Language of document : ECLI:EU:T:2023:428

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

26 juillet 2023 (*)

« Environnement – Directive 2003/87/CE – Système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre – Allocation transitoire à titre gratuit de quotas d’émission de gaz à effet de serre – Installations produisant un produit qui n’est pas visé par un référentiel de produit – Absence de substituabilité directe entre les produits – Rejet des données relatives à l’allocation de quotas à titre gratuit concernant ces installations – Obligation de motivation – Erreurs manifestes d’appréciation – Égalité de traitement – Devoir de diligence – Obligations et engagements internationaux de l’Union – Exception d’illégalité »

Dans l’affaire T‑244/21,

Luossavaara-Kiirunavaara AB, établie à Luleå (Suède), représentée par Mes A. Bryngelsson, F. Sjövall et A. Johansson, avocats,

partie requérante,

soutenue par

Royaume de Suède, représenté par M. O. Simonsson, Mmes C. Meyer-Seitz, A. Runeskjöld, M. Salborn Hodgson, H. Shev, H. Eklinder et R. Shahsavan Eriksson, en qualité d’agents,

partie intervenante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. G. Wils et B. De Meester, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de Mme A. Marcoulli, présidente, MM. S. Frimodt Nielsen (rapporteur) et R. Norkus, juges,

greffier : M. P. Cullen, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 26 janvier 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Luossavaara-Kiirunavaara AB, demande l’annulation de l’article 1er, paragraphe 3, de la décision (UE) 2021/355 de la Commission, du 25 février 2021, concernant les mesures nationales d’exécution pour l’allocation transitoire à titre gratuit de quotas d’émission de gaz à effet de serre conformément à l’article 11, paragraphe 3, de la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil (JO 2021, L 68, p. 221, ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        La requérante est une société minière suédoise appartenant à l’État. Elle produit notamment du minerai de fer, la matière première principale utilisée pour la production de l’acier. La présente affaire concerne trois de ses installations, à savoir les installations SE‑497, SE‑498 et SE‑499 situées respectivement à Kiruna, à Malmberget (Gällivare) et à Svappavaara en Suède, mentionnées à l’annexe III de la décision attaquée.

3        Les installations en cause relèvent du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre de l’Union européenne (ci-après le « SEQE ») instauré par la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 2003, établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans l’Union et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil (JO 2003, L 275, p. 32), telle que modifiée par la directive (UE) 2018/410 du Parlement européen et du Conseil, du 14 mars 2018 (JO 2018, L 76, p. 3).

4        Ainsi qu’il ressort de la décision attaquée, à compter de 2013, la mise aux enchères est devenue la règle pour l’attribution des quotas d’émission aux exploitants des installations qui relèvent du SEQE. Cependant, les exploitants remplissant les conditions requises continueront de recevoir des quotas à titre gratuit au cours de la période d’échange 2021-2030, également appelée quatrième période d’échange. Au cours de cette période, la quantité de quotas attribuée à chacun de ces exploitants est déterminée selon les règles harmonisées qui sont énoncées dans la directive 2003/87 et dans le règlement délégué (UE) 2019/331 de la Commission, du 19 décembre 2018, définissant des règles transitoires pour l’ensemble de l’Union concernant l’allocation harmonisée de quotas d’émission à titre gratuit conformément à l’article 10 bis de la directive 2003/87 (JO 2019, L 59, p. 8).

5        En 2019, afin de préparer l’allocation transitoire à titre gratuit pour la période débutant le 1er janvier 2021, le Royaume de Suède, par l’intermédiaire du Naturvårdsverket (Agence de protection de l’environnement, Suède), a présenté à la Commission européenne, conformément à l’article 11 de la directive 2003/87, la liste des installations couvertes par ladite directive et des quotas gratuits alloués à chaque installation. Dans ce cadre, il a proposé que des sous-installations des installations en cause soient incluses dans la liste en vue de l’allocation à titre gratuit de quotas sur la base du référentiel de produit relatif au minerai aggloméré à l’annexe I du règlement délégué 2019/331, (ci-après le « référentiel relatif au minerai aggloméré ») alors que des référentiels de chaleur et de combustibles avaient été utilisés à cet égard auparavant (ci-après la « proposition du Royaume de Suède »).

6        À l’issue de son analyse des informations transmises par le Royaume de Suède au regard des critères énoncés dans la directive 2003/87 et dans le règlement délégué 2019/331, la Commission a décidé de rejeter la proposition du Royaume de Suède pour les raisons exposées au considérant 13 de la décision attaquée.

 Conclusions des parties

7        La requérante, soutenue par le Royaume de Suède, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’article 1er, paragraphe 3, de la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

8        La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

9        En substance, la requérante soutient que la décision attaquée est illégale parce que celle-ci rejette la proposition du Royaume de Suède visant à inclure sa production de boulettes de minerai de fer dans le référentiel relatif au minerai aggloméré. Elle fait valoir six moyens à l’appui du recours :

–        le premier est pris de la violation de l’annexe I du règlement délégué 2019/331 et de l’article 10 bis, paragraphe 1, de la directive 2003/87 ;

–        le deuxième est tiré de la violation des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination ;

–        le troisième est pris de la violation des obligations et des engagements incombant à l’Union au titre du droit international de l’environnement ;

–        le quatrième est tiré de la violation de l’obligation pour l’institution compétente d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d’espèce ;

–        le cinquième est pris de la violation de l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE ;

–        le sixième, présenté à titre subsidiaire, demande à ce que soit constatée en application de l’article 277 TFUE la nullité du règlement délégué 2019/331, dans la mesure où il s’applique à la décision attaquée.

 Sur le premier moyen, pris de la violation de l’annexe I du règlement délégué 2019/331 et de l’article 10 bis, paragraphe 1, de la directive 2003/87 

10      La requérante, soutenue par le Royaume de Suède, fait valoir que les dispositions de la décision attaquée qui la concernent violent l’annexe I du règlement délégué 2019/331 et l’article 10 bis, paragraphe 1, de la directive 2003/87. Tout d’abord, elle se prévaut du libellé du référentiel relatif au minerai aggloméré ainsi que des objectifs de la réglementation applicable. Il ressortirait ainsi dudit libellé, désormais repris dans l’annexe I du règlement délégué 2019/331 pour ce qui concerne la quatrième période d’échange et auparavant défini dans la décision 2011/278/UE de la Commission, du 27 avril 2011, définissant des règles transitoires pour l’ensemble de l’Union concernant l’allocation harmonisée de quotas d’émission à titre gratuit conformément à l’article 10 bis de la directive 2003/87 (JO 2011, L 130, p. 1), que les boulettes de minerai de fer seraient une forme de minerai aggloméré tout comme l’aggloméré proprement dit. Ensuite, la requérante allègue que son interprétation est conforme aux objectifs de la réglementation applicable, aux termes desquels il conviendrait notamment d’encourager le recours aux techniques de meilleur rendement énergétique. Enfin, elle soutient que les boulettes de minerai de fer sont directement substituables au minerai aggloméré et doivent donc, de ce fait, être incluses dans ce référentiel. Elle invoque, à cet égard, l’arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine (C‑80/16, EU:C:2017:588), où cette question est abordée. Le refus d’inclure les boulettes de minerai de fer dans les produits visés par ledit référentiel constituerait ainsi une erreur manifeste d’appréciation de la part de la Commission.

11      La Commission conteste l’argumentation de la requérante.

 Observations liminaires

12      Ainsi que le souligne la Commission et comme cela ressort tant de la réglementation applicable que de la décision attaquée, le SEQE repose sur les principes suivants : d’une part, la mise aux enchères des quotas est la règle et leur allocation à titre gratuit constitue une exception, graduellement réduite en vue de parvenir à la suppression totale de ces quotas gratuits en 2027 (voir, en ce sens, arrêt du 20 juin 2019, ExxonMobil Production Deutschland, C‑682/17, EU:C:2019:518, point 65 et jurisprudence citée), et, d’autre part, le SEQE tend à la réduction des émissions de ces gaz dans l’atmosphère à un niveau empêchant toute perturbation anthropique dangereuse du climat, et dont l’objectif final est la protection de l’environnement (voir, en ce sens, arrêts du 8 mars 2017, ArcelorMittal Rodange et Schifflange, C‑321/15, EU:C:2017:179, point 24, et du 20 juin 2019, ExxonMobil Production Deutschland, C‑682/17, EU:C:2019:518, point 62).

13      Dans ce contexte, la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour déterminer les référentiels par secteur ou sous-secteur, en application de l’article 10 bis, paragraphe 2, de la directive 2003/87. En effet, cet exercice implique de sa part, notamment, des choix ainsi que des appréciations techniques et économiques complexes (voir arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine, C‑80/16, EU:C:2017:588, points 31 et 37 et jurisprudence citée).

14      Il a également été jugé que la question de savoir si les caractéristiques particulières d’une installation donnée ont une incidence sur l’inclusion de celle-ci dans le nombre des installations de référence aux fins de la fixation du référentiel relatif au minerai aggloméré constitue clairement une appréciation technique complexe, dans le cadre de laquelle la Commission dispose d’un large pouvoir discrétionnaire (voir arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine, C‑80/16, EU:C:2017:588, point 44 et jurisprudence citée).

15      Selon la jurisprudence, lorsqu’une institution de l’Union est appelée à effectuer des évaluations complexes, elle dispose d’un large pouvoir d’appréciation dont l’exercice est soumis à un contrôle juridictionnel se limitant à vérifier si la mesure en cause n’est pas entachée d’erreur manifeste ou de détournement de pouvoir ou si l’autorité compétente n’a pas manifestement dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation (voir, par analogie, arrêt du 15 décembre 2016, TestBioTech e.a./Commission, T‑177/13, non publié, EU:T:2016:736, point 77 et jurisprudence citée).

16      S’agissant de l’examen, effectué par le juge de l’Union, de l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation entachant un acte d’une institution, il convient de préciser que, afin d’établir que cette institution a commis une erreur manifeste dans l’appréciation de faits complexes de nature à justifier l’annulation dudit acte, les éléments de preuve apportés par la requérante doivent être suffisants pour priver de plausibilité les appréciations des faits retenus dans cet acte. Sous réserve de cet examen de plausibilité, il n’appartient pas au Tribunal de substituer son appréciation des faits complexes à celle de l’auteur de cette décision (voir, par analogie, arrêt du 15 décembre 2016, TestBioTech e.a./Commission, T‑177/13, non publié, EU:T:2016:736, point 78 et jurisprudence citée).

17      Cependant, la limitation du contrôle du juge de l’Union n’affecte pas le devoir de celui-ci de vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence ainsi que de contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (voir, par analogie, arrêt du 15 décembre 2016, TestBioTech e.a./Commission, T‑177/13, non publié, EU:T:2016:736, point 79 et jurisprudence citée).

