Language of document : ECLI:EU:T:2014:890

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

16 octobre 2014 (*)

« Aides d’État – Électricité – Tarifs préférentiels – Décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE – Recours en annulation – Acte non susceptible de recours – Mesure d’aide totalement exécutée, en partie, à la date de la décision et, en partie, à la date d’introduction du recours – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑517/12,

Alro SA, établie à Slatina (Roumanie), représentée par MM. C. Quigley, QC, O. Bretz, solicitor, et Me S. Verschuur, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. É. Gippini Fournier et T. Maxian Rusche, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet, à titre principal, une demande d’annulation de la décision C (2012) 2517 final de la Commission, du 25 avril 2012, d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE concernant l’aide d’État SA 33624 (2012/C) (ex 2011/NN) – Roumanie – Tarifs préférentiels d’électricité en faveur d’Alro Slatina SA, et, à titre subsidiaire, une demande d’annulation de la décision C (2012) 2517 final pour autant qu’elle s’applique à la période allant du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2009,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. A. Dittrich, président, J. Schwarcz (rapporteur) et Mme V. Tomljenović, juges,

greffier : Mme S. Spyropoulos, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 avril 2014,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Alro SA, est un producteur roumain d’aluminium, qui a conclu, le 8 septembre 2005, avec l’entreprise publique Hidroelectrica SA (ci-après le « fournisseur ») un contrat à long terme de fourniture d’électricité en bande continue pour la période allant du 1er octobre 2005 au 31 janvier 2013. À compter du 1er janvier 2006, la requérante a, sur la base de ce contrat, acheté de l’électricité pour l’ensemble du groupe dont elle fait partie en Roumanie.

2        Le contrat à long terme de fourniture d’électricité en bande continue a fait l’objet, avant le 10 août 2012, de 17 avenants (ci-après la « mesure d’aide présumée »), dont le quatrième, signé le 6 juin 2006, a prévu une nouvelle formule de calcul du prix d’achat de l’électricité, qui a été appliquée du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2009 (ci-après le « contrat de 2005 modifié »). Le dix-septième avenant a été signé le 11 mars 2010 et il a prévu une nouvelle formule de calcul, applicable à partir du 1er janvier 2010 (ci-après le « contrat de 2010 »).

3        La formule de calcul contenue dans le contrat de 2005 modifié prévoyait que le prix d’un mégawattheure (MWh) d’électricité était indexé sur les coûts du fournisseur, dont les principales composantes étaient le coût de la main-d’œuvre, les coûts de fonctionnement et les frais d’amortissement, et tenait compte de l’inflation. La formule de calcul introduisait un prix-plancher, une obligation de paiement en leu roumain (RON) et le paiement de six mois d’achat en avance.

4        La formule de calcul contenue dans le contrat de 2010, remplaçant la formule précédente, n’était plus fondée sur les coûts de production du fournisseur, mais sur les cours de l’aluminium au London Metal Exchange (Bourse des métaux de Londres), supprimait le prix-plancher, choisissait le dollar des États-Unis (USD) comme monnaie de paiement et fixait à un mois l’obligation de payer en avance la fourniture d’électricité.

5        Au regard d’informations publiées dans la presse roumaine, la Commission européenne a, en janvier 2011, ouvert d’office une enquête sur les contrats à long terme en matière de fourniture d’électricité négociés directement entre le fournisseur et la requérante.

6        La Commission a demandé des renseignements à la Roumanie quant aux contrats à long terme de fourniture d’électricité susmentionnés, par des lettres des 16 février, 4 mars et 14 avril 2011, auxquelles la Roumanie a répondu par des courriers des 24 mars, 16 mai et 6 juin 2011. La Commission a également reçu les observations de la requérante par courriers des 30 septembre et 9 novembre 2011, et des 29 février et 8 mars 2012. Des réunions avec les représentants de la Roumanie et de la requérante ont également eu lieu.

7        Par la décision C (2012) 2517 final, du 25 avril 2012, la Commission a ouvert la procédure formelle d’examen prévue par l’article 108, paragraphe 2, TFUE, en ce qui concerne l’aide nouvelle versée à la requérante et aux autres membres du groupe dont elle faisait partie en Roumanie, d’une part, pendant la période allant du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2009 et, d’autre part, à partir du 1er janvier 2010, dans le cadre de la mesure d’aide présumée (ci-après la « décision attaquée »).

8        Aux considérants 61 et 152 de la décision attaquée, la Commission a, d’une part, émis l’avis préliminaire que la mesure d’aide présumée constituait une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, accordée sous forme de tarifs préférentiels pour la fourniture d’électricité, qui auraient pu avoir bénéficié à la requérante et à d’autres membres du groupe dont elle faisait partie en Roumanie, et, d’autre part, qu’elle doutait du fait que, en réduisant les coûts d’exploitation qui auraient dû être entièrement supportés par les bénéficiaires sans poursuivre le moindre objectif d’intérêt général, une telle aide pût être jugée compatible avec le traité.

