Language of document : ECLI:EU:T:2022:317

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

1er juin 2022 (*) 

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation en Libye – Gel des fonds – Liste des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Restrictions d’entrée et de passage en transit sur le territoire de l’Union – Liste des personnes faisant l’objet de restrictions d’entrée et de passage en transit sur le territoire de l’Union – Première inscription et maintien du nom du requérant sur les listes des personnes visées – Obligation de motivation – Erreur d’appréciation – Droits de la défense – Proportionnalité – Prévisibilité des actes de l’Union »

Dans l’affaire T‑723/20,

Yevgeniy Viktorovich Prigozhin, demeurant à Saint-Pétersbourg (Russie), représenté par Me M. Cessieux, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme M.-C. Cadilhac et M. V. Piessevaux, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. D. Spielmann (rapporteur), président, U. Öberg et R. Mastroianni, juges,

greffier : Mme I. Kurme, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 1er février 2022,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Yevgeniy Viktorovich Prigozhin, ressortissant russe, demande l’annulation, d’une part, de la décision d’exécution (PESC) 2020/1483 du Conseil, du 14 octobre 2020, mettant en œuvre la décision (PESC) 2015/1333 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2020, L 341, p. 16), et du règlement d’exécution (UE) 2020/1481 du Conseil, du 14 octobre 2020, mettant en œuvre l’article 21, paragraphe 2, du règlement (UE) 2016/44 du Conseil concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2020, L 341, p. 7), en tant que son nom y a été inscrit sur les listes des personnes et entités figurant aux annexes II et IV de la décision (PESC) 2015/1333 du Conseil, du 31 juillet 2015, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant la décision 2011/137/PESC (JO 2015, L 206, p. 34), et à l’annexe III du règlement (UE) 2016/44 du Conseil, du 18 janvier 2016, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant le règlement (UE) n204/2011 (JO 2016, L 12, p. 1), (ci-après les « listes litigieuses ») et, d’autre part, après adaptation de la requête, de la décision (PESC) 2021/1251 du Conseil, du 29 juillet 2021, modifiant la décision 2015/1333 (JO 2021, L 272, p. 71), et du règlement d’exécution (UE) 2021/1241 du Conseil, du 29 juillet 2021, mettant en œuvre l’article 21, paragraphe 2, du règlement 2016/44 (JO 2021, L 272, p. 1), en tant que son nom y a été maintenu sur les listes litigieuses.

2        Conformément à la résolution 1970 (2011) du Conseil de sécurité des Nations unies et aux résolutions ultérieures à celle-ci, le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 28 février 2011, la décision 2011/137/PESC, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2011, L 58, p. 53), et, le 2 mars 2011, le règlement (UE) no 204/2011, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2011, L 58, p. 1). Le Conseil a ainsi établi un embargo sur les armes, une interdiction du matériel susceptible d’être utilisé à des fins de répression interne ainsi que des restrictions à l’admission et le gel des fonds et des ressources économiques de certaines personnes et entités impliquées dans de graves violations des droits de l’homme en Libye, notamment du fait de leur participation à des attaques, en violation du droit international, contre des populations et installations civiles.

3        Le 27 mars 2015, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 2213 (2015), qui a apporté notamment certaines modifications aux critères d’inscription sur les listes en cause. En vue de la mise en œuvre de cette résolution, le 26 mai 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/818, modifiant la décision 2011/137 (JO 2015, L 129, p. 13), et le règlement (UE) 2015/813, modifiant le règlement no 204/2011 (JO 2015, L 129, p. 1).

4        Le Conseil a adopté ensuite, le 31 juillet 2015, la décision 2015/1333, fondée notamment sur l’article 29 TUE.

5        L’article 1er de la décision 2015/1333 prévoit ce qui suit :

« 1. Sont interdits la fourniture, la vente et le transfert directs ou indirects à la Libye, que ce soit par les ressortissants des États membres, depuis ou à travers le territoire des États membres ou au moyen de navires ou d’aéronefs de leur pavillon, d’armements et de matériels connexes de quelque type que ce soit, y compris des armes et des munitions, des véhicules et équipements militaires, des équipements paramilitaires et des pièces détachées pour les articles précités, ainsi que des équipements susceptibles d’être utilisés à des fins de répression interne, qu’ils proviennent ou non de leur territoire.

2. Il est interdit :

a) de fournir, directement ou indirectement, une assistance technique, une formation ou toute autre assistance, y compris la mise à disposition de mercenaires armés, en rapport avec des activités militaires ou avec la fourniture, la maintenance et l’utilisation d’articles visés au paragraphe 1 à toute personne physique ou morale, toute entité ou tout organisme en Libye ou aux fins d’une utilisation dans ce pays ;

b) de fournir, directement ou indirectement, une aide financière en rapport avec des activités militaires ou avec la fourniture, la maintenance et l’utilisation d’articles visés au paragraphe 1 à toute personne physique ou morale, toute entité ou tout organisme en Libye ou aux fins d’une utilisation dans ce pays ;

c) de participer sciemment et volontairement à des activités ayant pour objet ou pour effet de contourner les interdictions visées au point a) ou b). »

6        L’article 8, paragraphe 2, de la décision 2015/1333 prévoit ce qui suit :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire des personnes :

[…]

c)      qui se livrent ou apportent un appui à des actes qui mettent en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye, ou qui entravent ou compromettent la réussite de sa transition politique, y compris en :

[…]

v)      violant ou aidant à contourner les dispositions de l’embargo sur les armes, imposé par la résolution 1970 (2011) du [Conseil de sécurité des Nations unies] à l’égard de la Libye et par l’article 1er de la présente décision ;

[…]

dont le nom figure à l’annexe II de la présente décision. »

7        L’article 9, paragraphe 2, de la décision 2015/1333 dispose ce qui suit :

« Sont gelés tous les fonds, autres avoirs financiers et ressources économiques qui sont en la possession ou sous le contrôle, direct ou indirect, des personnes et entités :

c)      qui se livrent ou apportent un appui à des actes qui mettent en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye, ou qui entravent ou compromettent la réussite de sa transition politique, y compris en :

[…]

v)      violant ou aidant à contourner les dispositions de l’embargo sur les armes imposé par la résolution 1970 (2011) du [Conseil de sécurité des Nations unies] à l’égard de la Libye et par l’article 1er de la présente décision ;

[…]

dont le nom figure à l’annexe IV. »

8        Le 18 janvier 2016, le Conseil a adopté le règlement (UE) 2016/44. L’article 5, paragraphe 1, du règlement 2016/44 dispose que « [t]ous les fonds et ressources économiques appartenant à, en possession de, détenus ou contrôlés par les personnes physiques ou morales, entités ou organismes énumérés aux annexes II et III [dudit règlement] sont gelés ».

9        L’article 6, paragraphe 2, du règlement 2016/44, prévoit :

« L’annexe III comprend les personnes physiques ou morales, les entités et les organismes non visés par l’annexe II qui :

[…]

d)      se livrent ou apportent un appui à des actes qui mettent en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ou qui entravent ou compromettent la réussite de la transition politique du pays, notamment :

[…]

v)      en violant les dispositions de l’embargo sur les armes imposé par la [résolution du Conseil de sécurité] 1970 (2011) et l’article 1er du présent règlement à l’égard de la Libye ou en aidant à les contourner ;

[…] »

10      L’article 21, paragraphe 2, du règlement 2016/44 prévoit que, lorsque le Conseil décide d’appliquer à une personne physique ou morale, à une entité ou à un organisme les mesures visées à l’article 6, paragraphe 2, il modifie l’annexe III en conséquence.

11      L’article 21, paragraphe 6, du règlement 2016/44 prévoit que la liste de l’annexe III est examinée à intervalles réguliers, et au moins tous les douze mois.

12      Dans la décision d’exécution 2020/1483 et le règlement d’exécution 2020/1481, le Conseil a justifié l’adoption des mesures restrictives visant le requérant, un ressortissant russe, par la mention des motifs suivants :

« Yevgeniy Viktorovich Prigozhin est un homme d’affaires russe entretenant des relations étroites, y compris financières, avec une société militaire privée, le groupe Wagner.

M. Prigozhin joue ainsi un rôle dans les activités du groupe Wagner en Libye et leur apporte un soutien, ce qui met en danger la paix, la stabilité et la sécurité dans le pays.

En particulier, le groupe Wagner est impliqué dans des violations multiples et répétées de l’embargo sur les armes en Libye établi dans le cadre de la résolution 1970 (2011) du Conseil de sécurité des Nations unies et transposé à l’article 1er de la décision […] 2015/1333, y compris la livraison d’armes ainsi que le déploiement de mercenaires en Libye en soutien à l’Armée nationale libyenne. Le groupe Wagner a pris part à de nombreuses opérations militaires contre le gouvernement d’entente nationale soutenu par les Nations unies et il a contribué à saper la stabilité de la Libye et à compromettre l’émergence d’un processus pacifique. »

13      Le 16 octobre 2020, le Conseil a publié au Journal officiel de l’Union européenne un avis à l’attention de la personne faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2015/1333, mise en œuvre par la décision d’exécution 2020/1483, et par le règlement 2016/44, mis en œuvre par le règlement d’exécution 2020/1481 (JO 2020, C 344, p. 12). Par cet avis, le requérant a notamment été informé du fait qu’il pouvait envoyer au Conseil une demande de réexamen de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses.

14      Par lettre du 20 novembre 2020, le requérant a contesté le bien-fondé de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses et a demandé au Conseil de procéder à un réexamen. Il lui a également demandé de lui donner accès aux documents ayant servi de fondement à l’élaboration de la motivation le concernant.

