Language of document : ECLI:EU:T:2008:400

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

24 septembre 2008 (*)

« Marchés publics de fournitures – Programme TACIS – Décision d’annuler l’appel d’offres – Recours en annulation – Obligation de motivation »

Dans l’affaire T‑264/06,

DC-Hadler Networks SA, établie à Bruxelles (Belgique), représentée par ML. Muller, avocat,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par Mme E. Cujo et M. P. Kuijper, puis par M. M. Wilderspin et Mme Cujo, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision de la Commission du 14 juillet 2006, portant annulation de la procédure d’appel d’offres EuropeAid/122742/C/SUP/RU relatif à la fourniture d’équipement informatique et de bureau pour le réseau d’information ainsi que d’équipement d’intégration sociale et de rééducation pour les personnes handicapées dans le district fédéral de la Volga (Fédération de Russie),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (septième chambre),

composé de MM. N. J. Forwood, président, D. Šváby et L. Truchot (rapporteur), juges, 

greffier : Mme K. Pocheć, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 22 mai 2008,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1        Le 1er avril 2006, la Commission, agissant par l’intermédiaire de sa délégation à Moscou (Fédération de Russie), a publié au Supplément au Journal officiel de l’Union européenne (JO S 70) un appel d’offres ouvert international pour un marché de fournitures intitulé « Social Integration of the Disabled in Privolzhsky Federal Okrug, Russian Federation – supply of social integration and rehabilitation-related equipment for the disabled and IT and office equipment for the information network » (EuropeAid/122742/C/SUP/RU). Cette procédure faisait l’objet d’une gestion centralisée déconcentrée et, à ce titre, la Commission avait la qualité de pouvoir adjudicateur agissant au nom et pour le compte de la Fédération de Russie, pays bénéficiaire. Le service déconcentré, la délégation de la Commission à Moscou (ci-après « la délégation »), était le service en charge de la gestion des contrats.

2        La requérante, DC-Hadler Networks SA, est la seule entreprise ayant présenté une offre à la suite de cet appel. À l’issue de l’évaluation technique et financière réalisée par la délégation les 13, 14 et 15 juin 2006, son offre a été déclarée recevable.

3        Le 19 juin 2006, la section « Finances et contrats » de la délégation a présenté au chef de délégation une demande de dérogation à la règle d’origine, selon laquelle les fournitures et les matériaux acquis dans le cadre d’un marché financé au titre d’un instrument communautaire doivent tous être originaires d’un pays communautaire ou d’un pays éligible, au motif que l’offre de la requérante spécifiait que certaines des fournitures n’étaient pas produites dans la zone éligible. Le même jour, le chef de délégation faisant fonction a accordé cette dérogation.

4        Le 20 juin 2006, la délégation a informé la requérante que le marché lui était attribué.

5        Par lettre du 14 juillet 2006, la Commission a notifié à la requérante sa décision d’annuler la procédure de passation du marché (ci-après la « décision attaquée »).

6        Le 17 juillet 2006, la requérante a demandé à la Commission de lui indiquer la base juridique de la décision attaquée.

7        Le 27 juillet 2006, la Commission lui a répondu que la décision attaquée était fondée sur l’article 101 du règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 248, p. 1, rectificatif publié au JO L 25, du 30 janvier 2003, p. 43, ci-après le « règlement financier »).

8        Le 5 septembre 2006, la Commission a signé avec l’Unicef (Fonds des Nations unies pour l’enfance) une convention de contribution dont l’objet était identique à celui de l’appel d’offres du 1er  avril 2006.

Procédure et conclusions des parties

9        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 septembre 2006, la requérante a introduit le présent recours.

10      À la suite de l’empêchement du juge rapporteur initialement désigné, le président du Tribunal a, par décision du 18 décembre 2007, nommé un nouveau juge rapporteur.

11      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (septième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

12      Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure du Tribunal, celui-ci a, par lettre du 7 avril 2008, invité la Commission à communiquer la décision d’attribution de l’appel d’offres à la requérante dans la mesure où elle diffère de la décision du 20 juin 2006. La Commission a confirmé, dans le délai imparti, que cette dernière décision constituait le seul document pertinent.

13      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal à l’audience du 22 mai 2008.

14      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal d’annuler la décision attaquée.

15      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–      à titre principal, prononcer le non-lieu à statuer ;

–      à titre subsidiaire, rejeter le recours comme non fondé ;

–      condamner la requérante aux dépens.

 Sur l’intérêt à agir 

 Arguments des parties

16      La Commission allègue que le recours est sans objet, dans la mesure où l’exécution des lots faisant l’objet de l’appel d’offres a déjà été confiée à une organisation internationale.

