Language of document : ECLI:EU:T:2023:425

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

26 juillet 2023 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Maintien du nom du requérant sur la liste – Obligation du Conseil de vérifier que la décision d’une autorité d’un État tiers a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective »

Dans l’affaire T‑244/22,

Viktor Pavlovych Pshonka, demeurant à Kiev (Ukraine), représenté par Me M. Mleziva, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. R. Pekař et A. Boggio-Tomasaz, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. D. Spielmann, président, R. Mastroianni (rapporteur) et Mme M. Brkan, juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Viktor Pavlovych Pshonka, demande l’annulation de la décision (PESC) 2022/376 du Conseil, du 3 mars 2022, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2022, L 70, p. 7), et du règlement d’exécution (UE) 2022/375 du Conseil, du 3 mars 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2022, L 70, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »), dans la mesure où ces actes maintiennent son nom sur la liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives.

 Antécédents du litige

2        La présente affaire s’inscrit dans le cadre du contentieux lié aux mesures restrictives adoptées à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, à la suite de la répression des manifestations de la place de l’Indépendance à Kiev (Ukraine) en février 2014.

3        Le requérant a occupé les fonctions de procureur général d’Ukraine.

4        Le 5 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2014/119/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 26). À la même date, le Conseil a adopté le règlement (UE) no 208/2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 1).

5        Les considérants 1 et 2 de la décision 2014/119 précisent ce qui suit :

« (1)      Le 20 février 2014, le Conseil a condamné dans les termes les plus fermes tout recours à la violence en Ukraine. Il a demandé l’arrêt immédiat de la violence en Ukraine et le plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il a demandé au gouvernement ukrainien de faire preuve d’une extrême retenue et aux responsables de l’opposition de se désolidariser de ceux qui mènent des actions extrêmes, et notamment recourent à la violence.

(2)      Le 3 mars 2014, le Conseil [est] convenu d’axer les mesures restrictives sur le gel et la récupération des avoirs des personnes identifiées comme étant responsables du détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien, et des personnes responsables de violations des droits de l’homme, en vue de renforcer et de soutenir l’[É]tat de droit et le respect des droits de l’homme en Ukraine. »

6        L’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/119 dispose ce qui suit :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et à des personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’à des personnes physiques ou morales, à des entités ou à des organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

2.      Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

7        Les modalités de ce gel des fonds sont définies à l’article 1er, paragraphes 3 à 6, de la décision 2014/119.

8        Conformément à la décision 2014/119, le règlement no 208/2014 impose l’adoption des mesures restrictives en cause et définit les modalités de celles-ci en des termes identiques, en substance, à ceux de ladite décision.

9        Les noms des personnes visées par la décision 2014/119 et par le règlement no 208/2014 (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2014 ») sont inscrits sur la liste figurant à l’annexe de ladite décision et à l’annexe I dudit règlement (ci-après la « liste ») avec, notamment, la motivation de leur inscription.

10      Le nom du requérant apparaissait sur la liste avec les informations d’identification « ancien procureur général de l’Ukraine » et avec la motivation suivante :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale en Ukraine visant à ce qu’une enquête soit menée sur des infractions liées au détournement de fonds publics ukrainiens et à leur transfert illégal hors d’Ukraine. »

11      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 mai 2014, le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑381/14, visant, notamment, à l’annulation des actes de mars 2014, en ce qu’ils le visaient.

12      Le 29 janvier 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/143, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 24, p. 16), et le règlement (UE) 2015/138, modifiant le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 24, p. 1).

13      La décision 2015/143 a modifié, à partir du 31 janvier 2015, les critères d’inscription des personnes visées par le gel des fonds, le texte de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119 étant remplacé par le texte suivant :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes ayant été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et aux personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’aux personnes physiques ou morales, aux entités ou aux organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

Aux fins de la présente décision, les personnes identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien incluent des personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes :

a)       pour détournement de fonds ou d’avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel détournement ; ou

b)       pour abus de pouvoir en qualité de titulaire de charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour les fonds ou avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel abus. » 

14      Le règlement 2015/138 a modifié de façon similaire le règlement no 208/2014.

15      Le 5 mars 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/364, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 62, p. 25), et le règlement d’exécution (UE) 2015/357, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 62, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2015 »). La décision 2015/364 a, d’une part, remplacé l’article 5 de la décision 2014/119, en prorogeant l’application des mesures restrictives en cause, en ce qui concernait le requérant, jusqu’au 6 mars 2016, et, d’autre part, remplacé l’annexe de cette dernière décision. Le règlement d’exécution 2015/357 a remplacé en conséquence l’annexe I du règlement no 208/2014.

16      Par les actes de mars 2015, le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec les informations d’identification « ancien procureur général de l’Ukraine » et la nouvelle motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics. »

17      Le requérant n’a pas formé de recours à l’encontre des actes de mars 2015.

18      Le 4 mars 2016, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2016/318, modifiant la décision 2014/119 (JO 2016, L 60, p. 76), et le règlement d’exécution (UE) 2016/311, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2016, L 60, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2016 »).

19      Par les actes de mars 2016, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée à l’égard du requérant jusqu’au 6 mars 2017, et ce sans que la motivation de la désignation de celui-ci ait été modifiée par rapport à celle issue des actes de mars 2015.

20      Le requérant n’a pas formé de recours à l’encontre des actes de mars 2016.

21      Par ordonnance du 10 juin 2016, Pshonka/Conseil (T‑381/14, EU:T:2016:361), prise sur le fondement de l’article 132 de son règlement de procédure, le Tribunal a fait droit au recours mentionné au point 11 ci-dessus, en le déclarant manifestement fondé et en annulant donc les actes de mars 2014, en ce qu’ils visaient le requérant.

22      Le 3 mars 2017, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2017/381, modifiant la décision 2014/119 (JO 2017, L 58, p. 34), et le règlement d’exécution (UE) 2017/374, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2017, L 58, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2017 »).

23      Par les actes de mars 2017, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée à l’égard du requérant jusqu’au 6 mars 2018, et ce sans que la motivation de la désignation de celui-ci ait été modifiée par rapport à celle issue des actes de mars 2015.

24      Le requérant n’a pas formé de recours à l’encontre des actes de mars 2017.

25      Le 5 mars 2018, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2018/333, modifiant la décision 2014/119 (JO 2018, L 63, p. 48), et le règlement d’exécution (UE) 2018/326, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2018, L 63, p. 5) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2018 »).

26      Par les actes de mars 2018, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée à l’égard du requérant jusqu’au 6 mars 2019, et ce sans que la motivation de la désignation de celui-ci ait été modifiée par rapport à celle issue des actes de mars 2015.

27      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 mai 2018, le requérant a introduit un recours enregistré sous le numéro d’affaire T‑285/18, tendant, notamment, à l’annulation des actes de mars 2018, en ce qu’ils le visaient.

28      Le 4 mars 2019, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2019/354, modifiant la décision 2014/119 (JO 2019, L 64, p. 7), et le règlement d’exécution (UE) 2019/352, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2019, L 64, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2019 »).

29      Par les actes de mars 2019, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée à l’égard du requérant jusqu’au 6 mars 2020 et le nom de celui-ci a été maintenu sur la liste, avec la même motivation que celle rappelée au point 16 ci-dessus, assortie d’une précision concernant le respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’était fondé.

30      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 3 mai 2019, le requérant a introduit un recours enregistré sous le numéro d’affaire T‑291/19, tendant, notamment, à l’annulation des actes de mars 2019, en ce qu’ils le visaient.

31      Par arrêt du 11 juillet 2019, Pshonka/Conseil (T‑285/18, non publié, EU:T:2019:512), le Tribunal a annulé les actes de mars 2018 en ce qu’ils visaient le requérant.

32      Le 5 mars 2020, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2020/373, modifiant la décision 2014/119 (JO 2020, L 71, p. 10), et le règlement d’exécution (UE) 2020/370, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2020, L 71, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2020 »).

33      Par les actes de mars 2020, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée jusqu’au 6 mars 2021 et le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec la même motivation que celle rappelée au point 16 ci-dessus, assortie d’une précision concernant le respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’était fondé. 

34      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 mai 2020, le requérant a introduit un recours enregistré sous le numéro d’affaire T‑269/20, tendant, notamment, à l’annulation des actes de mars 2020, en ce qu’ils le visaient.

35      Par arrêt du 23 septembre 2020, Pshonka/Conseil (T‑291/19, non publié, EU:T:2020:448), le Tribunal a annulé les actes de mars 2019 en ce qu’ils visaient le requérant.

36      Le 4 mars 2021, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2021/394, modifiant la décision 2014/119 (JO 2021, L 77, p. 29), et le règlement d’exécution (UE) 2021/391, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2021, L 77, p. 2) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2021 »).

