justice, en tant que juriste linguiste.

4        Le rapport de notation de la partie requérante pour la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2007 a été établi par son chef d’unité, M. A, agissant en qualité de notateur, le 5 mai 2008, puis confirmé et rendu définitif par le notateur d’appel, le directeur adjoint en charge de l’unité d’affectation de la partie requérante, Mme B, le 17 octobre 2008. À la suite d’une réclamation au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut, introduite le 20 janvier 2009 par la partie requérante, ledit rapport de notation a été partiellement annulé par décision du 13 mai 2009 du comité chargé des réclamations, au motif que certaines appréciations portées par le notateur n’étaient soutenues par aucune référence à des faits concrets et que les remarques du notateur d’appel, censées corroborer celles du notateur, étaient peu circonstanciées.

5        Le 10 juillet 2008, M. A a pris la décision d’affecter la partie requérante à une autre équipe au sein de l’unité, au motif que celle‑ci aurait eu des relations conflictuelles avec son chef d’équipe, M. C.

6        Au début du mois de septembre 2008, la partie requérante a fait appel à l’un des conseillers en matière de harcèlement moral institués par la communication no 18/06 du greffier de la Cour de justice, du 20 novembre 2006, sur le respect de la dignité de la personne, en se plaignant du comportement prétendument hostile de M. A à son égard.

7        Le 9 décembre 2008, la partie requérante a envoyé à l’ensemble de ses collègues un courriel accusant M. A d’avoir commis des actes de favoritisme au profit d’un agent contractuel recruté dans la même unité de traduction. En outre, la partie requérante faisait état de sa souffrance personnelle due à l’attitude de M. A et informait ses collègues qu’elle ne serait pas présente au dîner de Noël organisé pour les collaborateurs de son unité, auquel devait participer M. A (ci‑après le « courriel du 9 décembre 2008 »).

8        La partie requérante a adressé le même jour un courriel au directeur nouvellement en charge de son unité de traduction, M. E, avec copie au directeur général de la DG « Traduction », M. D, sollicitant un entretien au sujet du harcèlement moral dont elle s’estimait victime.

9        Le 10 décembre 2008, M. A a envoyé un courriel à la partie requérante et à l’ensemble des membres de son unité en rejetant les accusations formulées à son encontre dans le courriel du 9 décembre 2008 et en qualifiant d’« inadmissible » la manière dont la partie requérante avait présenté les choses et d’« inapproprié » le fait de lancer « des diffamations publiques ». En outre, il informait la partie requérante qu’il avait transmis le courriel du 9 décembre 2008 à M. E et à M. D.

10      Ce même 10 décembre 2008, la partie requérante a envoyé un courriel en réponse à M. A ainsi qu’à tous les membres de son unité, en déclarant que les supérieurs hiérarchiques de M. A « [étaient] parfaitement au courant de l’affaire depuis longtemps », que lui « adresser des menaces ne change[ait] pas les faits » et que M. E avait « [d’ores et] déjà décidé […] de [lui] consacrer tout le temps nécessaire à un entretien concernant [le] comportement inconvenant [de M. A] », ajoutant que « l’ancien directeur […] a[vait] ignoré ce problème pendant très longtemps et [qu’]il sembl[ait] que cela [allait] désormais changer » (ci‑après le « courriel du 10 décembre 2008 »).

11      À la suite de ces courriels, par décision du 18 décembre 2008, le greffier de la Cour de justice, en sa qualité d’autorité investie du pouvoir de nomination (ci‑après l’« AIPN »), a réaffecté la partie requérante avec son emploi dans un autre service, avec effet au 1er janvier 2009 (ci‑après la « décision de réaffectation »). En outre, par mémorandum du 1er avril 2009, le greffier a informé la partie requérante qu’il avait décidé d’ouvrir à son égard la procédure disciplinaire prévue à l’article 11 de l’annexe IX du statut, « en vue d’imposer la sanction d’avertissement par écrit ou de blâme sans consultation du conseil de discipline ».

12      Le 2 avril 2009, la partie requérante a introduit une réclamation, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut, par laquelle elle demandait l’annulation de la décision de réaffectation, ainsi que la réparation du préjudice moral qu’elle estimait avoir subi et qu’elle évaluait à la somme de 30 000 euros.

13      Par décision du 30 juin 2009, le comité chargé des réclamations a rejeté la réclamation du 2 avril 2009 (ci‑après la « décision de rejet de la réclamation dirigée contre la décision de réaffectation »).

14      Le 10 juillet 2009, l’AIPN, a décidé d’infliger à la partie requérante la sanction de l’avertissement par écrit. La partie requérante a introduit un recours contre cette décision, lequel a été rejeté, en même temps que le recours introduit contre la décision de réaffectation, par le Tribunal par son arrêt du 5 décembre 2012, Z/Cour de justice (F‑88/09 et F‑48/10, EU:F:2012:171). Enfin, par arrêt du 19 juin 2015, Z/Cour de justice (T‑88/13 P, EU:T:2015:393, ci‑après l’« arrêt sur pourvoi »), le Tribunal de l’Union européenne a partiellement annulé l’arrêt Z/Cour de justice (EU:F:2012:171), en tant que le Tribunal a rejeté comme inopérant le moyen, présenté dans l’affaire F‑48/10, tiré de l’incompétence du comité chargé des réclamations et de l’illégalité de l’article 4 de la décision du 4 mai 2004, les autres appréciations du Tribunal non entachées par ladite erreur étant devenues définitives (arrêt sur pourvoi, point 165).

15      Le rapport de notation de la partie requérante pour l’année 2008 a été établi le 8 mars 2011 (ci‑après le « rapport de notation litigieux ») par M. A, en sa qualité de notateur de la partie requérante au titre de la période de référence. Il ressort de ce rapport que le notateur a attribué à la partie requérante la note « C », correspondant à la mention « très bien », pour la rubrique « Compétence », la note « D », correspondant à la mention « bien », pour la rubrique « Rendement », et la note « F », correspondant à la mention « insuffisant », pour la rubrique « Conduite dans le service ».

16      Sous la rubrique « Rendement » du rapport de notation litigieux figurent les observations suivantes :

« Le rendement de [la partie requérante] a baissé pendant la période de référence tout en restant globalement satisfaisant.

Contrairement à l’objectif qui lui avait été fixé pour 2008, son rendement quantitatif (du 1[er janvier] 2008 au 31 [décembre] 2008, soit dans son cas en 149,75 jours de travail effectif, elle a traduit 669 pages et révisé 369 pages) a baissé de 7,6 % par rapport à celui [de] la période de référence antérieure, déjà bas. L’objectif fixé pour l’année 2008 d’augmenter la productivité n’a pas été atteint.

La qualité du travail a été conforme à cel[le] attendu[e] d’un juriste linguiste de son expérience travaillant de manière autonome. »

17      À la rubrique « Conduite dans le service » du rapport de notation litigieux figurent les remarques suivantes :

« [La partie requérante] a montré au cours de 2008 une certaine rigidité dans la perception de sa propre charge de travail par rapport aux besoins de son équipe, ainsi qu’une attitude de contestation, non seulement des décisions prises par le responsable de son équipe, M. [C], dans l’exercice de ses fonctions, mais également des compétences et de l’honnêteté de ce dernier. De ce fait, suite à la plainte dudit responsable d’équipe, le chef d’unité a été obligé de réaffecter la [partie requérante] dans une autre équipe en juillet 2008.

