Language of document : ECLI:EU:T:2013:197

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

18 avril 2013(*)

« Marque communautaire – Procédure d’opposition – Demande de marque communautaire verbale Peek & Cloppenburg – Dénomination commerciale nationale antérieure Peek & Cloppenburg – Motif relatif de refus – Risque de confusion – Article 8, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 207/2009 »

Dans l’affaire T‑506/11,

Peek & Cloppenburg KG, établie à Düsseldorf (Allemagne), représentée initialement par Me S. Abrar, puis par Me P. Lange, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par M. G. Schneider, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’OHMI, intervenant devant le Tribunal, étant

Peek & Cloppenburg, établie à Hambourg (Allemagne), représentée par Mes A. Renck, V. von Bomhard, T. Heitmann, M. Petersenn, avocats, et Mme I. Fowler, solicitor,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la première chambre de recours de l’OHMI du 28 février 2011 (affaire R 53/2005‑1), relative à une procédure d’opposition entre Peek & Cloppenburg et Peek & Cloppenburg KG,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. S. Papasavvas (rapporteur), président, V. Vadapalas et K. O’Higgins, juges,

greffier : Mme C. Hereen, administrateur,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 26 septembre 2011,

vu le mémoire en réponse de l’OHMI déposé au greffe du Tribunal le 1er février 2012,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 31 janvier 2012,

vu la décision du 24 avril 2012 refusant d’autoriser le dépôt d’un mémoire en réplique,

à la suite de l’audience du 27 février 2013,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 13 mars 2000, la requérante, Peek & Cloppenburg KG, a présenté une demande d’enregistrement de marque communautaire à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), en vertu du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1)].

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe verbal Peek & Cloppenburg.

3        Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent de la classe 25 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent à la description suivante : « Vêtements, chaussures, chapellerie ».

4        La demande de marque communautaire a été publiée au Bulletin des marques communautaires n° 81/2001, du 9 octobre 2000.

5        Le 8 janvier 2001, l’intervenante, Peek & Cloppenburg, a formé opposition, au titre de l’article 42 du règlement n° 40/94 (devenu article 41 du règlement n° 207/2009), à l’enregistrement de la marque demandée pour les produits visés au point 3 ci-dessus.

6        L’opposition était fondée sur la dénomination commerciale Peek & Cloppenburg, utilisée pour la commercialisation, notamment, de produits relevant de la classe 25.

7        Les motifs invoqués à l’appui de l’opposition étaient, d’une part, ceux visés à l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 40/94 (devenu article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009) lu en combinaison avec l’article 5, paragraphe 2, l’article 6, paragraphe 3, et l’article 15, paragraphe 2, du Gesetz über den Schutz von Marken und sonstigen Kennzeichen (loi allemande sur la protection des marques et autres signes) du 25 octobre 1994 (BGBl. 1994 I, p. 3082, et BGBl. 1995 I, p. 156, ci-après le « Markengesetz ») et, d’autre part, ceux visés à l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 40/94 lu en combinaison avec l’article 5, paragraphe 2, l’article 6, paragraphe 3, et l’article 15, paragraphe 3, du Markengesetz.

8        Le 30 novembre 2004, la division d’opposition a fait droit à l’opposition et a rejeté la demande d’enregistrement de marque communautaire pour les produits visés au point 3 ci-dessus.

9        Le 18 janvier 2005, la requérante a formé un recours auprès de l’OHMI, au titre des articles 57 à 63 du règlement n° 40/94 (devenus articles 58 à 64 du règlement n° 207/2009), contre la décision de la division d’opposition.

10      Par décision du 28 février 2011 (ci-après la « décision attaquée »), la première chambre de recours de l’OHMI a rejeté le recours. Elle a considéré, en premier lieu, que l’intervenante était titulaire d’un signe antérieur lui conférant le droit d’interdire à la requérante l’utilisation de la marque Peek & Cloppenburg, plus récente, sur le fondement de l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009 lu en combinaison avec les articles 5 et 15, paragraphe 2, du Markengesetz. En second lieu, elle a estimé que la requérante aurait tiré indûment profit de la dénomination commerciale Peek & Cloppenburg ou aurait causé un préjudice au caractère distinctif ou à la renommée de celle-ci, au sens de l’article 15, paragraphe 3, du Markengesetz, lu en combinaison avec l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009.

