Language of document : ECLI:EU:T:2003:21

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

30 janvier 2003(1)

«Fonctionnaires - Pension d'orphelin - Article 80, quatrième alinéa, du statut - État civil des parents- Égalité de traitement»

Dans l'affaire T-307/00,

C, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Bruxelles (Belgique), représentée par Mes J.-N. Louis et V. Peere, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme C. Berardis-Kayser et M. D. Martin, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

soutenu(e) par

Conseil de l'Union européenn e, représenté par MM. F. Anton et A. Pilette, en qualité d'agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision de la Commission du 25 novembre 1999 refusant d'octroyer une pension d'orphelin à la fille de la requérante,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre élargie),

composé de M. M. Vilaras, président, Mme V. Tiili, MM. J. Pirrung, P. Mengozzi et A. W. H. Meij, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 10 avril 2002,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique

1.
    L'article 80, quatrième alinéa, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut») prévoit:

«Si le conjoint ni fonctionnaire ni agent temporaire d'un fonctionnaire ou d'un ancien fonctionnaire titulaire d'une pension d'ancienneté ou d'invalidité est décédé, les enfants reconnus à la charge du conjoint survivant, au sens de l'article 2 de l'annexe VII, ont droit à une pension d'orphelin fixée pour chacun au double du montant de l'allocation pour enfant à charge.»

2.
    L'article 2, paragraphes 1 et 2, de l'annexe VII du statut dispose:

«1. Le fonctionnaire ayant un ou plusieurs enfants à charge bénéficie, dans les conditions énumérées aux paragraphes 2 et 3, d'une allocation de [.] euros par mois pour chaque enfant à sa charge.

2. Est considéré comme enfant à charge, l'enfant légitime, naturel ou adoptif du fonctionnaire ou de son conjoint, lorsqu'il est effectivement entretenu par le fonctionnaire.

Il en est de même de l'enfant ayant fait l'objet d'une demande d'adoption et pour lequel la procédure d'adoption a été engagée.»

3.
    L'article 1er bis, paragraphe 1, du statut, dispose:

«Les fonctionnaires ont droit dans l'application du statut à l'égalité de traitement sans référence, directe ou indirecte, à la race, à la conviction politique, philosophique ou religieuse, au sexe ou à l'orientation sexuelle, sans préjudice des dispositions statutaires pertinentes requérant un état civil déterminé.»

4.
    L'article 27, deuxième alinéa, du statut prévoit:

«Les fonctionnaires sont choisis sans distinction de race, de conviction politique, philosophique ou religieuse, de sexe ou d'orientation sexuelle et indépendamment de leur état civil ou de leur situation familiale.»

5.
    L'article 13 CE dispose:

«Sans préjudice des autres dispositions du présent traité et dans les limites des compétences que celui-ci confère à la Communauté, le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle.»

Faits à l'origine du litige

6.
    La requérante est fonctionnaire de la Commission. Sa fille, née le 21 mai 1984, a été reconnue par son père le 17 août 1984. La requérante et le père de sa fille n'ont jamais été mariés. Cependant, du 1er février 1986 au 1er octobre 1999, le pèrea contribué aux frais d'entretien et d'éducation de sa fille. Le 27 février 1999, le père a épousé une autre femme. Le père étant décédé le 22 octobre 1999, la requérante a demandé, par note du 5 novembre 1999, une pension d'orphelin pour sa fille au titre de l'article 80 du statut.

7.
    Par décision du 25 novembre 1999 (ci-après la «décision attaquée»), la demande de la requérante a été rejetée au motif suivant:

«L'article 80, [quatrième alinéa], du statut n'est pas d'application dans [ce] cas puisque cet article se réfère uniquement au décès du 'conjoint ni fonctionnaire ni agent temporaire d'un fonctionnaire ou d'un ancien fonctionnaire'. Le régime des pensions des fonctionnaires des Communautés européennes ne prévoit pas une pension d'orphelin dans le cas du décès du concubin.»

8.
    Le 15 février 2000, la requérante a introduit une réclamation au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut contre la décision attaquée.