15      Par lettre du 1er décembre 2020, le Conseil a répondu à la demande de réexamen du requérant, a communiqué à ce dernier plusieurs documents relevant du dossier de preuves aux fins de la défense de ses intérêts et lui a donné la possibilité de formuler des observations ultérieures.

16      Par lettre du 11 décembre 2020, le requérant a présenté des observations.

17      Par lettre du 17 décembre 2020, le Conseil a notamment indiqué au requérant qu’aucune de ses observations ne remettait en question l’inscription de son nom sur les listes litigieuses. 

18      Le 29 juillet 2021, le Conseil a adopté la décision 2021/1251 et le règlement d’exécution 2021/1241, maintenant notamment le nom du requérant sur les listes litigieuses.

 Conclusions des parties

19      Le requérant conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision d’exécution 2020/1483, le règlement d’exécution 2020/1481, la décision 2021/1251 et le règlement d’exécution 2021/1241 (ci-après, dénommés ensemble, les « actes attaqués ») en ce qu’ils le concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

20      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        à titre subsidiaire, si les actes attaqués devaient être annulés en ce qu’ils concernent le requérant, ordonner le maintien des effets de la décision d’exécution 2020/1483 et de la décision 2021/1251 jusqu’à ce que l’annulation partielle des règlements d’exécution 2020/1481 et 2021/1241 prenne effet ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

21      À l’appui du recours, le requérant invoque sept moyens, tirés, le premier, d’une erreur de fait, le deuxième, d’une violation de l’obligation de motivation, le troisième, d’une motivation dépourvue de fondement et entachée d’« erreur manifeste d’appréciation », le quatrième, d’un abus de pouvoir, le cinquième, de la violation de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective, le sixième, de la violation disproportionnée de ses droits fondamentaux et, le septième, de la violation du principe de prévisibilité des actes de l’Union européenne.

22      Le Tribunal estime pertinent d’examiner, tout d’abord, le deuxième moyen, puis, ensemble, les premier et troisième moyens et, enfin, les cinq moyens suivants.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation

23      Le requérant soutient, premièrement, que la motivation, qui doit être adaptée à la nature des mesures restrictives en cause et du contexte dans lequel elles ont été adoptées, ne contient pas de lien logique ou certain entre les prétendus actes du requérant et lesdites mesures et ne montre pas que ces mesures sont adaptées ou proportionnées. Deuxièmement, la motivation ne mentionnerait pas les éléments de fait et de droit dont dépendrait la justification légale des actes attaqués et les considérations qui ont amené le Conseil à les adopter. Troisièmement, la motivation n’identifierait pas les raisons spécifiques et concrètes fondant les actes attaqués. Quatrièmement, le Conseil aurait dû, selon le requérant, indiquer, de façon spécifique et concrète, les informations précises ou les éléments de dossier qui montrent qu’une décision a été prise à son égard, ainsi que les éventuels nouveaux éléments de preuve produits dans des décisions ultérieures. Cinquièmement, il fait valoir que les motifs indiqués doivent être individuels, spécifiques et concrets et ne doivent pas être excessivement vagues. Dans la réplique, le requérant fait valoir, en substance, que la motivation des actes attaqués est insuffisante, notamment en ce qui concerne l’identification du groupe Wagner et de ses liens avec lui.

24      Le Conseil conteste cette argumentation.

25      Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications des mesures prises aux fins d’en apprécier le bien-fondé et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 50 ; voir, également, arrêt du 22 avril 2021, Conseil/PKK, C‑46/19 P, EU:C:2021:316, point 47 et jurisprudence citée).

26      La motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de cet acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par ledit acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est notamment pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, ni qu’elle réponde de manière détaillée aux considérations formulées par l’intéressé lors de sa consultation avant l’adoption du même acte, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. Par conséquent, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 53 ; voir, également, arrêt du 22 avril 2021, Conseil/PKK, C‑46/19 P, EU:C:2021:316, point 48 et jurisprudence citée).

27      En l’espèce, il convient de relever que la décision d’exécution 2020/1483 et la décision 2021/1251 se fondent notamment sur le traité UE et sur la décision 2015/1333, elle-même fondée sur l’article 29 TUE, et modifient les annexes II et IV de cette décision en ajoutant, en ce qui concerne la décision d’exécution 2020/1483, et en maintenant, en ce qui concerne la décision 2021/1251, le nom du requérant au nombre des personnes mentionnées auxdites annexes et visées par les mesures restrictives concernant l’admission sur le territoire des États membres (article 8, paragraphe 2, de la décision 2015/1333) et le gel des fonds (article 9, paragraphe 2, de la décision 2015/1333).

28      De même, les règlements d’exécution 2020/1481 et 2021/1241 mettent en œuvre l’article 21, paragraphe 2, du règlement 2016/44 et modifient l’annexe III de celui-ci en ajoutant, en ce qui concerne le règlement d’exécution 2020/1481, et en maintenant, en ce qui concerne le règlement d’exécution 2021/1241, le nom du requérant au nombre des personnes mentionnées à ladite annexe et visées par les mesures restrictives de gel de fonds prévues par l’article 5 et l’article 6, paragraphe 2, du règlement 2016/44.

29      Dans le considérant 4 de la décision d’exécution 2020/1483 et du règlement d’exécution 2020/1481, le Conseil a également souligné sa préoccupation concernant la situation en Libye et en particulier concernant les actes qui menacent la paix, la sécurité ou la stabilité du pays, y compris les violations de l’embargo sur les armes, imposé par les Nations unies.

30      Enfin, les annexes de la décision d’exécution 2020/1483 et du règlement d’exécution 2020/1481, qui ajoutent le nom du requérant sur les listes litigieuses, mentionnent les motifs d’inscription de ce nom dans les termes rappelés au point 12 ci-dessus.

31      À cet égard, il ressort de l’exposé des motifs que le groupe Wagner est impliqué dans des violations multiples et répétées de l’embargo sur les armes en Libye, établi dans le cadre de la résolution 1970 (2011) du Conseil de sécurité des Nations unies et transposé à l’article 1er de la décision 2015/1333, y compris la livraison d’armes ainsi que le déploiement de mercenaires en Libye en soutien à l’Armée nationale libyenne, qu’il a pris part à de nombreuses opérations militaires contre le gouvernement d’entente nationale soutenu par les Nations unies et qu’il a contribué à saper la stabilité de la Libye et à compromettre l’émergence d’un processus pacifique. Le requérant, homme d’affaires russe, est considéré comme entretenant avec ce groupe des relations étroites, notamment financières, et donc comme mettant en danger la paix, la stabilité et la sécurité dans le pays.

32      Il en résulte que la décision d’exécution 2020/1483 et le règlement d’exécution 2020/1481 contiennent, d’une part, l’indication de la base juridique des mesures adoptées par le Conseil ainsi que le contexte général dans lequel s’inscrivent ces mesures, à savoir que soit respecté l’embargo sur les armes, imposé par les Nations unies, et, d’autre part, l’énoncé suffisamment précis des circonstances factuelles qui justifient l’inscription du requérant sur les listes litigieuses.

33      Contrairement à ce que soutient le requérant, une telle motivation permet d’identifier les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considère que le requérant doit faire l’objet des mesures restrictives en cause. En particulier, la décision d’exécution 2020/1483 et le règlement d’exécution 2020/1481 précisent quelles sont les activités du groupe Wagner qui ont été prises en compte, évoquent le caractère « étroit » des relations « y compris financières » entre ledit groupe et le requérant ainsi que le rôle et le soutien que ce dernier a apporté aux activités du groupe Wagner en Libye.

34      Une telle motivation ne constitue aucunement une formulation générale, mais précise au contraire les éléments pris en compte, de sorte qu’elle doit être regardée comme suffisante pour permettre au requérant de vérifier le bien-fondé des actes attaqués, de se défendre devant le Tribunal et à ce dernier d’exercer son contrôle.

35      À la lumière des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que les actes attaqués énoncent à suffisance de droit les éléments de droit et de fait qui en constituent, d’après leur auteur, le fondement.

36      Il convient, dès lors, de rejeter le deuxième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation des actes attaqués.

 Sur les premier et troisième moyens, tirés d’une erreur de fait ainsi que d’une motivation dépourvue de fondement et entachée d’« erreur manifeste d’appréciation »

37      Dans le cadre de son premier moyen, le requérant fait valoir que le Conseil a commis une erreur de fait en considérant qu’il avait connaissance de l’entité connue sous le nom de groupe Wagner. Dans la réplique, le requérant soutient que, en qualifiant le groupe Wagner de société, le Conseil a commis une erreur de fait qui a entaché la légalité des actes attaqués et a empêché le requérant d’en comprendre la motivation.

38      Dans le cadre de son troisième moyen, le requérant soutient que la base factuelle de la motivation n’est pas suffisamment solide. Il souligne la différence entre la motivation proposée dans le dossier de preuves et celle finalement retenue dans les actes attaqués. Il fait valoir que les éléments de preuve n’identifient ni le groupe Wagner ni les relations étroites, financières ou autres, qu’il entretiendrait avec celui-ci, qu’ils n’identifient, ni ne démontrent aucun rôle ou soutien de sa part à l’égard de ce groupe et ne démontrent pas qu’un quelconque de ses actes ait incité ou amené ledit groupe à commettre des violations relevant des sanctions applicables à la Libye.  Le requérant soutient également que, sauf pour les pièces nos 1, 7 et 10, les éléments contenus dans le dossier de preuves sont des informations diffusées dans les médias, qu’ils ne comportent aucune preuve obtenue de manière indépendante par le Conseil ou en son nom et qu’aucun de ces éléments n’indique que le Conseil ait mené une enquête sur l’exactitude desdites informations.