 Conclusions des parties

11      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’OHMI aux dépens.

12      L’OHMI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

13      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens, y compris ceux de l’intervenante.

 En droit

14      A l’appui de son recours, la requérante invoque, en substance, deux moyens, tirés, le premier, de l’absence d’un droit permettant d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente et, le second, de l’absence d’un droit d’interdiction portant sur l’ensemble du territoire allemand au titre de l’article 12 du Markengesetz.

 Sur le premier moyen, tiré de l’absence d’un droit permettant d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente

15      Au soutien de son premier moyen, la requérante soulève deux griefs, tirés, premièrement, d’une violation de l’article 8, paragraphe 4, sous b), du règlement n° 207/2009 et, deuxièmement, de la méconnaissance dudit article, lu en combinaison avec l’article 76, paragraphe 1, in limine, du même règlement.

 Sur le premier grief, tiré d’une violation de l’article 8, paragraphe 4, sous b), du règlement n° 207/2009

16      La requérante fait valoir que la chambre de recours a fait une application erronée de l’article 8, paragraphe 4, sous b), du règlement n° 207/2009 en considérant que l’intervenante était titulaire, en application du droit allemand, d’un signe antérieur lui conférant le droit de lui interdire l’utilisation de la marque contestée Peek & Cloppenburg, plus récente. Elle affirme que l’intervenante a toléré qu’elle utilise la marque allemande du même nom pendant plus de cinq ans en Allemagne et était donc forclose, en application de l’article 21 du Markengesetz, à demander l’interdiction de la marque Peek & Cloppenburg, plus récente, sur le fondement de l’article 8, paragraphe 4, sous b), du règlement n° 207/2009. Elle ajoute que sa marque allemande Peek & Cloppenburg et le signe antérieur de l’intervenante, constitué des mêmes termes, coexistent sur le territoire allemand depuis plusieurs années et que cette coexistence annihile le risque de confusion.

17      L’OHMI et l’intervenante contestent cette argumentation.

18      En vertu de l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009, le titulaire d’un signe autre qu’une marque peut s’opposer à l’enregistrement d’une marque communautaire si celui-ci remplit cumulativement quatre conditions : ce signe doit être utilisé dans la vie des affaires ; il doit avoir une portée qui n’est pas seulement locale ; le droit à ce signe doit avoir été acquis conformément au droit de l’État membre où le signe était utilisé avant la date de dépôt de la demande de marque communautaire ; enfin, ce signe doit reconnaître à son titulaire la faculté d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente. Ces quatre conditions limitent le nombre des signes autres que des marques qui peuvent être invoqués pour contester la validité d’une marque communautaire sur l’ensemble du territoire de l’Union, conformément à l’article 1, paragraphe 2, du règlement nº 207/2009 [arrêt du Tribunal du 24 mars 2009, Moreira da Fonseca/OHMI – General Óptica (GENERAL OPTICA), T‑318/06 à T‑321/06, Rec. p. II‑649, point 32].

19      Les deux premières conditions, c’est-à-dire celles relatives à l’usage et à la portée du signe invoqué, cette dernière ne devant pas être seulement locale, résultent du libellé même de l’article 8, paragraphe 4, du règlement nº 207/2009 et doivent donc être interprétées à la lumière du droit de l’Union. Ainsi, le règlement nº 207/2009 établit des standards uniformes, relatifs à l’usage des signes et à leur portée, qui sont cohérents avec les principes qui inspirent le système mis en place par ce règlement (arrêt GENERAL OPTICA, précité, point 33).

20      En revanche, il résulte de la locution « lorsque et dans la mesure où, selon le droit de l’État membre qui est applicable à ce signe », que les deux autres conditions, énoncées ensuite à l’article 8, paragraphe 4, sous a) et b), du règlement n° 207/2009, constituent des conditions fixées par le règlement qui, à la différence des précédentes, s’apprécient au regard des critères fixés par le droit qui régit le signe invoqué. Ce renvoi au droit qui régit le signe invoqué est tout à fait justifié, étant donné que le règlement nº 207/2009 reconnaît à des signes étrangers au système de marque communautaire la possibilité d’être invoqués à l’encontre d’une marque communautaire. Dès lors, seul le droit qui régit le signe invoqué permet d’établir si celui-ci est antérieur à la marque communautaire et s’il peut justifier d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente (arrêt GENERAL OPTICA, précité, point 34). Conformément à l’article 76, paragraphe 1, du règlement n° 207/2009, la charge de prouver que cette dernière condition est remplie pèse sur l’opposant devant l’OHMI (arrêt de la Cour du 29 mars 2011, Anheuser-Busch/Budějovický Budvar, C‑96/09 P, Rec. p. I‑2131, point 189).