9.
    Par décision du 14 juin 2000, dont la requérante a accusé réception le 23 juin 2000, l'autorité investie du pouvoir de nomination a rejeté la réclamation.

Procédure et conclusions des parties

10.
    C'est dans ces circonstances que la requérante a, par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 septembre 2000, introduit le présent recours.

11.
    Par lettre enregistrée au greffe le 27 février 2001, le Conseil a demandé au Tribunal à être admis à intervenir dans la présente procédure à l'appui des conclusions de la défenderesse. Par ordonnance du président de la quatrième chambre du Tribunal du 9 mars 2001, le Conseil a été admis à intervenir.

12.
    En application des articles 14, paragraphe 1, et 51, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, l'affaire a été renvoyée à une chambre composée de cinq juges.

13.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale. Dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, la Commission, le Conseil et les autres institutions de la Communauté ont répondu à une question écrite posée par le Tribunal.

14.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l'audience du 10 avril 2002.

15.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—     annuler la décision attaquée;

—     condamner la défenderesse aux dépens.

16.
    La défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—     rejeter comme irrecevables le premier moyen, en ce qu'il invoque une violation des dispositions du traité CE relatives à la libre circulation des travailleurs et l'illégalité de l'article 80, quatrième alinéa, du statut, ainsi que les deuxième, troisième et quatrième moyens;

—     rejeter, pour le surplus, le recours comme non fondé;

—     statuer sur les dépens comme de droit.

17.
    L'intervenant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal de déclarer le recours non fondé.

En droit

18.
    La requérante invoque à l'appui de son recours en annulation quatre moyens. Le premier moyen s'articule en trois branches. Dans la première branche, la requérante reproche à la Commission une violation du principe d'égalité de traitement. Dans la deuxième branche, elle soulève l'illégalité de l'article 80, quatrième alinéa, du statut. Dans la troisième branche, elle prétend que la décision attaquée entrave la libre circulation des travailleurs. Le deuxième moyen est tiré de la violation de l'unicité du statut personnel des ressortissants communautaires et le troisième moyen est tiré de la violation du principe de compétence d'attribution. Le quatrième moyen est tiré de la violation de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

19.
    Lors de l'audience, la requérante a renoncé à la troisième branche du premier moyen, ainsi qu'aux troisième et quatrième moyens, ce dont le Tribunal a pris acte dans le procès-verbal de l'audience. De plus, elle a déclaré que le deuxième moyen doit être considéré comme un argument supplémentaire à l'appui du premier moyen.

20.
    En conséquence, il y a lieu de constater, à titre liminaire, qu'à la suite de la renonciation à une partie de ses moyens lors de l'audience la requérante invoque désormais à l'appui de son recours en annulation un moyen unique tiré de la violation du principe d'égalité de traitement, de l'illégalité de l'article 80, quatrième alinéa, du statut et de la violation du principe d'unicité du statut personnel des ressortissants communautaires.

Sur la recevabilité

Arguments des parties

21.
    La Commission estime que le recours est irrecevable en ce qu'il est fondé sur l'illégalité de l'article 80, quatrième alinéa, du statut et sur une violation de l'unicité du statut personnel des ressortissants communautaires, car ces arguments n'ont pas été développés dans la réclamation administrative préalable. Elle fait valoir que ces arguments ne concernent pas une prétendue violation du principe d'égalité.

22.
    En outre, en ce qui concerne la requalification selon laquelle le deuxième moyen serait un argument supplémentaire du premier moyen, la Commission considère qu'elle n'est pas admissible dans la mesure où il ne peut être admis que, pour échapper à l'irrecevabilité du deuxième moyen, la requérante soulève un argument identique dans le cadre du premier moyen.

23.
    La requérante réfute cette affirmation en avançant qu'elle n'a pas invoqué de nouveaux moyens par rapport à sa réclamation, mais qu'elle a seulement développé de nouveaux arguments. Elle explique que les griefs invoqués trouvent leur fondement dans la violation du principe d'égalité de traitement.