17      La requérante répond que, à défaut de lui donner la possibilité de soumissionner une nouvelle fois pour le marché en question, l’annulation de la décision attaquée lui permettrait de réclamer la réparation du préjudice subi en se fondant sur la responsabilité extracontractuelle de la Commission.

 Appréciation du Tribunal

18      Aux termes d’une jurisprudence constante, un recours en annulation contre un acte devenu sans objet est recevable s’il permet de redresser les éventuelles conséquences préjudiciables résultant de cet acte ou d’éviter que l’illégalité alléguée ne se reproduise à l’avenir (arrêt de la Cour du 26 avril 1988, Apesco/Commission, 207/86, Rec. p. 2151, point 16 ; arrêt du Tribunal du 25 mars 1999, Gencor/Commission, T‑102/96, Rec. p. II‑753, point 41 ; ordonnance du Tribunal du 5 décembre 2007, Schering-Plough/Commission et EMEA, T‑133/03, non publiée au Recueil, point 31).

19      Il résulte également de la jurisprudence que, même dans une situation où la décision attaquée a déjà été pleinement exécutée en faveur d’autres concurrents dans le cadre d’une même adjudication, le requérant conserve un intérêt à voir annuler cette décision soit pour obtenir, de la part de la Commission, une remise en état adéquate de sa situation, soit pour amener la Commission à apporter, à l’avenir, les modifications appropriées au régime des adjudications, au cas où celui-ci serait reconnu contraire à certaines exigences juridiques (arrêt de la Cour du 6 mars 1979, Simmenthal/Commission, 92/78, Rec. p. 777, point 32).

20      La requérante conserve par conséquent un intérêt à agir même si l’achat et la livraison des fournitures visées dans l’appel d’offres EuropeAid/122742/C/SUP/RU, qui fait l’objet de la décision attaquée, ont été confiés à un tiers.

21      Dès lors, l’objection de la Commission relative à la disparition de l’objet du litige doit être écartée.

 Sur le fond

 Arguments des parties

22      La requérante soulève deux moyens à l’appui de son recours. Selon le premier moyen, tiré de la violation des formes substantielles, le manque de précision de la décision attaquée ou, à tout le moins, sa motivation incomplète aurait pour effet de priver la requérante de la possibilité d’en contrôler la légalité. Selon le second moyen, la motivation de la décision attaquée serait inexacte, car cette décision trouverait son origine dans les premières conclusions d’une procédure de vérification financière visant la requérante, qui a révélé l’existence d’anomalies affectant les certificats d’origine de fournitures informatiques livrées par elle dans le cadre d’autres contrats.

23      La Commission affirme que les deux moyens invoqués par la requérante se confondent et concernent le défaut de motivation de la décision attaquée.

24      Elle considère que, même si la motivation de la décision attaquée n’est pas longue, elle est, selon la jurisprudence, suffisante.

25      La Commission estime que le caractère suffisant de la motivation doit être apprécié en fonction du contexte de l’acte et de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. Elle affirme que la décision attaquée ne fait que prendre acte et tirer les conséquences de l’existence de règles communautaires qui interdisent qu’une dérogation à la règle d’origine soit accordée ex post et que la signification de l’indication d’une concurrence insuffisante était, dans ce contexte, claire et évidente. Elle considère que, en tout état de cause, on peut attendre des personnes concernées par une décision un certain effort d’interprétation pour résoudre les ambiguïtés que contient la motivation.

26      La Commission soutient, en outre, qu’une motivation dont le début se trouve exprimé dans l’acte attaqué peut être développée et précisée en cours d’instance.

27      S’agissant du caractère inexact ou tout au moins incomplet de la motivation, elle affirme que la décision d’annuler la procédure est fondée sur l’article 101 du règlement financier, qui permet au pouvoir adjudicateur d’annuler, jusqu’à la signature du contrat, la procédure de passation du marché si les conditions d’octroi du marché ne sont pas respectées, et trouve sa justification dans l’insuffisance de concurrence.

28      La Commission fait également valoir que l’appel d’offres en cause est un appel d’offres ouvert international qui doit permettre d’assurer une concurrence maximale, sans qu’aucune dérogation à la règle d’origine soit envisagée, sauf dans des circonstances exceptionnelles prévues à l’article 7, paragraphes 2 et 3, du règlement (CE) n° 2112/2005 du Conseil, du 21 novembre 2005, relatif à l’accès à l’aide extérieure de la Communauté (JO L 344, p. 23). Or, eu égard au caractère strict de la règle d’origine inscrite dans l’appel d’offres en question, la dérogation à cette règle octroyée à la seule requérante aurait pu être critiquée par des soumissionnaires potentiels en mesure de satisfaire aux conditions finalement retenues dans l’appel d’offres, mais s’étant abstenus de présenter une offre à défaut de pouvoir respecter la règle de l’origine.