9        Aux considérants 74 à 78 de la décision attaquée, la Commission a estimé que la mesure d’aide présumée constituait une aide nouvelle à compter de la date d’accession de la Roumanie à l’Union européenne, soit le 1er janvier 2007. Elle a distingué deux périodes, à savoir, premièrement, la période comprise entre le 1er janvier 2007 et le 1er janvier 2010, pendant laquelle s’appliquait le contrat de 2005 modifié, et, deuxièmement, la période postérieure au 1er janvier 2010, après que le contrat de 2010 est entré en vigueur.

 Procédure et conclusions des parties

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 novembre 2012, la requérante a introduit le présent recours.

11      La requérante demande à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, annuler la décision attaquée pour autant qu’elle vise la période allant du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2009 ;

–        condamner la Commission aux dépens.

12      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

13      Par un courrier déposé au greffe du Tribunal le 21 mars 2013, la requérante a sollicité du Tribunal, à titre de mesure d’organisation de la procédure, qu’il demandât à la Commission de produire des documents sur lesquels celle-ci s’appuyait dans le mémoire en défense.

14      Par un courrier déposé au greffe du Tribunal le 23 avril 2013, la Commission a fait part de ses observations sur la demande de mesure d’organisation de la procédure sollicitée par la requérante.

 En droit

 Considérations liminaires

15      La requérante soulève trois moyens, par lesquels elle critique l’évaluation par la Commission de la condition d’imputabilité de la mesure d’aide présumée à l’État roumain. Premièrement, la requérante soutient que la décision attaquée contient une erreur de droit, qui viole l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en particulier par une interprétation erronée des conditions posées par la jurisprudence de la Cour. Deuxièmement, la requérante soutient que la décision attaquée contient une erreur manifeste d’appréciation dans son application des critères de la jurisprudence de la Cour. Troisièmement, la décision attaquée ne serait pas dûment motivée.

16      À titre principal, la Commission considère que le recours est irrecevable et, à titre subsidiaire, qu’il est infondé.

17      S’agissant de la recevabilité du recours, la Commission soutient que le recours est irrecevable au motif que la requérante n’aurait pas d’intérêt né et actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée, puisque, à la date d’introduction du recours, la mesure d’aide présumée n’était plus en cours d’exécution. Elle fait également valoir que la requérante n’a pas apporté la preuve de son intérêt personnel, né et actuel à obtenir l’annulation de ladite décision.

18      Il convient, tout particulièrement, de répondre au premier motif d’irrecevabilité, qui consiste, en substance, à dénier à la décision attaquée la qualité d’acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE, eu égard à la nature et à la portée des questions juridiques qu’implique ce motif d’irrecevabilité.

 Sur le caractère d’acte attaquable de la décision attaquée

19      Selon la Commission, le recours est irrecevable, faute, pour la requérante, de disposer d’un intérêt né et actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée, puisque le contrat de 2010 n’était plus en cours d’exécution à la date d’introduction du recours, ayant été résilié et remplacé, à la suite de la déclaration d’insolvabilité du fournisseur, par le dix-huitième avenant, signé le 10 août 2012, qui comporte de nouvelles conditions contractuelles, constitutives d’une modification de l’aide au sens de l’article 4 du règlement (CE) no 794/2004 de la Commission, du 21 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO L 140, p. 1). Une telle conclusion vaudrait également pour le contrat de 2005 modifié, lequel avait cessé de produire ses effets à la date d’entrée en vigueur du contrat de 2010 et dont l’aide qui en découlait avait été accordée et versée.

20      La requérante considère que le recours est recevable, puisqu’une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen peut toujours être contestée, lorsque la Commission et l’État membre ou le bénéficiaire de la mesure d’aide présumée ne sont pas d’accord sur la nature exacte de celle-ci – aide nouvelle, aide existante ou mesure ne constituant pas une aide –, qu’elle soit ou non en cours d’exécution.

21      En outre, la requérante estime qu’il ressort des termes de l’article 4, paragraphe 4, du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO L 83, p. 1), que la décision attaquée est, en tant que telle, susceptible de recours, s’agissant, au surplus, d’une décision formelle qui, selon le libellé de l’article 263 TFUE, constitue un acte attaquable. Une telle décision pourrait produire des effets juridiques, eu égard à la possibilité d’une procédure devant le juge national en vue de suspendre ou de récupérer l’aide présumée illégale, le juge pouvant être appelé à tirer toutes les conséquences découlant d’une violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

22      D’une part, il ressort d’une jurisprudence constante développée dans le cadre de recours en annulation introduits par des États membres ou des institutions que sont considérées comme des actes attaquables au sens de l’article 263 TFUE toutes dispositions adoptées par les institutions, quelle qu’en soit la forme, qui visent à produire des effets de droit obligatoires (arrêts de la Cour du 31 mars 1971, Commission/Conseil, dit « AETR », 22/70, Rec. p. 263, point 42 ; du 2 mars 1994, Parlement/Conseil, C‑316/91, Rec. p. I‑625, point 8, et du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission, C‑463/10 P et C‑475/10 P, Rec. p. I‑9639, point 36). Il ressort en outre de la jurisprudence qu’un État membre est recevable à introduire un recours en annulation d’un acte produisant des effets de droit obligatoires sans qu’il doive démontrer un intérêt à agir (voir arrêt Deutsche Post et Allemagne/Commission, précité, point 36, et la jurisprudence citée).