Appréciation du Tribunal

24.
    Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, même si la réclamation administrative constitue un préalable indispensable à l'introduction d'un recours contre un acte faisant grief à une personne visée par le statut, elle n'a pas pour objet de lier, de façon rigoureuse et définitive, la phase contentieuse éventuelle, du moment que les demandes présentées à ce dernier stade ne modifient ni la cause ni l'objet de la réclamation. Il en est ainsi du recours en annulation dirigé contre la décision ayant donné lieu à la réclamation et dont les moyens sont en rapport étroit avec les chefs de contestation de la réclamation (voir, notamment, arrêt de la Cour du 19 novembre 1998, Parlement/Gaspari, C-316/97 P, Rec. p. I-7597, points 17 et 18; arrêts du Tribunal du 21 novembre 2000, Carrasco Benítez/Commission, T-214/99, RecFP p. I-A-257 et II-1169, points 37 et 38, et du 5 décembre 2000, Gooch/Commission, T-197/99, RecFP p. I-A-271 et II-1247, points 35, 38 à 40).

25.
    D'ailleurs, la procédure précontentieuse ayant un caractère amiable et les intéressés agissant en général, à ce stade, sans le concours d'un avocat, l'administration ne doit pas examiner les réclamations de façon restrictive, mais doit, au contraire, les examiner dans un esprit d'ouverture. Toutefois, s'agissant d'un moyen n'ayant pas été invoqué, même implicitement, dans la procédure précontentieuse, celui-ci ne saurait être soulevé pour la première fois devant le juge communautaire, après l'expiration des délais de réclamation et de recours prévus par les articles 90 et 91 du statut (arrêt du Tribunal du 28 mai 1998, W/Commission, T-78/96 et T-170/96, RecFP p. I-A-239 et II-745, points 61 et 64).

26.
     Dans la réclamation, la requérante a exposé:

«[...]

En effet, le statut distingue les enfants nés de 'parents mariés' des 'enfants légitimement reconnus hors mariage'. La discrimination établie par le statut est inadmissible dans le chef d'enfants orphelins, étant donné que la perte d'un des parents est irréversible et engendre l'état d'orphelin chez tous les enfants qui, de par la loi, sont considérés sur [un] pied d'égalité. La situation 'd'orphelin' ne peut être rattachée aux liens du mariage, mais bien aux liens filiaux, de surcroît en présence d'un enfant légitime et de la preuve formelle du paiement d'une rente alimentaire par le parent défunt de son vivant.

De plus, la pension d'orpheli[n] est versée dans le chef de l'enfant orphelin et constitue un droit de l'enfant, en présence d'un parent fonctionnaire qui assume effectivement son entretien. Je vous prie donc instamment de rétablir l'égalité de traitement entre enfants orphelins, au regard des diverses situations envisageables dans le cadre du 'conjoint décédé, ni fonctionnaire, ni agent temporaire, d'un fonctionnaire' (article 80, [quatrième alinéa]):

    1)    Enfants orphelins de parents mariés: octroi de la double allocation pour enfant à charge

    (2)    Enfants orphelins de parents divorcés: dans de nombreux cas, la double allocation a cependant été octroyée?

    (3)    Enfants orphelins de parents non mariés, mais légalement reconnus: refus = décision discriminatoire par rapport à (1) et (2)!

[...]»

27.
    En l'espèce, les griefs tirés de la prétendue illégalité de l'article 80, quatrième alinéa, du statut ainsi que de la violation alléguée de l'unicité du statut personnel de la fille de la requérante sont si étroitement liés à l'argumentation contenue dans la réclamation qu'ils sont recevables. En effet, ces griefs concernent, d'une manière générale, la violation du principe d'égalité de traitement, contenue explicitement dans la réclamation.

28.
    Il y a donc lieu de rejeter le chef de conclusions de la Commission tendant à ce que le recours soit déclaré irrecevable pour autant qu'il se fonde sur l'illégalité de l'article 80, quatrième alinéa, du statut et sur une violation de l'unicité du statut personnel des ressortissants communautaires.

