ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
28 avril 1999 (1)
«Agriculture Organisations communes des marchés Fruits et légumes
Importation de cerises acides en provenance de pays tiers Perception d'une
taxe compensatoire égale à la différence entre le prix minimal et le prix à
l'importation Applicabilité à des marchandises endommagées»
Dans l'affaire C-31/98,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177
du traité CE, par le Finanzgericht München (Allemagne) et tendant à obtenir, dans
le litige pendant devant cette juridiction entre
Peter Luksch
et
Hauptzollamt Weiden,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 1er du règlement (CE)
n° 1395/94 de la Commission, du 17 juin 1994, établissant un prix minimal à
l'importation de cerises acides (JO L 152, p. 31), ainsi que de l'annexe I du
règlement (CEE) n° 2658/87 du Conseil, du 23 juillet 1987, relatif à la
nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (JO L 256, p. 1),
telle que modifiée par le règlement (CEE) n° 2551/93 de la Commission, du 10
août 1993 (JO L 241, p. 1), et en particulier de la note 1 du chapitre 8 de la
nomenclature combinée,
LA COUR (première chambre),
composée de MM. P. Jann (rapporteur), président de chambre, D. A. O. Edward
et L. Sevón, juges,
avocat général: M. P. Léger,
greffier: M. R. Grass,
considérant les observations écrites présentées:
pour M. Luksch, par Me Clemens Theil, avocat à Munich,
pour la Commission des Communautés européennes, par M. Klaus-Dieter
Borchardt, membre du service juridique, en qualité d'agent,
vu le rapport du juge rapporteur,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 10 décembre
1998,
rend le présent
Arrêt
- 1.
- Par ordonnance du 22 janvier 1998, parvenue à la Cour le 9 février suivant, le
Finanzgericht München a posé, en application de l'article 177 du traité CE, deux
questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 1er du règlement (CE)
n° 1395/94 de la Commission, du 17 juin 1994, établissant un prix minimal à
l'importation de cerises acides (JO L 152, p. 31), ainsi que de l'annexe I du
règlement (CEE) n° 2658/87 du Conseil, du 23 juillet 1987, relatif à la
nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (JO L 256, p. 1),
telle que modifiée par le règlement (CEE) n° 2551/93 de la Commission, du 10
août 1993 (JO L 241, p.1), et en particulier de la note 1 du chapitre 8 de la
nomenclature combinée (ci-après la «NC»).
- 2.
- Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant M. Luksch au
Hauptzollamt Weiden, au sujet du paiement d'une taxe compensatoire, réclamée
à M. Luksch au motif que ce dernier n'aurait pas respecté le prix minimal à
l'importation de plusieurs lots de cerises acides.
La réglementation applicable
- 3.
- L'article 1er du règlement n° 1395/94 prévoit:
«1. Lors de l'importation dans la Communauté de cerises acides, le prix
minimal à respecter est de 40 écus par 100 kilogrammes nets pour le
produit du code NC 0809 20 20 et de 36 écus par 100 kilogrammes nets
pour le produit du code NC 0809 20 60.
2. Lorsque le prix à l'importation est inférieur au prix minimal visé au
paragraphe 1, une taxe compensatoire égale à la différence entre ces deux
prix est perçue.»
Les premier et deuxième considérants précisent à cet égard:
«considérant ... que, en l'absence ... d'un système de protection à la frontière, la
commercialisation de la production communautaire pourrait être affectée par la
concurrence des pays offrant des prix sensiblement inférieurs aux prix auxquels les
produits communautaires peuvent être commercialisés;
...
considérant que, vu la brièveté de la période de commercialisation des produits
concernés, il convient dès maintenant d'arrêter les mesures de nature à éviter les
importations à bas prix; qu'un système de prix minimal à l'importation et de taxes
compensatoires aux produits ne respectant pas ce prix est le système le plus
approprié pour remplir cet objectif».
- 4.
- L'article 3, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 2707/72 du Conseil, du
19 décembre 1972, définissant les conditions d'application des mesures de
sauvegarde dans le secteur des fruits et légumes (JO L 291, p. 3), prévoit par
ailleurs que ces mesures ne peuvent être prises que dans la mesure et pour la
durée strictement nécessaires. Au cinquième considérant de ce règlement, il est
précisé à cet égard que «les mesures visées ci-dessus doivent pouvoir être
proportionnées aux circonstances afin d'éviter qu'elles n'aient des effets autres que
ceux souhaités».
- 5.
- La NC prévoit que les cerises acides importées dans la Communauté pendant la
période du 1er mai au 15 juillet sont classées dans la sous-position 0809 20 20, et
que les cerises acides importées dans la Communauté pendant la période du 16
juillet au 30 avril sont classées dans la sous-position 0809 20 60.
- 6.
- La note 1 du chapitre 8 de la NC, intitulé «Fruits comestibles; écorces d'agrumes
ou de melons», précise que ce chapitre «ne comprend pas les fruits non
comestibles».