Ainsi, en 2008, au lieu de contribuer de façon constante à un climat de travail favorable, [la partie requérante] a porté publiquement des accusations graves contre ses supérieurs hiérarchiques ([voir] les [courriels des] 9 et 10 décembre 2008 que [la partie requérante] a envoyé[s] à tous les collaborateurs de l’unité). »

18      Pour ce qui est de la rubrique « Appréciation d’ordre général », elle est assortie de ce commentaire :

« Force est de constater que l’objectif d’une augmentation de productivité fixé pour l’année 2008 n’a pas été atteint, la productivité ayant baissé au lieu de progresser. En raison de[s courriels] d[es] 9 et 10 décembre 2008 […] et afin d’assurer le bon fonctionnement de l’unité, qui s’est trouvé compromis à la suite de[s dits courriels], l’[AIPN] a décidé la réaffectation de [la partie requérante] à un autre service […] ».

19      Le 28 mars 2011, la partie requérante a saisi le notateur d’appel, en contestant, en substance, les notes et les appréciations indiquées sous les rubriques « Rendement » et « Conduite dans le service » ainsi que les commentaires figurant dans la rubrique « Appréciation d’ordre général ».

20      Le 28 mars 2011, la partie requérante a également demandé au président de la Cour de justice d’exclure de la procédure de notation pour l’année 2008 M. A et M. E, à savoir son notateur et son notateur d’appel, ainsi que ses anciens supérieurs hiérarchiques. Par décision du 4 juillet 2011, le président de la Cour de justice a rejeté cette demande.

21      Le 23 septembre 2011, le notateur d’appel a confirmé la notation attribuée à la partie requérante dans le rapport de notation pour l’année 2008.

22      Le 3 octobre 2011, la partie requérante a saisi le comité consultatif de notation (ci‑après le « CCN »), qui a rendu son avis le 14 mai 2012. Dans cet avis, le CCN déclarait ne pas être « en mesure de proposer une revalorisation de la note D au titre du rendement ». Pour ce qui est de la note F relative à la « Conduite dans le service », le CCN déclarait que « les représentants de l’administration et les représentants du personnel n’[avaie]nt pu que constater leurs divergences d’appréciation » et que, « [a]ucun consensus n’ayant pu se dégager, les parties s[’étaient] séparées sur un constat d’avis partagé pour la rubrique » en question. Il ressort enfin de l’avis du CCN que celui‑ci a entendu le notateur d’appel de la partie requérante pour l’interroger sur diverses questions techniques et que ce dernier, après avoir répondu, a quitté la salle sans participer aux délibérations.

23      Le 1er juin 2012, le rapport de notation définitif de la partie requérante a été arrêté par M. E, le notateur d’appel, et a été transmis à la partie requérante par mémorandum du 7 juin 2012.

24      Le 7 septembre 2012, la partie requérante a introduit, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut, une réclamation contre le rapport de notation litigieux.

25      Par décision du 21 mars 2013 notifiée à la partie requérante le lendemain, le comité chargé des réclamations a rejeté la réclamation du 7 septembre 2012 (ci‑après la « décision portant rejet de la réclamation »).

 Conclusions des parties et procédure

26      La partie requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours recevable ;

–        annuler le rapport de notation litigieux ;

–        annuler la décision portant rejet de la réclamation ;

–        condamner la Cour de justice au paiement d’une somme de 58 000 euros à titre de réparation du préjudice moral ;

–        condamner la Cour de justice à l’entièreté des dépens.

27      La Cour de justice conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la partie requérante aux dépens.

28      Par lettre du 4 novembre 2013, le greffe du Tribunal a informé les parties de la décision du Tribunal d’autoriser un deuxième échange de mémoires limité à l’exception d’irrecevabilité des conclusions indemnitaires soulevée par la Cour de justice.

29      La partie requérante n’ayant pas déposé de mémoire en réplique dans le délai imparti, par lettre du 30 janvier 2014, le greffe du Tribunal a informé les parties de la clôture de la procédure écrite.

30      Par lettre du greffe du Tribunal du 12 septembre 2014, les parties ont été convoquées à une audience fixée pour le 25 septembre suivant à 11 h 00.

31      Par télécopie reçue au greffe du Tribunal le 24 septembre 2014 à 17 h 27, Me Rollinger, avocat de la partie requérante, a demandé au Tribunal de reporter l’audience, au motif qu’il n’avait reçu la convocation que le 17 septembre 2014 et qu’il n’avait pas pu contacter la partie requérante. Cette télécopie a été suivie d’une autre télécopie reçue par le greffe du Tribunal le 25 septembre 2014 à 8 h 57, dans laquelle cet avocat expliquait que la partie requérante avait été en congé du 15 au 24 septembre 2014 et que de toute façon il était dans l’incapacité de participer à l’audience du fait qu’il devait plaider, le matin même, une affaire devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg, informations que l’avocat de la partie requérante a réitérées par une troisième télécopie parvenue au greffe du Tribunal le même jour à 10 h 21. Dans la télécopie de 8 h 57, Me Rollinger a informé le Tribunal qu’un de ses collaborateurs se rendrait à l’audience pour débattre des suites à réserver à la procédure.

32      Le Tribunal a décidé de maintenir l’audience le 25 septembre 2014 à 11 h 00, afin d’entendre les parties sur la suite à donner à la procédure. À la fin de cette audience, lors de laquelle la partie requérante a été représentée par un collaborateur de son avocat mandaté à cet effet, le Tribunal a décidé de suspendre ladite audience et de la reprendre le 30 septembre 2014 à 9 h 00 pour permettre au représentant de la partie requérante de plaider. Le Tribunal a demandé au représentant de la partie requérante de lui transmettre, dans les meilleurs délais, la preuve de la convocation de Me Rollinger à l’audience du 25 septembre 2014 au tribunal d’arrondissement de Luxembourg.

33      Par télécopie envoyée le 25 septembre 2014 à 12 h 05, Me Rollinger a transmis au Tribunal un document intitulé « Ultime injonction », daté du 28 mai 2014, par lequel le tribunal d’arrondissement de Luxembourg l’avait invité à se présenter à une audience fixée pour le 25 septembre 2014 à 9 h 30 « pour clôture et plaidoirie péremptoire ».

34      L’audience a été reprise le 30 septembre 2014 à 9 h 00. À l’ouverture des débats, la partie requérante a déposé une demande écrite de récusation des trois juges faisant partie de la formation de jugement. Le président de la deuxième chambre a donc informé les parties que cette demande allait être transmise au président du Tribunal pour décision et a levé l’audience.

35      Par décision du président du Tribunal faisant fonction du 3 décembre 2014, Z/Cour de justice, F‑64/13, la demande de récusation a été rejetée.

36      Une nouvelle audience a eu lieu le 29 janvier 2015 à 14 h 30.

 En droit

 Sur l’objet du recours

37      La partie requérante sollicite l’annulation du rapport de notation litigieux et de la décision portant rejet de la réclamation ainsi que la réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi du fait de l’établissement tardif du rapport de notation litigieux et des affirmations qui y figurent qu’elle considère injurieuses.

38      Le Tribunal examinera tout d’abord les conclusions dirigées contre le rapport de notation litigieux, ensuite les conclusions dirigées contre la décision portant rejet de la réclamation et, en dernier lieu, les conclusions indemnitaires.

 Sur les conclusions en annulation du rapport de notation litigieux

39      À l’appui de ses conclusions en annulation du rapport de notation litigieux, la partie requérante invoque trois moyens libellés de la manière suivante :

–        « a) [i]rrégularité et non[‑]validité du rapport [de notation litigieux] pour son établissement extrêmement tardif, violation des droits de la défense et du droit à une bonne administration, violation du devoir de sollicitude » ;

–        « b) [v]iolation du droit à une évaluation objective et équitable, détournement du pouvoir d’appréciation, violation des articles 11 et 22 bis[,] paragraphe 3[,] du statut […] et des articles 11 et 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, incohérence entre les notes et les commentaires, violation d[e l]’obligation de motivation, violation de l’article 2 [TUE] » ;

–        « c) [v]iolation substantielle des dispositions du guide de [la] notation […] et violation du principe de l’égalité de traitement, abus de procédure de notation […] visant à discréditer la [partie requérante] ».