Sur le fond

Arguments des parties

29.
    Par la première branche du moyen unique, la requérante observe qu'en vertu des dispositions législatives belges son enfant possède le statut d'«enfant reconnu» comportant les mêmes effets juridiques que celui d'enfant légitime. Selon la requérante, la législation belge confère aux enfants des droits et obligations identiques, que leurs parents aient ou non contracté un mariage. Dans cette mesure, la décision attaquée serait constitutive d'une discrimination fondée sur les convictions des parents de l'enfant concerné qui ont fait le choix de ne pas se marier.

30.
    Or, tant l'article 13 CE que l'article 1er bis, paragraphe 1, du statut, interdiraient toute discrimination, notamment au regard des croyances ou des convictions religieuses.

31.
    La requérante fait valoir que la Commission octroie une pension d'orphelin aux enfants de fonctionnaires divorcés, étendant ainsi la notion du conjoint à celle d'ancien conjoint. En outre, la Commission octroierait cette pension dans le cas d'un ménage de fait stable. En conséquence, en lui refusant le bénéfice de cette pension, la Commission traiterait des situations comparables de manière différente sans justification objective.

32.
    Selon la requérante, il résulte de l'article 80, quatrième alinéa, du statut, tel qu'appliqué par la Commission, que l'enfant reconnu par l'un ou par les deux parents a droit à la pension d'orphelin excepté dans le cas où ses parents, ayant formé ou non un ménage de fait stable, vivaient séparés au moment du décès.

33.
    À cet égard, elle fait valoir qu'elle avait formé depuis plusieurs années un ménage de fait avec le père de sa fille, en particulier au moment de la naissance de l'enfant, et ce jusqu'en 1985. Elle produit une convention datée du 2 mai 1988 établissant les modalités de contribution du père de l'enfant aux charges d'entretien et d'éducation de cette dernière. Elle souligne que cette convention a été exécutée, le père ayant versé régulièrement ces contributions.

34.
    La requérante souligne que la raison d'être de l'article 80, quatrième alinéa, du statut est de compenser, pour l'enfant orphelin se trouvant à la charge d'un fonctionnaire, la perte matérielle d'une source d'entretien à la suite du décès du conjoint de ce fonctionnaire. Elle fait valoir qu'il suffit donc que la personne décédée ait été, au moment de son décès, le conjoint du fonctionnaire dont l'enfant est à charge, et ce quel que soit son lien de filiation avec l'enfant, et sans qu'il soit nécessaire d'établir la réalité de la contribution par cette personne, de son vivant, à l'entretien de l'enfant. Or, en l'espèce, le décès du père de la fille de la requérante aurait entraîné pour l'enfant une perte effective d'une contribution à son entretien, ce qui devrait suffire à satisfaire aux conditions d'un droit à pension d'orphelin conformément à la ratio legis de la disposition en cause.

35.
    Elle fait valoir que l'interprétation restrictive de la Commission aboutit à une solution incohérente selon laquelle un enfant orphelin ayant perdu l'un des parentsqui veillait à son entretien n'a pas droit à la pension litigieuse alors qu'un autre enfant peut en bénéficier par le seul fait de l'existence d'un lien matrimonial entre son parent fonctionnaire et la personne décédée, et ce sans qu'il y ait à établir que cette personne contribuait réellement à son entretien ou qu'il existait un lien de filiation entre l'enfant et la personne décédée.

36.
    En ce qui concerne la deuxième branche, tirée de l'illégalité de l'article 80, quatrième alinéa, du statut, la requérante estime que le droit à une pension d'orphelin constitue un droit individuel de l'enfant et non du fonctionnaire qui en a la charge. En conséquence, il serait illégal de créer une discrimination entre les enfants basée sur le fait que ces derniers sont nés de parents mariés ou non mariés. Cette situation serait contraire à l'article 1er bis du statut, qui interdit toute discrimination au regard des convictions et serait incohérente avec celle résultant de l'article 2, paragraphe 2, de l'annexe VII du statut.