18      C’est en considération de ces principes qu’il y a lieu d’examiner les arguments des parties.

 Sur le libellé du référentiel

19      La requérante fait valoir que les boulettes de minerai de fer produites par ses installations, qu’elle nomme « boulettes agglomérées », sont couvertes par la définition des produits inclus dans le référentiel relatif au minerai aggloméré. Cette interprétation du libellé serait confirmée par le document de la Commission intitulé « Document d’orientation n° 9 sur la méthodologie harmonisée d’allocation gratuite pour le SEQE » (« Guidance Document no 9 on the harmonised free allocation methodology for the EU ETS post 2020 »), un rapport d’Ecofys présenté en annexe à la requête, intitulé « Aggloméré versus benchmark, contribution à envoyer aux représentants du gouvernement suédois «  (« Sinter versus benchmark, input to be sent to Swedish government representatives »), et l’arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine (C‑80/16, EU:C:2017:588). Au vu de cette définition, la décision attaquée ne permettrait pas de comprendre la raison pour laquelle les données relatives aux installations en cause ont été rejetées.

20      En l’espèce, il y a lieu tout d’abord de relever que, pour justifier la décision attaquée, la Commission a rappelé que « le référentiel [relatif au] minerai aggloméré [était] défini à l’annexe I du règlement délégué 2019/331 », et considéré que « la définition des produits ainsi que la définition des procédés et des émissions couverts par ce référentiel de produit [étaient] adaptées à la production de minerai aggloméré et n’inclu[aient] pas les boulettes de minerai de fer ». Elle a également relevé que « l’article 10 bis, paragraphe 2, de la directive 2003/87 exig[eait] une mise à jour des valeurs des référentiels pour la [quatrième] phase [du SEQE] et ne prévo[yait] aucune adaptation de l’interprétation des définitions des référentiels » (voir considérant 13 de la décision attaquée, lu conjointement avec l’annexe III, qui concerne les « installations [en cause] utilisant un référentiel [relatif au] minerai aggloméré au lieu de référentiels de chaleur ou de combustibles »).

21      L’annexe I du règlement délégué 2019/331 cite en tout 52 référentiels de produit, dont le référentiel relatif au minerai aggloméré, à utiliser pour l’allocation de quotas d’émission à titre gratuit. Outre son nom et le point de départ, en quotas par tonne, utilisé pour déterminer le taux de réduction annuel aux fins de l’actualisation de la valeur des référentiels, chacun de ces référentiels de produit comportent deux rubriques : la première, relative à la « définition des produits inclus », et la seconde, relative à la « définition des procédés et émissions inclus (limites du système) ».

22      En l’espèce, dans le référentiel relatif au minerai aggloméré, la définition des produits inclus est la suivante : « Produit ferreux aggloméré contenant des fines de minerai de fer, des fondants et des matériaux recyclés ferreux, possédant les caractéristiques chimiques et physiques requises pour fournir le fer et les fondants nécessaires aux procédés de réduction de minerai de fer, telles que le degré de basicité, la résistance mécanique et la perméabilité. Exprimé en tonnes de minerai aggloméré sortant de l’installation d’agglomération » (ci-après la « définition des produits inclus »).

23      Quant à la définition des procédés et émissions inclus (limites du système), le référentiel relatif au minerai aggloméré précise que « [s]ont inclus tous les procédés directement ou indirectement liés aux unités de procédé : chaîne d’agglomération, allumage, unités de préparation de la charge d’alimentation, unité de criblage à chaud, unité de refroidissement de l’aggloméré, unité de criblage à froid et unité de production de vapeur » (ci-après la « définition des procédés et émissions inclus »).

24      D’emblée, il y lieu de relever que la terminologie utilisée pour distinguer les produits en cause varie. Selon la Commission, l’expression « boulettes agglomérées » utilisée par la requérante est plutôt inhabituelle. En l’espèce, il convient plutôt de distinguer l’aggloméré ou les fines agglomérées des boulettes, qui sont également appelées « pellets ».

25      En premier lieu, il convient de relever que, en réponse à une question posée lors de l’audience, la requérante a reconnu que, dans le référentiel relatif au minerai aggloméré, la définition des produits inclus ne mentionnait pas les « boulettes de minerai de fer ». Ce produit n’est pas mentionné non plus dans ledit référentiel en ce qui concerne la définition des procédés et émissions inclus. Contrairement donc à ce qu’affirme la requérante dans la requête, il ne peut pas être considéré que les boulettes de minerai de fer sont « pleinement couvertes » par le libellé de ce référentiel.

26      Ainsi, la Commission était fondée à considérer dans la décision attaquée que le référentiel relatif au minerai aggloméré n’incluait pas, du moins dans ses définitions, les boulettes de minerai de fer.

27      En réponse à d’autres questions posées lors de l’audience, la requérante a d’ailleurs précisé que son affirmation selon laquelle les boulettes de minerai de fer étaient « pleinement couvertes » par le libellé du référentiel relatif au minerai aggloméré reposait plutôt sur l’idée que ces boulettes présentaient toutes les caractéristiques envisagées par la première phrase de la définition des produits inclus (voir point 22 ci-dessus). Elle a aussi précisé qu’une telle interprétation lui paraissait envisageable au regard de l’arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine (C‑80/16, EU:C:2017:588).

28      Partant, par cette affirmation, la requérante soutient, en substance, que les boulettes de minerai de fer sont directement substituables aux produits inclus dans le référentiel relatif au minerai aggloméré correspondant, au vu notamment de l’arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine (C‑80/16, EU:C:2017:588). Une telle affirmation se confond donc avec l’argumentation de la requérante sur le caractère directement substituable. Les différents éléments invoqués à l’appui de cette affirmation seront donc examinés par la suite.

29      En deuxième lieu, il ressort de la décision attaquée que, pour la Commission, la définition des produits inclus comme celle des procédés et des émissions inclus contenues dans le référentiel relatif au minerai aggloméré sont adaptées à la production de ce minerai.

30      Une telle appréciation ressort effectivement des éléments suivants.

31      D’une part, dans le référentiel relatif au minerai aggloméré, la définition des produits inclus indique que le « minerai aggloméré » visé par ce référentiel est celui qui sort d’une « installation d’agglomération ».

32      Or, comme l’expose la Commission, une installation d’agglomération correspond à un type particulier d’installation. En effet, une installation d’agglomération (a sinter plant) est une installation qui produit de l’aggloméré (sinter). Ce type d’installation se distingue d’une installation de frittage (a sintering plant), qui peut produire de l’aggloméré (sinter) et des boulettes (pellets).

33      Plusieurs documents distinguent ainsi l’aggloméré des boulettes. À titre d’exemple, selon la norme internationale ISO 11323:2010 mentionnée par la Commission, l’« aggloméré » (sinter) est « un type d’agglomérats produit à partir de fines de minerais au moyen d’une combustion à tirage forcé d’un combustible qui y est mélangé », alors que les « boulettes » (pellets) sont des « agglomérats sphériques formés par bouletage de fines de minerais, habituellement plus fines que 100 μm, avec différents additifs, parfois suivi d’une induration de liaison à chaud ou à froid » (voir ISO 11323:2010 Minerais de fer et minerais de fer préréduits – Vocabulaire. Organisation internationale de normalisation, 2010). Le document de référence de la Commission sur les meilleures techniques disponibles concernant la production de fer et d’acier consacre également des chapitres distincts aux « installations d’agglomération » (sinter plants), d’une part, et aux « installations de pelletisation » (pelletisation plants), d’autre part [voir Best Available Techniques (BAT) Reference Document for Iron and Steel Production, Commission européenne, 2013, chapitres 3 et 4].

34      En conséquence, il ne peut être reproché à la Commission d’avoir considéré que, dans le référentiel relatif au minerai aggloméré, la référence faite par la définition des produits inclus à une installation d’agglomération (a sinter plant) renvoie à une installation qui produit de l’aggloméré et non des boulettes de minerai de fer.

35      D’autre part, dans le référentiel relatif au minerai aggloméré, la définition des procédés et émissions inclus fait état de la « chaîne d’agglomération » et de l’« unité de refroidissement de l’aggloméré » et se réfère donc plutôt à l’aggloméré qu’aux boulettes de minerai de fer.

36      Il n’est donc pas possible de déduire, en tant que tel, du libellé des définitions du référentiel relatif au minerai aggloméré que celui-ci vise aussi bien l’aggloméré que les boulettes de minerai de fer.

37      La requérante ne convainc pas quand elle critique cette appréciation au motif qu’il s’agirait d’une « tentative forcée visant à attribuer une signification juridique à un choix entre deux termes, à savoir “agglomération” et “frittage” », dont aucun n’aurait de signification juridique définie et qui seraient utilisés de manière interchangeable », ce qu’illustrerait la qualification d’« unités d’aggloméré rond » (en suédois « kulsinterverk ») pour ses produits. En effet, comme cela ressort d’ailleurs de sa propre argumentation, il n’est pas contestable qu’il existe deux types d’agglomérats : l’aggloméré et les boulettes et que l’expression utilisée pour qualifier ses produits relèvent moins de la notion d’aggloméré que de celle de boulettes.

38      Il y a également lieu d’écarter l’argument de la requérante selon lequel aucun obstacle n’entrave l’application de la définition des procédés et émissions inclus dans le référentiel relatif au minerai aggloméré à une unité de production de boulettes. En effet, l’objet d’une telle définition est d’éviter, par son libellé, une telle interprétation extensive en déterminant limitativement les procédés et les émissions inclus dans le référentiel en cause.

39      En conséquence, il y a lieu de conclure que les références qui sont faites par le libellé du référentiel relatif au minerai aggloméré à l’« aggloméré » ou à l’« agglomération » ne peuvent pas être lues comme des références aux boulettes ou à la pelletisation (également appelée « bouletage »).

40      En troisième lieu, force est de constater que l’interprétation du libellé de la définition des produits inclus comme de celle des procédés et des émissions inclus du référentiel relatif au minerai aggloméré défendue par la Commission dans la décision attaquée est celle qui se retrouve dans les différents documents qu’elle évoque dans la présente affaire en ce qui concerne l’élaboration dudit référentiel.