39      Dans la réplique, le requérant conteste le dossier de preuves produit par le Conseil, aux motifs, premièrement, que ce dossier, qui lui a été communiqué le 1er décembre 2020, porte la date du 27 octobre 2020, laquelle est postérieure à la date d’adoption des actes attaqués, deuxièmement, que le rapport du groupe d’experts des Nations unies auquel il est fait référence ne figure pas dans le dossier de preuves et, troisièmement, que ce dossier contenait des hyperliens vers des documents dont il était impossible de vérifier le contenu à la date d’adoption des actes attaqués. Certaines pièces du dossier de preuves devraient donc être exclues des moyens de preuve pris en compte. Quatrièmement, il met en cause les sources utilisées dans le dossier de preuves.

40      Le Conseil conteste cette argumentation.

41      En l’espèce, pour justifier l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses, le Conseil a fourni le dossier portant la référence WK 11068/2020 DCL 1 EXT 1, du 27 octobre 2020, et comportant dix documents, à savoir :

–        un extrait d’un rapport du 25 août 2020 du secrétaire général des Nations unies concernant la mission de soutien des Nations unies en Lybie (pièce no 1),

–        des articles de presse de mai et de septembre 2020 de la BBC, de Reuters, d'Al Jazeera concernant le rapport du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU) (pièces nos 2, 3 et 4),

–        des articles de Daily Sabah (pièce no 5), de Yahoo News (pièce no 6) et de Sofrep (pièce no 8) de mai à septembre 2020,

–        des extraits du compte twitter de « US Africa Command » du 26 mai 2020 (pièce no 7),

–        un article de l’organisation de recherches de Bellingcat, de The Insider et de Der Spiegel du 14 août 2020 figurant sur le site « Bellingcat.com » intitulé « Putin Chef’s Kisses of Death : Russia’s Shadow Army’s State-Run Structure Exposed » (Les baisers de la mort du chef de Poutine : la structure étatique de l’armée de l’ombre russe exposée) (pièce no 9),

–        un article du Foreign Policy Research Institute du 4 octobre 2019 (pièce no 10).

42      En annexe à sa défense, le Conseil a produit cinq documents auxquels l’article de Bellingcat, joint en pièce no 9 du dossier de preuves, se réfère par le biais d’hyperliens. Sont ainsi joints l’article du 15 juillet 2020 concernant l’accusation de placement de mines piégées en Lybie (hyperlien « placing booby-trapped mines », annexe B4), l’enquête parue le 31 janvier 2019 sur le site Internet russe « The Bell » (hyperlien « 2010 presentation by Eben Barlow », annexe B6), l’article du 16 juillet 2020 intitulé « US slaps sanctions on 8 linked to Russia’s Wagner Group » (Les États-Unis imposent des sanctions à l’encontre de huit personnes et entités liées au groupe russe Wagner) de l’agence turque Anadolu (hyperlien « sanctioned », annexe B7), l’article de Scanner Project du 10 mai 2019 intitulé « Part 3. Not “Wagner Group” but Prigozhin’s army » (Partie 3. Pas le « groupe Wagner », mais l’armée de Prigozhin) (hyperlien « at least three companies », annexe B8) et l’article du 11 avril 2019 de Proekt intitulé « Master and Chef, How Russia interfered in elections in twenty countries » (Maître et chef, comment la Russie s’est ingérée dans les élections de vingt pays) (hyperlien « investigation by the independent Russian website Proekt » , annexe B9).

43      Le Conseil a également produit des pièces contenant des articles de presse de juillet 2019 et de juin 2020 concernant les liens entre le requérant et le groupe Wagner, articles auxquels le Conseil a eu accès le 1er mars 2021 (respectivement pièces nos 12 et 11, jointes dans l’annexe B5 du mémoire en défense), et dont il souligne qu’elles ne font que corroborer les informations résultant du dossier de preuves.

44      Le requérant fait valoir des arguments qui s’articulent, en substance, en deux branches. La première branche concerne la recevabilité des preuves produites et, la seconde, le caractère erroné des appréciations effectuées.

 Sur la première branche, tirée de l’irrecevabilité des preuves produites

45      Le requérant conteste les preuves produites, en substance, à quatre égards.

46      Premièrement, il soutient que ce dossier de preuves, qui lui a été communiqué le 1er décembre 2020, porte la date du 27 octobre 2020, qui est postérieure à la date d’adoption de la décision d’exécution 2020/1483 et du règlement d’exécution 2020/1481.

47      Toutefois, comme le Conseil l’a indiqué dans ses écritures, le dossier de preuves existait lors de l’adoption des actes attaqués, mais était classifié. Il a été déclassifié après l’adoption des actes attaqués et le fait que la version déclassifiée du dossier porte la date du 27 octobre 2020 ne vicie aucunement l’établissement des éléments de preuve. Interrogé lors de l’audience à cet égard, le Conseil a confirmé qu’il n’y avait aucun document confidentiel dans le dossier de preuves classifié. Au demeurant, force est de constater que le dossier de preuves est constitué de dix documents qui sont tous antérieurs à la date d’adoption de la décision d’exécution 2020/1483 et du règlement d’exécution 2020/1481.

48      Deuxièmement, le requérant fait valoir que le rapport du groupe d’experts des Nations unies auquel il est fait référence ne figure pas dans le dossier de preuves.

49      Toutefois, comme le Conseil l’a indiqué le 22 janvier 2021 dans sa réponse à la première demande de mesures d’organisation de la procédure du 23 décembre 2020 émanant du requérant ainsi que dans ses écritures, il n’était pas en possession de ce rapport du groupe d’experts des Nations unies,  mentionné dans certaines pièces du dossier de preuves et non publié à la date d’adoption de la décision d’exécution 2020/1483 et du règlement d’exécution 2020/1481. C’est la raison pour laquelle seul l’extrait dudit rapport, qui figure dans le dossier de preuves et qui a été pris en compte lors de l’adoption des actes attaqués, a été communiqué au requérant, et non le rapport en tant que tel. Cela est d’ailleurs confirmé par la pièce no 2 jointe au dossier de preuves, contenant un article de la BBC intitulé « Wagner, shadowy Russian military group, ‘fighting in Lybia’ » (« Wagner, groupe militaire russe de l’ombre, “combattant en Lybie” »), qui évoque le fait que le rapport n’avait pas encore été rendu public, mais avait été vu par les agences de presse. Il n’y a donc pas lieu de faire droit à la demande de production dudit rapport, qui n’a pas été pris en compte en tant que tel.

50      Troisièmement, le requérant soutient que le dossier de preuves contenait dix documents dont certains renvoyaient par des « liens internes » vers des documents ne figurant pas dans ledit dossier et dont il était impossible de vérifier le contenu à la date d’adoption de la décision d’exécution 2020/1483 et du règlement d’exécution 2020/1481. Il demande donc la copie de tous les éléments accessibles à partir des hyperliens figurant dans les pièces du dossier de preuves envoyé le 1er décembre 2020 tels qu’ils apparaissaient au moment où ledit dossier a été examiné par les auteurs de la décision d’exécution 2020/1483 et du règlement d’exécution 2020/1481. Selon lui, les pièces produites par le Conseil, dans les annexes B3, B4 et B6 à B9 du mémoire en défense, n’ont pas été prises en compte par les autorités ayant adopté la décision d’exécution 2020/1483 et le règlement d’exécution 2020/1481 et ne sauraient donc constituer des éléments de preuve sur lesquels lesdits actes ont été fondés. L’annexe B5 étant datée du 5 mars 2021 ne serait pas davantage pertinente. Il soutient donc que ces pièces sont irrecevables.

51      Il convient de rappeler que la légalité d’un acte doit être appréciée sur le fondement des éléments de fait et de droit sur la base desquels ledit acte a été adopté et non sur le fondement d’éléments qui ont été portés à la connaissance de son auteur postérieurement à l’adoption de cet acte [voir, en ce sens, arrêts du 26 octobre 2012, Oil Turbo Compressor/Conseil, T‑63/12, EU:T:2012:579, point 29, et du 9 juin 2021, Borborudi/Conseil, T‑580/19, EU:T:2021:330, point 50 (non publié) et jurisprudence citée].

52      En outre, le contrôle de la légalité au fond qui incombe au Tribunal doit être effectué, en ce qui concerne en particulier le contentieux des mesures restrictives, à l’aune non seulement des éléments figurant dans les exposés des motifs des actes litigieux, mais également de ceux que le Conseil fournit, en cas de contestation, au Tribunal pour établir le bien-fondé des faits allégués dans ces exposés (voir, en ce sens, arrêts du 22 avril 2021, Conseil/PKK, C‑46/19 P, EU:C:2021:316, point 64 ; du 22 septembre 2015, First Islamic Investment Bank/Conseil, T‑161/13, EU:T:2015:667, points 49 à 58, et du 13 décembre 2016, Al-Ghabra/Commission, T‑248/13, EU:T:2016:721, point 140 et jurisprudence citée), pourvu qu’il ait disposé de ces éléments lors de l’adoption desdits actes (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 127 et jurisprudence citée).

53      En l’espèce, il y a lieu de constater que, comme l’a indiqué le Conseil, le dossier de preuves, sur la base duquel la décision d’exécution 2020/1483 et le règlement d’exécution 2020/1481 ont été adoptés et qui a été communiqué par courriel au requérant le 1er décembre 2020, contenait dix pièces. Ces pièces contenaient chacune, outre leur numéro et leur source, un document joint en capture d’écran, le lien Internet complet renvoyant audit document, la date dudit document, la date à laquelle un accès audit document a été accordé et un résumé de son contenu. Certains de ces documents contenaient eux-mêmes des renvois, par le biais d’hyperliens, à d’autres documents non joints en tant que tels au dossier de preuves.