37.
    Enfin, par la troisième branche, la requérante soutient que la Commission a violé le principe d'unicité du statut personnel des ressortissants communautaires et a commis une erreur de droit, en ne reconnaissant pas à sa fille les droits et obligations découlant de son statut d'«enfant reconnu» selon la loi belge.

38.
    Elle explique que les dispositions du statut ne visent que le statut civil d'enfant légitime, naturel ou adopté. Le statut civil d'enfant reconnu ne pourrait faire l'objet d'une interprétation autonome, mais les droits d'un enfant reconnu devraient être reconnus tels qu'ils sont prévus par la loi nationale dont relève l'enfant. Étant donné que la législation belge considère les enfants légitimes ou naturels de la même manière que les enfants reconnus, la Commission aurait commis une erreur de droit en soumettant l'interprétation de l'article 80, quatrième alinéa, du statut au statut civil des parents.

39.
    La défenderesse rappelle que l'article 13 CE est dépourvu d'effet direct et qu'il ne s'applique pas en tant que tel aux institutions communautaires. En outre, elle fait remarquer, en substance, que la subordination de l'octroi du bénéfice de l'article 80, quatrième alinéa, du statut à la condition que le parent décédé soit le conjoint du fonctionnaire ne résulte pas de l'application d'un critère fondé sur les convictions politiques, philosophiques ou religieuses des intéressés.

40.
    En ce qui concerne l'argument fondé sur la prétendue discrimination due au fait que la Commission aurait accepté d'octroyer une pension d'orphelin aux enfants dont les parents étaient divorcés ou constituaient un ménage de fait stable, la Commission remarque qu'il fait défaut en fait et en droit. Elle rappelle que le père de la fille de la requérante et cette dernière n'étaient pas mariés et ne formaient pas un ménage de fait au moment de la mort du père. En revanche, la Commission souligne que le père était le conjoint d'une autre personne. Elle ajoute que, dans un seul cas, elle a octroyé une pension d'orphelin au motif que le père décédé cohabitait, au moment de son décès, avec l'enfant orphelin et sa mère. À cetégard, elle fait valoir que la requérante ne peut pas invoquer à son profit une illégalité commise en faveur d'autrui.

41.
    Elle admet toutefois que, par le passé, l'article 80, quatrième alinéa, du statut a été appliqué à plusieurs reprises dans le cas du décès de l'ex-conjoint du fonctionnaire s'il était conjoint au moment de la naissance de l'enfant. Or, elle fait valoir que la requérante n'a jamais été dans une situation identique, voire même comparable.

42.
    Elle rappelle qu'elle s'est limitée à appliquer un critère juridiquement certain, celui du conjoint qui, selon le droit communautaire, vise exclusivement un rapport fondé sur le mariage civil.

43.
    En ce qui concerne la prétendue illégalité de l'article 80, quatrième alinéa, du statut, la Commission rappelle, à titre subsidiaire, que l'argument de la requérante repose sur une interprétation erronée de l'article 80, quatrième alinéa, du statut. Selon la défenderesse, la condition posée par cette disposition pour l'octroi de la pension en cause ne concerne pas le statut de l'enfant, mais le statut du parent non fonctionnaire de celui-ci.

44.
    Enfin, elle considère que la détermination du statut civil de l'enfant orphelin est sans pertinence quant à la question de savoir s'il a droit ou non à une pension d'orphelin.

45.
    L'intervenant rappelle que le fait générateur de la pension d'orphelin, prévu à l'article 80, quatrième alinéa, du statut, est le décès du conjoint du fonctionnaire. Se référant à la jurisprudence, il fait valoir que la notion de conjoint vise exclusivement un rapport fondé sur le mariage civil au sens traditionnel du terme, qui ferait défaut en l'espèce.

46.
    En ce qui concerne la prétendue discrimination, le Conseil observe que l'article 80, quatrième alinéa, du statut s'applique à tous les fonctionnaires placés dans la même situation objective, sans discrimination. Le fait que la pension d'orphelin ne soit accordée qu'en cas de décès du conjoint du fonctionnaire n'est que la conséquence de l'application objective de cette disposition.

