Language of document : ECLI:EU:T:2023:803

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

13 décembre 2023 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Conjoint survivant – Pension de survie – Refus d’octroi – Conditions d’éligibilité – Durée du mariage – Article 20 de l’annexe VIII du statut – Exception d’illégalité – Égalité de traitement »

Dans l’affaire T‑622/22,

Viviane Van Oosterwijck, demeurant à Kontich (Belgique), représentée par Mes F. Moyse et L. Heisten, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mmes M. Brauhoff et G. Niddam, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Parlement européen, représenté par Mmes S. Bukšek Tomac et A. Krachler, en qualité d’agents,

et par

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. M. Bauer et Mme X. Chamodraka, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de M. R. da Silva Passos, président, Mmes N. Półtorak et T. Pynnä (rapporteure), juges,

greffier : M. L. Ramette, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 19 octobre 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 270 TFUE, la requérante, Mme Viviane Van Oosterwijck, demande l’annulation de la décision de la Commission européenne du 15 décembre 2021 par laquelle celle-ci a rejeté sa demande d’octroi d’une pension de survie (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        La requérante est une ancienne fonctionnaire de la Commission qui bénéficie d’une pension d’ancienneté. Son époux décédé était également un ancien fonctionnaire et il bénéficiait d’une pension d’invalidité depuis le 1er juin 1997.

3        La requérante et son époux, veuf d’un précédent mariage depuis 2014, étaient déjà en couple avant de commencer à cohabiter en juin 2016. Leur mariage a eu lieu en mai 2020 et l’époux de la requérante est décédé en décembre 2021.

4        Par lettre du 15 décembre 2021, l’Office « Gestion et liquidation des droits individuels » (PMO) de la Commission a informé la requérante qu’elle ne pouvait pas bénéficier d’une pension de survie en sa qualité de conjoint survivant d’un ancien fonctionnaire, car elle ne remplissait pas la condition de cinq ans de mariage prévue par l’article 20 de l’annexe VIII du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »).

5        La requérante a introduit une réclamation contre cette décision le 7 mars 2022.

6        Par décision de l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») du 7 juillet 2022, cette réclamation a été rejetée (ci-après la « décision de rejet de la réclamation »).

 Conclusions des parties

7        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision de rejet de la réclamation ;

–        annuler, pour autant que de besoin, la décision attaquée ;

–        reconnaître à la requérante le droit de bénéficier d’une pension de survie ;

–        condamner la Commission aux dépens.

8        La Commission, soutenue par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur l’objet du recours

9        Il convient de rappeler que, conformément aux dispositions combinées de l’article 90, paragraphe 2, et de l’article 91, paragraphes 1 et 2, du statut, le recours dirigé contre une décision de l’AIPN ou contre l’abstention de cette autorité de prendre une mesure imposée par le statut n’est recevable que si l’intéressé a préalablement saisi l’AIPN d’une réclamation et si celle-ci a, au moins partiellement, fait l’objet d’un rejet explicite ou implicite. La réclamation administrative et son rejet, explicite ou implicite, font ainsi partie intégrante d’une procédure complexe et ne constituent qu’une condition préalable à la saisine du juge (arrêt du 25 octobre 2006, Staboli/Commission, T‑281/04, EU:T:2006:334, points 25 et 26).

10      Selon une jurisprudence constante, des conclusions en annulation formellement dirigées contre la décision de rejet d’une réclamation ont pour effet de saisir le Tribunal de l’acte contre lequel la réclamation a été présentée lorsqu’elles sont, en tant que telles, dépourvues de contenu autonome (voir arrêt du 20 novembre 2007, Ianniello/Commission, T‑205/04, EU:T:2007:346, point 27 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 17 janvier 1989, Vainker/Parlement, 293/87, EU:C:1989:8, point 8).