37      Par les actes de mars 2021, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée jusqu’au 6 mars 2022 et le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec la même motivation que celle rappelée au point 16 ci-dessus, assortie d’une précision concernant le respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’était fondé.

38      Par arrêt du 7 juillet 2021, Pshonka/Conseil (T‑269/20, non publié, EU:T:2021:419), le Tribunal a annulé les actes de mars 2020, en ce qu’ils visaient le requérant.

39      Entre les mois de novembre 2021 et de janvier 2022, le Conseil et le requérant ont échangé plusieurs courriers au sujet de la possible prorogation des mesures restrictives en cause à l’égard de ce dernier. En particulier, le Conseil a transmis au requérant plusieurs lettres du bureau du procureur général d’Ukraine (ci-après le « BPG ») et du bureau national ukrainien de lutte contre la corruption (ci-après le « bureau national anticorruption »), incluant, notamment, des décisions du juge d’instruction de la Haute Cour anticorruption d’Ukraine (ci-après la « Haute Cour anticorruption »), concernant, notamment, la procédure pénale dont il faisait l’objet et sur laquelle le Conseil se fondait pour envisager ladite prorogation.

40      Le 3 mars 2022, le Conseil a adopté les actes attaqués, par lesquels l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée, en ce qui concerne le requérant, jusqu’au 6 septembre 2022 et le nom de celui-ci a été maintenu sur la liste, avec la même motivation que celle rappelée au point 16 ci-dessus. Par ailleurs, l’annexe de la décision 2014/119 et l’annexe I du règlement no 208/2014 sont subdivisées en deux sections, dont la seconde a été intitulée « Droits de la défense et droit à une protection juridictionnelle effective ». Dans cette section figure, s’agissant du requérant, la mention suivante :

« La procédure pénale relative au détournement de fonds ou d’avoirs publics est toujours en cours. Il ressort des informations figurant dans le dossier du Conseil que les droits de la défense [du requérant] et son droit à une protection juridictionnelle effective, y compris le droit fondamental à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable par une juridiction indépendante et impartiale, ont été respectés au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’est fondé. En témoigne notamment la décision de la Haute Cour anticorruption [...] du 2 octobre 2020, qui a rejeté le recours présenté par les avocats [du requérant] tendant à l’annulation de l’avis de suspicion daté du 22 décembre 2014. La Cour a conclu que l’avis de suspicion avait été notifié conformément au code de procédure pénale ukrainien et a confirmé le statut de suspect [du requérant] dans le cadre de la procédure pénale. En outre, le 7 mai 2020 et le 9 novembre 2020, la Haute Cour anticorruption [...] a rejeté une demande d’ouverture d’une procédure introduite sur la base d’une plainte déposée par des avocats concernant le bureau national [anticorruption] pour inaction dans la procédure pénale. La chambre d’appel de la Haute Cour anticorruption a confirmé ces décisions le 1er juin 2020 et le 26 novembre 2020 respectivement. Par ailleurs, le 16 février 2021, la Haute Cour anticorruption [...] a rejeté le recours des avocats visant à annuler la résolution du 14 janvier 2021 du bureau national [anticorruption] concernant la suspension de l’enquête préliminaire. Dans cette décision, la Cour a confirmé le statut de suspect [du requérant]. En outre, le 11 mars 2021, la Haute Cour anticorruption [...] a rejeté la plainte des avocats [du requérant] concernant l’inaction du procureur. Le Conseil dispose d’informations selon lesquelles les autorités ukrainiennes ont pris des mesures pour faire rechercher [le requérant]. Le 24 juillet 2020, une demande d’entraide judiciaire internationale a été adressée aux autorités compétentes de la Fédération de Russie afin d’établir le lieu où se trouve [le requérant] et de l’interroger. Cette demande a été rejetée par la Russie. Précédemment, les autorités russes avaient rejeté les demandes d’entraide judiciaire internationale qui leur avaient été adressées en 2016 et 2018. Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le Conseil estime que les périodes au cours desquelles [le requérant] s’est soustrait à l’enquête doivent être exclues du calcul de la période à prendre en considération pour apprécier le respect du droit à un procès dans un délai raisonnable. Le Conseil considère par conséquent que les circonstances décrites dans la décision de la Haute Cour anticorruption imputées [au requérant] ainsi que la non- exécution préalable des demandes d’entraide judiciaire internationale ont contribué de manière significative à la durée de l’enquête. »

41      Par courrier du 4 mars 2022, le Conseil a informé le requérant du maintien des mesures restrictives en cause à son égard. Il a répondu aux observations du requérant formulées dans ses correspondances du 13 décembre 2021 et du 18 janvier 2022 et lui a transmis les actes attaqués. En outre, il lui a indiqué le délai pour présenter des observations avant l’adoption d’une décision concernant l’éventuel maintien de son nom sur la liste.

 Faits postérieurs à l’introduction du présent recours

42      Le 9 septembre 2022, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2022/1507, modifiant la décision 2014/119 (JO 2022, L 235, p. 32), et le règlement d’exécution (UE) 2022/1501, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2022, L 235, p. 1), par lesquels, sur la base d’un réexamen, ont été supprimées de la liste, notamment, les mentions relatives au requérant.

43      Par arrêt du 21 décembre 2022, Pshonka/Conseil (T‑243/21, non publié, EU:T:2022:840), le Tribunal a annulé les actes de mars 2021, en ce qu’ils visaient le requérant.

 Conclusions des parties

44      Le requérant conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués, en ce qu’ils le concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

45      Le Conseil conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        à titre subsidiaire, si les actes attaqués devaient être annulés en ce qu’ils concernent le requérant, ordonner le maintien des effets de la décision 2022/376 jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2022/375 prenne effet ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

46      Bien que la requête ne soit pas explicitement structurée par moyens, il convient de considérer que le requérant invoque à l’appui de son recours, en substance, cinq moyens. Le premier est tiré d’une violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective. Le deuxième est tiré d’une erreur d’appréciation en ce que, avant d’adopter les actes attaqués, le Conseil n’aurait pas demandé aux autorités ukrainiennes des informations complémentaires. Le troisième est tiré d’une erreur d’appréciation en ce que le Conseil n’aurait pas tenu compte de l’absence de progrès dans le cadre de la procédure pénale concernant le requérant. Le quatrième est pris d’une violation des droits fondamentaux du requérant et s’articule, en substance, en trois branches, tirées, la première, de la violation du principe de la présomption d’innocence, la deuxième, de la violation de son droit de propriété et, la troisième, de son droit au respect de la vie privée et familiale. Enfin, le cinquième moyen est tiré de l’absence de motifs juridiques pour l’adoption des actes attaqués.

47      Il convient d’examiner, ensemble, les premier et troisième moyens, par lesquels le requérant reproche, notamment, au Conseil de ne pas avoir vérifié, au moment de l’adoption des actes attaqués, le respect, par les autorités ukrainiennes, de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective, y compris le droit à être jugé dans un délai raisonnable, ce dont il résulterait, en substance, une erreur d’appréciation commise par le Conseil lors de l’adoption des actes attaqués.

48      Le requérant estime que le Conseil n’a pas tenu compte de la violation de ses droits dans le cadre de la procédure pénale sur laquelle il a fondé les mesures restrictives en cause. Selon lui, le Conseil a décidé à tort de proroger ces mesures sur le fondement des informations émanant des autorités ukrainiennes au regard de l’enquête menée contre lui dans le cadre de la procédure pénale no [confidentiel](1) (ci-après la « procédure [confidentiel] »), du 30 avril 2015, qui a été séparée de la procédure pénale n[confidentiel], du 22 avril 2014, pour détournement de fonds publics destinés à des travaux de réparation et de reconstruction de bâtiments administratifs du parquet général d’Ukraine.

49      Selon le requérant, la législation et la pratique récentes de l’Ukraine en matière de procédure pénale ne permettant pas à la personne poursuivie de protéger efficacement ses droits, il se serait adressé, d’abord, au parquet spécial anticorruption du BPG pour obtenir l’annulation des décisions du BPG relatives au mandat d’arrêt émis à son encontre ainsi que de celles visant la réalisation d’autres actes pris dans le cadre de la procédure [confidentiel]. À la suite du rejet de cette demande, le requérant aurait déposé une plainte contre le procureur, qui aurait été toutefois rejetée par la Haute Cour anticorruption au motif qu’il n’avait pas le droit d’introduire une telle action. Ladite Cour aurait également rejeté le recours formé par le requérant contre l’acte d’accusation au motif que la procédure [confidentiel] avait été ouverte et enregistrée dans le registre unique des procédures d’instruction avant mars 2018, alors que les nouvelles dispositions du code de procédure pénale ukrainien (ci-après le « code de procédure pénale ») n’ouvrent le droit d’introduire une action que contre les actes d’accusation enregistrés postérieurement au 16 mars 2018. Le requérant aurait donc été privé, en substance, de son droit à une protection juridictionnelle effective et les renvois effectués par les actes attaqués aux décisions de la Haute Cour anticorruption et de sa chambre d’appel ne remettraient pas en cause cette conclusion.