23      Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que des mesures intermédiaires dont l’objectif est de préparer la décision finale ne constituent pas, en principe, des actes qui peuvent faire l’objet d’un recours en annulation (arrêts de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, Rec. p. 2639, point 10 ; du 17 juillet 2008, Athinaïki Techniki/Commission, C‑521/06 P, Rec. p. I‑5829, point 42, et Deutsche Post et Allemagne/Commission, point 22 supra, point 50). Les actes intermédiaires ainsi visés sont d’abord des actes qui expriment une opinion provisoire de l’institution (arrêt Deutsche Post et Allemagne/Commission, point 22 supra, point 50 ; voir également, en ce sens, arrêt IBM/Commission, précité, point 20).

24      Lorsque le recours en annulation contre un acte adopté par une institution est introduit par une personne physique ou morale, la Cour a itérativement jugé que celui-ci n’est ouvert que si les effets juridiques obligatoires de cet acte sont de nature à affecter les intérêts de la requérante, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celle‑ci (arrêts IBM/Commission, point 23 supra, point 9, et Deutsche Post et Allemagne/Commission, point 22 supra, point 37).

25      Il y a toutefois lieu de souligner que la jurisprudence citée au point 24 ci-dessus a été développée dans le cadre de recours portés devant le juge de l’Union par des personnes physiques ou morales contre des actes dont ils étaient les destinataires. Lorsqu’un recours en annulation est introduit par une partie requérante non privilégiée contre un acte dont elle n’est pas le destinataire, l’exigence selon laquelle les effets juridiques obligatoires de la mesure attaquée doivent être de nature à affecter les intérêts de la partie requérante, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celle‑ci, se chevauche avec les conditions posées à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (arrêt Deutsche Post et Allemagne/Commission, point 22 supra, point 38).

26      Dès lors, afin d’apprécier si la décision attaquée est susceptible de recours, il y a lieu, eu égard à la jurisprudence citée au point 22 ci-dessus, d’examiner si celle-ci constitue un acte qui vise à produire des effets de droit obligatoires (voir, en ce sens, arrêt Deutsche Post et Allemagne/Commission, point 22 supra, point 40).

27      D’autre part, s’agissant d’une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen d’une aide d’État, il ressort de la jurisprudence que, lorsque la Commission qualifie une mesure en cours d’exécution d’aide nouvelle, une telle décision emporte des effets juridiques autonomes, en particulier en ce qui concerne la suspension de la mesure considérée (arrêts de la Cour du 9 octobre 2001, Italie/Commission, C‑400/99, Rec. p. I‑7303, point 62 ; du Tribunal du 23 octobre 2002, Diputación Foral de Álava e.a./Commission, T‑346/99 à T‑348/99, Rec. p. II‑4259, point 33, et du 25 mars 2009, Alcoa Trasformazioni/Commission, T‑332/06, non publié au Recueil, point 35). Cette conclusion s’impose non seulement dans le cas où la mesure en cours d’exécution est considérée par les autorités de l’État membre concerné comme une aide existante, mais également dans le cas où ces autorités estiment que la mesure visée par la décision d’ouverture ne tombe pas dans le champ d’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (arrêts Diputación Foral de Álava e.a./Commission, précité, point 33, et Alcoa Trasformazioni/Commission, précité, point 35).

28      En effet, une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen à l’égard d’une mesure en cours d’exécution et qualifiée d’aide nouvelle par la Commission modifie nécessairement la portée juridique de la mesure considérée ainsi que la situation juridique des entreprises qui en sont bénéficiaires, notamment en ce qui concerne la poursuite de la mise en œuvre de cette mesure. Jusqu’à l’adoption d’une telle décision, l’État membre, les entreprises bénéficiaires et les autres opérateurs économiques peuvent penser que la mesure est licitement mise en œuvre en tant que mesure générale ne tombant pas dans le champ d’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE ou en tant qu’aide existante. En revanche, après l’adoption d’une telle décision, il existe à tout le moins un doute important sur la légalité de cette mesure, qui, sans préjudice de la faculté de solliciter des mesures provisoires auprès du juge des référés, doit conduire l’État membre à en suspendre l’application, dès lors que l’ouverture de la procédure formelle d’examen exclut une décision immédiate concluant à la compatibilité avec le marché intérieur qui permettrait de poursuivre licitement l’exécution de ladite mesure. Une telle décision pourrait également être invoquée devant un juge national appelé à tirer toutes les conséquences découlant de la violation de l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE. Enfin, elle est susceptible de conduire les entreprises bénéficiaires de la mesure à refuser en tout état de cause de nouveaux versements ou de nouveaux avantages, ou à provisionner les sommes nécessaires à d’éventuelles compensations financières ultérieures. Les milieux d’affaires tiendront également compte, dans leurs relations avec lesdits bénéficiaires, de la situation juridique et financière fragilisée de ces derniers (arrêts Italie/Commission, point 27 supra, point 59 ; Diputación Foral de Álava e.a./Commission, point 27 supra, point 34, et Alcoa Trasformazioni/Commission, point 27 supra, point 36).