47.
    En ce qui concerne la prétendue violation de l'unicité du statut personnel des ressortissants communautaires, l'intervenant souligne que la reconnaissance de l'état civil de l'enfant de la requérante n'est pas en cause, car le droit à la pension d'orphelin est lié à la notion du conjoint.

Appréciation du Tribunal

48.
    Il convient d'examiner tout d'abord le grief tiré de l'illégalité de l'article 80, quatrième alinéa, du statut, pour contrariété avec le principe d'égalité de traitement. À cet égard, il y a lieu de rappeler qu'il ressort de la jurisprudence quece principe appartient aux principes fondamentaux du droit communautaire et qu'il est violé lorsque deux catégories de personnes, dont les situations factuelle et juridique ne présentent pas de différences essentielles, se voient appliquer un traitement différent. Ce principe exige, dès lors, que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente, à moins qu'une telle différenciation ne soit objectivement justifiée (arrêts de la Cour du 19 octobre 1977, Ruckdeschel e.a., 117/76 et 16/77, Rec. p. 1753, point 7, et du 9 novembre 1995, Francovich, C-479/93, Rec. p. I-3843, point 23; arrêt du Tribunal du 4 mars 1998, De Abreu/Cour de justice, T-146/96, RecFP p. I-A-109 et II-281, point 53, et la jurisprudence citée).

49.
    Plus particulièrement, le principe d'égalité de traitement requiert que les différences de traitement entre situations comparables soient justifiées sur la base d'un critère objectif et raisonnable et que cette différence soit proportionnée au but poursuivi par cette différenciation (arrêt du Tribunal du 23 mars 1994, Huet/Cour des comptes, T-8/93, Rec. p. II-103, point 45).

50.
    En l'espèce, il s'agit de vérifier si répond aux exigences d'objectivité, de raison et de proportionnalité évoquées par la jurisprudence citée aux points 48 et 49 ci-dessus, la différenciation du traitement réservé par l'article 80, quatrième alinéa, du statut, aux situations suivantes: d'une part, celle du fonctionnaire ayant perdu son conjoint, non fonctionnaire ni agent, dont l'enfant a droit à la pension d'orphelin; d'autre part, celle, n'ouvrant pas droit à un tel bénéfice, du fonctionnaire non marié, telle la requérante, qui se retrouve seul à faire face à l'entretien de l'enfant à sa charge à la suite du décès du parent non fonctionnaire ni agent qui contribuait effectivement à cet entretien en dehors d'un lien marital avec le parent fonctionnaire.

51.
    S'agissant du but de la disposition concernée, il convient de relever que, dans l'arrêt Huet/Cour des comptes, précité (point 28), concernant un fonctionnaire resté veuf, le Tribunal a considéré que l'article 80, quatrième alinéa, du statut vise à aider le fonctionnaire veuf à assumer le surcoût résultant de son veuvage. En faisant abstraction de l'état civil du fonctionnaire ou de la personne décédée entrant en ligne de compte, l'objectif de cette disposition peut donc être défini comme prévoyant une compensation pour le surcoût résultant du décès d'une personne censée contribuer, de son vivant, à l'entretien de l'enfant.

52.
    Or, le Tribunal est appelé à apprécier si, au vu de la finalité de cette disposition, la situation dans laquelle se trouve la requérante est comparable aux cas couverts par le champ d'application de la disposition et si le fait qu'une telle situation n'ouvre pas droit au bénéfice en cause se justifie au regard d'un critère objectif et raisonnable.

53.
    Puisque l'article 80, quatrième alinéa, du statut vise à compenser le surcoût, pour le fonctionnaire en ce qui concerne lentretien de l'enfant, induit par le décès d'une personne censée contribuer, de son vivant, à cet entretien, la situation de larequérante, à savoir celle d'un fonctionnaire non marié dont l'enfant a perdu son autre parent ni fonctionnaire ni agent qui contribuait effectivement à son entretien sur la base d'une obligation légale découlant de la reconnaissance du lien de filiation, est certainement comparable à celles qui tombent dans le champ d'application dudit article.