50      En premier lieu, le requérant fait tout d’abord valoir que les décisions de la Haute Cour anticorruption le concernant n’ont pas respecté ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective. Ainsi les motifs de ces décisions le qualifiant d’accusé seraient irréguliers, dès lors qu’il aurait été privé du droit de contester l’acte d’accusation adopté illégalement en 2014. La violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant résulterait également de ce que, pendant toute la durée de l’enquête menée dans le cadre de la procédure [confidentiel], le tribunal de district de Petchersk à Kiev aurait fait droit à des demandes de l’enquêteur de le placer en détention sans la participation de ses avocats, mais en présence du procureur, ce qui aurait porté gravement atteinte, notamment, au principe d’égalité des armes, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH »). De plus, le requérant n’aurait pas reçu de copies des décisions dudit tribunal ni eu la possibilité de les contester en justice.

51      Ensuite, le requérant reproche au Conseil de ne pas avoir tenu compte des éléments qu’il lui avait apportés démontrant l’existence d’autres violations de ses droits lors de l’enquête menée contre lui dans le cadre de la procédure [confidentiel]. Premièrement, il soutient ne pas avoir reçu l’avis de suspicion, en méconnaissance des dispositions du code de procédure pénale, ce qui constituerait une violation grave de ses droits de la défense et emporterait l’illégalité de toutes les décisions postérieures prises par l’enquêteur, le procureur et le tribunal le concernant. Deuxièmement, il fait valoir que la durée maximale de ladite enquête a été largement dépassée et que, de ce fait, tout acte d’investigation effectué au-delà du délai de douze mois fixé pour mener l’enquête serait nul et les preuves qui en découleraient irrecevables. Troisièmement, il argue que le BPG a suspendu illégalement l’enquête préliminaire dans le cadre de la procédure [confidentiel], en continuant d’enquêter sur les mêmes faits dans le cadre d’une autre procédure pénale à laquelle ses avocats n’ont toutefois pas pu participer. Quatrièmement, il fait observer que, comme cela a été constaté par le juge d’instruction du tribunal de district de Petchersk à Kiev, le BPG a utilisé des méthodes d’enquête illégales visant à obtenir des preuves de son implication dans le détournement de fonds publics.

52      En outre, il fait valoir qu’il ne s’est jamais caché des autorités ukrainiennes, qu’il a été contraint de quitter son domicile en Ukraine en raison d’une menace réelle et toujours d’actualité pesant sur sa vie ainsi que sur celle des membres de sa famille, ce qui n’aurait pas été contesté par le Conseil, et que le fait que les autorités compétentes de la Fédération de Russie aient rejeté les demandes d’entraide judiciaire internationale n’a pas empêché et n’empêcherait pas de mener l’enquête dans le cadre de la procédure [confidentiel].

53      Enfin, le requérant rappelle les principes dégagés par la jurisprudence du juge de l’Union européenne concernant les mesures restrictives en cause, qui seraient transposables en l’espèce, pour reprocher, en substance, au Conseil de ne pas avoir respecté l’obligation de vérifier, avant l’adoption des actes attaqués, le respect de ses droits par les autorités ukrainiennes et de s’être contenté des informations vagues fournies par celles-ci.

54      En second lieu, le requérant fait valoir qu’il n’y a eu aucune « progression » de la procédure [confidentiel] sur laquelle le Conseil s’est fondé et qu’aucune nouvelle information concernant l’enquête menée contre lui n’a été présentée. En particulier, aucun acte d’instruction n’aurait été effectué durant les sept dernières années dans le cadre de ladite procédure, l’instruction préliminaire ayant été suspendue, en dernier lieu, le 14 janvier 2021. À cet égard, il souligne que la dernière demande d’entraide judiciaire adressée aux autorités compétentes de la Fédération de Russie ne démontre pas une avancée de l’enquête menée dans le cadre de la procédure [confidentiel], si bien que le fait que celle-ci n’ait pas été close ne ferait que démontrer la volonté des autorités ukrainiennes de trouver au moins une raison de proroger encore la validité des mesures restrictives en cause.

55      Selon lui, son absence et l’impossibilité de mener des actes d’instruction le concernant n’empêcheraient pas, contrairement à ce que prétend le Conseil, la clôture de la procédure pénale le concernant.

56      En définitive, l’enquête menée contre le requérant n’ayant connu aucune évolution, il n’y aurait pas de motifs justifiant l’adoption des actes attaqués et la prorogation des mesures restrictives en cause à son égard, la seule finalité de ces mesures étant sa persécution politique.  

57      Le Conseil conteste les arguments du requérant. Il rappelle, tout d’abord, les principes jurisprudentiels applicables en ce qui concerne l’exigence de vérifier si les décisions des États tiers, sur lesquelles il fonde la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne ou d’une entité sur une liste de personnes et d’entités dont les avoirs sont gelés, ont été prises dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective. En l’espèce, il aurait fondé sa décision de maintenir le nom du requérant sur la liste non seulement sur le fait que celui-ci est une « personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics », mais également sur un certain nombre d’autres éléments qu’il aurait exposés en détail, notamment dans la section B des annexes des actes attaqués, dans ses courriers du 9 novembre 2021, du 14 janvier 2022 et, en particulier, dans son courrier du 4 mars 2022, résumant l’état de la procédure [confidentiel] engagée contre le requérant.

58      Après avoir relevé que le requérant a fait référence à certaines décisions de justice sur lesquelles le Conseil n’aurait pas fondé la motivation des actes attaqués, il souligne que, au cours de la période pertinente, il y a eu, dans le cadre de la procédure [confidentiel], des modifications substantielles apportées à la base factuelle sur laquelle le Conseil a pu fonder sa nouvelle décision dans le cadre de son réexamen de la situation du requérant. Il renvoie, en particulier, aux décisions du juge d’instruction de la Haute Cour anticorruption des 10 février et 11 mars 2021, ainsi qu’à l’ordonnance de suspension de la procédure du 14 janvier 2021. Il ressortirait de ces documents qu’il est incontesté qu’un tribunal ukrainien indépendant et impartial a rendu une décision définitive sur le recours du requérant tendant à l’annulation de la décision antérieure portant suspension de ladite procédure, si bien que le Conseil aurait pu inférer directement des informations concernant l’état d’avancement de celle-ci, le statut du requérant en tant que personne soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale, le délai effectif nécessaire pour former un recours juridictionnel dans le cadre de ladite procédure ainsi que le contenu et la nature des motifs figurant dans la décision de la Haute Cour anticorruption, en les comparant aux informations fournies par le BPG et par le bureau national anticorruption ainsi qu’aux éléments invoqués par le requérant. Au vu de l’ensemble de ces informations, le Conseil aurait pu conclure que, au cours de la période pertinente, ladite juridiction s’est conformée à la législation en vigueur en Ukraine et l’a appliquée conformément à la jurisprudence de la Cour EDH.

59      À cet égard, le Conseil soutient avoir agi conformément au principe de bonne administration et avoir vérifié à plusieurs reprises auprès de l’administration judiciaire ukrainienne l’état et les circonstances ayant trait à la procédure [confidentiel]. Ainsi, il reproche au requérant de dénaturer manifestement les faits et d’invoquer des irrégularités antérieures, dans le cadre de ladite procédure, qui ont été rectifiées et éliminées. Par ailleurs, dans la mesure où le requérant se prévaut des mêmes arguments que ceux qu’il a invoqués, sans succès, devant les autorités judiciaires nationales, le Conseil serait tenu de se conformer aux conclusions et aux décisions définitives de celles-ci. Par ailleurs, le requérant n’aurait pas été privé de son droit de former un recours contre l’acte d’accusation, mais, au contraire, il ressortirait du dossier de l’affaire que l’autorité judiciaire ukrainienne a constaté qu’un tel acte lui avait été dûment notifié. De même, il n’y aurait aucune défaillance systémique du code de procédure pénale à l’origine d’abus ou de violations à l’égard du requérant, mais, au contraire, il aurait pu exercer, ainsi qu’il ressortirait du dossier de l’affaire, tous ses droits de la défense et faire usage des voies de recours.

60      S’agissant de la durée disproportionnée et de l’absence de progrès de l’enquête, le Conseil fait observer que les juridictions ukrainiennes ont constaté à plusieurs reprises que le délai avait été suspendu conformément aux dispositions du code de procédure pénale et qu’il n’avait donc pas pu courir. Du reste, ce serait le requérant lui-même qui aurait créé des obstacles à la poursuite de la procédure, en ne coopérant pas avec les autorités ukrainiennes au point de ne pas vouloir leur indiquer son lieu de résidence, le fait que ce lieu soit inconnu constituant précisément un motif légal de suspension de la procédure. Ainsi, la période pendant laquelle le requérant s’est soustrait à la procédure [confidentiel] ne saurait être prise en considération en vue de déterminer la durée de celle-ci aux fins d’apprécier le respect du droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable.