11      En l’espèce, étant donné que la décision de rejet de la réclamation ne fait que confirmer la décision attaquée, il y a lieu de constater que les conclusions en annulation de la décision de rejet de la réclamation sont dépourvues de contenu autonome et qu’il n’y a donc pas lieu de statuer spécifiquement sur celles-ci, même si, dans l’examen de la légalité de la décision attaquée, il conviendra de prendre en considération la motivation figurant dans la décision de rejet de la réclamation, cette motivation étant censée coïncider avec celle de la décision attaquée (voir arrêt du 13 décembre 2018, CH/Parlement, T‑83/18, EU:T:2018:935, point 57 et jurisprudence citée).

 Sur le moyen unique, tiré d’une exception d’illégalité de l’article 20 de l’annexe VIII du statut

12      La requérante invoque les articles 20 et 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et fait valoir que l’article 20 de l’annexe VIII du statut, qui dispose que « la condition d’antériorité [selon laquelle, pour bénéficier d’une pension de survie, le mariage entre le conjoint survivant et l’ancien fonctionnaire doit avoir été contracté avant que le fonctionnaire n’ait cessé d’être au service d’une institution] ne joue pas si le mariage, même contracté postérieurement à la cessation d’activité du fonctionnaire, a duré au moins cinq ans », introduit une différence de traitement au regard des conjoints survivants d’un ancien fonctionnaire titulaire d’une allocation d’invalidité qui relèvent de l’article 19 de cette annexe lorsque le mariage a été contracté avant la cessation d’activité du fonctionnaire. Les articles 19 et 20 de l’annexe VIII du statut viseraient dès lors des situations juridiques identiques, mais en les traitant de manière différente, introduisant ainsi une discrimination.

13      La requérante soutient que cette différentiation de traitement est manifestement inadéquate au regard de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause, à savoir prévenir les fraudes et les abus qui pourraient porter atteinte aux finances de l’Union européenne. Elle fait valoir que la condition liée à la durée du mariage est inapte à tenir compte de la réalité concrète des situations qui peuvent se présenter, qu’elle est mécanique et automatique et qu’elle va à l’encontre de l’objet de la pension de survie qui serait de compenser partiellement la perte de rémunération du fonctionnaire décédé.

14      La requérante présente également une série d’arguments qui tendent à établir que la discrimination qui découle de l’article 20 de l’annexe VIII du statut ne saurait être justifiée à la lumière de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte et qu’elle serait contraire au principe de proportionnalité. En effet, le seuil prévu par l’article 20 de l’annexe VII du statut ne permettrait pas d’atteindre l’objectif fixé, il ne serait pas nécessaire, tandis que d’autres moyens moins contraignants permettant d’atteindre le même objectif existeraient.

15      La Commission, soutenue par le Parlement et le Conseil, conteste les arguments de la requérante.

16      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle l’égalité en droit, énoncée à l’article 20 de la Charte, est un principe général du droit de l’Union qui exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’une différenciation ne soit objectivement justifiée (voir arrêt du 14 juillet 2022, Commission/VW e.a., C‑116/21 P à C‑118/21 P, C‑138/21 P et C‑139/21 P, EU:C:2022:557, point 95 et jurisprudence citée).

17      L’exigence tenant au caractère comparable des situations, afin de déterminer l’existence d’une violation du principe d’égalité de traitement, doit être appréciée au regard de l’ensemble des éléments qui les caractérisent et, notamment, à la lumière de l’objet et du but poursuivi par l’acte qui institue la distinction en cause, étant entendu qu’il doit être tenu compte, à cet effet, des principes et des objectifs du domaine dont relève cet acte. Pour autant que les situations ne sont pas comparables, une différence de traitement des situations concernées ne viole pas l’égalité en droit consacrée à l’article 20 de la Charte (voir arrêt du 14 juillet 2022, Commission/VW e.a., C‑116/21 P à C‑118/21 P, C‑138/21 P et C‑139/21 P, EU:C:2022:557, point 96 et jurisprudence citée).