40      Or, dans les développements de la requête, la partie requérante ne reprend pas textuellement les moyens susmentionnés et, pour certains d’entre eux, elle ne présente aucun argument. À la lumière de ses écrits, il y a donc lieu de considérer que, dans la requête, la partie requérante soulève en réalité six moyens, tirés, respectivement, le premier, de la tardivité de l’établissement du rapport de notation litigieux, le deuxième, de l’erreur manifeste d’appréciation, le troisième, de la violation du droit à une évaluation objective et équitable, le quatrième, du détournement de pouvoir, le cinquième, de la violation des formes substantielles ou des règles de procédure et, le sixième, de l’erreur de fait.

 Sur le premier moyen, tiré de l’établissement tardif du rapport de notation litigieux

–       Arguments des parties

41      La partie requérante souligne que selon l’article 8 des DGE « [l]e notateur établit la notation et la communique au fonctionnaire noté dans un délai de [45] jours après la fin de la période de référence ». Or, le rapport de notation litigieux aurait dû être finalisé au plus tard le 15 février 2009, alors qu’il n’a été établi que le 8 mars 2011. Ce faisant, l’AIPN aurait violé son devoir de sollicitude.

42      La Cour de justice demande au Tribunal de rejeter le premier moyen.

–       Appréciation du Tribunal

43      Le Tribunal rappelle qu’un rapport de notation ne peut être annulé, sauf circonstances exceptionnelles, pour la seule raison qu’il a été établi tardivement. En effet, si un rapport de notation pouvait être annulé au seul motif de sa tardiveté, d’une part, il deviendrait impossible d’établir un rapport valable passé un certain délai et, d’autre part, le rapport qui devrait remplacer le rapport annulé ne pourrait en aucun cas être moins tardif que celui‑ci (arrêt Liao/Conseil, T‑15/96, EU:T:1997:169, point 34).

44      Par ailleurs, si le retard dans l’établissement d’un rapport de notation ne saurait en affecter la validité ni, par conséquent, en justifier l’annulation, il est toutefois susceptible d’ouvrir, le cas échéant, un droit à réparation au profit du fonctionnaire concerné (arrêts Sequeira Wandschneider/Commission, T‑110/04, EU:T:2007:78, point 39, et N/Parlement, F‑93/08, EU:F:2009:151, point 76).

45      En l’espèce, la partie requérante ne fournit aucun élément susceptible d’établir que des circonstances exceptionnelles justifieraient l’annulation du rapport de notation litigieux.

46      En particulier, la partie requérante se limite à affirmer qu’il lui était difficile « de reconstruire en détail toutes les circonstances en relation avec les documents traduits ou révisés au cours de l’année 2008 » évoqués par sa hiérarchie dans le rapport de notation litigieux et que sa réaffectation dans un autre service l’aurait privée de l’accès au système informatique de la DG « Traduction » où auraient été stockés les documents qu’elle aurait traduits et révisés durant l’année de référence.

47      Or, le Tribunal estime, tout d’abord, que la difficulté à reconstituer des événements qui auraient eu lieu, comme en l’espèce, trois ans auparavant, à la supposer avérée, serait commune à tout retard dans le déroulement d’une procédure administrative et constate que la partie requérante n’a pas fourni à cet égard d’éléments qui permettraient en l’espèce de distinguer sa situation de celle de toute autre personne ayant dû souffrir d’un retard dans l’établissement de son rapport de notation. Quant à la réaffectation de la partie requérante, il y a lieu de souligner que cette dernière ne prétend pas avoir jamais essayé d’avoir accès aux documents sauvegardés sur le serveur de la DG « Traduction » ni qu’un tel accès lui aurait été refusé. Elle ne saurait donc valablement se plaindre dans le cadre du présent recours de ne pas avoir eu accès à ces documents.

48      Il convient, ensuite, d’observer que la partie requérante a contribué directement au retard dans l’établissement du rapport de notation litigieux. En effet, il ressort du dossier qu’elle n’a pas transmis à son notateur la page 2 du formulaire de notation, qui aurait dû être remplie par ses soins, malgré plusieurs sollicitations entre le 24 avril 2009 et le 2 février 2011. En outre, elle n’a pas répondu aux courriels de son notateur des 11 novembre 2009, 12 novembre 2009, 16 novembre 2009, 17 novembre 2010 et 18 novembre 2010 l’invitant à l’entretien de notation. Enfin, elle n’a pas non plus donné suite à l’invitation du chef de l’unité « Ressources humaines » du 21 décembre 2010 à répondre aux invitations du notateur, ni à la convocation de la part dudit chef d’unité à l’entretien de notation, transmise le 31 janvier 2011.

49      Dès lors, la circonstance que le rapport de notation litigieux ait été finalisé tardivement, notamment au regard des dispositions de l’article 8 des DGE, est sans incidence sur sa légalité.

50      Enfin, il y a lieu de constater que, en précisant ses propos lors de l’audience, la partie requérante a affirmé que la référence à la supposée violation du devoir de sollicitude ne constitue pas un grief autonome, mais une conclusion qui découlerait de l’établissement tardif du rapport de notation. Une telle conclusion ne peut qu’être écartée au vu de ce que le moyen tiré de l’établissement tardif du rapport de notation litigieux doit être rejeté.

51      Il s’ensuit que le premier moyen doit être écarté.

 Sur le deuxième moyen, tiré de l’erreur manifeste d’appréciation

–       Arguments des parties

52      La partie requérante considère « non justifiées » les notes « D » pour la rubrique « Rendement » et « F » pour la rubrique « Conduite dans le service », ainsi que les commentaires dont ces deux rubriques sont assorties.

53      En ce qui concerne en particulier la rubrique « Rendement », la partie requérante affirme que le reproche du notateur, selon lequel le nombre de pages qu’elle avait traduites aurait baissé par rapport à l’année précédente, serait « inadmissible ». En effet, elle considère que cette baisse est liée aux accusations « graves et non fondées » portées par son notateur dans le rapport de notation 2007, qui auraient « profondément affecté [ses] conditions de travail » et qui l’auraient déstabilisée. En outre, elle considère que le notateur et le notateur d’appel auraient omis d’évaluer des éléments tels que la qualité du travail, le soin apporté à l’exécution des tâches, la fiabilité ainsi que la régularité des prestations.

54      Pour ce qui est de la rubrique « Conduite dans le service », la partie requérante reproche au notateur d’avoir invoqué une plainte formulée par son ancien chef d’équipe, M. C, laquelle n’était justifiée par aucun élément de fait et avait été émise à son insu. En outre, elle conteste la remarque selon laquelle « au lieu de contribuer de façon constante à un climat de travail favorable[, elle] a porté publiquement des accusations graves contre ses supérieurs hiérarchiques », au motif que les courriels des 9 et 10 décembre 2008 formulaient des « critique[s] circonstanciée[s] et justifiée[s] du comportement du notateur ». Ensuite, elle reproche au notateur et au notateur d’appel de ne pas avoir pris en considération des éléments tels que son sens des responsabilités, son sens du travail en équipe et son sens des relations humaines. Elle considère au contraire avoir fait preuve de courage en dénonçant des pratiques s’apparentant au favoritisme, au détriment du service, et avoir démontré un esprit d’équipe ainsi qu’un sens élevé des responsabilités.