54      Il y a lieu de constater que la pièce no 9 du dossier de preuves contient un article de l’organisation de recherches de Bellingcat, de The Insider et de Der Spiegel du 14 août 2020 figurant sur le site « Bellingcat.com ». Cet article, auquel le Conseil a eu accès le 8 septembre 2020, contient lui-même des liens vers certains documents, ainsi qu’en attestent les soulignements, propres aux liens Internet, apparaissant sous certains mots contenus dans l’article. En outre, la date des documents auxquels il est ainsi renvoyé par le biais d’hyperliens et la date à laquelle le Conseil y a accédé sont toutes antérieures à la décision d’exécution 2020/1483 et le règlement d’exécution 2020/1481. Enfin, ces documents ont été communiqués par le Conseil en tant qu’annexes B.3, B.4 et B.6 à B.9 jointes au mémoire en défense devant le Tribunal.

55      Dès lors, les annexes B.3, B.4 et B.6 à B.9 du mémoire en défense peuvent être considérées comme des pièces existant lors de l’adoption de la décision d’exécution 2020/1483 et du règlement d’exécution 2020/1481 et sur la base desquelles lesdits actes ont été adoptés. De plus, dès lors que le Conseil les a communiquées en cours d’instance en annexe à son mémoire en défense, il y a lieu de considérer qu’elles peuvent être prises en considération aux fins de la vérification du bien-fondé substantiel des actes attaqués, même si elles ne font pas partie intégrante du dossier de preuves communiqué le 1er décembre 2020 au requérant.

56      En revanche, l’annexe B5 du mémoire en défense, à laquelle le Conseil a eu accès postérieurement à l’adoption de la décision d’exécution 2020/1483 et du règlement d’exécution 2020/1481, est irrecevable aux fins de vérifier le bien-fondé desdits actes.

57      Il résulte de ce qui précède que l’argument du requérant selon lequel les annexes B.3, B.4 et B.6 à B.9 du mémoire en défense devraient être déclarées irrecevables doit être rejeté.

58      Quatrièmement, le requérant met en cause la crédibilité des sources utilisées dans le dossier de preuves. Il soutient que, sauf pour les pièces nos 1, 7 et 10, les éléments contenus dans ce dossier sont des informations diffusées dans les médias, qu’ils ne comportent aucune preuve obtenue de manière indépendante par le Conseil ou en son nom et qu’aucun de ces éléments n’indique que le Conseil ait mené une enquête sur l’exactitude desdites informations, alors qu’il s’agit presque exclusivement de sources des États-Unis.

59      À cet égard, il convient de rappeler, ainsi que le souligne le Conseil, que, en l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union doit, de fait, se fonder sur des sources d’information accessibles au public, des rapports, des articles de presse, des rapports des services secrets ou d’autres sources d’information similaires (arrêts du 14 mars 2018, Kim e.a./Conseil et Commission, T‑533/15 et T‑264/16, EU:T:2018:138, point 107, et du 16 décembre 2020, Haswani/Conseil, T‑521/19, non publié, EU:T:2020:608, point 142). Or, selon la jurisprudence, les articles de presse peuvent être utilisés aux fins de corroborer l’existence de certains faits lorsqu’ils sont suffisamment concrets, précis et concordants quant aux faits qui y sont décrits (voir arrêts du 25 janvier 2017, Almaz-Antey Air and Space Defence/Conseil, T‑255/15, non publié, EU:T:2017:25, point 147 et jurisprudence citée, et du 14 mars 2018, Kim e.a./Conseil et Commission, T‑533/15 et T‑264/16, EU:T:2018:138, point 108 et jurisprudence citée). À cet égard, il serait excessif et disproportionné d’exiger du Conseil qu’il mène lui-même des investigations sur le terrain concernant la véracité de faits qui sont relayés par de nombreux médias (arrêt du 25 janvier 2017, Almaz-Antey Air and Space Defence/Conseil, T‑255/15, non publié, EU:T:2017:25, point 148).

60      En outre, l’activité du juge de l’Union est régie par le principe de libre appréciation des preuves et le seul critère pour apprécier la valeur des preuves produites réside dans leur crédibilité. À cet égard, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue en tenant compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration ainsi que de son destinataire et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable [voir arrêts du 31 mai 2018, Kaddour/Conseil, T‑461/16, EU:T:2018:316, point 107 et jurisprudence citée, et du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, point 95 (non publié) et jurisprudence citée].

61      En l’espèce, les preuves utilisées par le Conseil proviennent du rapport du secrétaire général des Nations unies sous forme d’extraits (pièce no 1), d’articles de presse émanant de sources variées comme des agences de presse telles que la BBC (pièce no 2) et Reuters (pièce no 3) ou des médias comme le média qatarien Al Jazeera (pièce no 4) et le média turc Daily Sabah (pièce no 5), du site Internet « Yahoo news », contenant notamment des photos satellites de source américaine (pièce no 6), de déclarations provenant du compte twitter « US Africom » (pièce no 7), d’un rapport d’informations militaires émanant du « Special Operations Forces Report » (pièce no 8), de documents émanant d’un groupe d’enquêteurs indépendants, Bellingcat, qui est un site Internet de journalisme d’investigation (pièce no 9), renvoyant lui-même à diverses sources Internet telles que « US Africa Command » (annexes B3 et B4), « The Bell » (annexe B6), l’agence de presse du gouvernement turc « Anadolu » et son site Internet « aa.com » (annexe B7), « Scanner project » et son adresse Internet « munscanner.com » (annexe B8) ou « proekt.media » (annexe B9), et du « think tank » ou laboratoire d’idées Foreign Policy Research Institute (pièce no 10).

62      Il en résulte que, comme l’indique le Conseil, ces sources sont toutes accessibles au public et, si certaines s’appuient, pour certains points spécifiques, sur des informations partagées par des sources officielles des États-Unis, il ressort du dossier de preuves que l’origine des informations n’est aucunement limitée à ces sources.

63      Ainsi, s’agissant des articles émanant des agences de presse Al Jazeera et The Daily Sabah (pièces nos 4 et 5), les allégations formulées par le requérant selon lesquelles ces sources ne seraient pas crédibles, car dépendantes respectivement de l’État du Qatar et de la République de Turquie, qui ne seraient pas sans reproches au regard de la situation en Lybie, doivent être écartées. En effet, outre que le requérant n’étaye pas davantage son allégation de manque d’indépendance de ces sources, il ressort des articles en cause (pièces nos 4 et 5) qu’ils se fondent eux-mêmes sur des sources indépendantes de ces États, telles que le rapport du secrétaire général des Nations unies ou des témoignages qu’ils rapportent.

64      Concernant le réseau de journalisme d’investigation Bellingcat (pièce no 9), il ressort des éléments du dossier que la Fondation nationale pour la démocratie (National Endowment for Democracy, NED) n’a été que l’une des entités lui ayant octroyé des subventions et qu’elle est, au demeurant, non pas une « agence des États‑Unis » d’Amérique, mais une « fondation indépendante à but non lucratif consacrée à la croissance et au renforcement des institutions démocratiques dans le monde ». S’agissant du Current Time, le requérant indique que lors de l’annonce de sa création, Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL) a publié un communiqué de presse évoquant la promotion des intérêts nationaux des États-Unis d’Amérique. Toutefois, le site Internet officiel de RFE/RL met en avant son indépendance éditoriale et précise que sa mission est de promouvoir les valeurs et les institutions démocratiques et de faire progresser les droits de l’homme en relatant l’actualité dans des pays où la presse libre est interdite par le gouvernement ou n’est pas pleinement établie. En ce qui concerne les sites web russes « Proekt » et « The Bell », le fait que leurs fondateurs respectifs se soient installés aux États-Unis et aient étudié à l’université de Stanford, comme le souligne le requérant, ne permet pas de conclure que ces sources ne sont pas indépendantes ou constituent des sources officielles ou quasi officielles américaines. Enfin, concernant l’article du Foreign Policy Research Institute, qui apparaît comme un « think tank » ou laboratoire d’idées, l’argument du requérant selon lequel il a été écrit par un étudiant stagiaire dont l’objectivité serait discutable n’est aucunement étayé. Le requérant souligne que les accusations d’ingérences dans l’élection présidentielle des États-Unis d’Amérique de 2016 le concernant ont été rejetées par la commission de contrôle des fichiers d’Interpol, comme en atteste la décision qu’il produit en annexe. Toutefois, une telle affirmation, qui porte sur une problématique non pertinente en l’espèce, ne saurait suffire à mettre en doute l’objectivité de l’article du Foreign Policy Research Institute sous prétexte que cet institut aurait prétendument contribué à identifier l’influence des médias sociaux russes pendant cette élection. De même, l’article cité par le requérant, intitulé « Protracted Conflict : The Foreign Policy Research Institute “Defense Intellectuals” and Their Cold War Struggle with Race and Human Rights » (Un long conflit : les « intellectuels spécialistes de la défense » du Foreign Policy Research Institute et leur guerre froide contre les droits en matière d’égalité raciale et les droits de l’homme), paru en septembre 2015, ne suffit pas davantage à étayer la thèse du requérant mettant en doute l’objectivité de cet institut dans la présente affaire.

65      Au surplus, les éléments de presse contenus dans le dossier de preuves, qui s’adressent au grand public, se fondent également pour certains sur des photographies et des témoignages et citent leurs sources, de sorte que les affirmations avancées par le requérant ne permettent pas de conclure que le contenu de ces pièces, venant des États-Unis ou non, ne pourrait pas être considéré comme sensé et fiable.

66      Au vu de ce qui précède et en l’absence d’éléments dans le dossier susceptible de remettre en cause la fiabilité des sources utilisées par le Conseil, il convient de leur reconnaître un caractère sensé et fiable et donc une certaine valeur probante, au sens de la jurisprudence rappelée au point 60 ci-dessus.