29      Enfin, les effets juridique autonomes mentionnés aux points 27 et 28 ci-dessus doivent être compris comme les effets de droit obligatoires produits par des mesures préparatoires ou intermédiaires, comme, en l’espèce, la décision attaquée, contre lesquels un recours à l’encontre de la décision mettant fin à la procédure relative à l’aide d’État présumée n’est pas de nature à assurer une protection juridictionnelle suffisante à l’égard des bénéficiaires de la mesure d’aide présumée (voir, en ce sens, arrêt Deutsche Post et Allemagne/Commission, point 22 supra, points 54 à 56).

30      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient de déterminer si la décision attaquée constitue un acte qui vise à produire des effets de droit obligatoires et, donc, un acte susceptible de recours, au sens de l’article 263 TFUE.

31      L’argumentation de la Commission repose sur le postulat que, en règle générale, une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen constitue un simple acte préparatoire, qui ne produit pas d’effets de droit obligatoires et n’est pas de nature à affecter les intérêts du bénéficiaire de l’aide présumée en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique. Néanmoins, la Commission reconnaît que, par exception, une telle décision constitue un acte attaquable si la mesure qu’elle vise est en cours d’exécution. Elle est d’avis que, dans ce cas, une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen produit des effets juridiques autonomes en raison de son effet suspensif, l’État membre destinataire étant tenu de suspendre l’aide.

32      En premier lieu, il convient de constater que la Commission a estimé, aux considérants 74 à 79 de la décision attaquée, que la mesure d’aide présumée constituait une aide nouvelle, dans la mesure où elle découlait tant du contrat de 2005 modifié que du contrat de 2010 (voir point 9 ci-dessus), et, au considérant 145 de ladite décision, que cette mesure avait été accordée en violation des obligations de notification et d’interdiction de mise à exécution fixées par l’article 108, paragraphe 3, TFUE, applicables aux aides qualifiées de nouvelles. Dans le dispositif de la décision attaquée, la Commission a rappelé à la Roumanie que cette dernière disposition avait un effet suspensif et que l’article 14 du règlement no 659/1999 prévoyait que toute aide illégale pouvait être récupérée auprès du bénéficiaire.

33      Il y a lieu de noter que la requérante déclare ne pas contester devant le Tribunal l’appréciation portée par la Commission dans la décision attaquée quant à l’existence de deux contrats distincts, le contrat de 2005 modifié et le contrat de 2010.

34      En deuxième lieu, il convient de souligner que, à ce jour, ni la Cour ni le Tribunal n’a eu à se prononcer sur la recevabilité d’un recours en annulation d’une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen à l’égard d’une mesure qui n’était plus en cours d’exécution à la date de la décision en question ou à la date d’introduction dudit recours. Or, si la requérante considère que toute décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen peut être contestée devant le juge de l’Union, la possibilité d’engager un recours en annulation dépend, en réalité, du point de savoir si une telle décision emporte des effets juridiques autonomes au sens du point 29 ci-dessus (arrêts Italie/Commission, point 27 supra, point 62 ; Diputación Foral de Álava e.a./Commission, point 27 supra, point 33, et Alcoa Trasformazioni/Commission, point 27 supra, point 35).

35      À cet égard, il y a lieu de considérer qu’une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen emporte des effets juridiques autonomes, lorsque, au vu des conclusions qu’elle contient, elle produit un effet immédiat, certain et suffisamment contraignant sur l’État membre qui en est destinataire et le ou les bénéficiaires de la mesure d’aide sous examen. Il s’agit donc d’une décision qui, par son seul effet et sans que d’autres mesures prises par la Commission ou une autre autorité soient nécessaires, oblige l’État membre destinataire à adopter une ou plusieurs mesures afin de s’y conformer.

36      Tel est le cas lorsque la Commission décide d’ouvrir la procédure formelle d’examen à l’égard d’une mesure d’aide mise à exécution sans avoir été notifiée et toujours en cours d’exécution à la date à laquelle la décision est adoptée. Dans ce cas, la portée de la mesure sous examen est nécessairement modifiée, eu égard à la conclusion provisoire de la Commission sur son caractère d’aide d’État illégale, car mise en œuvre sans avoir été notifiée. Au regard d’une telle appréciation, qui fait naître un doute important sur la légalité de la mesure sous examen, l’État membre destinataire de la décision doit suspendre l’application de cette mesure (voir, en ce sens, arrêts Italie/Commission, point 27 supra, point 59 ; Diputación Foral de Álava e.a./Commission, point 27 supra, point 34, et Alcoa Trasformazioni/Commission, point 27 supra, point 36). Il s’agit là d’un effet immédiat, certain et suffisamment contraignant de la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, l’État membre étant tenu de suspendre l’application de la mesure sous examen par l’effet de la seule décision et afin de tirer les conséquences de ses conclusions provisoires quant à l’illégalité de ladite mesure.