61      En définitive, le Conseil, en se fondant sur l’ensemble des informations obtenues, aurait conclu à juste titre que, au cours de la période pertinente pour le réexamen et l’adoption des actes attaqués, la procédure [confidentiel] n’avait pas été entachée d’irrégularités d’une gravité telle qu’il n’aurait pas pu, à première vue, l’utiliser comme base factuelle pour prendre sa décision d’adopter les actes attaqués.

62      Il ressort d’une jurisprudence bien établie que, lors du contrôle de mesures restrictives, les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union, au rang desquels figurent, notamment, le droit à une protection juridictionnelle effective et les droits de la défense, tels que consacrés par les articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») (voir arrêt du 21 décembre 2022, Pshonka/Conseil, T‑243/21, non publié, EU:T:2022:840, point 60 et jurisprudence citée).

63      L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne sur une liste de personnes faisant l’objet de mesures restrictives, le juge de l’Union s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir ladite décision, sont étayés (voir arrêt du 21 décembre 2022, Pshonka/Conseil, T‑243/21, non publié, EU:T:2022:840, point 61 et jurisprudence citée).

64      L’adoption et le maintien de mesures restrictives, telles que celles prévues par les actes de mars 2014, tels que modifiés, prises à l’encontre d’une personne ayant été identifiée comme étant responsable d’un détournement de fonds appartenant à un État tiers reposent, en substance, sur la décision d’une autorité de celui-ci, compétente à cet égard, d’engager et de mener une procédure d’enquête pénale concernant cette personne et portant sur une infraction de détournement de fonds publics (voir arrêt du 21 décembre 2022, Pshonka/Conseil, T‑243/21, non publié, EU:T:2022:840, point 62 et jurisprudence citée).

65      Aussi, si, en vertu d’un critère d’inscription tel que celui rappelé au point 13 ci-dessus, le Conseil peut fonder des mesures restrictives sur la décision d’un État tiers, l’obligation, pesant sur cette institution, de respecter les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective implique qu’il doive s’assurer du respect desdits droits par les autorités de l’État tiers ayant adopté ladite décision (voir arrêt du 21 décembre 2022, Pshonka/Conseil, T‑243/21, non publié, EU:T:2022:840, point 63 et jurisprudence citée).

66      L’exigence de vérification, par le Conseil, du fait que les décisions des États tiers sur lesquelles il entend se fonder ont été prises dans le respect desdits droits vise à assurer que l’adoption ou le maintien des mesures de gel de fonds n’ait lieu que sur une base factuelle suffisamment solide et, de ce fait, à protéger les personnes ou les entités concernées. Ainsi, le Conseil ne saurait considérer que l’adoption ou le maintien de telles mesures repose sur une base factuelle suffisamment solide qu’après avoir vérifié lui-même que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés lors de l’adoption de la décision de l’État tiers concerné sur laquelle il entend se fonder (voir arrêt du 21 décembre 2022, Pshonka/Conseil, T‑243/21, non publié, EU:T:2022:840, point 64 et jurisprudence citée).

67      Par ailleurs, s’il est vrai que la circonstance que l’État tiers compte au nombre des États ayant adhéré à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), implique un contrôle, par la Cour EDH, des droits fondamentaux garantis par la CEDH, lesquels, conformément à l’article 6, paragraphe 3, TUE, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux, une telle circonstance ne saurait toutefois rendre superflue l’exigence de vérification rappelée au point 66 ci-dessus (voir arrêt du 21 décembre 2022, Pshonka/Conseil, T‑243/21, non publié, EU:T:2022:840, point 65 et jurisprudence citée).

68      Selon la jurisprudence, le Conseil est tenu de faire état, dans l’exposé des motifs relatifs à l’adoption ou au maintien de mesures restrictives à l’égard d’une personne ou d’une entité, ne serait-ce que de manière succincte, des raisons pour lesquelles il considère que la décision de l’État tiers sur laquelle il entend se fonder a été adoptée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective. Ainsi, il incombe au Conseil, afin de satisfaire à son obligation de motivation, de faire apparaître, dans la décision imposant des mesures restrictives, qu’il a vérifié que la décision de l’État tiers sur laquelle il fonde ces mesures a été adoptée dans le respect de ces droits (voir arrêt du 21 décembre 2022, Pshonka/Conseil, T‑243/21, non publié, EU:T:2022:840, point 66 et jurisprudence citée).

69      En définitive, lorsqu’il fonde l’adoption ou le maintien de mesures restrictives telles que celles en cause sur la décision d’un État tiers d’engager et de mener une procédure pénale pour détournement de fonds ou d’avoirs publics par la personne concernée, le Conseil doit, d’une part, s’assurer que, au moment de l’adoption de ladite décision, les autorités de cet État tiers ont respecté les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective de la personne faisant l’objet de la procédure pénale en cause et, d’autre part, mentionner, dans la décision imposant des mesures restrictives, les raisons pour lesquelles il considère que ladite décision de l’État tiers a été adoptée dans le respect de ces droits (voir arrêt du 21 décembre 2022, Pshonka/Conseil, T‑243/21, non publié, EU:T:2022:840, point 67 et jurisprudence citée).

70      En l’espèce, de telles obligations apparaissent d’autant plus impérieuses que, ainsi qu’il résulte du considérant 2 de la décision 2014/119, celle-ci et les décisions subséquentes ont été adoptées dans le cadre d’une politique visant à renforcer et à soutenir l’État de droit et le respect des droits de l’homme en Ukraine (voir point 5 ci-dessus), conformément aux objectifs figurant à l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE. Par conséquent, l’objet de ces décisions, qui est, notamment, de faciliter la constatation par les autorités ukrainiennes des détournements de fonds publics commis et de préserver la possibilité, pour celles-ci, de recouvrer le produit de ces détournements, serait dépourvu de pertinence au regard desdits objectifs si cette constatation était entachée d’un déni de justice, voire d’arbitraire (voir arrêt du 21 décembre 2022, Pshonka/Conseil, T‑243/21, non publié, EU:T:2022:840, point 68 et jurisprudence citée).

71      C’est à l’aune de ces principes jurisprudentiels qu’il convient d’établir si le Conseil a respecté les obligations qui lui incombaient dans le cadre de l’adoption des actes attaqués en ce que ceux-ci concernent le requérant.

72      À cet égard, il y a lieu de relever que le Conseil a mentionné dans les actes attaqués les raisons pour lesquelles il avait considéré que la décision des autorités ukrainiennes d’engager et de mener des procédures pénales à l’encontre du requérant pour détournement de fonds ou d’avoirs publics avait été adoptée dans le respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective (voir point 40 ci-dessus). Il convient néanmoins de vérifier si c’est à juste titre que le Conseil a considéré que tel avait été le cas en l’espèce.

73      En effet, l’examen du bien-fondé de la motivation, qui relève de la légalité au fond des actes attaqués et consiste, en l’occurrence, à vérifier si les éléments invoqués par le Conseil sont établis et s’ils sont de nature à démontrer la vérification du respect de ces droits par les autorités ukrainiennes, doit être distingué de la question de la motivation, qui concerne une formalité substantielle et ne constitue que le corollaire de l’obligation du Conseil de s’assurer, au préalable, du respect desdits droits (voir arrêt du 21 décembre 2022, Pshonka/Conseil, T‑243/21, non publié, EU:T:2022:840, point 71 et jurisprudence citée).

74      Or, les mesures restrictives précédemment adoptées ont été prorogées et maintenues à l’égard du requérant par les actes attaqués sur le fondement du critère d’inscription énoncé à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119, tel que modifié par la décision 2015/143, et à l’article 3 du règlement no 208/2014, tel que modifié par le règlement 2015/138 (voir points 13 et 14 ci-dessus). Ce critère vise les personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de faits de détournement de fonds publics appartenant à l’État ukrainien, y compris les personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes.

75      Il ressort des motifs des actes attaqués, rappelés au point 40 ci-dessus, et de la lettre du 4 mars 2022 que le Conseil s’est fondé, pour décider du maintien du nom du requérant sur la liste, sur la circonstance que celui-ci faisait l’objet d’une procédure pénale engagée par les autorités ukrainiennes pour des infractions constitutives d’un détournement de fonds ou d’avoirs publics, qui était établi, notamment, par les lettres du BPG ainsi que par certaines décisions de justice.