67      La première branche, tirée de l’irrecevabilité des preuves produites, doit donc être rejetée.

 Sur la seconde branche, tirée d’une appréciation erronée des faits

68      Le requérant soutient que les éléments de preuve, premièrement, n’identifient pas le groupe Wagner, deuxièmement, n’identifient pas les relations étroites, financières ou autres, qu’il entretiendrait avec ce groupe, troisièmement, n’identifient ni ne démontrent son rôle au sein de ce groupe ou son soutien à celui-ci et, quatrièmement, ne prouvent pas que l’un quelconque de ses actes aurait incité le groupe Wagner à commettre des violations passibles des sanctions applicables à la Libye.

69      Le Conseil conteste cette argumentation.

70      Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer au cas par cas si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont remplis. Cependant, les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union (voir arrêt du 3 juillet 2014, National Iranian Tanker Company/Conseil, T‑565/12, EU:T:2014:608, points 54 et 55 et jurisprudence citée).

71      L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119, et du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 128).

72      Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre l’entité sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les situations combattues (voir arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 99 et jurisprudence citée).

73      C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. Il importe que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée (arrêts du 18 juillet 2013, Commission/Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 121 et 122, et du 3 juillet 2014, National Iranian Tanker Company/Conseil, T‑565/12, EU:T:2014:608, point 57).

74      En premier lieu, le requérant conteste que les documents produits puissent identifier le groupe Wagner.

75      Comme l’indique le Conseil, les documents produits font quasiment tous référence au groupe Wagner, parfois sous une dénomination légèrement modifiée telle que « ChVK Wagner », permettant de l’identifier comme étant une entité militaire privée existant depuis 2014, liée à la Russie, qui, bien que ne correspondant pas à une structure juridique précise, comporte entre 800 et 1 500 agents ou mercenaires présents en Lybie. Il ressort ainsi de l’ensemble des pièces produites que le groupe Wagner consiste en une armée privée employant des mercenaires. À cet égard, le requérant soutient dans la réplique que les articles de presse ne peuvent être utilisés qu’aux fins de corroborer l’existence de certains faits et que l’existence du groupe Wagner ne serait pas un fait. Toutefois, en l’espèce, l’extrait du rapport du secrétaire général des Nations unies (pièce no 1) évoque le groupe Wagner et n’est pas un article de presse. En outre, l’approche du Conseil en l’espèce est conforme à la jurisprudence (voir point 59 ci-dessus) selon laquelle les articles de presse peuvent corroborer un fait lorsqu’ils sont suffisamment concrets, précis et concordants quant au fait qui y est décrit, ce qui est le cas de l’existence du groupe Wagner.

76      De plus, il n’est pas erroné de considérer que la dénomination « ChVK Wagner », « ChVK » étant l’acronyme russe pour « société militaire privée », désignait la même entité que le groupe Wagner, dès lors qu’il ressort des pièces du dossier, et en particulier des pièces nos 3, 4 et 8 du dossier de preuves, que les dénominations « Wagner », « groupe Wagner » et « ChVK Wagner » sont utilisées au sein d’un même document, comme par exemple les pièces nos 4 et 8 du dossier de preuves.

77      En outre, l’argument du requérant tiré de l’erreur de fait ou de l’existence de contradictions, au motif que le groupe Wagner n’est pas une « société » et ne correspond pas à une structure juridique existante, doit être écarté. En effet, même si une erreur pouvait être constatée en ce que ledit groupe a été désigné sous forme de « société », cela ne saurait pour autant suffire à entacher la légalité au fond des actes attaqués, dès lors que le groupe Wagner a bel et bien été identifié dans le dossier de preuves. Au surplus, le motif d’inscription du requérant sur les listes litigieuses est indépendant de la forme juridique ou de l’existence juridique du groupe en cause.

78      Enfin, concernant l’argument du requérant tiré du document du Conseil intitulé « Meilleures pratiques de l’Union Européenne en ce qui concerne la mise en œuvre effective de mesures restrictives », dans sa version applicable en l’espèce, il convient de rappeler que ce document doit être considéré comme comportant des recommandations non exhaustives à caractère général, destinées à la mise en œuvre effective de mesures restrictives conformément au droit de l’Union en vigueur et à la législation nationale applicable. Ces recommandations n’ont pas d’effet juridique contraignant et ne doivent pas être comprises comme des dispositions recommandant une action qui serait incompatible avec le droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 12 juin 2014, Peftiev, C‑314/13, EU:C:2014:1645, point 8). Au demeurant, comme le souligne le Conseil, les éléments d’identification évoqués dans ce document du Conseil sont applicables aux personnes et entités inscrites sur les listes litigieuses et non au groupe Wagner, lequel a été identifié de façon aussi concrète que possible en l’espèce, notamment compte tenu du fait qu’il n’a pas d’existence juridique.

79      Par ailleurs, s’agissant des activités du groupe Wagner, le dossier de preuves contient des informations précises et concordantes, émanant de diverses sources, sur les activités de ce groupe, notamment en Lybie au soutien du général Haftar et de l’Armée nationale libyenne contre le gouvernement d’union nationale soutenu par les Nations unies. Comme l’indique le Conseil, il résulte de nombreux éléments du dossier, et notamment des articles qui se réfèrent au rapport du secrétaire général des Nations unies du 25 août 2020 (pièce no 1) et à un rapport d’un groupe d’experts sur la Lybie non encore publié, que ces activités consistent notamment en un soutien technique pour la réparation de véhicules militaires, pour des opérations de combat et pour des services d’observation aérienne et d’artillerie ainsi qu’en l’apport d’une expertise en matière de contre‑mesures électroniques et de déploiement d’équipes de tireurs embusqués. Une attaque chimique est également évoquée, quoique non confirmée par des sources indépendantes, ainsi que l’utilisation de mines terrestres. Comme l’indique le Conseil, il peut en être déduit que le dossier d’éléments de preuve comportait des détails suffisants, accompagnés d’informations crédibles, sur le fait que les activités du groupe Wagner, suffisamment identifié, mettaient en danger la paix, la sécurité et la stabilité en Libye.

80      Il y a donc lieu de considérer que, au vu notamment du fait qu’il n’a pas d’existence juridique, le groupe Wagner et ses activités mettant en danger la paix, la sécurité et la stabilité en Libye ont été suffisamment identifiés en l’espèce.

81      En deuxième lieu, le requérant soutient que les éléments de preuve ne démontrent pas que l’un quelconque de ses actes aurait incité le groupe Wagner à commettre des violations passibles des sanctions applicables à la situation en Libye.

82      Or, à cet égard, contrairement à ce qu’avance le requérant, le critère d’inscription appliqué en l’espèce ne requiert pas qu’il soit établi une incitation à l’égard du groupe Wagner à commettre des violations passibles des sanctions applicables à la situation en Libye.

83      Les conditions du critère d’inscription seraient donc remplies s’il était démontré que le requérant apporte un soutien aux activités du groupe Wagner, quand bien même il n’aurait pas incité le groupe Wagner à commettre des violations passibles des sanctions applicables à la Libye (voir, par analogie, arrêt du 25 janvier 2017, Almaz-Antey Air and Space Defence/Conseil, T‑255/15, non publié, EU:T:2017:25, point 141).

84      Cet argument est donc inopérant.

85      En troisième lieu, le requérant soutient que les documents produits n’identifient pas les relations étroites, financières ou autres, qu’il entretiendrait avec le groupe Wagner.

86      Le Conseil conteste cette argumentation.

87      Il convient de rappeler que le Conseil doit rapporter devant le juge de l’Union la preuve des liens étroits invoqués dans le motif d’inscription et de maintien du nom de la personne concernée sur les listes en cause. Cette preuve doit résulter d’un faisceau d’indices, précis et concordants et l’appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent (voir, en ce sens, arrêts du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, points 50 à 54 ; du 26 octobre 2016, Kaddour/Conseil, T‑155/15, non publié, EU:T:2016:628, points 97 et 101, et du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 99). De plus, des articles de presse peuvent être utilisés aux fins de corroborer l’existence de certains faits lorsqu’ils émanent de plusieurs sources différentes et qu’ils sont suffisamment concrets, précis et concordants quant aux faits qui y sont décrits (voir arrêt du 25 janvier 2017, Almaz-Antey Air and Space Defence/Conseil, T‑255/15, non publié, EU:T:2017:25, point 147 et jurisprudence citée).

88      En l’espèce, le Conseil soutient que le dossier de preuves révèle les relations étroites et multiples du requérant avec le groupe Wagner, dont il serait la figure centrale, et se réfère notamment aux pièces nos 9 et 10 de ce dossier de preuves.

89      S’agissant de l’article de Bellingcat (pièce no 9), le Conseil se réfère notamment à une enquête journalistique menée par le site Internet russe « The Bell », du 31 janvier 2019 (annexe B6), et intitulée « A Private Army for the President : The Tale of Evgeny Prigozhin’s Most Delicate Mission » (Une armée privée pour le Président : le récit de la mission la plus délicate d’Evgeny Prigozhin). Le requérant y est décrit comme un restaurateur, lié au président russe Vladimir Poutine et au ministère de la Défense de la Fédération de Russie (ci-après le « ministère russe de la Défense ») dans le cadre des services de restauration fournis par ses sociétés au groupe Wagner, au Kremlin et à l’armée russe. Il ressort notamment de cette enquête que le groupe Wagner, déployé dans divers endroits comme la Syrie ou d’autres pays du continent africain, bénéficierait du support logistique des sociétés du requérant.