18      Selon la jurisprudence, les articles 19 et 20 de l’annexe VIII du statut ont un objet et un but sensiblement identiques au regard de la jurisprudence mentionnée au point 17 ci-dessus, à savoir sous réserve du respect de la condition de durée minimale du mariage prévue à la seconde de ces dispositions, l’octroi de pensions de survie au conjoint survivant en fonction de la seule nature juridique des liens unissant ce conjoint au conjoint décédé afin d’octroyer au conjoint survivant un revenu de remplacement destiné à compenser partiellement la perte des revenus du conjoint décédé, celui‑ci ayant été, avant son décès, un ancien fonctionnaire qui n’était plus en activité (voir, en ce sens, ordonnance du 22 décembre 2022, Conseil/Commission et Commission/FI, C‑313/21 P et C‑314/21 P, EU:C:2022:1045, points 46 et 47, et arrêt du 7 juin 2023, OP/Parlement, T‑143/22, EU:T:2023:313, point 32).

19      En effet, ainsi que le souligne à bon droit la requérante, le principal élément caractérisant les pensions de survie concernées réside dans la nature juridique des liens unissant le conjoint survivant, en tant que personne à laquelle lesdites dispositions confèrent un droit, à l’ancien fonctionnaire décédé. L’application des articles 19 et 20 de l’annexe VIII du statut diffère uniquement, selon que le mariage a été conclu avant ou après la date d’admission au bénéfice de l’allocation d’invalidité du fonctionnaire, l’article 20 de cette annexe prévoyant une condition de durée minimale du mariage au contraire de l’article 19 de ladite annexe (ordonnance du 22 décembre 2022, Conseil/Commission et Commission/FI, C‑313/21 P et C‑314/21 P, EU:C:2022:1045, point 46 ; voir également, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2022, Commission/VW e.a., C‑116/21 P à C‑118/21 P, C‑138/21 P et C‑139/21 P, EU:C:2022:557, points 107 et 108).

20      Il s’ensuit que les articles 19 et 20 de l’annexe VIII du statut traitent de manière différente des situations comparables (arrêt du 7 juin 2023, OP/Parlement, T‑143/22, EU:T:2023:313, point 35 ; voir également, en ce sens, ordonnance du 22 décembre 2022, Conseil/Commission et Commission/FI, C‑313/21 P et C‑314/21 P, EU:C:2022:1045, point 47).

21      Pour qu’une différence de traitement puisse être compatible avec les principes généraux d’égalité de traitement et de non-discrimination, cette différence doit être justifiée sur la base d’un critère objectif et raisonnable ainsi que proportionnée au regard du but poursuivi par cette différenciation. À cet égard, aux termes de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, toute limitation de l’exercice des droits et des libertés reconnus par celle-ci doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel de ces droits et de ces libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.

22      Il ressort de la jurisprudence de la Cour que, en présence de règles statutaires telles que celles en cause en l’espèce et compte tenu du large pouvoir d’appréciation dont dispose le législateur de l’Union à cet égard, le principe d’égalité de traitement, tel que consacré à l’article 20 de la Charte, n’est méconnu que lorsque le législateur de l’Union procède à une différenciation arbitraire ou manifestement inadéquate au regard de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause (arrêts du 14 juillet 2022, Commission/VW e.a., C‑116/21 P à C‑118/21 P, C‑138/21 P et C‑139/21 P, EU:C:2022:557, point 127, et du 7 juin 2023, OP/Parlement, T‑143/22, EU:T:2023:313, point 37).

23      Cette jurisprudence est applicable dans le cadre de la vérification de l’exigence de proportionnalité imposée à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte (arrêt du 14 juillet 2022, Commission/VW e.a., C‑116/21 P à C‑118/21 P, C‑138/21 P et C‑139/21 P, EU:C:2022:557, point 128).

24      C’est à l’aune de cette jurisprudence, ainsi que de la jurisprudence citée aux points 16 et 17 ci-dessus, et des exigences de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, qu’il convient d’examiner l’exception d’illégalité de l’article 20 de l’annexe VIII du statut, soulevée par la requérante au regard du principe d’égalité de traitement, consacré à l’article 20 de la Charte et rappelé à l’article 1er quinquies du statut.