76      Le maintien des mesures restrictives prises à l’encontre du requérant reposait donc, tout comme dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 11 juillet 2019, Pshonka/Conseil (T‑285/18, non publié, EU:T:2019:512), du 23 septembre 2020, Pshonka/Conseil (T‑291/19, non publié, EU:T:2020:448), du 7 juillet 2021, Pshonka/Conseil (T‑269/20, non publié, EU:T:2021:419), et du 21 décembre 2022, Pshonka/Conseil (T‑243/21, non publié, EU:T:2022:840), sur la décision des autorités ukrainiennes d’engager et de mener des procédures d’enquêtes pénales portant sur une infraction de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien.

77      Il y a également lieu de relever que, en modifiant, par les actes attaqués, l’annexe de la décision 2014/119 et l’annexe I du règlement no 208/2014, le Conseil a ajouté à celles-ci, ainsi qu’il avait déjà fait lors de l’adoption des actes de mars 2019, de mars 2020 et de mars 2021, une nouvelle section, entièrement consacrée aux droits de la défense et au droit à une protection juridictionnelle effective, qui se subdivise en deux parties.

78      Dans la première partie figure un simple rappel, d’ordre général, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective en vertu du code de procédure pénale. En particulier, tout d’abord, sont rappelés les différents droits procéduraux dont jouit toute personne soupçonnée ou poursuivie dans le cadre d’une procédure pénale en vertu de l’article 42 du code de procédure pénale. Ensuite, il est fait mention de l’article 303 de ce même code, qui établit une distinction entre les décisions et omissions qui peuvent être contestées au cours de la procédure préliminaire et les décisions, actes et omissions qui peuvent être examinés en justice au cours de la procédure préparatoire. En outre, d’une part, il est rappelé que, en vertu de l’article 306 dudit code, toute plainte contre des décisions, des actes ou des omissions de l’enquêteur ou du procureur doit être examinée par le juge d’instruction d’un tribunal local, en présence du plaignant, de son avocat ou de son représentant légal. D’autre part, il est indiqué, notamment, que l’article 309 dudit code précise les décisions du juge d’instruction qui peuvent être contestées par la voie d’un recours. Il est également rappelé que, aux termes de l’article 308 du même code, le non-respect par l’enquêteur ou le procureur d’un délai raisonnable au cours de l’enquête préliminaire peut faire l’objet d’une réclamation auprès d’un procureur de niveau supérieur et que celle-ci doit être examinée dans les trois jours qui suivent son introduction. Enfin, il est précisé qu’un certain nombre de mesures d’enquêtes, telles que la saisie de biens et les mesures de détention, ne sont possibles que sous réserve d’une décision du juge d’instruction ou d’un tribunal.

79      La seconde partie de la section concerne le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de chacune des personnes dont le nom est inscrit sur la liste. S’agissant plus particulièrement du requérant, il est précisé que, selon les informations figurant dans le dossier du Conseil, ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’est fondé. En témoigneraient, notamment, « la décision de la Haute Cour anticorruption d’Ukraine du 2 octobre 2020, qui a rejeté le recours présenté par les avocats [du requérant] tendant à l’annulation de l’avis de suspicion daté du 22 décembre 2014 [et le fait que cette] Cour a conclu que l’avis de suspicion avait été notifié conformément au code de procédure pénale ukrainien et a confirmé le statut de suspect [du requérant] dans le cadre de la procédure pénale[, ainsi que le fait que, d’une part], le 7 mai 2020 et le 9 novembre 2020, la Haute Cour anticorruption d’Ukraine a rejeté une demande d’ouverture d’une procédure introduite sur la base d’une plainte déposée par des avocats concernant le [bureau national anticorruption] pour inaction dans la procédure pénale [et, d’autre part, l]a chambre d’appel de la Haute Cour anticorruption a confirmé ces décisions le 1er juin 2020 et le 26 novembre 2020 respectivement ».

80      Le Conseil affirme, par ailleurs, que, le 16 février 2021, la Haute Cour anticorruption a rejeté, d’une part, « le recours des avocats visant à annuler la résolution du 14 janvier 2021 du [bureau national anticorruption] concernant la suspension de l’enquête préliminaire [en confirmant] le statut de suspect [du requérant, et, d’autre part, le 11 mars 2021,] la plainte des avocats [du requérant] concernant l’inaction du procureur ».

81      Le Conseil précise, en outre, qu’il « dispose d’informations selon lesquelles les autorités ukrainiennes ont pris des mesures pour faire rechercher [le requérant et que, l]e 24 juillet 2020, une demande d’entraide judiciaire internationale a été adressée aux autorités compétentes de la Fédération de Russie afin d’établir le lieu où [il se trouvait] et de l’interroger ». Toutefois, il ajoute que cette demande, ainsi que celle qui leur avait été adressée en 2016 et en 2018, ont été rejetées par les autorités russes.

82      Enfin, selon le Conseil, conformément à la jurisprudence de la Cour EDH, « les périodes au cours desquelles [le requérant] s’est soustrait à l’enquête doivent être exclues du calcul de la période à prendre en considération pour apprécier le respect du droit à un procès dans un délai raisonnable [et qu’il] considère par conséquent que les circonstances décrites dans la décision de la Haute Cour anticorruption imputées [au requérant] ainsi qu’à la non-exécution préalable de la demande d’entraide judiciaire internationale ont contribué de manière significative à la durée de l’enquête » (voir point 40 ci-dessus).

83      Dans la lettre du 4 mars 2022 adressée au requérant (voir point 41 ci-dessus), le Conseil reprend, en substance, le contenu de la partie des actes attaqués concernant le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant (voir point 79 ci-dessus). Après avoir affirmé qu’il avait tenu compte des observations envoyées par le requérant les 13 décembre 2021 et 18 janvier 2022, le Conseil indique, tout d’abord, que les informations provenant du BPG et du bureau national anticorruption confirment que le requérant continue à faire l’objet de la procédure [confidentiel] en Ukraine pour détournement de fonds ou d’avoir publics. Ensuite, le Conseil fait valoir qu’il ressort, notamment, des décisions du juge d’instruction de la Haute Cour anticorruption des 2 octobre 2020 et 16 février 2021 que l’avis de suspicion avait été correctement signifié au requérant et que le statut de suspect de celui-ci était donc confirmé. Il souligne également que, dans la décision du 16 février 2021, il a été constaté que le requérant n’était pas retourné sur le territoire ukrainien et qu’il était impossible de déterminer son lieu de résidence car il se soustrayait à l’enquête. En outre, il précise qu’il a été informé du fait que, le 24 juillet 2020, les autorités ukrainiennes ont adressé une demande d’entraide judiciaire aux autorités compétentes de la Fédération de Russie, en vue d’établir le lieu où se trouvait le requérant et de procéder à son interrogatoire dans le cadre de l’enquête, et que ces dernières ont rejeté ladite demande, ce qui a déterminé la décision du bureau national anticorruption de suspendre l’enquête préliminaire le 14 janvier 2021. Enfin, le Conseil considère que la période pendant laquelle le requérant s’est soustrait à la procédure pénale ne saurait être prise en considération en vue de déterminer la durée de celle-ci, qui est pertinente aux fins d’apprécier le respect du droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable.

84      Ainsi, il ressort d’une lecture combinée des motifs exposés dans les actes attaqués et dans la lettre du 4 mars 2022 que la procédure [confidentiel] est la seule pour laquelle le Conseil atteste avoir effectivement vérifié le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant.

85      À cet égard, il doit être observé, d’emblée, que le Conseil reste en défaut de démontrer dans quelle mesure les décisions de justice mentionnées au point 79 ci-dessus, qui font toutes suite à des actions judiciaires entreprises par le requérant afin de rouvrir la procédure le concernant et qui ne sont pas susceptibles de recours, témoigneraient du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant au cours de ladite procédure. En effet, ainsi qu’il a été rappelé aux points 65 et 66 ci-dessus, en l’espèce, le Conseil était tenu de vérifier, avant de décider du maintien des mesures restrictives en cause, si la décision de l’administration judiciaire ukrainienne d’engager et de mener des procédures d’enquêtes pénales portant sur des infractions inhérentes au détournement de fonds ou d’avoirs publics prétendument commises par le requérant avait été adoptée dans le respect desdits droits de celui-ci (voir, en ce sens, arrêts du 21 décembre 2021, Klymenko/Conseil, T‑195/21, EU:T:2021:925, point 86, et du 21 décembre 2022, Pshonka/Conseil, T‑243/21, non publié, EU:T:2022:840, point 80.

86      Dans cette perspective, les décisions de justice mentionnées au point 79 ci-dessus ne sauraient être identifiées comme étant des décisions d’engager et de mener la procédure d’enquête justifiant le maintien des mesures restrictives en cause, étant donné qu’il s’agit de décisions incidentes. Cela étant, il est possible d’admettre que, d’un point de vue substantiel, dès lors que ces décisions ont été rendues par une juridiction, elles ont réellement été prises en compte par le Conseil comme étant, notamment, la base factuelle justifiant le maintien des mesures restrictives en cause (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 21 décembre 2021, Klymenko/Conseil, T‑195/21, EU:T:2021:925, point 87, et du 21 décembre 2022, Pshonka/Conseil, T‑243/21, non publié, EU:T:2022:840, point 81).