54.
    En ce qui concerne la question d'une éventuelle justification de l'exclusion de la situation de la requérante du champ d'application de l'article 80, quatrième alinéa, du statut, il y a lieu de remarquer, au préalable, que, en prévoyant le critère selon lequel le défunt a été, lors de son décès, le «conjoint» du fonctionnaire, cet article poursuit un objectif légitime, dans la mesure où il prévoit l'application du bénéfice qu'il vise à des situations qui correspondent, de manière générale, à la perte, par le fonctionnaire et son enfant, d'un apport matériel à l'entretien de ce dernier.

55.
    Toutefois, dans la mesure où l'application de ce critère emporte l'exclusion du bénéfice du droit en cause dans une situation dans laquelle un apport matériel à l'entretien de l'enfant du fonctionnaire non marié était effectivement assuré par la personne décédée conformément à une obligation légale découlant de la reconnaissance par celle-ci de l'enfant, ce même critère n'est pas raisonnable. En l'état actuel du développement de la société, ce critère n'est pas approprié pour identifier un surcoût effectif censé être supporté par le fonctionnaire dans l'entretien de son enfant, comme le démontrent les faits de la présente espèce. En effet, si la disposition en cause suppose que le fonctionnaire est censé supporter un surcoût dans le cas du décès de son conjoint, elle devrait supposer qu'un tel surcoût se produit également dans le cas de décès de l'autre parent, non conjoint du fonctionnaire, ayant reconnu l'enfant et étant, de ce fait, légalement obligé de l'entretenir. Dans la mesure où il ne couvre pas une telle situation, le critère adopté par la disposition litigieuse n'est pas proportionné à son but, à savoir celui de limiter l'octroi du bénéfice à des situations correspondant, de manière générale, à une perte pour le fonctionnaire d'une contribution à l'entretien de son enfant.

56.
    Il convient donc de constater que la disposition litigieuse, en ce qu'elle ne permet pas de couvrir la situation de la requérante, telle qu'elle a été décrite au point 53 ci-dessus, et qui se caractérise, notamment, par le fait que le parent fonctionnaire ne peut pas compter sur la contribution d'un conjoint pour faire face à l'entretien de l'enfant à sa charge, opère une différenciation non justifiée et enfreint le principe d'égalité de traitement. Il s'ensuit que la condition relative à la qualité de conjoint du fonctionnaire de la personne décédée, à laquelle l'article 80, quatrième alinéa, du statut subordonne l'octroi de la pension d'orphelin, doit être déclaré inapplicable au cas d'espèce.

57.
    Le grief tiré de l'illégalité de l'article 80, quatrième alinéa, du statut étant fondé dans le sens indiqué ci-dessus, il y a lieu d'annuler la décision attaquée sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs soulevés par la requérante. Par ailleurs, il incombe à l'institution compétente, en vertu de l'article 233 CE, de prendre les mesures appropriées que comporte l'exécution du présent arrêt.

Sur les dépens

58.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé en ses conclusions et la requérante ayant conclu en ce sens, il y a lieu de condamner la Commission aux dépens, à l'exclusion de ceux exposés par le Conseil et de ceux causés à la requérante par l'intervention du Conseil.

59.
    En vertu de l'article 87, paragraphe 4, du même règlement, le Conseil supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

déclare et arrête:

1)     La décision de la Commission du 25 novembre 1999 refusant d'octroyer une pension d'orphelin à la fille de la requérante est annulée.

2)      La Commission supportera les dépens, à l'exclusion de ceux exposés par le Conseil de l'Union européenne et de ceux causés à la requérante par l'intervention du Conseil.

3)      Le Conseil supportera ses propres dépens.

Vilaras
Tiili

Pirrung

Mengozzi

Meij

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 janvier 2003.

Le greffier

Le président

H. Jung

M. Vilaras


1: Langue de procédure: le français