21      Pour l’application des dispositions de l’article 8, paragraphe 4, sous b), du règlement n° 207/2009, il convient de tenir compte, notamment, de la réglementation nationale invoquée et des décisions de justice rendues dans l’État membre concerné. Sur ce fondement, l’opposant doit démontrer que le signe en cause entre dans le champ d’application du droit de l’État membre invoqué et qu’il permettrait d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente (arrêt Anheuser-Busch/Budějovický Budvar, précité, point 190).

22      Il convient de relever que l’opposant doit seulement démontrer qu’il dispose du droit d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente et il ne saurait être exigé de celui-ci qu’il démontre que ce droit a été exercé, en ce sens que l’opposant a effectivement été en mesure d’obtenir l’interdiction d’une telle utilisation (arrêt Anheuser-Busch/Budějovický Budvar, précité, point 191).

23      En l’espèce, la chambre de recours était saisie de la question de savoir si la dénomination commerciale Peek & Cloppenburg invoquée par l’intervenante lui conférait le droit, sur le fondement du droit allemand applicable, d’interdire l’utilisation de la marque communautaire Peek & Cloppenburg, plus récente, sur le fondement de l’article 8, paragraphe 4, sous b), du règlement n° 207/2009.

24      En premier lieu, il convient de relever que la requérante ne conteste pas l’appréciation de la chambre de recours selon laquelle une dénomination commerciale constitue, en droit allemand, un droit antérieur au sens de l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009.

25      En deuxième lieu, il convient de constater que la chambre de recours a conclu à bon droit que les articles 5, 6 et 15 du Markengesetz constituaient le droit de l’État membre applicable au présent litige.

26      L’article 15 du Markengesetz dispose :

« (1) L’acquisition de la protection d’une dénomination commerciale confère à son titulaire un droit exclusif.

(2) Il est interdit aux tiers d’utiliser sans autorisation, dans la vie des affaires, la dénomination commerciale ou un signe similaire d’une manière pouvant entraîner une confusion avec la dénomination protégée.

(3) S’il s’agit d’une dénomination commerciale notoire dans le pays, il est également interdit aux tiers d’utiliser dans la vie des affaires la dénomination commerciale ou un signe similaire même s’il n’y a pas de risque de confusion au sens du paragraphe 2, dans la mesure où, sans motifs légitimes, l’usage du signe tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée commerciale ou leur porterait préjudice.

(4) Quiconque utilise une dénomination commerciale ou un signe similaire en violation des paragraphes 2 ou 3 peut être poursuivi en cessation par le titulaire de la dénomination commerciale, en cas de risque de récidive. Cette action peut également être engagée lorsqu’il existe un risque d’infraction […] »

27      L’article 5 du Markengesetz précise :

« (1) Sont protégés en tant que dénominations commerciales les noms commerciaux et les titres d’œuvres.

(2) Les noms commerciaux sont des signes qui sont utilisés dans la vie des affaires en tant que nom, raison sociale, ou désignation particulière d’un fonds de commerce ou d’une entreprise […] »

28      Enfin, l’article 6 du Markengesetz prévoit :

« (1) Si, en cas de conflit entre les droits visés aux articles 4, 5 et 13, l’ordre de priorité des droits doit, selon la présente loi, être défini par leur ancienneté, celle-ci est déterminée selon les dispositions des paragraphes 2 et 3.

(2) Pour la détermination de l’ancienneté des marques demandées ou enregistrées, la date du dépôt […] ou, en cas de revendication d’une priorité en vertu de l’article 34 ou de l’article 35, la date de priorité est décisive.

(3) Pour la détermination de l’ancienneté des droits au sens de l’article 4, points 2 et 3, et des articles 5 et 13, la date de l’acquisition du droit est décisive.

(4) Si, en application des paragraphes 2 et 3, des droits ont la même ancienneté, ils ont le même rang et ne peuvent fonder aucune prétention à l’encontre les uns des autres ».