41      En effet, en préparation de la décision 2011/278, la Commission avait commandé plusieurs rapports afin d’élaborer une méthode pour l’allocation de quotas d’émission à titre gratuit dans le cadre du SEQE après 2012. Ladite méthode comprenait un certain nombre d’aspects généraux, évoqués dans un premier rapport (voir, Ecofys, Fraunhofer et Öko-Institut, novembre 2009, « Report on the project approach and general issues », ci-après le « rapport général »), mais aussi des aspects sectoriels, y compris pour le secteur du minerai de fer et pour le secteur du fer et de l’acier, qui faisaient chacun l’objet d’un rapport (voir, Ecofys, Fraunhofer et Öko-Institut, novembre 2009, « Sector report for the iron ore industry », ci-après le « rapport minerai de fer » et « Sector report for the iron and steel industry », ci-après le « rapport fer-acier » ou, pris ensemble, les «  rapports sectoriels »).

42      Si les rapports en cause précisent qu’ils ne font qu’exposer les vues de leurs auteurs et non celle de la Commission, il y a néanmoins lieu de relever qu’ils ont été rédigés en considération d’une commande faite par la Commission et à la suite de discussions avec les entreprises représentées par les associations Euromines et Eurofer.

43      Les rapports en cause ont été évoqués lors de l’audience afin de déterminer les recommandations de leurs auteurs à la Commission qui étaient susceptibles d’être prises en compte pour les besoins de la présente affaire. Les parties s’accordent à cet égard sur les cinq observations suivantes tirées de la lecture de ces rapports.

44      Premièrement, il ressort du rapport général que son objet était d’élaborer une méthode pour l’allocation de quotas d’émission à titre gratuit afin, tout d’abord, d’identifier les activités pour lesquelles un référentiel de produit était envisageable et, ensuite, de proposer des critères de référence appropriés pour ces produits ou, dans le cas où il n’était pas possible d’établir de tels critères, de proposer une solution de repli (voir rapport général, chapitre 3, p. 13, et chapitre 5, p. 36).

45      Deuxièmement, il ressort des rapports sectoriels qu’une distinction générale était faite entre l’aggloméré et la production de boulettes de minerai de fer. En effet, la production de boulettes était le principal sujet du rapport minerai de fer (voir rapport minerai de fer, chapitre 1, p. 1), alors que l’aggloméré était traité dans le rapport fer-acier (voir rapport minerai de fer, chapitre 1, p. 1, et rapport fer-acier, chapitre 4, p. 6). En outre, les rapports sectoriels précisaient que, même si les boulettes pouvaient être utilisées comme une alternative à l’aggloméré, des différences significatives existaient néanmoins en ce qui concernait la composition et les caractéristiques des produits et que, dès lors, un référentiel commun ne pouvait pas être envisagé (voir rapport minerai de fer, chapitre 3, p. 5 et 6, et rapport fer-acier, chapitre 3, p. 10).

46      Ainsi, il ressortait du rapport minerai de fer ce qui suit :

« Les boulettes de minerai de fer et l’aggloméré sont comparables en ce qu’ils ont la même utilisation dans la production d’acier brut. Ils diffèrent toutefois pour ce qui est des intrants en matières premières, de la technologie de production et des caractéristiques du produit. L’aggloméré est presque toujours produit sur le site de l’aciérie, où il permet de recycler des déchets solides, du poussier de coke est disponible pour être utilisé comme combustible et la dégradation de l’aggloméré durant le transport et la manutention n’est pas problématique. D’après les lignes directrices pour les inventaires nationaux de gaz à effet de serre (GIEC, 2006), la production d’aggloméré a un facteur d’émission de 0,20 tonne de CO2 par tonne d’aggloméré, et, d’après une collecte de données d’Eurofer, ce facteur est d’environ 0,25 tonne de CO2 par tonne d’aggloméré. Cela signifie que l’intensité des émissions de la production d’aggloméré est à peu près six à sept fois plus élevée que celle de la production de boulettes. Compte tenu de la fonction de recyclage de déchets solides contenant du fer du procédé d’agglomération dans les usines sidérurgiques intégrées, nous recommandons de traiter la production d’aggloméré et la production de boulettes séparément dans le cadre de notre travail. »

47      De même, il ressortait du rapport fer-acier ce qui suit :

« Le coke et l’aggloméré sont des produits intermédiaires échangés dans la filière de production de l’acier brut au moyen d’un convertisseur à oxygène et devraient faire l’objet de référentiels propres afin de permettre l’allocation à des installations vendant ces produits intermédiaires […] Des boulettes peuvent être utilisées comme intrants pour le haut fourneau à la place de l’aggloméré. La composition et les caractéristiques des boulettes diffèrent toutefois considérablement de celles de l’aggloméré, raison pour laquelle un référentiel commun pour l’aggloméré et les boulettes ne peut être appliqué. Étant donné qu’il n’y a qu’une seule aciérie intégrée dans l’Union à 27 dans laquelle des boulettes sont produites, nous ne recommandons pas l’élaboration d’un référentiel pour la production de boulettes, mais le recours à une méthode alternative (voir section 5 du rapport [général]), comme pour les boulettes produites sur des sites miniers (voir rapport sectoriel sur le minerai de fer). »

48      Troisièmement, il ressort des rapports sectoriels, notamment des extraits susvisés, qu’un référentiel de produit était recommandé en ce qui concernait l’aggloméré. Il ressort également desdits rapports que leurs auteurs avaient considéré l’éventualité d’un autre référentiel de produit en ce qui concernait la production de boulettes de minerai de fer, pour finalement conclure qu’il n’y avait pas lieu de faire une telle recommandation. En particulier, le rapport fer-acier recommandait plutôt que la production de boulettes soit traitée au moyen d’une méthode alternative (voir rapport fer-acier, chapitre 3, p. 10).

49      Quatrièmement, il ressort également des rapports sectoriels qu’une question spécifique s’était posée lors de la préparation de ces rapports en ce qui concernait une « aciérie intégrée ».

50      Il s’agit en l’occurrence d’une installation de Tata Steel (anciennement Corus) à Ijmuiden, aux Pays-Bas (ci‑après l’« installation d’Ijmuiden »). Ladite installation fait partie d’une aciérie intégrée. Outre des hauts fourneaux, cette aciérie dispose également d’une unité de production de pellets (boulettes) et d’une unité de production de minerai aggloméré.

51      Une référence était faite à l’existence de l’installation d’Ijmuiden dans une note en bas de page sous un tableau figurant dans la première page du rapport minerai de fer, laquelle mentionnait également qu’il s’agissait d’une « communication provenant d’Eurofer, pas d’information disponible à l’heure actuelle ». Pour sa part, le rapport fer-acier faisait état d’une proposition d’Eurofer visant à ce que la production de boulettes dans les sites de production intégrée « [dût] être agrégée avec la production d’aggloméré faite sur place parce qu’elles n’[étaient] pas indépendantes » (voir rapport fer-acier, chapitre 6, p. 28). Une telle proposition visait donc à intégrer ladite installation au nombre des installations concernées par le référentiel relatif au minerai aggloméré. Cette proposition n’avait toutefois pas été reprise par les auteurs du rapport comme cela ressort de l’extrait susvisé (voir rapport fer-acier, chapitre 3, p. 10). À ce stade, la recommandation était donc de ne pas intégrer cette installation au nombre des installations prises en compte au titre dudit référentiel.

52      Cinquièmement, il ressort de l’ensemble des rapports en cause que les propositions faites par leurs auteurs à la Commission permettaient de déterminer un nombre limité de référentiels de produit, dont le référentiel relatif au minerai aggloméré, lequel couvrait environ 88 % des émissions provenant de la chaine de production fer et acier selon les estimations d’Eurofer (voir rapport fer-acier, chapitre 3, p. 12 et 13).

53      En résumé, les rapports en cause proposaient, premièrement, de traiter différemment l’aggloméré et la production de boulettes, deuxièmement, de définir un référentiel relatif au minerai aggloméré, troisièmement, de ne pas définir de référentiel de produit pour la production de boulettes, quatrièmement, de traiter la production de boulettes dans le cadre de la solution de repli et, cinquièmement, de ne pas inclure la production de l’installation d’Ijmuiden dans le référentiel relatif au minerai aggloméré.

54      Interrogées à cet égard lors de l’audience, les parties ont indiqué que les cinq observations susmentionnées tout comme le résumé qui en avait été fait par le Tribunal ressortaient bien des rapports en cause qui avaient été transmis à la Commission en vue de l’élaboration des référentiels de produit.

55      La Commission indique avoir suivi l’essentiel de ces recommandations lorsqu’elle a élaboré le référentiel relatif au minerai aggloméré en décidant que ledit référentiel et la valeur de ce référentiel étaient prévus exclusivement pour l’aggloméré et excluaient les boulettes.

56      Il s’avère effectivement que, pour la fixation des valeurs des référentiels de la troisième phase du SEQE, des données ont été recueillies par les différentes associations sectorielles européennes ou en leur nom, sur la base de règles définies figurant dans des manuels sectoriels. Ces données ont été vérifiées et, si nécessaire, complétées pour déterminer les valeurs des référentiels sur la base de la performance des 10 % de meilleures installations. En l’espèce, le manuel sectoriel pertinent pour le référentiel relatif au minerai aggloméré ne portait que sur les installations d’agglomération.

57      L’exclusion des installations de pelletisation du référentiel relatif au minerai aggloméré se reflétait ainsi dans la valeur du référentiel de la phase 3, qui reposait sur les 10 % d’installations les plus performantes sur un total de quelque 30 installations d’agglomération communiquant l’intensité des émissions de gaz à effet de serre. Si les installations en cause avaient été incluses dans ledit référentiel, elles auraient représenté les trois installations les plus performantes et la valeur de ce référentiel aurait été modifiée à la baisse.

58      Une des recommandations présentées à la Commission n’a toutefois pas été suivie par cette dernière : il s’agit de la recommandation visant à ne pas inclure l’installation d’Ijmuiden au titre du référentiel relatif au minerai aggloméré (voir point 49 ci-dessus). En effet, dans le cadre de discussions avec Eurofer notamment, la Commission a examiné l’opportunité d’intégrer ladite installation dans le référentiel relatif au minerai aggloméré. À l’issue de ces discussions sur le statut de cette installation, la Commission a conclu que la « définition du produit proposée par le secteur (“produit ferreux aggloméré fabriqué à partir de fines de minerai de fer, de fondants et de matériaux de recyclage en centrale”) sembl[ait] couvrir le mélange aggloméré-boulettes ». Cette décision est à l’origine de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine (C‑80/16, EU:C:2017:588).

59      Les conséquences de la décision de la Commission d’inclure l’installation d’Ijmuiden dans le référentiel relatif au minerai aggloméré seront examinées par la suite, mais il y a d’ores et déjà lieu de relever à cet égard que la divergence d’opinion entre les auteurs des rapports sectoriels et Eurofer ne porte pas sur la question de l’inclusion de la production de boulettes dans ledit référentiel, point sur lequel la réponse est négative, mais sur la question de savoir si ce référentiel doit accorder un traitement particulier à ladite installation et à sa production même s’il existe un consensus sur la non-inclusion de la production de boulettes dans le même référentiel.