25      Il convient ainsi d’examiner si la différence de traitement des situations comparables effectuée par les articles 19 et 20 de l’annexe VIII du statut constatée aux points 18 à 20 ci-dessus est conforme à l’article 20 de la Charte en ce qu’elle répond aux critères énoncés à l’article 52, paragraphe 1, de celle-ci et rappelés au point 21 ci-dessus.

26      Premièrement, il est constant que cette différence de traitement est prévue par la loi, au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, dès lors qu’elle résulte de l’article 20 de l’annexe VIII du statut, lu en combinaison avec l’article 19 de cette annexe. Tandis que ce dernier article ne prévoit pas de condition de durée minimale du mariage, l’article 20 de l’annexe VIII du statut prévoit une condition de durée minimale du mariage chiffrée de manière précise qui définit la portée de la limitation de l’exercice du droit à l’égalité de traitement.

27      Deuxièmement, la limitation découlant de la différence de traitement en cause respecte le contenu essentiel du principe d’égalité de traitement, conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte. En effet, cette limitation ne remet pas en cause ce principe en tant que tel dans la mesure où elle ne porte que sur la question, limitée, de l’existence d’une condition minimale de durée du mariage à laquelle les conjoints survivants de fonctionnaires ou d’anciens fonctionnaires décédés doivent satisfaire, le cas échéant, pour pouvoir bénéficier d’une pension de survie, sans que ces conjoints soient privés de la possibilité de bénéficier d’une telle pension dans chacun des cas de figure envisagés aux articles 19 et 20 de l’annexe VIII du statut (ordonnance du 22 décembre 2022, Conseil/Commission et Commission/FI, C‑313/21 P et C‑314/21 P, EU:C:2022:1045, point 88 ; voir également, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2022, Commission/VW e.a., C‑116/21 P à C‑118/21 P, C‑138/21 P et C‑139/21 P, EU:C:2022:557, point 150).

28      Troisièmement, ladite limitation répond à un objectif d’intérêt général, au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, à savoir celui visant à prévenir les abus de droit et les fraudes, l’interdiction de ceux-ci constituant un principe général du droit de l’Union dont le respect s’impose aux justiciables (arrêt du 6 février 2018, Altun e.a., C‑359/16, EU:C:2018:63, point 49). La Cour a, en effet, déjà jugé que la condition selon laquelle le mariage devait avoir duré un certain temps pour que le conjoint survivant bénéficie de la pension de survie visait à s’assurer de la réalité et de la stabilité des relations entre les personnes concernées (voir, en ce sens, arrêts du 19 décembre 2019, HK/Commission, C‑460/18 P, EU:C:2019:1119, point 89, et du 14 juillet 2022, Commission/VW e.a., C‑116/21 P à C‑118/21 P, C‑138/21 P et C‑139/21 P, EU:C:2022:557, point 151).

29      Quatrièmement, s’agissant de l’examen de la proportionnalité, il convient, dans le cadre du contrôle de la légalité d’une disposition du droit de l’Union au regard du principe d’égalité de traitement et en raison du large pouvoir d’appréciation dont dispose le législateur de l’Union en matière de règles statutaires, de faire application de la jurisprudence citée au point 22 ci-dessus. À cet égard, il y a lieu de vérifier si, en imposant une durée minimale du mariage de cinq ans aux conjoints survivants ayant épousé un fonctionnaire après la cessation d’activité de ce dernier, alors que l’article 19 de l’annexe VIII du statut ne prévoit pas de condition de durée minimale, dans le cas d’un mariage contracté avec un fonctionnaire avant l’admission de celui-ci au bénéfice d’une allocation d’invalidité, l’article 20 de cette annexe prévoit une différenciation arbitraire ou manifestement inadéquate au regard de l’objectif d’intérêt général rappelé au point 28 ci-dessus (ordonnance du 22 décembre 2022, Conseil/Commission et Commission/FI, C‑313/21 P et C‑314/21 P, EU:C:2022:1045, point 90, et arrêt du 7 juin 2023, OP/Parlement, T‑143/22, EU:T:2023:313, point 42).