29      En l’espèce, la chambre de recours a relevé que le signe Peek & Cloppenburg était utilisé par l’intervenante dans la vie des affaires pour désigner son entreprise et ses magasins en Allemagne et constituait une dénomination commerciale protégée au sens de l’article 5, paragraphe 2, du Markengesetz. Elle a ensuite constaté que, en application de l’article 6 du Markengesetz, cette dénomination avait été acquise antérieurement au dépôt de la demande de marque communautaire formée par la requérante. La chambre de recours a estimé également qu’il existait un risque de confusion entre la dénomination commerciale de l’intervenante et la marque demandée par la requérante compte tenu notamment de l’identité des signes et des produits concernés. Enfin, la chambre de recours a appliqué la jurisprudence du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) relative à l’article 23 du Markengesetz, lequel dispose, en substance, que le titulaire d’une dénomination commerciale n’a pas le droit d’interdire à un tiers, dans la vie des affaires, l’usage de son nom ou de son adresse pour autant que cet usage ne soit pas contraire aux bonnes mœurs, et a considéré que la demande de marque communautaire formée par la requérante, qui perturbait la situation d’équilibre existant entre les deux signes sur le marché allemand, pouvait être considérée comme un usage contraire aux bonnes mœurs. La chambre de recours a déduit de l’ensemble de ces constatations que l’intervenante avait établi qu’elle disposait, pour le signe Peek & Cloppenburg, du droit d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente en Allemagne sur le fondement des articles 5, 6 et 15 du Markengesetz.

30      Pour contester cette appréciation, la requérante invoque, d’une part, la coexistence du signe antérieur de l’intervenante avec une marque allemande détenue par elle et semblable à la marque demandée. À cet égard, il convient de rappeler qu’il n’est, certes, pas entièrement exclu que, dans certains cas, la coexistence de marques antérieures sur le marché puisse éventuellement amoindrir le risque de confusion constaté par les instances de l’OHMI entre deux marques en conflit. Néanmoins, une telle éventualité ne saurait être prise en considération que si, à tout le moins, au cours de la procédure concernant des motifs relatifs de refus devant l’OHMI, le demandeur de la marque communautaire a dûment démontré que ladite coexistence reposait sur l’absence d’un risque de confusion, dans l’esprit du public pertinent, entre les marques antérieures dont il se prévalait et la marque antérieure de l’intervenante qui fondait l’opposition et sous réserve que les marques antérieures en cause et les marques en conflit aient été identiques [voir arrêt du Tribunal du 7 novembre 2007, NV Marly/OHMI – Erdal (Top iX), T‑57/06, non publié au Recueil, point 97, et la jurisprudence citée].

31      Force est toutefois de constater, que, en l’espèce, la requérante n’a pas démontré que lesdits signes coexistaient en Allemagne depuis plusieurs années. En outre, la requérante n’a, en tout état de cause, nullement démontré que la coexistence des signes en cause reposait sur l’absence d’un risque de confusion comme l’exige la jurisprudence visée au point précédent. Cet argument doit donc être rejeté.

32      D’autre part, la requérante fait valoir que l’intervenante a toléré qu’elle utilise la marque allemande Peek & Cloppenburg pendant plus de cinq ans sur le territoire allemand. Elle en conclut que l’intervenante était forclose à demander l’interdiction de cette marque en application de l’article 21 du Markengesetz lequel dispose, en substance, que le titulaire d’une dénomination commerciale n’est pas en droit d’interdire l’utilisation d’une marque enregistrée plus récente s’il a eu connaissance et toléré l’utilisation de cette marque pendant une période de cinq années consécutives.

33      À cet égard, il y a lieu de relever qu’un recours porté devant le Tribunal en vertu de l’article 65, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009 vise au contrôle de la légalité des décisions des chambres de recours. Dans le cadre dudit règlement, en application de son article 76, ce contrôle doit se faire au regard du cadre factuel et juridique du litige tel qu’il a été porté devant la chambre de recours [voir arrêt du Tribunal du 1er février 2005, SPAG/OHMI – Dann et Backer (HOOLIGAN), T‑57/03, Rec. p. II‑287, point 17, et la jurisprudence citée]. Il s’ensuit que le Tribunal ne saurait annuler ou réformer la décision objet du recours pour des motifs qui apparaîtraient postérieurement à son prononcé (arrêts de la Cour du 11 mai 2006, Sunrider/OHMI, C‑416/04 P, Rec. p. I‑4237, point 55, et du 13 mars 2007, OHMI/Kaul, C‑29/05 P, Rec. p. I‑2213, point 53).