87      Il y a donc lieu de vérifier si c’est à juste titre que le Conseil a pu considérer que de telles décisions de justice ainsi que les autres éléments qu’il a invoqués dans la seconde partie de la section des actes attaqués ayant trait au respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle du requérant (voir point 40 ci-dessus) étaient susceptibles de démontrer le respect par les autorités ukrainiennes desdits droits du requérant. Plus particulièrement, il s’agit d’établir si les décisions du juge d’instruction de la Haute Cour anticorruption du 2 octobre 2020, ayant rejeté la demande du requérant tendant à l’annulation de l’avis de suspicion du 23 décembre 2014, des 7 mai et 9 novembre 2020 – qui ont été confirmées par les décisions de la chambre d’appel de la Haute Cour anticorruption des 1er juin et 26 novembre 2020 –, ayant rejeté des plaintes du requérant visant la prétendue inaction du bureau national anticorruption dans le cadre de la procédure [confidentiel], ainsi que celles des 16 février et 11 mars 2021, ayant rejeté, respectivement, le recours du requérant visant à annuler la résolution relative à la suspension de l’enquête préliminaire et une plainte de celui-ci contre l’inaction du procureur dans le cadre de ladite procédure, le fait que ledit juge d’instruction ait, d’une part, conclu que l’avis de suspicion avait été notifié correctement et, d’autre part, confirmé le statut de suspect du requérant, ainsi que le fait que les autorités ukrainiennes avaient adressé, en 2016, en 2018 et en 2020, des demandes d’entraide judiciaire internationale aux autorités compétentes de la Fédération de Russie, qui les ont rejetées, témoignent, ainsi que le prétend le Conseil, du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant.

88      En premier lieu, s’agissant, d’une part, des décisions du juge d’instruction de la Haute Cour anticorruption des 7 mai, 2 octobre et 9 novembre 2020 et du 16 février 2021, des décisions de la chambre d’appel de la Haute Cour anticorruption des 1er juin et 26 novembre 2020 et du fait que ledit juge d’instruction ait considéré que l’avis de suspicion avait été notifié au requérant conformément aux règles du code de procédure pénale, en confirmant son statut de suspect, et, d’autre part, des demandes d’entraide judiciaire rejetées par les autorités russes, il convient de relever que lesdites décisions – qui, par ailleurs, ne sont pas inhérentes à l’évolution de l’enquête préliminaire, dès lors qu’elles ont été rendues à la suite des initiatives entreprises par le requérant – et circonstances se réfèrent à une période antérieure à l’adoption des actes de mars 2021. Or, une telle période n’est pas pertinente au regard des éléments devant être pris en compte lors du réexamen périodique annuel de la situation du requérant aux fins du maintien des mesures restrictives en cause à son égard. Il s’ensuit qu’elles ne sauraient suffire à établir que la procédure [confidentiel], sur laquelle le Conseil se fonde pour maintenir, pour la période allant du mois de mars 2022 au mois de septembre 2022, les mesures restrictives en cause à l’égard du requérant, s’est déroulée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2022, Pshonka/Conseil, T‑243/21, non publié, EU:T:2022:840, points 83 et 84).

89      Au demeurant, le Tribunal a déjà eu l’occasion de se prononcer sur les décisions du juge d’instruction de la Haute Cour anticorruption des 7 mai, 2 octobre et 9 novembre 2020, et les décisions de la chambre d’appel de la Haute Cour anticorruption des 1er juin et 26 novembre 2020, ainsi que les demandes d’entraide judiciaire rejetées par les autorités russes, dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 21 décembre 2022, Pshonka/Conseil (T‑243/21, non publié, EU:T:2022:840, points 86 à 88), et, à l’égard de la notification de l’avis de suspicion, qui implique la reconnaissance du statut de suspect du requérant, dans le cadre des affaires ayant donné lieu aux arrêts du 7 juillet 2021, Pshonka/Conseil (T‑269/20, non publié, EU:T:2021:419, point 87), et du 21 décembre 2022, Pshonka/Conseil (T‑243/21, non publié, EU:T:2022:840, point 85). Dans ces arrêts, qui n’ont pas fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour, le Tribunal a jugé que lesdites décisions et les autres éléments susmentionnés n’étaient pas susceptibles de démontrer que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective du requérant avaient été respectés par les autorités ukrainiennes dans le cadre de la procédure [confidentiel]. Aucun élément avancé par le Conseil dans le cadre de la présente affaire ne permet, du reste, au Tribunal de parvenir à des conclusions différentes de celles retenues dans lesdits arrêts, qui concernent les mêmes parties et soulèvent pour l’essentiel les mêmes questions juridiques quant à la valeur probante de tous les éléments susmentionnés.

90      En second lieu, s’agissant de la décision du juge d’instruction de la Haute Cour anticorruption du 11 mars 2021, qui présente des similitudes avec lesdites décisions de la chambre d’appel de la Haute Cour anticorruption des 1er juin et 26 novembre 2020, qui ont confirmé les décisions du juge d’instruction de la Haute Cour anticorruption des 7 mai et 9 novembre 2020, il convient de relever qu’elle rejette une plainte du requérant visant à faire constater l’inaction du procureur, en ce qu’il n’aurait pas réagi, dans le délai prétendument établi par l’article 220 du code de procédure pénale, à sa demande d’annuler la résolution du 14 janvier 2021 du bureau national anticorruption concernant la suspension de l’enquête préliminaire dans le cadre de la procédure [confidentiel]. Dans cette décision, qui est définitive  et n’est aucunement inhérente à l’évolution de l’enquête préliminaire, dès lors qu’elle a été rendue à la suite d’une initiative entreprise librement par le requérant afin, en dernier ressort, de rouvrir la procédure qui avait été rouverte et suspendue à plusieurs reprises sans qu’il y ait eu de véritables progrès dans l’enquête préliminaire, ledit juge d’instruction s’est borné à constater que le procureur n’était pas autorisé à annuler la résolution de suspension du bureau national anticorruption et donc n’était pas à même de réaliser une inaction sanctionnée par l’article 220 du code de procédure pénale. Il s’ensuit que, en tant que telle, cette décision n’est pas susceptible de démontrer que l’administration judiciaire ukrainienne a respecté les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective du requérant dans le cadre de la procédure [confidentiel]. Au demeurant, le Conseil n’a fourni aucune explication à cet égard.

91      En tout état de cause, il convient également de relever que toutes les décisions de justice mentionnées au point 79 ci-dessus s’insèrent, notamment, dans le cadre de la procédure [confidentiel] et ne sont qu’incidentes par rapport à celle-ci, dans la mesure où elles sont de nature procédurale. De telles décisions, qui peuvent servir tout au plus à établir l’existence d’une base factuelle suffisamment solide, en ce que, conformément au critère d’inscription applicable, le requérant faisait l’objet d’une procédure pénale portant sur une infraction de détournement de fonds ou d’avoirs appartenant à l’État ukrainien, ne sont pas ontologiquement susceptibles, à elles seules, de démontrer que la décision de l’administration judiciaire ukrainienne d’engager et de mener ladite procédure pénale, sur laquelle repose, en substance, le maintien des mesures restrictives à l’encontre du requérant, a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci, ainsi qu’il incombe au Conseil de le vérifier, conformément à la jurisprudence citée au point 65 ci-dessus (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2022, Pshonka/Conseil, T‑243/21, non publié, EU:T:2022:840, point 89 et jurisprudence citée).

92      Au demeurant, le Conseil n’invoque aucune pièce du dossier de la procédure ayant abouti à l’adoption des actes attaqués dont il résulterait qu’il a examiné les décisions de justice et les autres documents invoqués dans les actes attaqués et qu’il a pu en conclure que les droits procéduraux du requérant avaient été respectés dans leur substance.

93      La simple référence faite par le Conseil à des prises de position des autorités ukrainiennes dans lesquelles celles-ci ont synthétiquement indiqué, en réponse à des questions explicites du Conseil, des éléments censés démontrer en quoi les droits fondamentaux du requérant avaient été respectés et ont donné des assurances à cet égard ne saurait suffire pour considérer que la décision de maintenir son nom sur la liste repose sur une base factuelle suffisamment solide, au sens de la jurisprudence citée au point 66 ci-dessus (voir, en ce sens, arrêt du 3 décembre 2020, Saleh Thabet e.a./Conseil, C‑72/19 P et C‑145/19 P, non publié, EU:C:2020:992, point 44).