37      D’ailleurs, le juge de l’Union considère que, lorsque la Commission a ouvert la procédure formelle d’examen à l’égard d’une mesure en cours d’exécution, les juridictions nationales sont tenues d’adopter toutes les mesures nécessaires en vue de tirer les conséquences d’une éventuelle violation de l’obligation de suspension de l’exécution de ladite mesure (arrêt de la Cour du 21 novembre 2013, Deutsche Lufthansa, C‑284/12, point 42).

38      À cette fin, les juridictions nationales peuvent décider de suspendre l’exécution de la mesure sous examen et d’enjoindre la récupération des montants déjà versés. Elles peuvent aussi décider d’ordonner des mesures provisoires afin de sauvegarder, d’une part, les intérêts des parties concernées et, d’autre part, l’effet utile de la décision de la Commission d’ouvrir la procédure formelle d’examen (arrêt Deutsche Lufthansa, point 37 supra, point 43).

39      À la différence d’une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen à l’égard d’une mesure en cours d’exécution, une décision de cette nature visant une mesure qui n’est plus en cours d’exécution n’emporte pas d’effets juridiques autonomes, faute de posséder une portée immédiate, certaine et suffisamment contraignante envers l’État membre destinataire et le ou les bénéficiaires de la mesure sous examen.

40      Ainsi, l’État membre n’est pas tenu d’agir en recouvrement des aides versées au bénéficiaire en raison de l’adoption d’une telle décision. À cet égard, il convient de constater que le règlement no 659/1999 lui-même impose des conditions très strictes à la Commission lorsqu’elle envisage d’enjoindre à l’État membre concerné la récupération provisoire de l’aide. L’article 11, paragraphe 2, du règlement no 659/1999 exige que le caractère d’aide de la mesure concernée ne fasse pas de doute, qu’il y ait urgence à agir et qu’il existe un risque sérieux de préjudice substantiel et irréparable pour un concurrent. De telles conditions, certes fixées pour l’adoption d’une décision distincte et d’une portée différente de la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, constituent des indices de l’inexistence, pour l’État membre destinataire, d’une obligation générale de récupération des aides illégalement versées, découlant de cette seule dernière décision. Par ailleurs, l’article 14, paragraphe 1, du règlement no 659/1999 prévoit expressément que, après l’adoption d’une décision finale constatant l’incompatibilité d’une aide avec le marché intérieur, la Commission n’exige pas la récupération de celle-ci si, ce faisant, elle allait à l’encontre d’un principe général du droit de l’Union.

41      En outre, il a été jugé, d’une part, que le juge national n’était pas tenu d’ordonner la récupération d’une aide mise à exécution en méconnaissance de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, lorsque la Commission avait adopté une décision finale constatant la compatibilité de ladite aide avec le marché intérieur au sens de l’article 107 TFUE, mais qu’il était tenu d’ordonner au bénéficiaire de l’aide le paiement d’intérêts au titre de la période d’illégalité (arrêt de la Cour du 12 février 2008, CELF et Ministre de la Culture et de la Communication, C‑199/06, Rec. p. I‑469, point 55). D’autre part, lors d’un litige devant une juridiction nationale ayant pour objet le recouvrement d’une aide, l’obligation, pour le juge national, d’adopter des mesures de sauvegarde n’existe que si les conditions justifiant de telles mesures sont réunies, à savoir si la qualification d’aide d’État ne fait pas de doute, si l’aide est sur le point d’être ou a été mise à exécution et si ne sont pas constatées des circonstances exceptionnelles rendant inappropriée une récupération, sinon la juridiction nationale doit rejeter la demande (arrêt de la Cour du 11 mars 2010, CELF et Ministre de la Culture et de la Communication, C‑1/09, Rec. p. I‑2099, point 36).

42      Au vu de ce qui précède, il ne peut être considéré qu’une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen à l’égard d’une mesure qui n’est plus en cours d’exécution produit un effet immédiat, certain et suffisamment contraignant sur l’État membre pour l’obliger à récupérer l’aide illégalement versée.

43      S’agissant du caractère certain des effets juridiques autonomes produits par la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, il convient de constater que, contrairement à l’obligation de suspendre la mesure sous examen découlant d’une telle décision prise à l’égard d’une mesure en cours d’exécution, la récupération d’une aide illégale n’est, en règle générale, susceptible d’intervenir qu’à l’occasion d’un litige devant le juge national dont l’issue est, par nature, incertaine, eu égard aux différents paramètres que ce juge doit prendre en considération pour condamner le bénéficiaire d’une aide illégale à la reverser (voir point 41 ci-dessus).

44      Par suite, il résulte de toutes ces considérations qu’une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen à l’encontre d’une mesure qui n’est plus en cours d’exécution, comme en l’espèce le contrat de 2005 modifié, n’emporte pas d’effets juridiques autonomes et, partant, ne produit pas d’effets de droit obligatoires. Il ne s’agit donc pas d’un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE.