60      En quatrième lieu, il convient d’indiquer que les documents visés par la requérante pour étayer son interprétation du libellé du référentiel relatif au minerai aggloméré ne permettent pas en tant que tels de considérer que ce libellé permettait d’y inclure les boulettes de minerai.

61      En effet, s’il ressort effectivement du document d’orientation de la Commission mentionné au point 19 ci-dessus, dont le caractère non contraignant n’est pas contesté, que l’activité associée visée à l’annexe I de la directive 2003/87 en ce qui concerne le minerai aggloméré comprend le « grillage ou frittage, y compris pelletisation, de minerai métallique (y compris de minerai sulfuré) » et que le code Prodcom correspondant à cette activité (un acronyme pour Production de la Communauté) est celui utilisé par la requérante, de telles mentions ne suffisent pas pour établir une correspondance entre cette activité et le champ d’application du référentiel relatif au minerai aggloméré.

62      Il s’avère ainsi, comme l’expose la Commission en fournissant de nombreux exemples, qu’il peut exister, comme en l’espèce, une différence entre l’activité visée à l’annexe I de la directive 2003/87 et le champ d’application du ou des référentiels correspondants. Ainsi, l’activité visée par ladite annexe intitulée « Production de noir de carbone, y compris la carbonisation de substances organiques telles que les huiles, les goudrons, les résidus de craquage et de distillation, lorsque des unités de combustion dont la puissance calorifique totale de combustion est supérieure à 20 MW sont exploitées » a un sens plus large que le référentiel relatif au noir de carbone, qui ne couvre que le noir de fourneau, mais exclut le « noir thermique » ou « noir tunnel » et le « noir de fumée ». De même, plusieurs référentiels de produit peuvent concerner une seule activité envisagée par ladite annexe.

63      Le même raisonnement s’applique à la référence au code Prodcom. Le fait que la fabrication de certains produits couverts par un référentiel de produit relève d’un certain code ne signifie pas que toutes les activités de fabrication tombant sous le coup de ce code relèvent également de ce référentiel.

64      S’agissant du rapport d’Ecofys, présenté en annexe à la requête, qui a été préparé afin d’étayer l’argumentation du Royaume de Suède, il y a lieu de relever qu’il expose simplement et expressément une « interprétation » susceptible d’être donnée à la réglementation applicable tout en reconnaissant que l’approche adoptée par la Commission à cet égard était compréhensible. En effet, plusieurs passages de ce rapport suggèrent une approche distincte de celle de la Commission au motif qu’une telle approche ne serait pas exclue par le référentiel relatif au minerai aggloméré ou qu’il pourrait être allégué qu’un producteur de boulettes pourrait obtenir une allocation de quotas gratuits sur la base ce référentiel. D’autres passages dudit rapport font état quant à eux d’une certaine compréhension pour la position susvisée de la Commission, laquelle reposait sur les recommandations faites par les rapports sectoriels. Le même rapport indiquait ainsi que, dans la mesure où « [l]es boulettes et l’aggloméré [n’étaient] pas à strictement parler le même produit », « [i]l [était] compréhensible que la Commission, sur la base du rapport Ecofys/Fraunhofer, ait décidé d’appliquer des approches différentes ».

65      Ces documents ne sauraient donc suffire pour remettre en cause les conclusions qui précèdent.

66      Quant aux arguments pris de l’arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine (C‑80/16, EU:C:2017:588), et de la comparaison avec l’installation d’Ijmuiden, ceux-ci seront envisagés par la suite dans le cadre de l’examen de l’argumentation spécifiquement consacrée à cet arrêt.

 Sur les objectifs de la réglementation

67      La requérante soutient que les objectifs de la directive 2003/87, à savoir réduire les émissions de gaz à effet de serre, éviter des distorsions de concurrence et encourager le recours à des techniques de meilleur rendement énergétique, tout comme les principes définis par l’article 10 bis, paragraphe 1, de ladite directive en matière de référentiels confirment son interprétation selon laquelle le référentiel relatif au minerai aggloméré inclut les boulettes de minerai de fer. En effet, pour déterminer ces référentiels, il incomberait à la Commission d’apprécier quels produits ou procédés de production constituent des « solutions ou des produits de remplacement » afin de tenir compte et de promouvoir des techniques présentant le meilleur rendement énergétique. Les référentiels devraient également être neutres quant aux intrants utilisés, afin de placer l’accent sur les émissions et sur l’efficacité énergétique du procédé de production. Dès lors, les référentiels devraient encourager les évolutions techniques les plus efficaces sur le plan des émissions et ces objectifs seraient mieux atteints en incluant plutôt qu’en excluant les installations de la requérante.

68      À cet égard, il convient d’emblée de relever qu’il n’est pas contesté, comme le font valoir la requérante et le Royaume de Suède, que l’un des objectifs de la directive 2003/87 est d’encourager la réduction des émissions de gaz à effet de serre en privilégiant les technologies à faibles émissions sur celles moins performantes de ce point de vue. Cela ressort notamment du libellé de l’article 10 bis, paragraphe 1, de ladite directive, qui contient les règles donnant compétence à la Commission pour établir les référentiels ex ante, ou du considérant 30 du règlement délégué 2019/331, qui indique qu’« [i]l y lieu de renforcer les mesures qui encouragent les réductions des émissions liées aux activités qui produisent [du gaz à effet de serre] ». Il est donc nécessaire que les mesures prises en la matière aient pour perspective d’encourager l’adoption des techniques les plus efficaces pour réduire les émissions.

69      Pour autant, il est également incontestable, comme le fait observer la Commission, que l’objectif général visant à encourager la réduction des émissions de gaz à effet de serre en privilégiant les technologies à faibles émissions sur celles moins performantes de ce point de vue est à atteindre « dans la mesure du possible », selon ce qu’indique l’article 10 bis, paragraphe 1, de la directive 2003/87, le considérant 4 de la décision 2011/278 ou le considérant 3 du règlement délégué 2019/331. La Commission n’a donc pas une obligation de résultat à cet égard. Une technique ou une activité peut présenter en soi des avantages par rapport à une autre en termes d’efficacité, mais cette autre technique ou activité peut également présenter ses propres intérêts, susceptibles en tant que tels, d’être pris en compte au titre de la réglementation dans une appréciation globale comparant l’une à l’autre. Il doit ainsi être relevé à ce propos, au vu du contenu des rapports sectoriels, qu’il en va ainsi, par exemple, si l’autre technique ou activité, pour être moins efficace, permet de même de recycler des matériaux qui deviendraient autrement des déchets.

70      Il convient donc, pour la Commission, de tenir compte de l’ensemble des paramètres pris en compte pour apprécier plusieurs techniques ou activités, plutôt que de se concentrer seulement sur l’un de ces paramètres. En particulier, il ressort des différentes situations évoquées par la Commission, où le référentiel de produit ne porte que sur des parties d’activités ou certains modes de production (la production d’aluminium), où l’activité ne relève pas d’un référentiel de produit (le carbonate de soude qui provient de la production de caprolactame) ou relève potentiellement de plusieurs référentiels de produit (la production de fonte ou d’acier), que le droit de l’Union ne prévoit pas de droit subjectif inconditionnel à l’allocation de quotas d’émission à titre gratuit dans des situations où les référentiels de produit n’envisagent pas précisément l’activité en cause.

71      En d’autres termes, le SEQE ne prétend pas garantir que chaque activité relevant du système soit couverte par un référentiel de produit.

72      Il ressort de ce qui précède qu’il ne saurait suffire d’alléguer l’existence d’un objectif général visant à encourager la réduction des émissions de gaz à effet de serre en privilégiant les technologies à faibles émissions sur celles moins performantes de ce point de vue pour soutenir valablement que le référentiel relatif au minerai aggloméré inclut ou permet d’interpréter le libellé de ce référentiel en ce sens qu’il doit également inclure les boulettes de minerai de fer.

 Sur la prétendue substituabilité directe entre les boulettes de minerai de fer et le minerai aggloméré

73      La requérante, soutenue par le Royaume de Suède, fait valoir que l’application d’un référentiel doit tenir compte de l’incitation à développer des technologies plus efficaces. Elle en déduit que, si des procédés de production disponibles donnent lieu à un produit de substitution, plus efficace sur le plan des émissions et du rendement énergétique, il y a lieu d’inclure ce produit de substitution ou ce procédé de production de remplacement dans le référentiel. Selon elle, si la Commission ne tenait pas compte de cette situation lorsqu’elle adopte les référentiels, elle agirait contrairement à la finalité de l’article 10 bis, paragraphe 1, de la directive 2003/87 (arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine, C‑80/16, EU:C:2017:588, point 47). En conséquence, elle estime que, si le Tribunal estime que les boulettes de minerai de fer ne sont pas couvertes par le libellé du référentiel relatif au minerai aggloméré, il devrait tenir compte de la substituabilité directe entre lesdites boulettes et le minerai aggloméré.

74      La requérante souligne que, en principe, aux termes du considérant 4 de la décision 2011/278 « il y a lieu de définir un référentiel pour chaque produit » et que, « lorsqu’un produit est un substitut direct d’un autre produit, il convient que ces deux produits soient couverts par le même référentiel de produit et par la définition de produit correspondante ».

75      En premier lieu, la requérante invoque plusieurs éléments pour établir la substituabilité directe entre les boulettes agglomérées et le minerai aggloméré (également appelé « fines agglomérées »). Selon elle, ces produits se substituent continuellement, tant sur le plan fonctionnel que sur le plan concurrentiel. Ils permettraient tous les deux d’alimenter les hauts fourneaux des aciéries en minerai de fer. En pratique, un mélange de fines agglomérées et de boulettes agglomérées, combiné à des additifs, pourrait être utilisé pour chaque haut fourneau européen au titre de son exploitation normale et selon des proportions qui varieraient dans le temps. Ces constatations seraient étayées par les exemples d’une aciérie à Oxelösund (Suède), dont l’installation d’agglomération intégrée a dû s’arrêter à la fin de l’année 1987 en raison du gel, mais qui a pu continuer à faire fonctionner son haut fourneau, en augmentant l’intrant en boulettes, ou d’autres aciéries qui, depuis les années 80, ont modifié leur mélange, allant même jusqu’à utiliser 100 % de boulettes agglomérées pendant une certaine période, par un rapport du cabinet de consultants CRU (voir CRU, Substitution potential of pellets and sinter in the European market, 13 mars 2020) ainsi que par un avis, daté du 3 mai 2021, du directeur de la technologie d’une aciérie suédoise.