Le litige au principal et les questions préjudicielles
- 7.
- Il résulte de l'ordonnance de renvoi que, le 4 juillet 1994, M. Luksch a sollicité du
Hauptzollamt Weiden (l'administration des douanes compétente) la mise en libre
pratique de trois lots de cerises acides de 42 286 kg au total, en provenance de
Roumanie, sous le code NC 0809 20 20. Le prix à l'importation indiqué était de 65
DM par 100 kilogrammes. Ce prix étant ainsi légèrement inférieur au prix minimal
de 40 écus par 100 kilogrammes, fixé à l'article 1er, paragraphe 1, du règlement
n° 1395/94, le Hauptzollamt a réclamé une taxe compensatoire de 2 414,80 DM.
- 8.
- A la livraison de la marchandise, le 5 juillet 1994, il s'est avéré que les fruits
présentaient un état de décomposition avancée. Le destinataire a donc refusé d'en
prendre livraison et M. Luksch a chargé un expert d'examiner la marchandise.
Celui-ci a confirmé que les fruits étaient fortement endommagés par la formation
de moisissures et de pourriture, lesquelles résultaient manifestement d'un stockage
à une température trop élevée, et a conseillé de vendre les marchandises à une
distillerie, en estimant la moins-value à 75 %. M. Luksch s'est conformé à cette
recommandation et a cédé les cerises à une distillerie au prix de 10 DM par 100
kilogrammes.
- 9.
- En raison de la diminution du prix d'importation, le Hauptzollamt, par avis
modificatif du 8 février 1995, a porté la taxe compensatoire à 34 726,86 DM. A la
suite de la réclamation introduite par M. Luksch contre cet avis, le Hauptzollamt,
par décision du 22 mai 1995, a de nouveau augmenté la taxe compensatoire en la
faisant passer à 40 124,02 DM, afin de tenir compte de la diminution du montant
des coûts de transport des marchandises à l'intérieur de la Communauté.
- 10.
- M. Luksch a présenté un recours à l'encontre de cette décision devant la juridiction
de renvoi en faisant valoir, en substance, que la réglementation en cause au
principal ne saurait s'appliquer à des marchandises avariées.
- 11.
- La juridiction de renvoi, ayant des doutes sur l'applicabilité de la réglementation
du prix minimal aux marchandises importées par M. Luksch, dans la mesure où
l'objet de cette réglementation, qui est d'éviter des perturbations dans le marché
commun provoquées par des offres à des prix anormalement bas en provenance
de pays tiers, ne serait pas compromis par la présence de marchandises avariées,
a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles
suivantes:
«1) L'article 1er du règlement n° 1395/94 de la Commission, du 17 juin 1994,
doit-il être interprété en ce sens que la taxe compensatoire grève également
les cerises acides que la formation de moisissures et un début de
fermentation ont déjà gâtées dans une mesure telle qu'elles ne peuvent plus
être employées utilement, sur un plan économique, que dans des distilleries?
En cas de réponse positive à la première question:
2) Convient-il d'interpréter l'annexe I du règlement n° 2658/87, telle que
modifiée par le règlement n° 2551/93, du 10 août 1993, en particulier la note
1 du chapitre 8 de la nomenclature combinée, en ce sens que les produits
décrits à la première question sont à classer dans la sous-position 0809 20
20 ou 0809 20 60?»
Sur la première question
- 12.
- M. Luksch et la Commission soutiennent que la taxe compensatoire ne saurait
grever les marchandises dont il s'agit. En effet, les préambules des règlements
(CEE) no 1035/72 du Conseil, du 18 mai 1972, portant organisation commune des
marchés dans le secteur des fruits et légumes (JO L 118, p. 1), et n° 1395/94
justifieraient le prélèvement de taxes compensatoires par la seule nécessité d'éviter
des perturbations du marché communautaire dues à des offres en provenance de
pays tiers faites à des prix anormaux. Selon eux, dans l'affaire au principal, les
marchandises en cause ne se sont pas trouvées en concurrence avec la production
communautaire, puisque le bas prix auquel elles ont été finalement vendues a eu
pour cause exclusive l'impossibilité de les consommer.
- 13.
- Dans son arrêt du 2 août 1993, Dinter (C-81/92, Rec. p. I-4601, point 19), la Cour
aurait déjà jugé que les mesures de sauvegarde ne peuvent être prises que dans la
mesure et pour la durée strictement nécessaires, et que, en conséquence, lorsque
l'objectif de protection poursuivi par les mesures de sauvegarde est atteint, la
perception d'une taxe compensatoire est illégale. Il conviendrait de transposer ces
appréciations à la présente affaire, dans laquelle la vente à une distillerie de cerises
gâtées n'a pas affecté le marché des fruits frais dans la Communauté. La
perception dans de telles conditions de la taxe compensatoire méconnaîtrait le
principe de proportionnalité.
- 14.