45      En troisième lieu, il y a lieu de constater que la conclusion à laquelle le Tribunal parvient au point 44 ci-dessus ne saurait valoir pour le contrat de 2010, lequel était en cours d’exécution à la date de la décision attaquée. Cependant, il est constant que le contrat de 2010 a été résilié et remplacé par le dix-huitième avenant, signé le 10 août 2012, qui est entré rétroactivement en vigueur au 1er janvier 2012. Or, dans la mesure où le présent recours a été déposé au greffe du Tribunal le 23 novembre 2012, force est de constater que la mesure d’aide présumée n’était plus en cours d’exécution à la date d’introduction dudit recours.

46      À cet égard, il résulte de la jurisprudence que la recevabilité d’un recours est à apprécier en se référant à la situation au moment où la requête est déposée (arrêts de la Cour du 27 novembre 1984, Bensider e.a./Commission, 50/84, Rec. p. 3991, point 8, et du 18 avril 2002, Espagne/Conseil, C‑61/96, C‑132/97, C‑45/98, C‑27/99, C‑81/00 et C‑22/01, Rec. p. I‑3439, point 23).

47      Dès lors, en tant qu’elle vise le contrat de 2010, la décision attaquée n’emporte plus d’effets juridiques autonomes et, partant, ne produit plus d’effets de droit obligatoires. Dans cette mesure, la décision attaquée ne constitue plus un acte attaquable à la date d’introduction du recours.

48      En quatrième lieu, il convient de constater que les différents arguments présentés par la requérante ne permettent pas de revenir sur les conclusions des points 44 et 47 ci-dessus.

49      Premièrement, la requérante invoque les termes de l’article 4, paragraphe 4, du règlement no 659/1999 pour soutenir que la décision attaquée est, en tant que telle, susceptible de recours, s’agissant, au surplus, d’une décision formelle qui, en vertu du libellé de l’article 263 TFUE, constitue un acte attaquable, ce que la jurisprudence de la Cour confirmerait.

50      S’il est vrai que le règlement no 659/1999 utilise le terme de décision pour dénommer plusieurs des mesures que la Commission peut prendre lors de la procédure d’examen des aides d’État, il résulte de la jurisprudence que, afin de déterminer si un acte constitue un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE, notamment pour distinguer une mesure préparatoire d’une décision finale, il y a lieu de s’attacher à la substance de la mesure dont l’annulation est demandée, la forme dans laquelle elle a été prise étant en principe indifférente à cet égard (voir, en ce sens, arrêts AETR, point 22 supra, point 42 ; IBM/Commission, point 23 supra, point 9 ; du Tribunal du 24 mars 1994, Air France/Commission, T‑3/93, Rec. p. II‑121, points 43 et 57, et du 17 avril 2008, Cestas/Commission, T‑260/04, Rec. p. II‑701, point 68).

51      En l’espèce, il ressort à suffisance des points 39 à 44 ci-dessus qu’une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen à l’encontre d’une mesure qui n’est plus en cours d’exécution à la date de cette décision n’emporte pas d’effets juridiques autonomes, ne produisant ainsi pas d’effets de droit obligatoires, révélateurs de l’existence d’un acte attaquable. Autrement dit, un tel acte, qui constitue une décision sur le plan formel, n’a pas, en raison de sa substance, de portée décisoire.

52      Lors de l’audience, la requérante s’est appuyée sur l’arrêt Deutsche Post et Allemagne/Commission, point 22 supra (points 43 à 45), pour étayer son argumentation quant au caractère déterminant de la forme en laquelle a été adoptée la décision attaquée pour déterminer si celle-ci pouvait faire l’objet d’un recours en annulation. Certes, dans cet arrêt, la Cour a jugé que, en prévoyant que l’injonction de fournir des informations, prévue à l’article 10, paragraphe 3, du règlement no 659/1999, prenait la forme d’une décision, le législateur de l’Union avait eu l’intention d’attribuer un caractère contraignant à un tel acte, et que, ainsi, une telle injonction visait à produire des effets de droit obligatoires et qu’elle constituait, dès lors, un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE. Néanmoins, force est de constater que la Cour ne s’est pas bornée à cette analyse pour juger que l’acte attaqué en l’espèce pouvait faire l’objet d’un recours en annulation. Dans la suite de l’arrêt Deutsche Post et Allemagne/Commission, point 22 supra, la Cour a examiné si, comme le Tribunal l’avait jugé dans l’ordonnance qui faisait l’objet du pourvoi qui lui était soumis, l’acte attaqué constituait une mesure intermédiaire de caractère préparatoire et s’il comportait des effets juridiques autonomes contre lesquels le recours à l’encontre de la décision mettant fin à la procédure relative à l’aide d’État présumée était de nature à assurer une protection juridictionnelle suffisante à l’égard des requérantes dans cette affaire (points 48 à 63). Or, la Cour a constaté que tel n’était pas le cas puisque, si l’acte attaqué constituait en effet un acte intermédiaire, les effets de son éventuelle illégalité n’étaient pas susceptibles d’être annihilés par un recours introduit contre la décision mettant fin à la procédure relative à l’aide d’État présumée (arrêt Deutsche Post et Allemagne/Commission, point 22 supra, points 56 à 60). Dès lors, si la Cour a pris en compte la forme dans laquelle l’acte attaqué avait été adopté, à savoir une décision au sens de l’article 288 TFUE, pour considérer qu’il s’agissait d’un acte pouvant faire l’objet d’un recours en annulation, cette appréciation n’a été qu’un élément de son raisonnement pour parvenir à une telle conclusion.