34      Or, ainsi que le souligne à juste titre l’intervenante, l’argumentation de la requérante relative à l’article 21 du Markengesetz a été présentée pour la première fois devant le Tribunal. Ce point constitue donc un argument nouveau que la requérante n’a pas présenté devant l’OHMI, lequel n’était pas tenu de l’examiner d’office, dès lors que l’article 76, paragraphe 1, in fine, du règlement n° 207/2009 limite son examen aux moyens invoqués et aux demandes présentées par les parties. Cet argument est donc irrecevable.

35      Ledit argument est, en tout état de cause, inopérant dès lors que, ainsi que le fait valoir l’OHMI, l’article 21 du Markengesetz n’est pas applicable au cas d’espèce. En effet, dans le contexte de l’article 8, paragraphe 4, sous b), du règlement n° 207/2009, l’opposant doit, pour démontrer que le signe en cause entre dans le champ d’application du droit de l’État membre invoqué et qu’il permettrait d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente, se placer dans la perspective de la marque communautaire demandée à l’enregistrement. Par conséquent, la requérante ne peut utilement se prévaloir de l’article 21 du Markengesetz dès lors que cette disposition règle les rapports entre une dénomination commerciale et une marque déjà enregistrée. Or, au cas d’espèce, la marque communautaire dont il s’agit d’empêcher l’utilisation n’a pas encore fait l’objet d’un enregistrement. Invoquer l’article 21 du Markengesetz est donc dénué de pertinence dans le présent litige.

36      Enfin, la requérante soutient que, à la date de la décision attaquée, une procédure l’opposant à l’intervenante et ayant précisément pour objet la question de la forclusion était pendante devant les juridictions allemandes. Elle fait valoir que, dans le cadre de cette procédure, les juridictions allemandes étaient amenées à se prononcer sur la question de savoir si les conditions fixées à l’article 51 du Markengesetz, lequel dispose, en substance, que le titulaire d’une marque antérieure ayant toléré l’utilisation d’une marque plus récente pendant une période de cinq années consécutives ne peut plus demander la radiation de ladite marque, étaient remplies. La requérante ajoute que les conditions fixées par les articles 51 et 21 du Markengesetz sont identiques et affirme que la chambre de recours aurait dû s’appuyer sur les décisions non définitives déjà rendues par les juridictions allemandes sur l’application dudit article 51 ou, à tout le moins, suspendre la procédure jusqu’à l’intervention d’une décision définitive pour déterminer si l’intervenante disposait d’un droit antérieur lui permettant de faire interdire la marque litigieuse sur le fondement de l’article 21 du Markengesetz.

37      Or, il convient de rappeler que l’article 21 du Markengesetz n’est pas applicable au présent litige. Dès lors, l’argumentaire de la requérante relatif à l’article 51 du Markengesetz tel qu’exposé au point précédent est dénué de pertinence. Par conséquent, la chambre de recours n’a pas commis d’erreur de droit en prenant sa décision sans se fonder sur les décisions rendues par les juridictions nationales sur la procédure en radiation de marques et sans attendre l’intervention d’une décision définitive.

38      Dans ces conditions, c’est à bon droit que la chambre de recours a considéré que l’intervenante disposait du droit d’interdire l’utilisation de la marque demandée Peek & Cloppenburg, plus récente, sur le fondement de l’article 8, paragraphe 4, sous b), du règlement n° 207/2009. Le premier grief doit donc être rejeté.

 Sur le second grief, tiré de la méconnaissance de l’article 8, paragraphe 4, lu en combinaison avec l’article 76, paragraphe 1, in limine, du règlement n° 207/2009

39      La requérante fait valoir que, en ne s’appuyant pas sur les décisions du Landgericht Düsseldorf (tribunal régional de Düsseldorf, Allemagne) et de l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne), se prononçant sur l’existence d’une forclusion des droits de l’intervenante au sens de l’article 51 du Markengesetz, et en ne suspendant pas la procédure jusqu’à l’intervention d’une décision définitive sur cette question, la chambre de recours a méconnu les articles 8, paragraphe 4, et 76, paragraphe 1, in limine, du règlement n° 207/2009.