55      La Cour de justice demande au Tribunal d’écarter les arguments de la partie requérante.

–       Appréciation du Tribunal

56      Le Tribunal rappelle, à titre liminaire, qu’un large pouvoir d’appréciation est reconnu aux notateurs dans les jugements relatifs au travail des personnes qu’ils ont la charge de noter. Dès lors, le contrôle juridictionnel exercé par le juge de l’Union sur le contenu des rapports de notation est limité au contrôle de la régularité procédurale, de l’exactitude matérielle des faits, ainsi que de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation ou de détournement de pouvoir. Ainsi, il n’appartient pas au Tribunal de contrôler le bien‑fondé de l’appréciation portée par l’administration sur les aptitudes professionnelles d’un fonctionnaire lorsque cette appréciation comporte des jugements complexes de valeur qui, par leur nature même, ne sont pas susceptibles d’une vérification objective (arrêt CW/Parlement, F‑48/13, EU:F:2014:186, point 70, et la jurisprudence citée).

57      En l’espèce, pour ce qui est de la rubrique « Rendement », il y a lieu d’écarter tout d’abord l’argument de la partie requérante selon lequel la baisse de ses prestations serait due au caractère déstabilisant des commentaires figurant dans le rapport de notation pour l’année 2007. En effet, dans ledit rapport, l’AIPN se limitait à observer que, bien que la partie requérante fût « une juriste linguiste […] fourni[ssan]t un travail de qualité » et « très attachée à la qualité du travail », sa productivité se situait parmi les plus basses de son unité et elle devait améliorer ses capacités à travailler en équipe.

58      Or, premièrement, aucun commentaire figurant dans ledit rapport ne saurait être considéré comme désobligeant ou vexant à l’égard de la partie requérante, ce qui permet d’exclure que ledit rapport ait eu un caractère intrinsèquement déstabilisant au point d’affecter le rendement de la partie requérante. Deuxièmement, la partie requérante ne saurait valablement soutenir que les différentes démarches qu’elle a entreprises pour contester le rapport de notation pour l’année 2007 ont pu affecter sa productivité dans l’exercice de référence pour le rapport de notation litigieux. En effet, à supposer même qu’elle ait eu le droit d’entreprendre de telles démarches pendant son horaire de travail, celles‑ci ne pouvaient en aucun cas justifier la non‑exécution ou l’exécution partielle des tâches qui lui étaient confiées.

59      Quant à l’argument selon lequel certains éléments qualitatifs n’auraient pas été pris en considération pour l’établissement du rapport de notation litigieux, le Tribunal constate que la partie requérante n’avance aucun élément de preuve au soutien de ses affirmations. Au contraire, à la lecture du rapport de notation litigieux, il apparaît que la qualité du travail de la partie requérante, élément qui, selon le guide de la notation, comprend le soin apporté à l’exécution des tâches et la fiabilité, a bien été prise en compte et considérée « conforme à [celle] attendu[e] d’un juriste linguiste de son expérience ».

60      Pour ce qui est de la rubrique « Conduite dans le service », le Tribunal estime que le notateur n’a commis aucune erreur manifeste d’appréciation en considérant en termes négatifs l’envoi des courriels des 9 et 10 décembre 2008. En effet, comme le Tribunal l’a déjà constaté dans son arrêt Z/Cour de justice (EU:F:2012:171, point 243, non annulé par l’arrêt sur pourvoi), d’une part, l’envoi d’un courriel à tous les membres d’une unité ne constitue pas un moyen d’expression approprié, au regard de l’article 12 du statut, pour émettre des critiques constructives à l’encontre de la hiérarchie et, d’autre part, les deux courriels en cause comportent, à l’évidence, de graves accusations susceptibles de porter atteinte à la dignité ou à l’honorabilité professionnelle d’autres fonctionnaires.

61      En outre, la partie requérante n’avance aucun élément au soutien de ses affirmations selon lesquelles certaines compétences, telles que le sens des responsabilités et des relations humaines ou celle du travail en équipe, n’auraient pas été prises en considération par le notateur et le notateur d’appel. Au contraire, l’appréciation négative concernant l’envoi des courriels des 9 et 10 décembre 2008 relève bien d’un jugement sur le sens des responsabilités démontré par la partie requérante. Par ailleurs, dans le rapport de notation litigieux, figurent des remarques concernant le sens du travail en équipe de la partie requérante, à laquelle il est reproché d’« a[voir] montré […] une certaine rigidité dans la perception de sa […] charge de travail par rapport aux besoins de son équipe ».

62      Faute pour la partie requérante d’avoir démontré l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation dans le rapport de notation litigieux, le deuxième moyen ne peut qu’être écarté.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation du droit à une évaluation objective et équitable

–       Arguments des parties

63      La partie requérante considère que son chef d’unité, de même que tout autre membre de la hiérarchie de la DG « Traduction », aurait dû être exclu de la procédure ayant conduit à l’adoption du rapport de notation litigieux. Au soutien de ce moyen, elle soulève plusieurs griefs.

64      Pour ce qui est du premier grief, la partie requérante observe que, dans la décision de rejet de la réclamation dirigée contre la décision de réaffectation, le comité des réclamations a relevé que sa relation avec ses supérieurs hiérarchiques « s’était désormais à tel point détériorée qu’elle ne pouvait plus se poursuivre dans des conditions de sérénité et d’objectivité indispensables au bon fonctionnement du service ».

65      Le deuxième grief est tiré d’une violation de l’article 22 bis, paragraphe 3, et de l’article 11 bis du statut. À cet égard, la partie requérante affirme avoir signalé des irrégularités qui auraient été commises par son chef d’unité dans le recrutement d’un agent contractuel et dans la gestion du travail de cet agent et s’être plainte à plusieurs reprises de la mauvaise administration de son unité. Ces agissements l’auraient exposée à des rétorsions de la part de son chef d’unité en violation de l’article 22 bis, paragraphe 3, du statut. Par ailleurs, elle reproche à son notateur d’avoir agi en violation de l’article 11 bis du statut.

66      Le troisième grief est tiré de ce que la personne consultée par le notateur avant l’adoption du rapport de notation litigieux, à savoir le nouveau chef d’équipe auprès duquel la partie requérante était affectée depuis juillet 2008, entretenait une relation d’amitié tant avec l’agent contractuel dont la partie requérante avait mis en question le recrutement qu’avec l’époux dudit agent. Cette circonstance serait révélatrice « des attitudes du notateur et du notateur d’appel quant à leur obligation d’impartialité et [d’]objectivité ».

67      La Cour de justice demande au Tribunal de rejeter les arguments de la partie requérante.

–       Appréciation du Tribunal

68      Pour ce qui est du premier grief, le Tribunal constate que les appréciations relatives aux relations de la partie requérante avec sa hiérarchie, figurant dans la décision de rejet de la réclamation dirigée contre la décision de réaffectation, trouvent leur origine dans l’envoi des courriels des 9 et 10 décembre 2008, par lesquels la partie requérante formulait publiquement de graves accusations à l’encontre de M. A et de Mme B.

69      Ainsi, en premier lieu, il y a lieu de constater que M. E, directeur en charge de l’unité de traduction de la partie requérante et notateur d’appel, n’était pas visé par les accusations formulées par celle‑ci dans les courriels des 9 et 10 décembre 2008. Tout argument concernant un prétendu manque d’objectivité de la part de M. E fondé sur la décision de rejet de la réclamation dirigée contre la décision de réaffectation doit dès lors être écarté.