53      Deuxièmement, la requérante a insisté, lors de l’audience, sur l’importance de l’arrêt Deutsche Lufthansa, point 37 supra, pour déterminer si la décision attaquée constituait un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE. Selon elle, la Cour a jugé qu’une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen produisait des effets juridiques autonomes au motif qu’elle créait des liens contraignants pour les juridictions nationales, notamment en ce que celles-ci pouvaient décider de suspendre la mesure en cause, ordonner la récupération des sommes déjà versées au bénéficiaire de cette mesure ou décider de mesures provisoires pour sauvegarder les intérêts des parties. Elle est d’avis qu’elle risque de se voir confrontée, pendant la procédure formelle d’examen, à des procédures juridictionnelles quand bien même la mesure d’aide présumée ne serait plus en cours d’exécution, car les juridictions nationales doivent appliquer les conclusions de la décision attaquée.

54      Tout d’abord, il y a lieu de rappeler que le litige au principal, dont était saisi le juge allemand et qui avait donné lieu à la demande de décision préjudicielle à laquelle la Cour a répondu, portait sur une mesure d’aide en cours d’exécution à la date de la décision de la Commission ouvrant la procédure formelle d’examen (voir point 37 ci-dessus).

55      Ensuite, s’il n’est pas contestable que, saisi d’une demande en ce sens, le juge national peut ordonner la récupération de l’aide versée, que la mesure d’aide soit ou ne soit plus en cours d’exécution à la date de la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, une telle possibilité ne peut être regardée comme un effet immédiat, certain et suffisamment contraignant de ladite décision. À cet égard, la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen n’emporte un tel effet à l’égard de l’État membre que dans l’hypothèse où la mesure concernée est en cours d’exécution, puisque, dans ce dernier cas, l’État membre est tenu, par la décision même, de suspendre la mesure d’aide sans qu’il soit nécessaire de saisir le juge national (voir points 36 à 38 ci-dessus). En outre, il ressort des principes énoncés plus haut que, contrairement à ce que la requérante soutient, le juge national n’a pas l’obligation d’ordonner la récupération de l’aide versée (voir points 40 et 41 ci-dessus), qui ne peut intervenir, en règle générale, qu’à l’occasion d’un litige juridictionnel dont l’issue est, par nature, incertaine (voir point 43 ci-dessus).

56      À cet égard, il convient, à l’instar de la Commission, de rappeler que, en application du principe de coopération loyale entre, d’une part, les juridictions nationales et, d’autre part, la Commission et les juridictions de l’Union, il est seulement exigé du juge national qu’il prenne toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution des obligations découlant du droit de l’Union et qu’il s’abstienne de celles qui sont susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du traité, en particulier, de décisions allant à l’encontre d’une décision de la Commission, même si elle revêt un caractère provisoire (arrêt Deutsche Lufthansa, point 37 supra, point 41).

57      Par suite, l’interprétation de l’arrêt Deutsche Lufthansa, point 37 supra, ne permet pas de considérer qu’une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen à l’encontre d’une mesure qui n’est plus en cours d’exécution aurait une portée immédiate, certaine et suffisamment contraignante envers l’État membre destinataire.

58      Troisièmement, la requérante a soutenu, lors de l’audience, que la seule possibilité de déposer un recours en annulation à l’encontre de la décision clôturant la procédure formelle d’examen ou celle d’invoquer l’illégalité de la décision attaquée par la voie de l’exception ne lui assureraient pas une protection suffisante.

59      L’argumentation de la requérante peut être regardée comme signifiant que la possibilité de contester la légalité de la décision finale ou celle d’invoquer, par la voie de l’exception, l’illégalité de la décision attaquée ne suffisent pas à lui assurer une protection juridictionnelle effective, puisqu’elle serait susceptible de faire face à d’éventuelles actions en récupération des aides versées antérieurement à l’adoption d’une telle décision finale. Or, dans une situation comme celle de l’espèce, la protection juridictionnelle de la requérante au regard du traité est assurée par la possibilité pour le juge national, saisi d’un litige portant sur la récupération de l’aide illégale versée, de présenter à la Cour une demande préjudicielle en appréciation de validité de la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen, en application de l’article 267 TFUE, puisque seules sont exclues de cette voie de recours les personnes qui pouvaient former à l’encontre d’une telle décision un recours en annulation sur le fondement de l’article 263 TFUE (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 9 mars 1994, TWD Textilwerke Deggendorf, C‑188/92, Rec. p. I‑833, point 26).