94      Il s’ensuit que, à l’issue de l’examen des décisions de justice et des autres éléments invoqués par le Conseil dans les actes attaqués, il y a lieu de constater que, même pris dans leur ensemble, ceux-ci ne sont pas susceptibles de témoigner du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant au cours de la procédure [confidentiel] dans la période allant du mois de mars 2021 au mois de mars 2022.

95      À cet égard, il doit être rappelé que le Conseil était tenu de vérifier un tel respect indépendamment de tout élément de preuve apporté par le requérant visant à démontrer que celui-ci avait subi une violation de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective. Or, en l’espèce, la simple possibilité d’invoquer la violation desdits droits devant les juridictions ukrainiennes en vertu de dispositions du code de procédure pénale n’est pas suffisante en soi pour démontrer leur respect par l’administration judiciaire ukrainienne (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2022, Pshonka/Conseil, T‑243/21, non publié, EU:T:2022:840, point 93 et jurisprudence citée).

96      D’ailleurs, le Conseil n’explique pas non plus comment les décisions de justice et les documents mentionnés au point 79 ci-dessus permettraient de considérer que le respect du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant a été garanti. À cet égard, il y a lieu de relever que, comme celui-ci l’avait fait valoir à maintes reprises dans les lettres envoyées au Conseil, la procédure [confidentiel] avait été dissociée, en avril 2015, de la procédure no [confidentiel], ouverte en avril 2014. En outre, en l’état, la procédure [confidentiel] était une nouvelle fois suspendue depuis le 14 janvier 2021, après avoir été rouverte le même jour à la suite du constat que, compte tenu du refus des autorités russes de répondre à la demande d’entraide judiciaire internationale, il n’était plus nécessaire de mener des actions procédurales dans le cadre de la coopération internationale. Il ressort du dossier de l’affaire que cette procédure, transférée en novembre 2019 au bureau national anticorruption, se trouve encore au stade de l’enquête préliminaire et n’a eu aucune évolution, à tout le moins depuis le 1er janvier 2021, de sorte qu’elle n’a pas encore été soumise à un tribunal ukrainien sur le fond, un tel tribunal n’en ayant eu connaissance que pour des questions procédurales (voir arrêt du 21 décembre 2022, Pshonka/Conseil, T‑243/21, non publié, EU:T:2022:840, point 94 et jurisprudence citée).

97      Or, l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, qui constitue le paramètre à l’aune duquel le Conseil apprécie le respect du droit à une protection juridictionnelle effective (voir arrêt du 21 décembre 2022, Pshonka/Conseil, T‑243/21, non publié, EU:T:2022:840, point 95 et jurisprudence citée), prévoit que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi.

98      Dans la mesure où la Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la CEDH, tels que ceux prévus à l’article 6 de celle-ci, leur sens et leur portée sont, aux termes de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, les mêmes que ceux que leur confère la CEDH.

99      À cet égard, il convient de rappeler que, en interprétant l’article 6 de la CEDH, la Cour EDH a relevé que l’objectif du principe du délai raisonnable était, notamment, de protéger la personne inculpée contre les lenteurs excessives de la procédure et d’éviter qu’elle ne demeure trop longtemps dans l’incertitude de son sort et que ledit principe soulignait l’importance de rendre la justice sans les retards propres à compromettre l’efficacité et la crédibilité de l’administration de la justice (voir Cour EDH, 7 juillet 2015, Rutkowski et autres c. Pologne, CE:ECHR:2015:0707JUD007228710, § 126 et jurisprudence citée). De plus, la Cour EDH a considéré que la violation de ce principe pouvait être constatée notamment lorsque la phase d’instruction d’une procédure pénale se caractérisait par un certain nombre de périodes d’inactivité imputables aux autorités compétentes pour cette instruction (voir, en ce sens, Cour EDH, 6 janvier 2004, Rouille c. France, CE:ECHR:2004:0106JUD005026899, §§ 29 à 31 ; 27 septembre 2007, Reiner et autres c. Roumanie, CE:ECHR:2007:0927JUD000150502, §§ 57 à 59, et 12 janvier 2012, Borisenko c. Ukraine, CE:ECHR:2012:0112JUD002572502, §§ 58 à 62).

100    Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence que, lorsqu’une personne fait l’objet de mesures restrictives depuis plusieurs années, et ce en raison de l’existence, en substance, des mêmes enquêtes préliminaires, comme c’est le cas en l’espèce, le Conseil est tenu, préalablement à l’adoption d’une décision prorogeant l’application de ces mesures, de s’assurer du respect du droit de cette personne d’être jugée dans un délai raisonnable (voir arrêt du 21 décembre 2022, Pshonka/Conseil, T‑243/21, non publié, EU:T:2022:840, point 98 et jurisprudence citée).

101    Ainsi qu’il a été relevé au point 70 ci-dessus, il importe de rappeler la nature conservatoire du gel des avoirs du requérant et leur objet, à savoir, ainsi que l’a souligné le Conseil dans ses écritures et lors de l’audience, faciliter la constatation par les autorités ukrainiennes des détournements de fonds publics commis, au terme des procédures judiciaires engagées, et préserver la possibilité, pour ces autorités, de recouvrer, in fine, le produit de ces détournements. Il incombe donc au Conseil d’éviter qu’une telle mesure, qui se justifie précisément en vertu de sa nature temporaire, soit prolongée inutilement, au détriment des droits et des libertés du requérant, sur lesquels elle a une incidence négative importante, du seul fait que les procédures pénales, encore au stade de l’enquête préliminaire, sur lesquelles elle repose ont été laissées ouvertes, en substance, indéfiniment (voir arrêt du 21 décembre 2022, Pshonka/Conseil, T‑243/21, non publié, EU:T:2022:840, point 99 et jurisprudence citée).

102    Il ressort également de la jurisprudence de la Cour EDH ayant trait à l’interprétation de l’article 6 de la CEDH que des retards causés par des suspensions de la procédure par les autorités, les décisions de joindre et de disjoindre les différentes procédures pénales ainsi que les renvois d’une affaire pour un complément d’enquête dans le cadre d’une même procédure peuvent être considérés comme des indices révélateurs d’une grave défaillance dans le fonctionnement du système de justice pénale (voir, en ce sens, Cour EDH, 23 juin 2016, Krivoshey c. Ukraine, CE:ECHR:2016:0623JUD000743305, § 97 et jurisprudence citée). En l’espèce, eu égard à la durée prolongée de l’enquête préliminaire en cause, il résulte de ce qui a été indiqué au point 100 ci-dessus que le Conseil était tenu, préalablement à l’adoption des actes attaqués, de s’assurer que la durée de ladite enquête n’était pas déraisonnable. Dans cette perspective, le Conseil aurait dû tenir compte de tout indice de défaillances éventuelles dans la conduite de la procédure [confidentiel], qui avait été dissociée d’une autre procédure, qui avait été suspendue et rouverte à plusieurs reprises et dont l’enquête préliminaire avait été transférée, plusieurs années après son ouverture, à une autre autorité investigatrice (voir, notamment, point 96 ci-dessus), sans que cela ait impliqué la moindre progression.

103    Selon les réponses synthétiques fournies par le BPG et par le bureau national anticorruption dans les tableaux envoyés au Conseil, que celui-ci a faites en quelque sorte siennes, l’absence d’évolution dans le cadre de la procédure [confidentiel] était justifiée, en substance, par plusieurs raisons. En premier lieu, était invoquée l’impossibilité, d’une part, d’effectuer de mesures d’enquête et de procédure, à l’exception de celles visant à établir où se trouvait le requérant, lesquelles étaient confiées au service de sécurité national, et, d’autre part, de procéder in absentia dès lors que les conditions établies par le code de procédure pénale, notamment celle ayant trait à l’inscription du nom du requérant sur une liste interétatique ou internationale des personnes recherchées, n’étaient pas réunies en l’espèce. En deuxième lieu, était invoqué le manque de coopération des autorités russes, qui ont rejeté, la dernière fois en 2020, les demandes d’entraide judiciaire internationale transmises par les autorités ukrainiennes. En troisième lieu, était également invoquée l’impossibilité de rouvrir l’enquête préliminaire du fait que le requérant se trouvait sur le territoire de la Fédération de Russie depuis 2014 et jusqu’à présent.

104    À l’instar de ce qui a déjà été jugé par le Tribunal dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 21 décembre 2022 (Pshonka/Conseil, T‑243/21, non publié, EU:T:2022:840, point 102), sans que les autorités ukrainiennes ou le Conseil n’aient remis en cause une telle conclusion, il doit être relevé, d’une part, que l’enquête préliminaire dans le cadre de la procédure [confidentiel] sur laquelle le Conseil s’est fondé a été suspendue pour de longues périodes et rouverte juste pour quelques jours à plusieurs reprises, la dernière suspension ayant été décidée le 14 janvier 2021 par le bureau national anticorruption, et ce sans que des justifications particulières aient été fournies par les autorités ukrainiennes, et, d’autre part, qu’aucun acte d’investigation ou procédural n’a été accompli par les autorités chargées de l’enquête, qui ont par ailleurs changé en novembre 2019.