76      En deuxième lieu, la requérante fait valoir que la substituabilité directe entre les boulettes de minerai de fer et le minerai aggloméré ressort également d’une comparaison entre les boulettes produites par ses installations et celles produites par l’installation d’Ijmuiden. Il s’agirait du même produit et du même type d’usine. L’unité de bouletage autonome d’Ijmuiden serait du même modèle, du même fournisseur et aurait été construite au même moment que l’usine de production de boulettes de la requérante située à Malmberget (Gällivare). Ces usines seraient équipées de machines de frittage identiques. En outre, les fines de fer utilisées par l’usine de production de boulettes d’Ijmuiden seraient achetées pour partie auprès de la requérante. Il s’agirait des mêmes fines que celles utilisées dans les installations de la requérante. Le fait qu’un produit identique, produit dans l’installation d’Ijmuiden équipée de machines de frittage identiques à celles de la requérante, ait été inclus dans le référentiel relatif au minerai aggloméré signifie qu’il existe une substituabilité parfaite entre ledit produit et les boulettes agglomérées produites dans les installations de la requérante.

77      En troisième lieu, la requérante rappelle que la question de l’inclusion de l’installation d’Ijmuiden dans le référentiel relatif au minerai aggloméré a fait l’objet de l’arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine (C‑80/16, EU:C:2017:588). Dans cette affaire, un concurrent de Tata Steel, le producteur d’acier ArcelorMittal, qui possédait lui‑même des installations de production de fines agglomérées bénéficiant de l’inclusion dans le référentiel, souhaitait qu’en soit exclue l’installation d’Ijmuiden. Cela aurait abouti à une valeur de référentiel plus élevée et, dès lors, à plus de quotas d’émission à titre gratuit pour ArcelorMittal.

78      Pour la Cour, selon ce qu’expose la requérante, il était correct d’inclure l’installation d’Ijmuiden dans le référentiel relatif au minerai aggloméré. Les appréciations effectuées par la Cour aux points 39, 42, 44 et 47 de l’arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine (C‑80/16, EU:C:2017:588), seraient pertinentes pour la présente affaire parce qu’elles s’appliqueraient également aux installations en cause. En effet, ainsi que l’expose le considérant 4 de la décision 2011/278, lorsqu’un produit est un substitut direct d’un autre produit, il convient que ces deux produits soient couverts par le même référentiel de produit. De même, si le produit pouvait « être utilisé comme substitut direct du minerai aggloméré dans les hauts fourneaux », cela justifiait l’inclusion du produit dans le référentiel. Dès lors, « [s]i la Commission avait omis de prendre en compte l’installation produisant un substitut du minerai aggloméré, elle aurait adopté une décision contraire à la finalité de l’article 10 bis, paragraphe 1, de la directive 2003/87 ». Par conséquent, s’il s’avérait que les boulettes agglomérées de la requérante peuvent être utilisées dans des hauts fourneaux en tant que substitut direct du minerai aggloméré, la décision attaquée devrait être annulée et la Commission devrait accepter d’inclure lesdites installations dans le référentiel concerné. Il s’agirait d’une question de fait qui doit être appréciée sur la base des éléments de preuve susvisés.

79      Pour autant, la requérante fait observer que, dans l’arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine (C‑80/16, EU:C:2017:588), la Cour a fait plusieurs déclarations concernant l’absence de substituabilité du minerai aggloméré par des boulettes agglomérées. Ces déclarations de fait et non de droit seraient erronées.

80      Ainsi, tout d’abord, la déclaration faite par la Cour au point 40 de l’arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine (C‑80/16, EU:C:2017:588), selon laquelle les boulettes et le minerai aggloméré ne seraient, d’une manière générale, pas directement substituables, ne serait pas correcte. En tout état de cause, selon la requérante, s’il s’était avéré que les boulettes et le minerai aggloméré avaient été des substituts, ces produits auraient tous été couverts par le même référentiel de produit.

81      Ensuite, l’explication exposée au point 42 de l’arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine (C‑80/16, EU:C:2017:588), selon laquelle le constat de substituabilité effectué par la Commission dépendrait d’un contexte particulier dans lequel « l’installation [d’]Ijmuiden […] était la seule aciérie dans l’Union à produire un mélange de pellets et de minerai aggloméré pouvant, de par ses propriétés, être utilisé comme substitut direct du minerai aggloméré dans les hauts fourneaux » et « [c]ette aciérie intégrée comporterait à la fois une unité de production de pellets et une unité de production de minerai aggloméré qui sont connectées pour fournir un mélange alimentant directement les hauts fourneaux », serait erronée. En effet, il n’existerait aucune différence entre ladite installation et les autres installations de production de boulettes agglomérées. Premièrement, Tata Steel ne « mélangerait » pas ses boulettes agglomérées avec des fines agglomérées avant d’alimenter le haut fourneau ; ses usines seraient deux unités distinctes géographiquement qui, d’un point de vue fonctionnel, ne seraient pas connectées et qui produisent chacune un type de minerai de fer aggloméré pouvant être utilisé dans la production d’acier. Deuxièmement, il n’y aurait aucune différence entre le chargement de boulettes de la requérante dans le haut fourneau et le chargement de boulettes de Tata Steel ; l’aggloméré et les boulettes seraient pesés et chargés séparément dans le haut fourneau de Tata Steel comme dans tous les autres hauts fourneaux ; Tata Steel ajouterait même déjà à ses propres boulettes des boulettes de la requérante dans son haut fourneau. Troisièmement, ainsi que le fait observer la Cour au point 44 de l’arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine (C‑80/16, EU:C:2017:588), « en dépit des caractéristiques particulières de [l’installation en cause], le produit obtenu peut directement se substituer au minerai aggloméré ». Cela serait correct en réalité, mais la substituabilité directe des produits serait sans rapport avec les caractéristiques particulières de l’installation d’Ijmuiden ni avec un mélange particulier (arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine, C‑80/16, EU:C:2017:588, points 45 et 46).

82      Enfin, la requérante considère que les intérêts de toutes les parties principales dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt dans l’affaire ArcelorMittal concordaient et s’opposaient aux siens. Toutes ces parties faisaient valoir que les boulettes de minerai de fer et le minerai aggloméré n’étaient, d’une manière générale, pas des substituts, bien que cela ne fût pas pertinent pour cette affaire, mais exprimaient des opinions différentes quant à la question de savoir si l’installation d’Ijmuiden devait être incluse dans le référentiel relatif au minerai aggloméré. En l’absence d’éléments fournis par la requérante, la Cour se serait prononcée sur des éléments incomplets. En indiquant qu’elle ne se prononçait que sur le dossier et sur les arguments présentés lors de l’audience, la Cour laisserait elle-même entendre qu’il pouvait y avoir des faits pertinents supplémentaires ou contraires susceptibles de conduire à une conclusion différente.

83      La Commission conteste les arguments de la requérante.

84      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, dans la décision attaquée, la Commission a rejeté la proposition du Royaume de Suède visant à ce que les installations en cause soient incluses dans le référentiel relatif au minerai aggloméré et qu’il soit donc procédé à une allocation à titre gratuit de quotas d’émissions de gaz à effet de serre en considération d’une telle inclusion.

85      Il convient ensuite de relever que les parties s’accordent à reconnaître que la caractérisation d’une substituabilité directe entre les boulettes de minerai de fer et le minerai aggloméré est susceptible d’avoir des conséquences sur le champ d’application du référentiel relatif au minerai aggloméré.

86      En effet, il ressort du considérant 4 de la décision 2011/278, qui a précédé le règlement délégué 2019/331, ce qui suit :

« Dans la mesure du possible, la Commission a élaboré des référentiels pour les produits, ainsi que pour les produits intermédiaires échangés entre les installations, qui sont issus des activités énumérées à l’annexe I de la directive 2003/87[…] En principe, il y a lieu de définir un référentiel pour chaque produit. Lorsqu’un produit est un substitut direct d’un autre produit, il convient que ces deux produits soient couverts par le même référentiel de produit et par la définition de produit correspondante. »

87      À titre d’illustration des conséquences d’une telle caractérisation de la substituabilité directe d’un produit à un autre, il est effectivement possible, comme le fait la requérante, de se prévaloir du point 47 de l’arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine (C‑80/16, EU:C:2017:588), où la Cour se prononce sur le cas particulier de l’installation d’Ijmuiden :

« Si la Commission avait omis de prendre en compte l’installation produisant un substitut du minerai aggloméré, elle aurait adopté une décision contraire à la finalité de l’article 10 bis, paragraphe 1, de la directive 2003/87, qui est d’encourager l’utilisation des techniques efficaces pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et d’améliorer le rendement énergétique, en recourant aux techniques les plus efficaces, aux solutions et aux procédés de production de remplacement, à la cogénération à haut rendement et à la récupération efficace d’énergie à partir des gaz résiduaires, lorsque ces moyens sont disponibles, et qu’ils n’encouragent pas l’accroissement des émissions. »

88      C’est donc à bon droit que la requérante allègue que, s’il était démontré que les boulettes de minerai de fer étaient directement substituables au minerai aggloméré, il y aurait eu lieu, en principe, de faire en sorte que ces deux produits soient couverts par le même référentiel de produit et par la définition de produit correspondante.

89      À cet égard, il y a lieu de noter qu’il ne ressort pas de la décision attaquée que la Commission se soit livrée à une analyse détaillée de la substituabilité directe d’un produit par rapport à l’autre. Elle semble en effet s’y être limitée à l’examen du libellé du référentiel et au fait de rappeler qu’il n’était pas exigé d’elle procède à une « adaptation de l’interprétation des définitions des référentiels ».

90      Pour autant, il ressort des échanges entre le Royaume de Suède et la Commission, et notamment de la lettre de la Commission du 29 avril 2020, et de la lettre de la Commission adressée en avril 2020 à l’Agence de protection de l’environnement, dont des copies ont été communiquées par la requérante au Tribunal en annexes à la requête, que la Commission a clairement indiqué aux autorités suédoises qu’elle considérait que les boulettes de minerai de fer n’étaient pas directement substituables au minerai aggloméré, en raison notamment de l’arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine (C‑80/16, EU:C:2017:588). Il ressort également de sa lettre du 26 mars 2018, adressée au Royaume de Suède, que la Commission a indiqué qu’elle n’entendait pas modifier les limites du référentiel relatif au minerai aggloméré.

91      C’est dans ce contexte qu’il convient d’apprécier les différents arguments invoqués par les parties en faveur ou en défaveur de la substituabilité directe entre les boulettes de minerai de fer et le minerai aggloméré.