- La Commission souligne en outre que la détérioration des marchandises, et donc
la dépréciation considérable de leur valeur marchande, s'était déjà produite au
moment de leur mise en libre pratique, qui constitue la date pertinente pour la
perception de la taxe compensatoire. Il manquerait ainsi un élément essentiel à
l'application de l'article 1er du règlement n° 1395/94, en raison du fait que le bas
prix payé par l'importateur n'est pas dû à une politique des prix exercée par un
pays tiers mais résulte d'une circonstance totalement indépendante de la
provenance desdites marchandises.
- 15.
- A titre liminaire, il y a lieu de relever qu'il ressort de son premier considérant que
le règlement n° 1395/94 a pour objet d'instaurer des mesures de sauvegarde en vue
de la protection du marché communautaire des cerises acides, menacé de subir, du
fait des importations en provenance de pays tiers offrant des prix sensiblement
inférieurs aux prix auxquels les produits communautaires peuvent être
commercialisés, des perturbations graves susceptibles de mettre en péril les
objectifs de l'article 39 du traité CE.
- 16.
- Ainsi que le précise le deuxième considérant du règlement n° 1395/94, les mesures
de sauvegarde doivent tendre à empêcher l'écoulement de produits importés à bas
prix. Cet objectif peut être atteint par l'instauration d'un prix minimal à
l'importation dans la Communauté et, en cas de non-respect de celui-ci, par
l'application d'une taxe compensatoire. Il ressort dudit règlement que celle-ci est
fixée, en principe, sur la base du prix initialement convenu entre les parties.
- 17.
- Il convient donc d'examiner si la perception de la taxe compensatoire en l'espèce
était justifiée bien qu'une perturbation du marché communautaire semblât exclue,
parce que le bas prix auquel était vendue la marchandise était, pour l'essentiel, dû
à une circonstance totalement indépendante de la provenance de celle-ci, à savoir
sa détérioration dans une mesure telle qu'elle ne pouvait plus être employée
utilement, sur un plan économique, que dans des distilleries.
- 18.
- A cet égard, il convient de rappeler que l'article 3, paragraphe 2, du règlement
n° 2707/72 précise que les mesures de sauvegarde dans le secteur des fruits et
légumes ne peuvent être prises que «dans la mesure et pour la durée strictement
nécessaires». Il en résulte que, ainsi que la Cour l'a déjà jugé dans l'arrêt Dinter,
précité, point 19, qui est relatif au paiement d'une taxe compensatoire pour non-respect du prix minimal à l'importation de griottes, lorsque l'objectif de protection
poursuivi par les mesures de sauvegarde est atteint, la perception d'une taxe
compensatoire est illégale. La perception d'une telle taxe doit être considérée
comme d'autant plus injustifiée lorsque le fonctionnement du marché
communautaire ne peut être affecté par un bas prix qui est la conséquence de
circonstances étrangères à la provenance de la marchandise.
- 19.
- Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que, dans des circonstances telles
que celles de l'espèce au principal, le paiement de la taxe compensatoire n'est
exigible que si et dans la mesure où il n'excéderait pas ce qui est strictement
nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi par le règlement n° 1395/94.
- 20.
- Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, à la lumière de l'ensemble des
éléments d'interprétation qui précèdent, les raisons pour lesquelles, à la date de la
demande de mise en libre pratique des cerises acides par l'importateur, le prix de
celles-ci était inférieur au prix minimal et, notamment, si ce bas niveau de prix
résulte de circonstances totalement indépendantes de la volonté de ce dernier et
de la provenance des marchandises.
- 21.
- Par conséquent, il convient de répondre à la première question que l'article 1er du
règlement n° 1395/94 doit être interprété en ce sens qu'une taxe compensatoire ne
peut pas être perçue dans le cas où des cerises acides ont été mises en libre
pratique dans la Communauté à un bas prix, dès lors que ce bas niveau de prix est
dû à des circonstances indépendantes de la volonté de l'importateur et de la
provenance des marchandises, telle une détérioration avancée mais imprévue des
fruits.
Sur la seconde question
- 22.
- La seconde question ayant été posée uniquement pour le cas où la première
question appellerait une réponse positive, il n'y a pas lieu d'y répondre.
Sur les dépens
- 23.
- Les frais exposés par la Commission, qui a soumis des observations à la Cour, ne
peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des
parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction
nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (première chambre),
statuant sur les questions à elle soumises par le Finanzgericht München, par
ordonnance du 22 janvier 1998, dit pour droit:
L'article 1er du règlement (CE) n° 1395/94 de la Commission, du 17 juin 1994,
établissant un prix minimal à l'importation de cerises acides, doit être interprété
en ce sens qu'une taxe compensatoire ne peut pas être perçue dans le cas où des
cerises acides ont été mises en libre pratique dans la Communauté à un bas prix,
dès lors que ce bas niveau de prix est dû à des circonstances indépendantes de la
volonté de l'importateur et de la provenance des marchandises, telle une
détérioration avancée mais imprévue des fruits.
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 28 avril 1999.
Le greffier
Le président de la première chambre
R. Grass
P. Jann