70      En deuxième lieu, le Tribunal constate que, dans la décision de rejet de la réclamation dirigée contre la décision de réaffectation, le comité des réclamations a examiné la relation entre la partie requérante et sa hiérarchie uniquement au regard des exigences de bon fonctionnement du service, et a estimé que, au vu des accusations et allusions figurant dans les courriels des 9 et 10 décembre 2008, ainsi que du fait que ces courriels avaient été envoyés à l’ensemble des collaborateurs de l’unité auprès de laquelle la partie requérante était affectée, l’AIPN ne pouvait être censurée pour avoir décidé qu’il était nécessaire, dans l’intérêt du service, d’éloigner la partie requérante de son unité. Toutefois, le comité des réclamations n’a pas mis en cause la capacité de M. A à apprécier de manière impartiale les performances et la conduite dans le service de la partie requérante pour l’année 2008, compte tenu, d’une part, de l’éloignement de celle‑ci, suite à sa réaffectation dans un autre service, dont il a été fait état au point 11 du présent arrêt, et, d’autre part, des éléments objectifs sur lesquels M. A a pu fonder les commentaires que la partie requérante conteste dans la présente affaire, lesquels ont été repris aux points 16 à 18 du présent arrêt.

71      À cet égard, le Tribunal rappelle que, selon une jurisprudence constante, si l’on ne peut exclure que des divergences entre un fonctionnaire et son supérieur hiérarchique puissent créer une certaine irritation chez le supérieur hiérarchique, cette éventualité n’implique pas, en tant que telle, que ce dernier ne soit plus en mesure d’apprécier objectivement les mérites de l’intéressé (arrêts Combescot/Commission, T‑249/04, EU:T:2007:261, point 71, et la jurisprudence citée, et Bogusz/Frontex, F‑5/12, EU:F:2013:75, point 76). Il a en outre été jugé que même le fait qu’un agent ait introduit une plainte pour harcèlement à l’encontre du fonctionnaire qui doit apprécier ses prestations professionnelles ne saurait, comme tel, en dehors de toute autre circonstance, être de nature à mettre en cause l’impartialité de la personne visée par la plainte (voir, en ce sens, arrêt BY/AESA, F‑81/11, EU:F:2013:82, point 72).

72      Par ailleurs, il y a lieu de constater que la partie requérante considère en substance que ni son chef d’unité, ni aucun membre de la hiérarchie de la DG auprès de laquelle elle était affectée, n’aurait dû participer à la procédure de notation ayant mené à l’adoption du rapport de notation litigieux. Or, accepter un tel argument conduirait à une situation dans laquelle une appréciation adéquate des prestations de la requérante et de sa conduite dans le service ne serait pas garantie. En effet, comme l’a relevé le Tribunal de première instance des Communautés européennes dans son arrêt Andrieu/Commission (T‑285/04, EU:T:2006:215, point 68), seule l’implication des supérieurs hiérarchiques dans les activités professionnelles des fonctionnaires placés sous leur autorité est de nature à leur permettre de porter l’appréciation la plus adéquate possible sur les activités des personnes exerçant sous leurs ordres.

73      Le premier grief ne saurait dès lors prospérer.

74      Quant au deuxième grief, pour ce qui est de la violation de l’article 22 bis, paragraphe 3, du statut, selon lequel le fonctionnaire qui informe ses supérieurs hiérarchiques de faits qui peuvent laisser présumer une activité illégale éventuelle dont il a eu connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ne subit aucun préjudice de la part de l’institution, pour autant qu’il ait agit de bonne foi, le Tribunal rappelle d’emblée que cette disposition n’offre pas à l’agent concerné une protection contre toute décision susceptible de lui faire grief, mais seulement contre les décisions liées aux dénonciations effectuées par ses soins (arrêt Menghi/ENISA, F‑2/09, EU:F:2010:12, point 139).

75      Ensuite, comme le Tribunal l’a déjà jugé dans son arrêt Z/Cour de justice (EU:F:2012:171, points 243, 252 et 253, non annulés par l’arrêt sur pourvoi), en envoyant les courriels des 9 et 10 décembre 2008, la partie requérante s’est placée en dehors du cadre de l’article 22 bis du statut.

76      Enfin, la partie requérante n’a fourni au Tribunal aucun élément susceptible de prouver que les notes qu’elle conteste dans le rapport de notation litigieux et les commentaires dont elles sont assorties ont un quelconque lien avec les accusations qu’elle a portées à l’encontre de sa hiérarchie. En effet, comme le Tribunal l’a constaté dans l’analyse du moyen tiré de l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation, aux points 56 à 62 du présent arrêt, ledit rapport s’appuie sur des faits concrets dont la partie requérante n’a pas pu démontrer que l’appréciation dans le rapport de notation litigieux était affectée par une erreur manifeste. En outre, les remarques négatives contenues dans ledit rapport ne sont pas formulées de façon à porter atteinte à la personnalité, la dignité ou l’intégrité de la partie requérante (voir, en ce sens, arrêt Menghi/ENISA, EU:F:2010:12, point 110).

77      Pour ce qui est de la prétendue violation de l’article 11 bis du statut, qui dispose que, dans l’exercice de ses fonctions, le fonctionnaire ne traite aucune affaire dans laquelle il a, directement ou indirectement, un intérêt personnel, et ainsi que le Tribunal l’a rappelé au point 71 du présent arrêt, des divergences, même graves comme dans le cas d’espèce, entre un fonctionnaire et son supérieur hiérarchique n’impliquent pas, en tant que telles, que ce dernier ne soit plus en mesure d’apprécier objectivement les mérites de l’intéressé. Par ailleurs, la partie requérante n’avance aucun argument permettant de démontrer que, à supposer même que son notateur, M. A, ait eu un intérêt personnel susceptible de compromettre son indépendance, un tel intérêt personnel aurait effectivement affecté son objectivité et son indépendance.

78      Le deuxième grief doit dès lors être écarté, sans qu’il soit nécessaire de prendre position sur les demandes de mesures d’instruction et de mesures d’organisation de la procédure de la partie requérante visant à établir le bien‑fondé des accusations que celle‑ci a portées à l’encontre de sa hiérarchie. En effet, cette question n’est pas pertinente s’agissant d’examiner la légalité du rapport de notation litigieux.

79      S’agissant, enfin, du troisième grief, concernant les relations d’amitié du nouveau chef d’équipe de la requérante avec l’agent dont elle avait contesté le recrutement et son époux, le Tribunal constate que les affirmations de la partie requérante relatives auxdites relations d’amitié et au fait que le notateur et le notateur d’appel en connaissaient l’existence ne sont étayées par aucun commencement de preuve. En tout état de cause, l’existence de ces liens d’amitié, à la supposer avérée, n’est pas à elle seule susceptible de démontrer que le notateur de la partie requérante ait manqué à son devoir d’objectivité en entendant le chef d’équipe de la partie requérante ni que celui‑ci n’était pas à même d’exprimer une appréciation objective sur la compétence, le rendement et la conduite dans le service de la partie requérante pendant la période de référence.

80      Il y a donc lieu d’écarter le troisième grief et, par voie de conséquence, le troisième moyen dans son ensemble.

 Sur le quatrième moyen, tiré du détournement de pouvoir

81      La partie requérante soutient, en substance, que le rapport de notation litigieux a été utilisé pour la discréditer et dégrader ses conditions de travail, dans le contexte de harcèlement moral dont elle aurait été victime de la part de son notateur, et que les remarques négatives figurant aux rubriques « Rendement » et « Conduite dans le service », ainsi que sous la rubrique « Appréciation d’ordre général », révéleraient un tel détournement de pouvoir.

82      La Cour de justice demande au Tribunal de rejeter ce moyen.

83      Le Tribunal rappelle que, selon une jurisprudence constante, une décision n’est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise pour atteindre des fins autres que celles excipées (arrêt CW/Parlement, EU:F:2014:186, point 128).