92      Il y a lieu, à cet égard, d’examiner tout d’abord les arguments concernant la substituabilité directe entre les boulettes de minerai de fer et le minerai aggloméré en tant que telle avant d’envisager ceux relatifs à la comparabilité des situations entre l’installation d’Ijmuiden, dont la production relevait déjà du référentiel relatif au minerai aggloméré, et les installations en cause, qui n’en relevaient pas.

–       Sur la substituabilité directe des produits

93      Dans leurs écritures, les parties font valoir leurs arguments en faveur ou en défaveur de la substituabilité directe entre les boulettes de minerai de fer et le minerai aggloméré.

94      Il ressort de ces exposés que, en dépit de certaines ressemblances entre les boulettes de minerai de fer et le minerai aggloméré, ces produits pouvant être utilisés pour la production d’acier d’un haut fourneau moyennant des adaptations techniques en cas de passage de l’un à l’autre, lesdits produits présentent tout de même des différences.

95      À titre d’exemple, les données transmises par les parties permettent de constater que la production d’aggloméré repose sur des minerais qui ne sont pas encore enrichis et qui proviennent généralement de mines de minerai de fer situées en dehors de l’Europe, alors que, dans la production de boulettes, les concentrés de minerai de fer utilisés ont été traités mécaniquement afin d’augmenter leur teneur en fer et de réduire le niveau d’impureté. Ainsi la requérante reconnaît que la teneur en fer des fines agglomérées, comprise entre 55 et 58 %, diffère généralement de celle des boulettes de minerai de fer, comprise entre 62 et 66 %. En outre, il n’est pas contesté que la requérante est, en Europe, le principal producteur de telles boulettes, lesquelles sont essentiellement produites à partir de magnétite.

96      De même, si, lors de la production de boulettes de minerai de fer, la requérante a besoin de poussier de coke, elle a besoin de quantités plus faibles que celles utilisées pour la production d’aggloméré. Il n’est également pas contesté que, dans le cadre d’une telle production, les résidus ferreux sont recyclés directement comme entrants alors qu’il y a lieu de trouver une autre solution quand il s’agit desdites boulettes.

97      Il y a également lieu d’observer que les auteurs du rapport fer-acier ont constaté que « [l]a composition et les caractéristiques des boulettes diff[éraient] toutefois considérablement de celles de l’aggloméré » et qu’ils ont relevé dans le rapport minerai de fer que, « [si l]es boulettes de minerai de fer et l’aggloméré [étaient] comparables en ce qu’ils [avaie]nt la même utilisation dans la production d’acier brut[, i]ls diff[éraient] toutefois pour ce qui [était] des intrants en matières premières, de la technologie de production et des caractéristiques des produits[ ; en outre, l]’aggloméré est presque toujours produit sur le site de l’aciérie, où il permet de recycler des déchets solides [et] du poussier de coke est disponible pour être utilisé comme combustible ».

98      Il n’est également pas sans importance de relever, comme le font les auteurs du rapport minerai de fer, que « l’intensité des émissions de la production d’aggloméré est à peu près six à sept fois plus élevée que celle de la production de boulettes ». L’intégration de nouvelles catégories d’installations dans le référentiel relatif au minerai aggloméré risquait ainsi d’entraîner un déséquilibre significatif pour les installations relevant alors de ce référentiel.

99      Ces différences s’avèrent suffisantes pour que la Commission soit fondée à considérer, au titre du large pouvoir d’appréciation reconnu à cet égard par la jurisprudence et compte tenu des différents objectifs définis par la réglementation applicable, qu’il n’y a pas substituabilité directe entre les boulettes de minerai de fer et le minerai aggloméré pour ce qui concerne la détermination des installations concernées par le référentiel relatif au minerai aggloméré.

–       Sur l’installation d’Ijmuiden et les installations de la requérante

100    L’arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine (C‑80/16, EU:C:2017:588), est invoqué par la requérante pour soutenir qu’une solution de même nature que celle consacrée pour l’installation d’Ijmuiden, à savoir l’inclusion de cette installation dans le référentiel relatif au minerai aggloméré, devait être appliquée aux installations en cause.

101    Ainsi qu’il a été relevé, il importe de noter que l’arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine (C‑80/16, EU:C:2017:588), se prononce sur la situation de l’installation d’Ijmuiden, laquelle avait fait l’objet d’un traitement particulier de la part de la Commission lors de la détermination du champ d’application du référentiel relatif au minerai aggloméré.

102    Dans cette affaire, la Cour a apprécié la validité de la décision 2011/278. Dans le litige au principal, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine critiquait la prise en compte par la Commission, en tant qu’installation de référence pour la détermination du référentiel relatif au minerai aggloméré, d’une « usine [ou installation] produisant à la fois du minerai aggloméré et des pellets [boulettes] » (arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine, C‑80/16, EU:C:2017:588, point 36).

103    Les parties s’opposent sur les conséquences susceptibles d’être tirées de l’arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine (C‑80/16, EU:C:2017:588).

104    Pour la requérante et le Royaume de Suède, il en ressort que, dans la mesure où les installations en cause sont semblables à l’installation d’Ijmuiden, la même solution devait leur être appliquée et la Commission devait considérer que les boulettes de minerai de fer étaient directement substituables au minerai aggloméré.

105    Pour la Commission, une telle solution n’est pas applicable compte tenu des différences qui existent entre les boulettes de minerai de fer et le minerai aggloméré et de leur production, différences relevées par la Cour en dehors du cas particulier de l’installation d’Ijmuiden.

106    En l’espèce, au vu des éléments présentés dans la présente affaire, il y a lieu de considérer que les installations en cause ne peuvent pas être considérées en tant qu’« usine produisant à la fois du minerai aggloméré et des pellets » au sens du point 36 de l’arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine, C‑80/16, EU:C:2017:588).

107    En effet, il ressort de l’arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine (C‑80/16, EU:C:2017:588), que plusieurs caractéristiques de l’installation d’Ijmuiden sont mises en avant en parallèle de celles relatives au produit en cause constitué par un mélange de boulettes et d’aggloméré.

108    Selon ce qui a été indiqué par la Commission au sujet de l’installation d’Ijmuiden dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine (C‑80/16, EU:C:2017:588, points 42 et 44), il s’agit de « la seule aciérie dans l’Union à produire un mélange de pellets et de minerai aggloméré pouvant, de par ses propriétés, être utilisé comme substitut direct du minerai aggloméré dans les hauts fourneaux » et « [c]ette aciérie intégrée comporterait à la fois une unité de production de pellets et une unité de production de minerai aggloméré qui sont connectées pour fournir un mélange alimentant directement les hauts fourneaux » (point 42 dudit arrêt).

109    Pour sa part, ArcelorMittal avait fait observer que « l’installation [d’Ijmuiden] poss[édait] deux unités distinctes produisant des pellets et du minerai aggloméré » (arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine, C‑80/16, EU:C:2017:588, point 43).

110    Il importe également de relever que le raisonnement de la Cour repose sur les considérations suivantes. Premièrement, « il apparaît que, en dépit des caractéristiques particulières de [l’installation d’Ijmuiden], le produit obtenu peut directement se substituer au minerai aggloméré » (arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine, C‑80/16, EU:C:2017:588, point 44, et conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire ArcelorMittal Atlantique et Lorraine, C‑80/16, EU:C:2017:192). Deuxièmement, « le produit final a donc, dans une telle installation, des propriétés semblables à celles du minerai aggloméré et se substitue directement à ce dernier pour son utilisation dans les hauts fourneaux » (arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine, C‑80/16, EU:C:2017:588, point 45). Troisièmement, « [d]ans ces conditions, dès lors que ces deux unités de production permettent, ensemble, la fabrication d’un produit unique qui est substituable au minerai aggloméré, la production de pellets doit être considérée comme l’un des ‘procédés directement ou indirectement lié aux unités de procédé’ au sens [du référentiel relatif au minerai aggloméré] » (arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine, C‑80/16, EU:C:2017:588, point 46).

111    Ainsi que l’expose la Cour dans l’arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine (C‑80/16, EU:C:2017:588), à la fin du point 46 dudit arrêt, ce sont les circonstances factuelles spécifiques à l’affaire qui expliquent la raison pour laquelle il a été considéré que « le référentiel [relatif au] minerai aggloméré [tenait] compte de cette unité de production de pellets ».

112    Or, il ressort des faits de la présente affaire que, s’il ne peut être exclu, comme le soutient la requérante, que l’unité de production de pellets de l’installation d’Ijmuiden soit la même que celles des installations en cause, il n’en demeure pas moins que, contrairement à ces dernières, l’installation d’Ijmuiden est prise en compte en tant qu’unité de production d’une aciérie intégrée.

113    En conséquence, compte tenu des éléments présents dans le dossier, il n’y a pas lieu de se départir de l’appréciation effectuée par la Cour dans l’arrêt du 26 juillet 2017, ArcelorMittal Atlantique et Lorraine (C‑80/16, EU:C:2017:588, point 40), selon laquelle « les pellets et le minerai aggloméré ne sont, d’une manière générale, pas directement substituables ».

114    En l’état du dossier, et notamment de la conclusion effectuée au point 99 ci-dessus, la requérante n’établit pas l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation de la Commission à cet égard.

115    En effet, premièrement, les exemples d’utilisation exclusive de boulettes de minerai de fer pour alimenter les hauts fourneaux, mentionnés par la requérante, montrent qu’il s’agit de solutions de repli ou de solutions testées, d’ailleurs relativement anciennes.

116    Deuxièmement, quant au rapport du CRU, celui-ci fait état de considérations générales exposant un rapport de concurrence entre les boulettes de minerai de fer et le minerai aggloméré ou le fait que l’un peut remplacer l’autre. Ce rapport ne démontre toutefois pas qu’il est manifestement erroné pour la Commission de considérer que, compte tenu des différences entre ces produits, la production desdites boulettes n’était pas incluse dans le référentiel relatif au minerai aggloméré, qui, en dehors de la situation particulière du mélange provenant de l’installation d’Ijmuiden de l’aciérie intégrée, ne vise que la production de minerai aggloméré. Dans la duplique, la Commission expose à cet égard les raisons pour lesquelles il ne pourrait pas être affirmé que le passage d’une alimentation de minerai aggloméré à une alimentation en boulettes de minerai de fer serait « aussi simple que d’appuyer sur un bouton ». D’importants ajustement sont nécessaires pour permettre le passage d’une alimentation à une autre, y compris quand celle-ci résulte d’un mélange entre les produits.