40      L’OHMI et l’intervenante contestent cette argumentation.

41      Aux termes de l’article 76, paragraphe 1, du règlement n° 207/2009, l’OHMI procède à l’examen d’office des faits. Toutefois, dans une procédure telle que celle du présent litige, qui concerne des motifs relatifs de refus d’enregistrement, cet examen est limité aux moyens invoqués et aux demandes présentées par les parties.

42      En l’espèce, il ressort de la décision attaquée (point 100) que la chambre de recours a non seulement examiné l’éventualité d’une suspension de la procédure en raison de la procédure en radiation de marques nationales pendante devant les juridictions allemandes, mais elle a également précisé que la question de la forclusion n’était pas pertinente dans cette procédure. Ainsi, en examinant notamment ces questions, la chambre de recours a procédé à l’examen de l’ensemble des moyens et des demandes qui lui étaient soumis conformément aux exigences de l’article 76, paragraphe 1, du règlement n° 207/2009.

43      L’argument de la requérante selon lequel l’OHMI aurait mal interprété la nécessité de suspendre la procédure jusqu’au prononcé d’une décision juridictionnelle allemande définitive est, en réalité, dirigé contre l’appréciation des faits opérée par la chambre de recours dans la décision attaquée. Or, une telle argumentation a été écartée dans le cadre de l’examen du moyen tiré d’une violation de l’article 8, paragraphe 4, sous b), du règlement n° 207/2009 (voir points 37 et 378 ci-dessus).

44      Par conséquent, le deuxième grief doit être écarté, de sorte que le premier moyen doit être rejeté.

 Sur le second moyen, tiré de l’absence d’un droit d’interdiction portant sur l’ensemble du territoire allemand au titre de l’article 12 du Markengesetz

45      La requérante soutient que l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009 doit être interprété, d’un point de vue téléologique, en ce sens que l’opposant doit disposer, comme dans le cadre de l’article 12 du Markengesetz, du droit d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente sur l’ensemble du territoire allemand. Elle ajoute que, en l’espèce, l’intervenante ne dispose pas, à son encontre, d’un tel droit.

46      L’OHMI et l’intervenante contestent cette argumentation.

47      À cet égard, il convient de rappeler que les conditions fixées à l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009 relatives à l’usage dans la vie des affaires et à la portée du signe invoqué doivent être interprétées à la lumière des standards uniformes du droit de l’Union qui sont cohérents avec les principes qui inspirent le système mis en place par le règlement n° 207/2009 (voir point 19 ci-dessus).

48      En conséquence, contrairement aux arguments avancés par la requérante, la condition relative à la portée du signe invoqué doit être interprétée à la lumière des standards uniformes du droit de l’Union et non du droit allemand et, en particulier, de l’article 12 du Markengesetz.

49      Ainsi que cela ressort d’une interprétation textuelle de l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009, l’examen de l’exigence selon laquelle la portée du signe invoqué ne doit pas seulement être locale, impose de tenir compte, en premier lieu, de la dimension géographique de la portée du signe, c’est-à-dire du territoire sur lequel il est utilisé pour identifier l’activité économique de son titulaire. Il convient de tenir compte, en second lieu, de la dimension économique de la portée du signe, qui est évaluée au regard de la durée pendant laquelle il a rempli sa fonction dans la vie des affaires et de l’intensité de son usage, au regard du cercle des destinataires parmi lesquels le signe en cause est devenu connu en tant qu’élément distinctif, à savoir les consommateurs, les concurrents, voire les fournisseurs, ou encore de la diffusion qui a été donnée au signe, par exemple, par voie de publicité ou sur internet. Aussi, afin d’établir l’importance effective et réelle du signe invoqué sur le territoire concerné, il convient de ne pas se limiter à des appréciations purement formelles, mais d’examiner l’impact de ce signe sur le territoire en cause après avoir été utilisé en tant qu’élément distinctif (arrêt GENERAL OPTICA, précité, points 37 et 38).