 Appréciation du Tribunal

29      Conformément à une jurisprudence constante, la portée de l’obligation de motivation exigée par l’article 253 CE dépend de la nature de l’acte en cause et du contexte dans lequel il a été adopté. La motivation doit faire apparaître de manière claire et non équivoque le raisonnement de l’institution auteur de l’acte, de manière à permettre au juge communautaire d’exercer son contrôle et aux intéressés de connaître les justifications de la décision attaquée (voir arrêts de la Cour du 15 avril 1997, Irish Farmers Association e.a., C‑22/94, Rec. p. I‑1809, point 39, et du 10 mars 2005, Espagne/Conseil, C‑342/03, Rec. p. I‑1975, point 54, et la jurisprudence citée).

30      En l’espèce, la décision attaquée se fonde sur l’insuffisance de concurrence pour justifier l’annulation de la procédure de passation du marché. Dans sa lettre du 27 juillet 2006, la Commission a ensuite répondu à la requérante que la décision attaquée était fondée sur l’article 101 du règlement financier.

31      Dans sa défense, la Commission invoque comme motif de l’annulation de la procédure de passation du marché la dérogation à la règle d’origine accordée par ses propres services à la requérante. En outre, dans sa duplique, la Commission se réfère au contexte de l’adoption de la décision attaquée et allègue que la requérante aurait dû en déduire que le grief relatif à l’insuffisance de concurrence était fondé sur la dérogation qui lui avait été accordée dans l’application de la règle d’origine.

32      Si l’on peut attendre des personnes concernées par une décision un certain effort d’interprétation lorsque le sens du texte n’apparaît pas à la première lecture (arrêt du Tribunal du 12 décembre 1996, Rendo e.a./Commission, T‑16/91, Rec. p. II‑1827, point 46), il convient toutefois de constater que, en l’espèce, la requérante ne pouvait déduire de la notion de « concurrence insuffisante » que la raison pour laquelle la Commission avait décidé d’annuler la procédure de passation du marché était liée à la dérogation à la règle d’origine dont elle avait bénéficié.

33      Les services de la Commission ont accordé d’office cette dérogation à la requérante, avant de lui attribuer le marché. Dans la mesure où la décision attaquée était défavorable à la requérante, contrairement aux décisions antérieures sur la recevabilité de son offre et l’attribution du marché, alors même que le contexte de l’offre de la requérante était identique, il appartenait à la Commission de développer son raisonnement de manière explicite dans la décision attaquée ou dans sa lettre du 27 juillet 2006 (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 26 novembre 1975, Groupement des fabricants de papiers peints de Belgique e.a./Commission, 73/74, Rec. p. 1491, point 31). La décision attaquée est donc entachée d’une insuffisance de motivation.

34      Le fait que la Commission ait fourni les raisons de cette décision en cours d’instance ne compense pas l’insuffisance de la motivation initiale de la décision attaquée. En effet, il est de jurisprudence constante que la motivation doit figurer dans le corps même de la décision et qu’elle ne peut être explicitée pour la première fois et a posteriori devant le juge, sauf circonstances exceptionnelles qui, en l’absence de toute urgence, ne sont pas réunies en l’espèce (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 2 juillet 1992, Dansk Pelsdyravlerforening/Commission, T‑61/89, Rec. p. II‑1931, point 131, et du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T‑374/94, T‑375/94, T‑384/94 et T‑388/94, Rec. p. II‑3141, point 95, et la jurisprudence citée).

35      La seule référence à l’insuffisance de concurrence ne peut donc pas constituer une motivation suffisante de la décision attaquée, dans la mesure où elle ne permet ni à la requérante de connaître ni au Tribunal de contrôler les raisons pour lesquelles la Commission a décidé de revenir sur sa décision d’attribuer le marché à la requérante.

36      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la décision attaquée doit être annulée pour violation des exigences de motivation requises par l’article 253 CE, sans qu’il y ait lieu d’examiner le second moyen d’annulation soulevé par la requérante.

 Sur les dépens

37      En vertu de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante n’ayant pas conclu à la condamnation de la Commission, il y a lieu de décider que chaque partie supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la Commission du 14 juillet 2006, portant annulation de la procédure d’appel d’offres EuropeAid/122742/C/SUP/RU, est annulée.

2)      La Commission et DC-Hadler Networks SA supporteront leurs propres dépens.

Forwood                     Šváby                     Truchot

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 24 septembre 2008.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       N. J. Forwood


* Langue de procédure : le français.