84      En l’espèce, s’agissant des notes et commentaires relatifs aux rubriques « Rendement », « Conduite dans le service » et « Appréciation d’ordre général », repris aux points 16 à 18 du présent arrêt, les éléments fournis par la partie requérante ne permettent pas, à eux seuls, de conclure à l’existence d’un détournement de pouvoir qu’aurait commis l’AIPN pour avoir fait figurer et maintenu ces remarques dans le rapport de notation litigieux.

85      En particulier, ces éléments ne permettent pas d’affirmer que l’objectif de l’AIPN aurait été de « dévaloriser » la partie requérante. En outre, il convient d’observer que, pour autant que la partie requérante se fonde sur un prétendu harcèlement dont elle aurait été victime durant l’année 2008 afin de prouver un détournement de pouvoir, prises isolément dans le contexte du rapport de notation litigieux, les remarques dont la partie requérante fait état restent dans les limites du large pouvoir d’appréciation du notateur et ne franchissent pas, en tout état de cause, la frontière de la critique désobligeante ou blessante envers la personne même de l’intéressée (voir arrêt CW/Parlement, EU:F:2014:186, point 129, et la jurisprudence citée).

86      Le quatrième moyen, tiré du détournement de pouvoir, ne saurait par conséquent prospérer.

 Sur le cinquième moyen, tiré de la violation des formes substantielles ou des règles de procédure

87      Le présent moyen est articulé en quatre griefs, tirés, le premier, de l’absence d’un entretien de notation, le deuxième, de la violation de l’obligation de motivation, le troisième de l’absence d’avertissement préalable et, le quatrième, de l’absence de visa des personnes consultées lors de la procédure d’établissement du rapport de notation litigieux.

–       Sur le premier grief, tiré de l’absence d’un entretien de notation

88      La partie requérante observe que le rapport de notation litigieux n’a pas été précédé de l’entretien de notation avec son notateur et explique qu’un tel entretien n’aurait pas pu être un dialogue sincère et approfondi comme demandé par le guide de la notation, compte tenu du fait que le notateur avait formulé des « accusations graves et non fondées » à son égard.

89      Le Tribunal rappelle d’emblée que, selon une jurisprudence constante, un rapport de notation ne peut être définitivement adopté sans que le fonctionnaire concerné se soit vu offrir la possibilité d’être utilement entendu et qu’une irrégularité de la procédure relative à l’établissement du rapport de notation constituée par l’omission du dialogue avec le fonctionnaire constitue également une violation du droit d’être entendu (voir, en ce sens, arrêt Lo Giudice/Commission, T‑27/05, EU:T:2007:321, points 46 et 47, et la jurisprudence citée).

90      En l’espèce, il ressort du dossier que la partie requérante a été invitée à sept reprises à l’entretien de notation, sans qu’elle ait jamais répondu aux invitations, ainsi qu’il ressort du point 48 du présent arrêt.

91      Il y a donc lieu de juger que la partie requérante s’est vu offrir la possibilité d’être utilement entendue avant la finalisation du rapport de notation litigieux et qu’elle a renoncé à cette possibilité.

92      Par ailleurs, la partie requérante ne saurait se prévaloir du fait de s’être soustraite à l’entretien de notation sous prétexte qu’elle craignait que ledit entretien ait pu ne pas être « sincère et approfondi » au vu de ses relations tendues avec le notateur.

93      En effet, selon une jurisprudence constante, un contact direct entre le noté et le notateur est de nature à favoriser un dialogue franc et approfondi, permettant aux intéressés, d’une part, de mesurer avec exactitude la nature, les raisons et la portée de leurs divergences éventuelles et, d’autre part, de parvenir à une meilleure compréhension réciproque (arrêt Lo Giudice/Commission, EU:T:2007:321, point 49), et à plus forte raison dans une situation où il est nécessaire de remédier à une situation personnelle très dégradée (voir, en ce sens, arrêt Ferrer de Moncada/Commission, T‑16/03, EU:T:2004:283, point 45).

94      Dans la mesure où l’absence d’un entretien de notation doit être attribuée à la requérante, le premier grief doit être écarté.

–       Sur le deuxième grief, tiré de la violation de l’obligation de motivation

95      La partie requérante considère que le rapport de notation litigieux n’est pas conforme aux exigences en matière de motivation s’agissant des commentaires sous les rubriques « Conduite dans le service » et « Appréciation d’ordre général ».

96      En particulier, la requérante prétend n’être pas en mesure de comprendre ce que le notateur lui a reproché en indiquant, dans la rubrique « Conduite dans le service », qu’elle « a[vait] montré au cours de 2008 une certaine rigidité dans la perception de sa […] charge de travail ». En outre, la requérante observe que les commentaires contestés sont dépourvus de toute référence factuelle. Enfin, elle soutient que, selon l’arrêt Ferrer de Moncada/Commission (EU:T:2004:283), « le rapport de notation doit être spécialement motivé si le notateur entend ne pas suivre [l]es recommandations du comité paritaire des notations et si l’avis de ce dernier fait état de circonstances spéciales propres à jeter le doute sur la validité ou le bien‑fondé de l’appréciation initiale » et « une motivation spéciale s’impose particulièrement dans l’hypothèse où l’établissement du rapport de notation intervient avec retard ».

97      Le Tribunal rappelle d’emblée qu’il résulte d’une jurisprudence constante que l’administration a l’obligation de motiver tout rapport de notation de façon suffisante et circonstanciée, afin de mettre l’intéressé en mesure de formuler des observations sur cette motivation, le respect de ces exigences étant d’autant plus important lorsque la notation connaît une régression par rapport à la notation antérieure (arrêts Ferrer de Moncada/Commission, EU:T:2004:283, point 53, et Nastvogel/Conseil, F‑4/10, EU:F:2011:134, point 58, et la jurisprudence citée).

98      En outre, il convient de rappeler que l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien‑fondé de la motivation, celle‑ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (ordonnance Bouillez/Conseil, T‑31/13 P, EU:T:2013:521, point 20).

99      En l’espèce, s’agissant de la rubrique « Rendement », pour justifier la note « D » le notateur a fait état, dans son commentaire, du nombre de jours travaillés par la partie requérante en 2008 et des pages qu’elle a traduites et révisées, en constatant une baisse de 7,6 % du rendement quantitatif par rapport à l’année précédant l’année de référence. Il ressort donc de ce commentaire que la note « D », par ailleurs en régression par rapport à la note « C » obtenue pour la même rubrique dans le rapport de notation pour l’année 2007, est justifiée par cette baisse de productivité et par le fait que l’objectif fixé pour 2008 d’augmenter la productivité de 2007 n’a pas été atteint. De plus, le notateur d’appel a ajouté que la production de la partie requérante pour l’année 2008, qui s’est établie à une moyenne de 5,7 pages par jour, a été « très inférieure » à la moyenne de production de l’unité, qui se situait à 7,1 pages par jour.

100    Pour ce qui est de la rubrique « Conduite dans le service », il y a lieu de constater que le commentaire du notateur fait état des courriels des 9 et 10 décembre 2008 portant publiquement des accusations graves contre ses supérieurs hiérarchiques et envoyés par la partie requérante à tous les collaborateurs de l’unité auprès de laquelle elle était affectée, ainsi qu’il a été indiqué aux points 7 et 10 du présent arrêt. En outre, s’agissant de la remarque selon laquelle la partie requérante avait montré « une certaine rigidité dans la perception de sa propre charge de travail », le notateur d’appel a précisé, dans ses commentaires, qu’elle avait demandé au chef d’unité de ne pas lui attribuer plus de 5,5 à 6 pages par jour et que cette demande démontrait une « absence de flexibilité » qui allait « à l’encontre des efforts qui sont souvent demandés aux juristes linguistes pendant les périodes de plus forte pression du travail ».