90      Cette enquête de « The Bell » comprend une section II, intitulée « Prigozhin is asked to organize a private military company » (Prigozhin se voit demander d’organiser une société militaire privée). Elle indique notamment que « l’idée de confier au restaurateur de Saint-Pétersbourg [le requérant] la responsabilité du financement et des questions opérationnelles émane de l’état‑major, selon ce que des sources proches du ministère [russe] de la Défense ont révélé à “The Bell” ». Elle souligne en outre que « les sociétés [du requérant] ont commencé à remporter des marchés publics portant sur la fourniture de services de nettoyage, de restauration et de chauffage à des bases militaires, ainsi que sur la réalisation de travaux de construction dans des villes militaires ». L’enquête fait également référence, dans la section III suivante, intitulée « Le plus grand succès et le plus grand échec de la société militaire privée », à des sources indiquant que « la société militaire privée (SMP) [c’est‑à‑dire le groupe Wagner] a commencé à se former en 2013 » et que, pour le requérant, le projet d’une société militaire privée aurait été dangereux, mais qu’il s’était agi « d’ordres [ne pouvant être] refus[és] » par lui, en raison de sa relation de travail préexistante avec le ministère russe de la Défense.

91      L’enquête précise également que, « selon un représentant », si le requérant a nié de tels liens et a indiqué ne pas avoir de sociétés fournissant des services à l’armée, il aurait ajouté les termes « sauf rarement dans le contexte de la fourniture de services de restauration ».

92      S’agissant des liens financiers entre le requérant et le groupe Wagner, il ressort de l’enquête de « The Bell » que, selon des sources proches du ministre russe de la Défense, « une partie de l’argent reçu de l’État [par les sociétés du requérant] a été dépensée comme prévu, mais [que] le reste a servi à organiser des sociétés militaires privées ».

93      En outre, il ressort d’une photographie et du commentaire de « The Bell » que le requérant a organisé et pris part fin 2018 à un déjeuner officiel à Moscou (Russie) entre le ministre russe de la Défense et le chef de l’armée libyenne, M. Khaftar, dans le cadre « du programme d’une visite culturelle de la délégation libyenne ».

94      Par ailleurs, l’article de Bellingcat (pièce no 9) renvoie à un article du 16 juillet 2020, intitulé « US slaps sanctions on 8 linked to Russia’s Wagner group » (Les États-Unis imposent des sanctions à l’encontre de huit personnes et entités liées au groupe russe Wagner) de l’agence turque Anadolu, concernant des sanctions américaines infligées à des personnes physiques et morales en raison de liens avec le groupe Wagner (annexe B7). Il y est indiqué que ces sanctions affectent des personnes et sociétés ayant des liens étroits avec le requérant, qui est décrit comme un homme d’affaires ayant des liens avec le président de la Fédération de Russie, M. Poutine, et considéré comme le financier du groupe Wagner. Une société est ainsi citée comme appartenant au requérant et comme étant mêlée aux opérations du groupe Wagner au Soudan.

95      L’article de Bellingcat fait également référence à l’utilisation de sociétés liées au requérant pour payer les salaires des mercenaires du groupe Wagner et renvoie à un article du 10 mai 2019, émanant de Scanner Project et reflétant une enquête évoquant des liens financiers entre des sociétés liées au requérant et le groupe Wagner (annexe B8). En outre, les liens entre le groupe Wagner et l’appareil de renseignement militaire russe (GRU) y sont également soulignés.

96      L’article de Bellingcat évoque également des opérations entre le requérant et le groupe Wagner (réservations aériennes communes d’employés du requérant et d’agents connus dudit groupe), sans toutefois donner de détails de dates, de destinations ou de noms des sociétés en cause. Cet article renvoie également à l’analyse du site Internet russe « Proekt » qui se fonde sur des documents et des entretiens avec des employés pour étayer l’existence des intérêts commerciaux du requérant en Afrique, en plus de son influence politique et de sa présence paramilitaire.

97      Les liens financiers entre le requérant et le groupe Wagner sont également évoqués dans l’article du Foreign Policy Research Institute (pièce no 10 du dossier de preuves), dans le cadre de la description de l’activité dudit groupe dans le monde. Le requérant aurait joué un rôle d’incitation financière dans le déploiement du groupe Wagner. De même, cet article mentionne que l’origine des fonds du groupe Wagner demeure peu claire, mais que le requérant a apparemment détourné une part importante des revenus tirés de ses contrats de construction et de restauration pour créer ledit groupe et mentionne des contrats indiquant que le requérant loue des avions militaires pour des cocontractants.

98      Enfin, l’article du Foreign Policy Research Institute évoque l’extension des activités du groupe Wagner en Afrique en vue de protéger les investissements du requérant. Une société liée au requérant aurait ainsi obtenu des concessions minières, les mines étant désormais gardées par les combattants du groupe Wagner. De même, l’article évoque des dividendes inhérents au rôle joué par le requérant dans la géopolitique russe qui porteraient leurs fruits, le groupe Wagner fournissant le bras armé pour les défendre.

99      L’article du Foreign Policy Research Institute et « The Bell » mentionnent également une autre société, liée au requérant, qui aurait conclu un accord pétrolier avec le gouvernement syrien pour participer aux projets pétroliers et gaziers de la Syrie. Les conditions spécifiques de cet accord ne sont pas connues, mais, selon l’enquête, il apparaît plausible que la société ait dû libérer les champs pétroliers et gaziers et les actifs de raffinage pétrolier et gazier qui se trouvaient aux mains des ennemis du gouvernement syrien, en contrepartie de quoi elle ait pu revendiquer un quart du pétrole et du gaz produits sur ces territoires. Or, les articles mettent en relation ce fait avec des attaques menées par le groupe Wagner contre des installations (pétrolières et gazières) en Syrie un mois plus tard et évoquent des appels téléphoniques interceptés par les services de renseignement des États-Unis d’Amérique, qui démontreraient que le requérant aurait participé à la planification desdites attaques. L’enquête de « The Bell » ajoute que cet épisode serait, selon une source du ministère de la défense russe, un des plus pénibles pour le groupe Wagner et le requérant personnellement.

100    Il ressort de ce qui précède que ces éléments, ni vagues ni généraux, sont, au contraire, concrets, précis et concordants et résultent d’enquêtes qui sont le résultat d’investigations sérieuses et approfondies. Même si toutes les informations y figurant ne sont pas explicitement prouvées par des éléments concrets et tangibles, force est de constater que les sources sont évoquées (émanant notamment des proches du ministère russe de la Défense et reposant sur des fuites, des dialogues en ligne ou des interceptions téléphoniques) et que les informations sont précises et concordantes. De plus, compte tenu de la nature des activités du groupe Wagner, il est concevable, contrairement à ce que prétend le requérant, que les sources journalistiques restent anonymes.

101    Certes, il y a lieu de constater que le Conseil n’a apporté aucun élément relatif notamment aux sociétés mentionnées dans les enquêtes comme appartenant au requérant.

102    Toutefois, le contexte des mesures en cause doit être pris en compte et le degré de preuve pouvant être exigé du Conseil doit être adapté du fait de la difficulté d’accès à des preuves et à des éléments d’information objectifs (voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑630/13 P, EU:C:2015:247, points 47 et 51 à 53).

103    Or, à l’époque de l’adoption des actes attaqués, malgré l’accord de cessez-le-feu d’octobre 2020, la Libye faisait toujours l’objet de tensions et d’affrontements. Outre que les moyens d’investigation ne sont pas aisés, le Conseil lui-même ne dispose pas d’un pouvoir d’enquête à cet égard (voir la jurisprudence citée au point 59 ci-dessus). En outre, comme le Conseil l’a évoqué lors de l’audience, il peut être admis que des investigations trop précises aient été délicates à mener sans provoquer des soupçons des entités concernées et nuire à l’effet de surprise voulu avec l’inscription initiale du nom du requérant sur les listes litigieuses.

104    De plus, le fait que le groupe Wagner n’ait pas d’existence juridique rend en pratique, sinon impossible, à tout le moins difficile, la preuve concrète des relations commerciales, financières ou fonctionnelles concrètes avec un tel groupe, comme le Conseil l’a également souligné à l’audience.

105    Ainsi, l’argument du requérant, fondé sur le point 74 de l’arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil (T‑720/14, EU:T:2016:689), au terme duquel il convient d’établir un lien direct ou indirect entre les activités de la personne visée et la situation à l’origine des mesures restrictives en cause, pour autant que cet argument a trait au bien-fondé des motifs, doit être écarté. En effet, dans cet arrêt, le motif retenu par le Conseil au titre du premier critère pertinent avait trait au fait que le requérant avait été considéré comme étant un actionnaire important, voire l’actionnaire majoritaire, d’une société. Or, la preuve de cette qualité d’actionnaire ou même d’un contrôle de ladite société n’avait pas été rapportée par le Conseil. En l’espèce, en revanche, le critère d’inscription au titre duquel le requérant est désigné fait référence aux relations étroites entretenues par lui avec le groupe Wagner, dont l’existence résulte des différentes pièces produites. Dès lors, au regard du critère d’inscription applicable en l’espèce, l’argument du requérant fondé sur l’arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil (T‑720/14, EU:T:2016:689), doit être écarté.

106    Dans ces circonstances, au vu du contexte et en application de la jurisprudence rappelée au point 102 ci-dessus, les éléments du dossier, et en particulier les deux articles produits en pièces nos 9 et 10 du dossier de preuves, qui renvoient, notamment, à l’enquête de « The Bell », suffisent à constituer un faisceau d’indices précis et concordants de nature à établir les liens étroits, y compris financiers, entre le requérant et le groupe Wagner.

107    Enfin, et à titre surabondant, il y a lieu de relever que le rapport final S/2021/229 du 8 mars 2021 du groupe d’experts sur la Libye, présenté conformément à la résolution 1973 (2011) et adressé au président du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui est désormais publié et qui a été évoqué lors de l’audience par le Conseil, corrobore le contenu des différentes pièces du dossier de preuves produit par le Conseil en l’espèce.