60      Quatrièmement, la requérante soutient qu’il ressort de la décision attaquée que la Commission conclut que le contrat de 2005 modifié et le contrat de 2010 constituent une mesure d’aide d’État illégale, sans que transparaissent, notamment dans le dispositif, les doutes de celle-ci quant au fait qu’il s’agisse d’une aide d’État, faute d’avoir qualifié la mesure d’aide présumée d’aide d’État « éventuelle » ou « suspectée ».

61      Il convient de constater qu’il ressort à suffisance de la décision attaquée que les conclusions auxquelles est parvenue la Commission quant au caractère illégal de la mesure d’aide présumée ont été effectuées à titre provisoire, à l’issue d’une évaluation préliminaire conforme aux dispositions de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 659/1999. Ainsi, au considérant 61 de la décision attaquée, la Commission a affirmé que, « [a]près avoir examiné les informations et arguments présentés jusqu’alors par [la Roumanie] et [la requérante], [elle] émet[tait] l’avis préliminaire que [la mesure d’aide présumée] impliqu[ait] une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE », et qu’elle doutait de sa compatibilité avec le traité. Au considérant 62 de la décision attaquée, la Commission a mentionné les indices concernant l’existence d’une aide d’État et les doutes portant sur la compatibilité d’une telle aide présumée avec le marché intérieur. À la lecture de ces passages de la décision attaquée, il ne peut être soutenu que la Commission s’est livrée à une appréciation définitive du caractère d’aide d’État de la mesure d’aide présumée. S’agissant du considérant 152 de la décision attaquée, la Commission y a conclu, à titre préliminaire, que le contrat de 2005 modifié et le contrat de 2010 constituaient une aide d’État illégale, qui ne semblait remplir aucune des conditions de compatibilité avec le marché intérieur.

62      Cinquièmement, la requérante estime que la décision attaquée, en visant des contrats passés avec le fournisseur, a créé une incertitude significative dans les milieux d’affaires ainsi que dans ses relations avec les banques, ses clients et ses concurrents, notamment quant à une éventuelle demande du fournisseur de lui verser des montants supplémentaires au titre des fournitures passées.

63      À l’instar de la Commission, il convient de constater que l’incertitude commerciale et les perceptions des autres opérateurs quant à la situation du bénéficiaire d’une mesure d’aide, comme l’est la requérante en l’espèce, ne sauraient être considérées comme des effets de droit obligatoires, dès lors qu’il ne s’agit que de simples conséquences de fait et non d’effets juridiques que la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen est destinée à produire (voir, en ce sens et par analogie, arrêts de la Cour IBM/Commission, point 23 supra, point 19 ; du 1er décembre 2005, Italie/Commission, C‑301/03, Rec. p. I‑10217, point 30, et du Tribunal du 20 mai 2010, Allemagne/Commission, T‑258/06, Rec. p. II‑2027, point 151). Certes, le juge de l’Union a pris en considération la circonstance que les milieux d’affaires tiendront compte, dans leurs relations avec le bénéficiaire d’une mesure d’aide illégale, de la situation juridique et financière fragilisée de ce dernier (arrêts Italie/Commission, point 27 supra, point 59 ; Diputación Foral de Álava e.a./Commission, point 27 supra, point 34, et Alcoa Trasformazioni/Commission, point 27 supra, point 36). Néanmoins, par de telles considérations, il est clair que le juge de l’Union n’a fait que mettre en lumière les conséquences factuelles des effets de droit obligatoires au vu desquels il a estimé, dans ces arrêts, que les décisions d’ouvrir la procédure formelle d’examen à l’encontre d’une mesure en cours d’exécution constituaient des actes attaquables.

64      Par suite, l’argument de la requérante n’est pas susceptible d’avoir d’incidence sur la qualification de la décision attaquée en tant qu’acte susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation.

65      Sixièmement, la requérante fait état d’une circonstance dont elle impute la survenance à la décision attaquée, à savoir que la société V., à laquelle elle serait apparentée, aurait suspendu son projet de construction d’une centrale à gaz de cogénération en Roumanie, en raison de la réticence des banques à le financer.

66      Une telle circonstance ne peut être regardée comme un effet de droit obligatoire de la décision attaquée, s’agissant, tout au plus, d’une éventuelle conséquence de fait de cette décision (voir point 63 ci-dessus). En tout état de cause, force est de constater que la requérante n’apporte aucun élément de preuve de ce qu’elle avance, aucun document qui démontrerait l’intention initiale de la société V. de s’engager dans le projet en question, sa décision de suspendre ce projet et le lien entre cette supposée décision et un refus de financement de la part des banques en raison de la décision attaquée ne figurant pas au dossier.

67      Il résulte de tout ce qui précède que la décision attaquée ne constitue pas un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE et que, par conséquent, le recours est irrecevable, sans qu’il soit besoin de faire droit à la mesure d’organisation de la procédure demandée par la requérante.

 Sur les dépens

68      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En l’espèce, la requérante succombant, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens et ceux de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      Alro SA est condamnée aux dépens.

Dittrich

Schwarcz

Tomljenović

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 16 octobre 2014.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.