101    Il y a donc lieu de juger que le rapport de notation litigieux était suffisamment motivé pour permettre à la partie requérante de comprendre les raisons qui avaient amené le notateur à lui attribuer les notes contestées et de présenter ses observations. Par ailleurs, au vu du contenu du rapport de notation litigieux, il échet de constater que l’affirmation de la partie requérante selon laquelle les commentaires figurant dans le rapport de notation litigieux seraient « dépourvus de toute référence factuelle » manque en fait.

102    Le deuxième grief, tiré de la violation de l’obligation de motivation, doit donc être écarté.

–       Sur le troisième grief, tiré de l’absence d’avertissement préalable

103    La partie requérante fait valoir que, selon le point 7.2 du guide de la notation, la note « F » « ne devrait être attribuée qu’après qu’en cours d’exercice l’attention du noté ait été attirée sur les défaillances manifestées […] ». Toutefois, elle soutient n’avoir reçu, pendant l’exercice de référence, aucun avertissement de la part de son notateur et de son notateur d’appel quant aux défaillances qui auraient justifié la note « F » sous la rubrique « Conduite dans le service ».

104    Le Tribunal constate, d’emblée, que la référence à l’avertissement préalable a été introduite pour la première fois par la modification du guide de la notation approuvée par le greffier de la Cour de justice le 26 janvier 2011, soit postérieurement à la fin de la période de référence. Une telle exigence n’existait donc pas dans la version du guide de la notation applicable au rapport de notation litigieux, à savoir la version qui ressort de la modification approuvée le 9 mars 2006. Par conséquent, le grief fondé sur la méconnaissance du guide de la notation, dans sa version du 26 janvier 2011, ne saurait prospérer.

105    Par ailleurs, interrogée lors de l’audience sur l’applicabilité de la version du guide de la notation approuvée le 26 janvier 2011 au présent litige, la partie requérante a reconnu que celle‑ci n’était pas pertinente, mais elle a affirmé que l’exigence d’attirer l’attention du fonctionnaire concerné avant de lui attribuer la note « F » découlerait du principe de bonne administration. Or, la partie requérante a évoqué la violation éventuelle du principe de bonne administration pour la première fois à l’audience même. Ce grief ne se fondant pas sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure, il doit être déclaré irrecevable en application de l’article 56, paragraphe 1, du règlement de procédure (arrêt Rossi Ferreras/Commission, F‑85/09, EU:F:2010:100, point 65).

106    En toute hypothèse, le Tribunal constate que M. A a attiré l’attention de la partie requérante sur ses défaillances en réagissant au courriel du 9 décembre 2008 par un courriel du 10 décembre 2008, par lequel il qualifiait d’« inadmissible » la manière dont la partie requérante avait présenté la situation au sein de son unité et d’« inapproprié » le fait de lancer des accusations publiques, ce qui revenait, dans les circonstances de l’espèce, à un avertissement au sens du guide de la notation.

107    Le troisième grief doit dès lors être écarté comme dépourvu de tout fondement en droit.

–       Sur le quatrième grief, tiré de l’absence de visa dans le rapport de notation litigieux

108    La partie requérante observe que le rapport de notation litigieux ne contient pas le visa de la personne ayant été consultée, alors qu’un tel visa serait imposé par la jurisprudence et serait nécessaire pour permettre au noté de prendre connaissance de l’identité de cette personne et d’exercer ses droits de la défense.

109    Le Tribunal constate qu’aucune disposition du statut ou des DGE n’impose aux personnes entendues par le notateur lors de la procédure d’établissement d’un rapport de notation de signer ou de parapher ledit rapport ou même d’y apposer leur visa.

110    Par ailleurs, la partie requérante ne saurait se prévaloir de l’arrêt McAuley/Conseil (T‑165/01, EU:T:2003:225). En effet, cet arrêt a été prononcé dans un contexte différent, dans lequel l’AIPN concernée s’était écartée sans motif d’une disposition interne qui, à la différence des DGE, imposait aux personnes consultées d’apposer leur visa sur le rapport de notation.

111    Enfin, force est de constater que la partie requérante avait parfaitement connaissance de l’identité de la personne consultée par le notateur, à savoir son dernier chef d’équipe, puisque le nom de ce dernier figure dans le rapport de notation litigieux avec la date de l’entretien ou de la consultation de celui‑ci.

112    Il y a donc lieu d’écarter le quatrième grief comme étant dépourvu de tout fondement en droit et, par voie de conséquence, de rejeter le cinquième moyen dans son ensemble.

 Sur le sixième moyen, tiré de l’erreur de fait

113    La partie requérante fait valoir que, dans le rapport de notation litigieux, il est indiqué qu’elle était affectée, en date du 31 décembre 2008, auprès du service auquel elle a été mutée par la décision du 18 décembre 2008, alors qu’elle a travaillé pendant toute l’année 2008 à la DG « Traduction ». Cette indication matériellement erronée serait suffisante, à son avis, pour justifier l’annulation du rapport de notation litigieux qui devrait être considéré comme « un faux ».

114    Le Tribunal estime cependant que, comme l’indique la Cour de justice, la mention erronée figurant dans le rapport de notation litigieux n’est autre qu’une faute de plume qui n’affecte en rien la validité du rapport de notation. Il suffit à cet égard de constater que le rapport de notation litigieux se réfère exclusivement aux prestations que la partie requérante a effectuées en tant que juriste linguiste à la DG « Traduction », sans jamais mentionner les tâches qu’elle exerce depuis le 1er janvier 2009 dans le service auprès duquel elle a été mutée.

115    Le sixième moyen doit dès lors être écarté comme étant manifestement dépourvu de tout fondement en fait.

116    Il s’ensuit que les conclusions en annulation dirigées contre le rapport de notation litigieux doivent être rejetées dans leur ensemble.

 Sur les conclusions en annulation de la décision portant rejet de la réclamation

117    En premier lieu, la partie requérante considère que la décision portant rejet de la réclamation devrait être annulée, car elle aurait été adoptée par le comité chargé des réclamations de la Cour de justice dont la composition serait irrégulière.

118    À cet égard, elle fait valoir, premièrement, que l’article 4 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne dispose que « [l]es juges ne peuvent exercer aucune fonction politique ou administrative ». Deuxièmement, elle invoque l’article 12 du statut de la Cour, duquel il ressort que les fonctionnaires et autres agents attachés à la Cour de justice « relèvent du greffier sous l’autorité du président », de sorte que seuls le greffier et le président de la Cour de justice pourraient agir en qualité d’AIPN. Troisièmement, elle prétend que l’article 4 de la décision du 4 mai 2004, qui dispose que « [l]e [c]omité chargé des réclamations exerce les pouvoirs dévolus par le statut à l’[AIPN] » en ce qui concerne les décisions sur les réclamations, est contraire à l’article 2, paragraphe 1, du statut, qui prévoit que chaque institution détermine les autorités qui exercent en son sein les pouvoirs dévolus par ledit statut à l’AIPN, lu en combinaison avec les articles 4 et 12 du statut de la Cour, ainsi qu’avec l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Par ailleurs, elle soutient que le statut de la Cour ne permet ni au greffier ni au président de la Cour de justice de déléguer les pouvoirs de l’AIPN qui leur sont confiés. Enfin, selon la requérante, les décisions du comité chargé des réclamations s’apparentent à des jugements que les juges du Tribunal pourraient se sentir obligés de suivre.

119    Au surplus, la requérante fait valoir qu’en communiquant des données personnelles la concernant à des personnes non autorisées à les recevoir, en l’espèce les membres du comité chargé des réclamations, l’AIPN aurait commis une erreur de procédure, en méconnaissance de l’article 8 de la Charte, susceptible de vicier la légalité de la décision portant rejet de la réclamation.