108    En effet, ce rapport confirme l’existence du groupe Wagner et ses zones d’interventions et d’opérations, qui incluent l’Ukraine, la Syrie, la Libye et la République centrafricaine. En outre, il résulte de ce rapport que le groupe Wagner était présent en Libye depuis octobre 2018 et avait été dépêché au départ pour apporter une aide sur le plan technique à la réparation et à l’entretien de véhicules blindés. Le nombre de ses agents étant passé de 800 en 2019 à 1 200 en 2020, ceux-ci sont considérés comme ayant participé à des tâches militaires spécialisées en tant qu’observateurs d’artillerie avancés et que contrôleurs aériens avancés, mettant à profit leurs compétences en contre-mesures électroniques et se déployant comme des équipes de francs-tireurs. Ledit rapport conclut que leur déploiement a été un multiplicateur de force efficace pour les forces affiliées au général Haftar en 2019 et au début de 2020. Malgré l’accord de cessez-le-feu du 25 octobre 2020, rien n’indiquerait que le groupe Wagner se serait retiré de Libye. Le rapport indique également que les informations vérifiables en accès libre quant à l’organisation, à la structure et aux tâches opérationnelles de ces forces et quant aux pertes subies sont limitées. L’annexe 77 dudit rapport contient également des informations précises et détaillées au terme desquelles le groupe Wagner opère en utilisant une toile opaque de sociétés-écrans et de noms de sociétés similaires liées entre elles à titre de couverture pour l’organisation de ses activités afin de masquer l’implication directe du requérant et établit que le groupe Wagner est effectivement financé par des sociétés et des organisations qui se trouvent sous son contrôle.

109    Dès lors, la seconde branche, tirée de l’appréciation erronée des faits, doit être rejetée et, partant, les premier et troisième moyens dans leur ensemble.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’un détournement de pouvoir

110    Le requérant soutient que le Conseil, ayant subi des pressions politiques pour appliquer les sanctions contre lui, a utilisé le processus de sanctions à des fins politiques, sous la pression d’organes extérieurs à lui et des États membres et en violation des principes de base. En particulier, le Conseil n’aurait ni consulté le Conseil de sécurité des Nations unies concernant le groupe Wagner, ni sanctionné ledit groupe. Il demande la communication des documents détenus par les différentes entités ayant participé au processus décisionnel.

111    Le Conseil conteste cette argumentation.

112    Selon une jurisprudence constante, un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, qu’il a été pris exclusivement, ou à tout le moins de manière déterminante, à des fins autres que celles pour lesquelles le pouvoir en cause a été conféré à son auteur ou dans le but d’éluder une procédure spécialement prévue par les traités pour parer aux circonstances de l’espèce (voir arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 135 et jurisprudence citée).

113    Conformément à l’article 23 TUE, combiné à l’article 21 TUE, l’action de l’Union sur la scène internationale, au titre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), repose sur les principes qui ont présidé à sa création, à son développement et à son élargissement et qu’elle vise à promouvoir dans le reste du monde la démocratie, l’État de droit, l’universalité et l’indivisibilité des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le respect de la dignité humaine, les principes d’égalité et de solidarité et le respect des principes de la charte des Nations unies et du droit international.

114    Il découle en substance des actes attaqués que ceux-ci ont, notamment, été adoptés au regard de la situation en Lybie et des menaces que celle-ci faisait peser à l’égard de la paix et de la sécurité ou de la stabilité du pays.

115    En l’espèce, aucun élément ne fait apparaître d’indice propre à accréditer l’idée que la procédure ayant conduit à l’adoption des actes attaqués aurait été engagée dans le but exclusif, ou à tout le moins déterminant, d’atteindre des objectifs autres que ceux évoqués aux points 113 et 114 ci-dessus.

116    Le fait que le Conseil n’ait pas consulté le Conseil de sécurité des Nations unies concernant le groupe Wagner ne modifie pas cette conclusion, dès lors qu’il n’est pas démontré qu’une telle obligation de consultation était applicable en l’espèce. De plus, le fait que la Chambre des représentants des États-Unis d’Amérique ait prétendument incité l’Union à adopter des sanctions à l’encontre du requérant, ou que le gouvernement de la République de Lituanie ait préparé une proposition de décision de sanctions contre le requérant, ne suffit pas à démontrer que les actes attaqués auraient été adoptés dans le but exclusif d’atteindre des objectifs autres que ceux qui ressortent de la motivation desdits actes.

117    Le quatrième moyen doit donc être rejeté.

 Sur le cinquième moyen, tiré de la violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective

118    Le requérant allègue qu’il a montré, dans le cadre de ses troisième et quatrième moyens, que les éléments de preuve sur lesquels le Conseil s’était fondé ne constituaient pas une base suffisante pour l’adoption des actes attaqués et que ceux-ci étaient entachés de détournement de pouvoir. Le requérant demande l’accès aux documents liés à son inscription sur les listes litigieuses afin de garantir le respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective.

119    Le Conseil conteste cette argumentation.

120    Le principe du respect des droits de la défense exige notamment que les éléments retenus à la charge de l’entité intéressée pour fonder l’acte lui faisant grief lui soient communiqués, dans toute la mesure du possible, soit concomitamment à l’adoption d’une première décision par laquelle ses fonds sont gelés, soit aussitôt que possible après cette adoption. Par ailleurs, dans la mesure où la première décision par laquelle les fonds d’une entité sont gelés doit pouvoir bénéficier d’un effet de surprise, il n’est pas exigé que, préalablement à l’adoption de la décision en cause, les éléments à charge soient communiqués à l’entité concernée et qu’elle soit entendue (arrêts du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 61, et du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil, T‑390/08, EU:T:2009:401, points 92 et 93).

121    En l’espèce, il y a lieu de constater que la décision d’inscription initiale sur les listes litigieuses a été communiquée au requérant par le biais d’un avis publié au Journal officiel du 16 octobre 2020, que les éléments du dossier de preuves ont été communiqués au requérant, à sa demande, le 1er décembre 2020 et qu’il a pu présenter des observations le 11 décembre 2020, lesquelles observations ont été examinées par le Conseil, comme en atteste la lettre du 17 décembre 2020 de celui-ci.

122    En outre, dans le cadre de l’adoption d’une décision maintenant le nom d’une personne ou d’une entité sur une liste de personnes ou d’entités visées par des mesures restrictives, le Conseil doit respecter le droit de cette personne ou de cette entité d’être préalablement entendue lorsqu’il retient à son égard, dans la décision portant maintien de l’inscription de son nom sur la liste, de nouveaux éléments, à savoir des éléments qui ne figuraient pas dans la décision initiale d’inscription de son nom sur cette liste (voir, en ce sens, arrêts du 18 juin 2015, Ipatau/Conseil, C‑535/14 P, EU:C:2015:407, point 26 ; du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 115, et du 30 avril 2015, Al-Chihabi/Conseil, T‑593/11, EU:T:2015:249, point 46 et jurisprudence citée).

123    Or, tel n’est pas le cas en l’espèce, dès lors que les motifs sont les mêmes que ceux déjà invoqués à l’occasion de l’inscription initiale. En effet, les modifications des listes litigieuses ne concernent pas le requérant, dont l’inscription reste donc identique à l’inscription initiale.

124    D’ailleurs, dans son mémoire en adaptation des conclusions, le requérant ne soulève aucun argument précis, ce qui implique qu’il se réfère aux moyens soulevés à l’encontre de l’inscription initiale, sans élément nouveau particulier.

125    Au demeurant, le requérant avait la possibilité, sur sa propre initiative, de soumettre au Conseil ses observations, sans qu’une nouvelle invitation explicite soit formulée préalablement à l’adoption de chaque acte subséquent, en l’absence d’éléments nouveaux retenus à son égard (voir, en ce sens, arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 117), ce qu’il n’a pas fait.

126    Dès lors, les droits de la défense du requérant et son droit à une protection juridictionnelle effective n’ont été violés ni lors de l’inscription ni lors du maintien de son nom sur les listes litigieuses.

127    Le cinquième moyen doit donc être rejeté.

 Sur le sixième moyen, tiré de la violation disproportionnée des droits fondamentaux

128    Le requérant soutient que le Conseil a violé son droit de propriété ainsi que le libre exercice de ses activités professionnelles et sa liberté de mouvement de façon injustifiée et disproportionnée. Les actes attaqués l’empêcheraient d’exercer des activités dans l’Union, d’y détenir des biens immobiliers, d’y réaliser des investissements ou toute autre transaction ainsi que d’entrer sur son territoire et de s’y déplacer. Ces mesures seraient disproportionnées, eu égard aux motifs d’inscription de son nom sur les listes litigieuses par rapport à la motivation initialement proposée et compte tenu de l’absence de sanctions contre le groupe Wagner ou contre toute personne censée être directement impliquée dans les activités de celui-ci.

129    Le Conseil conteste cette argumentation.

130    Il ressort de la jurisprudence que les droits fondamentaux invoqués par le requérant, à savoir le droit de propriété, consacré à l’article 17 de la charte des droits fondamentaux, et le droit d’exercer une activité économique, consacré aux articles 15 et 16 de celle-ci, ne sont pas des prérogatives absolues et que leur exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union. Ainsi, toute mesure restrictive économique ou financière comporte, par définition, des effets qui affectent les droits de propriété et le libre exercice des activités professionnelles de la personne ou de l’entité qu’elle vise, causant ainsi des préjudices à cette dernière. L’importance des objectifs poursuivis par les mesures restrictives en cause est toutefois de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour les personnes ou les entités concernées (arrêt du 28 avril 2021, Sharif/Conseil, T‑540/19, non publié, EU:T:2021:220, point 198).