50      Ainsi, la portée d’un signe ne saurait être fonction de la seule étendue géographique de sa protection, car, s’il en était ainsi, un signe dont l’étendue de la protection n’est pas purement locale pourrait, de ce seul fait, faire obstacle à l’enregistrement d’une marque communautaire, et ce alors même qu’il ne serait utilisé dans la vie des affaires que d’une manière marginale. Il en découle que, pour pouvoir faire obstacle à l’enregistrement d’un nouveau signe, celui qui est invoqué à l’appui de l’opposition doit être effectivement utilisé d’une manière suffisamment significative dans la vie des affaires et avoir une étendue géographique qui ne soit pas seulement locale, ce qui implique que cette utilisation ait lieu sur une partie importante du territoire en cause (voir, en ce sens, arrêt Anheuser-Busch/Budějovický Budvar, précité, points 158 et 159).

51      Il résulte de ce qui précède que le fait qu’un signe ne confère pas à son titulaire un droit exclusif sur l’ensemble du territoire national ne signifie pas pour autant que sa portée est seulement locale au sens de l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009.

52      Par ailleurs, il y a lieu de relever qu’un signe a une portée qui n’est pas seulement locale lorsque son impact ne se limite pas à une partie réduite du territoire sur lequel il est protégé en vertu du droit national applicable et lorsqu’il a fait l’objet d’une utilisation dont la durée et l’intensité ne sont pas négligeables dans les circonstances de chaque espèce [arrêt du Tribunal du 30 septembre 2010, Granuband/OHMI – Granuflex (GRANUflex), T‑534/08, non publié au Recueil, point 19].

53      Afin de pouvoir s’opposer valablement à l’enregistrement d’une marque communautaire, il est donc nécessaire de démontrer que, d’après son usage, le signe invoqué a acquis une importance qui n’est pas limitée du point de vue des tiers concernés à une partie réduite du territoire pertinent, étant précisé que le règlement n° 207/2009 laisse au titulaire le choix des moyens de preuve pour établir la portée de ce signe (voir, en ce sens, arrêt GENERAL OPTICA, précité, points 42 et 43).

54      Il résulte de l’ensemble de ces considérations se rapportant à l’appréciation du critère relatif à la portée du signe antérieur invoqué que le raisonnement de la requérante, consistant à faire valoir que l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009 doit être interprété, d’un point de vue téléologique, en ce sens que l’opposant doit disposer, comme dans le cadre de l’article 12 du Markengesetz, du droit d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente sur l’ensemble du territoire allemand, ne saurait emporter la conviction du Tribunal. En effet, ni le règlement n° 207/2009 ni la jurisprudence citée aux points 47 à 51 ci-dessus n’exigent que celui qui invoque un signe antérieur à l’encontre d’une marque postérieure sur le fondement de l’article 8, paragraphe 4, dudit règlement dispose du droit d’interdire l’usage d’une marque plus récente sur l’ensemble d’un territoire national. À cet égard, il convient de rappeler que la seule exigence fixée par le règlement et reprise par la jurisprudence est que le signe invoqué n’ait pas une portée seulement locale. En outre, ainsi que le souligne, à juste titre, l’intervenante, l’article 8 du règlement n° 207/2009 ne saurait, en tout état de cause, être interprété à la lumière de l’article 12 du Markengesetz dès lors que cet article a trait à la question de la radiation d’une marque et n’est pas applicable aux procédures d’opposition que traite l’article 8 dudit règlement.

55      À titre surabondant, il ressort des preuves fournies par l’intervenante que la portée du signe antérieur invoqué n’est pas seulement locale au sens de l’article 8, paragraphe 4, du règlement nº 207/2009. Ainsi que la chambre de recours l’a constaté aux points 38 à 41 de la décision attaquée, il résulte des documents présentés par l’intervenante que, au moment de la demande d’enregistrement de la marque communautaire, le signe Peek & Cloppenburg était utilisé comme dénomination commerciale par l’intervenante depuis 1911 pour vendre des vêtements pour femmes, hommes et enfants, ainsi que des accessoires comme des ceintures et d’autres articles en cuir, dans de nombreuses parties du territoire allemand. Par conséquent, eu égard à la publicité à laquelle se livre l’intervenante, à son chiffre d’affaires et à l’ancienneté de son entreprise, la chambre de recours n’a pas commis d’erreur en estimant que la portée de la dénomination commerciale Peek & Cloppenburg n’était pas seulement locale.

56      Il résulte de tout de ce qui précède que le second moyen doit être rejeté et, partant, le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

57      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’OHMI et de l’intervenante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Peek & Cloppenburg KG est condamnée aux dépens.

Papasavvas

Vadapalas

O’Higgins

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 avril 2013.

Signatures


* Langue de procédure : l’allemand.