120    Le Tribunal constate d’emblée que la partie requérante se contente de rappeler le contenu de l’article 4, premier alinéa, du statut de la Cour, aux termes duquel « [l]es juges ne peuvent exercer aucune fonction politique ou administrative », et d’affirmer que, à l’exception du président de la Cour de justice, les autres juges et les avocats généraux ne peuvent exercer aucune fonction administrative et, notamment, agir en qualité d’AIPN dans le cadre d’un comité chargé des réclamations. Aucune argumentation juridique ne vient étayer cette affirmation. Or, le Tribunal rappelle que l’article 4, premier alinéa, du statut de la Cour vise à assurer l’indépendance des juges, tant pendant qu’après l’exercice de leurs fonctions, à l’égard notamment des États membres ou des autres institutions de l’Union. La partie requérante ne saurait toutefois inférer de l’article 4, premier alinéa, du statut de la Cour une impossibilité d’exercer des fonctions relatives à l’administration interne de l’institution. En effet, l’exercice par les juges de telles fonctions ne porte pas préjudice à leur indépendance et permet d’assurer l’autonomie administrative de l’institution (voir arrêt sur pourvoi, point 167).

121    En outre, la partie requérante se borne à affirmer que, eu égard à l’article 12 du statut de la Cour, qui dispose que les fonctionnaires et agents attachés à la Cour de justice « relèvent du greffier sous l’autorité du président », seuls le greffier et le président de la Cour de justice peuvent exercer les pouvoirs dévolus par le statut à l’AIPN. Elle ne démontre pas davantage la compatibilité de son interprétation de l’article 12 du statut de la Cour, comme réservant au greffier et au président de la Cour l’exercice des pouvoirs dévolus à l’AIPN, avec l’article 2, paragraphe 1, du statut, qui prévoit que chaque institution détermine les autorités qui exercent en son sein les pouvoirs dévolus par le statut à l’AIPN. Elle se contente en effet d’affirmer que l’article 2, paragraphe 1, du statut ne peut, en ce qui concerne la Cour de justice, qu’être lu en combinaison avec les articles 4 et 12 du statut de la Cour (voir arrêt sur pourvoi, point 168).

122    Enfin, il y a lieu de rappeler que, lorsqu’ils décident sur un litige porté devant le Tribunal, les membres de cette juridiction agissent en leur qualité de juge et dans la pleine indépendance de l’exercice de leurs fonctions garantie tant par les traités, notamment par le quatrième alinéa de l’article 257 TFUE, que par le statut de la Cour. Dans ces circonstances, le « risque […] [d’]impact psychologique important sur les juges de la juridiction inférieure » que la partie requérante prétend voir dans les arrangements pour le traitement des réclamations au sein de la Cour de justice relève de la pure spéculation.

123    Dans ces conditions, la partie requérante ne saurait valablement soutenir, sans autre démonstration à l’appui, que l’article 4 de la décision du 4 mai 2004, aux termes duquel le comité chargé des réclamations exerce les pouvoirs dévolus par le statut à l’AIPN en ce qui concerne les décisions sur les réclamations, est contraire à l’article 2, paragraphe 1, du statut, lu en combinaison avec les articles 4 et 12 du statut de la Cour (voir arrêt sur pourvoi, point 169).

124    Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l’incompétence du comité chargé des réclamations et de l’illégalité de l’article 4 de la décision du 4 mai 2004 doit être rejeté.

125    Pour ce qui est enfin du moyen tiré de ce que l’AIPN aurait transmis au comité chargé des réclamations des données personnelles en violation de l’article 8 de la Charte, il suffit d’observer que ce moyen se fonde sur la prémisse que le comité chargé des réclamations n’était pas compétent pour statuer sur la réclamation de la partie requérante. Cette prémisse étant erronée, ainsi que le Tribunal l’a jugé aux points 120 et 124 du présent arrêt, il y a lieu de rejeter ce moyen. En tout état de cause, à supposer que l’AIPN ait commis une quelconque illégalité en transmettant au comité chargé des réclamations ses données à caractère personnel, la requérante n’avance aucun argument pour expliquer pour quelle raison une telle irrégularité devrait entraîner l’illégalité de la décision portant rejet de la réclamation.

126    Il y a donc lieu de rejeter les conclusions dirigées contre la décision portant rejet de la réclamation.

 Sur les conclusions indemnitaires

127    La partie requérante demande la réparation du préjudice moral résultant, d’une part, des allégations blessantes ainsi que des notes et appréciations à son avis dévalorisantes et non justifiées figurant dans le rapport de notation litigieux et, d’autre part, du retard dans l’établissement dudit rapport. Selon la partie requérante, ce préjudice devrait être évalué ex æquo et bono à la somme de 50 000 euros pour le contenu du rapport de notation litigieux et à la somme de 8 000 euros pour le retard dans son établissement.

128    En ce qui concerne le préjudice que la partie requérante aurait subi en raison du contenu du rapport de notation litigieux, la demande indemnitaire se fonde sur les mêmes arguments que ceux développés dans le cadre de la demande en annulation dudit rapport de notation. Cette demande indemnitaire étant étroitement liée à la demande en annulation qui a été rejetée, il y a lieu de rejeter également la demande indemnitaire.

129    Pour ce qui est du préjudice lié au retard dans l’établissement du rapport de notation litigieux, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le retard dans l’établissement d’un rapport de notation ne constitue pas un acte faisant grief, mais une faute de service (arrêt Ianniello/Commission, T‑308/04, EU:T:2007:347, point 100, et la jurisprudence citée).

130    Or, lorsqu’un fonctionnaire demande à être indemnisé à la suite d’un préjudice qu’il estime avoir subi en l’absence d’acte faisant grief, il doit engager la procédure en introduisant auprès de l’AIPN une demande au titre de l’article 90, paragraphe 1, du statut, dont le rejet éventuel constituera une décision lui faisant grief contre laquelle il pourra introduire une réclamation, laquelle pourra, le cas échéant, faire l’objet d’un recours en annulation ou d’un recours en indemnité (arrêt Ianniello/Commission, EU:T:2007:347, point 98, et la jurisprudence citée).

131    En l’espèce, il est constant que la partie requérante n’a pas introduit de demande autonome à cet effet.

132    Il s’ensuit que les conclusions en indemnité fondées sur le prétendu retard dans l’établissement dudit rapport doivent être rejetées comme étant irrecevables, la procédure précontentieuse prescrite par le statut n’ayant pas été respectée.

133    Par conséquent, la demande indemnitaire doit être rejetée dans son ensemble.

134    Au vu des considérations qui précèdent, le recours doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur les dépens

135    Aux termes de l’article 101 du règlement de procédure, sous réserve des autres dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, toute partie qui succombe supporte ses propres dépens et est condamnée aux dépens exposés par l’autre partie, s’il est conclu en ce sens. En vertu de l’article 102, paragraphe 1, du même règlement, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe supporte ses propres dépens, mais n’est condamnée que partiellement aux dépens exposés par l’autre partie, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.

136    Il résulte des motifs énoncés dans le présent arrêt que la partie requérante a succombé en son recours. En outre, la Cour de justice a, dans ses conclusions, expressément demandé que la partie requérante soit condamnée aux dépens. Les circonstances de l’espèce ne justifiant pas l’application des dispositions de l’article 102, paragraphe 1, du règlement de procédure, la partie requérante doit supporter ses propres dépens et est condamnée à supporter les dépens exposés par la Cour de justice.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Z supporte ses propres dépens et est condamnée à supporter les dépens exposés par la Cour de justice de l’Union européenne.

Rofes i Pujol

Bradley

Svenningsen

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 juin 2015.

Le greffier

 

       Le président

W. Hakenberg

 

       K. Bradley


* Langue de procédure : le français.