131    De même, par l’adoption d’actes relevant de la PESC, le Conseil peut, en principe, limiter le droit à la liberté de circulation et de séjour dans l’Union des  ressortissants de pays tiers (arrêt du 20 septembre 2016, Alsharghawi/Conseil, T‑485/15, non publié, EU:T:2016:520, point 89).

132    Si le respect des droits fondamentaux constitue une condition de la légalité des actes de l’Union, selon une jurisprudence constante, ces droits fondamentaux ne jouissent pas, en droit de l’Union, d’une protection absolue, mais doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société. Par conséquent, des restrictions peuvent être apportées à l’usage de ces droits, à condition qu’elles répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis (arrêt du 20 septembre 2016, Alsharghawi/Conseil, T‑485/15, non publié, EU:T:2016:520, point 80 ; voir, également, arrêt du 28 avril 2021, Sharif/Conseil, T‑540/19, non publié, EU:T:2021:220, point 199 et jurisprudence citée).

133    De plus, le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union et qui est repris à l’article 5, paragraphe 4, TUE, exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient de nature à permettre que soient atteints les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation concernée et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre lesdits objectifs (arrêt du 15 novembre 2012, Al-Aqsa/Conseil et Pays-Bas/Al-Aqsa, C‑539/10 P et C‑550/10 P, EU:C:2012:711, point 122 ; voir, également, arrêt du 28 avril 2021, Sharif/Conseil, T‑540/19, non publié, EU:T:2021:220, point 200 et jurisprudence citée).

134    En l’espèce, il convient, certes, de relever que les droits de propriété et la liberté d’exercer une activité économique du requérant, de même que ses droits d’aller et venir dans l’Union, sont restreints dans une certaine mesure du fait des mesures restrictives prises à son égard, dès lors qu’il ne peut pas, notamment, disposer de ses fonds éventuellement situés sur le territoire de l’Union, les transférer vers l’Union, sauf en vertu d’autorisations particulières, ou être admis à entrer dans l’Union ou à transiter par le territoire de l’Union.

135    Cependant, en l’occurrence, l’adoption de mesures restrictives à l’encontre du requérant revêt un caractère approprié, dans la mesure où elle dispose d’une base juridique claire et précise en droit de l’Union et où elle s’inscrit dans un objectif d’intérêt général aussi fondamental pour la communauté internationale que le maintien de la paix, de la stabilité, de la sécurité ainsi que la réussite de la transition politique en Lybie (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2016, Alsharghawi/Conseil, T‑485/15, non publié, EU:T:2016:520, point 83).

136    S’agissant du caractère prétendument disproportionné de l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses, il convient de constater que les mesures de remplacement moins contraignantes, telles qu’un système d’autorisation préalable ou une obligation de justification a posteriori de l’usage des fonds versés, ne permettent pas aussi efficacement d’atteindre l’objectif poursuivi, notamment eu égard à la possibilité de contourner les restrictions imposées (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2016, Alsharghawi/Conseil, T‑485/15, non publié, EU:T:2016:520, point 84).

137    En outre, il y a lieu de rappeler que l’article 17, paragraphe 2, de la décision 2015/1333 et l’article 21, paragraphe 6, du règlement 2016/44 prévoient que le maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses fasse l’objet d’un réexamen périodique en vue de garantir que les personnes et entités ne répondant plus aux critères pour figurer sur ces listes en soient radiées.

138    De même, concernant les restrictions d’admission dans l’Union résultant de l’article 8, paragraphe 2, de la décision 2015/1333, l’autorité compétente d’un État membre peut, en vertu de l’article 8, paragraphe 9, de ladite décision, autoriser l’entrée sur son territoire notamment pour des raisons urgentes d’ordre humanitaire.

139    Il en résulte que, étant donné l’importance primordiale du maintien de la paix et de la sécurité internationale, les restrictions aux droits du requérant causées par les actes attaqués sont justifiées par un objectif d’intérêt général et ne sont pas disproportionnées au regard des buts visés.

140    L’argument du requérant concernant l’absence de sanctions contre le groupe Wagner ou contre toute personne censée être directement impliquée dans les activités de cette entité est inopérant à cet égard et ne saurait donc infirmer ce constat.

141    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le sixième moyen.

 Sur le septième moyen, tiré de la violation du principe de prévisibilité des actes de l’Union

142    Le requérant fait valoir que la motivation des actes attaqués ne porte que sur des activités prétendument menées par le groupe Wagner, qu’il n’y a aucune indication de ce que l’on entend par « relations étroites, y compris financières » entre lui et le groupe Wagner, que ce soit de manière générale ou dans le contexte des allégations formulées à l’encontre dudit groupe, et que les termes « joue un rôle et apporte un soutien » n’ont pas de lien de causalité avec les termes « relations étroites, y compris financières ». Le critère d’inscription violerait donc le principe de prévisibilité des actes de l’Union. Il ajoute que l’exposé des motifs ne précise pas suffisamment quel acte une personne devrait s’abstenir d’adopter pour éviter l’imposition d’une sanction par le Conseil.

143    Le Conseil conteste cette argumentation.

144    Le principe de sécurité juridique exige qu’une réglementation soit claire et précise et que l’application de celle-ci soit prévisible pour tous ceux qui sont concernés (voir arrêts du 5 mars 2015, Europäisch-Iranische Handelsbank/Conseil, C‑585/13 P, EU:C:2015:145, point 93 et jurisprudence citée, et du 16 juillet 2014, National Iranian Oil Company/Conseil, T‑578/12, non publié, EU:T:2014:678, point 112 et jurisprudence citée).

145    Il y a lieu de rappeler que, en ce qui concerne la définition générale et abstraite des critères juridiques entourant l’adoption de mesures restrictives, le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation. Les règles de portée générale définissant ces critères font ainsi l’objet d’un contrôle juridictionnel restreint en ce qui concerne plus spécialement l’appréciation des considérations d’opportunité sur lesquelles les mesures restrictives sont fondées (voir arrêt du 16 juillet 2014, National Iranian Oil Company/Conseil, T‑578/12, non publié, EU:T:2014:678, point 107 et jurisprudence citée).

146    En l’espèce, le critère d’inscription est énoncé à l’article 8, paragraphe 2, sous c), et à l’article 9, paragraphe 2, sous c), de la décision 2015/1333, ainsi qu’à l’article 6, paragraphe 2, du règlement 2016/44, qui prévoient, d’une part, des restrictions en matière d’admission sur le territoire de l’Union et, d’autre part, des gels de fonds et des ressources économiques pour les personnes et entités « qui se livrent ou apportent un appui à des actes qui mettent en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye, ou qui entravent ou compromettent la réussite de sa transition politique, y compris en [...] violant ou aidant à contourner les dispositions de l’embargo sur les armes imposé par la résolution 1970 (2011) du [Conseil de sécurité des Nations unies] à l’égard de la Libye ».

147    Pour autant que le requérant excipe, en substance, de l’illégalité du critère d’inscription énoncé dans la décision 2015/1333 et dans le règlement 2016/44, au motif qu’il serait contraire au principe de prévisibilité, force est de constater que ce critère s’inscrit dans un cadre juridique délimité par les objectifs poursuivis, à savoir notamment protéger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ainsi que la réussite de sa transition politique.

148    Dans ce contexte, le critère consistant à « se livrer à » ou à « apporter un appui à » des actes mettant en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ou entravant ou compromettant la réussite de sa transition politique revêt un caractère suffisamment clair et précis et n’est donc pas contraire au principe de prévisibilité des actes de l’Union. Si un certain pouvoir d’appréciation découle des termes « qui se livrent ou apportent un appui à », il reste qu’un tel pouvoir n’est toutefois pas arbitraire. Il est, au surplus, contrebalancé par une obligation de motivation dans le cadre de la mise en œuvre dudit critère par le biais des mesures restrictives, d’une part, et par l’existence de droits procéduraux qui, sous le contrôle du juge de l’Union, accompagnent cette mise en œuvre, d’autre part.

149    Dès lors, il y a lieu de constater que le critère d’inscription litigieux garantit le degré de prévisibilité requis par le droit de l’Union.

150    Par ailleurs, pour autant que le requérant se réfère, en substance, au motif d’inscription énoncé dans les actes attaqués et rappelé au point 12 ci-dessus, il se prévaut d’une violation du principe de prévisibilité des actes de l’Union, au motif qu’il n’y aurait aucune indication de ce que l’on entend par « relations étroites, y compris financières » entre lui et le groupe Wagner et que les termes « joue un rôle et apporte un soutien » n’auraient pas de lien de causalité avec les termes « relations étroites, y compris financières ».

151    Or, pour autant que le requérant invoque le manque de prévisibilité du motif d’inscription en ce qu’il ne serait pas suffisamment clair et précis, force est de constater que ces arguments rejoignent ceux qui ont été examinés et rejetés dans le cadre du premier moyen, en particulier aux points 32 à 34 ci-dessus.

152    De même, dans la mesure où il conteste le lien de causalité entre les termes « joue un rôle et apporte un soutien » et les termes « relations étroites, y compris financières », de tels arguments rejoignent ceux examinés aux points 74 à 109 ci-dessus dans le cadre du troisième moyen, tiré d’erreurs d’appréciation, qui ne sauraient davantage prospérer dans le cadre du présent moyen.

153    Le septième moyen doit donc être rejeté.

154    Il s’ensuit que le recours doit être rejeté dans son intégralité, sans qu’il y ait lieu de faire droit aux demandes de production de documents du requérant et sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur la demande subsidiaire du Conseil.

 Sur les dépens

155    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Yevgeniy Viktorovich Prigozhin est condamné aux dépens.

Spielmann

Öberg

Mastroianni

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 1er juin 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.