117    Troisièmement, cette approche plus réaliste se retrouve également dans l’avis de M. Kallo invoqué par la requérante, qui, tout en concluant que les boulettes agglomérées sont des substituts immédiats des fines agglomérées, confirme néanmoins que le passage de l’aggloméré aux boulettes, en diverses proportions, nécessite des essais et des adaptations, ainsi que des travaux de préparation, y compris une adaptation de la logistique interne en fonction d’un nouveau flux de matières premières. Cet avis fait également état du fait que les résidus ferreux ne pourraient plus être recyclés directement au moyen des boulettes et qu’une autre solution, par exemple le briquetage, devrait être trouvée. Or, comme cela ressort de la définition des produits inclus et comme le rappelle la Commission, les « matériaux recyclés ferreux » figurent parmi les entrants utilisés pour la production d’aggloméré et la production de boulettes ne ferait pas intervenir de tels, ou autant de, résidus ferreux.

118    Il ressort de ce qui précède que la requérante n’a pas établi que la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation en décidant de ne pas inclure les boulettes de minerai de fer dans le référentiel relatif au minerai aggloméré.

119    En conséquence, il y a lieu de rejeter le premier moyen.

 Sur le deuxième moyen, pris de la violation des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination 

120    La requérante fait valoir que la décision attaquée viole les principes d’égalité de traitement et de non‑discrimination. Afin d’éviter une inégalité de traitement ou une discrimination entre exploitants ou entre secteurs, il conviendrait de tenir compte, d’une part, de la comparabilité de la situation des installations en cause et de celle de l’installation d’Ijmuiden, qui ne présenteraient pas de différences significatives, et, d’autre part, de la substituabilité directe entre les boulettes de minerai de fer et le minerai aggloméré, qui permettraient tous les deux d’alimenter en minerai de fer les hauts fourneaux. Aucune raison légitime ne justifierait une telle différence de traitement.

121    La Commission conteste l’argumentation de la requérante.

122    Il résulte d’une jurisprudence constante que le principe d’égalité de traitement impose que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., C‑127/07, EU:C:2008:728, point 23 et jurisprudence citée). En l’espèce, toutefois, comme cela a été exposé dans le cadre de l’examen du premier moyen, il ne peut être allégué que les boulettes de minerai de fer et le minerai aggloméré sont des substituts directs ou que lesdites boulettes constituent un produit identique à celui issu de l’installation d’Ijmuiden. Il ne saurait donc y avoir d’inégalité de traitement ou de discrimination à ce titre.

123    En conséquence, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen.

 Sur le troisième moyen, pris de la violation des obligations et engagements internationaux de l’Union

124    La requérante fait valoir que l’obligation incombant à l’Union de réduire les émissions de gaz à effet de serre repose notamment sur des engagements pris au titre de traités internationaux ainsi que sur des politiques environnementales internes et sur le droit primaire.

125    À cet égard, la requérante expose ce qui suit. Premièrement, l’Union serait partie à la convention‑cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et à l’accord de Paris, adopté le 12 décembre 2015, qui est entré en vigueur en 2016 et serait juridiquement contraignant. Deuxièmement, les parties audit accord seraient tenues d’engager et de faire connaître leurs efforts en vue de contenir l’élévation de la température moyenne de la planète. Ces engagements seraient appelés contributions déterminées au niveau national (ci-après les « CDN »). Troisièmement, en mars 2015, l’Union se serait ainsi engagée à réaliser l’objectif contraignant consistant à réduire sur son territoire d’ici à 2030 les émissions de gaz à effet de serre à concurrence d’au moins 40 % par rapport aux niveaux de 1990. Le 17 décembre 2020, elle aurait soumis sa CDN actualisée, s’engageant ainsi à réaliser l’objectif plus ambitieux de réduire sur son territoire d’ici à 2030 les émissions de gaz à effet de serre à concurrence d’au moins 55 % par rapport aux niveaux de 1990. Dans sa CDN, elle aurait inclus un compte rendu de la manière dont elle a agi pour mettre en œuvre sa CDN initiale depuis la ratification de cet accord, lequel comporterait une référence au SEQE ainsi qu’au fait que l’allocation des quotas d’émission à titre gratuit s’effectue sur la base de « référentiels qui récompensent les installations les plus efficaces de chaque secteur ». Quatrièmement, le lien direct entre le SEQE et le même accord serait évoqué à l’article 30 de la directive 2003/87, qui mentionnerait son réexamen à la lumière des évolutions au niveau international et des efforts entrepris pour atteindre les objectifs à long terme de l’accord en question.

126    La requérante indique également que les institutions sont liées par les accords conclus par celles‑ci et que ces accords bénéficient de la primauté sur les actes de droit dérivé et qu’il y a lieu d’interpréter ces derniers, dans la mesure du possible, en conformité avec ces accords.

127    Dans ce contexte, la requérante fait valoir que, par sa CDN, l’Union se serait engagée à allouer des quotas à titre gratuit d’une manière qui récompense les installations les plus efficaces et que, dans ces circonstances, exclure ses usines de production de boulettes du référentiel relatif au minerai aggloméré ne récompenserait pas les installations les plus efficaces de production de minerai de fer servant comme intrant à la fabrication de l’acier. Au contraire, une telle interprétation réduirait considérablement les incitations à réduire les émissions et ne récompenserait pas les installations qui sont devenues efficaces sur le plan des émissions au moyen d’investissements dans des solutions de remplacement et des technologies plus écologiques. Par conséquent, il y aurait lieu d’interpréter la définition dudit référentiel de manière à inclure les boulettes agglomérées afin de ne pas violer l’engagement relatif à l’allocation de quotas que l’Union a pris dans le cadre de l’accord de Paris.

128    La décision attaquée devrait également être interprétée conformément à l’objectif de réduction globale des émissions auquel l’Union se serait engagée au titre de l’accord de Paris. L’objectif de 55 % exigerait que les émissions soient réduites d’une manière considérable, ce qui ne serait possible qu’après notamment une transformation en profondeur de l’industrie lourde. Cette transformation n’évoluerait pas au rythme nécessaire, à moins que des solutions de remplacement à faible taux d’émission ne soient récompensées ou, au moins, non défavorisées. Par conséquent, l’engagement global pris par l’Union exigerait également que le référentiel relatif au minerai aggloméré soit interprété de manière à inclure la solution de remplacement à faible taux d’émission que sont les boulettes agglomérées.

129    Par ailleurs, la requérante soutient que l’argument de la Commission selon lequel l’attribution en sa faveur d’un plus grand nombre de quotas à titre gratuit que durant la troisième phase du SEQE n’améliorerait pas la mise en œuvre des obligations internationales de l’Union ne tient pas compte du fait que l’inclusion des installations en cause dans le référentiel relatif au minerai aggloméré inciterait les producteurs concernés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et améliorerait, ce faisant, la mise en œuvre de ces obligations internationales.

130    Enfin, même à supposer que l’accord de Paris et les CDN qui y sont liées ne soient pas juridiquement contraignants, il devrait être tenu compte des effets pour le climat, au regard, particulièrement, des engagements climatiques internes et externes de l’Union, qu’ils soient contraignants ou non. Il s’agirait d’une opportunité pour recentrer le SEQE sur son objectif de base, à savoir la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la lutte contre le changement climatique.

131    La Commission conteste les arguments de la requérante.

132    Il convient de rappeler que, en vertu de l’article 216, paragraphe 2, TFUE, lorsque des accords internationaux sont conclus par l’Union, les institutions de l’Union sont liées par de tels accords et, par conséquent, ceux-ci priment les actes de l’Union (voir arrêt du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a., C‑366/10, EU:C:2011:864, point 50 et jurisprudence citée).

133    Il s’ensuit que la légalité d’un acte de l’Union peut être affectée par l’incompatibilité de cet acte avec de telles règles du droit international. Lorsque cette illégalité est invoquée devant le Tribunal, celui-ci vérifie si certaines conditions sont remplies dans le cadre de l’affaire dont il est saisi afin de déterminer si, en application de l’article 263 TFUE, la légalité de l’acte du droit de l’Union concerné peut être appréciée au regard des règles du droit international invoquées (voir, par analogie, arrêt du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a., C‑366/10, EU:C:2011:864, point 51 et jurisprudence citée).

134    En effet, l’Union doit tout d’abord être liée par ces règles (voir, par analogie, arrêt du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a., C‑366/10, EU:C:2011:864, point 52 et jurisprudence citée).

135    Ensuite, le juge de l’Union ne peut procéder à l’examen de la légalité d’un acte du droit de l’Union au regard d’un traité international que lorsque la nature et l’économie de celui-ci ne s’y opposent pas (voir, par analogie, arrêt du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a., C‑366/10, EU:C:2011:864, point 53 et jurisprudence citée).

136    Enfin, lorsque la nature et l’économie du traité dont il s’agit permettent un contrôle de la légalité de l’acte du droit de l’Union au regard des dispositions de ce traité, encore faut-il que les dispositions de ce traité invoquées aux fins de ce contrôle apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises (voir, par analogie, arrêt du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a., C‑366/10, EU:C:2011:864, point 54 et jurisprudence citée).

137    Une telle condition est remplie lorsque la disposition invoquée comporte une obligation claire et précise qui n’est subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l’intervention d’aucun acte ultérieur (voir, par analogie, arrêt du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a., C‑366/10, EU:C:2011:864, point 55 et jurisprudence citée).

138    Or, en l’espèce, ainsi que le fait observer la Commission, il y a lieu tout d’abord de relever que la contribution de l’Union à l’accord de Paris, au terme de laquelle l’Union prévoit une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990, n’est qu’un objectif que l’Union doit atteindre collectivement en considération d’un ensemble de mesures complexes. Dans ce contexte, il est difficile d’alléguer que cet objectif serait violé au prétexte qu’une seule de ses composantes ne constituerait pas la mesure la plus appropriée pour l’atteindre.

139    De même, il y a lieu de considérer que l’accord de Paris, par lequel les parties à la CCNUCC se sont mis d’accord sur de nouveaux objectifs par rapport à ceux qui avaient été définis dans le protocole de Kyoto et qui est entré en vigueur le 4 novembre 2016, est un traité international, dans le cadre duquel des contributions sont communiquées et dont le contrôle est essentiellement assuré par les pairs et non par le règlement de litiges fondés sur la violation de normes inconditionnelles et suffisamment précises.

140    Il ne peut donc pas être valablement allégué, comme le fait la requérante, qu’une interprétation du référentiel relatif au minerai aggloméré qui n’inclut pas les boulettes de minerai de fer produites par les installations en cause viole l’engagement relatif à l’allocation de quotas que l’Union a pris dans le cadre de l’accord de Paris.