30      Ainsi que la Commission, soutenue par le Parlement et le Conseil, l’a indiqué en substance dans ses écrits, il n’apparaît ni arbitraire ni manifestement inadéquat d’exiger, à l’article 20 de l’annexe VIII du statut, une durée minimale du mariage, alors qu’une telle condition de durée n’est pas exigée à l’article 19 de cette annexe.

31      En effet, dans l’hypothèse visée à l’article 20 de l’annexe VIII du statut, caractérisée par le fait que le mariage est contracté après l’admission du fonctionnaire au bénéfice d’une allocation d’invalidité, l’incitation aux abus ou à la fraude est susceptible d’être favorisée, d’une part, par l’état de faiblesse et de dépendance dans laquelle peut se trouver un fonctionnaire tombé gravement malade au point qu’il a été reconnu invalide et, partant, dans l’impossibilité d’exercer ses fonctions, au sens de l’article 78, paragraphe 1, du statut, et, d’autre part, par les implications financières pouvant découler de ce statut d’invalidité, le conjoint du fonctionnaire pouvant être amené à contracter mariage dans l’espoir que, en fonction de la maladie dont souffre ce fonctionnaire, l’espérance de vie de ce dernier sera sensiblement inférieure à la moyenne et lui permettra ainsi de bénéficier d’une pension de survie à un âge précoce et pour une durée potentiellement très longue (ordonnance du 22 décembre 2022, Conseil/Commission et Commission/FI, C‑313/21 P et C‑314/21 P, EU:C:2022:1045, point 91). Contrairement aux allégations de la requérante lors de l’audience, le fait que le décès du fonctionnaire puisse survenir indépendamment de ces circonstances est sans incidence sur l’analyse qui précède. En effet, cette analyse n’est pas fondée sur des considérations concernant la cause du décès du fonctionnaire, mais sur les aspirations que son conjoint pourrait avoir quant à l’espérance de vie dudit fonctionnaire.

32      En revanche, le fait que l’article 19 de l’annexe VIII du statut ne prévoit pas, contrairement à l’article 20 de cette annexe, une condition de durée minimale du mariage s’explique, ainsi qu’il ressort des écrits de la Commission et du Parlement, par le fait que, la mise en invalidité d’un fonctionnaire de l’Union étant le plus souvent imprévisible pour un couple déjà marié et venant bouleverser la situation de ce couple, le risque d’abus ou de fraude apparaît négligeable, de sorte que le législateur de l’Union a souhaité faire abstraction de cette condition, de la même manière qu’il en a également fait abstraction dans le cadre de l’article 17, second alinéa, et de l’article 18, second alinéa, de l’annexe VIII du statut pour tenir compte des situations dans lesquelles, d’une part, le décès du fonctionnaire résulte soit d’une infirmité ou d’une maladie contractée à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, soit d’un accident et, d’autre part, le conjoint survivant pourvoit ou a pourvu aux besoins des enfants issus d’un mariage contracté antérieurement à la cessation d’activité du fonctionnaire (ordonnance du 22 décembre 2022, Conseil/Commission et Commission/FI, C‑313/21 P et C‑314/21 P, EU:C:2022:1045, point 92).

33      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, en fixant à l’article 20 de l’annexe VIII du statut une durée minimale du mariage de cinq ans afin de prévenir les abus et les fraudes alors qu’aucune durée minimale du mariage n’est prévue dans les situations couvertes par l’article 19 de cette annexe, le législateur de l’Union, dans le cadre du large pouvoir d’appréciation qui lui appartient, n’a pas opéré de différenciation arbitraire ou manifestement inadéquate.

34      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments de la requérante.

35      En premier lieu, l’argument de la requérante selon lequel l’article 20 de l’annexe VIII du statut priverait les couples mariés de la présomption de stabilité et de réalité du mariage pendant cinq ans et mènerait ainsi à une inversion de la charge de la preuve sans donner au conjoint survivant la possibilité de prouver la réalité et la stabilité de sa relation, est fondé sur une conception erronée de la disposition en question.