105    Or, bien que le Conseil ait effectué des vérifications supplémentaires auprès des autorités ukrainiennes afin d’être éclairé, notamment, sur les raisons ayant justifié la suspension de la procédure [confidentiel], il ressort du dossier qu’il s’est satisfait des explications, par ailleurs non concordantes, fournies par le BPG et par le bureau national anticorruption, selon lesquelles la suspension aurait été justifiée, respectivement, par la nécessité de procéder à la recherche du requérant et par le contexte de l’inscription du requérant sur une liste de personnes recherchées, sans d’autres précisions.

106    S’agissant de l’argument selon lequel, conformément à la jurisprudence de la Cour EDH, la fuite d’un accusé aurait par elle‑même des répercussions sur l’étendue de la garantie offerte par l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH quant à la durée de la procédure, en ce qu’il ne pourrait pas se prévaloir d’une durée déraisonnable de celle-ci pour la période postérieure à sa fuite, il doit être observé que le Conseil n’apporte pas suffisamment d’éléments permettant de considérer que le requérant se soit illégalement soustrait à l’enquête et à la justice. En outre, force est une nouvelle fois de constater que la procédure [confidentiel], sur laquelle s’appuie le Conseil, relative à des faits prétendument commis par le requérant entre le mois de mars et le mois de novembre 2013, n’a jamais été soumise à un tribunal ukrainien sur le fond, de sorte qu’elle se trouve encore, environ huit ans à compter de son ouverture, au stade de l’enquête préliminaire (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2022, Pshonka/Conseil, T‑243/21, non publié, EU:T:2022:840, point 105).

107    Par ailleurs, à cet égard, il convient de relever que le Tribunal a déjà constaté dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 21 décembre 2022 (Pshonka/Conseil, T‑243/21, non publié, EU:T:2022:840, point 106), sans que le Conseil ou les autorités ukrainiennes n’aient remis en cause un tel constat, que celles-ci n’avaient pas fourni suffisamment d’informations au regard du fait qu’une demande d’autorisation de procéder par défaut à l’égard du requérant n’avait jamais été présentée par les autorités investigatrices. À ce propos, le Tribunal a relevé que, dans le cadre de la procédure [confidentiel], n’était pas remplie l’une des deux conditions prévues par le code de procédure pénale pour demander l’autorisation de pouvoir procéder par défaut, à savoir l’inscription du nom du requérant sur une liste interétatique ou internationale des personnes recherchées, et que les autorités ukrainiennes s’étaient limitées à indiquer que la demande d’inscription sur la liste des personnes recherchées au niveau international établie par l’Organisation internationale de police criminelle (Interpol) avait été rejetée, le 29 avril 2015, par le secrétariat général de celle-ci – ce qui, du reste, est confirmé par le dossier de la présente affaire –, et que, le cas échéant, une nouvelle demande afin d’obtenir une telle inscription serait prise après la réception de la réponse des autorités russes à la demande d’entraide judiciaire internationale. Le Tribunal a également constaté que le BPG avait, en substance, éludé la question visant à connaître les raisons pour lesquelles, durant la période allant d’avril 2015 à novembre 2018, au cours de laquelle l’inscription du nom du requérant sur une liste interétatique ou internationale des personnes recherchées n’était pas une condition nécessaire préalable pour demander l’autorisation de procéder par défaut, une telle action n’avait pas été entreprise par les autorités ukrainiennes.

108    Il résulte des considérations qui précèdent que le Conseil s’est contenté de réponses concises et lacunaires du BPG et du bureau national anticorruption, qui n’apportent, en substance, aucun nouvel élément concernant la situation du requérant au cours de la période allant de l’adoption des actes de mars 2021 à celle des actes attaqués, et ne permettent pas d’établir à suffisance de droit si, et dans quelle mesure, les causes de l’inaction de longue durée de l’administration judiciaire ukrainienne sont imputables au fait que le requérant a quitté l’Ukraine ou à d’éventuelles défaillances dans la conduite de l’enquête sur laquelle il s’est fondé pour prolonger les mesures restrictives à l’encontre du requérant.

109    En définitive, le Conseil aurait dû, au terme d’une analyse autonome et approfondie de tous les éléments du dossier et compte tenu de la jurisprudence, à tout le moins indiquer les raisons pour lesquelles, compte tenu de la durée excessive de l’enquête et de l’absence absolue de progrès de celle-ci, il pouvait considérer, sur la base de quelques éléments approximatifs fournis par les autorités ukrainiennes, que le droit du requérant à une protection juridictionnelle effective devant l’administration judiciaire ukrainienne avait été respecté en ce qui concernait le droit de celui-ci à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2022, Pshonka/Conseil, T‑243/21, non publié, EU:T:2022:840, point 108 et jurisprudence citée).

110    Il ne saurait donc être conclu, au vu des pièces du dossier, que les éléments dont le Conseil disposait lors de l’adoption des actes attaqués lui ont permis de vérifier si la décision de l’administration judiciaire ukrainienne d’engager et de mener la procédure pénale en cause avait été adoptée et mise en œuvre dans le respect des droits du requérant à une protection juridictionnelle effective et, plus particulièrement, à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable.

111    À cet égard, il convient également de relever que la jurisprudence bien établie selon laquelle, en cas d’adoption d’une mesure de gel de fonds telle que celle adoptée à l’égard du requérant dans le cadre des actes attaqués, il appartient au Conseil ou au juge de l’Union de vérifier le bien-fondé non pas des enquêtes dont la personne visée par ces mesures restrictives faisait l’objet en Ukraine, mais uniquement de la décision de gel des fonds au regard du ou des documents sur lesquels cette décision a été fondée, ne saurait être interprétée en ce sens que le Conseil n’est pas tenu de vérifier si la décision de l’État tiers sur laquelle il entend fonder l’adoption desdites mesures restrictives a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective (voir arrêt du 21 décembre 2022, Pshonka/Conseil, T‑243/21, non publié, EU:T:2022:840, point 110 et jurisprudence citée).

112    Enfin, si le Conseil est en droit de se fonder sur les décisions des juridictions ukrainiennes comme preuves de l’existence d’une procédure pénale relative à des allégations de détournement de fonds publics à l’encontre du requérant, il n’en va pas de même en ce qui concerne les preuves du bon déroulement de cette procédure, y compris pour ce qui est du respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective. Ainsi qu’il a été rappelé au point 65 ci-dessus, pour s’assurer que le maintien de l’inscription du nom du requérant sur la liste repose sur une base factuelle suffisamment solide, le Conseil doit vérifier non seulement s’il existe des procédures judiciaires en cours concernant le requérant pour des faits qualifiables de détournement de fonds publics, mais également si, dans le cadre de ces procédures, lesdits droits du requérant ont été respectés (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2022, Pshonka/Conseil, T‑243/21, non publié, EU:T:2022:840, point 111 et jurisprudence citée).

113    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il n’est pas établi que le Conseil, avant l’adoption des actes attaqués, se soit assuré du respect, par l’administration judiciaire ukrainienne, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant dans le cadre de la procédure pénale sur laquelle il s’est fondé. Il s’ensuit que, en décidant de maintenir son nom sur la liste, le Conseil a commis une erreur d’appréciation.

114    Dans ces circonstances, il y a lieu d’annuler les actes attaqués en tant qu’ils visent le requérant, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens et arguments invoqués par ce dernier.

115    Au regard de la demande présentée par le Conseil à titre subsidiaire (voir point 45, deuxième tiret, ci-dessus) tendant, en substance, au maintien des effets de la décision 2022/376 jusqu’à l’expiration du délai prévu pour l’introduction d’un pourvoi visant le présent arrêt, en tant qu’il annulerait le règlement d’exécution 2022/375 dans la mesure où il concerne le requérant et, au cas où un pourvoi serait introduit à cet égard, jusqu’à la décision statuant sur celui-ci, il suffit de relever que la décision 2022/376 n’a produit d’effets que jusqu’au 6 septembre 2022. Par conséquent, l’annulation de celle-ci par le présent arrêt n’a pas de conséquence sur la période postérieure à cette date, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question du maintien des effets de cette décision (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2022, Pshonka/Conseil, T‑243/21, non publié, EU:T:2022:840, point 114 et jurisprudence citée).

 Sur les dépens

116    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision (PESC) 2022/376 du Conseil, du 3 mars 2022, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, et le règlement d’exécution (UE) 2022/375 du Conseil, du 3 mars 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine, sont annulés dans la mesure où le nom de M. Viktor Pavlovych Pshonka a été maintenu sur la liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives.

2)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens.

Spielmann

Mastroianni

Brkan

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 juillet 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : le tchèque.


1 Données confidentielles occultées.