141    En conséquence, il y a lieu de rejeter le troisième moyen.

 Sur le quatrième moyen, pris de la violation de l’obligation d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d’espèce

142    La requérante fait valoir que la Commission a omis d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d’espèce. En particulier, elle lui reproche de ne pas avoir expliqué dans la décision attaquée les raisons pour lesquelles elle pouvait être traitée différemment de Tata Steel et pour lesquelles les boulettes agglomérées ne pouvaient pas être considérées comme des substituts des fines agglomérées. La position de la Commission à ce propos au cours de la procédure administrative aurait également évolué avec le temps et reposerait sur une distinction artificielle ou erronée entre ces produits quand il s’agirait d’apprécier leur substituabilité directe.  

143    La Commission conteste les arguments de la requérante.

144    Il y a lieu de relever qu’il résulte de la jurisprudence que, dans les cas où les institutions de l’Union se sont vu conférer un pouvoir d’appréciation, le respect des garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives revêt une importance fondamentale. Parmi ces garanties figurent, notamment, l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce, le droit de l’intéressé de faire connaître son point de vue ainsi que celui de voir motiver la décision de façon suffisante. C’est seulement ainsi que le juge de l’Union peut vérifier si les éléments de fait et de droit dont dépend l’exercice du pouvoir d’appréciation ont été réunis (voir, en ce sens, arrêt du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C‑269/90, EU:C:1991:438, point 14).

145    En l’espèce, toutefois, il ressort du contenu de l’appréciation exposée dans le cadre de l’examen du premier moyen qu’il ne peut être reproché à la Commission d’avoir appliqué de manière manifestement erronée le référentiel relatif au minerai aggloméré, qu’il s’agisse, d’une part, du refus d’inclure dans ce référentiel des installations de production de boulettes de minerai de fer qui ne sont pas envisagées par son libellé ou ses limites du système ou, d’autre part, du refus de considérer que la production provenant des installations en cause puisse être considérée comme directement substituable à l’aggloméré pour les mêmes raisons que celles évoquées en ce qui concerne la production provenant de l’installation d’Ijmuiden.

146    Il ne peut donc être reprochée à la Commission un défaut de diligence à cet égard.

147    En outre, au vu du contenu de la correspondance échangée entre la Commission et le Royaume de Suède qui est évoqué par la requérante au titre du présent moyen, à savoir les lettres de la Commission du 26 mars 2018, du 29 avril 2020 et d’avril 2020, lequel ne fait qu’exposer les réponses envisagées par la Commission aux arguments présentés par l’État membre concerné sur la substituabilité directe entre les boulettes de minerai de fer et le minerai aggloméré ainsi que les caractéristiques propres à la production de ces produits, il ne saurait également être reproché à la Commission d’avoir manqué à son obligation d’examiner avec soin et impartialité de tels arguments au cours de la procédure administrative.

148    En conséquence, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen.

 Sur le cinquième moyen, pris de la violation de l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE 

149    La requérante rappelle que, aux termes de l’article 296 TFUE, les actes juridiques sont motivés.

150    La requérante fait valoir que la présente affaire présente d’importantes ressemblances avec l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 7 novembre 2007, Allemagne/Commission (T‑374/04, EU:T:2007:332), où la Commission avait fait une déclaration dans la décision à l’appui d’un traitement différencié entre des opérateurs économiques sans justifier convenablement la différence alléguée quant aux situations et sans justifier la différence de traitement. Elle fait observer que, bien que l’exposé des motifs de la Commission dans la décision attaquée soit crucial pour l’interprétation et l’application correctes des référentiels de produit, il ne fournit pas la moindre explication concernant la substituabilité des produits et des techniques ni concernant l’application du principe d’égalité de traitement.

151    La requérante invoque également d’importantes similitudes entre la présente affaire et celle ayant donné lieu à l’arrêt du 21 novembre 1991, Technishe Universität München (C‑269/90, EU:C:1991:438), dès lors que la substituabilité technique et scientifique des produits y serait débattue, ou celle ayant donné lieu à l’arrêt du 23 mai 2019, KPN/Commission (T‑370/17, EU:T:2019:354), où était en cause la nécessité d’exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision. Selon elle, la Commission n’a même pas tenté en l’espèce de justifier ni même de rendre explicite son allégation implicite selon laquelle ses boulettes agglomérées ne sont pas substituables aux fines agglomérées ou aux boulettes agglomérées de Tata Steel. Elle a simplement fait référence à la définition d’un référentiel « adaptée à » la production d’aggloméré.

152    En dernier lieu, la requérante considère que la référence faite par la Commission au contenu des lettres envoyées au Royaume de Suède au titre de la procédure d’adoption de la décision attaquée ne pourrait pas compenser un défaut de motivation de cette décision en ce qui concerne la requérante, notamment parce que le contenu de ces lettres ne serait pas suffisant pour satisfaire à l’obligation de motivation en ce qui concerne la question de la substituabilité des boulettes et de l’aggloméré.

153    La Commission conteste l’argumentation de la requérante.

154    Il y a lieu de rappeler que la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit faire apparaître, d’une façon claire et non équivoque, le raisonnement de l’auteur de l’acte attaqué, de façon à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre leurs droits et au juge de l’Union d’exercer son contrôle (voir arrêt du 23 septembre 2009, Pologne/Commission, T‑183/07, EU:T:2009:350, point 136 et jurisprudence citée).

155    L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée non seulement au regard de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 23 septembre 2009, Pologne/Commission, T‑183/07, EU:T:2009:350, point 137 et jurisprudence citée).

156    Il y a également lieu de considérer que le respect de l’obligation de motivation au titre de l’article 296 TFUE, en ce qui concerne une décision concernant les mesures nationales d’exécution pour l’allocation transitoire à titre gratuit de quotas d’émission de gaz à effet de serre, conformément à l’article 11, paragraphe 3, de la directive 2003/87, revêt une importance d’autant plus fondamentale que, en l’espèce, l’exercice du pouvoir de contrôle de la Commission au titre de l’article 11, paragraphe 3, de la directive 2003/87 implique des évaluations économiques et écologiques complexes et que le contrôle de la légalité et du bien-fondé de ces évaluations par le juge de l’Union est restreint (voir, par analogie, arrêt du 23 septembre 2009, Pologne/Commission, T‑183/07, EU:T:2009:350, point 138 et jurisprudence citée).

157    En l’espèce, toutefois, contrairement à ce qu’allègue la requérante, il ne peut être allégué que celle-ci ne soit pas en mesure de comprendre les raisons pour lesquelles la Commission a considéré que le référentiel relatif au minerai aggloméré était adapté à la production de minerai aggloméré et n’incluait pas, comme le souhaitait le Royaume de Suède, les boulettes de minerai de fer.

158    Il ressort en effet du dossier que la requérante était en mesure de contester le bien-fondé de la décision attaquée en ce qui la concerne, qu’il s’agisse aussi bien du libellé du référentiel relatif au minerai de fer, de l’incidence que pourrait avoir sur son interprétation les différents objectifs de la réglementation applicable ou du fait que la Commission a implicitement mais nécessairement considéré en l’espèce qu’il n’était pas approprié d’adopter pour les installations en cause la même solution que celle qu’elle avait adoptée auparavant en ce qui concerne l’installation de Tata Steel.

159    Il ressort d’ailleurs du contenu de la requête, et en particulier du contenu des différents moyens présentés, que la requérante disposait également d’une bonne connaissance des différents échanges intervenus au cours de la procédure ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée entre le Royaume de Suède et la Commission, lesquels font partie du contexte.

160    En conséquence, il y a lieu de rejeter le cinquième moyen.

 Sur le sixième moyen, pris d’une exception d’illégalité du règlement délégué 2019/331

161    La requérante fait valoir que la décision attaquée doit être annulée en raison de l’illégalité du règlement délégué 2019/331, qui en constitue la base juridique. Selon elle, ledit règlement délégué est un acte d’application générale dont les États membres sont les destinataires. Elle estime donc qu’il serait improbable qu’elle ait pu avoir qualité pour agir si elle en avait demandé l’annulation étant donné qu’elle n’en était pas le destinataire et que ce règlement délégué ne l’affectait pas directement et individuellement. Il s’agirait, également d’un acte réglementaire qui comporterait des mesures d’exécution, comme la décision attaquée. La requérante estime ainsi pouvoir en demander l’annulation par voie incidente.

162    Pour étayer l’exception d’illégalité, la requérante se prévaut des arguments soulevés et des faits présentés au titre des cinq premiers moyens afin de justifier une interprétation du référentiel relatif au minerai aggloméré qui inclurait les installations en cause.

163    La requérante précise également que son argumentation ne dépend pas de la nature ou du nombre de contestations faites par d’autres institutions que la Commission au cours de la procédure du règlement délégué ou de la question de savoir si la réduction du nombre de quotas alloués aux autres producteurs s’il lui était donné raison serait encore possible à ce stade. Il y aurait lieu également de rappeler que la Commission a accepté, dans d’autres hypothèses, des situations où des exploitants changeaient de référentiels entre les troisième et quatrième phases du SEQE. Il importerait aussi de relever que les quotas à titre gratuit entendent récompenser les installations les plus efficaces dans chaque secteur.

164    La Commission conteste les arguments de la requérante.

165    En l’espèce et pour les mêmes raisons que celles qui ont été exposées en ce qui concerne les différents moyens présentés à l’encontre de la décision attaquée, il y a lieu de rejeter les différents arguments présentés pour invoquer l’inapplicabilité du règlement délégué 2019/331 en ce qu’il comporte en annexe un référentiel, celui relatif au minerai aggloméré, qui n’inclut pas les installations en cause.

166    Dès lors, il y a lieu de rejeter le sixième moyen et, par voie de conséquence, l’ensemble du recours.

 Sur les dépens

167    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

168    La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

169    Par ailleurs, aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Luossavaara-Kiirunavaara AB supportera outre ses propres dépens, les dépens exposés par la Commission européenne.

3)      Le Royaume de Suède supportera ses propres dépens.

Marcoulli

Frimodt Nielsen

Norkus

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 juillet 2023.

Signatures


Table des matières


Antécédents du litige

Conclusions des parties

En droit

Sur le premier moyen, pris de la violation de l’annexe I du règlement délégué 2019/331 et de l’article 10 bis, paragraphe 1, de la directive 2003/87

Observations liminaires

Sur le libellé du référentiel

Sur les objectifs de la réglementation

Sur la prétendue substituabilité directe entre les boulettes de minerai de fer et le minerai aggloméré

– Sur la substituabilité directe des produits

– Sur l’installation d’Ijmuiden et les installations de la requérante

Sur le deuxième moyen, pris de la violation des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination

Sur le troisième moyen, pris de la violation des obligations et engagements internationaux de l’Union

Sur le quatrième moyen, pris de la violation de l’obligation d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d’espèce

Sur le cinquième moyen, pris de la violation de l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE

Sur le sixième moyen, pris d’une exception d’illégalité du règlement délégué 2019/331

Sur les dépens


*      Langue de procédure : l’anglais.