36      En effet, la condition selon laquelle le mariage doit avoir duré un certain temps pour que le conjoint survivant bénéficie de la pension de survie vise à s’assurer de la réalité et de la stabilité des relations entre les personnes concernées. Il s’agit d’un critère uniforme et indistinctement applicable à l’ensemble des conjoints survivants couverts par l’article 20 de l’annexe VIII du statut, qui vise non à présumer l’existence d’abus ou de fraudes de la part des conjoints survivants, mais à prévenir la commission de tels abus ou fraudes (ordonnance du 22 décembre 2022, Conseil/Commission et Commission/FI, C‑313/21 P et C‑314/21 P, EU:C:2022:1045, point 89). Il s’ensuit que cette disposition n’établit pas une présomption, mais sert à poursuivre l’objectif d’intérêt général visé par la jurisprudence citée au point 28 ci-dessus.

37      Dans ce contexte, les arguments de la requérante, tirés d’une invocation du droit national belge en vue d’appuyer son argumentation relative à une prétendue présomption de réalité et de stabilité du mariage sont dépourvus de pertinence, dès lors que le droit de la requérante à une pension de survie n’est apprécié qu’au regard du droit de l’Union.

38      En second lieu, la requérante argue qu’il devrait être possible de tenir compte des circonstances de l’espèce et expose les faits de sa relation avec le fonctionnaire décédé afin de prouver la réalité et la stabilité de leur relation.

39      Or, ainsi que le souligne la Commission à bon droit, les dispositions de l’article 20 de l’annexe VIII du statut sont claires et précises et exposent, sans ambiguïté, la condition à remplir pour bénéficier, dans ladite hypothèse, d’une pension de survie, à savoir une durée de mariage de cinq ans, sans viser des situations factuelles particulières (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2017, Commission/RN, T‑695/16 P, non publié, EU:T:2017:520, points 50 et 52). Le critère retenu étant uniforme et indistinctement applicable à l’ensemble des conjoints survivants couverts par ladite disposition (ordonnance du 22 décembre 2022, Conseil/Commission et Commission/FI, C‑313/21 P et C‑314/21 P, EU:C:2022:1045, point 89), une analyse in concerto telle que suggérée par la requérante ne saurait être effectuée. Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence que l’appréciation de la légalité d’un acte de l’Union au regard des droits fondamentaux ne saurait reposer sur une allégation tirée des conséquences de cet acte dans un cas particulier (voir arrêt du 8 septembre 2020, Commission et Conseil/Carreras Sequeros e.a., C‑119/19 P et C‑126/19 P, EU:C:2020:676, point 153 et jurisprudence citée).

40      En outre, ainsi que l’a fait valoir la Commission à l’audience, sa compétence en vertu de l’article 20 de l’annexe VIII du statut est une compétence liée, en ce sens que la Commission est tenue d’octroyer la pension de survie dès lors qu’elle constate que les conditions prévues par le statut sont remplies et de ne pas l’octroyer dans le cas contraire (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 7 juin 2023, OP/Parlement, T‑143/22, EU:T:2023:313, point 91).

41      Dans ces conditions, la Commission ne saurait effectuer un examen in concreto afin de vérifier la réalité et la stabilité de la relation entre la requérante et le fonctionnaire décédé, condition qui n’est pas prévue par le statut afin d’octroyer une pension de survie.

42      Dès lors, cet argument de la requérante doit être rejeté et, avec lui, le moyen unique dans son intégralité.

43      Il s’ensuit que le recours doit être rejeté comme étant non fondé.

 Sur les dépens

44      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, les dépens de la Commission, conformément aux conclusions de celle-ci.

45      Le Conseil et le Parlement supporteront leurs propres dépens conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Mme Viviane Van Oosterwijck est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

3)      Le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen supporteront leurs propres dépens.

da Silva Passos

Półtorak

Pynnä

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 décembre 2023.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

S. Papasavvas


*      Langue de procédure : le français.